mardi 30 mai 2017

René Guénon - LE DON DES LANGUES


 





Aperçus sur l’Initiation, René Guénon, éd. Éditions Traditionnelles, 1964
p. 236  CHAPITRE XXXVII

Une question qui se rattache assez directement à celle de l’enseignement initiatique et de ses adaptations est celle de ce qu’on appelle le « don des langues », qui est souvent mentionné parmi les privilèges des véritables Rose-Croix, ou, pour parler plus exactement (car le mot de « privilèges » pourrait trop facilement donner lieu à de fausses interprétations), parmi leurs signes caractéristiques, mais qui est d’ailleurs susceptible d’une application beaucoup plus étendue que celle qui en est faite ainsi à une forme traditionnelle particulière. À vrai dire, il ne semble pas qu’on ait jamais expliqué très nettement ce qu’il faut entendre par là au point de vue proprement initiatique, car beaucoup de ceux qui ont employé cette expression paraissent l’avoir entendue à peu près uniquement en son sens le plus littéral, ce qui est insuffisant, bien que, sans doute, ce sens littéral lui-même puisse être justifié d’une certaine façon. En effet, la possession de certaines clefs du langage peut fournir, pour comprendre et parler les langues les plus diverses, des moyens tout autres que ceux dont on dispose d’ordinaire ; et il est très certain qu’il existe, dans l’ordre des sciences traditionnelles, ce qu’on pourrait appeler une philologie sacrée, entièrement différente de la philologie profane qui a vu le jour dans l’Occident moderne. Cependant, tout en acceptant cette première interprétation et en la situant dans son domaine propre, qui est celui des applications contingentes de l’ésotérisme, il est permis de considérer surtout un sens symbolique, d’ordre plus élevé, qui s’y superpose sans la contredire aucunement, et qui s’accorde d’ailleurs avec les données initiatiques communes à toutes les traditions, qu’elles soient d’Orient ou d’Occident.

À ce point de vue, on peut dire que celui qui possède véritablement le « don des langues », c’est celui qui parle à chacun son propre langage, en ce sens qu’il s’exprime toujours sous une forme appropriée aux façons de penser des hommes auxquels il s’adresse. C’est aussi ce à quoi il est fait allusion, d’une manière plus extérieure, lorsqu’il est dit que les Rose-Croix devaient adopter le costume et les habitudes des pays où ils se trouvaient ; et certains ajoutent même qu’ils devaient prendre un nouveau nom chaque fois qu’ils changeaient de pays, comme s’ils revêtaient alors une individualité nouvelle. Ainsi, le Rose-Croix, en vertu du degré spirituel qu’il avait atteint, n’était plus lié exclusivement à aucune forme définie, non plus qu’aux conditions spéciales d’aucun lieu déterminé1, et c’est pourquoi il était un « Cosmopolite » au vrai sens de ce mot2. Le même enseignement se rencontre dans l’ésotérisme islamique : Mohyiddin ibn Arabi dit que « le vrai sage ne se lie à aucune croyance », parce qu’il est au delà de toutes les croyances particulières, ayant obtenu la connaissance de ce qui est leur principe commun ; mais c’est précisément pour cela qu’il peut, suivant les circonstances, parler le langage propre à chaque croyance. Il n’y a d’ailleurs là, quoi que puissent en penser les profanes, ni « opportunisme » ni dissimulation d’aucune sorte ; au contraire, c’est la conséquence nécessaire d’une connaissance qui est supérieure à toute les formes, mais qui ne peut se communiquer (dans la mesure où elle est communicable) qu’à travers des formes, dont chacune, par là même qu’elle est une adaptation spéciale, ne saurait convenir indistinctement à tous les hommes. On peut, pour le comprendre, comparer ce dont il s’agit à la traduction d’une même pensée en des langues diverses : c’est bien toujours la même pensée, qui, en elle-même, est indépendante de toute expression ; mais, chaque fois qu’elle est exprimée en une autre langue, elle devient accessible à des hommes qui, sans cela, n’auraient pu la connaître ; et cette comparaison est d’ailleurs rigoureusement conforme au symbolisme même du « don des langues ».


[1] Ni d’aucune époque particulière, pourrions-nous ajouter ; mais ceci, qui se réfère directement au caractère de « longévité », demanderait, pour être bien compris, de plus amples explications qui ne peuvent trouver place ici ; nous donnerons d’ailleurs plus loin quelques indications sur cette question de la « longévité ».

[2] On sait que ce nom de « Cosmopolite » a servi de signature « couverte » à divers personnages qui, s’ils n’étaient pas eux-mêmes de véritables Rose-Croix, semblent bien avoir tout au moins servi de porte-parole à ceux-ci pour la transmission extérieure de certains enseignements, et qui pouvaient par conséquent s’identifier à eux dans une certaine mesure, en tant qu’ils remplissaient cette fonction particulière.



Celui qui en est arrivé à ce point, c’est celui qui a atteint, par une connaissance directe et profonde (et non pas seulement théorique ou verbale), le fond identique de toutes les doctrines traditionnelles, qui a trouvé, en se plaçant au point central dont elles sont émanées, la vérité une qui s’y cache sous la diversité et la multiplicité des formes extérieures. La différence, en effet, n’est jamais que dans la forme et l’apparence ; le fond essentiel est partout et toujours le même, parce qu’il n’y a qu’une vérité, bien qu’elle ait des aspects multiples suivant les points de vue plus ou moins spéciaux sous lesquels on l’envisage, et que, comme le disent les initiés musulmans, « la doctrine de l’Unité est unique »1 ; mais il faut une variété de formes pour s’adapter aux conditions mentales de tel ou tel pays, de telle ou telle époque, ou, si l’on préfère, pour correspondre aux divers points de vue particularisés qui sont déterminés par ces conditions ; et ceux qui s’arrêtent à la forme voient surtout les différences, au point de les prendre même parfois pour des oppositions, tandis qu’elles disparaissent au contraire pour ceux qui vont au delà. Ceux-ci peuvent ensuite redescendre dans la forme, mais sans plus en être aucunement affectés, sans que leur connaissance profonde en soit modifiée en quoi que ce soit ; ils peuvent, comme on tire les conséquences d’un principe, réaliser en procédant de haut en bas, de l’intérieur à l’extérieur (et c’est en cela que la véritable synthèse est, comme nous l’avons expliqué précédemment, tout l’opposé du vulgaire « syncrétisme »), toutes les adaptations de la doctrine fondamentale. C’est ainsi que, pour reprendre toujours le même symbolisme, n’étant plus astreints à parler une langue déterminée, ils peuvent les parler toutes, parce qu’ils ont pris connaissance du principe même dont toutes les langues dérivent par adaptation ; ce que nous appelons ici les langues, ce sont toutes les formes traditionnelles, religieuses ou autres, qui ne sont en effet que des adaptations de la grande Tradition primordiale et universelle, des vêtements divers de l’unique vérité. Ceux qui ont dépassé toutes les formes particulières et sont parvenus à l’universalité, et qui « savent » ainsi ce que les autres ne font que « croire » simplement, sont nécessairement « orthodoxes » au regard de toute tradition régulière ; et, en même temps, ils sont les seuls qui puissent se dire pleinement et effectivement « catholiques », au sens rigoureusement étymologique de ce mot2, tandis que les autres ne peuvent jamais l’être que virtuellement, par une sorte d’aspiration qui n’a pas encore réalisé son objet, ou de mouvement qui, tout en étant dirigé vers le centre, n’est pas parvenu à l’atteindre réellement.


