vendredi 21 février 2014

Jean Foucaud - Le Musulman Cheykh 'Abdu-l-Hedi al-Maghribi ‘Uqayli - II. Le Précurseur.


Cheykh 'Abdu-l-Hedi el Maghribi 'Uqayli au-dessus, à gauche
Le musulman suédois

John G. Aguelii

en Islam, Cheykh 'Abdu-l-Hedi

el Maghribi 'Uqayli

 

Jean FOUCAUD

Vers la Traditionn°77

(sept.- oct. - nov. 1999)


II. Le précurseur



 
Quand nous écrivons qu'Aguéli est un précurseur, on est en droit de se demander de qui … Dût la réponse faire sursauter les guénoniens « de stricte observance », (1) nous affirmerons, textes à l'appui, que le Cheykh 'Abdu-l-Hedi est non seulement le précurseur des Études Akbariennes (2) – ce qui est en soi un titre plus qu'honorable – mais encore le pionnier des Études Traditionnelles avant la lettre, et donc avant même René Guénon qui en sera le Maître par excellence. (3)

De même que l'on ne peut réduire Cheykh Mustafa à sa seule fonction de « Murshid », (4) on ne peut confiner Cheykh 'Abdu-l-Hedi dans le seul cadre islamique (nonobstant certaine présentation maladroite de sa personne dans la Gnose de décembre 1910 : « Il ne connaît que l'Islam... », etc.) ; il n'est pas seulement un linguiste hors du commun ; il a aussi une connaissance du Symbolisme universel qui préfigure celle de Guénon, et il maîtrise un certain nombre de données (voire de techniques) d'ordre cosmologique sur lesquelles s'appuiera Guénon en les réinsérant dans sa prodigieuse synthèse métaphysique de portée universelle, comme personne ne l'avait fait jusque là (voir infra). En effet, Aguéli n'a pas fait qu'« initier » Guénon : il lui a transmis des connaissances techniques dont on retrouve trace dans notamment Le Symbolisme de la Croix, Le Règne de la Quantité et les Signes des Temps, Aperçus sur l'Initiation et Initiation et Réalisation Spirituelle, avec allusions discrètes à son propre cas et à celui de son Transmetteur. Le lecteur avisé saura les retrouver. D'ailleurs, si Aguéli n'avait été qu'un « simple intermédiaire suscité pour René Guénon », comme on l'a écrit, nous ne lui accorderions pas autant d'importance ! On peut même, dans le cas d'Aguéli, parler sans exagérer de Réalisation au niveau des Petits Mystères (wa 'Llah a'lam), ce qui n'est pas si courant au Xxè siècle en Europe.

Aguéli est déjà, au simple point de vue religieux, au XIXè siècle, un précurseur : il fait partie des très rares Européens convertis avec Étienne Dinet – al-Haj Nasr-ed-Din [1861-1929] ; l'officier Jules Gervais-Courtellemont, alias Abd-Allah ben al-Bachir al-Haj [1863-1931] et l'original député du Doubs, le docteur Philippe Grenier [1865-1944 ; cf. L'Initiation de février 1897, p.178], sans oublier l'extravagante Isabelle Eberhardt [1877-1904] ; tous convertis à peu près à la même époque (entre 1890 et 1898), si l'on excepte un ancêtre de Titus Burckhardt [1908-1984], le Cheykh Ibrâhim, pèlerin à la Mecque en 1814... A partir de cette date, les conversions à l'Islam ne cesseront pas et même se précipiteront. (5) Les autres Européens plus ou moins connus se convertiront pour des raisons qui n'ont rien d' « ésotérique ». (6) Il s'agit généralement d'Allemands et d'Anglo-saxons. En tout cas, ils n'auront pas de postérité intellectuelle ni initiatique, au contraire d'Aguéli, Guénon, Michel Vâlsan. (7)

Le précurseur, du point de vue des traductions autorisées, dans un esprit traditionnel authentique et sous le contrôle d'un Maître, est bien Cheykh Abdu-l-Hedi. En effet, quelle crédibilité accorder à des profanes, généralement ni musulmans ni initiés, comme Nicholson, Nyberg, Blochet, Massignon et tutti quanti ? Au nom de quoi devrions-nous reconnaître une autorité à des chercheurs universitaires, généralement imbus du préjugé « occidentaliste » (plus par dépit et rancune « anti-orientale » que pour d'autres raisons), incapables d'admettre qu'il y a une perspective qui leur échappe, parce qu'elle n'est ni philosophique, ni littéraire, ni livresque ; en un mot : des gens non mandatés par quelque autorité traditionnelle que ce soit. (8)

Que comprennent à l'Islam (il ne suffit pas de connaître l'Arabe) des esprits occidentaux (et parfois désorientalisés, tel le pasteur Tartar), comme Louis Gardet, Caspar, Arnaldez... etc qui, trop souvent servent de machines de guerre contre la Tradition en général (y compris contre leur propre tradition – le Christianisme) et l'Islam en particulier ?

