بـــسْم ﭐلله ﭐلرّحْمٰن ﭐلرّحــيــم ﭐللَّهُمَّ صَلِّ عَلَى سَيِّدِنَا مُحَمَّدٍ وَ عَلَى آلِهِ و صحبه وَ سَلِّمْ السلام عليكم و رحمة الله و بركاته
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lundi 29 février 2016
samedi 27 février 2016
mercredi 24 février 2016
samedi 20 février 2016
mardi 16 février 2016
Compte-rendu de Denys ROMAN - Lambsprinck - La Pierre philosophale
Avec l'aimable autorisation du site denysroman.fr/
LAMBSPRINCK, La Pierre philosophale
Etudes
Traditionnelles, Numéro 436 – mars-avril 1973
Lambsprinck, La
Pierre philosophale,
texte latin et traduction française, (Casa éditrice Arché, Milan).
Cet ouvrage fait partie d’une Bibliotheca Hermetica fondée en
1967, et qui diffère de la Bibliotheca Hermetica des éditions
Denoël. Ont notamment paru par les soins de cette maison
milanaise La
Vertu et Propriété de la Quinte Essence de
Joannes de Rupescissa, Le
Règne de Saturne changé en siècle d’or de
Huginus A Barma, les deux traités de Pernéty (Fables et
Dictionnaire) et plusieurs autres œuvres d’alchimie. L’auteur du
livre dont nous parlons aujourd’hui, Lambsprinck, fait partie de «
cette catégorie d’hermétistes dont l’existence, à propos ou
non, a été entourée de l’obscurité la plus complète ». Tout
ce qu’on sait de lui, c’est qu’il s’agit d’un noble
allemand qui appartint à une abbaye bénédictine située près de
Hildesheim. Le traité La Pierre philosophale est le seul qui nous
soit parvenu sous son nom. Rédigé en allemand, il a été traduit
en vers latins par Nicolas Barnaud qui le publia en 1677 à
Francfort, et il semble avoir joui d’une assez grande notoriété.
Nicolas Flamel et Michel Maier l’ont cité, et le second en
recommande vivement la lecture. Bien plus, ce dernier s’est inspiré
très visiblement de certaines planches de l’Atalante fugitive, et
certains ont même remarqué « l’affinité des figures de
Lambsprinck avec celles de Flamel, allant jusqu’à prétendre de ce
fait que l’hermétiste allemand aurait fait ses études à Paris
».
L’essentiel du traité de Lambsprinck est en effet
constitué par 15 planches symboliques. Chacune de ces planches est
accompagnée de très brèves explications et d’un texte en vers
(le texte le plus court en comporte 9. Le plus long 26). Il faut
noter tout d’abord que, si l’on considère les cinq planches qui
sont communes ou du moins « apparentées » (l’auteur de
l’introduction dit « consanguines ») chez Lambsprinck et chez
Michel Maier, on remarque que ces planches ne sont pas disposées
dans le même ordre. Faut-il voir là un de ces « pièges » si
fréquemment tendus par les philosophes hermétiques pour égarer les
curieux qui manquent de patience ? En tout cas, il serait
certainement instructif de comparer les textes, versifiés ou non,
musicaux ou non, que Lambsprinck et Maier ont adjoints aux cinq
planches en question. Et il va sans dire que dans des œuvres dont
l’illustration constitue l’essentiel, il était facile et même
tentant pour les auteurs d’introduire dans l’enchaînement de
leurs figures un désordre au moins apparent, et ceci, comme le dit
Lambsprinck (2ème figure), « pour que nul insensé ne voie ».
