samedi 2 février 2013

Le soufi Muhammad Al-Harrâq (m.1845) : son éducation, sa mystique, son œuvre poétique et musicale »


 
                              Vue panoramique depuis la citadelle de Tétouan (source :ici )
 
 
Extrait du sujet:

Le soufi Muhammad Al-Harrâq (m.1845) : son éducation, sa mystique, son œuvre poétique et musicale »

Pour l’obtention du diplôme de l’école pratique des hautes études : école doctorale « sciences des religions et systèmes de pensée » : année 2004/2005.

 Réalisé par : Tarik Bengarai Sous la direction de Maître Pierre Lory.

 

 Aperçu sur le sujet :

 Le soufisme se présente comme le cœur de la spiritualité musulmane, son but est, selon ses adeptes, la purification intérieure des vices et l’embellissement intérieur par toutes les vertus ; ou l’effacement de la créature, qu’elle soit éperdue dans la vision (shuhûd) de la Vérité (Dieu : Al-Haqq), ou qu’il y ait retour vers le monde manifesté (al-athar) ; son début est science, son milieu action et sa fin don (de la part de Dieu) .

 L’éducation spirituelle du Sheikh Muhammad Al-harrâq (éminent disciple du grand Sheikh Al-‘Arbi Al-derqâwî) s’est distinguée par la richesse culturelle liée à un environnement joignant la culture orientale et andalouse d’une part et une présence massive de grands savants (‘ulama) de l’autre. Muhammad Al-harrâq de formation juriste a su concilier et rapprocher les soufis des juristes, de part ses discours argumentés de Coran et de Sunna.

 Les chants soufis (Samâ‘, ou audition spirituelle) qui constituent chez les soufis une manifestation des états spirituels et l’expression de l’Amour (accompagnés d’instruments musicaux divers) ont contribué à la communication de l’enseignement de cette voie soufie vers d’autres horizons, les Derviches de la Turquie, entre autre, se sont beaucoup inspirés de l’œuvre poétique et musicale de Al-harrâq.

Notre travail consiste à mettre en valeur le rayonnement socioculturel de l’éducation de ce soufi et sa contribution à l’enrichissement du patrimoine culturel et spirituel soufi (musulman). Ceci se fera à travers l’étude de son œuvre poétique, son traité de sagesses qui consiste en ses commentaires des Hikam d’Ibn ‘Atâ-Illâh d’Alexandrie : à travers notamment la lecture du manuscrit Annur Allami‘a Al Barrâq Fî Atta‘rîf bi Sheikh Al harrâq qui met l’accent sur sa réforme et sa vision profonde du soufisme Maghrébin.

 Aperçu sur le manuscrit étudié :

 An-nûr Al-lâmi‘a Al Barrâq Fi Atta‘rîf bi Sheikh Al Harrâq : est un manuscrit en trois cent pages présentant la biographie du maître Al-harrâq, ses sagesses, ses lettres, son éducation et son œuvre poétique, il a été écrit par le disciple de ce Sheikh à Rabat et le maître des chanteurs soufis à l’époque dans cette ville, Sidi Al ‘Arbi Adilâî (mort en 1285H à Casablanca). C’est un manuscrit numéro 44 à Tétouan ou numéro 960 à Rabat. Il est la source la plus complète pour l’étude sur ce maître à notre avis : car d’une part, il est l’œuvre de son disciple où il raconte son vécu avec son maître et de l’autre, pour les contemporains qui ont étudié Al-harrâq, comme M.Dâwûd, c’est une source qui détaille aussi bien l’éducation spirituelle de ce maître que son environnement social et sa relation avec le cadre socio-culturel de l’époque. En revanche, compte tenu que cette source émane d’un disciple du maître, nous tâcherons de distinguer au mieux les aspects objectifs et subjectifs des récits traduits. Le manuscrit est composé de : Le début du manuscrit aborde les débuts du maître, ses vertus, sa rencontre avec la Tariqa Darqâwiya, sa chaîne initiatique et sa vie en quelques pages. Le premier chapitre contient 45 lettres du maître Al-harrâq pour ses disciples, pour le Sultan, pour les figures politiques de l’époque et pour l’Emir Abdelqader d’Algérie. Le deuxième chapitre : contient ses sagesses. Et le troisième chapitre : contient l’interprétation de quelques versets du Coran, des paroles du prophète et de quelques sagesses de grands saints notamment ceux d’Ibn ‘Atâ’ Allah d’Alexandrie, avec quelques commentaires sur des poèmes de son Diwâne (receuil de poèmes).

 Le manuscrit n’a pas été édité mais a été résumé dans : Bughyate Al-mushtâq de Abdelqader ben Abdekarim Alwardighi de Chechaoun en 1895 qui a mis en valeur l’explication d’Al-harrâq de la Salât Almashishiya avec les vertus du maître Al-harrâq et de son élève Al ‘Arbi Adilâî (édité en Egypte en 1298H en 230 pages); et dans Târîkh Tittwan de Dâwûd.Muh. (Tétouan, 1953).

 Son Diwân de Qasâïd (recueil de poèmes soufis) :

 Ce Diwân a été édité en 1996 par le professeur à l’université de Tétouan le docteur Jaafar ben Alhaj Al- Sulamî. Il s’est basé sur la « San‘a » (les règles et normes de la poésie arabe et des chants soufis) d’Al ‘Arbi Adilâî le célèbre élève d’Al-harrâq, (les éditions Tétouan Asmir). C’est une version arabe non commentée mais ordonnée par thèmes musicaux. Nous avons choisi de baser notre étude sur cet ouvrage dont il existe une version anglaise que nous avons obtenue grâce aux disciples de la Tariqa Darqawiya en Angleterre.

 

L’environnement socioculturel au Maroc de l’époque et définitions des concepts clefs et caractéristique du soufisme marocain :

 Avant propos :

 Le Maghreb depuis le quinzième siècle[1] connut quatre siècles d’or de soufisme marqués par un rayonnement socio-culturel sans précédent jusqu’à son influence vers les débuts du dix-neuvième siècle par le mouvement « Wahhabi » venu d’Arabie[2] qui détourne dès cette époque plusieurs savants de la loi contre les soufis. La Tariqa Nâsiriyya dont la faveur durait depuis plus d’un siècle depuis la moitié du dix-septième siècle était basée initialement au Souss vers Agadir (au sud-ouest du Maroc). Elle produisit plusieurs figures culturelles et autorités religieuses et juridiques qui ont franchi par leurs savoirs et connaissances l’horizon du monde musulman. Il eut ensuite respectivement la confrérie des Derqawa[3] , dont la doctrine procède de l’enseignement de l’Imam Shâdhilî, et la confrérie Tijâni dû à Sidi Ahmed Al-ttijâni enterré à Fès qui eut le privilège de communiquer l’Islam en Afrique noir et en Amérique avec une telle profondeur que les traces en sont restés sous forme de patrimoine riche et enraciné jusqu’à nos jours (comme la Tariqa Mourîdiya au Sénégal ou au Mali)… Le soufisme existait dès les premiers siècles de l’hégire au Maroc particulièrement au Souss où les premiers Ribât (lieu où s’isolaient les soldats avant de faire la guerre sainte ou pour monter la garde et qui est utilisé aussi pour les retraites spirituelles vu son invulnérabilité et son isolement). Le soufisme confrérique par contre est apparu assez tardivement au Maroc avec notamment la Tariqa Qâdiriya du célèbre Imam Moulay Abdelqader Aljilani de Bagdad. Sans oublier l’influence de l’Andalousie notamment Ibn ‘Arabi sur l’aspect doctrinal et culturel du soufisme marocain. Une parole qui remonte au prophète affirme que « l’orient était la terre des prophètes et le Maghreb sera la terre des saints » le proverbe populaire explique en fait cette parole : « le Maroc produit les saints comme la terre fertile fait produire le blé » (Almaghrib yunbitu Al-awliya’ kamâ tunbitu Al-ardu azzar‘a), l’abondance des saints au Maroc depuis les premiers siècles de l’Islam même avant la venue de Moulay Idrîss[4] n’affecte point leur qualité et leur rayonnement : voici le grand Moulay Abdelqader Al-jilânî en parlant de lui même et de sa station dans le soufisme qui dit :« on n’a jamais vu d’égale à moi (en station) ci ce n’était le noir au Maroc (il insinuait là le fameux Moulay Bou‘aza(dit aussi Abi Ya‘azâ[5] ) qui était noir et vivait à Beja‘ad région de Beni Mellale au sud du Maroc) » « Falam Yura qattu Mithlî Illâ Al-aswadu fi Al-maghrib » [6]

 Autour du soufisme au Maroc : [7]

 La terre marocaine a connu, depuis le 11éme siècle, des maîtres illustres dont le rayonnement peut être considéré comme universel ; c’est le cas de Abou Madyan Al Ghawth (originaire d’Andaousie)[8] , Ibn Mashîsh, Abu Lhasan Shâdhilî,etc.. Le soufisme marocain, bien que centré au Maroc a un prolongement à l’Est, jusqu’en Egypte, au Nord (l’Andalousie musulmane) et au Sud, le Sahara et les pays de l’Afrique de l’Ouest. A partir du 13éme siècle deux branches importantes du soufisme universel, la Qâdiriyya et la Shadhiliyya, se sont épanouies sur la terre marocaine. Citons à titre d’exemple, quelques noms de maîtres qui forment l’ossature du soufisme marocain: Sidi Bou Madiane Al Ghawth (le secours) : (mort en 594H/1197), plus connu en orient arabe que dans sa région d’origine le Maghreb. Il a côtoyé plusieurs soufis illustres tel que Moulay Bou‘zâ (dit aussi Abi Yaa‘zâ), Moulay Abdel Qader Al Jilâni et Abderrahman Al-madanî. Ce dernier est le maître du grand Sheikh Moulay ‘Abdessalam Ibn Mashish, le maître de l’Imâm Shâdhilî. L’histoire de Shâdhilî (656/1258) est bien connue, sa rencontre avec son maître Ibn Mashîsh (625/1227) au mont ‘Alam (où il se détacha de sa science et ses connaissances livresques pour recevoir la nouvelle science (le secret) de son maître), son voyage en Tunisie puis en Egypte, et le succès remarquable qu’il a rencontré en Orient. Notons simplement que Shâdhilî est le fondateur de la Shâdhiliyya, la célèbre branche marocaine du soufisme universel. Cette branche va avoir au fil des siècles diverses ramifications. Au 16éme siècle on trouve une dizaine de Zawiya: 1-Zawiya Jazûliya : renouvellement de la Tariqa Shâdhiliyya par Muhammad Al-Jazûli, disciple de Mohamed Amghâr. Il est mort en 870 de l’hégire à Jazoula et enterré à Marrakech dans le grand mausolée des sept saints (sab‘tu rijâl). Il est surtout célèbre par son livre « Dalâil Al Akhayrât » (les guides des bienfaits) 2- Tariqa Zarruqiyya fondée par Ahmed Al Barnousî Al fâsî, connu sous le nom Ahmed Zarrûq. Contemporain de Jazûli, il a étudié à Fès, puis à Bejaya, il est mort à Tripoli en 1445. 3- Tariqa ‘Ayssâwiyya se référant au grand maître Al-Hâdi Ben ‘îsâ, dit « Sheikh Al-Kâmil » (le maître parfait) mort en 1524 et enterré à Meknes. Cette voie est d’origine jazûliya. 4-Tariqa Yûssoufiyya se référant au Chérif Idrissi Ahmed al Malyânî (de Melyana en Algérie). Mort en 1525, il eut pour maître Ahmed Zarrûq. 5-Tariqa Ghâziyya, fondée en 1526 à Dar‘a au sud du Maroc, par Hassan Al-Ghâzî, disciple de Malyanî. 6-Zawiya Sherqâwiya (dûe à Sidi Bu ‘abîd Ash-sharqî descendant du deuxième Calife Omar Ibn Al-Khattâb (que Dieu l’agrée)) : fondée à la fin du 16éme siècle, d’origine jazûliya. De ses ramifications la Tariqa Nâsiriyya. 7-Zawiya Shaykhiya : des Wled Sidi Sheikh en référence à son fondateur Sidi Sheikh (descendant du premier Calife Abû bakr As-siddîq (que Dieu l’agrée)). Elle a été fondée en 1615 à partir de la Malyâniya par Muhammad Sahili. 8-Nâsiriyya à Dar‘a (au Souss, au sud du Maroc), fondée par Sidi Ahmed Bennaser Dar‘î, mort en 1674 et enterré à Tamagrut dans la région de Zagura prés de Warzazate au sud du Maroc. 9-Tariqa Wazzâniyya, d’origine Jazûliya, fondée par Moulay ‘Abdellah Shrif al-Wazzânî (mort en 1089 H) à Wazzâne (à l’est du Maroc), ville qui resta jusqu’ à nos jours une ville sacrée. La Zawiya wazâniyya s’appelait aussi « dâr dmana » (la maison de garantie ou de protection) car à l’époque, quiconque demandait refuge aux Shurafas de Wazzâne était exaucé et protégé.

 La plupart de ces Tariqa (confréries) ont disparu, ou plus exactement se sont éclipsées, à partir du 19éme siècle, devant l’expansion de deux zawiya plus récentes, à savoir : la Tijâniyya et la Darqâwiyya. La Tariqa Tijâniyya se réfère à son fondateur Sidi Ahmed Tijâni, mort en 1230H et enterré à Fès. La Tijâniyya est restée fidèle au rituel (wazîfa) du fondateur et est bien représentée sur l’ensemble du territoire marocain. Elle a également une bonne présence en Afrique Occidentale. C’est une confrérie qui n’est pas originaire du Maroc, elle a été fondée en 1781 par Ahmed Tijânî à Aïn Mahdi en Algérie au sud du Djebel ‘Ammûr où ses ancêtres avaient une Zâwiya. Sidi Ahmed Tijâni, persécuté par les Turcs, s’était réfugié à Fès en 1806 ; il y est mort en 1815. Ahmed Tijâni, après s’être affilié successivement à la Qâdiriyya, à la khalwatiyya et à la Taybiyya, eut un songe dans lequel le Prophète lui ordonna d’abandonner tous les enseignements antérieurs et d’être son Khalîfa sur la terre, ajoutant qu’il serait lui- même son intercesseur auprès de Dieu et son guide pour diriger les musulmans dans la vraie voie[9] .

 Au cours de la deuxième moitié du 18éme siècle, le shérif idrissite Abû ‘Abdallah El‘arbi ben Ahmed ben Husayn ben Saïd ben ‘Ali ed Derqâwî, plus connu sous le nom de Moulay L‘arbi Derqâwî, né en 1737 et originaire de la tribu des Beni Zerwâl (rive droite de l’Ouergha), fonde à Bou-Brith une nouvelle confrérie, celle des Derqâwa, dont la doctrine procède de l’enseignement de l’Imâm Shâdhilî. Contemporain de Sidi Ahmed Tijâni, Moulay El-‘arbi Derqâwî, était un soufi exceptionnel (mort en 1239/1823). Il a pu réunir en lui les diverses branches de la Shâdhiliyya. Après avoir vécu à Fès où il avait rencontré son maître Sidi ‘Ali Al-Jamal (mort 1194H), il est revenu à Zerhoun, sa région d’origine. Il forma , avec l’aide de son moqaddam et bras droit Muhammad Al-Bouzîdi(mort en 1229/1814), une pléiade de maîtres dont les plus prestigieux sont Ahmed Ibn ‘Ajîba Al-hasanî(mort en 1224/1804). La Darqâwiyya va avoir plusieurs ramifications notamment au Nord par la zawiya Darqâwiyya Siddîqiyya en référence à Sidi Muhammad Ben Seddîq(né en 1295H à Ghmara, et mort en 1354H à sa zawiya de Tanger), au sud par la Darqaouiyya El-ilîghiya en référence à Sidi ‘Ali Darqâwî Al-Ilîghî, dans la région de Fès par la Tariqa Kattâniya en référence à Sidi Muhammad ben Ja‘afar Alkattâni(né en 1724, mort en 1345 et enterré à Fès), au Maroc oriental par la Tariqa Hebriyya en référence à Sidi Muhammad Al Habrî , en Algérie par la Tariqa Darqaouia ‘Alawiyya en référence à Sidi Ben ‘Aliwa( Mostapha Al ‘Alawî) enterré à Mostaganem , etc… Plus proche de nous, au début du vingtième siècle on va trouver un autre soufi exceptionnel, c’est Sidi Boumediane Boutchich. Qâdiri d’origine et de formation, il va quitter sa région natale (Ahfîr, près de Berkane à l’Est du Maroc) pour sillonner la terre marocaine et algérienne à la recherche du Maître parfait. Sa quête va aboutir à un phénomène assez exceptionnel, puisqu’il va réunir dans une seule voie, la Tariqa Qâdiriya et les différentes branches de la Shâdhiliyya. Sidi Boumediane est considéré- avec ses deux cousins Sidi Al-Mokhtâr (emprisonné au début du vingtième siècle par les généraux français à cause de ses activités anti-coloniale) et Sidi Al –‘Abbâs – comme le principal fondateur de la Tariqa Qâdiriya Boutchichiya. Cette Tariqa connaît une expansion remarquable, puisqu’en l’espace d’une trentaine d’années elle a pu avoir une présence importante sur l’ensemble du royaume ainsi qu’une implantation sur les quatre continents, et ceci sous la direction de son Sheikh actuel Sidi Hamza Boutchich. Elle est remarquable également par l’attrait qu’elle présente pour les jeunes- qui forment l’essentiel de ses adeptes- et par certains des ses intellectuels tels que le philosophe Taha ‘Abderrahman, le professeur Fawzi Skali (initiateur du festival de la musique sacrée de Fès), l’historien (et actuel ministre des Habous marocain) le docteur Ahmed Tawfîq, l’islamologue française Eva de Vitray Meyrovitch et bien d’autres célébrité et professeurs dans diverses disciplines.

 A travers son histoire, le soufisme marocain a gardé une particularité essentielle qui fait de lui en l’occurrence le soufisme de l’éthique qui insiste sur la vertu et le bon comportement comme étant le fruit le plus utile de cette éducation et la perle rare recherchée par les véridiques qui agissent pour la face de Dieu, ainsi, pour ces soufis : ( la droiture est meilleur que milles miracles) (Al-Istiqâma khayrun Min Alfi karâma), comme a dit Al-harraq lui-même : « l’utilité des miracles est temporaire et limitée alors que les valeurs(fruit de l’éducation soufie) sont éternelles et leur utilité est universelle »[10] .