Que pensez de la Nième traduction du Qoran par Jacques Berque dont les préoccupations ont toujours été – pendant plus de 50 ans ! – étroitement sociologiques et exotériques ? Que peut bien saisir du sens caché des Écritures (qu'il s'agisse de l'Islam, des Évangiles ou autres...) un homme qui n'a jamais compris goutte à la Métaphysique ou à l'Initiation ? Crois-ton encore une fois qu'il suffit de lire le français pour comprendre Guénon ou de lire l'arabe pour comprendre le Qoran ? Il est temps d'en finir avec toutes ces prétentions.

Les traduction de Cheykh Abdu-l-Hedi ne sont peut-être pas irréprochables quant au vocabulaire (cf. VLT n°72, p. 52, n.36), mais au moins son inspiration (ilham), son orientation (tawajjuh) et son intention (niyya) sont authentiquement traditionnelles. Aussi, nous ne comprenons pas le dédain et les critiques injustes de Michel Chodkiewicz (par ailleurs très bon connaisseur d'Ibn Arabi) envers la traduction d'Aguéli du Traité de l'Unité et du Cadeau (cf. critique dans « Connaissance des Religions » – 1988, n° de juin-sept., vol. iv, p. 30 à 40), d'autant plus qu'il avait fort bien compris certains aspects de la fonction d'Aguéli (comme en témoigne la note 9, p.31 -C des R-) qu'il a dû oublier par la suite ! (8b) Aura-t-il la simplicité d'accepter notre point de vue, à savoir que sa traduction, non seulement ne nous semble pas meilleure, mais qu'elle manque du « souffle » initiatique et, disons-le, akbarien qui passe dans le texte restitué en français par Cheykh Abdu-l-Hedi ? On a vraiment l'impression que Michel Chodkiewicz ne sait pas du tout à qui il a affaire, bien qu'il prétende le contraire (il se serait fait traduire les passages du livre de Gauffin concernant le séjour d'Aguéli en Orient... – Espérons que la publication de notre traduction l'éclairera un peu, in châ'a Llah).

Il ne faut pas oublier qu'un précurseur est un homme seul ; il a d'autant plus de mérite et de droit à notre indulgence. Il est facile de nos jours après les œuvres magistrales de Guénon et Michel Vâlsan de critiquer rétroactivement. C'est d'ailleurs grâces aux travaux (et parfois erreurs) d'Aguéli que les deux Maîtres ci-dessus cités ont pu énoncer le point de vue traditionnel autorisé, voire définitif sur certaines questions relevant du Tasawwuf.

Pendant que nous y sommes, nous ajouterons ceci : à quoi servent les concessions faites aux « spécialistes » de l'Université pour obtenir leurs bonnes grâces et leur reconnaissance, quand on sait par ailleurs comment on refuse à Paris, lieu de Liberté, des thèses d'inspiration guénonienne ou vâlsanienne. (9) Il conviendrait au contraire que les universitaires aient l'honnêteté et l'humilité de se mettre à l'École des Maîtres orientaux. On voit assez ce que ce genre de « récupération » (= de l'Orient par l'Université) a donné avec des gens comme Eliade, dont Cioran a dit avec son impitoyable lucidité : « [les textes sacrés], il a beau les décrire et les commenter avec talent, il ne peut leur insuffler la vie ; il leur aura soutiré toute leur sève, il les aura comparés les uns aux autres, usés les uns contre les autres, pour leur plus grand dam ; et ce qui en reste, ce sont des symboles exsangues, dont le croyant n'a que faire si tant est qu'à ce stade de l'érudition, du désabusement et de l'ironie il puisse y avoir [encore] quelqu'un qui [y] croie véritablement. Nous sommes tous, Eliade en tête, des ci-devant croyants, nous sommes tous des esprits religieux sans religion. » (Exercices d'Admiration, Gallimard 1986, p. 131) Cioran se rendait-il compte que, ce faisant, il signait là sa propre condamnation ?! Pour lui comme pour Eliade, qu'il démonte aussi finement que cruellement, nous dirons qu'il y a des formes d'intelligence dissolvantes au lieu d'être édifiantes : elles s'illustrent avec talent, sinon avec bonheur, au sein de l'Université, repaire profane de l'Humanisme depuis le XVIè siècle (siècle appelé aussi sans vergogne par les Espagnols « siglo de oro », comme si les huit siècles de civilisations arabo-musulmane n'avaient été qu'obscurantisme!).