[1] Et-tawhîdu wâhidun.

[2] Le mot « catholique », pris ainsi dans son acception originelle, revient fréquemment dans les écrits d’inspiration plus ou moins directement rosicrucienne.



Ceux qui sont passés au delà de la forme sont, par là-même, libérés des limitations inhérentes à la condition individuelle de l’humanité ordinaire ; ceux mêmes qui ne sont parvenus qu’au centre de l’état humain, sans avoir encore réalisé effectivement les états supérieurs, sont du moins, en tout cas, affranchis des limitations par lesquelles l’homme déchu de cet « état primordial » dans lequel ils sont réintégrés est lié à une individualité particulière, aussi bien qu’à une forme déterminée, puisque toutes les individualités et toutes les formes du domaine humain ont leur principe immédiat au point même où ils sont placés. C’est pourquoi ils peuvent, comme nous le disions plus haut, revêtir des individualités diverses pour s’adapter à toutes les circonstances ; ces individualités, pour eux, n’ont véritablement pas plus d’importance que de simples vêtements. On peut comprendre par là ce que le changement de nom signifie vraiment, et ceci se rattache naturellement à ce que nous avons exposé précédemment au sujet des noms initiatiques ; d’ailleurs, partout où cette pratique se rencontre, elle représente toujours un changement d’état dans un ordre plus ou moins profond ; dans les ordres monastiques eux-mêmes, sa raison d’être n’est en somme nullement différente au fond, car, là aussi, l’individualité profane1 doit disparaître pour faire place à un être nouveau, et, même quand le symbolisme n’est plus entièrement compris dans son sens profond, il garde pourtant encore par lui-même une certaine efficacité.



Si l’on comprend ces quelques indications, on comprendra en même temps pourquoi les vrais Rose-Croix n’ont jamais pu constituer quoi que ce soit qui ressemble de près ou de loin à une « société », ni même une organisation extérieure quelconque ; ils ont pu sans doute, ainsi que le font encore en Orient, et surtout en Extrême-Orient, des initiés d’un degré comparable au leur, inspirer plus ou moins directement, et en quelque sorte invisiblement, des organisations extérieures formées temporairement en vue de tel ou tel but spécial et défini ; mais, bien que ces organisations puissent pour cette raison être dites « rosicruciennes », eux-mêmes ne s’y liaient point et, sauf peut-être dans quelques cas tout à fait exceptionnels, n’y jouaient aucun rôle apparent. Ce qu’on a appelé les Rose-Croix en Occident à partir du XIVe siècle, et qui a reçu d’autres dénominations en d’autres temps et en d’autres lieux, parce que le nom
n’a ici qu’une valeur purement symbolique et doit lui-même s’adapter aux circonstances, ce n’est pas une association quelconque, c’est la collectivité des êtres qui sont parvenus à un même état supérieur à celui de l’humanité ordinaire, à un même degré d’initiation effective, dont nous venons d’indiquer un des aspects essentiels, et qui possèdent aussi les mêmes caractères intérieurs, ce qui leur suffit pour se reconnaître entre eux sans avoir besoin pour cela d’aucun signe extérieur. C’est pourquoi ils n’ont d’autre lieu de réunion que « le Temple du Saint-Esprit, qui est partout », de sorte que les descriptions qui en ont parfois été données ne peuvent être entendues que symboliquement ; et c’est aussi pourquoi ils demeurent nécessairement inconnus des profanes parmi lesquels ils vivent, extérieurement semblables à eux, bien qu’entièrement différents d’eux en réalité, parce que leurs seuls signes distinctifs sont purement intérieurs et ne peuvent être perçus que par ceux qui ont atteint le même développement spirituel, de sorte que leur influence, qui est attachée plutôt à une « action de présence » qu’à une activité extérieure quelconque, s’exerce par des voies qui sont totalement incompréhensibles au commun des hommes.

[1] En toute rigueur, il faudrait plutôt dire ici la modalité profane de l’individualité, car il est évident que, dans cet ordre exotérique, le changement ne peut être assez profond pour porter sur quelque chose de plus que de simples modalités.






















samedi 20 mai 2017

A.A.H - LE DON DES LANGUES



 
 
          On pourrait risquer une définition préliminaire : ce don consiste à posséder une langue « intérieure » qui est la clef de toutes les autres.
 
                  Le don des langues ne se comprend pas sans recourir à 3 notions, lesquelles relèvent de 3 principes qui peuvent s'actualiser chez certains êtres dont l'âme a été prédisposée bien avant la naissance par la Volonté du Ciel (il s'agit de ce qui, acquis dans une vie  antérieure, apparaît alors comme « inné » (cf. René Guénon /.. »Sagesse acquise, sagesse innée »).

     Ces trois principes -congruents – ont été énoncés dans trois contextes traditionnels différents sans lien géographique ni historique apparent, à savoir :

      - la  philosophie grecque primitive : « savoir, c'est se ressouvenir » : c'est la Réminiscence platonicienne (« anamnêsis »)

     - la tradition islamique : «  percevoir l'unité à travers la multiplicité et inversement » (al-wahda fi-l-kuthra wa al-kuthra fi-l-wahda / application du principe du « wahdatu-l-wujûd »)

      - la métaphysique hindoue : « posséder l'esprit d'enfance (bâlya), qui relève de la fitra en vocabulaire  soufi..