 La méconnaissance du soufisme marocain à travers le monde (par rapport au soufisme oriental) est due sans doute au fait que les soufis marocains ont concentré tous leurs efforts sur l’éducation pratique des disciples par leurs actes et ont par ailleurs de moins en moins de productions écrites ou d’autobiographies. Le soufisme marocain pour ainsi dire est une science expérimentale dont le fruit est le disciple lui même (c’est à dire la transformation de ses comportements).

 Terminologies des saints : [11]

 Pour pouvoir aborder le sujet sans créer d’ambiguïté il est nécessaire d’expliquer les stations qui caractérisent les Shouyûkh (maîtres) : (à savoir qu’un maître d’éducation « Sheikh at-tarbiya » peut être dans toutes ces stations mais il doit nécessairement être un pôle (qutb))

Les vertueux (Sâlihûn) : sont ceux dont les actions extérieures sont sans défaut et dont les états intérieurs sont marqués de droiture. Les saints (Awliyâ) sont ceux qui connaissent Dieu par vue directe (‘Iyân), ils sont au-dessus des vertueux. Le nom Wali est dérivé de waliy qui signifie « la proximité » (Al-qurb). Ils sont en outre ceux dont l’obéissance est continuelle, dont la proximité est effective et à qui le Seigneur dispense une aide (madad) permanente. Les substituts (budalâ) sont ceux qui ont remplacé les vices par les vertus et leurs attributs par ceux de leur Bien-Aimé (Allah) ou (selon la parole du prophète de l’Islam) : ils sont du nombre de quarante et à chaque fois que l’un deux meurt il y a un autre qui naît. Les chefs de file (Nuqabâ) sont ceux qui ont percé une brèche (naqabû) dans la création (al-kawn) et ont émergé vers la vision sans limite du créateur. Les diligents (nujabaa) sont ceux qui s’avancent (sâbiqûn) vers Dieu de par leur diligence ; ce sont les zélés, les doués d’entre les aspirants. Les piquets (awtâd) sont enracinés dans la gnose, leur nombre est de quatre, car ils sont en chaque époque comme les piquets marquant les quatre coins de l’univers. Le pôle (qutb) est celui qui respecte le statut de l’univers et celui du Créateur. Il est unique. Cependant, le même terme sert à désigner ceux qui ont réalisé une station, si bien que l’on trouve à une même époque de multiples « pôle » : pôle des stations, des états et des sciences. On dit qu’un tel est le pôle des sciences, celui des états ou celui des stations, selon que l’une de ces choses se manifeste en lui de façon éminente. Lorsque l’on veut désigner spécifiquement la station qui est l’apanage d’un seul, on parle du « secours » (al-ghawth). Le secours est celui qui dispense l’aide spirituelle (al-madad ar-rûhâni) aux hiérarchies de saints, au najîb, au naqîb, aux awtâds et aux abdâls. Il possède l’imâma, l’héritage, la succession ésotérique. Il est l’esprit de l’univers, autour duquel celui- ci décrit ses révolutions, ce que l’on exprime en disant qu’il est comme la pupille de l’œil. Ne connaît cette station que celui qui a reçu en partage une portion du secret de subsistance par Dieu. On le nomme « le Secours » parce qu’il exerce vis à vis des mondes une action secourable grâce à son ampleur généreuse et à son rang exceptionnel. Il se reconnaît à certains signes. Le célèbre pôle Abû L-hasan Al-Shâdhilî a dit : « Le pôle possède quinze signes distinctifs. Que celui qui prétend les posséder en totalité ou en partie démontre qu’il a reçu l’aide de Miséricorde, l’impeccabilité, la lieutenance, la délégation, l’aide des porteurs du trône céleste ; qu’il montre que la réalité de l’essence englobante(ihâla) des qualités ; qu’il montre qu’il a reçu le don de juger et de discerner entre les deux existences, de distinguer le premier du premier ainsi que ce qui en dérive jusqu’à l’extrême limite(du rayonnement épiphanique) et ce dont l’existence(distinctive) est posée au sein de ce rayonnement, de connaître le caractère de ce qui vient avant, de ce qui vient après et de ce qui n’est ni avant ni après ; qu’il montre enfin qu’il a reçu la science du commencement, c’est à dire la science qui englobe toute connaissance et toute chose connue et ce qui s’y rapporte.»

 Les Derqawa [12]

 Au cours de la deuxième moitié du 18éme siècle, le shérif idrissite Abû ‘Abdallah El‘arbi ben Ahmed ben Husayn ben Saïd ben ‘Ali ed Derqâwî, plus connu sous le nom de Moulay El‘arbi Derqâwî, né en 1737 et originaire de la tribu des Beni Zerwâl (rive droite de l’Ouergha), fonde à Bû-Brith une nouvelle confrérie, celle des Derqawa, dont la doctrine procède de l’enseignement de l’Imam Shâdhilî . Son maître des sciences soufies, le mystique Moulay Ali ben Abderrahman el ‘Amrânî el Fâsî, dit Al-Jamal, renommé pour son savoir et ses vertus, était mort en odeur de sainteté à Fès, en 1779 [13]. Héritier de la Baraka et du secret du défunt, Moulay El‘arbi Derqawî, fort de ses origines shérifiennes (descendant de Moulay Idrîs, descendant de Hasan fils d’Ali et Fatima fille du Prophète), donne une impulsion vigoureuse à l’ordre qu’il vient de créer. Son succès est foudroyant, tant auprès des élites citadines que dans les masses rurales, notamment en pays Berbère. La Tariqa Derqâwiyya se développe très vite au détriment de la Tariqa Nâsiriyya dont la faveur durait depuis plus d’un siècle. Elle fait de nombreux adeptes, non seulement au Maroc mais aussi dans les provinces algériennes soumises à l’autorité des beys turcs. Les disciples vont en foule recueillir à Bû-Brith l’enseignement du nouveau saint. Beaucoup sont des gens intelligents, actifs, ingénieux, qui brûlent de désir de découvrir les secrets du monde soufi et d’absorber le plus vite les principes de leur école. Rentrés chez eux, ils fondent des Zâwiyas filiales de la maison mère. L’activité de Moulay El‘arbi Derqâwî déborde rapidement du plan spirituel sur le plan temporel. Son influence, la vénération dont il est l’objet , le nombre et la qualité de ses fidèles le conduisent en effet à jouer un rôle de plus en plus éminent dans la vie politique du Maroc bien qu’il ait dit un jour : « Personne ne désirera le pouvoir terrestre qu’il ne périsse ! ». « Les Derqawas sont très répandus dans toute l’étendue du Maroc, on les rencontre fort nombreux en Algérie (Oranais), dans le Touat, le Gourara et le Sahara jusqu'à Tombouctou ; on trouve encore des affilies à la congrégation en Tunisie, en Tripolitaine, en Egypte et en Arabie. » [14]

 Tariqa Derqâwiyya- Harrâqiyya

 Branche importante et prospère fondée à Tétouan par Abû Abdallah Muhammad ben Muhammad Al-harrâq, élève de Moulay El‘arbî Derqâwî, mort en 1845[15]. Auteur des pièces mystiques célébrant la confrérie,d'ouvrage de Fiqh et de Shari'a, il eut pour disciples marquants :

 •Sidi el Khadir es Sejjai, des Ouled Sejja de Fès ;

•Sidi ‘Omar ben Taiyyib el Kettâni, grande école de Sidi Muhammad ben Jaafer el Kettâni, auteur du Saluwat el Anfâs;

•Sidi Muhammad el Mellouk (Jbel Kandar, Fès);

•El Hajj Muhammad ben L‘arbi, de Casablanca ;

•Sidi el Hajj Muhammad (ou Mfeddel) du Djbel Habîb.

 

Aperçu sur la vie de Sidi Muhammad Al-harraq Sheikh de la Tariqa Derqâwiyya- Harrâqiyya:

 C’est Sidi Abû ‘Abdallah Muhammad ben Muhammad ben Abdel Al-Wâhed Al ‘Alami (originaire de la région du mont Al ‘Alam dans la ville de Chefchaoun au nord du Maroc , cette branche de famille descend du grand saint Moulay ‘Abdessalam Ibn Mashîsh) el-Mûsâwî (Al-harrâq descend du frère de Moulay Abdessalam Ibn Mashîsh : Sidi Moussa Ibn Mashîsh)[16] Al- harrâq fut un célèbre juriste, savant et poète, ses ancêtres se sont déplacés des tribus des Beni ‘Arûs pour s’installer à Chefchaoun où il est né en 1772 de l’ère chrétienne (1186 de l’hégire). Sa chaîne initiatique se présente (selon le manuscrit arabe « Manâqib Ash-sharîf Abi ‘AbdiAllah Ibn Muhammad Al-Harrâq ») comme suit : « Il prit le secret (As-sirr) de Moulay El‘arbi Adderqâwî qui lui-même le prit de Sidi ‘Ali Al-jamal qui le prit de Sidi L‘arbi Ben Abdallah qui le pris de Sidi Ahmed Ben AbdAllah qui le prit de Sidi Qâsem Lakhsâsi qui le prit de Sidi Muhammad Ben ‘Abdallah qui le prit de Sidi Abderahmân Al-fâsî qui le pris de Sidi Youssef Al-fâsi qui le prit du célèbre grand maître Sidi Abderrahman Al-majdhûb qui le prit de Sidi Ali As-sanhâji qui le prit de Sidi Ibrahim Al-fahhâm qui le prit du grand et célèbre sidi Ahmed Zarrûq qui le prit de Sidi Ahmed Ben ‘Uqba qui le prit de sidi Muhammad Al-qâdirî qui le prit de sidi ‘Ali Ben Wafâ qui le prit de Sidi Muhammad Bahr As-safâ qui le prit de sidi Dâwud Al-Bakhîlî qui le prit du grand maître sidi Ahmed Ibn ‘Atâa Allah d’Alexandrie qui le prit du grand sidi Abî Al-‘a‘bbâs Al-mursî qui le prit du grand pôle et Secours sidi Abi Al-hasan Ash-shâdhilî qui le prit du grand Imam et pôle Moulay ‘Abdessalam Ibn Mashîsh qui le prit du pôle sidi ‘Abderrahmâne Al-madanî qui le prit du pôle sidi Taqiyy Eddîn Al-Faqîr qui le prit de sidi Fakhr Eddîn qui le prit du pôle Nur Eddîn Abî Al-hasan qui le prit de sidi Tâj Eddîn qui le prit de sidi Shams Eddîn qui le prit de sidi Zayn Eddîn Al-qarawî qui le prit de sidi Ibrahim Al-basrî qui le prit du pôle sidi Ahmed Al-marwâni qui le prit du pôle Sa‘îd qui le prit du pôle Sa‘ad qui le prit du pôle Fath Assa‘ûd qui le prit du pôle Sa‘îd Al-kirwâz qui le pris d’Abî Muhammad Ben Jâbir qui le prit du premier pôle Mawlna Al-hasan Fils d’Ali et Fatima qui le prit de son père Mawlâna ‘Ali le quatrième Calife du prophète et qui était le premier héritier de la science ésotérique du prophète qui en a parlé et transmis à ses proches : le prophète de l’Islam lui-même en a témoigné : « Je suis la cité de la science(ésotérique) et ‘Ali est sa porte » ». Al-harrâq acquit les bases des sciences religieuses dans sa ville natale puis voyagea à Fès où il eut plusieurs maîtres dans les différentes sciences de la religion ainsi qu’en musique et mathématique, il mena une vie prospère de grand noble de l’époque[17] . Quand la grande mosquée de Tétouan (Al-Jâmi‘ Al-A‘Azam) fut édifiée, les tétouannés demandent au Sultan Moulay Slimane de leur envoyer un des grands savants de Fès, c’est ainsi qu’il leur envoya l’éminent juriste Sidi Muhammad Al-harrâq. Celui-ci s’installe enfin à Tétouan où il devint juriste Imâm, Mufti et pratique l’enseignement. Il écrit entre autre un fameux traité de Jurisprudence événementielle (Fiqh An-nawâzil) sous forme de questions et réponses [(concernant l’école Malikite),] http://www.doctrine-malikite.fr rassemblé par son grand et célèbre élève Al-Mahdi Ben Al-qâdi. Il était très brillant et ses prêches témoignaient d’un savoir profond et d’une ferveur originale, ses discours étaient d’une franchise et d’un courage surprenant. Les Imâms de Tétouan voyaient en lui un concurrent qui risquait de leurs faire perdre leur poids chez le monarque et les gens, alors fous de jalousie il font remonter tout le quartier d’Al ‘Ouyoune près de la mosquée où il prêchait contre lui : voici les détails de ce complot qui lui a causé une exclusion définitive de toutes ses fonctions[18] : « Avant la prière du vendredi et pendant que Al-harrâq se prêtait à donner son prêche dans ses plus beaux habits parfumés derrière la porte de son « Minbar » qu’il laissa entrouverte, ses ennemis ont ordonné à une belle et séduisante prostituée qu’ils avaient payé à l’avance d’entrer le voir en faisant semblant de lui poser des questions concernant la jurisprudence ; c’est alors qu’entre-temps ils rassemblèrent leurs alliés et les gens du quartier qui venaient faire la prière pour témoigner contre Al-harrâq en l’accusant de commettre l’adultère, il y a eu ainsi cent quarante-quatre témoins voyant la femme sortir du « Minbar » et derrière elle l’Imâm Al-harrâq . La nouvelle se répandit comme la peste dans tout le quartier jusqu’à arriver aux oreilles du maire de la ville qui fit remonter la nouvelle au sultan Moulay Slimane. Celui-ci, savait très bien que l’Imâm pieux Al-harrâq était victime d’un complot et d’une ruse assez mal réfléchie puisqu’en toute évidence un homme ne choisira pas une mosquée pour commettre son adultère….Mais le Sultan se plia finalement malgré lui aux suggestions des différents juristes de Tétouan (ennemis d’Al-harrâq ) et licencia Al-harrâq de ses fonctions. »

 Ainsi, Al-harrâq succombe et tombe gravement malade jusqu'à ce qu’il faillit mourir, il écrit alors sa fameuse Qasîda (poème de louange du prophète) appelée Al-Homziyya implorant le prophète de le guérir et il s’isole pour invoquer Dieu et jouir de Sa présence : la qasîda commence par : O Muhammad je me protège par ta valeur et ton honneur du mal qui touche mon corps. Je t’ai imploré quand ma désolation fut grande Et je n’ai trouvé que toi pour soulager ma douleur. Dans les états les plus sublimes (graves) on ne peut invoquer que le sublime et le plus généreux des intercesseurs. Après sa guérison, il s’adonne au soufisme, c’est ainsi qu’il entendit parler du grand maître Moulay El‘arbi Derqâwî et le rencontre en (1228 de l’hégire, 1814 de l’ère chrétienne) alors qu’il avait quarante ans, dans la tribu des Beni Zerwal ou Ghmara selon les sources . Cette rencontre était à la fois historique et décisive puisqu’elle va changer catégoriquement sa vie…Ainsi Moulay At-tuhâmî Al Wazzânî dans son manuscrit appelé « Az-zâwiya » raconte : « Sidi Muhammad Al-harrâq resta à Tétouan profitant de sa position de notable et d’éminent savant œuvrant pour la bonne cause, loin de l’hypocrisie, ce qui lui a valu un grand complot de ses ennemis jaloux de son succès et sa réputation. Il fut exclu officiellement des fonctions de juriste, enseignant, Imâm et Mufti…..cette catastrophe avait cachée derrière elle pour Al-harrâq tout le bien, et la récompense de Dieu pour sa patience fut grande puisqu’il rencontra le pôle de son temps à la tribu de Ghmâra, pris de lui la science utile et rentra au soufisme par sa grande porte : dès le premier regard, le grand maître Moulay El‘arbi Derqâwî voyait en Al-harrâq une prédisposition jamais égalée… Il pris sa main toute de suite ( lui donna le pacte initiatique « Al-Musâfaha ») et lui dit : « Invoque Dieu et rappelle les gens en Dieu » « Udhkur Allah wa Dhakkir Fi Allah » ce qui constituait un « Idhn » absolu : une autorisation de communiquer la voie « la Tariqa » à tout le monde et une autorisation particulière(Idhn Khâss) issue des deux présences divine et Muhammadianne (Al-hadratayn Al-Ahadiya wa Al-Muhammadia) pour devenir maître après le maître ; il lui communiqua ainsi son secret. Quand Al-harrâq partit de chez le pôle, un de ses disciples qui était présent lors de cet entretien demanda : Ô mon maître nous t’avons fidèlement accompagné pendant très longtemps et personne n’a eu jusqu'à présent le grand privilège qu’a eu aujourd’hui le Faqih Al-harrâq ! Tu lui as délivré ton secret sans qu’il fasse le moindre effort, Moulay El'arbi Derqâwî répondit alors : « On n’a rien donné de plus à Sidi Al-harrâq , on a juste allumé la mèche qui était en lui, il est venu avec une lampe claire et pure (il fait allusion au cœur) et a mis en dessous de l’eau propre(il fait allusion au respect de la sharî‘a "la loi divine") et a versé de l’huile (combustible) si pure qu’il allait s’allumer presque tout seul et il a posé une mèche propre et parfaite qui ne nécessitait aucun dressage ni polissage, il nous a demandé de l’allumer et c’est ce qu’on a fait ». Ainsi, Al-harrâq retourna à Tétouan inondé de lumière, maître d’une science profane qui lui a été transmise sans peine et qu’il a miraculeusement absorbée en l’espace d’une rencontre. Son réceptacle était pure et totalement prédisposé….Ainsi, il ne passa pas d’épreuves ni de Khalwa (retraite spirituelle) avec son maître, il ne s’est pas pris la peine d’effectuer de longs et périlleux voyages pour chercher la vérité. Ce trajet spirituel va marquer, en fait, toute l’éducation que va donner Al-harrâq par la beauté et par une révolution fondamentale dans les méthodes éducatives de sa Tariqa. A Tétouan, les foules des chercheurs de vérité venaient le rencontrer et apprendre le soufisme malgré l’opposition des juristes…Al-harrâq était aussi un grand poète attentionné et sensible à la culture Andalouse, Il jouait le luth et excellait en musique andalouse . C’est ainsi qu’il fut à l’origine de plusieurs répertoires de cette musique très connue au Maroc. Il écrit trois grands Diwân (chants soufis) invoquant la grâce du prophète et évoquant l’amour dans ses sens les plus profonds. C’était un poète d’amour par excellence qui puisait dans ses ressources internes pour exprimer d’une part ses états d’extase avec Dieu et de l’autre les interactions entre la nature et ces flux de chants qui venait du monde des lumières. Il s’ingéniait à transformer des poèmes qui expriment une beauté naturelle en des poèmes qui expriment une beauté surnaturelle qu’il sentait sans la voir. Ses chants et poèmes en dialecte marocain sont toujours chantés dans les grandes occasions religieuses surtout au nord du Maroc. Les derviches tourneurs du grand empire turc à l’époque du Sultan Abdel Hamid disciple lui-même de la Derqâwiya se sont beaucoup inspirés de la musique de Al-harrâq . Voici un vers d’un classique de la musique andalouse transformé par Al-harrâq : Le matin comme un notable se promène vêtu de ses plus beaux habits et laisse traîner son Dibâj(Drap en soie) Al-harrâq écrit alors sur le même Bahr et sur la même gamme musicale concernant les sens soufis : Soit pure avec ton amant il te dévoilera l’éclat de ses lumières et tu auras de sa beauté un signe

 Il utilisait aussi les poèmes d’Ibn Al-fârid et Shusturi et tissait à leur refrain ses chants. Dans sa Zawiya de Tétouan qu’il construisit juste avant sa mort on utilisait les plus beaux instruments arabo-andalous et les oiseaux qu’on amenait de l’Afrique noir.

