Grande Mosquée de Touba
Enseignant
l’islamologie à l’Université de Strasbourg et dans d’autres institutions il est
un spécialiste académique du soufisme. Eric Geoffroy travaille aussi sur les
enjeux de la spiritualité dans le monde contemporain et la mystique comparée.
C’est dans les coulisses d’un colloque «diversité et cohésion dans un monde
globalisé» organisé à Dakar par le mouvement Gulen, que l’universitaire
français a bien voulu revenir sur la situation du Mali, son étrange
reconversion à l’Islam, de la percée de la spiritualité en Europe et de ses
connaissances de l’œuvre de Cheikh Ahmadou Bamba
Comment analysez-vous la situation au Mali
en tant qu’islamologue ?
Ecoutez. Ce qui se passe au Mali actuellement est tout
simplement horrible. Et cela n’a rien à voir avec l’Islam. Au moment où des
universitaires et penseurs musulmans de divers horizons se battent de toutes
leurs idées pour montrer à la face du monde que l’Islam est une religion de
tolérance et d’ouverture, des supposés «Jihadistes» viennent encore ternir
l’image que le prophète Mohamed, PsL, s’est donné tant de mal à construire et
propager. S’ils sont encore de vrais musulmans, comme ils le prétendent, il est
temps que ces gens sachent qu’ils contribuent plus à accroître l’«islamophobie»
qu’à agrandir la Ummah.
Justement en parlant d’ «islamophobie», ne
pensez-vous pas que la main de l’Occident est derrière ces attentats pour
combattre l’Islam ?
C’est vrai que la «théorie du complot» a été souvent
avancée par différents penseurs. Mais personnellement, je n’y crois pas. Du
moins pour ce qui de la responsabilité de la France, qui est mon pays
d’origine. Parce que tout simplement la France est tenue par la majeure partie
des pays du continent africain dont le Mali et les pays du Maghreb. La France
n’a aucun intérêt à semer l’anarchie dans des territoires où elle a été
présente, en tant que colonie. Elle est liée à ses anciennes colonies par la
culture et l’histoire. Avec le régime de Sarkozy, on pouvait, peut-être,
s’attendre à de tels agissements. Mais avec François Hollande, je ne pense pas.
Bon maintenant c’est vrai que l’Occident va au-delà des cieux français, Mais
j’ai bonne opinion que le mal ne vient pas de ces dirigeants occidentaux que
leur cupidité pousse parfois à certains extrêmes. Le mal réside dans une
certaine conception exclusiviste et fermée que certains groupes de croyants ont
de l’Islam.
Vous avez évoqué tout à l’heure la percée
de plus en plus de la pensée soufie dans la société occidentale. Comment
expliquez-vous cela ?
Aujourd’hui, nous assistons à la fin d’un monde, la fin
d’un cycle comme l’avait annoncé le prophète dans ses «Hadiths» (enseignements
du prophète Mohamed). Ce cycle avait commencé entre le XVIe et le XVIIe siècle
avec le mercantilisme et le matérialisme comme principales sources de vie. Le
développement des sciences et techniques a poussé les différentes générations
qui ont vécu et passé pendant cette période, ce cycle, à sortir de l’humain.
Mais à la fin de chaque cycle, il y a comme une prise de conscience
quasi-collective de l’humanité. Les hommes ont tendance à identifier leurs
limites. Il y a une réelle crise morale, dans les sociétés occidentales, qui
favorise la désorientation des individus. Et dans ce cas, ils ont plus besoin
d’une source métaphysique pour répondre à leurs différents questionnements.