Ainsi, la plupart des thèses universitaires – agréées parce que conforme aux critères exclusifs en usage – ont le « don » d'enterrer, de fossiliser la Connaissance vivante dans cette sorte de musée archéologique que l'on appelle patrimoine de l'humanité. Pendant ce temps, les vraies connaissances et leur transmission (comme se définit le mot « Tradition » sans son sens originel que seul Guénon, au Xxè siècle, a su restituer) se perpétuent, à l'abri des laboratoires et autres stérilisateurs de la pensée traditionnelle, dans des lieux heureusement inaccessible à la curiosité des profanes.

Peut-on sans rire énumérer des listes de traducteurs d'Ibn Arabi, du XIXè au Xxè siècle (comme dans l'introduction au Sceau des Saints, Gallimard 1986) en les mettant sur le même plan que Cheykh Abdu-l-Hedi et Cheykh Mustafa ? Quelle fâcheuse concession à la mentalité moderne ! Quand on lit les six grandes pages rédigées en annexe de son livre à la demande d'Axel Gauffin par l'arabisant suédois Nyberg, on hésite entre l'hilarité et l'indignation : n'attribue-t-il pas au Cheykh al-Akbar (c'est-à-dire « le plus grand des Maîtres ») la croyance dans les « supersititions les plus grossières » (sic !) (10) On sent, une fois de plus, une tentative sournoise de minimiser l'importance de l'auteur (Ibn Arabi), de déformer la Vérité, de réduire l'Ésotérisme au mysticisme (c'est tellement plus facile !), voire de christianiser le Tasawwuf (comme l'ont déjà tenté Asin Palacios, Massignon... etc). On a nettement l'impression que l'Occidental (ou pire encore, l'Oriental occidentalisé, qui a double moyen d'en imposer) est incapable d'admettre l'Évidence (ce qui est la définition même du « péché contre l'Esprit » qui, dit-on, ne sera pardonné ni en ce monde ni dans l'autre). Alors, que l'on ne nous cite plus de sommités titulaires de ces chaires d'obscurantisme que sont parfois les universités ! Cet argument d'autorité a vécu ! Car nous persistons naïvement à croire qu'une vérité (pour être universelle) ne peut être portée par une vision scientiste des choses exclusivement profane. Comme nous le disions en supra, l'université est incapable d'intégrer le point de vue initiatique : son champ est trop réducteur parce qu'exclusivement mental et « mentaliste ». (11)

Aguéli PRÉCURSEUR ? A ce propos, il nous faut signaler que les écrits d'Aguéli (lettres, articles, traductions... etc) sont à peu près incompréhensibles si l'on n'a pas lu et compris préalablement René Guénon... et Michel Vâlsan, qui lui sont pourtant postérieurs ! Inversement, on retrouve bien des thèmes – jusque dans le lexique technique même – dans l'œuvre de Guénon qui ne peuvent provenir que de Cheykh Abdu-l-Hedi. C'est à cette continuité que nous faisons allusion (cf. VLT n°72) et comme ce n'est pas une vue de l'esprit, il nous suffira de prendre quelques exemples référencés, aisément vérifiables par tous lecteur.


1° Thèmes :    


Par exemple « la manipulation des courants mentaux », technique à laquelle fait allusion René Guénon dans Orient et Occident (Vega, éd. De 1964, 2è partie, chap. 3, p. 184).

Si l'on se réfère à Axel Gauffin, on trouve un programme détaillé que, vu sa longueur, nous sommes obligés de renvoyer en annexe du présent article. Ce document remarquable (et malheureusement inconnu jusqu'à ce jour) montre la science précise d'Aguéli en ce domaine : près de 20 ans plus tard, au Caire, Nyberg notera l'influence toujours agissante des idées traditionnelles énoncées par Cheykh Abdu-l-Hedi et l'équipe d'Il-Convito.    


