jeudi 28 mars 2013

Lettres d'un maître soufi - Le sheikh Al-'Arabi Ad-Darqâwî - Traduit par Titus Burckhardt - Lettre 51 -" Accomplissez l'oraison, donnez l'aumône et tenez-vous fermement à Dieu, c'est Lui votre Patron, et béni soit ce Patron et ce Protecteur! " -








Traduit par Titus Burckhardt
Lettre 51




J'accomplissais un matin la prière de l'aube auprès du tombeau du saint Ahmed ben Yusûf (que Dieu nous fasse profiter de lui) tout en craignant que les gens de l'endroit ne fassent du mal aux "pauvres" (foqara), chez qui prédominait alors un état d'expansion (bast) spirituelle, tandis que le monde, à cette époque, était plongé dans l'indifférence à l'égard de Dieu et dans l'injustice; rares étaient les hommes qui défendaient la cause de Dieu. Or voici qu'un des "pauvres" accourut apeuré, sans doute pour me dire que ce que je craignais venait d'arriver. Il me rejoignit au moment même où je récitais ces paroles: "Accomplissez l'oraison, donnez l'aumône et tenez-vous fermement à Dieu, c'est Lui votre patron, et béni soit ce patron et ce protecteur!" (Coran, XXII, 78). Alors toute la peur qui m'avait envahi me quitta et fit place à l'espoir et à une grande certitude. Je dis donc à ce "pauvre" (avant qu'il ne me parlât): "Ce coup a passé à côté; il n'y aura pas de mal sur nous. Toutefois, raconte-moi ce qui est arrivé". Sur quoi il me fit savoir que les gens du village s'étaient concertés pour écrire une lettre dans laquelle ils accuseraient nos frères les "pauvres" (que Dieu ait compassion d'eux et de nous-mêmes) d'actes détestables; cette lettre devait être envoyée au gouverneur de la région et par lui au sultan même, qui à l'heure était Muhammad ben 'Abd-Allâh ben Ismâ'il al- Hassanî al-'Alâwî (que Dieu lui soit miséricordieux). Cette nouvelle ne me troubla pas, je restai tranquille et m'apaisai en attendant le lever du jour lorsqu'un autre "pauvre" arriva plus apeuré que le premier, car il avait quitté les gens fermement décidés à exécuter leur dessein. Il s'en plaignait à moi et me dit: "Voilà que les gens sont en train de commettre une grande injustice à l'égard de leurs prochains, et toi tu ne fais rien pour nous". A quoi je lui répondis: "Que veux tu que je fasse? Veux-tu que je retourne votre village sens dessus dessous?"

En disant cela, je fis de la main le geste de renverser quelque chose.

Et voici qu'un homme accourut du village, envoyé par ses habitants
qui tout à l'heure voulaient encore nous faire du tort. Il me dit qu'un messager avait été expédié de la part du pacha 'Abd-aç-Çadiq ar-Rîfi de Tanger vers le gouverneur Ahmed ben Nâcir aI'Ayyâshi à Taza avec une charge de dix quintaux de biens appartenant au sultan mentionné ci-dessus et une somme de soixante-dix mithqâl sur lui; or ce messager avait été attaqué et blessé près du village de sorte que le sang colorait son vêtement, et la charge de biens du sultan ainsi que les biens appartenant au messager avaient disparus. Et celui-ci déclara: "C'est vous qui m'avez fait ce mal car sans votre complicité on n'aurait pas pu me prendre". En entendant cela, les habitants du village pâlirent de peur. J'allai donc vers eux et je les trouvai dans cet état sinon pire. Et nous remerciâmes Dieu de nous avoir sauvés de leur méchanceté et de leur ruse. Salut.

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