samedi 21 décembre 2013

Commentaire de la controverse entre Al-Ghazali et les juristes - Qui sont les hypocrites ?


 

 


Commentaire de la controverse entre Al-Ghazali et les juristes

On rapporte que l’Imam al-Ghazali fut invité un jour à une réunion de juristes.
« Tu es un homme éminent, lui dit le chef des juristes et, comme nous tous ici, du nombre des savants. Les humbles viennent donc te demander l’interpréter la Sainte Loi, la Sharia. Or le bruit court que tu aurais conseillé à tel et tel de ne pas observer le jeûne pendant le mois de Ramadan ; on raconte aussi que tu aurais déclaré qu’il valait mieux pour certains ne pas faire le pèlerinage de La Mecque ; d’autres affirment que tu as réprimandé des croyants pour avoir dit : "Il n’y a pas d’autre Dieu qu’Allah." Ces propos pernicieux, s’il est vrai que tu les as tenus, sont pour nous la preuve suffisante de ton infidélité. Seule ta réputation t’a jusqu’ici épargné le châtiment réservé aux apostats. Les gens sont en droit d’être protégés contre des individus tels que toi. »

Ghazali poussa un soupir et répondit :

« La Sainte Loi de l’Islam nous le dit : ceux qui n’ont pas une claire intelligence de la Loi et de ce qu’elle signifie ne peuvent être coupables de manquements à la Loi et ne sont pas assujettis à ses règles. Cela vaut obligatoirement pour les enfants et les imbéciles, mais cela vaut aussi pour tous ceux qui sont privés de compréhension. Si un homme ne perçoit pas la réalité intérieure du jeûne ou ne fait un pélerinage que pour se mortifier ou bien encore récite la profession de foi sans avoir la foi, cet homme-là est dénué de compréhension, et il n’est pas juste de l’encourager à persévérer dans ses pratiques. Quelqu’un devra le mettre sur la voie de la compréhension. Vous l’avez dit : les gens sont en droit d’être protégés - protégés contre vous, les juristes, qui voudriez les récompenser pour des mérites inexistants et les persécuter pour des fautes imaginaires.

« Si un homme ne peut marcher parce qu’il est impotent d’une jambe, allez-vous lui dire de marcher ou bien lui donnerez-vous une béquille, ou le guérirez-vous de son infirmité ? « C’est parce qu’il avait prévu la venue de gens tels que vous que le Prophète a dit : "l’Islam a commencé dans l’exil et finira dans l’exil." La compréhension du sens des choses n’est pas dans votre intention ni en votre pouvoir ; et vous n’avez pas appris à comprendre. Aussi bien, tout ce que vous savez faire, c’est menacer les autres de la mort pour apostasie. En vérité, ce n’est pas moi qui suis un apostat, mais chacun d’entre vous. »
Peu de choses sont à ajouter à ce texte imparable de l’immense Imam al-Ghazali, hormis que ce dernier s’adresse à tous les religieux que le Coran nomme les hypocrites, mais que l’hypocrisie qui fait condamner les sincères est aussi le lot des athées, qui jugent de la conformité des actions des autres aux lois dont ils ne comprennent pas le sens.

Considérons les deux versets suivants (Coran IV.142-143) :

Les hypocrites cherchent à tromper Allah, mais Allah retourne leur tromperie (contre eux-mêmes). Et lorsqu’ils se lèvent pour la Salat, ils se lèvent avec paresse et par ostentation envers les gens. A peine invoquent-ils Allah.

Ils sont indécis (entre les croyants et les mécréants) n’appartenant ni aux uns ni aux autres. Or, quiconque Allah égare, jamais tu ne trouveras de chemin pour lui.

Ghazali reformule cette grande leçon du Coran quand il dit : "La compréhension du sens des choses n’est pas dans votre intention ni en votre pouvoir."

Effectivement, seul Allah donne la compréhension du sens réel des choses, et jamais les hypocrites ne peuvent prétendre à accéder à ce sens, du fait même de leur hypocrisie qui les bloque dans toute velléité de progression. L’hypocrisie est une impasse à la révélation, mais aussi comme un choix conscient et facile (l’"intention" des juristes est de soumettre et non de comprendre), un choix qui se vit, comme le dit le Coran, "dans l’ostentation". L’hypocrisie est un moyen de s’accorder le pouvoir de juger les autres et, par conséquent, de prendre un ascendant sur eux. C’est cette hypocrisie au plus haut niveau des juristes qu'Al-Ghazali condamne.
Ces réflexions doivent éveiller notre attention sur le fait que l’homme de Dieu ne doit être en aucun cas confondu avec une quelconque autorité religieuse. Cela ne signifie pas que toute autorité religieuse soit condamnable, mais cela signifie, pour le soufi, de savoir faire la part des choses entre autorité religieuse reconnue et personne dépositaire du sens de la foi (le guide soufi).

On comprend pourquoi les soufis furent persécutés par ceux-là même qui prétendaient défendre l’islam.








 

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