        Nous ajouterons un corollaire : le statut d' étranger.

        L'être qui recueille le fruit de ces trois prédispositions peut être dit « doué en langues », au moins sous l'aspect linguistique, qui peut paraître subalterne mais n'en est pas moins, éventuellement, symbolique d'un ordre plus élevé, à savoir : comprendre de façon effective (et non plus mentale) l'Unité transcendante des Religions et Doctrines traditionnelles, ce qui implique évidemment la connaissance des langues correspondantes. Il ne s'arrête pas à l'hétérogénéité des langues mais perçoit tout de suite leur parenté originaire.

        C'était le cas éminent de deux Maîtres contemporains : Cheykh'abdul-Hedi Aguéli et Cheykh 'abdel-Wahed Yahya.

       Pour le premier , nous citerons ce que disait de lui un de ses amis, Werner von Hausen :

       « Il avait sa propre méthode d'apprentissage des langues étangères. Il acheta l'evangile de Saint-Jean (en arabe). Il était capable de forcer la serrure de toutes les langues et il comprenait immédiatement ce qu'il lisait. Il avait la faculté incroyable de s'approprier de nouvelles formes de langues et de percer  et d'analyser  leur architecture. Je crois que cela  se produisait comme dans un sorte d'intuition esthétique. S'il voulait approfondir (le sens), il recourait à la grammaire et à la syntaxe. De toute façon, il y parvenait avec peu de moyens, comme par exemple quand il voulut lire le « Kalevala » en langue originale (c'est à dire en vieux finnois), il n'aimait pas s'occuper de traduction car  il n'y trouvait  pas la couleur juste, le rythme et la sonorité qui le guidaient quand il cherchait à saisir le sens et le contenu d'un mot au moyen de son « organe », [c'est à dire ] l'instinct esthétique.

          « Je devine que c'était cette force esthético-divinatoire, innée chez lui, qui faisait qu'il trouvait un tel enchantement  à l'étude des oeuvres de philosophie religieuse en langue originale. Je crois aussi qu'il appréhendait le contenu prosaïque, les idées, moins par l'intellect, mais plutôt en plongeant dans le berceau spirituel d'où l'oeuvre poétique était issue ».(n. d. Tr.)*

          La philosophie abstraite l'intéressait moins, je crois, peut-être même pas du tout, que justement des textes comme le Kalevala, les Eddas, le Coran et les Vedas, oeuvres poétiques inspirées qui exprimaient l'âme d'un peuple  (1), l'esprit d'une époque, d'une manière pure et esthétique. »**
 
 
*N;d.Tr.: C'est à dire en en retrouvant l'origine vivante en lui-même,dans sa propre substance.

(1) -Cf. Goethe :"Des Volkes Seele lebt in seiner Sprache"(= l'âme d'un peuple vit dans sa langue)
 
** extrait du tome I, p.120-121 de « Abdul-Hedi Aguéli, l'Homme, le Mystique, le Peintre », Axel Gauffin,Stockholm,1940. (c'est nous qui traduisons)
 
 
   On sous pardonnera cette citation un peu longue, mais elle exprime assez bien le fonctionnement du don des langues que nous essayons de développer ici.   
 
         Les individualités représentant cette typologie  n'appartiennent pas à une catégorie définie selon les critères habituels de la psychologie; c'est ainsi que Guénon a pu écrire : « il n'y a rien de spécifiquement français dans ce que j'écris » - et pourtant, il a rédigé la majeure partie de son oeuvre en français et dans un style irréprochable, d'une rigueur et d'un concision inégalées, sans parler de la création d'un lexique technique transposant de son mieux les termes orientaux les plus ardus. La formule paradoxale de Guénon se comprend jusqu'à un certain point grâce à une déclaration privée de Michel Vâlsan disant : « Ce n'est pas un hasard si René Génon était Français »(avril 1973); et dans ce contexte , il ne faisait allusion ni  à la « race »  ni à la « nationalité Il s'agit de choses d'un ordre plus subtil...(cf. La « Langue des Oiseaux » de Saint-François d'Assise, dont le prénom signifiait justement « français », et ce n'est pas un hasard!).
          
Sans prétendre le résoudre immédiatement ni globalement, nous poserons déjà le problème suivant :

quel rapport direct entre pratique d'une Tradition et connaissance de la langue correspondante ? Plus concrètement : le Taoïsme étant porté par la langue chinoise classique et le Tasawwuf par la langue coranique, on peut supposer que le disciple qualifié des Maitres respectifs recevra le don linguistique correspondant, qui sera opératif à la seule condition énoncée plus haut, à savoir : l'acquisition dans un état antérieur des « principes » de la langue respective, qu'il n'aura plus alors qu' à (ré) actualiser en cette vie. (un maître peut aussi éveiller un don latent chez celui qui a une niyya parfaite).

Il est évident que Guénon ne connaissait pas le chinois comme un sinologue profane; de même, M.Vâlsan ne connaissait pas l'arabe comme un arabisant profane, eût-il les prétentions de Massignon. Et ce n'est certes pas à ce dernier que l'on recourrait en cas d'énigme textuelle, car pour résoudre les difficultés des langues sacrées, il faut avoir le maqam correspondant à la question soulevée (1)– ce qui, en passant, rend illusoires les efforts de lecture incessants de tous les guénoniens livresques et autres lecteurs « mentalistes » du tasawwuf (sans parler des gens extérieurs qui prétendent nous donner des leçons , comme MM.Gabin, Hapel, Daniélou,...etc). Le plus comique, c'est quand des spécialistes auto-proclamés (et musulmans débutants) décrètent que Cheykh Mustafa s'est trompé en traduisant tel ou tel texte de Ibn 'Arabi !

Prenons un exemple : que  peut bien signifier le statut de « muqarrab », de « fard » ou de « badal » pour un arabisant, même arabe? Même certain traducteur récent du Coran ose traduire « dhu l-awtâd »(il s'agit du Pharaon, sourate 89) par «  celui qui empale ses ennemis », malgré  les explications inspirées d'un Maître comme cheykh Mustafa ! (2). Ceci est par trop outrecuidant.

