jeudi 28 février 2013

Lettres d'un maître soufi - Le sheikh Al-'Arabi Ad-Darqâwî - Traduit par Titus Burckhardt - Lettre 43 - Dans la variété des traces et le changement des états j 'ai reconnu Ton intention à mon égard, celle de Te montrer à moi en toutes choses pour que je ne T'ignore en aucune chose.






 
 



Traduit par Titus Burckhardt
Lettre 43

 
 
 
La maladie qui afflige ton coeur est une des choses qui frappent les hommes aimés de Dieu car "parmi les hommes les plus durement éprouvés sont les Prophètes, puis les saints, puis ceux qui leur ressemblent de près et de loin" ~. Ne t'attriste donc pas, car cela arrive de préférence aux hommes de sincérité et d'amour, pour les faire progresser vers leur Seigneur. Par cette souffrance, leurs coeurs se purifient et se transforment en pure essence. S'il n'y avait pas ces rencontres avec la réalité, personne n'atteindrait la connaissance de Dieu, loin de là, car "s'il n y avait par les arènes
des âmes, les coureurs ne pourraient pas s'élancer", comme il est dit dans le Hikam de Ibn 'Atâï-Llâh. On y trouve également: "Dans la variété des traces et le changement des états j 'ai reconnu Ton intention à mon égard, celle de Te montrer à moi en toutes choses pour que je ne T'ignore en aucune chose." En ce même sens, les initiés ont dit: "C'est lors des renversements qu'on distingue les hommes des hommes . Dans le Coran il est dit: 'Les gens comptent-ils donc qu'ils soient laissés (en paix) parce qu'ils disent: nous croyons, et qu'ils ne soient pas éprouvés?" (XXIX, 1).

Ecoute également ce qu' on raconte de l'attitude de ceux qui connaissent Dieu: lorsqu'il fut dit à notre Seigneur 'Umar ben 'Abdul-'Azîz (que Dieu soit satisfait de lui): Que désires-tu?", il répondit: 'Ce que Dieu décidera''. L'illustre maître, notre seigneur 'Abd al-Qâdir al-Jîlànî dit à ce sujet:
 
'Ce n'est pas à moi, si l'épreuve me visite, de m'en détourner,

Ni, si la jouissance m'inonde, de m'y abandonner;

Car je ne suis pas de ceux qui se consolent de la perte d'une chose

Par une autre; je ne veux pas me passer du Tout."

Et l'illustre maître Ibn 'Atâi-Llâh dit dans ses Hikam: "Que la douleur de l'épreuve soit allégée pour toi par ta connaissance du fait que c'est Lui, exalté soit-Il qui t'éprouve".

Il n'y a pas de doute que pour les hommes de Dieu, leur meilleur moment est celui de leur détresse, car c'est par elle qu'ils augmentent, comme dit l'illustre maître Ibn 'Atâï-Llàh dans ses Hikam : "Le meilleur de tes moments est celui où tu es conscient de ta détresse et que tu es renvoyé à ta propre impuissance... Peut-être trouveras-tu dans la détresse des bienfaits que tu n'as pu trouver ni dans la prière ni dans le jeûne." La détresse  n'est autre chose que l'intensité du besoin. Or, le maître de notre maître, al-'Arabî Ibn 'Abd-AIlàh, appelait la détresse l' "incitation", parce qu'elle incite celui qu'elle frappe de progresser dans la voie de son Seigneur. Et notre propre maître (que Dieu soit satisfait de lui) disait "Si les gens savaient ce que le besoin comporte de secrets et de bienfaits, ils n'auraient besoin que d'avoir besoin." Et il disait également que la détresse tenait lieu du Nom suprême (de Dieu). Par contre, il considérait le pouvoir comme une limitation.


D'un autre côté, nous constatons que la connaissance de Dieu écarte de nous l'épreuve, comme elle en préserva d'autres que nous et notamment les Prophètes (sur eux la prière et la paix) et les saints. Dieu, exalté soit Il, dit dans le Coran: "Nous dîmes au feu: ô feu sois fraîcheur et protection sur Abraham. Ils ont voulu lui tendre un piège, mais nous les avons fait perdre, et nous l'avons sauvé, etc." (XXI, 69-71). Dieu dit également: "Et il est dit à ceux qui
craignent (Dieu): qu'est-ce que Dieu descendit? Ils répondirent: du bien" (XVI, 30); et cela bien que Dieu ne "descende" les grandes épreuves que sur eux, par amour et par attention pour eux, ainsi qu'il est dit dans le Coran sublime: "Combien de Prophètes furent tués, etc." (III, 145), et de même:
"Si vous avez été frappé d'une plaie, (sachez que) le peuple 'fut frappé d'une plaie semblable (avant vous)" (III,140) et ainsi de suite.

Cependant, leur connaissance de Dieu et leur absorption dans la contemplation de l'infinité de Son essence les rend indifférents au bien et au mal; ils ne contemplent que leur Seigneur; de même qu'ils Le contemplent dans la jouissance, ils Le contemplent dans la douleur, puisqu'Il est à la fois Celui qui fait jouir (al mun'im) et Celui
qui châtie (al-muntaqim); ou bien: de même qu'ils Le contemplent dans le don, ils Le contemplent dans la privation, comme le dit l'illustre maître Ibn 'Atâï-Llâh dans ses Hikam: "Quand Il te donne, Il te fait contempler Sa bonté, et quand Il te prive, Il te fait contempler Sa puissance victorieuse (qahr); Il est en tout cela Celui qui se fait connaître à toi et qui t'approche par Sa clémence (lutf)". En somme, Dieu est pour eux à la fois qualifié de majesté terrible (jaldi) et de bonté (jamâl); quant à l'épreuve, ils ne la connaissent pas, et elle ne les connaît pas, puisqu'elle ne frappe que ceux qui sont sous le voile et non pas ceux pour qui le voile a été retiré, car la cause de l'épreuve c'est l'existence du voile, et la perfection de la jouissance n'est autre chose que la vision de la Face de Dieu, le Généreux. Tout ce que les coeurs éprouvent de chagrin et de tristesse ne vient que de ce qu'ils sont retranchés de la vision essentielle, ainsi qu'il
est dit dans les Hikam de Ibn 'Atâï-Llâh.
 
1 Qawm en Soufisme on désigne par ce terme les initiés.

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