D’une manière générale, nous pensons –et nous croyons que tel
était aussi l’avis de Guénon quand il recommandait à ceux qui en
avaient le goût d’examiner avec soin les symboles hermétiques–
qu’il ne faut pas se laisser rebuter par leur complexité. Il est
bien certain que celui qui voudrait lire Lambsprinck ou même Maier
comme on lit René Guénon risquerait fort d’être très vite
découragé. Mais en persistant et en appliquant les règles
fondamentales exposées par Guénon pour l’interprétation du
symbolisme traditionnel on fait des découvertes intéressantes et
qui parfois dépassent le point de vue cosmologique propre à
l’hermétisme. Nous citerons par exemple, dans la traduction
française, le début des vers latins, accompagnant la 7ème figure :
« Dans la forêt on trouve un nid où Hermès a mis ses petits. L’un
cherche toujours à voler, l’autre aime rester au nid, mais aucun
n’abandonne l’autre. Celui du bas tient toujours le second de
façon que tous les deux demeurent dans le nid, tout comme l’homme
avec sa femme, unis étroitement ». Ce texte rappelle le texte bien
connu des Upanishads : « Deux oiseaux, compagnons inséparablement
unis, habitent le même arbre ; l’un mange les fruits de l’arbre,
l’autre regarde sans manger ». Bien entendu, le point de vue
métaphysique du texte hindou est différent du point de vue
cosmologique de l’hermétisme ; mais on sait que le même
symbolisme peut s’appliquer à des niveaux de vie
différents.
Précisément, les vers de la 7ème figure dont
nous venons de citer un fragment sont pour ainsi dire rappelés dans
les vers de la 8ème figure qui débutent ainsi : « On trouve en
Inde une belle forêt où deux oiseaux sont enlacés ; l’un est
très blanc, l’autre rouge ». De l’« absorption » de l’un de
ces oiseaux par l’autre naît une colombe qui donne le jour au
Phénix, lequel reçoit de Dieu une vertu « pour qu’il vive dans
l’éternité et ne meure jamais ». On peut trouver dans l’ouvrage
de Lambsprinck, « très dense », en dépit de son extrême
brièveté, bien d’autres correspondances sur des symboles tels que
la forêt, le poisson, le loup, le dragon, la licorne « qui est
l’Esprit ». Tout cela peut servir « d’illustration » et
parfois même d’éclaircissement à certains aperçus des Symboles
fondamentaux de la Science sacrée. Il est à remarquer que l’ouvrage
de Lambsprinck précise dès le début que la « matière de l’Œuvre
» n’est autre que l’être humain. Les vers de la première
figure commencent ainsi : « Les philosophes disent généralement
qu’il y a dans notre mer deux poissons tout dépourvus de chair et
d’os ». Ces vers se trouvent expliqués par l’éclaircissement
suivant, placé au-dessous de la figure : « La mer est le Corps, les
deux poissons l’Esprit et l’Âme »
Nous devons signaler en
terminant que l’ouvrage dont nous venons de parler est une édition
sur papier de luxe, tirée à 500 exemplaires.
*
Lambsprinck, Traité
de la Pierre philosophale,
traduit en français sur le texte allemand. Suivi du traité : Le
Pilote de l’Onde vive,
de Mathurin Eyquem du Martineau. (Editions Denoël, Paris).
Nous
ne reviendrons pas sur le premier de ces deux traités, dont la
traduction (sur le texte original) est sans doute plus rigoureuse
littéralement, mais aussi moins compréhensible -du moins nous
a-t-il semblé- que la traduction sur le texte latin de Nicolas
Barnaud.
Le second traité (également désigné comme Le
Secret du flux et du reflux de la mer et du point fixe) est
un texte très peu connu, sans doute à cause de la difficulté qu’on
éprouve à en pénétrer le symbolisme. Il se divise très nettement
en deux parties : dans la première, l’auteur traite précisément
de ce qu’il appelle « le flux et le reflux de la mer » et du «
point fixe ». On ne peut manquer ici de faire un rapprochement avec
la « pénalité » du premier grade de ma maçonnerie bleue, où il
est également question du flux et du reflux de la mer. Le but final
de l’initiation étant précisément d’échapper à
l’enchaînement « fatal » de la « génération » et de la «
corruption », cette parenté de symbolisme entre l’hermétisme et
la Maçonnerie –qui portent l’une et l’autre le nom « d’Art
Royal »–n’a pas de quoi surprendre.