   Autre problème : le don des langues correspond-il à un degré de Réalisation effective (avec ou sans rattachement). C'est à dire, s'agit-il d'un don divin direct (puisqu'il ne s'invente pas, ne s'acquiert pas par la volonté et surtout ne se transmet pas ) ? Guénon a répondu que c'était le privilège des Rose-Croix effectifs, donc ayant atteint le niveau des « Petits Mystères » (A. sur l'I. ,chap.XXXVII)

           A ce sujet, on pourrait s'interroger sur le cas des nombreux papes polyglottes, et pourtant non-initiés. Dans cet exemple, le don (relatif et souvent « profane ») semble être un privilège attaché à une fonction transitoire, ce qui est différent des cas sus-mentionnés. Les théologiens diront peut-être que ce don  est  lié au parler en langues de la Pentecôte qui se focalise alors sur le Chef  suprême de l'Eglise(?).. Rappelons que  la confirmation des enfants (pas avant 9 ans) donne au moins virtuellemnt la possibilité de ce don . A ce propos, précisons que quand nous parlons de « Don des Langues », il ne s'agit pas  de la « glossolalie » des « pentecôtistes » et autres « charismatiques », dont Saint-Paul disait que leur langage n'était que « tambour  qui résonne »!
 
 
(1)La ma'rifa est intérieure ou elle n'est pas  : on ne va pas la chercher à l'extérieur dans les livres, même les plus savants : il s'agit de choses d'un autre ordre
(2)Le sens ésotérique est : « le Maître des 4 Piliers », c'est à dire le Pôle (qutb); encore faudrait-il reconnaîre l'autorité  des Maîtres.
                     
 A quelle puissance céleste ou plutôt planétaire faut-il attribuer ce don? Nous rappellerons les correspondances entre Hermès (1), Mercure (et accessoirement, le signe astrologique des Gémeaux) auxquels est dévolue une fonction d'intermédiaire et de messager des « dieux » dans l'antiquité, qui correspond bien au domaine subtil des langues et du symbolisme, science du souffle, don « aïssawi » en contexte soufi. Nous savons qu'il y a des signes de reconnaissance validant ce don (cf. lettre d'Aguéli à Bianchini, fév. 1893 – Gauffin, tome I, p91 et sq.) (2), sans exclure des signes physiques connus de ceux-là seuls qui en sont les bénéficiaires. .(cf. Aperçus sur l'Initation,chap.XXXVII).
 
      Concrètement, comment fonctionne ce don sous son aspect linguistique (et non métaphysique,que Guénon a déjà traité) ?

      Il consistera à penser,comprendre et écrire directement dans une langue sans passer par la langue maternelle ou véhiculaire. Quant à une autre application, à savoir la traduction, cela consistera à coincider avec l'esprit de la langue,donc avec l'esprit du texte,c'est à dire l'intention que l'auteur aura mise dans le texte, soit une saisie globale du sens,puis passage analytique à la traduction proprement dite (cf. Aguéli,op. cité; tome I, p.120-121) Un cas exceptionnel est ainsi celui du locuteur d'une langue »x » , traduisant une langue « y » en une langue « z », aucune de ces 2 dernières n'étant sa langue maternelle, cas d'Aguéli ,Suédois,traduisant  de l'arabe du 12è siècle  en italien pour la revue Il-Convito(3) ; ou de Michel Vâlsan, Roumain, traduisant de l'arabe classique et coranique en français...ou de Guénon écrivant directement et indifféremment en Anglais, Italien,Arabe...etc.

Tout se passe comme si ces êtres possédaient une langue « intérieure » non définie, servant en quelque sorte de clé à toute langue qu'ils ont pour fonction de traduire. Ces individualités exceptionnelles ont évidemment des notions de la langue solaire primordiale( lugha suryâniya). On  se reportera  ci-dessous à  la citation d'Aguéli disant que les « alphabets sont idéogrammatiques »'.  Cette affirmation apparemment anodine est le signe même de la prescience de la langue solaire,dans laquelle un signe = un mot; un mot= une phrase...etc...Toutes ce notions sont évidemment étrangères aux linguistes profanes actuels , fussent-ils doués comme Claude Hagège (Collège de France), mais dont les performances sont plus proches du psyttacisme que de la philologie sacrée dont parle Guénon dans les « Aperçus sur l'Initiation ».

Et comme nous le disions au début de cette étude : là où les uns voient pure hétérogénéité et « tour de Babel », les autres voient leur unité profonde,l'unicité des racines et l'origine toujours vivante en eux d'une langue primordiale perdue ou brisée. Et si l'on sait bien comprendre le principe maçonnique : il suffira de « rassembler ce qui est épars. ».pour retrouver l'Unité dans la Multiplicité (al-wahda fi-l-kuthra)...
Maintenant ,si l'on veut tracer une caractérologie des êtres doués en langues, on remarquera qu'il sont toujours autodidactes, le don commençnt très tôt et leur progression étant très rapide, contrairement aux profanes (ainsi Aguéli,à l'âge de 21 ans, malgré une scolarité médiocre, connaissait déjà bien 8 langues : suédois, norvegien, danois,anglais ,allemand, russe, finnois et français )
 
 
 
 
(1) »Hermès ,le  premier dieu qui ait inventé les lettres » (Plutarque)
(2) »Les alphabets sont en quelque sorte « idéogrammatiques », et quand on étudie cela,c'est  comme si les pensées s'entrelaçaient pour tisser un immense filet, dans lequel on pourrait contenir le monde entier (t.I, p.91) »(a).
(a) Pressentiment de la doctrine initiatique islamique selon laquelle les Lettres créent le Monde(cf.Ibn 'arabi) – or, à cette époque Aguéli n'était pas encore initié au Soufisme (N du T.)
(3) En 1900, il avait déjà publié la traduction d'un poème de Juhani Aho (traduit du finnois en français) .