2° Les Études Akbariennes :     


Il s'agit, comme on le sait déjà, de traductions, notes, commentaires (en arabe, italien, français) que nous aborderons plus tard dans un autre point de notre introduction sur Aguéli (« Le lecteur, le linguiste, l'écrivain, le traducteur »).

   

3° Le lexique technique :    


Créé par Aguéli, il sera repris (et parfois amélioré) par René Guénon et Michel Vâlsan. Un exemple inédit et frappant concerne l'explication d'un concept énigmatique inconnu, employé pour la première fois par Ibn Arabi (et donc sans doute forgé par lui), à savoir le terme « composé » : « fahwâniya. » Cheykh Mustafa le signale dans une note des Études Traditionnelles (n° mars-avril 1961, p.89), texte repris dans le recueil posthume Le Livre de l'Extinction dans la Contemplation, où l'éditeur omet de signaler que Cheykh Mustafa l'a aussi expliqué dans sa traduction de la Prière sur le Prophète, opportunément publiée à l'occasion de sa disparition (Études Traditionnelles, n° novembre-décembre 1974, p.242).

Or, plus de 50 ans auparavant, Cheykh Abdu-l-Hedi (Il-Convito, 1907, p.58), dans une étude de vocabulaire soufi subséquente à sa traduction du Progredire verso il Re dei Re (de Qasam ben Silah-ed-Din al Khani ; [1028-1109 h./1619-1697]) relève ce terme : « fahwâniyah » – qu'il écrit d'ailleurs « fa-hû-wâniyah » pour certaines raisons qui relèvent du procédé dit « nirukta » – dont il donne une définition précise, et nous semble-t-il satisfaisante, que l'on retrouve presque mot pour mot chez Cheykh Mustafa (qui en avait peut-être pris connaissance), dans la revue Études Traditionnelles citée supra, à savoir : « E una parola che Iddio rivolge all'uomo nei combattimenti spirituali nel mondo delle imagini primordiali », c'est-à-dire : « C'est une parole qu'Allah adresse à l'homme lors de sa lutte spirituelle dans le monde des Modèles primordiaux ». Comparons avec la définition de Cheikh Mustafa (Études Traditionnelles, 1974, p. 245) : « La Fahwâniyah au sens propre, employé par Muhyi-d-Din Ibn Arabi dans les Futûhat, se rapporte à la parole divine adressée de façon directe [à l'homme] dans les mondes des Modèles ('Alamu-l-mithâl) » (12). [Rectificanda paru dans VLT n°79 : Comme nous l'a fait remarquer avec raison un honorable lecteur, il y a un lapsus (pas du tout calamiteux) à propos de la fahwâniya : les définitions d'Aguéli – comme celles de Michel Vâlsan – sont, bien sûr, traduites du texte d'Ibn 'Arabi. Cela va sans dire, mai cela va encore mieux en le disant.]

On mesurera par là la connaissance approfondie de Cheikh Abdu-l-Hedi des œuvres d'Ibn Arabi et de son lexique, et on nous concédera, au moins sur ce point (mais il y en a bien d'autres) son rôle de précurseur quant à l'exégèse akbarienne.

4° Poursuivons avec le lexique technique, en Français cette fois, repris par René Guénon et Michel Vâlsan, notamment la remarquable formule de l' « Identité Suprême » (dont, en passant, on ne comprend pas qu'elle ait été remise en cause dans l'ouvrage Les 7 Étendards du Califat, chap. 3 – mais il faudrait une autre occasion pour aborder ce point délicat).

Aguéli, dans les pages dédiées à Mercure (La Gnose, J.F. 1911) emploie pour la première fois ce terme (« l'Identité Suprême / Wahdatu-l-Wujud = l'Identité de l'Existence »), que l'on retrouve encore à trois reprises au moins, respectivement dans les Pages dédiées au Soleil et dans le long article L'Universalité en Islam, où il écrit : « Les Musulmans disent : Et-Tawhidu wâhidun, ce qui signifie... la Doctrine de l'Identité Suprême ».

