بـــسْم ﭐلله ﭐلرّحْمٰن ﭐلرّحــيــم ﭐللَّهُمَّ صَلِّ عَلَى سَيِّدِنَا مُحَمَّدٍ وَ عَلَى آلِهِ و صحبه وَ سَلِّمْ السلام عليكم و رحمة الله و بركاته
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mardi 26 juin 2012
Ibn `Arabî : la vérité de toutes les religions . Eric Geoffroy
Ibn `Arabî est le « Grand Maître » de la spiritualité et de l'ésotérisme islamiques. Depuis son Andalousie natale jusqu'à Damas, dernière étape de ses pérégrinations, il a parcouru toutes les stations de la Voie soufie. Désigné comme le « Sceau muhammadien de la sainteté » — le Sceau universel étant, selon [certains théologiens musulmans], Jésus [Mahomet étant le sceau de la prophétie] —, il était dès lors investi pour laisser une œuvre écrite aussi dense qu'abondante.
Œuvre paradoxale que la sienne : chaque jour davantage étudiée et traduite, source d'inspiration pour beaucoup de non-musulmans après avoir fait l'objet de polémiques séculaires en terre d'islam, elle n'est pas à la portée du premier venu. On peut évoquer la complexité métaphysique, la formulation allusive et la profusion de la terminologie, mais en définitive c'est le caractère initiatique de l'œuvre qui explique qu'elle reste hermétique au plus grand nombre. Une doctrine aussi subtile peut troubler même les apprentis soufis, et c'est pourquoi, en pays musulman, les cheikhs interdisaient souvent à leurs disciples de lire l'œuvre d'Ibn `Arabî par eux-mêmes. Cette doctrine accorde pourtant une attention rigoureuse à la lettre du Coran mais elle dérange le conformisme religieux en explorant les possibilités de la Révélation. Ibn `Arabî fut certes l'héritier de la tradition soufie, mais il lui a offert une formulation à la fois plus ample et plus précise. Le soufisme postérieur est donc largement débiteur de l'homme et de son œuvre.
Les passages ci-contre sont extraits des Futûhât makkiyya, somme spirituelle exhaustive, et des Fusûs al-hikam, ouvrage plus concis qui récapitule sa doctrine métaphysique. Les vers, enfin, proviennent du recueil de poèmes mystiques Tarjumân al-ashwâq. Ils témoignent de l'universalisme et du pluralisme qui animent la doctrine d'Ibn `Arabî, universalisme de la Révélation énoncé par le Coran dans la notion de « Religion immuable » et que le Prophète a illustré maintes fois, lui qui affirmait que 124.000 prophètes, depuis Adam jusqu'à lui, avaient été envoyés à l'humanité.
Sur ces bases, certains soufis ont professé « l'unité transcendante des religions », thème auquel Ibn `Arabî a fourni un cadre doctrinal ; toutes les croyances et donc toutes les religions sont vraies car chacune répond à la manifestation d'un Nom divin. Il y a ainsi une unité fondamentale de toutes les lois sacrées, et chacune détient une part de vérité. La diversité des religions est due à la diversité des « relations » que Dieu entretient avec le monde, et à la multiplicité des manifestations divines. Puisque Dieu est conforme à l'opinion que le fidèle se fait de Lui, Ibn `Arabî en conclut d'abord que les croyances sont conditionnées par les différentes manifestations de Dieu perçues par les êtres et par la conception fragmentaire que chacun se fait de Dieu ; ensuite que Celui-ci accepte toutes les croyances - pas au même degré, bien sûr - car les conceptions humaines ne sauraient limiter l'être divin. Enfin, quel que soit le destinataire du culte (Dieu dans ses diverses dénominations, mais aussi la nature ou les idoles), c'est toujours Dieu que l'homme adore, même s'il n'en est pas conscient.