suite 31/05/2017




 Si nous passons maintenant à l'aspect sociologique ou plutôt ethnologique de ce Don, nous remarquons qu'il existe des peuples plus doués que les autres pour l'apprentissage rapide et à un niveau élevé des langues ; curieusement, ce sont les peuples nordiques : scandinaves, germains et slaves qui présentent les performances les plus indiscutables: le savent par expérience personnelle ceux qui sont linguistes et enseignants. Là , nous risquerons une hypothèse qui peut paraître audacieuse : n'y a-t-il pas un lien avec l'origine hyperboréenne des hommes du cycle actuel, qui étaient « nordiques » par définition, au sens, comme le dit Guénon, où ils venaient du pays où le soleil ne se couche jamais (qu'on le prenne au sens propre ou au sens figuré), référence à la « mythique » langue solaire.( 4 ) On peut penser qu'à cette époque (qui est le début du présent manvantara -il y a 65 000 ans) , il y avait une Unité terrestre effective (wahdatu-l-wujûd): de même qu'il y a un seul Dieu et une seule Vérité, il devait y avoir : 

une seule Tradition (primordiale),
une seule race,
une seule terre (la terre des vivants, l'Eden primordial) ,
une seule île (celle des élus- cf. Helgoland) et donc
une seule langue (solaire).
Le mythe de la « tour de Babel »(5) exprime la rupture ancienne de cette Unité, et il s'agit de bien autre chose que de langues, car « Bab-el » [porte des dieux] signifiait l'accès à l'unité divine (d'où le chapître dans « Aperçus sur l'Initiation » où Guénon traite de la perte de la Tradition, symbolisée par l'éparpillement des langues); on dit cependant que la langue originelle (solaire) se parla couramment jusqu'à l'époque de S. Idris (âge d'or, mais aussi âge d'argent) .


Certains êtres recueilleraient donc encore de nos jours (tels 'Abdel-'Aziz al-Dabbagh) cette Unité primordiale, ce qui ramène à la réminiscence dont nous parlions au début. Il suffit de capter ce que nous appelons « racines universelles »


On a souvent cité comme prodige le Comte de Saint-Germain. Soit ! Mais les cas d'Aguéli et Guénon nous paraissent beaucoup plus prodigieux (nous voulons dire : leur don des langues). D'ailleurs , le célèbre Comte n'a jamais écrit de traité de Métaphysique ni traduit de textes soufis en français ! C'était certainement un Rose-Croix effectif, mais les R+C ne sont pas tous Guénon. On pourrait en dire autant des Afrad qui ont un statut beaucoup plus élevé : Guénon était un fard, mais les Afrad ne sont pas tous Guénon.


(4 )Sans parler du « phénomène » Aguéli, nous pouvons citer un linguiste comme L.Hjelmslev. Quant aux Allemands et Britanniques,c'est à eux que l'on doit les meilleurs dictionnaires. Enfin, pour ce qui est des Slaves, leur réputation n'est plus à faire .Si l'on nous permet une référence personnelle, nous avons connu un médecin Bulgare qui ,au bout de 4 mois de français,tout seul, dissertait savamment de l'imparfait du subjonctif...Ce n'était pas un cas isolé.
(5) A cette époque, celle de Noé (Nûh), donc après S. Idris, apparaissent d'après la Genèse (« Toute la terre n'avait qu'une langue », XI, 1) les races, ce qui est bien un signe de la rupture de l'Unité terrestre qui a dû avoir lieu après l'Age d'argent, et avant l'Atlantide (env. 19 000 ans av. J-C) . Mais la Genèse situe l'épisode de la Tour de Babel après Noé, ce qui nous semble une interpolation .

              ***

Reprenons maintenant les 3 principes explicatifs énoncés au début de notre exposé.


1°) la réminiscence : ceci fait forcément référence aux « vies antérieures », appelées plus précisément préexistence des âmes, thème commun à tous les Anciens. Un quasi-père de l'Eglise comme Origène( 185-253) que Saint-Thomas considère comme son maître, a tout de même été condamné (300 ans après) au concile de Constantinople de 553, pour cette thèse, comme quoi l'exotérisme commençait déjà à régner à la papauté. Il va de soi que sans ces vies « antérieures », il n'y a pas de réminiscence , donc , pas de sagesse innée,  comme le dit Guénon ( I & R S , p.177 ed. de 1971), et donc pas de Don des Langues. Dans ce processus, il entre une part d'hérédité psychique (parentale ou non) qui relève de la métempsychose, d'où le phénomène d'hypermnésie (cf. La mémoire prodigieuse du Comte de Saint-Germain) ou de « déjà vu » (en apprenant une langue, on s'aperçoit qu'on la connaissait déjà ). Guénon utilise les termes de « l'impression de  déjà vu », concernant sa reconnaissance quasi innée des symboles.

On peut aussi se poser la question de l'enfant né, par exemple en France, sans aucun lien avec le monde arabe ou hindou : comment se fait-il qu'il devienne un maître en arabe ou en sanscrit ? Là, on ne peut tout de même pas parler d'hérédité familiale !


 On ne peut s'empêcher de penser aux contes enfantins ,parlant de fées se penchant sur le berceau d'un enfant : Guénon a bien dit que les soi-disant contes pour enfants véhiculaient tout un sens ésotérique qui, autrement, aurait été perdu pour ceux qui savent ; ceci n'ayant rien à voir avec l'inconscient collectif inventé impudemment par Jung et consorts, alors qu'il s'agit de transmission, imprégnant ce qu'on peut appeler « mémoire collective « (faute de mieux), ce qui est tout différent.


2°)L'Esprit d'Enfance :

On sait que les jeunes enfants peuvent prononcer toutes les langues : ce sont les parents qui en font un francophone ou un arabophone...etc. Curieusement, on a dit la même chose pour les religions .

De même, celui qui a l'esprit d'enfance n'a pas coupé entièrement les ponts avec sa vie antérieure, c'est à dire le paradis originel . Comme l'enfant qui continue à voir des êtres du monde subtil ou des anges que les adultes ne perçoivent plus .(6)D'autres gardent le pouvoir (involontaire)de voir ce monde intermédiaire invisible normalement  (on sait que c'était le cas de Tamos/Thomas (1884-1966), collaborateur de Guénon au Voile d'Isis). On peut penser que les êtres merveilleux des Anciens et leur mythologie n'étaient pas des inventions poétiques dues à l'imagination,mais des visions réelles de personnages et animaux qui ont disparu ou qui se sont retirés (cf. « la Dame bleue » de Lieusaint /« locus sanctus »/ en Seine et Marne *


Maintenant, au-delà du don psychique de communication avec le monde subtil, il y a une autre dimension - initiatique, celle-là  -    comme nous essaierons de le développer succintement ci-dessous.
 