 Al-harrâq est considéré comme un grand orateur en matière de soufisme, il clarifie la notion de « Al-hulul wa Al-Ihlâl » l’union et l’unicité de l’univers qu’on développera dans le chapitre concernant son éducation. Même ses poèmes, en plus de leurs messages éducatifs entendaient rapprocher la compréhension des notions les plus ambiguës du soufisme. On a de lui quelques manuscrits : ses commentaires sur la Mashîshiya, un commentaire sur les sagesses d’Ibn A‘ta Allah qui est imprimé, des lettres à ses disciples rassemblées par son disciple Muhammad Al-‘arbi Ad-dilâî dans son ouvrage : « An-nur Al Barrâq Fi At-ta‘arîf bi Sheikh Al-harrâq » Manuscrit numéro 44 à Tétouan où il décrit la biographie de son maître Al-Harrâq et ses stations en soufisme; traité de Jurisprudence exceptionnel(Fiqh An-nawâzil) sous forme de questions et réponses, rassemblé par son grand et célèbre élève Al-Mahdi Ben Al-qâdî. Al-harrâq est mort le 25 août 1845 (21 du huitième mois de l’hégire (Sha‘abâne) 1261) à Tétouan et fut enterré dans sa Zawiya près de Bab Al-maqâbir.

 An-nûr Al-lâmi‘a Al Barrâq Fi Atta‘arîf bi Sheikh Al Harrâq : Avant propos:

 Al ‘Arbi Adilâî décrit son maître dans cette ouvrage : « Il était le modèle, la lumière et l’argument de l’Islam, le maître de la Tariqa et la langue de la vérité, descendant du prophète par le sang et par l’éducation spirituel (le sirr). Savant des deux sciences (ésotérique et exotérique), le pôle seigneurial. Imâm pieux et « majestueux », il possédait un grand savoir dans la science de la religion (de l’extérieur) et dépassait ses contemporains dans la science du Hadîth, de l’interprétation du Coran et dans la logique (Al-Mantiq). Quant à la littérature et la poésie, Al-harrâq était sans égale et excellait merveilleusement en musique, il a même créé une musique unique dans le genre, comme en témoignaient ses contemporains. Dieu a voulu parfaire l’éducation d’Al-harrâq en lui procurant la science de l’intérieur pour qu’il soit une miséricorde sur terre et un exemple pour les fidèles. Il était une lumière qui éclairait le chemin des égarés et un nuage de miséricorde qui pleuvait de sciences. Il a explicité les secrets de la science soufie métaphorique (Ishâra) et l’a simplifiée pour qu’elle soit accessible (en sens) à tout le monde. Il a fondé sa voie sur quatre piliers : l’invocation (Dhikr), le rappel (les cours donnés dans l’assemblée du Dhikr), la science et l’amour. Il conseillait toujours de faire le Dhikr abondamment et disait : je n’ai pas vu une chose aussi utile pour le cœur orienté d’un disciple sincère que le Dhikr. Il disait aussi : j’ai réussi dans la voie de Dieu (bonne guidance) par « la porte » de la grâce divine (Al-fadl) ainsi je ne guide que vers cette porte… Al-harrâq était très généreux, il n’hésitait pas à communiquer ses états et ses sciences au point qu’il faisait parvenir à Dieu par une seule rencontre celui qui avait la prédisposition nécessaire. Il était humble et doux avec tout le monde au point que celui qui s’assoie à ses côtés était si fasciné qu’il souhaitait rester dans cette position toute sa vie de part ce qu’il goûte en sa compagnie et de ce qu’il ressent comme états d’amour et de présence divine. Al-harrâq avait un très beau visage, mais ses compagnons n’osaient pas le regarder en face par pudeur et en raison de la majesté qui se dégageait de lui. Quand le maître parlait, ses yeux brûlaient de lumière et il était dans un état sublime et d’une beauté indescriptible. Et l’on n’avait jamais entendu d’aussi douces et fines expressions jaillir du cœur d’un amoureux de Dieu et de Son prophète. Il s’habillait et mangeait humblement, et donnait de ses biens aux pauvres et nécessiteux et disait : la Himma (l’aspiration divine) élevée est celle qui ne se satisfait que d’Allah. Il était très sociable et vénérait tout le monde en les nommant par le titre honorifique de « Sidi ». Il insistait sur la rigueur dans les pratiques et disait : suivez les gens sérieux et rigoureux. Il encourageait les travailleurs et les incitait à faire encore plus et s’avancer sans regarder ce qu’ils ont fait[19] , il disait : le cœur est voilé du regard de Dieu s’il détourne son regard vers un atome du bas monde…. »

La rencontre enchantée (An-nûr Al-lâmi‘a Al Barrâq Fi Atta‘arîf bi Sheikh Al harrâq : 1er chapitre)

 Le complot contre Al-harrâq montre en fait très clairement la crise d’éthique dont souffrait le Maroc et que les savants de la loi et les juristes étaient particulièrement orientés vers le matériel et la réputation et que les valeurs de l’Islam (les valeurs humaines vertueuses) ont été complètement perdus. Après son exclusion injuste Al-harrâq, pendant sa maladie, invoqua Dieu : « Gloire à toi ô Allah ! À quoi sert la science et la réputation si elles ne guident pas vers Toi et ne permettent pas Ta connaissance ; je jure par Allah s’il me guéri et me prête vie je rentrerai à la voie des gens de Dieu (Tarîq Al-qawm), je T’invoquerai jour et nuit et me réfugierai auprès de Toi, pourvu que tu me procure la science utile et l’ouverture. » Une fois guéri ses étudiants fidèles vinrent le voir pour avoir de sa science, il refusa et leur proposa de leur enseigner les sagesses d’Ibn ‘Ataa Allah, et comme Al-harrâq était officiellement interdit d’enseignement, les disciples de Sidi El‘arbi Derqâwî lui proposèrent d’enseigner dans leurs Zawiya qui était hors contrôle de l’état. Cette rencontre avec les soufis n’était pas la première car Al-harrâq avait rencontré le grand savant soufi Ibn ‘Ajiba quand il était encore Imâm de la mosquée de Tétouan, Ibn ‘Ajiba lui donna cadeau son interprétation du Coran « Al-Bahr AlMadîd Fî Tafsîr Alqoraâne almajîd », Al-harrâq le lui rendit après quelques jours sans le lire en disant poliment à Ibn ‘Ajiba : « c’est une très bel œuvre ». En fait, il s’est abstenu de lire les arguments d’Ibn ‘Ajiba car le cadre des savants à l’époque était hostile au soufisme et Al-harrâq tenait à rester neutre et savait que s’il lit à Ibn ‘Ajiba il va être obligé de se mettre au rang des soufis contre les savants qui ignoraient la vérité sur les soufis. Le moment venu Al-harrâq s’adonne au soufisme car il eut la certitude que les gens n’épargnent personne et qu’il devait suivre la vérité sans se soucier des conséquences . Selon Le Mouqaddam de la confrérie d’Al-Harrâq à Tétouan Abdallah Mrîr dans son ouvrage « An-na‘îm Al-muqîm» : « un jour alors que le grand maître Moulay El ‘arbi Derqâwî était réuni avec son grand disciple Sidi Muhammad Al-Buzîdî à la mosquée d’Al Qarawiyyîne à Fès, il lui dit : « j’aimerai tant que nous ayons au sein de cette confrérie deux grands savants de la science exotérique pour défendre le soufisme contre les détracteurs », son disciple répondit alors « quant à moi j’ai trouvé mon compagnon « il s’agissait du grand savant Ibn ‘Ajîba qui a embrassé le soufisme et la confrérie Derqawiya grâce à Sidi Muhammad Al-Buzîdî » » Moulay El‘arbi Derqâwî trempa alors son doigt index dans l’eau comme s’il péchait et révéla qu’il allait trouver son compagnon après la mort de Muhammad Al-Buzîdî. Les jours passèrent, Ibn ‘Ajiba mourut et juste après lui Muhammad Al-Buzîdî. Le grand maître Moulay El ‘arbi Derqâwî se rendit à Ghmâra pour les obsèques de son grand disciple Al-Buzîdî, il ordonna à ses disciples de préparer un cheval et de l’amener à Tétouan, ils furent pris d’étonnement, encore plus qu’une fois à Tétouan, la bête ne s’arrêta que près de la maison d’Al-harrâq qui était situé près de la Zawiya des Derqawa, Al-harrâq compris alors que c’était un message pour lui, il pris ainsi le cheval et se dirigea vers la rencontre tant attendue du Sheikh Moulay El ‘arbi Derqâwî. Une fois chez le Sheikh il fait ses ablutions et se détacha de sa science et ses connaissances pour recevoir la nouvelle science de son maître, il fit ainsi la même chose qu’avait fait avant lui Abûu Al-hasan Al-shâdhilî quand il s’était rendu auprès du grand maître le pôle Moulay ‘Abdessalâm Ibn Mashîsh, sans connaître cette histoire qui lui sera racontée par la suite par son maître El ‘arbi Derqâwî et qui constitue en fait une tradition d’ordre obligatoire chez les shâdhilî. Après la chaleureuse rencontre entre les deux hommes, une femme est venue voir Moulay El‘arbi Derqâwî et lui offra un jus sucré qu’il but et laissa le reste à Al-harrâq. C’était le signe de l’héritage du secret de son maître ! après, le maître dit : « vois-tu Al-harrâq , le maître parfait est en même temps en plein ivresse et en plein éveil, en extrême « Jadhb »(terme soufi qui désigne un éperdument dans les sens du divin) et en extrême « Sulûk » (terme soufi qui désigne l’accomplissement et la maîtrise des états) , en extrême « Fana »(l’absence(extinction) dans Dieu) et extrême « Baqâa »(la présence avec Dieu) » Al-harrâq ne comprenant pas les propos de son maître, répliqua poliment et en toute humilité : « Il m’est apparu, ô mon maître à cause de mon incompétence intellectuelle et ma compréhension bornée, qu’il serait impossible de réunir des concepts aussi contradictoires ! » alors El ‘arbi Derqâwî lui dit « le prophète (sur lui la paix) a dit : « Dans le royaume d’Allah le tout puissant, il y a un ange dont la moitié est en glace et l’autre moitié en feu qui invoque son Seigneur en disant « Ô Allah toi qui a réconcilié la glace et le feu : ni la glace éteint le feu et ni le feu fait fondre la glace , réconcilie ô mon seigneur entre les cœurs des croyants » ». Al-harrâq compris alors, par une grâce divine, qu’il s’agit de l’ivresse intérieure (Bâtine) et de l’éveil extérieur… Qu’il s’agissait de respecter la Sharî‘a qui consiste à assumer les responsabilités mondaines, tout en étant avec Dieu et détaché par le cœur de ce bas monde... Ensuite, le maître lui enseigna les pratiques de la voie (Al-wird) et l’autorisa à la communiquer sans lui imposer (ou poser) la moindre condition, qu’elle soit d’ordre vestimentaire ou comportementale : comme le fait de faire la mendicité pour détruire l’ego, (chose qui était courante à l’époque), ou de partir en retraites spirituelles prolongées (Al-khalwa )….Il lui conseilla avant de le quitter d’invoquer Dieu abondamment (avec la formule « La Ilâha Illa Allah » « il n’y a pas de divinité si ce n’est Allah ») , d’unir les cœurs des disciples en Allah sur la bonne parole et d’agir en toute sincérité (Ikhlâs: la pureté de l’intention). »

Bref sur son éducation à travers la traduction de ses lettres pour ses disciples, ses sagesses et ses commentaires sur les Hikam (An-nûr Al-lâmi‘a Al Barrâq Fi Atta‘arîf bi Sheikh Al harrâq : 1er et 2éme chapitre)

 Après sa rencontre avec le pôle, Al-harrâq s’installa à Tétouan son cœur empli d’une science rare, ses activités d’enseignements prennent une dimension spirituelle très profonde qui arrive à toucher même l’élite des savants de Fès. Sa parole s’adoucit et s’embellit par l’amour de Dieu et de Son prophète. Ses discours sont orientés vers une réforme totale du soufisme[20] s’appuyant sur le Coran et la Sunna du prophète pour purifier le cœur et l’embellir des bons caractères et ce en procédant par étapes :

 •Invoquer Dieu abondamment (Dhikr)

•Aboutir ainsi à sa Connaissance (Al-ma‘rifa)

•l’amour de Dieu (Al-Mahabba) dû à cette connaissance qui est aussi une forme de gratitude envers lui. Cette amour évoluera en fonction du dévoilement (Raf‘ Al-hijab) de la Beauté (Al-jamâl) du Bien –Aimé et ses bienfaisances (Al-Ihsân) au serviteur

•Le bon comportement (Husn Al-mu‘âmala) « résultat direct de cet Amour» avec les créatures et avec le Créateur en considérant que dans chaque créature quelque-soit sa race ou sa religion il y a « le souffle de Dieu » « An-nafkha » selon le verset du Coran : « et Il(Dieu) lui insuffla (à l’être humain)de Son esprit» (ce qui correspond dans le soufisme à la station d’observance(Al-murâqaba) c’est à dire avoir la conscience que Dieu est toujours présent et observe les actes du serviteur, donc celui-ci ne peut qu’être en permanence en conformité avec la loi (Ashari‘a) et s’abstenir de tout caractère blâmable. D’autre part le serviteur se voit vénérer « l’être humain » en le considérant comme le souffle de Dieu et l’héritier élu par Dieu sur la terre.

•La liberté (Al-hurriyya « Muharraran » selon le terme coranique) qui veut dire le détachement de tout ce qui n’est pas Dieu (As-siwâ), ainsi ce bas monde devient tout simplement un pont vers l’au-delà qui sera la vrai vie éternelle pour laquelle il faut s’approvisionner (At-tazawwud selon le terme coranique) essentiellement de piété (At-taqwâ).

•Le serviteur méritera ainsi l’amour de Dieu pour lui et son acceptation parmi ses amis (Walis). Et c’est à partir de là que commence la station de l’Amour vrai et pure qui n’a pas de fin et qui est une grâce divine et un secret que seul l’élu de l’élite peut comprendre les sens.

Sa lettre pour le sultan ‘Alaouite Aderrahmâne Ibn Hicham après la mort de Moulay Slimane :

 Le choix de cette lettre est important car elle nous trace la relation de ce soufi avec le pouvoir en place et permet de voir que le soufi a aussi son action politique et son rôle essentiel de conseiller.

