Denis GRIL, Annales Islamologiques 14 (1978), p.35-37.
L’étude du commentaire et de l’herméneutique coraniques
est rendue délicate par la nature subtile de la relation qui s’instaure dans
ceux-ci entre le texte sacré et son interprète. Cette remarque générale
s’impose tout particulièrement dans le cas des commentateurs sûfîs, dont les
buts et les moyens dépassent ceux de l’exégèse exotérique. Chez les Sûfîs
l’intériorisation de la lecture resserre plus intimement encore le lien entre
le Livre et le lecteur, entre le Verbe et son réceptacle, et de la qualité de
ce lien dépend la profondeur de l’interprétation. C’est donc la nature de cette
relation qu’il importe avant tout de définir, car d’elle dépendent la méthode
exégétique de l’auteur et la portée doctrinale de son commentaire. Chez un
auteur comme Ibn 'Arabî (1), la question de cette relation se pose à chaque instant.
En plus de ses traités strictement exégétiques ou
herméneutiques, une part très importante de son oeuvre, tels les Futûhât
al-Makkiyya et les Fusûs al-hikam, s’ordonne à partir de thèmes et de
références coraniques nombreuses et répétées. Parmi ces thèmes, celui de « la
foi de Pharaon » (îman Fir'awn) nous a paru digne d’étude. Cette expression
désigne en fait l’interprétation par Ibn 'Arabî des données coraniques sur la
destinée spirituelle et posthume du Pharaon de l’Exode. On ne doit donc pas s’attendre
à y trouver tous les aspects que revêt le personnage de Fir'awn dans le Coran
et dans l’exégèse traditionnelle, bien qu’Ibn 'Arabî y fasse parfois allusion.
L’un des intérêts de ce thème est d’occuper une place de choix dans l’histoire
de la polémique autour de son oeuvre. Souvent mal connue ou déformée sa
position mit dans l’embarras nombre de ses défenseurs et lui attira de
violentes critiques de la part de ses adversaires (2). L’historique de cette
controverse exigerait toute une étude, aussi nous ne mentionnerons que les
critiques touchant des points précis de son interprétation. Pour notre
recherche le principal intérêt de celle-ci est de présenter un cas typique
d’ésotérisme et de poser ainsi très clairement le problème de l’herméneutique
de son auteur. Avant d’aborder cette question, nous avons essayé de
reconstituer de la façon la plus cohérente possible son argumentation, d’après
les passages des Futûhât et des Fusûs.
Nous avons pu ainsi relever quelques-unes des
caractéristiques de son exégèse et en faire ressortir toutes les implications
doctrinales. A partir de ces éléments nous avons esquissé l’ébauche d’une
réponse à notre question initiale. Enfin, un autre intérêt non négligeable de
ce thème est de montrer comment Ibn ‘Arabî, tout en défendant une position
assez singulière, s’inscrit en même temps dans une certaine tradition dont la
nature reste à définir.
L’importance du personnage de Pharaon dans le Coran est
un fait remarquable. Il y apparaît la plupart du temps en relation d’opposition
avec Moïse, le prophète dont le Coran mentionne le plus souvent l’histoire (3).
Quand son nom est cité isolément ou suivi de ceux de Hâmân (4), le mauvais
conseiller et de Qârûn, le riche endurci (5), il incarne surtout le type de
l’orgueil indomptable (takabbur) et de la tyrannie rebelle à l’ordre divin
(tughyân). En face de Moïse, d’autres aspects du personnage, plus énigmatiques,
se font jour; notamment celui d’« exaltation » ('uluww) que le Coran lui
attribue parfois (6) et de divinité exprimé sous deux formes sensiblement
différentes (7). Les exégètes du Tasawwuf proposent en général deux
interprétations de l’antagonisme de Moïse et de Pharaon. La première, se
fondant sur le sens obvie des textes, y voit l’illustration du mystère de la
Prédestination ; malgré les appels répétés que lui lance Dieu par
l’intermédiaire de Son messager, Pharaon reste insensible à la Miséricorde
divine, et, comme Iblîs, se damne par sa prétention et son orgueil. La seconde
plus intérieure et d’ordre microcosmique considère leur lutte comme celle de
l’esprit et de l’âme inférieure ; seule la mort de cette dernière met le coeur
définitivement à l’abri des passions.
