Moulay l-’Arabî al-Darqâwî, soufi marocain mort en 1823, n’a pas laissé d’œuvre écrite. Ses lettres, consignées de façon à retenir, comme lui-même l’explique, les inspirations spirituelles qui lui venaient, constituent son unique livre. Elles transmettent ainsi un enseignement oral, fruit du contact direct, et c’est la raison pour laquelle elles ont un « goût » d’une surprenante authenticité.
Chaque lettre nous conduit, grâce à une étonnante capacité de synthèse, de la plus petite anecdote jusqu’au centre même de notre être. A la lumière de la Connaissance divine, le détail apparemment le plus insignifiant devient soudain susceptible d’une interprétation autrement plus profonde, et tout cela, au travers d’un langage spontané qui est le fruit d’une compréhension intuitive immédiate des états de l’âme.
D’une certaine façon, ce recueil contient tout l’enseignement des Maîtres shâdhilîs précédents, dont il constitue une application et une actualisation.
Quelques lettres parmi d'autres...
Ô disciple, tu ne peux insister à la fois sur l’extérieur et l’intérieur
Ô disciple, tu ne peux insister à la fois sur l’extérieur et l’intérieur. L’intérieur ne peut se développer que par " restriction " de l’extérieur et inversement. Les sciences infuses ne sauraient venir à toi si tu te préoccupes de sciences écrites, ou autrement dit, l’intérieur ne saurait t’habiter tant que tu t’occupes d’extérieur, car ton effort ne peut porter sur deux directions à la fois. Si ton effort porte sur l’extérieur, l’intérieur est exclu, et réciproquement. Ainsi, selon l’objet de ton effort, tu pencheras inévitablement vers l’une de ces deux directions à l’exclusion de l’autre car Il a dit : Quand bien même vous le souhaiteriez ardemment, vous ne sauriez être équitables avec les femmes ; alors n’ayez pas un penchant exclusif pour l’une d’elle ! Nous ne voulons certes pas dire que l’une des deux directions est inutile, mais ce que nous affirmons en revanche, c’est que conjoindre le ravissement et le cheminement méthodique, la réalité spirituelle et la Loi, l’ivresse et la lucidité, ou l’union et la distinction ne peut être que l’apanage des plus grands Saints. Quant aux autres, si cheminement méthodique il y a, le ravissement est exclu, et réciproquement ; si Loi il y a, la réalité spirituelle est exclue, et réciproquement ; si distinction il y a, l’union est exclue, et réciproquement ; si ivresse il y a, la lucidité est exclue, et réciproquement. Il se peut même qu’il n’y ait ni cheminement ni ravissement, et de tels cas existent bien : ces gens font partie de l’espèce des ânes ou s’en rapprochent en tous cas.
Ô disciple, l’Esprit et l’âme sont une seule et même chose, de nature lumineuse, issue de l’essence même de la lumière.
Ô disciple, l’Esprit et l’âme sont une seule et même chose, de nature lumineuse, issue de l’essence même de la lumière. Seule la qualification au moyen de deux attributs, qui sont la pureté et l’impureté, fait qu’elle se différencie, c’est-à-dire devient duelle : la pureté (safâ’) est son principe tandis que l’impureté n’est qu’une possibilité contingente. Si tu demandes, ô disciple : " Comment cela se produit-il ? ", voici ma réponse : tant que l’Esprit conserve sa pureté, son excellence, son éclat, sa beauté, sa noblesse, sa hauteur et sa grandeur, seul le nom d’Esprit lui convient. Mais quand il perd cet état de pureté, d’excellence, d’éclat, de noblesse, de hauteur et de grandeur, qu’il s’assombrit du fait d’avoir quitté sa patrie et de demeurer en compagnie d’autres que ses bien-aimés, alors le nom qui lui correspond est celui d’âme. En fonction de son état, on l’appelle l’âme qui ordonne le mal, l’âme qui blâme ou d’autres expressions qui correspondent à ses degrés inférieurs, de même qu’elle a d’autres noms pour ses degrés élevés, et ils sont extrêmement nombreux. On a dit qu’elle avait autant de défauts que Dieu a de qualités.
Mon frère, si tu veux revenir à cette patrie dont tu viens — c’est-à-dire le monde de la pureté — et laisser cette patrie qui n’est pas la tienne — c’est-à-dire le monde de l’impureté —, alors agis ! Si tu me demandes comment, je te répondrai qu’il faut se dépouiller du monde de l’impureté de même que l’on enlève la peau du mouton : oublie-le et n’y pense même pas. Ta luminosité se renforcera alors — s’il plaît à Dieu —, c’est-à-dire que les sens spirituels viendront à toi avec leurs armées immenses, fortes et puissantes, et te ramèneront rapidement vers ta patrie. Mais fais véritablement l’expérience, car c’est en expérimentant que l’on connaît les réalités spirituelles.
Certes, Dieu est seul à savoir ce qu’est réellement l’Esprit, compte tenu des innombrables secrets qu’il recèle, conformément à ce qu’Il a dit à son Prophète lorsque les juifs l’interrogèrent sur sa réalité essentielle. Le Prophète ne la connaissait pas, ou plutôt il ne pouvait l’exprimer (‘ajaza ‘anhâ). Les juifs s’étaient d’ailleurs dit, lorsqu’ils avaient voulu l’interroger, que s’il répondait, il n’était pas un vrai Prophète, tandis qu’il en était bien un s’il s’abstenait de répondre : c’est ce qu’il fit puisqu’il ne leur répondit que lorsque Dieu lui eût enseigné ce qu’il fallait dire.
La caractéristique première du serviteur est certainement l’impuissance (‘ajz). Or, la servitude (‘ubûdiyya) est la noblesse même. C’est pourquoi Dieu a loué Son Prophète pour cette qualité lorsqu’il a dit dans Son Livre : Gloire à Celui qui a fait voyager Son serviteur. Il n’a pas dit " Son Prophète " ni " Son Envoyé " ni autre chose. En réalité, Il a choisi pour lui le nom de " serviteur " parce que c’est dans la servitude que réside la noblesse.
On a dit que l’âme avait un secret qui ne s’était manifesté qu’avec Pharaon, lequel dit : " je suis votre Seigneur le plus élevé ! "
Voir aussi la biographie du Cheikh ici
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