La seconde partie
relate un curieux voyage aux Indes orientales, qui se termine par des
considérations sur la « quadrature du cercle », problème, on le
sait, spécifiquement hermétique. Ce voyage s’effectue en
compagnie d’un personnage qui a plusieurs caractères des
Rose-Croix, et en particulier la « longévité ». A la lecture de
cette navigation, on pense parfois au voyage de Pantagruel allant
consulter l’oracle de la Dive bouteille ; en effet, certaines
expressions de Mathurin Eyquem se retrouvent chez Rabelais. Nous ne
voulons d’ailleurs pas dire qu’il y ait eu influence de l’un de
ces auteurs sur l’autre ; mais de tels rapprochements suggèrent
que tous deux devaient se rattacher à une même « école »
traditionnelle. Du reste, ce n’est pas seulement certaines
expressions qui sont communes à Eyquem et à Rabelais. Certaines
idées aussi. Nous pensons en particulier à la visite faite par
Eyquem au « roi des Pygmées », qui, après avoir régné sur la
terre entière, vivait retiré dans une caverne. L’évanouissement
total de sa « félicité » avait coïncidé, selon lui, avec
l’invention de « l’art diabolique de la poudre et du canon ».
On sait que Rabelais attribuait aussi une origine « infernale » à
l’« artillerie » ; et, ce qui plus remarquable encore, un moderne
historien des civilisations a très bien vu l’importance capitale
et néfaste de l’invention des explosifs au début de ce même
XIVème siècle qui amorça la ruine ou du moins le dépérissement
de tant de « valeurs » traditionnelles (cf. E.T. de juillet 1972,
p. 197, n. 9 ; et aussi p. 198, §2).
Dans ce traité d’Eyquem
comme dans presque tous les textes de l’hermétisme, on trouve
ainsi une foule de formules et d’allusions qu’il est très
intéressant de comparer à tel ou tel point de la doctrine
traditionnelle. Le symbolisme alchimique est extrêmement riche et
varié. C’est ce qui fait à la fois sa difficulté et son attrait.
Denys
Roman
vendredi 5 février 2016
René Guénon - Quelques aspects du symbolisme du poisson
Le symbolisme du poisson, qui se rencontre dans de nombreuses formes traditionnelles, y compris le christianisme, est fort complexe et présente de multiples aspects qui demandent à être distingués avec précision. Pour ce qui est des origines premières de ce symbole, il semble qu’il faille lui reconnaître une provenance nordique, voire même hyperboréenne ; on a signalé en effet sa présence en Allemagne du Nord et en Scandinavie (2), et, dans ces régions, il est vraisemblablement plus près de son point de départ que dans l’Asie centrale, où il fut sans doute apporté par le grand courant qui, issu directement de la Tradition primordiale, devait ensuite donner naissance aux doctrines de l’Inde et de la Perse. Il est d’ailleurs à noter que, d’une façon générale, certains animaux aquatiques jouent surtout un rôle dans le symbolisme des peuples du Nord : nous en citerons seulement comme exemple le poulpe, particulièrement répandu chez les Scandinaves et chez les Celtes, et qui se retrouve aussi dans la Grèce archaïque, comme un des principaux motifs de l’ornementation mycénienne (3).
Un autre fait qui vient encore à l’appui de ces considérations, c’est que, dans l’Inde, la manifestation sous la forme du poisson (Matsya-avatâra) est regardée comme la première de toutes les manifestations de Vishnu (4), celle qui se place au début même du cycle actuel, et qu’elle est ainsi en relation immédiate avec le point de départ de la Tradition primordiale. Il ne faut pas oublier, à cet égard, que Vishnu représente le Principe divin envisagé spécialement sous son aspect de conservateur du monde ; ce rôle est bien proche de celui du « Sauveur », ou plutôt ce dernier en est comme un cas particulier ; et c’est véritablement comme « Sauveur » que Vishnu apparaît dans certaines de ses manifestations, correspondant à des phases critiques de l’histoire du monde (5). Or, l’idée du « Sauveur » est également attachée de façon explicite au symbolisme chrétien du poisson, puisque la dernière lettre de l’Ichthus grec s’interprète comme l’initiale de Sôter (6) ; cela n’a rien d’étonnant, sans doute, lorsqu’il s’agit du Christ, mais il est pourtant des emblèmes qui font plus directement allusion à quelque autre de ses attributs, et qui n’expriment pas formellement ce rôle de « Sauveur ».
1 — [Publié dans É. T., févr. 1936.]
2 — Cf. L. Charbonneau-Lassay, Le Poisson, dans Reg., numéro de déc. 1926.