 Al-harrâq était un grand partisan de la royauté garante de la sécurité, la stabilité et l’union du pays, il a même été emprisonné et expulsé de Tétouan quelque temps au cours du coup d’état contre le Sultan Moulay Slimane. Il revint après l’élection du Sultan Abderrahmâne Ben Hicham pour s’installer à Tétouan, il écrit à ce Sultan : « louange à Dieu et prière sur son prophète … saches notre bien-aimée souverain et shérîf (descendant par le sang du Prophète Muhammad) que j’ai reçu de tes bonnes nouvelles…elles montrent votre degré de sainteté, car rare sont ceux que le pouvoir et son éclat n’a pas détourner le cœur de Dieu. Mon cœur avait senti bien avant qu’on me parle de vous votre présence avec Dieu que Dieu m’avait dévoilé sans que je le veuille, ce que reçoit le cœur en fait, est confirmé par le témoin de la sagesse car si le cœur est confiant et rassuré de son seigneur au moment de la réception « de ses messages » le témoin « ashâhid » les reçoit avec une certitude. Le prophète a dit : « le croyant est le miroir de son frère » on comprend par -là que le cœur du croyant reçoit l’image, l’état, les univers et les mondes dans lesquels vivent ses frères et bien aimés au point qu’il est presque présent avec eux. C’est la prédiction du croyant « Firâsatu Al-mûmin ». Quand j’ai senti la certitude profonde de la bienveillance jaillir sur les langues par son apparition dans les univers, j’ai été poussé par le sentiment de porter ma main vers vous pour vous aider fraternellement et vous adresser mes conseils dans le soucis de vous servir car le pouvoir est un grand mal. Les musulmans ont besoin de gens comme vous, votre guidance implique la guidance de la communauté. On aimera de vous, que Dieu vous compte parmi ses bien-aimés, que vous continuez à vous dévouer dans l’adoration afin que Dieu vous inspire de ses qualités seigneuriales. La gratitude est un acte et n’est pas une simple parole. Dieu a mis le secret des choses contradictoires (al-addâd) dans les choses contradictoires : le secret de la grandeur est dans l’humilité, qui s’abaisse Dieu l’élève…Celui qui possède (ou qui croit avoir) les qualités basses (misérables) ne pourra que s’enrichir des qualités suprêmes jusqu’à ce qu’elles l’inondent, il se croira ainsi le plus misérable tout en étant en réalité le plus riche et noble (en caractères). Tu t’imprègneras de la réalité selon ton comportement, si tu t’humilies elle sera plus accessible. Il (Allah) est avec vous où que vous soyez . Ton aptitude à voir la vérité « Al-haqîqa » et ton état dans cette vérité seront exactement similaires au regard et à l’état que l’univers te procurera : si tu accomplis Ses devoirs dans la mesure de ton possible en considérant ton impuissance et ta faiblesse humaine, elle accomplira ses devoirs envers toi dans la mesure du possible en toute grandeur, en toute perfection et puissance seigneuriale. En somme, soit avec Dieu comme Il veut, Il sera avec toi comme tu le veux. « Dieu apporte la victoire à ceux qui soutiennent Sa cause : O vous qui croyez ! Si vous faites triompher (la cause d’Allah), Il vous fera triompher et raffermira vos pas » . Si tu laisses pour Lui ce que tu désires, Il t’épargnera le mal que tu crains. Si tu t’accroches à Sa loi (Shari‘a), il te dévoilera ta vérité « haqîqatuka », Il te fera hériter d’une science que tu n’as jamais connue, d’une compréhension de ce que tu n’as jamais compris, d’une sagesse que tu n’as jamais prononcé, d’un honneur « ou une grandeur » que tu n’as jamais imaginé, et d’une victoire sans hommes ni argents (moyens). Pour chaque station (situation) il y a une parole, un acte et un état, il faut veiller ainsi à protéger et à montrer ta gratitude pour chaque bienfaisance divine. Vénère les choses d’Allah dans la mesure de ton possible, Il te vénérera dans la mesure de Son possible, et toute chose rentre dans Son possible comme elle est en dehors de notre possible si ce n’est par Sa grâce et Sa générosité. Et si tu devais sympathiser et te mettre au côté de quelqu’un que tu crois t’apporter la victoire, met toi du côté du Roi Majestueux qui peut faire triompher le moustique sur l’éléphant. Sa victoire te contentera des alliés, car tout l’univers se mettra de ton côté et t’obéira comme tu Lui as obéi et tu t’es soumis à Lui. C’est pour cela que le Glorieux a fait que la victoire n’est qu’en Lui (et par Lui) : « la Victoire n’est que par Allah le Puissant et Sage » . Ainsi si le cœur s’apaise en Lui et s’unit en Lui (c’est à dire que sa préoccupation devient Dieu uniquement), il verra les miracles de Sa puissance indépendamment des causes, bien que celles-ci doivent avoir lieu pour que cette puissance reste discrète. Celui qui est si incapable qu’il voit que la servitude est dû au Seigneur, Dieu lui montrera que la seigneurie est indépendante de tout, elle est due à elle-même et n’a besoin de personne pour s’accomplir. On insiste fortement sur le fait que tu dois d’abord être juste avec ton Seigneur avant de pratiquer la justice divine (la loi) sur tes sujets. Je crois que si tu es juste avec ton Seigneur tu seras une miséricorde pour tout le peuple et un œil de Dieu sur Ses serviteurs (c’est à dire qu’il y aura une relation d’amour et d’affection entre le peuple et le monarque). Ceci était mon devoir de conseil à ton égard, j’espère que Dieu t’ajoutera de ses biens. Prie pour nous et à Dieu de te récompenser. Votre dévoué, le plus misérable de l’univers qui a besoin de Sa Miséricorde, Muhammad In Muhammad. »

 Cette petite lettre montre aussi bien le courage de Al-harrâq que sa sincérité, sa sagesse et son dévouement pour servir les autres. Il est aussi franc que généreux puisqu’il donne ses précieux conseils et son éducation à tout le monde sans distinction : des plus démunis jusqu’au roi. On peut aussi voir les bases de son éducation qui témoignent d’un savoir profond aussi bien en sciences exotériques qu’en sciences ésotériques, à partir de ses lettres envoyées à ses disciples (Fukaras) de Fès :

 Une lettre envoyée à son élève Muhammad ben Attâleb ben Suda de Fès

 Le choix de cette lettre est stratégique car ce disciple est de Fès qui était à l’époque un centre de rayonnement culturel et spirituel, on retrouvera en plus les mêmes enseignements dans toutes les autres lettres : c’est une lettre modèle à notre avis, qui résume l’essentiel de son éducation.

 «Louange à Dieu et prière sur son bien aimé Prophète, on Te loue des plus belles louanges pour la beauté de Ta création, et on Te remercie pour Ta grâce, et on témoigne que Tu es Allah qui brise les habitudes et étale Tes biens et Tes richesses sur tout le monde et chacun prend selon ses capacités, et selon ce que peut assimiler son intellect, Tu as créé dans la perfection toutes choses au point qu’aucune pensée ne peut contenir les merveilles de ton œuvre. Tu as montré la vérité unie entourée des différences : Tu as permis à l’être humain de sentir et goûter des choses différentes et Tu as diversifié ses sens et sa vision du monde sensible. Entre ceux qui prétendent- en se limitant à l’interprétation extérieur (Az-zâhir)- que l’être humain crée ses actes, et ceux qui prétendent -en se limitant à l’interprétation intérieur (Al-bâtin)- que l’être humain est contraint et n’a aucune volonté, Il y a ceux qui préfèrent fuir le danger des pensées humaines en disant que l’être humain est contraint dans le cadre du choix en étant voilé par l’existence éphémère et absent du néant qui accompagne les accidents. En fait, si les choses existaient réellement (par elles même), elles seraient indépendantes... Tu as caché ce que Tu as montré, et Tu as protégé ce que tu as caché par tes secrets qui ne sont connus que par les élus par Ta grâce… Le prophète paix et bénédiction sur lui a dit : « Le croyant est le miroir de son frère », cette parole chez les gens de l’extérieur veut dire que le croyant regarde les états de son frère, chez les gens des sens (ou de l’intérieur) cela veut dire et « Dieu seul est savant » que le croyant reçoit dans son for intérieur l’image, les états et les mondes de son frère en Allah. Au point que même si celui-ci est absent physiquement, il y a une connexion des esprits entre ces deux personnes dans le monde caché qui ne contient pas de voiles. Ce contact des esprits est dû au fait qu’Allah a vu ces deux personnes d’un regard uni qui a fait qu’elles se sont conciliées et aimées. C’est à ce sens que le Prophète (paix et bénédiction sur lui) a fait allusion quand il s’adressa à ses compagnons : « Par Allah ! Je vois votre prosternation (Sujûd), votre inclinaison (Ruku‘) et votre humilité (khushu‘)». Et vous, nos biens aimés, même si vous êtes absents, on est toujours avec vous et on voit –louange à Dieu - vos silhouettes et vos images dans notre cœur et parfois même par le dévoilement. On est content d’apprendre que vous n’épargnez pas d’efforts dans la voie de Dieu et que vous assistez régulièrement aux assemblées des invocations «Dhikr ». On aimerait que vous soyez en rangs serrés « marsus » dans les assemblées du Dhikr : c'est-à-dire que vous le faites en étant unis, comme s’il s’agissait d’un seul cœur et d’une seule langue, sans se précipiter pour garder la présence avec Dieu. Il faut persévérer sur l’état de servitude pour que vous vous imprégniez des attributs et des qualités divines. La présence avec Lui est conditionnée par l’absence par rapport à tout ce qui n’est pas Lui. Sachez mes frères que cette subtilité lumineuse « particulière à l’être humain » n’a d’origine que le cœur, elle est en même temps « codée » (mutalsama) et voilée par les cercles du sensible (Al-hiss) issue du monde du corps. Au fur et à mesure que ces cercles disparaissent et se dégagent, on arrive à l’éveil spirituel, la science s’étale (augmente) et les théophanies ou les inspirations lumineuses deviennent de plus en plus fortes….Comme la source d’eau qui est freinée dans son écoulement par les herbes sauvages (au fur et à mesure qu’on élimine les herbes sauvages (les voiles qui entravent le cheminement) l’eau peut couler librement et en abondance)… Les gens sont à des degrés différents quant à cet éveil du cœur et à cette vision ou conscience (Idrâk) … Il y a ceux qui n’arrivent pas à dégager les voiles et ne voient en conséquence que l’extérieur de toutes choses. Et parmi ceux qui sont arrivés à dégager ces voiles et ces cercles du monde sensible il y a deux sortes : ceux qui grâce à ce dégagement sont parvenus à comprendre très vite toute chose du monde sensible…et ceux qui sont arrivés à dégager ces cercles jusqu ‘à faire parvenir la lumière au monde du cerveau : c’est les gens dont la compréhension est lumineuse et qui naviguent dans l’océan des sens subtiles du monde sensible. C’est la limite supérieure que peut atteindre les gens de l’extérieur (ahlu az-zâhir) : car ils se sont limités aux choses concrètes (condensées) en s’arrêtant à la contemplation extérieur. Il y a des gens que Dieu a assisté et fortifié par l’abondance de Son invocation et la compagnie des invocateurs et des maîtres spirituels jusqu’à qu’ils dépassent leur nature et les limites de leur vision sensible…Ils arrivent alors à faire jaillir cette lumière au-delà du monde du cerveau pour naviguer dans le monde de la lumière. Ils sortent ainsi de l’existence étroite au vaste espace du « Shuhûd » (vision réelle). Tout ce qui est créé dans les deux demeures est un corps, une simple image, le disciple doit détacher son intellect de sa vision. Le rayonnement du cœur intelligent (basîra) fera constater au disciple Sa proximité (de Dieu), l’œil même de cette intelligence lui fera constater sa non existence (‘adam) en face de Son Etre, et l’essence même de cette intelligence le rendra témoin de Son Etre. Il ne verra alors ni sa propre existence, ni sa non-existence………. »

 Celui qui vous aime et vous vénère Muhammad Ibn Muhammad

 

Lettre de l’Emir ‘Abdelqader d’Algérie pour le maître :

 C’est une réponse aux lettres d’Al-harrâq par le prince algérien l’Emire ‘Abdelqader (héros de la résistance algérienne). Al harrâq s’occupait des affaires des musulmans et encourageait ceux qui militaient pour la liberté. Nous ne disposons pas de ses lettres pour le prince ‘Abdelqader.

 «Louange à Dieu et prière sur son Prophète, au juriste agréé et maître modèle des gens de la foi et de l’Islam Sidi Al-harrâq, ta lune est lumineuse et ton soleil brille toujours… On sait que vous vous occupez de notre situation avec les colons et vous attendez nos nouvelles, -il site les morts et les prisonniers des deux côtés- on a résisté et on résiste encore autour de la ville d’Umm‘Askar où les combats se poursuivent sans relâche, l’ennemi utilise une cinquantaine de canons et on le combat grâce aux chevaux. L’ennemi brûlait ses morts pour les cacher et montrer qu’il prend le dessus…On a pris beaucoup de butin surtout des armes…Il y a eu dans notre camp 1500 blessés, et personne ne va céder ou trahir notre cause. Tout ce qu’on a eu de succès et de bien c’est par votre bénédiction, votre prière et votre satisfaction. Priez pour nous. » Le Hâdj ‘Abdelqader, le cinquième mois de l’hégire 1257 .

 Le testament d’Al-harrâq

 Quand Al-harraq sentit sa mort approchée, il écrit son dernier testament : «Louange à Dieu, après avoir attesté à Allah l’unicité et l’omnipotence, et l’unique vérité existentielle, l’humble serviteur demande à son Seigneur de l’agréer comme esclave car il L’avait agréé comme Maître. J’atteste à Son prophète- notre seigneur Muhammad prière et salut sur lui- le message universel et qu’il avait communiqué le message comme cela lui a été ordonné. Si Dieu me prend à Ses côté, je déclare que le tiers de mes biens fonciers doit être réparti comme suit : Une partie servira pour abolir mes servantes Zayd Al-khayr, Satra, Mubâraka, Yâqûta et son fils Saïd… Ils seront libres et auront les mêmes droits et devoirs que tout autre musulman. Une partie servira aux expiations petites et grandes….au financement de mes funérailles, à l’achat de mille pains et le reste sera versé aux pauvres et nécessiteux. On donnera de ce tiers cinquante « wasaq » au savant pieux et vertueux, notre représentant à Fès, Sidi Lakhdar Al-saj‘î, et - il cite d’autres noms de savants et de juristes connus à l’époque à qui il va léguer des sommes d’argents en reconnaissance à leur égard et par amour pour eux -…Cinquante wasaq seront donnés aussi à ma sœur Tâhira ; à ma femme qu’on va quitter on donnera vingt wasaq. Ma petite maison dite « al-quwâtî » et ma grande dite « al hadâr » à Fès seront arrêtées « habs » et consacrées perpétuellement à l’invocation de Dieu. On donnera des revenus de ces deux maisons un salaire à deux personnes qui liront sur ma tombe onze fois la Sourate al- ikhlâs, ils liront : « O Allah prie sur Ton Prophète sa famille et ses compagnons », ils invoqueront cent fois « lâilâha illaallah », et le Nom suprême « Allah » cinq cent fois, et ils diront : « O Allah pardonne à Muhammad Al-harrâq » cent fois. Ils feront cela le matin et le soir : après la prière du Subh et après celle du coucher du soleil. Le reste des revenus des maisons servira à acheter du pain chaque mois, qui sera distribué chaque jeudi aux pauvres en commençant par mes proches. -Il désigne par la suite les représentants « nâibûn » qui vont assurer la suite de son éducation à Tétouan, à Fès, à l’ouest du Maroc et dans d’autres régions -, - il cite aussi les témoins sur son testament -. » Enregistré chez le juge de Tétouan de l’époque. Ce testament montre une fois de plus la générosité de cet homme, sa justice, et son dévouement pour son Seigneur. Il montre surtout que le vrai soufi est celui qui sert son prochain, se met à son service en ayant le meilleur comportement. Ce testament montre que les gens de la vérité sentent les choses qui viennent de l’au-delà puisque peu après cette lettre ce maître va rendre l’âme à Son seigneur.

 Son interprétation de la Salât Al mashîshiyya

 Cette prière fait partie du patrimoine soufi universel, elle est récitée par les adeptes de toutes les Tariqa du monde musulman et dans plusieurs mosquées jusqu’à nos jours. La version arabe de cette invocation due au grand pôle Sidi ‘Abdessalâm Ibn Mashîsh :

 Cette prière constitue un rite important dans la voie d’Al-harrâq comme dans la voie Shâdiliyya de base. Il dit en expliquant cette prière[21] : « Allahumma correspond à Yâ Allah en éliminant le Yâ et en ajoutant le Mîm, c’est un Nom englobant l’essence divine et tous les attributs de Sa grandeur. C’est le Nom suprême chez le commun des connaisseurs.

 Salli, la prière sur le Prophète est de la part de Dieu une miséricorde, de la part des anges une demande de pardon et de la part des serviteurs une prière pour implorer Sa miséricorde. La miséricorde est une finesse (une subtilité), une sensibilité et une faiblesse du cœur. Par rapport à Dieu, il est impossible de la comprendre de la sorte, c’est plutôt la grâce et les bienfaits envers le Prophète (paix et salut sur lui). Ces bienfaits et cet élitisme sont spéciaux à l’égard du Prophète et ne peuvent être égalés par aucun de Ses bienfaits envers les autres créatures. Le Prophète est la lumière de l’existence et est l’origine de toute chose créée et existante. L’existence d’une chose est une miséricorde pour elle, par conséquent le Prophète (paix et salut sur lui) est la miséricorde pour les univers et une guidance pour les croyants. Dieu a même fait du Prophète l’intermédiaire et la liaison, car sa station est inconnue, sa noblesse et sa grandeur ne seront jamais égalées par aucune des créatures.

 Inshaqqat -qui veut dire fendre ou émerger – c’est-à-dire de sa vérité (celle du prophète : la vérité Muhammadienne) lumineuse qui provient de la vérité de Son essence s’est répandue les secrets (Asrâr sing. Sirr) dans les secrets (les cœurs) des gnostiques et les états spirituels des réalisés. Le sirr est ce qui est profond de vérité subtile et éternelle. Cette vérité englobe toutes les vérités : de l’Essence, du Nom et de l’Attribut : elle est ce qui existe dans l’existence au-delà du temps, de l’incarnation (al-hulûl) et de tout ce qui ne se mesure pas à elle.

Infalaqat veut dire apparaître de Son essence et de Sa vérité de par la constitution de sa beauté.

 Al-anwâr –les lumières – c'est-à-dire les attributs de l’existence (création) (al-takwîn) sont apparus grâce à la vérité Muhammadienne. Ce sont les lumières qui montrent la voie vers l’essence, à travers elles, Dieu guide celui qu’Il veut guider vers la connaissance de ces secrets qui émanent du secret Muhammadien qui englobe les secrets de l’univers.

 Irtaqati- ce verbe exprime l’élévation et la grandeur qui n’admet pas la comparaison et qui est au-dessus de tout car elle se diversifie et prouve la perfection de la puissance au regard de la sagesse.

 Al-haqâiq –les vérités- quelque-soit ces vérités, elles sont toutes issues de la vérité Ahmadienne. Il est, paix et salut sur lui, le flambeau qui illumine toutes les lumières et le minerai à partir duquel tous les secrets ont été constitués. Tanazzalat ‘ulûmu âdama [22] : ce sont les noms qui constituent la beauté Muhammadienne, sa vérité et son essence. Il n’y a pas de nom qui ne coïncide pas avec une de ses lumières essentielles ou avec une manifestation de ses attributs. C’est dans ce sens que le poète[23] dit : « Pour toi (o Muhammad) a été révélé l’essence des sciences de la part du Connaisseur des secrets et parmi ces sciences les noms que Dieu avait appris à Âdam ». C’est lui -paix et salut sur lui- la vérité qu’on a appelé par ces noms. Il connaissait les noms que Dieu avait révélé à Âdam et il connaissait en plus l’utilité, les qualités de ces noms et d’autres sciences que lui seul pouvait connaître.

 Fa a‘jaza alkhalâiq : c'est-à-dire les créatures ont été réduites à l’incapacité et l’impuissance. Ils ne peuvent percevoir sa vérité englobant les vérités universelles. Il est le secret caché par la présence de la création qui constitue le grand voile visualisant la différence. Sa grande station dépasse ce que peut atteindre l’intellect, elle est le voile de la vérité.

 Tadâalati : ce verbe évoque aussi l’impuissance et l’imperfection.