L’interprétation d’Ibn 'Arabî, dans l’ensemble (8), est
tout autre. Pharaon, tout en restant ce personnage aux proportions humaines que
met en scène le Coran, prend une dimension initiatique, que seul le Shaykh
al-Akbar exprima avec autant de force. Pour celui-ci, en effet, Pharaon est un
« connaissant » ('ârif), malgré le caractère imparfait et inachevé de sa réalisation
spirituelle. Il tire argument de l’ordre intimé à Moïse et à Aaron dans les
versets suivants : « Rendez-vous auprès de Pharaon, car il a excédé la limite,
et parlez-lui avec douceur, peut-être se souviendra-t-il ou éprouvera-t-il de
la crainte » (9). Le souvenir, pour lui, implique nécessairement une
connaissance initiale, oubliée pour une raison ou une autre (10). On peut se
demander de quelle nature était, selon l’expression de l’auteur, cette «
authentique science reçue de Dieu qu’il détenait en son coeur » (11). Le
passage suivant donne à penser qu’il pourrait s’agir de la connaissance de
l’Identité suprême, conférée au serviteur à un certain moment de son
cheminement spirituel : « Pharaon comprit que le message apporté par Moïse et
Aaron était la vérité (al-haqq), car, par leur intermédiaire, c’était Dieu
(al-haqq) qui parlait, de même que l’ouïe de Pharaon, par laquelle il entendit
la parole de Moïse, était Dieu... Pharaon savait que Dieu est l’ouïe, la vue,
la parole et toutes les facultés de sa créature. Aussi proclama-t-il, parlant
pour Dieu : « Je suis votre seigneur le plus-haut ! » (12) Il était en effet
conscient que c’était Allah qui prononçait une telle parole par la bouche de
Son serviteur » (13). La crainte manifestée par les deux prophètes à l’annonce
de leur mission s’explique donc, pour Ibn 'Arabî, par le haut degré de
connaissance qu’ils s’accordent à reconnaître à Pharaon. Le verset « Nous avons
peur qu’il ne se montre excessif envers nous, ou qu’il ne dépasse les bornes »
(14), est commenté comme suit, par référence au sens étymologique des verbes
farata et taghâ : « Nous avons peur qu’il nous dépasse par ses arguments fondés
sur l’affirmation de l’unité divine absolue et que ses paroles ne prennent le
dessus sur les nôtres, car il vise la Réalité essentielle ('ayn al-haqîqa) et,
pour cette raison, nous donnera du mal » (15).
Tels quels, ces passages semblent particulièrement
osés. Toutefois le but de leur auteur n’est pas de sanctifier ou de justifier à
tout prix Pharaon. Ce qui importe pour lui, c’est de percer le mystère de cette
prétention à la divinité, trop singulière pour n’être qu’une simple forme
d’impiété. Il y voit au contraire la manifestation d’une prise de conscience de
l’unité essentielle de l’Etre.