3 — Les bras du poulpe sont généralement droits dans les figurations scandinaves, tandis qu’ils sont enroulés en spirale dans les ornements mycéniens ; dans ceux-ci, on voit aussi apparaître très fréquemment le swastika ou des figures qui en sont manifestement dérivées. Le symbole du poulpe se rapporte au signe zodiacal du Cancer, qui correspond au solstice d’été et au « fond des Eaux » ; il est facile de comprendre par là qu’il ait pu être pris parfois dans un « sens maléfique », le solstice d’été étant la Janua Inferni.
4 — Nous devons faire remarquer que nous ne disons pas « incarnations », comme on le fait habituellement en Occident, car ce mot est tout à fait inexact ; le sens propre du terme avatâra est « descente » du Principe divin dans le monde manifesté.
5 — Signalons aussi, à ce propos, que la dernière manifestation, le Kalkin-avatâra, « Celui qui est monté sur le cheval blanc », et qui doit venir a la fin de ce cycle, est décrite dans les Purânas en des termes rigoureusement identiques a ceux qui se trouvent dans l’Apocalypse, où ils sont rapportés à la « seconde venue » du Christ.
6 — Quand le poisson est pris comme symbole du Christ, son nom grec Ichthus est considéré comme formé par les initiales des mots Iêsous Christos Theou Uios Sôter.
Sous la figure du poisson, Vishnu, à la fin du Manvantara, qui précède le nôtre, apparaît à Satyavrata (7), qui va devenir sous le nom de Vaivaswata (8), le Manu ou le Législateur du cycle actuel. Il lui annonce que le monde va être détruit par les eaux, et il lui ordonne de construire l’arche dans laquelle devront être renfermés les germes du monde futur ; puis, toujours sous cette même forme, il guide lui-même l’arche sur les eaux pendant le cataclysme ; et cette représentation de l’arche conduite par le poisson divin est d’autant plus remarquable qu’on en retrouve aussi l’équivalent dans le symbolisme chrétien (9).
7 — Ce nom signifie littéralement « voué à la Vérité » ; et cette idée de la « Vérité » se retrouve dans la désignation du Satya-Yuga, le premier des quatre âges en lesquels se divise le Manvantara. On peut aussi remarquer la similitude du mot Satya avec le nom de Saturne, considéré précisément dans l’antiquité occidentale comme le régent de l’« âge d’or » ; et, dans la tradition hindoue, la sphère de Saturne est appelée Satya-Loka.
8 — Issu de Vivaswat, l’un des douze Âdityas, qui sont regardés comme autant de formes du Soleil, en correspondance avec les douze signes du Zodiaque, et dont il est dit qu’ils doivent paraître simultanément à la fin du cycle (cf. Le Roi du Monde, ch IV et XI).
9 — M Charbonneau-Lassay cite, dans l’étude mentionnée plus haut, « l’ornement pontifical décoré de figures brodées qui enveloppait les restes d’un évêque lombard du VIIIe ou IXe siècle, et sur lequel on voit une barque portée par le poisson, image du Christ soutenant son Église ». Or, l’arche a souvent été regardée comme une figure de l’Église, aussi bien que la barque (qui fut anciennement, avec les clefs, un des emblèmes de Janus ; cf. Autorité spirituelle et pouvoir temporel, ch. VIII) ; c’est donc bien la même idée que nous trouvons ainsi exprimée a la fois dans le symbolisme hindou et dans le symbolisme chrétien.
Il y a encore, dans le Matsya-avatâra, un autre aspect qui doit retenir particulièrement notre attention : après le cataclysme, c’est-à-dire au début même du présent Manvantara, il apporte aux hommes le Vêda, qu’il faut entendre, suivant la signification étymologique de ce mot (dérivé de la racine vid, « savoir »), comme la Science par excellence ou la Connaissance sacrée dans son intégralité : c’est là une allusion des plus nettes à la Révélation primordiale, ou à l’origine « non-humaine » de la Tradition. Il est dit que le Vêda subsiste perpétuellement étant en soi-même antérieur à tous les mondes ; mais il est en quelque sorte caché ou enveloppé pendant les cataclysmes cosmiques qui séparent les différents cycles, et il doit ensuite être manifesté de nouveau. L’affirmation de la perpétuité du Vêda est d’ailleurs en relation directe avec la théorie cosmologique de la primordialité du son parmi les qualités sensibles (comme qualité propre de l’éther, âkâsha, qui est le premier des éléments (10)) ; et cette théorie n’est pas autre chose, au fond, que celle que d’autres traditions expriment en parlant de la création par le Verbe : le son primordial, c’est cette Parole divine par laquelle, suivant le premier chapitre de la Genèse hébraïque, toutes choses ont été faites (11). C’est pourquoi il est dit que les Rishis ou les Sages des premiers âges ont « entendu » le Vêda : la Révélation, étant une œuvre du Verbe comme la création elle-même, est proprement une « audition » pour celui qui la reçoit ; et le terme qui la désigne est celui de Shruti, qui signifie littéralement « ce qui est entendu (12) ».