 Al-fuhûm : masculin de fahm –la compréhension- c’est la lumière subtile qui permet la compréhension consciente, c’est dans ce sens que l’auteur de la Burda (le manteau) dit : « Comment des gens insoucieux qui sont distraits à cause de leurs rêveries pourraient comprendre sa vérité ! » Si les compagnons eux même, bien qu’ils furent la meilleur communauté et que leur station fût grande, n’ont pas pu voir en Gabriel (paix et salut sur lui) que la beauté de Dihyata Alkalbî[24] , comment alors quelqu’un pourrait comprendre la réalité de Muhammad (paix et salut sur lui) ?! Il est le secret protégé par l’Essence et l’origine de l’existence des créatures des cieux et de la terre…

 Sâbiqun : nul parmi les précédents ne peut connaître son secret. Il est l’Imâm qui devance les mondes car il est l’origine et l’explication (subtile) du monde apparent.

 Wa lâ lâhiq : Malgré sa manifestation apparente, nul parmi ceux qui sont venus après ne peut comprendre sa vérité. Il est la lumière à laquelle sont rattachées toutes les lumières par sa lumière et il est la dernière lumière. Il était le premier à être créé, le dernier à être envoyé, le premier qui sera ressuscité, le plus noble des créatures et l’intercesseur.

 Firiyâdu : les paradis ou les jardins,

 Al-malakût : Son royaume,

 bizahri jamâlihi : c’est le monde de lumière qui jaillit du monde de l’essence vers le monde des Noms et des Attributs.

 Mûniqa : qui plait à tous ceux dont l’œil du cœur n’est pas voilé et dont la lumière du secret intime brille. En tant que vérité immuable, Dieu Se déploie (théophanie) dans le monde à travers Ses signes : Son signe le plus grand est la vérité de la beauté Muhammadienne. C’est un déploiement infini d'une Création qui repose sur la "Compassion" divine (ar-rahma).Riyâdu est utilisé ici pour faire allusion à son essence et zahri (fleurs ou parfums) est utilisé pour faire allusion à la manifestation de ses attributs : c’est le guide vers l’Essence divine, et la preuve de Sa perfection, par l’apparition des attributs et la clarté des signes.

 Hiyâdu (sing. Hawd) c’est le réservoir ou le bassin où l’eau se rassemble pour irriguer les jardins. Cela fait allusion à la vérité essentielle source de toutes les vérités qui donne la vie.

 Al-jabarût : les secrets de Son Essence (Monde de l’omnipotence et des lumières originales). Ce monde jaillit (émane) de la lumière de l’existence cosmique (takwîniyya). Il concerne ce que Dieu a octroyé à son élu Prophète (paix et salut sur lui), de puissance et de volonté.

 Anwârihi : ses lumières essentielles Mutadaffiqa : ces lumières jaillissent par une force et une abondance.

 Wa lâ shay’a : Toute chose dans les univers.

 Illâ wa huwa bihi manût : est liée à lui car il en est l’origine. Toute chose dans les univers est une branche et une conséquence de son existence principielle et essentielle. Idh lawla al-wâsitatu : l’intermédiaire et le moyen qui est Muhammad.

 Ladhahaba kamâ qîla al-mawsût: Si ce n’étais pas toi ô Muhammad qui est l’intermédiaire, toute chose (al-mawsût) ne serait pas créée et serait anéantie (idmahallat). Ceci est une chose admise par les savants exotériques et ésotériques et reconnue par la logique et la tradition (révélée). Les choses ne seraient pas sorties du néant, si tu ne devais pas être créé.

 Salâtan talîqu : une prière qui honore son rang élevé…

 Bika minka ilayhi kamâ huwa ahluhu : de Toi vers lui car Tu possèdes la science ancienne et personne ne peut connaître son rang hormis Toi.

 Allahumma innahu sirruka aljâmi‘u : Il est Ton secret subtile, et il est la synthèse de la lumière de Ta beauté,

 Ad-dâlu : qui s’étend et se répand pour guider vers Toi : par la parole, l’état, l’essence et l’aspiration (himma).

 ‘alayka : vers l’essence des secrets de Son Essence (Monde de l’omnipotence et des lumières originales) qui se manifeste dans le Malakût (le Royaume).

 Wa hijâbuka : c'est-à-dire le voile (Muhammad) que Tu as mis pour « voiler » Ta Gloire et Ta Grandeur sublime, car Tu es Le Superbe, Celui qui se magnifie (Al-Moutakabbir). Personne ne pourra ainsi parvenir à Ta connaissance sauf par une providence (‘inâya) venant de Toi. Tu T’es voilé par Ton dévoilement, car même en état de voile, Tu es Le plus apparent parmi toute chose par Tes signes évidents dans les univers.

 Al-a‘azam : Ce voile a montré Ta puissance dominante et Ta sagesse manifeste. Tu as montré le point de l’unicité dans la diversité des choses contradictoires. Tu as montré la manifestation de la proximité à travers les enceintes de l’éloignement. Tu es ainsi L'Extérieur, l'Apparent (Az-Zahir) par ce qui Te cache, et Tu es L'Intérieur, le Caché (Al-Bâtin) par Ta manifestation. Tu as réalisé la vérité Muhammadiénne dans tout cela, Muhammad (paix et salut sur lui) est le voile venant de Toi pour Toi (pour Te voiler) et le guide vers Toi par Ta lumière première. Al-qâimu laka bayna yadayka : Ce voile est entre les Mains de Ta Contemplation (shuhûdika). Ne peut se trouver dans la présence de cette contemplation que celui qui dans la manifestation muhammadiénne, se réalise par les attributs de la servitude où réside les attributs de la seigneurie. La confirmation dans la station de la liberté est tributaire de la confirmation dans la station de la servitude. La servitude est le talisman de la liberté et la liberté est le secret de la servitude. Celui qui réalise la servitude jusqu’à ce qu’elle soit pour lui une nature, réalisera sans doute la liberté. Et Dieu est plus Savant.

 Allahumma al-hiqnî bi nasabihi : O mon Dieu affecte moi à sa filiation lumineuse et argileuse, afin que je réalise sa vérité et que je tourne autour de son cercle (le cercle fait allusion à sa vérité) jusqu’à qu’il ne me quitte d’un clin d’œil comme cela était le cas pour le pôle Sidi ‘Abdessalam Ibn Mashîsh.

 Wa haqqiqnî bihasabihi : Confirme ô mon Dieu mon affectation à sa gloire et son honneur…Il insinue ici par le « hasab » : le breuvage, le goût et le sens de ses attributs. C'est-à-dire même si je ne suis pas à la hauteur de son rang élevé, ô Dieu fasse – par Ta grâce- que je sois réalisé par ses qualités sublimes.

 Wa ‘arrifnî iyyahu : Fais-moi connaître le prophète (paix et salut sur lui). Ma‘rifatan : Une connaissance globale car la connaissance de l’élitisme du Prophète ne peut être attribué qu’à Dieu.

 Aslamu bihâ : Tu me prémuniras et Tu me protégeras

 Min mawâridi al-jahl : des sources de l’ignorance et le la méconnaissance de sa valeur. Cette connaissance qui permet d’éviter la méconnaissance de sa valeur et de sa faveur se résume dans l’anéantissement (al-fanâ) en lui. Car, si on s’anéantie en lui on sera présent et vivant par Dieu. Ceci est chez l’élite le plus haut degré car c’est le signe de la perfection. Abû Bakr avait dit à propos du Prophète : « J’ai aimé dans ce bas monde trois choses : que je m’assois entre tes mains, que je dépense mon argent pour toi, et que je prie sur toi abondamment. » La femme d’Abû Bakr dit un jour à sa fille ‘Âïsha mère des croyantes : « remercie le Prophète paix et salut sur lui.. »[25] . Omar a dit après la mort du Prophète : « Je frapperai avec ceci (l’épée) quiconque ose prétendre que le Prophète (paix et salut sur lui) est mort. »[26] : Les réalisés perçoivent la présence Muhammadiénne en permanence par la grâce de Dieu.

 Wa akra‘u bihâ : Je m’abreuve par cette connaissance.

 Min mâwâridi al-fadl : des breuvages de la lumière des bienfaits et de la grâce. La lumière des bienfaits est la vision contemplative qu’on acquiert par l’effort continu (al-mujâhada). Sinon, cela ne peut être réellement atteint que par la grâce et la faveur purement divine sans aucune cause intermédiaire. Que Dieu prenne en sa miséricorde le poète soufi qui dit : « Je croyais que parvenir à Toi s’achetait au prix de sacrifices…Jusqu’à ce que je réalise que Tu prends en charge qui Tu veux par Ta grâce… » Ce breuvage est le moyen d’accès à Sa présence. Ce moyen ne s’acquiert pas par les causes et ne s’obtient pas par le travail. La fin du travail ou de l’effort et son apogée, c’est le fait de s’arrêter devant Sa porte (la porte de Dieu). L’accès ou l’entrée ne peut avoir lieu que par Sa générosité.

 Wa hmilnî ‘alâ sabîlihi ilâ hadratik : porte moi par ce chemin de Ta providence -qu’est le Prophète- vers Ta présence. C'est-à-dire vers une présence où Tu seras seul sans aucun idole dans mon cœur. Le prophète (paix et salut sur lui) est la preuve et le guide vers Toi par la grâce venant de Toi. Tu lui as donné sans cause et Tu l’as enrichi sans effort. Il était la preuve de Ta générosité.

 Hamlan mahfûfan binusratik : Tu me porteras et Tu m’entoureras de Ta victoire et Ton soutien. Celui que Tu soutiens dans le cheminement vers Toi, ne sera pas lésé ou coupé de Toi à cause des obstacles. Tu es le Parfait dans Ta puissance, et Tu le protéges de la rupture du cheminement vers Toi par la vision des lumières de Ta sublimité. Tu assistes celui qui est sincère dans sa recherche de la vision de Ta face, et dans son désir de s’arrêter avec Toi (auprès de Toi) et avec personne d’autre que Toi.

 Wa qdhif bî : jettes moi, car Tes attributs cacheront mes attributs jusqu’à ce que je sois une lumière de Tes lumières : c’est l’union.

 ‘alâ albâtili : le faux, l’orgueil : l’illusion de la séparation (al-farq) dans l’essence de l’union(al-jam‘a) pour les gens de l’extinction en Dieu (fanâ). Et l’illusion de l’union dans l’essence de la séparation pour les gens de la subsistance en Dieu (baqâ) (les gens qui sont dans un état où l’extinction de la conscience dans la présence divine est accompagnée d’une grande lucidité envers le monde des phénomènes). Pour les gnostiques nulle illusion, car l’évolution de la station de la séparation (al-farq) (la différence : on voit les choses comme elles sont dans le monde des phénomènes : différentes les unes des autres) à la station de l’union commence par un brouillard d’illusion mais finit par la confirmation dans la station. L’évolution de la station de l’extinction en Dieu (fanâ) à la station de la subsistance en Dieu (baqâ) passe par l’anéantissement dans cette subsistance et l’extinction de l’extinction : l’absence qui augmente la présence.

 Fa admaghahu : Tu me permettras de toucher le faux en pleine tête et je le tuerais… J’extrairai l’illusion de l’essence de l’union et je ne verrai plus de séparation (al-farq). J’extrairai l’illusion de l’essence de la séparation et je ne verrai plus d’union (al-jam‘a). Je serai dans (la station) de l’union et de la séparation en même temps : l’union ne me voilera pas la séparation, ni la séparation l’union ; mon extinction ne me détournera pas de ma subsistance, ni celle-ci de mon extinction. A chaque chose sera donnée sa part qui lui revient, envers chacune, je m’acquitterai de son dû.

 Wa zujja bî fî bihâri al-ahadiyya : Fais-moi entrer dans les océans de l’union. Al-ahadiyya veut dire ici l’unicité pure ou l’union qui efface tout ce qui n’est pas Dieu du cœur. Je serai porté par les vagues de Ta puissance vers les manifestations de la séparation jusqu’à ce que je sois mélangé avec le point du témoignage de Son unicité pure ou de l’union : tafrîd. Ma vision sera celle de l’unicité envers la création de la beauté essentielle dans le grand espace du dépouillement (al-tajrîd). Je m’arrêterai avec l’essence et je serai absent des causes et des volontés : c’est le ravissement : jadhb.

 Wa nshulnî min awhâli al-ttawhîd : Fais-moi sortir ô mon Dieu (car je ne dois pas rester dans le (jadhb) : l’inconscience, le ravissement) des obstacles qui freinent mon cheminement, et qui m’empêche d’accomplir (de parfaire) l’union (tafrîd). Ces obstacles sont le (tawhîd) : l’unicité ou l’attestation de l’unicité qui amène à la séparation : la différence entre le serviteur qui atteste (Al-muwahhid) et le Seigneur : le sujet de l’attestation (Al muwahhad) : Le fait de voir que l’un est le contraire de l’autre au regard de la sagesse. Ceci constitue le frein de l’accomplissement de la vision de l’union pour ceux qui croient que la proximité réside dans l’existence de l’éloignement et que le contact (al-ittisâl) avec Lui réside dans l’exclusion (attard) : cela est le cheminement pure (Al-ssulûk al-mahd).[27]

 Wa aghriqnî fî ‘ayni bahri al wahda : après m’avoir jeté dans les océans de l’unité qui est un dépouillement et un affranchissement des altérités (al-aghyâr) et une absence par rapport à toute chose existante : et ceci est un union sans séparation, une vie sans mort, une bienveillance (lutf) sans densité (kathâfa), une liberté sans dépendance, une puissance au-dessus de la sagesse, une imparité (watriyyatun) sans parité (shaf‘iyyatun) , une antériorité sans postériorité, une extériorité sans intériorité, une vie dans le monde spirituel sans retour dans le monde des phénomènes (manifesté), et une entrée dans l’océan profond de la vérité sans noyade ou perte de conscience. Sors-moi (sauve-moi) de cette sainteté incomplète, de ces chemins touffus de l’unicité (les pièges et les voiles), et inonde moi dans l’essence de l’océan de l’union ou la fusion (al-wahda) qui englobe la présence (la vision) seigneuriale avec son opposé qui est la servitude, et la présence de la parité dans l’essence de la présence de l’imparité. Je serai ainsi, l’isthme (barzakh) entre les deux choses. Je verrai l’essence des choses (al-‘ayn) dans la différence (al-bayn). J’acquérrai l’union de l’union qui est la subsistance (baqâ) dans l’extinction (fanâ) : ceci est la sainteté complète.

 Hattâ lâ arâ : par l’oeil du cœur - intelligence (al-basîra) qui est aussi le lieu de l’ouïe, car il voit de là où il entend, et il entend de là où il voit. Par conséquent, il peut percevoir Celui qui est partout.

 Wa lâ asma‘a : par l’ouïe du cœur - intelligence (al-basîra), qui est aussi le lieu de la vision, car il entend de là où il voit et il voit de là où il entend.

 Wa lâ ajida : et je ne trouverai (sentirai) dans la manifestation apparente de l’existence cosmique que l’essence de l’existence cosmique, par la manifestation de l’Intérieur dans l’Extérieur (la présence de l’intériorité dans Son extériorité) et du Premier dans le Dernier (la présence de Son antériorité dans Sa postériorité).

 Wa lâ uhissa : je ne sentirai que par l’union : c’est une exagération (une insistance) au sein de la présence à cause de la prédominance de l’intérieur sur l’extérieur. Jusqu’à ce que je sente dans le monde manifesté (le monde des phénomènes) (‘âlam al-hiss) ce que je sens dans le monde spirituel (‘âlam al-ma‘anâ), grâce à la force de la présence et la prédominance de l’état spirituel (extatique) (al-wajd) sur la conscience.

 Illâ bihâ : je ne sentirai que par l’union (al-wahda). Le sens de ceci – et Dieu est plus savant- est : la demande à Dieu de l’inonder dans la présence de l’essence de l’unité jusqu’à ce qu’elle pare son intérieur et son extérieur, qu’il ne voit que par elle, qu’il n’entend que par elle et qu’il ne sent dans ses états intérieurs que par elle. Il est d’elle et par elle dans ses deux états : intérieurs et extérieurs. C’est le sens du fameux hadîth du wali rapporté dans le Sahîh al-Bukhârî: «…et lorsque Je l’aime je suis son ouïe par laquelle il entend, son regard par lequel il voit, sa main par laquelle il saisit, et son pied par lequel il marche ; s’il Me demande, assurément Je l’exaucerai ; s’il cherche près de Moi asile, assurément ; Je le lui donnerai. »[28]

 Wa j‘ali al-hijâba al-a‘zama: O Dieu, fasse que le monde dense (‘âlam al-kathâfa) : le voile sublime qui est le monde manifesté, s’alimentant de l’essence des attributs et se caractérisant par la vérité muhammadienne. Son côté humain –paix et salut sur lui- est équivalent à l’esprit du commun parmi les créatures. Gabriel ne s’est- il pas arrêté bien au-dessous de la station où le Prophète s’est arrêté à cause de ses limites humaines[29] .

 Hayâta rûhî : O Dieu fasse que ce voile sublime soit la vie de mon esprit : la vie de l’esprit par la présence et l’absence par rapport à une partie des choses est une absence par rapport au tout. Car, la vie de l’esprit se réalise grâce à sa contemplation complète, sa contemplation de la vérité ne peut se compléter que par la vision de la différence des silhouettes (des corps) (al-ashbâh) dans tous les esprits. L’esprit sans le voile est voilé en réalité, et en sa présence (en présence du voile) il est lié et vivant. C’est pour cela que les esprits des communs après qu’ils aient quittés les matrices (al-arhâm) sont dont l’isthme et ne sont destinés ni pour la vie d’ici-bas ni pour l’au- delà car ils n’ont pas encore vu le monde intérieur. Les esprits de l’élite sont eux à l’intérieur des cous d’oiseaux verts qui errent au paradis et qui convergent vers des lampes suspendues au-dessous du trône, pour leur permettre de savourer les moments de proximité auprès de leur Bien Aimé dans le monde des silhouettes. Ce monde implique la perfection seigneuriale par la manifestation de l’union (la fusion) dans les miracles des choses opposées s’alimentant du monde des attributs qui sont dans l’au-delà plus beaux et plus majestueux. Les communs sont après leur mort enveloppés dans l’essence (adh-dhât). Ils sont après leur mort, cachés et intérieurs car ils se sont manifestés dans le monde d’ici-bas par leur existence. L’élite, quant à elle, est, après sa mort, répandue par les attributs. Et elle est après la mort, dans la manifestation et l’illumination car elle était dans cette vie, cachée et intérieure grâce à son extinction dans la contemplation. Le fait de voir la séparation dans l’union, montre la vie de l’esprit et sa manifestation dans le monde des attributs.