Si Ibn 'Arabî justifie métaphysiquement les propos de
Pharaon, il n’en fait pas pour autant un modèle de spiritualité. Malgré la
valeur intrinsèque de la voie suivie par ce dernier, elle est exactement à
l’opposé de celle que trace le Coran et l’exemple prophétique, représenté ici
par Moïse et Aaron. La voie prophétique, et il n’en est pas d’autre pour ceux
qui y sont appelés, exige l’occultation totale de l’aspect seigneurial et divin
de l’homme. En d’autres termes, la réalisation de la servitude totale ('ubûda)
peut seule affranchir l’initié de ses limites individuelles. En s’attachant
uniquement à la divinité absolue (ulûha) qui est en lui, il court un risque
grave de déséquilibre, surtout quand l’âme individuelle n’est pas complètement
maîtrisée. C’est au nom de cette règle de la voie initiatique que le Shaykh
al-Akbar condamne à de nombreuses reprises le shath, locution théopathique où
le serviteur dévoile involontairement sa divinité. La parole de Pharaon : « Je
suis votre seigneur le plus-haut ! » aurait pu sembler de cette nature, mais,
pour Ibn 'Arabî, elle est en fait l’usurpation d’un état exigeant une
extinction totale de l’individualité. Elle peut donc être considérée comme le
signe aussi bien d’une grave faute que d’un degré valable de connaissance et,
par-là annonce tout à la fois son châtiment et sa délivrance.
« A cause de l'infiltration mystérieuse de la Ulûhiyya
dans l’être humain, celui-ci prétendit à la « divinité » en employant le terme
al-ilâh « dieu », tel le Pharaon qui dit : « J’ignore qu’il puisse y avoir pour
vous un dieu autre que moi » (Coran, XXVIII, 38), or cela ne convenait pas
puisqu’il disait telle chose par un acte de volonté délibérée ('ani-l-mashî’a).
Il n’a parlé ni sous l’empire d’un hâl initiatique et en se conformant à un
ordre (d’en haut) qui lui aurait enjoint de dire : Anâ-llâh, « Je suis Allah!
», ni en disant simplement le terme ilâh, « dieu », mais il a été exclusif, en
précisant « autre que moi ». Comprends bien ce point. — Aussi le Pharaon a
prétendu clairement à la Rubûbiyya, la Seigneurie, qui (d’ailleurs) ne saurait
égaler le pouvoir de la Ulûhiyya, en disant : « Je suis votre Seigneur le plus
élevé ! » (LXXIX, 24). Là encore, il a parlé sans avoir la justification de
celui qui dirait une telle parole à cause d’un hâl, par voie d’ordre (divin) et
avec simple adhésion de la volonté propre, dans un état d’« union » (jam'an),
comme Abû Yazîd (al-Bistâmî) qui proclama (en s’exprimant en termes coraniques)
: « En vérité Moi, je suis Allah ! Pas de divinité si ce n’est Moi, adorez-Moi
donc ! » (cf. Coran, XXI, 25), et qui une autre fois affirma : Anâ-llâh, « Je
suis Allah! », car dans l’être de celui-ci il ne restait nulle parcelle que la
Ulûhiyya, par une parfaite pénétration, ne remplisse de sa présence totale !
(16)
« Allah dit par la voix de Pharaon : « Je suis votre
seigneur le plus-haut ! » Alors que c’est Lui — gloire à Lui — qui est en
réalité le Plus-haut ... Tel fut l’attribut de Dieu qui apparut sur la langue
de Pharaon. Allah sut qu’il ne le prononça pas par délégation divine (niyâbatan
'ani-l-haqq), comme le fait l’orant en disant : « Allah entend celui qui Le
loue » (17). Pharaon n’avait pas conscience de la délégation divine nécessaire
pour prononcer une telle parole. La qualité divine à laquelle il prétendait
rechercha son qualifié et retourna ainsi à Dieu — que Sa Majesté soit proclamée
—. Quant à lui, elle lui fut enlevée, bien qu’il ne l’ait jamais vraiment
revêtue » (18)
Dans un autre passage, Ibn ‘Arabî semble assimiler la
parole de Pharaon à un shath véritable. Ce dernier apparaît bien alors comme le
type du connaissant dont l’âme n’est pas définitivement maîtrisée, au contraire
d’un prophète ou d’un saint totalement soumis à la Loi prophétique.