    Au point de vue islamique, cet Esprit d'Enfance est connu et mentionné dans un chapitre des Futûhât que lui consacre Ibn 'Arabi, sous le terme de "Ummiyya", et que cite fort à propos M.Chodkiewicz ("Un Océan sans Rivages", p.54) :  "La Ummiya, pour nous, consiste à renoncer à user de la spéculation et du jugement de la raison pour faire surgir les significations et les secrets".(Futûthât., II, p.644). On conviendra que ceci réfère directement à la linguistique traditionnelle, c'est à dire au Don des Langues.
   Il nous faut citer presque intégralement la fin de ce chapître d' "Un Océan sans Rivages":

"...Dieu ne parle que dans le silence de la créature, l'homme doit  donc revenir à " l'état d'enfance" - expression qui serait, au fond, la traduction la plus exacte de .ummiyya…Parmi les significations possibles d'un mot, d'un verset, il n'y a pas à choisir à l'issue d'un processus mental : le "vrai" sens (...) est  celui qui surgit dans la nudité de l'esprit, de la lettre même du discours divin".


En conclusion , cet Esprit d'ce accompagne le don des langues : faut-il rappeler que c'était le cas d'Aguéli et de Guénon?



(6)Ces êtres ont très tôt la certitude d'être étrangers à leur milieu et même à leur propre famille (nonobstant les traits physiques, qui témoignent seulement de l'hérédité physico-biologique); cf. VLT n° 72, p.46:«  Aguéli est né étranger à sa propre famille, à sa terre... ». Ce satut d'étranger est celui des R+C, au delà des particularités locales, nationales ou exotériques, d'où le titre de « cosmopolite »  qui exprime tout à fait la chose.








*La légende de la Dame bleue remonte aux Celtes. Deux fois par an, les Druides célébraient cet esprit de la forêt, protecteur des bois et des cours d'eau : au solstice d'hiver (Yule) où l'on fêtait son réveil , et au solstice d'été (Litha) pour l'endormissement de la belle (a). Après la christianisation de la région, la Dame bleue s'endort définitivement. Elle ne réapparaît qu'en 630 devant un moine, saint Quentien (ou Quintin) [ + 669] qui soignera les maladies infantiles avec l'eau sacrée de la source .On murmure qu'elle apparaissait en rêve (a') au roi Charles V, puis ensuite à Henri IV ou Louis XV...




Puis la légende disparaît.

Récemment , on a redécouvert la source de la Dame bleue (appelée aujourd'hui source saint-Quentien), au ru des Hauldres (b)

(a)Si la belle s'endort au solstice d'été, c'est pour la gestation du « dieu » qui va naître en hiver (cf; naissance du Christ. D'ailleurs  Noël se dit « yul/jul » en anglais et suédois.
(a') « songe » aurait été plus juste, puisque le français dispose de deux termes distincts .
(b) Ce qui fait penser à l'allemand « Helder » qui signifie : marécage non endigué .

(extrait avec quelques ajouts du site :La légende de la Dame bleue - le Parisien.

 

                                                                                                  

11/06/2017





3°) La Perception de l'Unité:


Il suffira de donner un seul exemple d'étymologie traditionnelle: la rac. désignant le Soleil: SL/SN/SR/SM :


-latin: sol


-grec: samos (le disque ailé représentant le soleil -culte de l'île de Samos s'écrit exactement comme le mot arabe samas/shamas) سَمَس    



+ Sams-tag (samedi, en allemand


-allemand/suédois/angl.: Sonne/sol/sun

-'Uria (île de ), Syria (sanscrit), suryâniya (en arabe); esp. : « sur » (le sud).

-Ur (all.)/Or-ient/ or-igine/awr (hébreu : lumière)/aur-um (lat. : l'or)...etc

-autre variante, en grec : Rac. : hel-ios (soleil)/cf. Allemand : Hell (lumineux).

-enfin la plus ancienne racine : SUM-ER (cf.suédois sommar;all. Sommer : l'été).

A moins d'être de mauvaise foi, il est évident que toutes ces racines sont apparentées, c'est à dire, non pas empruntées ; mais appartenant à une seule langue, la langue originelle .


Nous pourrions prendre bien d'autres racines ;


A signaler toutefois une bizarrerie linguistique sur laquelle personne ne s'est encore penché, à savoir le grand nombre de racines allemandes analogues à des racines arabes (sans emprunt par l'hébreu : il y a très peu de mots yiddisch dans la langue actuelle; par contre, il y a beaucoup de mots allemands reconnaissables comme tels en yiddisch). C'est une énigme pour laquelle nous disposons de dizaines d'exemples .


4°)La Science des Lettres ('ilmu-l-hurûf) :




A ce moment de notre exposé, on nous objectera : quel est le rapport entre don des langues et Science des Lettres ?



Il faut d'abord rappeler que cette Science s'inscrit évidemment dans un contexte ésotérique purement islamique. Le lien avec ce que nous avons dit précédemment, est donné par Ibn 'arabi dans les Futuhat: « 'Ilmu-l-hurûf n'est pas le fruit de la réflexion ou de la méditation: c'est un don de Dieu » (Fut., I) et Michel Vâlsan, au sujet de René Guénon: « Tous [les livres] de son oeuvre qui traitent du symbolisme, procèdent de principes caractéristiques des hommes spirituels aïssawis, principes qui sont ceux de la Science des Lettres (''ilmu-l-hurûf) » (E.T. ,1968).



***




Si l'on veut un exemple de l'application de la Science des Lettres, nous partirons de la définition de Guénon, du principe hindou : AGNI = chaleur + lumière, avec illustration dans le corps humain .

Or,dans le corps, les valeurs vitales sont portées par le sang, véhicule de la chaleur corporelle; d'autre part, les nerfs véhiculent l'aspect lumineux, ce qui nous donne le tableau suivant, révélant de façon inattendue le rapport entre les termes grecs et arabes (et la même façon de raisonner, ce qui donne, fait rare en linguistique, une équivalence ou un « échange » -entre champ lexical et champ sémantique ). :




Grec : sang : aima (=haima)* [αίμα]


arabe : vie : hayyâ [حياة ]



(hébreu : hayim)



Nerf : neur-on [νεΰρον]



lumière : nûr-un [ نورٌ ]



* peut-être en rapport avec la boisson sacrée colorée des Hindous : «soma »    devenue « haoma » en persan.