 Wa rûhahu sirra haqîqatî wa haqîqatahu jâmi‘a a‘wâlimî : C'est-à-dire l’esprit de Son essence qui est élevé par la noblesse de Ses lumières et ne peut être comparé à un autre esprit. Son esprit ne pourra se mêler ou s’unir à un autre jusqu’à ce que ce dernier s’élève à la station spirituelle par la persévérance dans la purification : il s’élève par ce biais dans la station de lumière originale jusqu’à ce qu’il parvient à la station de l’esprit. C’est là où la réunion avec lui (paix et salut sur lui) se réalise. Mais cette réunion n’est qu’une réunion des rayons avec la lumière et non la réunion des lumières avec les lumières. Le prophète ne pourra en fait jamais être égalé. Il est la première manifestation de l’existence cosmique. La lumière Subtile a été projetée sur lui en premier puis, de lui ont émergé les phénomènes. Il n’y a pas au-delà de la lumière de Muhammad que la lumière originale. Il (Muhammad) voit le monde de l’omnipotence et des lumières originales (al-jabarût) par son affirmation en son sein. C’est pour cela qu’il a pu voir son Seigneur par l’œil de sa tête et il « ne fut plus qu’à une longueur d’arc (tout près) ou plus près encore » , et la vision de Dieu lui était possible sans même des conséquences sur sa constitution d’humain[30] . C’est parce qu’il « le Prophète (paix et salut sur lui) » est resté toujours dans le monde original et n’est apparu dans l’existence que son ombre. Les gens qui ne sont pas des experts (des connaisseurs) ont cru que c’est son essence qui est apparu. Ses compagnons ont pu le percevoir et personne d’autre.

 Bi tahqîqi al-haqqi al-awwal : par la réalisation de la vérité première. Une vérité dépourvue des obstacles des formes et des voiles.

 Yâ awwalu : O Premier en étant le Dernier sans personne avec Toi hormis Toi.

 Yâ âkhiru : O Dernier en étant le Premier sans personne avant Toi. Que c’est merveilleux : comme l’existence se manifeste dans le néant ! Et comme se confirme Ton incidence bien que Tu aies l’attribut de l’antériorité absolue (al-qidam) !

 Yâ zâhir : O l’Apparent dans Son Intériorité. Il est apparu par Son essence pour Son essence dans Son intériorité par Son essence par rapport à Son essence, car personne n’était avec Lui pour qu’Il apparaisse pour lui ou qu’Il s’intériorise par rapport à lui. Il est l’Apparent pour Son essence dans son intériorité par rapport à Son essence.

 Yâ bâtin : O l’Intérieur dans son extériorité (la manifestation de Ses signes). Il est Intérieur par Son essence par rapport à Son essence dans Son extériorité par Son essence pour Son essence car Il est l’Unique Existent dans Son extériorité (apparition) et Son intériorité. Il est donc l’Apparent à Son essence dans son intériorité et l’Intérieur à Son essence dans sa manifestation. Il est Lui (huwa), il n’y a avec Lui que Lui. Il est subtil dans Sa manifestation par Son intériorité due à Sa forte manifestation par la sagesse : on dira, Il est quelqu’un d’autre et personne d’autre avec Lui. Il est tellement subtil dans Sa manifestation et Son intériorité qu’Il se manifeste par sa forte intériorité grâce à l’omnipotence. Son sens est ainsi si fin que les compréhensions ne parviennent pas à le déceler et qu’elles restent éblouis derrière la sublimité et la magnificence. Les consciences restent incapables de comprendre dans tous les états. L’incapacité des consciences est une conscience. La sagesse de l’Omnipotent a fait qu’Il soit le Premier, le dernier, l’Apparent (l’Extérieur) et l’Intérieur.

 Isma‘a : Entend ô mon seigneur

 Nidâî : mon appel, et exauce le par Ta générosité grandiose.

 Bimâ sami‘ta : que Tu agrées mon appel, comme pour lui paix et salut sur lui. Tu l’as laissé dans la subsistance en Toi (baqâ) après l’extinction. Son appel était de Toi, par Toi et pour Toi.

 Nidâa ‘abdika : l’appel de Ton prophète (Zacharie) que Tu as honoré par la servitude qui est en vérité le fait qu’il agit à Ta convenance et qu’il observe l’obéissance, qu’il suit Ta volonté et non la volonté de son âme.

 Zakariyyâ : Zacharie qui a mis entre les mains de Ta seigneurie sa plainte, et qui a montré son humilité, son besoin et sa faiblesse et il n’était pas malheureux[31] dans sa prière car elle fut accomplie par Ton autorisation et Ton agrément.

 Wa nsurnî bika : donne-moi la force pour que les cercles du monde manifesté qui sont l’ombre du soleil de la vérité, s’anéantissent et soient son soleil.

 Laka : pour Toi car tout doit être pour Toi dans le commencement et la fin. »

 Sidi Al ‘Arbi Ad-dilâî, interrompt alors le récit en disant : « ceci est la fin de l’interprétation de mon maître, mais j’ai eu une inspiration après avoir prié Dieu pour continuer le travail, et je me suis permis malgré ma faiblesse d’intervenir entre ces deux maîtres (Al-harrâq celui qui interprète et ‘Abdessalam Ibn Mashîsh celui qui a écrit cette prière) que Dieu nous fasse profiter de leur bénédiction. Et je dis :

 Wa ayyidnî bika lak : Il demande à Dieu le soutien par Lui pour Lui dans sa subsistance en Lui (baqâ). Ce n’est que grâce à ce soutien qu’il sera victorieux dans tous ses états pour que tout ce qu’il reçoit ou ce qu’il donne ne soit que par Dieu et pour Dieu. Le soutien comme le définit Al-ghazâlî, est une consolidation du cœur – intelligence (basîra) venue de l’intérieur. C’est aussi, un affermissement des actions et une aide par les causes intermédiaires venus de l’extérieur. Il (le soutien) englobe la guidance qui provient du cœur – intelligence (basîra) et qui dévoile la réalité des choses. Il comprend de même, la maturité qui mène au bonheur, la bonne orientation vers le but ultime et la facilité pour l’atteindre. Notre maître dit : Celui qui est guidé par Lui n’est pas absent à cause des faveurs et n’est pas subverti par la souffrance : c’est un ésotériste en qui la conscience des causes est annihilée par la vision du Causateur des causes. Rappelle-toi d’Ayyoub (Job) et Sulaymân (Salomon)[32] . Si cela est la limite (l’apogée) du soutien (divin) et ses conséquences, le gnostique réalisé doit le demander à Dieu pour parfaire sa réalisation et embellir son secret intime (sarîra) et son cheminement (sayr). Dieu a dit à son prophète (paix et salut sur lui) qui est le plus grand connaisseur de Dieu et l’élu du Seigneur : « C’est Lui qui t’a soutenu par Sa victoire et par les Croyants »[33] . Le soutien par Sa victoire est la vérité et le soutien par les croyants est la loi divine et la cause (sharî‘a). Le soutien par Sa victoire est ce qui est d’intérieur et d’ésotérique et le soutien par les croyants est ce qui est d’extérieur et de manifesté. L’Imâm demande à Dieu une volonté sur l’existence cosmique qui lui permettra de prendre de toute chose sans qu’aucune chose ne puisse le désorienter ou le distraire de Dieu. Il a eu ce qu’il voulait car Dieu lui a fait parvenir à la réalisation parfaite et la présence avec Lui. Et il fut exaucé aussi, car il a eu un disciple éminent et un soutien de Dieu en la personne d’« Abû al-hasan ash-shâdhilî » qui donna naissance à cette voie .

 Wa jma‘a baynî wa baynaka : unis entre moi et Toi, une union qui me protégera de voir un autre que Toi et grâce auquel je serai dans le chemin de la rectitude (droiture).

 Il demande « l’union de l’union » : l’union dans la station de la subsistance en Dieu (baqâ) consiste à voir Dieu en toute chose, car il dit : unis entre moi et Toi. Il a confirmé ainsi son existence par son Seigneur. L’expression « inonde moi dans l’essence de l’océan de l’union (al-wahda) … » fait allusion à la subsistance par Dieu (baqâ) après l’extinction, quant à l’extinction toute seule elle est exprimée dans : « jette-moi (zujja bî) dans l’océan de l’unité (al-ahadiyya)… »

 Gloire à Celui qui a caché le mystère de la sainteté sous l’extérieur de la nature humaine (bashariyya) et qui a manifesté Sa magnificence seigneuriale en faisant apparaître l’état de la servitude.

 Wa hul baynî wa bayna ghayrika : épargne-moi la présence dans mon cœur d’un autre que Toi. La réalité des choses réside dans leurs opposés : celui qui a fait rentrer à son cœur la présence sacrée de son Seigneur le purifie de son implication dans le monde manifesté (le monde des sens) (hiss), jusqu’à ce qu’il parvient à Allah dépouillé : « Très certainement vous êtes venus à Nous seuls, tout comme Nous vous avions créés une première fois. » C’est pour cela qu’il dit pour terminer sa prière et pour montrer que « le terme, en vérité, est vers ton Seigneur » : Allâh, Allâh, Allâh : Il a répété trois fois ce Nom noble, pour que le lecteur s’abreuve de la clarté de l’eau de ce Nom sacré, pour qu’il frôle le sens du secret subtil, et que le Nom assure sa fonction dans son for intérieur avec une rectitude sans déviation ou dérive. L’Imâm Al-Bukhârî dit : « chapitre de la répétition d’une parole trois fois pour l’apprentissage et pour mettre l’accent sur le fait que l’extinction est de trois sortes : une extinction dans les actions, une extinction dans les attributs, et une extinction dans l’essence (divine), la première correspond à l’établissement de la station de l’Islam, la deuxième correspond à la déclaration de la station de la foi et la troisième correspond à la présence dans la station de l’excellence. On peut dire plutôt que la première est le chemin vers Dieu, la deuxième est l’extinction en Lui et la troisième la subsistance par Lui (baqâ). Et Dieu est plus savant ». Quand le prophète a émigré par son esprit (rûhâniyyatihi) de la Mecque de son humanité (bashariyyatihi), une émigration qui représente son effort spirituel (mujâhadatihi), vers Médine qui représente sa vision contemplative (mushâhadatihi), il a été appelé par l’annonciateur de son arrivée qui lui annonça la bonne nouvelle (bishâratihi) (il a parfait son effort et en a récolté les fruits, car il parvint à Son seigneur : le terme de son voyage).

 Inna alladhî farada ‘alayka al-qurâna la râddika ilâ ma‘âd : c’est le verset coranique : « Oui, Celui qui t’a prescrit le Coran te ramènera certainement à un (beau) lieu de retour ».

 Ma‘âd : est un des noms de la Mecque.

 Quand le connaisseur (le gnostique) s’affirme dans l’extinction et la vision, il revient à la subsistance par Dieu (baqâ), en se félicitant de la bonne nouvelle de l’ouverture (al-fath), et de la rencontre (avec Dieu), content et joyeux, soutenu et victorieux. Quand Le prophète (paix et salut sur lui), quitta la Mecque il dit : « O Dieu, Tu m’as fait sortir de l’endroit le plus chère à moi, installe moi alors dans l’endroit le plus chère à Toi ». Le verset coranique suivant lui fut alors révélé : « Inna alladhî farada ‘alayka al-qurâna la râddika ilâ ma‘âd » : Dieu lui a promis qu’il reviendra à la Mecque et ce fut accompli en l’année de la conquête (‘âmu al-fath). Le prophète rentra à la Mecque soutenu et victorieux. Sa religion fut honorée au-dessus de tout et c’est à Dieu que revient la finale de toute chose. Le gnostique est toujours dans le besoin permanent de Dieu (idtirâr), il est tourné dans ses décisions vers Dieu seul, et il dépend entièrement de Sa faveur. Ainsi, le pôle continue à implorer la faveur divine en évoquant le verset : Rabbanâ âtinâ min ladunka rahmatan wa hayyi’ lanâ min amrinâ rashadâ : « O notre Seigneur, apporte nous de Ta part une miséricorde ; et arrange-nous une bonne conduite de notre affaire » : le pôle (auteur de cette prière) demande à Dieu Sa miséricorde spéciale avec laquelle Il recouvre l’élu de l’élite. Il classe cette miséricorde parmi les dons purs (min ladunka) : qui viennent de Dieu. Il a demandé à Dieu le secours et l’assistance (madad) sans un intermédiaire, un effort, ou une cause. En effet, le connaisseur accompli n’a plus aucun voile (hijâb) entre lui et son Seigneur. On peut dire aussi : quand le gnostique s’installe dans la caverne de l’existence cosmique chez Dieu seul (avec Dieu), il demande- comme l’avaient demandé auparavant les gens de la caverne quand ils se sont consacrés à Dieu et se sont remis à Lui seul: « Quand les jeunes gens se réfugièrent dans la caverne et dirent :- « Notre Seigneur ! Apporte nous de Ta part une miséricorde et fais en sorte que notre conduite nous mette sur la juste voie » »[34] : Dieu les a ainsi reposé et leur a épargné les souffrances et les épreuves de ce bas monde par le biais du sommeil qui est un repos extérieur. Comme Dieu leur a évité les tracas dans le monde sensible (extérieur), Il a reposé leurs esprits dans le monde intérieur en leur épargnant la perception des choses créées (al-âthâr). Le prophète (paix et salut sur lui) a dit : « le repos du serviteur est auprès de son Seigneur ». Le connaisseur ne demande à Dieu que Sa proximité et l’observance des bonnes convenances (al-adab) à Son égard. Notre maître dit dans ses sagesses : « demande à Lui le soutien dans ta volonté et qu’Il te protège des causes de l’éloignement (de Lui) », Ibn ‘atâ Allah dit dans ses sagesses à ce propos : « Les connaisseurs (‘ârifîn) demandent à Dieu d’être sincères dans le service, et d’observer les droits de la seigneurie ». Les bonnes convenances (al-adab) à Son égard sont proportionnelles à la proximité (de Lui). Dieu –Vérité- n’a pas de fin et les convenances (al-âdâb) du connaisseur n’ont -eux aussi- pas de fin. C’est pour cela que le prophète disait : « Je suis celui qui connaît le plus Dieu, et celui qui Le craint le plus ». Ceci, car les connaisseurs perçoivent Sa grandeur, Sa majesté et Sa beauté. Lorsque le pôle a pu percevoir Sa sublimité, il s’est convaincu de son impuissance et son humilité vis-à-vis de Son seigneur, il chanta alors Sa gloire en évoquant le verset : « Gloire et pureté à ton Seigneur, le Maître de la puissance et de la considération, très au-dessus des descriptions qu’ils inventent. Paix et salut aux messagers et la louange est à Dieu, Seigneur et Maître des univers » . Il fit savoir ainsi, que seul Dieu peut connaître Dieu, et que personne ne peut Le décrire ou L’apprécier à sa juste valeur, même les purs adorateurs ou les connaisseurs : « Et ils n’englobent rien de Son savoir sauf ce qu’Il veut bien » . Il a clôturé sa prière par ce verset « Gloire et pureté à ton Seigneur, le Maître de la puissance.. » car la tradition incite à couronner les prières par cette noble parole divine. Ceci est la fin de cette interprétation par l’aide et le bon soutien divin. »

Interprétations de quelques sagesses d’Ibn ‘Atâ’ Allah : An-nûr Al-lâmi‘a Al Barrâq Fi Atta‘rîf bi Sheikh Al harrâq : deuxième chapitre.

(On a choisi de présenter au public ici les commentaires des grands maîtres qui ont influencé et marqué Al-harrâq et sa littérature comme Ibn ‘Ajîba, Ibn ‘Arabî et Ash-shâdhilî ou qui ont vécu à la même époque que lui comme l’Emir Abdelqader)

Les paroles de sagesses, al-Hikam, d’Ibn ‘Atâ’ Allah d’Alexandrie comptent parmi les plus célèbres recueils d’aphorismes soufis. Elles sont répandues dans presque tout le monde islamique, depuis le Maghreb, où elles ont été l’objet de plusieurs grands commentaires, jusqu’en Indonésie, où elles furent traduites en malais. Leur diffusion est en quelque sorte parallèle à celle de l’ordre shâdhilite, qui voit dans les Hikam le vade mecum, le guide et le compagnon de route de celui qui parcourt la voie contemplative. Car Ibn ‘Atâ’ Allah, qui est né vers le milieu du 7éme siècle et qui mourut en l’an 709/1309 au Caire, fut non seulement le disciple et successeur du maître Abû-l-‘Abbâs al-Mursî, lui-même disciple du fondateur de l’ordre, Abû-l-Hassan Ash-Shâdhilî ; il fut aussi le premier maître de cette chaîne à laisser un ouvrage doctrinal écrit, qui fixe et résume l’enseignement oral de ses prédécesseurs.[35]

Commentaires et analyses sur son Diwâne (son recueil de poèmes)

Sidi Muhammad Al-harrâq a dit : J’ai répandu l’encens en proférant Son Nom Par amour éperdu, en hommage à Sa gloire Un souffle s’est levé, et qui m’a fait connaître Qu’à travers le parfum résidait Son essence. J’ai alors touché à la certitude Qu’il n’est dans l’univers nul autre que Lui.

Il a dit aussi : Un soleil, à peine luit-il dans l’esprit du buveur, Il le fait pur essence, avec les êtres pour noms. Quand la coupe s’habille de ses ors, Que bulles lui font un collier perlé du tout la robe étincelle. D’expérience, les Avertis connaissent sa brûlure. Du dehors de la jarre non encore déflorée, Ils peuvent être grisés sans en briser le sceau. Les hommes de sens dans l’ivresse savent garder élégance. Nul d’entre eux en société n’a fracassé la coupe ni à l’égarement n’a cédé. Et si d’autres parfois trahissent le secret, Les gardent du faux-pas la face et le revers.

Aperçu général sur le Samâ‘ (chants spirituels)

Si le samâ‘ ou «l’audition spirituelle » ou «le chant soufi » ou encore « Qasâïd » est un vin dont s’abreuvent les âmes, les oreilles sont autant de coupes servant à cette ivresse divine. Le prophète Abraham auquel l’ange apporta l’annonce de son agrément au sein de l’amitié intime auprès de Dieu, dansa de joie et surtout d’ivresse spirituelle. A travers ce modèle prophétique, la tradition fonde cette pratique sur ce geste immémorial survenu à la suite de la Visite de l’Ange.