« Si l’âme pouvait se dégager de la matière, elle
laisserait apparaître la puissance originelle qui lui est conférée par le
Souffle divin ; rien ne s’enorgueillirait plus qu’elle. C’est pourquoi Allah la
maintient à jamais dans la forme naturelle (al-sûra al-tabî'iyya) (19), dans ce
monde, dans l’état intermédiaire du sommeil et après la mort, de sorte que
jamais elle ne peut se considérer comme détachée de la matière. Ne vois-tu pas
que, lorsque l’âme perd conscience d’elle-même, elle se lance à l’assaut de la
station divine et prétend à la seigneurie, tel Pharaon. Sous l’empire de cet
état, elle s’écrie : « Je suis Allah ! » ou « Gloire à Moi ! », paroles que
proféra un connaissant (20) dominé par son état spirituel. Jamais de telles
paroles n’émaneront d’un envoyé, d’un prophète ou d’un saint dont la science,
la présence du coeur, l’observance du degré initiatique, le respect des
convenances spirituelles et enfin la considération de sa condition matérielle
sont parfaits » (21).
Le refus d’admettre ouvertement la mission de Moïse et
d’Aaron, ainsi que le départ des Israélites est évidemment une réaction
d’amour-propre de la part de Pharaon. S’il persiste à se proclamer dieu, c’est
pour ne pas déchoir de la fonction que lui assigne la vénération de son peuple.
« Sache que Pharaon avait reçu de Dieu une certaine
science, mais l’amour de l’autorité (hubb al-riyâsa) l’emporta chez lui en ce
monde. Il dit en effet : « Je ne vous connais pas d’autre dieu que moi » (22).
Il ne désigna que son peuple et non tous les êtres de l’univers. Il savait que
son peuple le croyait dieu ; il ne fit donc qu’énoncer un état de fait en toute
véridicité, puisque selon leur science, ils n’avaient d’autre dieu que lui »
(23).
Le Coran retrace quelques controverses où Moïse et
Pharaon s’affrontent au moyen d’arguments dont l’enchaînement logique est
parfois déconcertant. On a l’impression que Moïse entame avec son adversaire un
dialogue à mots couverts, pour ne pas le heurter de front et parce que la
résistance qu’il lui oppose n’est pas d’ordre rationnel.
« Moïse dit : notre Seigneur est celui qui a donné à
toute chose sa création » (24). Il montra ainsi que la science divine embrasse
toute chose, ce qui n’était point le cas de la science de Pharaon, malgré sa
prétention à la Seigneurie. Celui-ci comprit les deux envoyés et se tut, car il
se rendit bien compte qu’ils avaient dit la vérité. Cependant l’amour de
l’autorité l’empêcha de le reconnaître » (25).
De quelle autorité s’agit-il au juste ? Moïse ne
dispute pas à Pharaon son royaume. Il se présente à lui pourtant comme
détenteur d’un pouvoir (hukm), conféré par Dieu et distinct de sa qualité de
prophète et d’envoyé. Ce pouvoir est celui du représentant de Dieu sur la
terre, le khalîfa. Or c’est précisément cette fonction spirituelle et
temporelle que Pharaon revendique pour lui. Ibn 'Arabî ne la lui dénie pas entièrement
puisqu’il le qualifie de « Maître de l’instant », un des qualificatifs du Pôle
(qutb) dans le Tasawwuf. Seulement sa fonction semble être uniquement
terrestre, tandis que celle de l’envoyé est universelle, de par sa qualité
d'insân al-kâmil. En somme Pharaon reconnaît le degré spirituel de Moïse, mais
refuse de se soumettre à son autorité hiérarchique.
