Article Nécrologique que publia Louis Cattiaux dans la
revue poétique de Théophile Briant Le Goéland, en 1951.
J’ai connu tardivement René Guénon, par l’intermédiaire
de James Chauvet qui lui ayant parlé de mon livre Le Message Retrouvé, me
conseilla de le lui envoyer. René Guénon étonné d’abord, puis intéressé de
trouver en Occident un rameau de la tradition primordiale qu’il croyait tout à
fait disparue ici, voulut bien faire paraître un compte rendu assez élogieux
dans la revue les Etudes Traditionnelles, contrairement à son habitude qui
consistait à démolir ces sortes d’ouvrages. Une correspondance s’établit alors
librement, basée sur une estime réciproque, et sur un jugement concordant en ce
qui concerne la profanation envahissante du monde moderne, et l’obscurcissement
parallèle de la révélation primordiale.
René Guénon avait exceptionnellement accepté de
m’écrire une introduction pour mon ouvrage ce qui aurait heureusement complété
la belle préface écrite par Lanza del Vasto, mais la mort apparente est venue
contrarier ce projet ; et je n’ai pu obtenir aucune nouvelle de Gizeh où il
repose sous le croissant lumineux, si bien servi dans son oeuvre. C’est en
effet avec un véritable esprit de lumière qu’il a débrouillé le chaos des
révélations, des initiations, des rites et des symboles étrangement mêles, et qu’il
s’est approché de cette source de vie qu’est la Tradition primordiale, héritage
méconnu, mais très précieux de l’humanité obscurcie par la chute.
Il a véritablement préparé les voies du Seigneur en
rappelant la transcendance universelle de la révélation divine, et en dénonçant
sans jamais faiblir les deux perversions de la Science de Dieu, c’est-à-dire
l’occultisme ténébreux, et d’autre part la science profane, qui submergent le
monde actuel. Il ne faut pas s’étonner dans ces conditions si son oeuvre a été
systématiquement passée sous silence, pendant 40 ans par les profanes ainsi
dénoncés comme tels ; leurs titres de Savants, de Philosophes, d’initiés, de
littérateurs étant pour René Guénon tout le contraire d’une qualification pour
l’approche de la vérité Une. Mais l’oeuvre d’épuration, l’oeuvre d’ordonnance,
l’oeuvre de restitution demeure plus claire que jamais, et le nombre de ceux
qui s’en nourrissent augmente chaque jour, alors que le nombre des obscurs
plumitifs qui pensent l’enterrer diminue aussi rapidement. Ce sera un
étonnement considérable pour ceux qui découvriront dans l'avenir l'oeuvre
prophétique de René Guénon, mais ce sera aussi pour ceux-là un étonnement
encore plus considérable que la découverte de l’ignorance, de la mauvaise foi des
gens actuellement en place qui ne reçoivent pas un tel message. Notre époque
n’a pas lieu d’être fière de cette soi-disant élite dont les pensées et
l’action délirantes aboutissent au chaos inextricable qui menace la planète.
René Guénon le dénonce et il le vomit avec ses oeuvres sataniques, comme on
recrache le poison et bientôt des milliers de gens avertis vont les vomir
également, puis des centaines de mille, puis des millions car les peuples
commencent à gronder sourdement contre elles, et leurs slogans abrutissants
provoquent les sarcasmes des plus intelligents, et la colère des autres.
Dans un temps où la multitude des super-tordus de
l’intelligence nous explique tout, nous embrouille tout, et ne nous donne rien,
il est réconfortant de rencontrer un honnête homme qui s’est efforcé toute sa
vie à dégager le coeur de la révélation divine des immondices qui la recouvrent
de toutes parts.
René Guenon n’est pas mort et son oeuvre vient
seulement au monde, malgré l’extraordinaire pudeur qu’il a toujours manifestée
pour tout ce qui concernait la divulgation de sa personnalité, je ne pense pas
à présent trahir sa pensée en le laissant s’exprimer à travers quelques
extraits de ses lettres dans ce journal ami. Ayant constamment éclairé la
source de la vie révélée, il est juste et convenable que la vie l’éclaire à
présent de sa douce et véridique lumière.
Louis Cattiaux
Janvier 1948
Ce que vous me dites à propos des Evangiles n’est
malheureusement que trop vrai. La plupart des Chrétiens actuels semblent avoir
le parti pris de n’y rien voir d’autre que des platitudes morales et sociales.
Décembre 1948
Je ne dis jamais
que ce que je pense réellement, et je suis trop souvent obligé de dire plus de
mal que de bien des ouvrages dont j’ai à parler; aussi ne suis-je que trop
heureux quand il s’en trouve un qui fait exception, comme cela a été le cas
pour le vôtre.
Octobre 1949
Pour ce qui est des critiques d’art, religieux ou
autres, je ne crois pas, hélas ! qu’il y ait grand-chose à faire pour venir à
bout de l’incompréhension dont ils font preuve, sauf de bien rares exceptions.
Il n’est que trop vrai aussi que la majorité des chrétiens actuels limitent
leur horizon au point de vue qu’on désigne du nom barbare d’« historicisme » ;
quant à la doctrine, il est évident que cela ne les intéresse en aucune façon.
J'ai souvent remarqué que, quand certains parlent de la transcendance du
Christianisme, ce qu'ils entendent par là est justement la négation de toute
véritable transcendance, je veux dire de toute signification profonde; je me
demande ce qu'il pourrait bien y avoir de transcendant dans les banalités
morales et sociales où ils se complaisent exclusivement! La vérité est que
l'esprit moderne s'infiltre de plus en plus partout, même dans ce qui devrait
lui être le plus radicalement opposé; un exemple vraiment effrayant c'est cette
réorganisation des ordres religieux dont on parle actuellement et qui, en fait,
équivaut tout simplement à la disparition des ordres contemplatifs comme tels;
quand on voit des choses comme celles-là, on ne peut plus s'étonner de rien...
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