"Traité sur les noms divins d'Ar-Râzi, préface de Pierre
Lory et traduction de Maurice Gloton." P611-615
I-Le Nom AL-SHAY’ : La chose
La plupart des personnes professent que le nom SHAY’
s’applique à Allâh .
Jahm b. Safwân (par contre) affirme qu’il n’est pas permis
d’employer ce nom pour Allâh.
Pour affirmer que ce nom s’applique à Allâh, nous avons
l’autorité du Coran et de la langue :
Du Coran, d’après les deux versets suivants :
Dis : Quelle chose est plus grande en matière de témoignage ?
Dis : Allâh, Témoin entre moi et vous …(qul ayyu shay’in
akbaru shahâdatan . Qul Allâh shahîdun baynî wa bayna kum ) (Coran VI,19).
Toute chose est périssante sauf sa face (ou Sa Face) (kullu
shay’ in hâlikun illâ wajhu hu) (Coran XXVIII, 88).
Il faut entendre par sa face, son essence (dhâtihi) . Allâh
fait du nom shay’ une exception (par la particule illâ : sauf, car il s’agit de
la face de la chose ou d’Allâh qui est Son Essence) . Or, l’exception
(istithnâ’) portant sur une différence
spécifique (khilâf al-jism) repose sur une différence fondamentale
(khilâf al-açl) :
De la langue : Dans l’usage on dit : le non-existant n’est
pas une chose [al-ma’dûm laysa bi shay’ (in)]. L’existant est une chose
[al-mawjûd huwa al-shay’ (un)].
Dans ces deux propositions le même mot chose, shay’ est
employé comme synonyme d’existant et ainsi, quand la chose est existante,
l’existant est une chose .
Aussi, celui qui dit : l’inexistant est une chose, affirme
bien la chose qu’il convient de connaître et d’exprimer .
Il en résulte que la notion d’existant (al-mawjûd) est plus
particulière que celle de chose (shay’) .Or, si le particulier (khâçç) se
vérifie, le général (‘âmm) se vérifie également. Il faut alors conclure
qu’Allâh-exalté soit-Il – est nommé par le mot chose, shay’ (notion plus
générale que celle d’existant appliquée à Dieu ).
Pour prouver que le nom
shay’ ne convient pas à Allâh, Jahm b. Safwân, argumente en s’appuyant
sur le Coran et la raison :
Le Coran : il cite deux versets (à l’appui de sa thèse).
Le premier : Allâh, créateur (ou
Celui-qui-détermine-la-juste-mesure-principielle) de toute chose (CoranXIII,
16).
Or, si Allâh s’était nommé par le mot chose, il résulterait,
du sens obvie de ce verset, qu’Il est Créateur pour Soi-même (li-nafsihi) ce
qui est absurde (car la fonction du Créateur est de manifester la création).
Il ne convient pas de soutenir qu’il s’agit en l’espèce d’une
proposition universelle qui inclut l’attribution particulière (takhçîç), car la
particularisation du général (takhçîç al-âmm) est seulement possible dans une
figure (çura) dans laquelle la compréhension du tout (majrâ al-kull) n’est pas
envisagée comme s’appliquant au plus grand nombre (jary al-akthar).
Le Dieu-Producteur (bârî), Lui, est l’Existant le plus
éminent qui n’est pourtant pas concerné par cet exemple, en l’occurrence. Il
n’est donc pas possible d’affirmer que le verset précité Allâh (est) le
créateur de toute chose, soit considéré comme une proposition de sens universel
dans laquelle la particularisation peut rentrer .
Le second verset est celui-ci : Aucune chose n’est semblable
à Lui (ou comme Son semblable) (laysa ka mithlihi shay’un) bien qu’Il soit
l’Oyant et le Voyant (Coran XLII, 11).
Or, le semblable du semblable est identification (mith
mithlihi huwa huwa). Le fait qu’Allâh ait mentionné qu’aucune chose n’est
semblable à Lui permet de conclure qu’Il ne peut être nommé par le mot chose .
L’opinion de celui qui soutiendrait que la particule KA,
comme, dans ce verset est explétive (zâ’ida)1 n’est pas fondée car vouloir
faire de la mention KA, comme une faute ou une altération du texte coranique ne
peut, c’est évident, être accepté quand il s’agit de la Parole d’Allâh – exalté
soit-Il !
L’argumentation rationnelle, la preuve rationnelle qu’apporte
Jahm est celle-ci :
Les Noms d’ Allâh se réfèrent aux Qualités de Perfection et
de Majesté. Allâh a dit : A Allâh sont les Noms les plus beaux. Invoquez-Le par
eux (Coran VII, 180).
Or, le nom chose n’implique ni perfection, ni majesté, ni
même le sens du beau. Pourtant il est confirmé que tout nom d’Allâh comporte le
sens d’excellence au contraire du mot chose. Il en résulte que ce nom ne
convient pas à Allâh.
Il est plus sûr de s’en tenir à l’accord unanime des gens
avant l’opinion de Jahm b. Safwân pour affirmer qu’Allâh s’est bien nommé par
ce nom dès lors que le consensus omnium (ijmâ) fait preuve2.
II-Al-QADÎM : Le Primordial, l’Eternel
Ce Nom se réfère à l’ Existant (mawjûd) dont l’ Existance
(wujûd) n’a pas de précédent .