 Le chant Soufi (qasîd) est un ensemble de poèmes et de chants composés (par la voie de l’inspiration en général) par les plus grands saints de l'Islam à travers l'histoire. C'est une expression sincère des états les plus purs du cœur. Ses thèmes tournent autour de l'amour de Dieu et de Son prophète, de la confiance en Dieu, du besoin extrême à Lui et des différentes valeurs nobles qui composent l’éthique soufie. C'est l'expression humaine, enivrée de vin divin, dans son image la plus pure et la plus saine. Il se chante généralement en groupe dans les mosquées ou les confréries. Les chants soufis véhiculent toujours des messages éducatifs pour le cheminant.

 Interrogé sur le samâ‘, Dhù-l-Nùn l’Egyptien, maître soufi éminent du II eme siècle de l’hégire (XI e siècle), fit la réponse suivante : « c’est un messager de vérité (rasùl haqq), venu pour pousser les cœurs vers Dieu. Celui qui l'écoute comme il convient, en réalise la vérité, mais celui qui l’écoute avec son âme charnelle est dans l’hérésie ». La tentation est grande de ne retenir de ces récitatifs poétiques qu’une saisie bien extérieure au dépôt sacré que le raccourci poétique est censé véhiculer.

La pratique du samâ‘a est liée historiquement aux milieux soufis, énergiques défenseurs de son usage collectif. Les auteurs qui consignèrent par écrit certains aspects de cette tradition s’appuient principalement sur l’autorité «des gens de la Voie ». C’est le cas du faqîh al Hayek de Tétouan, celui-ci nous lègue un recueil, «Kunâch al Hâyek », où il mêle poésie mystique et musique. Dès le prologue, Al hâyek évoque la jouissance toute intérieur et la gratification dont bénéficie celui qui fait honneur au samâ‘. En outre, la bonne santé des corps, dit-il, se trouve à son tour tributaire de son influx spirituelle.

Les villes de vieille tradition au Maroc, Fès, Marrakech, Rabat, Salé, Tétouan ont su préserver jusqu’à nos jours cette pratique vivace. Les petites agglomérations telles Essaouira ou Ouazzane participent de la même manière et enrichissent les assemblées des récitatifs de mussammi’s et musiciens de talent à l’échelle du pays.

Le samâ‘, de tout temps considéré comme un «noble savoir », se transmet par enseignement oral. La fréquentation assidue des Zawiyas (ordres soufis) dans une même ville et les longues pérégrinations dans les différentes régions du royaume marocain, à la recherche des dépositaires des secrets de l’œuvre, confirment l’aspiration dans son art. Malgré les grandes chaleurs d’été, il y a de ces rendez-vous que l’on ne pourrait manquer : la grandes cérémonie annuelle tenue à la fin du mois de juillet de chaque année au Mausolée de Moulay Idriss sur le mont Zarhûn près de Meknés, est le signe de ralliement des plus belle voix que compte le Maroc rivalisent d’éclat pour fêter le Mawlid du prophète sous forme de samâ‘a et de madîh, récitatifs en hommage au modèle prophétique muhammadien.

En temps ordinaire, les cérémonies sont tenues régulièrement dans les Zaouiyas et auprès des tombes et mausolées des Awliyâ’ au Maroc. Par ailleurs chaque vendredi, il n’est pas rare de voir un groupe de samâ‘a programmer sa journée selon une topographie spirituelle précise dans sa ville. Les membres du groupe rejoignent les cérémonies animées en différents lieux spirituels d’une cité. Pour celui qui arpente en connaisseur la médina de Marrakech par exemple, terre de la sainteté par excellence, les belles voix «qui tirent la bride aux regards » fusent d’endroits différents de la vielle citée et accompagnent ses pas.

 Nous avons mentionné la ferveur spirituelle qui saisit les médinas, et ses pratiques citadines ; les faits sont analogues dans les campagnes : ses habitants honorent jusqu’à nos jours un Islam globalement traditionnel. Les moussems organisés annuellement en pays arabophone et berbérophone se présentent avant tout comme l’occasion de fêter la mémoire vénérée des maîtres soufis enterrés dans une région donnée.

Les poèmes chantés (au sein de la confrérie) proviennent souvent d’époques très éloignées dans le temps. Déclamé selon le mode musical d’une nouba Maroco-andalouse, le thème du pur Amour opposé à l’amour mercenaire peut allier le lumineux visage de la grande sainte de l’Islam Râbi‘a Al‘Adawiyya (IXème siècle, Bagdad) aux affres de l’arrachement extatique d’Omar Ibn al Fârid (le Caire, XIII ème siècle), surnommé le Sultan des Amoureux. Quelques vers plus loin dans le même élan didactique, Abu Medyen (Tlemcen, XII ème siècle). D’autres fragments de poèmes de fuqâha ou d’autres que d’aucun qualifierait de soufis (Abu Nuwas, al Mutanabbi,…) figurent dans la riche matière poétique du samâ‘. Interprétée par un chœur à l’unisson dans les Zaouiya, la dite matière poétique aux accents originellement profanes, subit une transmutation radicale. La force spirituelle nouvellement acquise s’absorbe instantanément dans le flux général du récitatif. Néanmoins cette poésie, qu’elle ait une origine soufie ou nom, sert en fait à orner la trame habituellement récitée que représentent les deux poèmes : la Burda et la Hamziya de l’Imâm al Busayrî . Ces deux poèmes composés en hommage au prophète eurent un destin exceptionnel dans le monde musulman depuis le XIII ème siècle.

 Toute œuvre d’art traditionnel requiert une dimension esthétique évidente il reste à signaler que le raccourci poétique utilisé ici est fermement établi dans une densité doctrinale saisissante. Ses formulations et sa thématique (le Pur amour divin, le vin, la coupe, l’ivresse, la célébration du bien-aimé…) doivent beaucoup à l’école d’Ibn ‘Arabi et Ash-shusturî ; le recueil chanté en audition spirituelle puise largement dans l’enseignement et le vocabulaire de ces deux maîtres et leur postérité spirituelle.

Le samâ‘ chez Sidi Muhammad Al-Harrâq (An-nûr Al-lâmi‘ Al Barrâq Fi Atta‘rîf bi Sheikh Al Harrâq : 3éme chapitre)

Terminologie et différents types de samâ‘ :

 On distingue dans la poésie soufie et particulièrement celle d’Al-harrâq :

 •les poèmes dits d’ « Al-hadra » ou « khamriyya » : poèmes d’extase ou des sens « alma‘nâ » ou encore de présence (avec Allah) : ce sont des poèmes « qasâïd » qui n’obéissent pas aux règles et normes de la poésie arabe et qui sont le pur fruit de l’Inspiration. Chaque poème (qasîda) correspond à un état d’ivresse ou de présence avec Allah. Ils sont la spécialité des soufis.

Un exemple tiré du Diwâne d’Al-harrâq faisant allusion à la notion d’Union avec l’Aimé qu’on développera plus loin, correspond parfaitement à ce type de poésie : « Tu cherches Laïla, alors qu’elle se manifeste en toi, et tu crois qu’elle est en dehors de toi, alors qu’elle n’est que toi ».

 •Les poèmes d’ « Al-Ahadiyya » « l’Unicité » : ce sont aussi une spécialité soufie, leurs sujets est particulièrement l’Amour de Dieu dans les sens les plus profonds et Sa beauté. Ils peuvent être inspirés ou réfléchis c’est à dire faisant partie de la « San‘a » (tissés ingénieusement en se basant sur les règles de l’art dans le domaine, ou les répertoires anciens)

Ces deux types de poésie sont le fruit d’un degré très haut dans les stations de l’Amour divin, ils s’adressent à des soufis initiés qui ont goûté les saveurs de la présence divine. Ils portent des messages subtils (d’ordre éducationnel) qui ne peuvent être compris et parfaitement décodés et interprétés que par les soufis.

 •Les poèmes dits «qasâid Muhammadiyya » : la Burda et la Hamziya d’Al-Busayrî en sont les deux exemples les plus célèbres dans le monde musulman. Ils traitent l’amour du prophète, sa beauté et son degré élevé, ils peuvent aussi être faits par des poètes doués et amoureux du Prophète.

 •Les poèmes dits « qasâid madhiya » : « de louange au prophète » ils représentent le répertoire le plus populaire dans le monde musulman auquel a contribué tous les poètes de l’Islam. Ils ne sont pas spécialement dûs aux soufis, bien que ces derniers soient à l’origine de la communication et la popularité de ce type de poésie. Les « qasâïd madhiyya » propres aux soufis s’appellent les «Muludiyya ». Ils font référence à la naissance du Prophète de l’Islam et aux miracles concernant ce grand jour. Ils sont chantés partout dans les confréries et mosquées durant tout le mois de naissance du prophète (le troisième mois de l’hégire « Rabi‘a Al-awwal »). La nuit du douzième jour de ce mois correspondant à sa naissance « Laïlatu Almawlidi annabawi » est particulièrement célébrée au sein de toutes les confréries du Maroc avec les chants soufis et les « Mawlidiyya » chantés par les plus belles voix du royaume.

Les notions clef qui construisent le samâ‘a d’Al-harrâq

 Le sacré (la femme) :

 La femme en Islam a un statut d’honneur particulier : elle est la « source de la vie » et c’est elle qui « éduque les générations », elle apparaît ainsi comme le noyau de la société. Les soufis et particulièrement Al-harrâq n’a pas manqué de l’employer comme symbole de l’ « Aimé » du « Beau », du « Secret », et du « monde des sens » « Al-ma‘anâ » dans presque tous ses poèmes « qasâïd » d’ « Al-hadra » . La femme fait allusion au « secret » qui ne doit être dévoilé qu’aux personnes initiées qui savent mesurer « le sens » à sa juste valeur. La compréhension de ces types de signes ou d’allusions concerne une élite qui ont déjà vécu l’expérience soufie : « l’Amour », « l’ivresse », et l’ « extase avec Dieu » ; car on ne saura jamais, comme a dit Al-Ghazâli, « expliquer l’orgasme à un enfant ». Et d’ailleurs ces chants d’Amour ont fait l’objet de critiques et de rejet de la part de quelques savants de la loi (sharî‘a) et surtout des plus extrémistes parmi les Wahhabi qui n’ont pas hésité de traiter ces types de poèmes d’hérésie et de perversion. En effet, la profondeur du sens de ces « qasâïd » a fait qu’elles touchent particulièrement le cœur et non l’intellect, ce qui les rend inaccessible et incompréhensible et parfois source de confusion et à connotation libertine pour les intellectuels. « Tu cherches Leïla alors qu’elle s’est manifesté en toi Et tu crois qu’elle un autre, elle n’est en fait que toi » Et il dit aussi : « Combien as-tu de sens, ô Leïla ! Pour celui qui connaît ton sens ancien, tu as rempli par ta beauté les coupes, et il n’y pas d’amoureux qui ne soit ravi et ébloui en toi »

 Le symbolisme et la métaphore fortement présents sous le signe de prénoms féminins connus dans la légende des histoires d’amour arabes comme : « Laïla » , « ‘Azza », « Mayya », ou « Su‘âd », étaient le procédé adéquat pour masquer et conserver soigneusement le « sacré» pour ne laisser comprendre le « secret » de la qasîda qu’à l’élite vers laquelle le message est transmis. Ainsi, « Al-wasl »(le contact, la liaison) ou « Al-wisâl »(la rencontre ou le contact permanent), « Al-qurb » (le rapprochement ou la proximité), « ad-diyâr » ou « al-himâ » (la maison ou le territoire de l’Aimé et tout ce qui s’y rattache), sont des termes parmi d’autres qui font référence à la relation « exponentiellement charmeuse » avec l’Aimé (qui est le sacré : Allah, le prophète et le maître) qui n’est évidemment pas physique et que le soufi(Al-harrâq ) essaie de rapprocher « le sens » en s’apparentant à l’amour connu par le commun des mortels : entre l’homme et la femme. D’autre part le message porté par ce symbolisme diffère au sein même des soufis : d’un soufi à l’autre selon les stations et les états spirituels de chacun. Le goût ressenti par chacun dépend de son amour. La finalité qui est l’amour de Dieu (amour qui n’a pas de limite ni de fin puisqu’il est le don de Dieu et Sa Grâce qui ne cessera jamais de se multiplier au cœur des attachés à Lui) passe d’abord par l’amour du maître « al-wasîla ou al-wâsita» (l’intermédiaire ou le chemin) qui conduit à l’amour du prophète (al-wasîla al-‘uzmâ ou al-wâsita al-‘uzmâ) (le grand intermédiaire ) pour lâcher enfin le disciple dans l’océan de l’Amour divin, où tout se résume en Lui, le sacré se manifestera en Lui et ne sera vu que grâce à Lui et pour Lui. Cette station de déperdition complète dans les sens du divin s’appelle la station d’«Al-Ahadiyya » (l’unicité) qui fait référence à la notion de « Al-hulûl wa Al-Ihlâl » « l’union et l’unicité » développée plus loin. C’est dans cette station qu’Al-hallaj a été piégé et avait connu la fin tragique de sa passion. En effet, pour les maîtres réalisés, comme Al-Harrâq cette station dangereuse constitue un état d’ « équilibre instable » puisque le soufi risque de divulguer des secrets que le vulgaire «‘âmmî » ne comprendrait pas et qui ressembleraient à ses yeux à de l’association « shirk » ou à de la mécréance évidente « kufrun bawâh ». La station des réalisés « as-sâlikîn » nommé la station d’ « Al-muhammadiyya » consiste à vivre le goût soufi tout en gardant le secret par respect à la sharî‘a (la loi et la règle de l’univers), elle est la station de l’équilibre stable. Le sacré est aperçu dans ce cas comme étant le goût et l’harmonie entre l’intérieur et l’extérieur. Le trait marquant de la station Al-muhammadiyya est le respect de l’éthique sociale communément admise et des lois en vigueur (dans la parole et dans l’apparence résultantes de l’état dû à l’audition spirituelle) Voici une expression claire d’Al-harrâq qui montre sa station dans l’Amour et où apparaît explicitement son « sacré » : « J’ai alors touché à la certitude Qu’il n’est dans l’univers nul autre que Lui. »

 L’Amour :

Lié toujours au « sacré » il est omniprésent dans les poèmes d’Al-harrâq, « la brise de ma bien aimée souffle sur mon cœur… », il inonde son cœur et habite son esprit, le résultat est un amour universel qui est gracieusement offert à toutes les créatures c’est la notion de paix divine « assakîna ». C’est aussi une brûlure qui fait souffrir les cœurs assoiffés pour sa rencontre : « D’expérience, les Avertis connaissent Sa brûlure.» L’amour apparaît enfin comme l’ultime station et toute station au-delà de la réalisation de l’amour n’est que l’un de ses fruits ou l’une de ses conséquences comme la nostalgie d’amour, la familiarité, le contentement et toute station antérieur à l’amour n’en est que le prélude, comme la repentance, la patience, l’ascèse etc. « J’ai répandu l’encens en proférant Son Nom Par amour éperdu, en hommage à Sa gloire Un souffle s’est levé, et qui m’a fait connaître Qu’à travers le parfum résidait Son essence. » Absolument, l’amour le plus indispensable, le plus élevé et le plus sublime est l’amour de Celui pour qui les cœurs s’inclinent naturellement d’amour, que les créatures aspirent spontanément à adorer. Allah est adoré pour Lui-même sous tous les rapports tandis qu’autrui n’est aimé qu’accessoirement par rapport à Son amour. En effet, Son amour est attesté par tous Ses livres révélés, par l’appel de tous Ses envoyés, par la disposition originelle et l’intelligence qu’Il a placé en Ses créatures, et par Ses Bienfaits en leur faveur. En fait, si les cœurs s’inclinent en général à aimer leur bienfaiteur, qu’en est-il de Celui qui est le Dispensateur suprême de toute faveur ? Si les cœurs s’inclinent vers l’amour de toute chose belle qu’en est-il de Celui qui a créé la « beauté » ?

 

La beauté :

 Elle est le sujet de l’amour, elle est aussi une image du sacré autour duquel tourne le symbolisme d’Al-harrâq. Elle est représentée par le « sacré » lui-même ou par les éléments naturels : la brise, le soleil, l’aube, la fleur… Ou encore par les parfums : l’encens, le musc…. « Qu’à travers le parfum résidait Son essence » : il fait allusion ici à la Beauté divine.

 

L’ivresse (le vin):

 Traditionnellement, le vin a été utilisé par tous les soufis « les gens du goût » pour exprimer l’ivresse et l’état d’extase qu’ils ressentent lors de leur présence avec leur Bien-Aimé. Al-harrâq n’a pas manqué d’embellir ses vers d’expressions magnifiant le goût et donnant aux âmes le breuvage qu’elles méritent pour assouvir la soif d’Amour. Il dit : « Un soleil, à peine luit-il dans l’esprit du buveur, Il le fait pur essence, avec les êtres pour noms. Quand la coupe s’habille de ses ors, Que bulles lui font un collier perlé de toute la robe étincelante. »

 L’unicité et l’union :

 « J’ai alors touché à la certitude Qu’il n’est dans l’univers nul autre que Lui. »

 C’est un sujet épineux qu’Al-harrâq a su traiter simplement et avec succès. Le fait que l’univers se résume en Dieu, est en fait l’expression claire que l’origine de tout est Dieu et que c’est par Sa Grâce, Sa volonté et Sa miséricorde que l’univers existe et fonctionne correctement. Le fait que l’être humain soit Dieu (ils ne forment qu’un Seul) veut dire que si l’amour du serviteur et son dévouement sont purs, sa volonté et ses désirs seront en conformité avec la Volonté de l’Aimé (Dieu) et ne pourront en aucun cas aller à Son encontre. Al-harrâq fait référence au fameux hadîth du wali, rapporté dans le Sahîh al-Bukhârî «…et lorsque Je l’aime je suis son ouïe par laquelle il entend, son regard par lequel il voit, sa main par laquelle il saisit, et son pied par lequel il marche ; s’il Me demande, assurément Je l’exaucerai ; s’il cherche près de Moi asile, assurément ; Je le lui donnerai. » « Ils prétendent que Tu es dans le cœur . Est ce que celui qui Te voit a encore un cœur. Le cœur s’est éteint, il n’y a que Toi, Tu es l’aspirant (le désirant) en vérité et le désiré »

La musique soufie chez Al-harrâq:

 L'Andalousie était le carrefour de trois cultures et trois religions monothéistes qui ont cohabité et échangé efficacement donnant naissance à une culture riche qui a marqué par la suite la culture du nord marocain.