10 — Cf. notre étude sur La Théorie hindoue des cinq éléments, dans É. T. d’août-sept. 1935.
11 — Cf. également le début de l’Évangile de saint Jean.
12 — Sur la distinction de la Shruti et de la Smriti et sur leurs rapports, voir L’Homme et son devenir selon le Vêdânta, ch. I. Il doit être bien entendu que, si nous employons ici le mot de « révélation » au lieu de celui d’« inspiration » c’est pour mieux marquer la concordance des différents symbolismes traditionnels et que d’ailleurs, comme tous les termes théologiques, il est susceptible d’une transposition dépassant le sens spécifiquement religieux qu’on lui donne d’une façon exclusive en Occident.
Pendant le cataclysme qui sépare ce Manvantara du précédent, le Vêda était renfermé à l’état d’enveloppement dans la conque (shankha), qui est un des principaux attributs de Vishnu. C’est que la conque est regardée comme contenant le son primordial et impérissable (akshara), c’est-à-dire le monosyllabe Om, qui est par excellence le nom du Verbe manifesté dans les trois mondes, en même temps qu’il est, par une autre correspondance de ses trois éléments ou mâtrâs, l’essence du triple Vêda (13). D’ailleurs, ces trois éléments, ramenés à leurs formes géométriques essentielles (14) et disposés graphiquement d’une certaine façon, forment le schéma même de la conque et, par une concordance assez singulière, il se trouve que ce schéma est également celui de l’oreille humaine, l’organe de l’audition, qui doit effectivement, pour être apte à la perception du son, avoir une disposition conforme à la nature de celui-ci (15). Tout ceci touche visiblement à quelques-uns des plus profonds mystères de la cosmologie ; mais qui, dans l’état d’esprit qui constitue la mentalité moderne, peut encore comprendre les vérités qui relèvent de cette science traditionnelle ?
Comme Vishnu dans l’Inde, et aussi sous la forme du poisson l’Oannès chaldéen, que certains ont regardé expressément comme une figure du Christ (16), enseigne également aux hommes la doctrine primordiale : frappant exemple de l’unité qui existe entre les traditions en apparence les plus différentes, et qui demeurerait inexplicable si l’on n’admettait leur rattachement à une source commune. Il semble d’ailleurs que le symbolisme d’Oannès ou de Dagon n’est pas seulement celui du poisson en général, mais doit être rapproché plus spécialement de celui du dauphin ; celui-ci, chez les Grecs, était lié au culte d’Apollon (17) et avait donné son nom à Delphes ; et ce qui est très significatif, c’est qu’on reconnaissait formellement que ce culte venait de hyperboréens. Ce qui donne à penser qu’il y a lieu de faire un tel rapprochement (qui ne se trouve pas nettement indiqué par contre, dans le cas de la manifestation de Vishnu), c’est surtout l’étroite connexion qui existe entre le symbole du dauphin et celui de la « Femme de mer » (l’Aphrodite Anadyomène des Grecs) (18) ; précisément, celle-ci se présente, sous des noms divers (notamment ceux d’Istar, d’Atergatis et de Dercéto) comme la parèdre d’Oannès ou de ses équivalents, c’est-à-dire comme figurant un aspect complémentaire du même principe (ce que la tradition hindoue appellerait sa Shakti) (18). C’est la « Dame du Lotus » (Istar, comme Esther en hébreu, signifie « lotus », et aussi quelquefois « lis », deux fleurs qui, dans le symbolisme, se remplacent souvent l’une l’autre) (19), comme la Kouan-yn extrême-orientale, qui est également, sous une de ses formes, la « Déesse du fond des mers ».