Ce concept sera constamment repris et en quelque sorte « consacré » par René Guénon et Michel Vâlsan.  [Rectificanda paru dans VLT n°79 : « Pour prévenir contre d'anciennes ou nouvelles confusions, nous rappelons fermement que quand Cheykh 'Abdu-l-Hedi a parlé d'Identité Suprême, il a toujours eu en vue – à l'exclusion de tout autre terme arabe – les concepts de tahwid/wahdatu-l-wujud, et dans le seul contexte islamique. Enfin, nous mettons au défi quiconque de trouver chez 'Abdu-l-Hedi une référence où il utiliserait le terme d'ittihad (= Yoga = Union) pour désigner l'Identité Suprême (ou inversement, traduirait ittihad par Identité Suprême, confusion déjà dénoncée par Ibn 'Arabi). De toute façon, même si la chose se produisait, elle ne pourrait troubler que ceux qui n'auraient pas bien assimilé l'enseignement de Michel Vâlsan et René Guénon. »]

Qu'il ait été créé pour la langue française par un Suédois venant de passer 7 ans en Égypte à écrire et traduire de l'arabe et de l'italien est tout de même quelque chose de peu ordinaire. Or Cheikh Mustafa, sans énoncer le terme de « précurseur » que nous revendiquons à l'égard de Cheikh Abdu-l-Hedi, en suggère évidemment l'idée en écrivant à propos de l'œuvre entreprise dans la revue Al-Nadi=Il-Convito et la Société Akbariya (citant nommément Cheikh Elish el-Kebir et Abdu-l-Hedi) : « Les lecteurs de René Guénon y reconnaîtrons facilement certaines thèses fondamentales de son œuvre qui apparaîtra […] comme le développement d'une idée providentielle » ; et plus loin il ajoute : « L'idée traditionnelle telle qu'on la connaît de nos jours en Occident à la suite de l'œuvre de René Guénon, a ainsi historiquement une sûre origine islamique et akbarienne » (13) (Études Traditionnelles n° janvier-février 1953, « L'Islam et la Fonction de René Guénon », pp. 32-33.    

5° Dans sa traduction de l'épître intitulée Le Cadeau (La Gnose, janvier février 1911, p. 21, n. 5) Aguéli dresse un tableau de correspondances de notions métaphysiques dont il crée en français les mots-clés, ainsi :     

Exaltation / Ampleur    

Hauteur / Largeur... etc, dont le Cheikh Mustafa reprendra, sans rien y changer, la précieuse liste dans son article sur les « Références islamiques du Symbolisme de la Croix [de René Guénon] », ajoutant cette précision que, à ces notions-clés correspondent les termes arabes « tûl (longueur) » et « 'ard (largeur) », « ce qui fait penser qu'Abdu-l-Hedi avait lui-même en vue les termes techniques arabes dont nous parlons maintenant ». Cet hommage tardif rendu à Aguéli confirme bien le titre de Précurseur que nous employons à son égard. Nous disons « tardif », car René Guénon, dans son Symbolisme de la Croix avait lui aussi repris ces termes d'Ampleur et d'Exaltation, mais sans citer leur « inventeur ».

6° Nous pourrions ajouter à l'appui de notre thèse les termes de Mystères « dominicaux » (asrâr rabbâniya) distinguer du terme « seigneuriaux » (rubûbiya)... etc, et dans un autre ordre d'idée, la fondation d'une « Organisation purement intellectuelle », préfigurant l' « Entente intellectuelle entre les peuples » de René Guénon dans les années 1925/26 ; le projet imminent de construction d'une Mosquée à Paris... etc, etc.

Enfin, point que nous traiterons à part, il y aurait bien des choses à dire sur la filiation mystérieuse de Dante jusqu'à René Guénon en passant par Aguéli, précurseur à double titre...

Jean FOUCAUD     (à suivre)    


NOTES


1.    Michel Vâlsan nous disait il y a plus de 25 ans : « Être guénonien de nos jours, cela ne veut plus rien dire ! » - dans le contexte, cela signifiait que les « guénoniens » qui ne se sont pas engagés dans une Voie traditionnelle initiatique sont pour la plupart condamnés à la paraphrase et au psittacisme, quand ce ne sont pas tout simplement des « caractériels » comme nous le disait aimablement un jour le directeur des Cahiers de l'Herne, à son stand du Salon du Livre, stigmatisant par là certains « guénonisme » mondain, jeu où excellent nombre de pseudo-intellectuels de salon qui ont leur « période guénonienne » quand c'est – ou c'était – la mode.

2.    Cheykh Mustafa en étant le Maître sinon incontesté du moins incontestable pour les gens de bonne foi (homini bonae voluntatis).