« Pharaon détenait l’autorité régissante (tahakkum) ;
il était le Maître de l’instant (sâhib al-waqt) et khalîfa temporel
(bi-l-sayf), quoiqu’il se fût écarté de la Norme (al-'urf al-nâmûsî). Ceci
l’entraîna à déclarer : « Je suis votre seigneur le plus-haut ! » —
c’est-à-dire : si tous les êtres sont des seigneurs sous un rapport ou un
autre, je suis le plus haut d’entre eux, car l’autorité extérieure sur eux m’a
été conférée. Sachant qu’il disait vrai, les magiciens ne le contredirent pas,
ils le confirmèrent même en disant : « Tu ne juges que la vie de ce monde,
exécute donc ce que tu as décrété » (26).
« La parole de Moïse : « Il m’a fait don d’un pouvoir »
(27) désigne la lieutenance (khilâfa) », et « Il m’a compté au nombre de Ses
envoyés » signifie la mission prophétique (risâla). Tout envoyé (rasûl) n’est
pas nécessairement un khalîfa. Ce dernier détient le pouvoir temporel, la
destitution et l’institution (al-'azl wa-l-wilâya). L’envoyé n’a pas de telles
prérogatives, car sa fonction est limitée à la transmission (balâgh) du message
qui lui a été confié. S’il reçoit l’ordre de le répandre et de le défendre par
l’épée, c’est un « lieutenant-envoyé ». De même que tout prophète n’est pas un
envoyé, tout envoyé n’est pas khalîfa, et dans ce cas, le royaume (mulk) ne lui
a pas été confié, ni le pouvoir de le régir. La question posée par Pharaon sur
la quiddité divine (28) n’était pas due à son ignorance, mais à son désir
d’éprouver Moïse pour voir si sa réponse confirmerait sa mission prophétique.
Pharaon connaissait en effet le degré de science des envoyés » (29)
Le dialogue de la sourate Tâhâ (30) est même la preuve
pour Ibn 'Arabî que Pharaon voulait amener progressivement son peuple à
reconnaître la véridicité des deux envoyés, sans perdre pour autant de son
prestige. Le résultat cependant est autre : les sujets restent dans
l’aveuglement, tandis que leur souverain, de plus en plus touché par les
arguments de Moïse, en vient à reconnaître sa propre faiblesse.
« ...Pour les entraîner encore plus loin dans leur
démonstration, Pharaon leur posa cette question : « Qu’est-il advenu des
premières générations ? ils répondirent : la science à leur sujet se trouve
auprès de mon Seigneur dans un livre, mon Seigneur ne s’égare pas ni n’oublie »
(31). — comme tu avais toi-même oublié, jusqu’à ce que, grâce à notre rappel,
tu te souviennes. Car si tu avais été un dieu, tu n’aurais point oublié. Allah
n’a-t-il pas dit : « peut-être se souviendra-t-il... ». Moïse et Aaron
poursuivirent leur démonstration, mais l’effet de ces paroles resta latent dans
l’âme de Pharaon, car l’amour de l’autorité lui interdit de se démentir devant
son peuple. « Il fit peu de cas d’eux et ceux-ci lui obéirent ; ils furent un
peuple prévaricateur » (32).
Pour prouver que les propos des deux prophètes ont
effectivement atteint leur but, Ibn 'Arabî use d’un argument assez inattendu
qui fournit un bon exemple d’une exégèse conforme à la lettre du texte, mais
aboutissant à un tout autre résultat que celui d’une lecture ordinaire.
« Allah a apposé un sceau sur tous les coeurs, pour que
la Seigneurie de Dieu (rubûbiyyat al-haqq) ne s’y immisce point et ne devienne
un attribut de ceux-ci. Pour cette raison personne au fond de son coeur ne peut
se prendre pour seigneur et dieu. Chacun sait bien au contraire combien il est
pauvre, indigent et humble. Allah — qu’il soit exalté — a dit : « Ainsi Allah
imprime-t-Il son sceau sur tout coeur orgueilleux et tyrannique » (33). La
Grandeur divine (al-kibriyâ’ al-îlâhî) ne peut y pénétrer d’aucune manière.