13 — Sur la présence de ce même idéogramme AVM dans l’ancien symbolisme chrétien, cf. Le Roi du Monde, ch. IV.
14 — Voir L’Homme et son devenir selon le Vêdânta ch. XVI].
15 — [Tous les points mentionnés ici en rapport avec le symbolisme de la conque avaient été déjà examinés dans L’Hiéroglyphe du Cancer qui forme ici le ch. XIX.]
16 — Il est intéressant de noter à cet égard que la tête de poisson, qui formait la coiffure des prêtres d’Oannès, est aussi la mitre des évêques chrétiens.
17 — C’est ce qui explique le rattachement du symbole du dauphin à l’idée de la lumière (cf. L. Charbonneau-Lassay, Le Dauphin et le crustacé, dans Reg., numéro de janvier 1927, et Le Bestiaire du Christ, ch. XCVIII, V). — Il convient de noter aussi le rôle de sauveteur des naufragés attribué par les anciens au dauphin, et dont la légende d’Arion offre un des exemples les plus connus.
18 — Il ne faut pas confondre cette « Femme de mer » avec la sirène, bien qu’elle soit quelquefois représentée sous une forme similaire.
18 — La Dea Syra est proprement la « Déesse solaire », de même que la Syrie primitive est la « Terre du Soleil », comme nous l’avons déjà expliqué, son nom étant identique à Sûrya, nom sanscrit du Soleil.
19 — En hébreu, les deux noms Esther et Sushanah ont la même signification, et, de plus, ils sont numériquement équivalents ; leur nombre commun est 661, et, en plaçant devant chacun d’eux la lettre he, signe de l’article défini, dont la valeur est 5, on obtient 666, ce dont certains n’ont pas manqué de tirer des déductions plus ou moins fantaisistes ; nous n’entendons, pour notre part, donner cette indication qu’à titre de simple curiosité.
Pour compléter ces remarques, nous ajouterons encore que la figure de l’Ea babylonien, le « Seigneur de l’Abîme », représenté comme un être moitié chèvre et moitié poisson (20), est identique à celle du Capricorne zodiacal, dont elle a peut-être même été le prototype ; or il est important de se rappeler, à cet égard, que ce signe du Capricorne correspond, dans le cycle annuel, au solstice d’hiver. Le Makara, qui, dans le Zodiaque hindou, tient la place du Capricorne, n’est pas sans présenter une certaine similitude avec le dauphin ; l’opposition symbolique qui existe entre celui-ci et le poulpe doit donc se ramener à celle des deux signes solsticiaux du Capricorne et du Cancer (ce dernier, dans l’Inde, est représenté par le crabe), ou de la Janua Coeliet de la Janua Inferni (21) ; et ceci explique aussi que ces deux mêmes animaux se soient trouvés associés dans certains cas, par exemple sous le trépied de Delphes et sous les pieds des coursiers du char solaire, comme indiquant les deux points extrêmes atteints par le Soleil dans sa marche annuelle. Il importe de ne pas commettre ici de confusion avec un autre signe zodiacal, celui des Poissons, dont le symbolisme est différent et doit être rapporté exclusivement à celui du poisson commun, envisagé notamment dans son rapport avec l’idée du « principe de vie » et de la « fécondité » (entendue surtout au sens spirituel, comme la « postérité » dans le langage traditionnel extrême-oriental) ; ce sont là d’autres aspects, qui peuvent d’ailleurs être rapportés également au Verbe, mais qui n’en doivent pas moins être distingués nettement de ceux qui le font apparaître, comme nous l’avons vu, sous ses deux attributs de « Révélateur » et de « Sauveur ».
20 — En outre, Ea tient devant lui comme le scarabée égyptien, une boule qui représente l’« Œuf du Monde ».
21 — Le rôle du dauphin comme conducteur des âmes bienheureuses vers les « îles Fortunées » se rapporte aussi évidemment à la Janua Cæli.
(René Guénon, Symboles fondamentaux de la science sacrée, chap. XXII : Quelques aspects du symbolisme du poisson.)
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