 == Notes et références ==1.

2. Voir : ‘Allâl Al-fâsî : at-tasawwuf al-islâmî fi al-maghrib ; Ben Rochd Er Rachid : « le soufisme : patrimoine universel, méthode d’épanouissement et doctrine d’harmonie », édition Déchra : 2002 ; et un ouvrage important à notre avis qui constitue une étude doctrinale du soufisme marocain : « At-tasawwuf bayna ahli al-fikr wa ahli al-dhikr » du docteur Ahmed Ghânî, librairie Al-ttawfîq, lido Fès, année 2001.

3. Avec le début de l’époque coloniale, le monde musulman souffrait d’une crise d’éthique profonde. Les manuscrits témoignent que Muhammad Ibn Abdel Wahhab fonda un mouvement appelé le « wahhabisme » à Nadjd en Arabie basé sur un dogme qui interprète le coran et les attributs divins en se limitant au sens direct et extérieur (Zâhir) sans voir les sens intérieurs ou métaphoriques et en ne considérant que l’aspect extérieur pour juger de la conformité de l’individu aux lois de Dieu, éliminant en particulier les notions de goût (Al-dhawq) et de l’éducation spirituelle (culte des saints). Ce mouvement propose une réforme ferme de l’Islam et s’oppose farouchement au soufisme en éliminant le concept de la sainteté et de la vénération de la descendance du prophète (Ahlo Al-bayt) et en interdisant la visite des tombeaux. Ce mouvement considère ainsi depuis ce temps ces actes une hérésie et une association (shirk) passible de la peine de mort. Etude tirée de plusieurs références historiques dont : « Fiqh Ahmad Ibn As-siddîq Al-ghumârî » (étude comparative) : auteur : Abî Muhammad Al-hasan Ibn ‘Ali Al-kattânî Al-atharî : édition : Muhammad ‘Ali Bîdûn, Dâr Al-kutub al-‘ilmiyya : Beyrouth Liban : p : 25-28. Amîn Ar-rayhânî « Târîkhu Najd » : (3éme édition : dâr arrayhânî : Beyrouth, 1964) ; Mustafa Talâs : « ath-thawra al-‘arabiyya Al-kubrâ (4éme édition, dâr talâs, Damas, 1986) ; Mahmoud Shâkir : « at-târîkh al-islâmî »: (première édition : al-maktab al-islâmî, tome 8 : Beyrouth). Abdel ‘Azîz a-shenâwî : « Ad-dawlatu al-‘uthmâniyya dawlatun Muftarâ ‘alayhâ » (première édition : maktabatu Al-anjilou al-misriyya, tome II : Le Caire 1984).

4. Le nom de Derqawî viendrait d’un ancêtre, Youssef ben Jennoun, surnommé Abû derqa (l’homme au bouclier de cuir).

5. Premier descendant de la famille du Prophète venu au Maroc fuyant les épées de l’empire des ‘Abbasite. Il trouva refuge au Maroc où il fut très bien accueilli, Fès fut construite ainsi que la première dynastie marocaine : La dynastie Idrisite.

6. Ce maître berbère a vécu 130 ans de 424/1046 à 554/1176, il était illettré, strictement végétarien, il vivait parmi les bêtes sauvages et enseignait dans une langue simple ce que les mystiques orientaux expriment de façon sophistiquée, il fut surnommé le professeur de lumière « yâ lâ nnûr ». Il fut le contemporain de Abû Madyan Al-ghawth originaire d’Andalousie. V.J. Cornell, « the way of Abû Madyan », Cambridge, 1996 et voir l’ouvrage de référence pour la biographie de ce maître : « Kitâb al-mu‘zâ fî manâqibi al-shaykh Abî Ya‘azâ » : Ahmad Al-tâdilî Al-sawma‘î (m. 1013/1592).

7. ‘Allâl Al-fâsî : attasawwuf al-islâmî fi al-maghrib P 52

8. Ben Rochd Er Rachid, « le soufisme : patrimoine universel, méthode d’épanouissement et doctrine d’harmonie », édition Déchra : 2002

9. Pour ce maître voir: V.J. Cornell, « the way of Abû Madyan », Cambridge, 1996

10. Michaux Bellaire, les confréries religieuses au Maroc- imprimerie officielle. Rabat 1923

11. Al-sagir Abdel-Magîd, Ishkâliyat islâh al-fikr as-sûfî fi Al-qarawiyîn (Al-‘Abbas Ahmed Ibn Muhammad Al-mahdi Ibn ‘Ajiba et Muhammad Al-harrâq), 1994, édition Al-Baydâ Dar Al-Afâq Al-jadîda Al-Maghrib.

12. Voir : Ibn ‘Ajiba « le Mirage » : glossaire du soufisme.

13. Tiré du livre : « confréries religieuses de l’Islam Marocain ». Edouard Moulet : Paris 1902 Ernest Leroux.

14. Ce mystique, qui avait quitté le Maroc en 1738, lors des troubles consécutifs à la mort du sultan Moulay Ismail, s’était réfugié à Tunis où il suivit les leçons de divers shuyûkh(maîtres). Il revint ensuite au Maroc sous la protection de Moulay Tayeb, quatrième shérif Baraka d’Ouezzane, qui l’envoya à Fès étudier le soufisme auprès d’Abu Addallah Jassous. Il eut ensuite pour maître Larbi Ben Ahmed ben Abdellah el Al-andalousi, auquel il succéda. Il construisit alors à Fès une Zawiya, au lieu-dit Hûmat er Remula (cf.A.Cour, article Derqawa dans l’ « Encyclopédie de l’Islam, tome I, 1913, p. 971 »).

15. Edouard Moulet : Paris 1902 Ernest Leroux Editeur : « les confréries religieuses de l’Islam Marocain »

16. Cf. Levi-Provencal, loc.cit., p 343

17. Sidi Muhammad Al-harrâq fils de Muhammad fils d’Abdelwahed fils de Yahya fils d’ ‘Omar fils d’Husayn fils d’Husayn (deux fois) fils d’Ali fils de Muhammad fils d’ ‘Abdallah fils de Youssef fils d’Ahmed fils d’Al-Husayn fils de Mâlik fils d’Abdelkarîm fils d’Hamdoun fils de Mûsâ fils de Meshish fils d’Ali fils d’Horma fils d’ ‘Îsa fils de Salâm fils de Mizwâr fils d’Haydar fils de Muhammad fils d’Idrîs fils du grand Moulay Idrîs (fondateur de la première dynastie marocaine) fils d’ ‘AbdAllah Al-kâmil (le parfait) fils de Al-Hasan Al-mothannâ Fils d’Al-hassan As-sibt fils d’Ali et Fatima fille du prophète Muhammad paix et bénédiction sur lui: Manuscrit en Arabe ancien « Salwat Al-Anfâs wa Muhâdathat Al-Akyâs biman Uqbira mina Al ‘ulamâ wa As-solahâ bi Fâs »de Muhammad ben Jaa‘far ben Idriss Al-Kattâni volume 1 page 342. Tétouan Maroc.

18. Tohfat Al-Ahbâb d’un disciple de Fès de Sidi Muhammad Al- harrâq : Ibn Suda (manuscrit en Arabe à Fès).

19. Selon Le Mouqaddam de la confrérie à Tétouan Abdallah Mrir dans son ouvrage « Anna‘îm Al-mouqîm »et « Annour Al-barrâq » Manuscrit numéro 44 à Tétouan ou numéro 960 à Rabat de Sidi Al ‘Arbi Ad-dilâî de Rabat grand disciple de Al-harrâq et maître des Mâdihîne à Rabat (chanteur des éloges du prophète) à l’époque. Et « Az-zâwiya » de Tohami Al-wazzâni et Histoire de Tétouan M.Daoud Volume 6 p 289.

20. Agir avec un cœur détaché de tout ce qui n’est pas Dieu : « le corps et l’intellect font les efforts nécessaires mais le cœur reste chez Dieu (attaché à Lui seul) ».

21. Al-Harrâq est juriste de formation, ses discours et ses écrits conciliaient et rapprochaient les juristes et les soufis.

22. Sidi Al ‘Arbi Addilâî, ManâqibAsh-sharîf Abi ‘AbdiAllah Muhammad ibn Muhammad Al-Harrâq Al-‘Alamî Attitwanî, manuscrit numéro 275, Rabat Page : 121-132 Chapitre 5

23. Il est fait allusion au verset coranique : « Il enseigna à Adam les noms et caractéristiques de toutes choses puis exposa aux anges les porteurs de ces noms et leur demanda : « Informez Moi des noms de ces choses si vous êtes véridiques » Sourate II verset 31 La science humaine est-elle autre chose que la connaissance des noms et caractéristiques ou propriétés des choses de ce monde sans jamais en connaître l’essence ou l’entité ? C’est donc cette science enseignée par Dieu au premier homme qui a justifié aux yeux des anges (d’abord récalcitrants) le droit de l’Homme à la lieutenance sur terre. Al Qur’ân Alkarîm, traduction et notes Dr Salah Eddine Kechrid, édition Dar Algharb Al islâmî, p:8

24.↑ Il s’agit d’Al-bûsîrî dans sa fameuse Humaziyya. Le maître fait référence à ses poèmes à plusieurs reprises sans le citer.

25.↑ Voir le fameux Hadîth de Jibrîl (Gabriel), où Gabriel interroge le Prophète sur la religion en présence des compagnons, Gabriel est descendu exceptionnellement sous la forme humaine d’un compagnon qui était très beau qui s’appelle Dihyat Al-kalbî. (Ref. Les quarante Hadîth d’An-nawawî).

26. Il fait allusion à l’événement du « Ifk » : le mensonge à l’égard de ‘Âïsha : elle a été accusé à tort d’adultère par les hypocrites et le Coran l’a innocenté…On lui demanda alors de remercier le Prophète qui est venu lui annoncé la nouvelle, mais elle dit, je remercie plutôt Dieu car c’est Lui qui m’a innocenté. Beaucoup de soufis commentent cet événement en disant que ‘Âïsha était (baignaite) dans la station Al-ahadiyya (de la contemplation de Dieu l’unique) et n’a pas eu conscience des convenances à l’égard du Prophète. Al-harrâq ici s’abstient de tout commentaire (par pudeur et par scrupule). Ibn ‘atâ allah dit au sujet de cet événement : « lorsque Aïsha fut justifiée par la Révélation et que cette justification fut proclamée par la bouche de l’envoyé, Abû bakr dit à sa fille : « Remercie l’envoyé de Dieu ! » Elle répliqua : « Par Dieu, je ne remercierai que Dieu seul ! » En cette circonstance, Abû Bakr lui montrait la station la plus parfaite, celle de la subsistance (baqâ) qui permet d’être conscient des créatures. Dieu n’a-t-il pas dit : « Sois reconnaissant envers ton père et ta mère » ? (Coran XXXI, 13). L’envoyé de Dieu n’a-t-il pas déclaré : « N’est pas reconnaissant envers Dieu celui qui ne l’est pas envers les hommes » ? Mais, à ce moment, Aïsha était arrachée à la perception des objets extérieurs, inconsciente des créatures et ne voyait que l’Unique, le Triomphant. » Ref : Hikam : paroles de sagesse d’Ibn ‘Atâ-Illah al-Iskandarî, traduite de l’arabe par El-Hâj ‘Abd-ar-Rahmâne Buret 2éme épître p : 124

27. C’est Abû Bakr qui prend la parole juste après. Il fut sage et ferme pour confirmer que la mort « physique » peut toucher le prophète (paix et salut sur lui), qu’il fallait se tourner vers Dieu l’Eternel et rester fidèle à l’Islam. Al-harrâq ici considère que Omar avait aussi raison car finalement l’esprit et le message du Prophète (paix et salut sur lui) sont toujours vivants.

28. Il veut dire ici, que pour chaque station du tawhîd, il y a des voiles « lumineux » et des pièges : comme l’autosatisfaction (‘Ujb), ou le fait de se croire supérieur aux autres (al-kibr)…

29. C’est un Hadith qudsî qui commence par : « Allah exalté a dit : celui qui fait montre d’hostilité envers un de Mes Walis (saints ou amis de Dieu) je lui déclare la guerre.. » Hadith rapporté par al-Bukhârî.

30. L’allusion est faite ici au voyage ascensionnel du Prophète vers la présence et la vision divine effective : juste avant l’accès à cette vision réelle Gabriel dit au Prophète : « si tu continues tu perces (grâce à la prédisposition venant de Dieu), et si je continue je brûle.. »

31. Moïse (paix et salut sur lui) par exemple, n’a pu voir Dieu, et lors de sa rencontre avec Dieu, quand il demanda à Le voir, il s’effondra foudroyé. Dieu dit dans le Coran à ce propos : « Et lorsque Moïse vint à Notre rendez-vous et que son Seigneur lui parla, il dit : « Mon Seigneur ! Donne-moi la force de voir pour que je Te regarde ». Il dit : « Jamais tu ne Me verras ; mais regarde du côté de la montagne et si elle tient en place tu Me verras ». Et lorsque son Seigneur Se manifesta dans toute Sa splendeur à la montagne, Il la nivela avec le sol et Moïse s’effondra foudroyé… » Sourate 7, verset : 143.

32. L’allusion est faite aux versets de la Sourate de Marie : « C’est l’évocation de la miséricorde que ton Seigneur accorda à Son humble adorateur Zacharie. Lorsqu’il adressa à son Seigneur un appel discret. Il dit : « Seigneur ! Voilà que mes os se sont affaiblis et que ma tête s’est enflammée de cheveux blancs et, grâce aux invocations que je T’ai, Seigneur, toujours adressées, je n’ai jamais été un misérable (un malheureux) » » Sourate XIX versets : 2-4. « O Zacharie ! Nous t’annonçons la bonne nouvelle de la prochaine naissance d’un garçon du nom de Jean et Nous ne lui avons fait auparavant aucun homonyme » Sourate XIX versets : 7.

33. Le premier était un prophète des plus patients malgré les épreuves surhumaines qu’il avait subi, et le deuxième était un prophète roi (l’épreuve de la richesse et du pouvoir sur terre). Malgré cela, les deux personnages sont restés humbles et reconnaissants envers le Causateur. L’analogie est faite surtout entre le prophète Zacharie et Ibn Mashîsh car le premier a eu grâce à son appel (invocation) son enfant Jean (Yahyâ) bien qu’il eut dépassé l’âge d’enfanter …Ibn Mashîsh quand à lui a eu une progéniture spirituelle en la personne d’Abî Al-hasan Ash-shâdhilî qui fut d’ailleurs son unique disciple.

34. Coran Sourate IIX, verset 62.

35. Coran, Sourate 18 verset : 10 :c’est le récit des « sept dormants » qui seraient des princes Byzantins qui auraient fui les fausses croyances de leur peuple et se seraient réfugiés dans une caverne avec leur chien. Dieu les fit dormir trois cent neuf ans et obstrua l’entrée de la caverne pour les sauver des persécutions de leurs concitoyens. Trois siècles plus tard Dieu les réveilla de leur sommeil, et ayant envoyé l’un deux à la ville pour leur acheter des vivres, on s’aperçut à l’antiquité de leur monnaie qu’ils avaient quelque secret étrange. Quand ils vinrent à la caverne et qu’ils les virent bien vivants, Dieu leur retira alors leur âme et ils moururent aussitôt après. Dieu a voulu montrer ainsi aux sceptiques qui ne croyaient pas à la résurrection des corps mais seulement à celle des âmes qu’Il était absolument capable de faire revivre les uns aussi bien que les autres. Ref. Al-Kur’ân al-karîm, traduction et notes : Dr Salah Eddin Kechrid, édition Dar Al-gharb al-islâmî, p : 381. Ce récit prend dans le contexte soufi un sens mystique et métaphorique comme on le voit ici.

36. Titus Burckhardt, Hikam : paroles de sagesses, Arché Milano.

 

Bibliographie:

 •Dâwûd.Muhammad., Mukhtasar Târîkh Tittwân, Tétouan, 1953

•Même auteur, Târîkh Tittwân (1953)

•Edouard Moulet : Ernest Leroux Editeur : les confréries religieuses de l’Islam Marocain, Paris 1902

•Sidi Al ‘Arbi Addilâî (disciple du Sheikh Al-harrâq à l’époque à Rabat), Annûr Allâmi‘ Al Barrâq Fi Atta‘rîf bi Sheikh Al harrâq, Manuscrit numéro 44 à Tétouan ou numéro 960 à Rabat : c’est notre ouvrage de base. Il existe aussi un même ouvrage de 200 pages appelé « manâqib ashssharîf Abî ‘abdallah Muhammad Ibn Muhammad Al harrâq » du même auteur édité à Tunis en l’année 1331 et à Fès sans mention de date et à Rabat il porte le numéro 275

•Muhammad ben Ja‘far ben Idriss Al Kattâni, Salwat Al Anfass wa Muhâdathat Al Akyâs biman Uqbira mina Al ‘ulamâ wa Al Ssolahâ bi Fâs , volume 1 Tétouan Maroc (Manuscrit en Arabe ancien )

•Abdallah Mrir (Le Muqaddam de la confrérie à Tétouan), Anna‘ îm Almuqîm

•Tuhami Alwazzani, Azzâwiya

•Sidi Al ‘Arbi Addilâî, ManâqibAsh-sharîf Abi ‘AbdiAllah Muhammad ibn Muhammad Al-harrâq Al-‘Alamî Attitwanî, manuscrit numéro 275, Rabat

•Al-Tashawwuf Ilâ-Rijâl Al Tassawuf, Rabat, 1958

•Allouche IS. Et Regragui, Le catalogue des manuscrits arabes de Rabat (Paris 1954 et Rabat 1958)

•Al-sagir et Abdelmagid, Ishkâliyat islâh al-fikr al-sufi fi Al-qarawiyîn (Al-‘Abbas Ahmed Ibn Muhammad Almahdi Ibn ‘Ajiba et Muhammad Al-harrâq), 1994, édition AlBayda Dar Al-Afâq Aljadida Al-Maghrib

•Burckhardt T., Introduction aux doctrines ésotériques de l’Islam, Lyon 1955

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