A la première théophanie, l’itinérant s’imagine qu’il a atteint son but et obtenu un résultat définitif tel qu’il n’y a rien d’autre à rechercher désormais que la continuité de ce résultat. C’est alors qu’il est l’objet de cette théophanie, différente de la première et soumise à une autre modalité (hukm), alors même que Celui qui Se manifeste est unique. Puis les théophanies se succèdent selon des modalités chaque fois différentes et il réalise alors que cette expérience ne connaît pas de terme marquant un point d’arrêt.
Il sait désormais qu’il n’a pas perçu (et ne percevra jamais) le « Moi » divin (tel qu’en Lui-même) et que l’Ipséité ne saura se manifester à lui bien qu’elle soit l’Essence (rûh, litt. : « l’esprit ») de toute manifestation. Alors sa perplexité (qui s’accompagne d’une jouissance indescriptible) redouble, infiniment plus intense que la perplexité du rationaliste.
Ce dernier en effet, lors de sa réflexion, n’a pas quitté le monde et il est en droit d’éprouver de l’impuissance et de la perplexité. Mais ceux-là se sont élevés au-delà des mondes et n’ont eu de contemplations que grâce (ou : qu’à travers) Lui et Il est donc « l’objet » de leur contemplation. Ceci étant, leur perplexité qui résulte de la multiplicité des théophanies, est beaucoup plus intense que celle des théoriciens confrontés à des arguments contradictoires.
Ainsi la demande du Prophète – sur lui la grâce et la paix – (et, partant, de ceux des saints parvenant à cette station) : « Mon Dieu, accrois ma perplexité à Ton égard ! » n’est rien d’autre qu’un souhait en faveur de la continuité de ces théophanies. Telle est la différence entre celle des « gens de Dieu » et celle des théoriciens.
Ceux-ci clament :
En toute chose il y a un signe
Qui témoigne de Son unicité !
Tandis que les autres proclament :
En toute chose il y a un signe
Témoignant qu’Il en est l’Essence.
La distance qui les sépare étant celle qui sépare leur affirmations respectives !
(Muhyî-d-Dîn Ibn Arabî, Extraits du Chap.50 des Futûhât : De la connaissance des hommes de la perplexité et de l’impuissance ; traduit par A.Penot)
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