.................................


2è exemple :
Monsieur Gilis,dans son remarquable 1er ouvrage sur « le pélerinage »,p.253-254-255, nous parle de la caste des Homs de la Mecque et se livre à certaines équivalences cabbalistiques en notant que Homs = 108, comme Haqq. Il aurait pu ajouter que Homs, qui désigne des Hommes d'élite, était apparenté au grec 'omos/ latin : homo, qui désigne tout simplement l'homme comme « mon semblable », puisque c'est le sens 'omos en grec. Ceci est renforcé par l'équivalence en arabe de « nahnu » (= nous) qui vaut aussi 108. Si l'on trouve cela banal, normal ou naturel, il faut se rappeler que beaucoup de peuples se définissent comme les « vrais hommes » ; ainsi les Bantous, où « ba-ntu » est le pluriel de « mu-ntu » et signifie tout simplement : les hommes. On dit bien « qawm » pour le peuple des initiés soufis (VLT,n° 73 -1998). Et ce qui n'est pas « nous » est appelé « barbaroi » par les Grecs, ce qui n'est pas forcément de la xénophobie, mais la conscience d'un unité et d'une tradition à préserver . M.Gilis note bien que « homs » est à rapprocher des hors-castes appelés « Hamsa »  en Inde.


Il omet cependant une indication historique curieuse concernant le nom propre de Homs, qui désigne une ville de Syrie, appelée Emèse par les Européens. Elle était célèbre pour son temple du Soleil. On dit que Héliogabale [204-222], petit-fils de Septime Sévère, en aurait rapporté une pierre noire (?).
Enfin pour les curieux d'étymologie comparée, nous ferons remarquer que si, pour les Grecs, l'autre est mon « semblable » 'omos), pour les peuples gothiques (Suédois, Allemands, Bataves..etc), l'homme est l'autre (anêr, andros: l'homme / der andere : l'autre, en allemand).


Que conclure de ces 2 exemples ? Que l'étymologie ne rend pas compte de tout, qu'il y a aussi la Science des Nombres (corollaire de la Science des Lettres) par ex. le nombre 108 - et que s'il y a un fonctionnement sémantique analogue ou parallèle entre les langues anciennes, cela indique une origine primordiale, qui nous ramène une fois de plus à la langue solaire, privilège de ceux qui ont gardé ou eu le don des Langues (cf. 'abdel-'Aziz al-Dabbagh, qui, illettré , enseigna cette langue au disciple qui transcrivit pour lui les « Paroles d'Or » du Kitab-al-Ibriz) (7 ).


Nous arrêterons là ces exemples, car Ibn 'Arabi met en garde contre l'utilisation intempestive de la Science des Lettres ; quant à la Science corollaire des Nombres, elle est encore plus périlleuse, car  on risque   de faire dire n'importe quoi aux nombre : on en a vu un exemple récent quand un conférencier parla d'équivalence entre PI = 3,14 et la valeur du nom divin Qadîr = 314 !
(Pi est dit par les mathématiciens « nombre transcendant ou indéterminé « , alors que 314 est un nombre entier, donc sans rapport) .


.............................................
On nous a objecté que l'on ne devrait parler de Don des Langues que pour les langues sacrées; en effet. Et pourtant, qui peut le plus, peut le moins et l'on peut appliquer son don à des langues profanes;
Là se pose le problème du statut de certaines langues comme le grec ou le français.
Le grec joue en effet le rôle de substitut de langue sacrée pour les Chrétiens : ce n'est pas un hasard si les Evangiles (et les Epîtres de Saint Paul) ont été écrits en grec. Idem pour l'Apocalypse (qui semble cependant traduite de l'hébreu -ou pensée en hébreu et retraduite en grec étant donné qu'elle est classée en 22 chapitres, comme l'alphabet . Il ne faut pas oublier que la langue véhiculaire de la Méditerranée  et du proche-Orient était, non le latin ce qui est paradoxal ! mais le grec, et que, évidemment le Christ parlait et comprenait le grec (mais aussi l'araméen et l'hébreu, qu'il citait sans jamais l'avoir appris) (8)

  1. Ce mot étrange, même en arabe il fait partie de la série des « if'îl », presque tous d'origine étrangère - , se retrouve presque littéralement dans un texte « alchimique » de François Rabelais, celui qu'Aguéli appelait Saint Rabelais(!) et que Guénon reconnaissait comme un initié. Rabelais parle « d'or obrizé ».
  2. Cf; l'ouvrage pertinent sur le sujet :« Un candide à Jérusalem » de Régis Debray, le dernier écrivain et penseur de France. Dommage qu'il ne soit pas guénonien!








 21/06/2017



Il y a un autre aspect de la Science des Lettres qui est l'aspect épigraphique et concerne évidemment les langues anciennes, les langues sacrées qui généralement ne sont pas alphabétiques et dont la constitution est appropriée au symbolisme, donc aux sens figurés et ésotériques (Dante distinguait déjà 4 niveaux de sens ). Guénon , de même qu'Aguéli avant lui, avait appris à lire les hiéroglyphes et craignait que certaines inscriptions particulièrement menaçantes, n'aient gardé leur pouvoir maléfique même 4000 ans après.






Mais le plus intéressant est qu'il faisait remarquer que Champollion, s'il avait réussi à décrypter le système (associations de caractères idéogrammatiques et de signes complémentaires phonétiques, un peu comme en chinois), n'avait pas su rendre les sens figurés, symboliques et ésotériques dont nous parlions plus haut.


Ainsi , le patron de l'égyptologie française, Pierre Tallet, ayant découvert de vieux papyrus (ou inscriptions?) datant de Ramsès ( - 2500 ans) s'émerveille d'avoir compris un sens nouveau à un mot qui signifiait jusque là « guerre » et qui maintenant, grâce aux progrès lexicaux depuis 30 ans, signifie «  blé ». La belle affaire ! Mais ce qui l'inquiète, c'est de ne pas trouver de quelle sorte de blé il s'agit ! Ce qui nous importerait serait plutôt de savoir si ces textes renferment des sens nouveaux concernant les rites, la religion, la doctrine secrète des Egyptiens ... De cela, M.Tallet n'en a cure . Et cette platitude sémantique qui décevait Guénon (et nous, donc!). Il y a bien la traduction du Livre des Morts, mais elle reste très exotérique.

