jeudi 15 septembre 2011

Futuhat 30 : problématique de l’ésotérisme



Par Dieu, mon frère, sois honnête envers les propos que je vais te tenir. Il ne fait pas de doute que tu es d’accord avec moi pour admettre que toutes les informations que nous a transmises l’Envoyé à propos de Dieu lorsqu’il nous L’a décrit – exalté soit-Il – comme Se réjouissant, riant, S’étonnant, gai, en colère, hésitant, détestant, aimant, passionné sont des attestations auxquelles il faut ajouter foi et qu’il faut accréditer.
Admets maintenant que les haleines de la Présence divine puissent pénétrer le cœur des saints à la suite d’une épiphanie, d’une révélation ou d’un dévoilement divins en sorte que, pour en avoir été informés par Dieu et pour les avoir contemplées grâce (litt : par) à Dieu, ils auraient eu connaissance des mêmes réalités que celles qu’expriment les mots issus de la bouche de l’Envoyé. Admets encore que, si ce saint te rapporte des descriptions semblables au sujet de Dieu, ne le traiterais-tu d’hérétique, comme l’a dit al-Junayd, alors que toi et moi nous avions pourtant ajouté foi aux mêmes propos tenus par l’Envoyé ? Ne diras-tu pas : « Celui-ci est un panthéiste (mushabbih) et un adorateur d’idoles ? Comment a-t-il prêté à Dieu des qualités de créatures ? » Les idolâtres n’ont pas fait pire, pour reprendre le mot que ‘Alî, fils de Husayn, (prêtait à ses ennemis). N’irais-tu pas comme l’a soutenu Ibn ‘Abbâs, jusqu’à le tuer ou jusqu’à prononcer une fatwâ légalisant son meurtre ?
A quoi donc as-tu cru et à quoi t’en es-tu remis lorsque tu as entendu de la bouche de l’Envoyé des paroles semblables que la raison condamne et qu’il nous a pourtant été interdit d’interpréter ? Pourtant al-Ash’arî les a interprétées de façon à préserver selon lui, Sa transcendance ! Où est donc l’honnêteté en tout cela ? Pourquoi ne pas avoir dit : « la Puissance (de Dieu) n’est pas limitée, aussi peut-elle donner à ce saint ce qu’elle a donné au Prophète en guise de sciences des secrets divins, car cette connaissance n’est pas une des particularités de la prophétie et le législateur n’en a pas interdit l’accès à sa communauté puisqu’il ne s’est pas exprimé sur ce sujet. » ou plutôt il a laissé des indications comme celle-ci : « S’il se trouve dans ma communauté des hommes auxquels (le ciel) s’adresse, ‘Umar est de ceux-là ! » confirmant ainsi que certaines personnes recevaient une inspiration (litt. : était de ceux à qui l’on parlait) sans pour autant être des prophètes et que cette inspiration pouvait être analogue à celle de ces derniers ; car ce domaine est bien différent de celui des décisions législatives qui font le distinguo entre licite et illicite. La capacité de légiférer est effectivement l’une des spécificités de la prophétie ; mais tel n’est pas le cas de la connaissance des subtilités de science sacrée qui, elle, est répandue chez tous les serviteurs de Dieu, prophètes et saints, dirigeants et sujets. Ô ami, où est donc passée ton honnêteté ? Ne trouve-t-on pas (ces reproches) chez les juristes et les penseurs qui sont de véritables pharaons à l’égard des saints et de parfaits imposteurs au milieu des pieux serviteurs de Dieu ?
Dieu n’a-t-Il pas garanti à celui d’entre nous qui mettrait en œuvre les prescriptions divines qu’Il l’enseignerait, qu’Il prendrait en charge son instruction en lui prodiguant des sciences (nouvelles) fruits de ses œuvres ? Il affirme en effet : O vous qui avez la foi, si vous vous gardez de Dieu, Il vous accordera du discernement (Cor.8.29) et aussi : Gardez-vous de Dieu, Il vous dispensera Sa science et Il est Omniscient (Cor.2.282) ?
‘Umar b. al-Khattâb et Ahmad b. Hanbal font partie des pôles de cette station et c’est pour cela que le Prophète disait au sujet de ‘Umar en faisant état de la force que Dieu lui avait octroyée : Ô ‘Umar, tu n’as pas rencontré le diable sur un chemin sans qu’il emprunte aussitôt un autre chemin que toi ! Un tel propos atteste du fait qu’il était préservé de l’erreur (ma’çûm) d’après le témoignage même de celui qui en était à l’abri. Nous savons en effet que le diable ne suit d’autre voie que celle de l’erreur qui, d’après le texte, n’était pas la voie de ‘Umar. Il ne suivait donc que la voie de la Vérité, étant de ceux qui, dans toutes leurs démarches, ne craignent pas le blâme des détracteurs sitôt que Dieu est mis en cause et qui incarnent la force de la Vérité.
Or, la Vérité est difficile d’accès et pénible à supporter pour l’égo qui ne l’accepte pas mais la repousse au contraire. C’est pourquoi le Prophète affirmait : La Vérité n’a pas laissé d’amis à ‘Umar. Cette parole sonne doublement vrai, tant sur le plan extérieur qu’intérieur ; sur le plan extérieur tout d’abord, ce sont le manque d’honnêteté, l’amour du pouvoir, le renoncement à la servitude, l’intérêt pour ce qui ne vous regarde pas, (qui incitaient ‘Umar à éviter les hommes) ainsi que le fait de ne pas se rendre aux invitations occupé qu’il était de ses propres défauts plutôt que de ceux d’autrui. Et pour ce qui est de son for intérieur, la Vérité n’avait pas laissé d’amis à ‘Umar parce qu’il n’entretenait de relations qu’avec Dieu.
(Muhyî-d-Dîn Ibn Arabî, Extraits du Chap.30 des Futûhât : Des deux catégories de Pôles « cavaliers du désert », traduit par A.Penot)

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