3.    Malgré toute l'importance de l'œuvre et de la fonction d'Aguéli, nous ne pouvons lui reconnaître le critère d'infaillibilité qui est attaché à René Guénon pour tout ce qui est métaphysique, Initiatique, Ésotérique et Traditionnel en général ; les deux ouvrages sur l'Initiation sont uniques au monde et ne se trouvent dans aucune religion ou tradition. Ces livres font penser à un Testament de Cheykh Abdel-Wahid Yahya ; notons d'ailleurs que le 2ème volume est un ouvrage posthume. A ce sujet, Cheykh Mustafa a parlé d'une Charte de la Tariqa (shadhiliya).

4.    Il a une fonction doctrinale complémentaire – et parfois distincte – de celle de Guénon, dont il faudra un jour tenir compte. Nous espérons développer bientôt ce thème par des données inédites, complétant le point abordé par Charles-André Gilis (cf. VLT n°74).

5.    Toutes les enquêtes sur les Musulmans de France sont fort hésitantes sur le nombre de Français de souche convertis... Quelle étrange pudeur ! Quant aux Bouddhistes convertis, on les chiffre d'une semaine à l'autre de 200.000 à 700.000 sans voir l'illogisme et l'impossibilité d'un tel chiffre : les Européens font peu d'enfants et les moines bouddhistes, à notre connaissance, n'en font pas aussi gaillardement !

6.    Cf. le cas du co-directeur d'Il-Convito, Enrico Insabato qui simulait un Islam de façade pour mieux espionner et infiltrer les tribus senoussies. (cf. L'Islam et la Politique des Alliés, Paris : Berger-Levraut, 1920, p. 194, où il s'affirme catholique, dût son défunt collaborateur Aguéli se retourner dans sa tombe !). Aguéli, subodorant la trahison de cet « agent double », ne le lui pardonnera jamais (cf. Gauffin, t. II pp. 146, 148, 155... etc.)

7.    Aguéli (op. Cité, t. II, p. 134) cite comme pratiquants secrets de l'Islam les deux arabisants Van den Berg et Nallino (?).

8.    D'où les difficultés d'un Georges Vallin à traiter de « Métaphysique », faute de recourir aux deux notions-clés de «

Tradition » et « d'Initiation », exclues des axiomes universitaires (La Perspective métaphysique, Dervy, 1977).

8b. quand on pense que la meilleure traduction inédite du Traité de l'Unité – de Michel   Vâlsan, évidemment – dort encore dans ses tiroirs !

9.    Rappelons que l'Université française s'est déshonorée autrefois en refusant la thèse de René Guénon (Introduction Générale à l'Étude des Doctrines Hindoues) par le veto du doyen Sébastien Brunot. – Par contre, à l'époque actuelle, il arrive qu'une thèse passe à travers le mur des préjugés universitaires, comme celle de Patrick Geay (Hermès trahi), il est vrai soutenue à Dijon, loin des intrigues du microcosme parisien. A part cette honorable exception le terrorisme anti-intellectuel ne sévit-il pas toujours dans la Ville-Lumière, « Phare de l'Humanité » ?

N.B. N'est-il pas étrange que la disparition d'un hindouisant comme Alain Daniélou [1907-1994] soit passée à peu près inaperçue des instances universitaires de notre pays ? Sans doute n'était-il pas assez courtisan !

10. Nous nous proposons de publier bientôt cet addendum dans un prochain numéro de Vers la Tradition.

11. Ne voulant pas être injuste ni accusé de persiflage gratuit (mais l'Université prend-elle toujours des gants ?), nous reconnaissons volontiers deux qualités éminentes à la recherche universitaire :

1°) le sérieux dans la documentation et la référenciation (comme le disait à peu près René Guénon : ils nous dispensent de ce travail fastidieux que nous replaçons ensuite dans une perspective traditionnelle).

2°) la rigueur et la méthode dans l'exposé, qualités qui font souvent, hélas, défaut aux Orientaux au style trop « fleuri » et aux développements trop désordonnés, voire anarchiques !

12. Le terme entre crochet est ajouté par nous, car il semble manquer dans le texte des Études Traditionnelles n°446.


13. Les italiques sont de esprit-universel.overblog.com


Note : Nous avons tenu compte des : Rectificanda (V.L.T. N°77), Vers la Tradition, n°79, Mars – Avril – Mai 2000.

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