IL y a encore un autre aspect du Don des Langues qui nous ramène aux R+C, et c'est la cryptographie.
Si l'on prend le cas extraordinaire de Jean Trithème (Johann von Trittenheim 1452/1516 ), nous remarquons qu'il fait des allusions typiques à la connaissance des langues. « Avec sa méthode, on peut s'exprimer très facilement en toutes les langues du monde... » (Chacornac: « Grandeur et Adversité de Jean Trithème »,p.165 Paris, 1973). Mais dans ce cas, nous ferons observer que c'est lui qui a le don des langues et non ceux qui vont essayer avec sa méthode!

Surtout, c'est l'inventeur d'un codage resté secret qu'il appelle « stéganographie ».

Ainsi la divination des écritures secrètes et sacrées est une fois de plus l'apanage des R+C(ce qui est le cas de Jean Trithème, sans aucun doute).



Enfin, nous rattacherons à ce Don celui de « lire » non dans les livres, mais dans les visages, don annexe appelé par les Arabes «'ilmu-l-firâsa », cité par Aguéli pour la 1ère fois en France (la Gnose, 1911) et repris par Guénon.

Par ce pouvoir de « physiognomonie », on peut décrypter la face cachée des individus, ce qu'il sont, ce qu'ils cachent, ainsi que certaines qualifications, voire disqualifications, comme l'a fort bien évoqué Cyrille Gayat dans la dernière note de son article sur « Le Roi du Monde » ( Les Cahiers de L'Unité »). Ibn 'arabi parle même de connaissance des êtres par l'odorat (l'expressions française: « ne pas pouvoir sentir quelqu'un «  l'exprime fort bien, et ce n'est pas une boutade, car la langue populaire est riche d'allusions ésotériques, bien que non-appréciées à leur juste valeur par les linguistes modernes ).

En tout cela, il s'agit bien encore de savoir interpréter les « signes »...
En conclusion, pour être plus clair : il ne faut pas confondre « avoir le Don des langues » et « être doué pour les langues ». Le Don des langues ne se réduit pas à la somme des aptitudes et qualifications énoncées dans ce court article : il s'apparente à un secret initiatique (inexprimable par nature, disait Guénon), que seuls connaissent ceux qui en sont véritablement dotés. Ce Don correspond à une Fonction élevée , voire à une Mission encore plus élevée - Saints, Prophètes ...etc

 
PS AGUELI .GUENON Michel VALSAN

Il n'est pas indifférent de mettre en relief  le fait que ces êtres providentiels ont écrit la majeure partie de leur oeuvre en Français (*) (avec un lien particulier, qui restera à définir,avec la langue italienne), car un privilège traditionnel d'origine divine est lié à cette langue comme à aucune autre en Europe, faisant d'elle un succédané de la « Langue des Oiseaux (**), car elle a été choisie de préférence à toute autre pour exprimer ce qui doit être dit de la Tradition en cette fin de cycle (Michel Vâlsan disait que « ce n'était pas un hasard si Guénon était Français, et dans le contexte, il ne s'agissait ni de « race «  ni de « nationalité », mais de certaines qualifications personnelles, liées aux possibilités providentielles de la langue elle-même). On pourrait dire que Guénon a, en quelque sorte , » sacralisé » ou tout au moins revalorisé,
requalifié la langue française (qui n'est pourtant pas une langue sacrée) en vue des desseins de la Providence ,concernant la fin des Temps conformément au verset " وَاجْعَلْ لِي لِسَانَ صِدْقٍ فِي الْآخِرِينَ " ​: institue  pour moi un langage de Vérité pour la fin des Temps.(supplique de S.Ibrahîm à Allah - XXVI, 84).] 

N'oublions pas l'hapax de Guénon : "Ma Vérité est d'origine divine, obtenue par révélation..." . 

(cf.. le lien particulier de la langue grecque (***) avec les textes sacrés). On conviendra que c'est bien plus que de « redonner ses lettres de noblesse » à la langue française, comme le disent les profanes.


(*)Il n'y a qu'en français qu'a été forgé le vocabulaire traditionnel permettant de traduire – et de comprendre - les Doctrines traditionnelles : on n'en trouve l'équivalent ni en anglais, ni en allemand, ni en espagnol et ni en italien, pays qui n'ont pas bénéficié de Maîtres qualifiés pour cette Fonction, qui constitue un aspect important de la Mission de Guénon, mais pas le seul...


(**) Saint François d'Assise (1182-1226) reçut de Dieu d'une manière miraculeuse le Don de la langue française; ce qui fait dire dans sa légende que, quand il était embrasé du feu de l'Esprit Saint, il s'exprimait en Français (« la Légende dorée » ,tome II,p.254, Flammarion,1957) – rappelons que Saint François était italien, s'appelait Jean (Giovanni) et avait dû changer de nom pour s'appeler « François », prénom inconnu avant – et qui signifie « français »! Evidemment, il ne peut s'agir de la langue française courante et profane, à peine ébauchée au 12è siècle ,- la langue italienne, quant à elle, n'existera vraiment qu'un siècle plus tard, avec Dante.



NB Son prénom d'origine (Jean) le prédisposait à une fonction particulière pour la France, si l'on se rappelle que la patronne de la France s'appelle Jeanne (d'Arc), féminin de Jean; Guénon s'appelait René, Jean,,Marie (a) et en Islam « Yahya » qui est aussi Jean (Baptiste), enfin Aguéli s'appelle « John ». Nous mentionnons ces coïncidences sans vouloir en tirer parti davantage...


(a)Curieusement,en France , les prénoms les plus courants étaient,il y a peu : Jean et Marie.

(***)Les Chrétiens n'ont pas de langue sacrée, comme le faisait remarquer Guénon, mais le Grec a constitué un « substitut », si l'on peut dire ; de même que le français littéraire est encore , grâce à Guénon, le support de la plus pure Métaphyique qui ait jamais été donnée depuis Platon et Saint Jean, et donc un « succédané » de langue sacrée pour cette fin de cycle.

Wa 'Llahu a'lam !