L’être intérieur de chaque individu est scellé de telle sorte qu’aucune
prétention à la divinité (ta’alluh) ne puisse s’y infiltrer. Toutefois Allah n’a
pas immunisé les langues contre la formulation de la prétention à la divinité,
ni les âmes contre la croyance à la divinité d’autrui. L’âme donc est protégée
contre la croyance à sa propre divinité, mais non pas contre la croyance à
celle d’autrui » (34).
Ce dernier passage fait allusion à la distinction qu’il
faut établir entre la manifestation extérieure de l’individu et son être
intime. Cette distinction trouve son expression dans la « parole douce » que
les envoyés doivent adresser à Pharaon. Si l’extérieur chez lui est rude et
plein de superbe, l’intérieur, incorruptible, est doux et humble. Par leur
douceur, leurs paroles traversent l’enveloppe externe et grossière de leur
antagoniste et opèrent leur effet dans le tréfonds de son âme. Par ailleurs cette
douceur est le signe révélateur de la fonction de Moïse et de son assesseur
ainsi que de leur degré spirituel par rapport aux prétentions de Pharaon. Pour
accomplir sa mission le khâlîfa doit être un serviteur parfait et donc se
qualifier des attributs servitoriaux de pauvreté et de faiblesse, afin que par
lui les attributs seigneuriaux se manifestent dans toute leur puissance. Ayant
renoncé à toute prétention individuelle, il devient le lieu de manifestation de
la Majesté et de la Volonté divines. C’est ainsi que l’on doit expliquer la
peur qui saisit Moïse, pour lui rappeler la nécessité du secours divin.
« Aaron lui (35) dit : ici est le ciel de la
lieutenance de l’homme. Le pouvoir de son imam, est faible, bien que son
fondement soit on ne peut plus solidement bâti. C’est pourquoi nous reçûmes
l’ordre de traiter avec douceur les tyrans excessifs (al-jabâbira al-tughât).
Il nous fut dit : « Parlez-lui avec douceur ». Or on ne donne un tel ordre qu’à
celui dont la puissance et la force sont plus grandes que celles de celui à qui
il est envoyé. Un sceau étant apposé sur le coeur de qui manifeste
toute-puissance et grandeur, et ce dernier étant en fait le plus humilié de
tous les êtres, Dieu ordonna aux envoyés de le traiter avec miséricorde et
douceur. Leurs paroles correspondirent ainsi à son état intérieur et amenèrent
son être extérieur à renoncer à sa superbe et à son orgueil » (36).
La correspondance entre la nature des propos de Moïse
et d’Aaron et l’état de faiblesse intérieure de Pharaon constitue un premier
argument. Le second est d’ordre philologico-théologique : un souhait émis par
Dieu est inéluctable ; le verset : « peut-être se souviendra-t-il ou
éprouvera-t-il de la crainte » n’échappe pas à la règle. Le souhait divin se
réalisa même doublement dans l’immédiat car, sinon, comment expliquer que
Pharaon laisse partir en paix les envoyés après les avoir menacés de prison ou
de mort, et plus tard réduits à la dernière extrémité à l’approche de la
noyade.
« Allah émit le souhait (tarajjâ) que Pharaon se
souvienne et éprouve de la crainte. Donc il devait nécessairement en arriver
là. Il n’en laissa toutefois rien paraître bien qu’intérieurement le souvenir
et la crainte se fussent imposés à lui. Il ne fit pas violence à Moïse et à son
frère dans cette assemblée, alors qu’il détenait le pouvoir et la force. Ce fut
le souvenir et la crainte de Dieu eux seuls qui le retinrent... Allah secourut
Moïse par cette douceur qu’il lui avait enjointe. Son discours fut tel une
armée divine ; elle rencontra l’armée de l’intérieur de Pharaon et la vainquit
par la permission d’Allah. Voyant la défaite de l’armée qui faisait sa force,
Pharaon se souvint de Dieu, éprouva de la crainte et connut l’humilité. Cette
humiliation et cette reconnaissance l’occupèrent tant qu’il ne put exercer sa
puissance extérieure et ne fit point violence aux envoyés lors de cette
assemblée » (37).