« Dieu est trop immense pour être enfermé dans un credo »
Les religions révélées ne sont diverses qu'à cause de la diversité des « relations divines ». Si la « relation divine » qui demande qu'une chose particulière soit permise dans la loi révélée était la même que celle qui demande qu'elle soit interdite, cela impliquerait que les décisions divines ne peuvent changer, or il est établi qu'elles changent. Si ce n'était pas le cas, cela signifierait que cette parole divine est incorrecte : « À chacun de vous, Nous avons donné une loi et une voie » (Coran, V, 48). Or il est vrai que chaque communauté a une loi et une voie apportées par son prophète ou son messager. [...]
Nous savons de façon certaine que la relation de Dieu à Mahomet dans la religion qu'Il lui a révélée est différente de la relation qu'Il a établie avec tout autre prophète. Si ce n'était pas le cas, et si la relation qui demande la révélation d'une loi spécifique était unique, alors les religions révélées seraient une.
Les Illuminations de La Mecque (Futûhât Makkiyya), I, 265
Les doctrines religieuses divergent en fonction de la divergence des regards qui sont portés sur Lui. Or, chaque personne qui regarde ainsi n'adore et ne professe que ce qu'elle a amené à l'existence dans son propre cœur. Elle n'a donc amené à l'existence qu'une chose créée, et non le Dieu réel. Mais c'est pourtant dans cette forme doctrinale qu'Il Se manifeste à elle. L'Essence en tant que telle est unique, mais tu ne peux Le percevoir qu'ainsi [dans le monde de la relativité].
Ibid., IV, 211
Tout ce qui est autre que Dieu est fabriqué, et les dieux des croyances sont fabriqués. Absolument personne n'adore Dieu tel qu'en Luimême. Il n'est adoré qu'en tant qu'Il est fabriqué par l'adorateur.
Ibid., IV, 229
Celui qui professe une foi dogmatique loue uniquement la divinité incluse dans sa profession de foi et à laquelle il se rattache. Les œuvres qu'il accomplit lui reviennent, et en définitive il ne fait que se louer lui-même. [...] L'éloge qu'il adresse à ce qu'il professe est donc un éloge qu'il s'adresse à lui-même. C'est pourquoi il blâme ce que professe autrui, ce qu'il ne ferait pas s'il était équitable. Celui qui se limite à cet objet d'adoration particulier est de toute évidence un ignorant, du fait même qu'il s'oppose aux convictions d'autrui au sujet de Dieu. S'il connaissait, en effet, la parole de Junayd : « La couleur de l'eau est celle de son récipient », il accepterait de chacun sa propre croyance ; il connaîtrait Dieu en toute forme et en toute profession de foi. De lui n'émane qu'une opinion, et non une science. C'est pour cela que Dieu a dit : « Je suis auprès de l'opinion que Mon serviteur a de moi» ; Je ne Me manifeste à lui que dans la forme de sa croyance. Ainsi, la divinité des convictions dogmatiques est prisonnière des limitations ; c'est donc la divinité que contient le cœur de Son serviteur. La Divinité absolue, quant à Elle, ne peut être contenue par rien, car Elle est l'essence des choses et l'essence d'Elle-même.
Les Chatons de la sagesse (Fusûs al-hikam)
Prends garde à ne pas te limiter à un credo particulier en reniant tout le reste, car tu perdrais un bien immense [... ]. Que ton âme soit la substance de toutes les croyances, car Dieu est trop vaste et trop immense pour être enfermé dans un credo à l'exclusion des autres. Il a dit en effet : « Où que vous vous tourniez, là est la face de Dieu » (Coran, II, 115), sans mentionner une direction plutôt qu'une autre.
Ibidem
Mon cœur est devenu capable de toutes les formes / Une prairie pour les gazelles, un couvent pour les moines / Un temple pour les idoles, une Ka'ba pour le pèlerin, / Les Tables de la Thora, le Livre du Coran. / Je professe la religion de l'Amour, et quelque direction / Que prenne sa monture, l'Amour est ma religion et/Ma foi.
L'Interprète des désirs (Tarjumân al-ashwâq)
(Trad. revues par EG)
► Éric Geoffroy, Le Point Hors-série n°5, hiver 2005.
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