Titus Burckhardt
Lettre 46
Dieu
(exalté soit-Il) me combla au début de ma voie et dans mon adolescence -
j'étais alors à Fès, en l'an onze cent quatre-vingt-deux
-, de sorte que je ne visse en moi-même, dans tout être et en toutes choses,
que Dieu seul (exalté soit-Il);
en la "vision" même de Dieu je voyais le Prophète (que Dieu prie sur
lui et lui donne la paix), ou en la "vision"
même du Prophète je voyais Dieu (exalté soit-Il). Par cette contemplation,
j'étais continuellement ivre et continuellement
sobre.
En certains moments, cette ivresse et cette sobriété étaient si intenses
que ma peau se déchirait presque
et que ma personne en fût anéantie, mais mon Seigneur me donna une force que je
n'avais jamais connue et dont
je n'avais jamais entendu parler, en mettant ma force dans ma faiblesse, ma
chaleur dans ma froideur, ma gloire
dans
mon humiliation, ma richesse dans mon indigence, ma puissance dans mon
impuissance, mon aise dans mon étroitesse,
ma dilatation dans mon resserrement, mon aide dans ma défaite, mon existence
dans ma non-existence, mon
élévation dans mon abaissement, mon atteinte (du but) dans mon retranchement
(de lui), ma proximité (de Dieu) dans
mon éloignement (de Lui), mon intimité (avec Lui) dans mon rejet, mon salut
dans ma corruption, mon gaindans ma perte, mon ascension dans mon abîmation, et ainsi de suite, et c'est pour cette raison que mes pas suivirent sûrement la voie jusqu'à pouvoir vivre en ce temps difficile, sans ami, je veux dire sans maître spirituel, car il n'y a pas de doute qu'en ce temps-ci les vertus sont devenues rares, tandis que le mal abonde.
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