Parce que justement, après les phénomènes scientifiques, nous voulons connaître
l’Absolu ; après les conditions d’existences nous aspirons toujours la raison
d’être de l’existence. La métaphysique serait donc la détermination de cet
Absolu et la découverte de cette raison comme le soulignait un célèbre auteur
français. Alors c’est vrai qu’aujourd’hui en Europe où je vis et enseigne, les
gens se tournent de plus en plus vers la pensée soufie pour trouver des
réponses liées à leur existence et leur devenir. Ce n’est pas une révolution,
c’est simplement le début d’un nouveau cycle pour l’humanité. En France plus précisément
la pensée soufie se propage et s’impose de plus en plus du fait que les hommes
sont de plus en plus tournés vers la spiritualité pour combler les limites de
la raison humaine.
Songez-vous à vous convertir à l’Islam en
tant que Islamologue et universitaire ?
Mais c’est déjà fait. J’ai embrassé cette merveilleuse
religion depuis 1984.
Sont-ce vos études en langue arabe qui
vous ont poussé à vous convertir ?
En partie peut-être. Mais l’élément détonateur a été
plutôt ma maladie. Dans les années 80, j’ai souffert d’une longue maladie
intestinale. C’est dans cette épreuve que j’ai trouvée certaines réponses liées
à ma quête spirituelle. C’est donc par la porte de la maladie que j’ai embrassé
l’Islam.
Quelle était votre précédente obédience
religieuse avant l’Islam ?
Moi je suis né dans une famille catholique. Donc
naturellement j’étais un Chrétien pendant une bonne partie de ma vie. Mais j’ai
constaté que le catholicisme ne répondait pas aux questions les plus
essentielles liées mon être. C’est alors que je suis partie à la recherche de
ces réponses. J’ai embrassé par la suite le Bouddhisme et puis je me suis
intéressé à la voie initiatique de Shadhiliyya, qui a eu un fort impact
jusqu’en Occident contemporain. C’est principalement durant cette période que
j’ai découvert l’essence de mon être.
Qu’avez-vous vu, entendu ou perçu durant
votre «maladie» qui vous a convaincu ?
C’est quelque chose que de simples mots ne suffiraient,
malheureusement, pas à transcrire. Hélas, c’est l’éternel problème auquel la
spiritualité ou les adeptes de la spiritualité sont confrontés. C’est de ne
pouvoir livrer tous les secrets de leur science. Croyez-en en mon expérience,
c’est très difficile de trouver les mots adéquats pour expliquer les réalités
que l’on vit à l’intérieur de soi.
Quels sont les penseurs soufis qui vous
ont le plus influencés dans vos écrits ?
J’ai beaucoup lu Mouyid Ibn Arabi, j’ai aussi lu
Ghazali et bien d’autres grands soufis musulmans. Mais j’ai surtout pratiqué,
étudié et enseigné la pensée du soufi marocain Chadili.
Avez-vous une fois eu à pratiquer un soufi
sénégalais ?
Je connais Cheikh Ahmadou Bamba, surtout à travers sa
philosophie et son culte du travail. Je cite certains de ses écrits dans mes
conférences et autres prestations. Maintenant je ne suis pas forcément un
spécialiste de Cheikh Ahmadou Bamba. Je crois savoir qu’il a énormément écrit
sur la spiritualité, que son œuvre est inépuisable en ce sens. D’ailleurs la
semaine prochaine (ndlr : cette semaine. L’entretien a eu lieu samedi dernier)
je dois me rendre à Touba pour en savoir un peu plus sur son œuvre.
En tant qu’universitaire, islamologue et
pratiquant de la spiritualité, si vous devez définir Dieu en un petit mot, quel
serait ce mot ?
Paradoxal.
Et pourquoi Paradoxal ?
D’abord par un Hadith du Prophète, PSL. Je cite : «Oh
Seigneur je cherche refuge en Vous et contre Vous» fin de citation. Ensuite
parce qu’après tant d’années passées à boire dans cette source de la Science
divine, personne ne peut se glorifier d’avoir la certitude absolue de la vérité
tant cette source est sans fond. Demain à l’heure des comptes, chacun est
susceptible de céder aux subtilités de la Science de Dieu.
Par Ayo FAYE
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