Ce terme peut aussi signifier : celui dont l’existence s’est
écoulée comme dans ces deux exemples coraniques : En vérité, tu es dans ton
ancien égarement (innaka la fî dalâlika- l-qadîm) (Coran XII,95). A la lune,
Nous avons assigné des mentions jusqu’à ce qu’elle redevienne comme le rameau
de palmier ancien ou vieilli (qadîm) (Coran XXXVI, 39).
Nous avons déjà démontré qu’Allâh est l’Existant qui n’a pas
de précédent .
III-AL-AZALÎ : Le Sans-Commencement
Le sens de ce Nom est essentiellement celui de al-qadîm que
nous venons de commenter.
IV. WÂJIB AL-WUJÛD BI DHÂTI-HI : L’Être ou l’Existence
nécessaire par soi
(lit. : Celui qui nécessite l’Existence ou l’Être actuel par
soi)3 .
Cette expression désigne la Réalité essentielle (haqîqa) qui
n’accepte d’aucune manière la privation d’existence (‘adam) .
Sache que la Primordialité (qidam) n’est pas la Nécessité
(ghayr al-wujûb) mais bien la continuité (dawâm) depuis le Sans-Commencement
(azal) jusqu’au Sans-Fin (abad) .
La Nécessité, elle, est la négation de la réceptivité de la
non-existence (qâbiliyyat al-‘adam).
Sache que seuls trois Noms divins parmi les
quatre-vingt-dix-neuf se rencontrent avec cette signification .
Le premier : al-qawî al-matîn, le Très-Fort et Très-Ferme,
pour la raison que celui qui ne reçoit pas l’influence d’un autre est dit être
fort .
Al-qayyûm, l’Immuable car la forme intensive de ce Nom
exprime qu’une chose demeure indépendante par soi . Or, tel est bien Celui qui
est l’Être nécessaire par soi .
V-AL-DÂ’IM : le Permanent, le Continuel
Ce Nom implique d’être sans commencement ni fin .
VI- Al-JISM : Le Corps (Animé), l’Entité Corporelle Animée
Les Karrâmites professent qu’Allâh peut recevoir le nom de
corps (jism) du fait que celui-ci subsiste par soi (qâ ‘im bi al-nafs) . Or,
Allâh subsiste par Soi-Même. Il faut donc qu’Il soit un corps .
Selon nous, cette assertion est fausse puisque le corps implique composition . Ainsi on dit
d’une chose dont le volume est des plus considérable qu’elle est plus
corpulente qu’une autre . Or, l’importance d’un volume indique la multiplicité
des parties qui le compose . Si donc ce qui est le plus corpulent (al-ajsam)
comprend un plus grand nombre de parties, le mot corps comporte le principe de
la composition et de l’arrangement . Dans le cas d’Allâh, cette disposition
reste impossible et Lui attribuer le mot corps est absurde.
VII-AL-JAWHAR : La Substance
Les Chrétiens appliquent ce nom à Dieu mais pour nous cela
est faux . La preuve en est que la substance d’une chose est son fondement
(jawhar al-shay’ açluhu) .
En l’espèce, on dit : c’est un sabre de la meilleure
substance ou cet habit est de la meilleure substance .
Les Chrétiens entendent par Substance, la matière (mâdda)
dont est faite cette chose . Al-jawhar est alors un nom pour désigner l’Essence
(dhât) . Elle peut assumer une forme (çûra) ou une figure (shikl) mais la vérité d’Allâh s’y refuse – Exalté soit-Il
!
Il est donc absurde d’appliquer le terme al-jawhar, la
substance, à Allâh .
1.Dans ce cas, le verset devient :Aucune chose n’est comme
Son semblable, celui-ci étant alors l’Homme universel (insân kâmil ).
Voir Ibn ‘Ata’ Allâh . Traité sur le Nom Allâh, opus cité .
Introduction.
2.Le nom d’action coranique shay’ qui s’applique à Dieu et
aux réalités produites, vient de la racine verbale shaya’a, shâ’a qui a donné
le nom l’action et de lieu mashî’a, volonté productrice divine .
Le shay’ est donc l’acte primordial de l’Intention divine
inconditionnée et indifférenciée, lieu métaphysique de tous les possibles . La
chose (shay’) ainsi posée dans sa signification morphologique est « antérieure
» à la Fonction divine (ulûhiyya) qui synthétise l’ensemble des Noms divins et
de Ses Attributs . Les choses (ashyâ’) sont alors dans le Lieu métaphysique de
l’Intention divine où elles se tiennent essentiellement immuables . Sous cet
aspect , la Mashî’a n’est pas un Attribut divin et est au-delà du Dieu «
personnel » ou de la Fonction divine .
La tradition distingue un autre type de volonté appelée
Irâda, terme qui vient d’une racine signifiant : aller de-ci de-là avec une
motivation précise. Elle est l’un des sept attributs de l’Essence divine avec
la vie, la science, la puissance, la parole, la vue et l’ouïe . Cette Volonté
donne une intuition différenciée et normative à la première Volonté, la
Mashî’a. C’est elle qui, de concert avec la Science, la Puissance et l’Acte de
Dieu, actualise, par l’Ordre existentiateur, les choses contenues de toute
éternité, homogènes et indifférenciées, en Dieu . Et alors ces choses ne
pourront faire autrement que de manifester, dans les degrés cosmiques, leurs
prédispositions latentes distinguées dans la Prescience divine .
3.Pour plus d’explications sur cette traduction, cf. Ibn
‘Arabî, La Production des Cercles, traduit et présenté par Paul Fenton et
Maurice Gloton, édition bilingue, Editions de l’Eclat, Paris 1996, page 17,
note 18
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