Cette humiliation inavouée prouve seulement que
l’exhortation a porté. Ibn 'Arabî compare celle-ci au levain qui fait monter la
pâte (38) ou à la graine qui produira un fruit (39), Le déséquilibre entre
l’intérieur et l’extérieur est si grand chez Pharaon que son rétablissement
exige une longue fermentation. Croyant et connaissant au fond de lui-même, sa
rébellion a pour origine une erreur fondamentale. Celle-ci est de croire que,
pour manifester les attributs divins et seigneuriaux de sa fonction royale, il
doive se les attribuer à lui-même et surtout les extérioriser en sa propre
personne. Il fallait donc, pour rétablir l’équilibre, une circonstance
exceptionnelle qui mette son être corporel dans le même état d’indigence que
son être intime. Ce fut l’imminence de la noyade qui le laissa sans d’autre
recours que l’abandon à la Miséricorde divine. Son repentir également devait
être sans équivoque, aussi inclut-il dans sa reconnaissance de l’unité divine
les Israélites réduits par lui en esclavage et dont il n’avait pas voulu
admettre la mission divine.
« Ce ferment ne
cessa pas d’agir sur son être intérieur, tandis que, par ailleurs, le souhait
divin devait se réaliser. L’effet de ce ferment continua de s’accroître,
jusqu’au moment où il renonça à rejoindre Moïse et où la noyade mit fin à ses
ambitions. Il recourut alors à l’humilité et à l’indigence qu’il cachait au
fond de lui-même, pour que les croyants puissent constater qu’un souhait divin
doit nécessairement se réaliser. Pharaon dit : J’ai cru en « Celui en qui ont
cru les Fils d’Israël, et je suis de ceux qui se soumettent à Dieu
(mina-l-muslimîn) » (40). Il extériorisa son état intérieur et l’authentique
science de Dieu celée en son coeur. En précisant : « Celui en qui ont cru les
Fils d’Israël », il leva une équivoque possible. Les Magiciens (al-sahara)
firent de même ; ayant cru en Dieu, ils dirent : « Nous croyons dans le
Seigneur des mondes, le Seigneur de Moïse et d’Aaron » (41) — c’est-à-dire :
Celui vers qui appellent les envoyés. Ils dissipèrent ainsi tout doute. « Je
suis de ceux qui sont soumis à Dieu » est une parole adressée à Lui, en tant
qu’il entend et voit. Dieu lui répondit sur le ton du reproche : « Est-ce
maintenant ? » — que tu extériorises ce que tu savais déjà, « alors que tu as
désobéi auparavant et que tu as été d’entre les corrupteurs » (42) pour ceux
qui t’ont suivi. Allah ne lui dit pas « tu es d’entre les corrupteurs » ; ce
reproche est donc en réalité une bonne nouvelle que Dieu annonce à Pharaon pour
nous inciter à espérer en Sa Miséricorde, en dépit de nos excès et de nos
crimes. Dieu lui dit ensuite : « Aujourd’hui nous te sauvons » — Il lui annonça
cette bonne nouvelle avant de saisir son esprit — « en ton corps, pour que tu
sois un signe pour la postérité » (43) — pour que ton sauvetage soit, pour qui
viendra après toi et prononcera les mêmes paroles, le signe qu’il trouvera le
même salut que toi. Rien dans ce verset n’indique que le châtiment de l’au-delà
n’a pas été supprimé ni que sa foi n’a pas été agréée. Le verset prouve
seulement que le châtiment de ce monde n’est pas écarté de celui qui fait
profession de foi en voyant son échéance arriver, à l’exception du peuple de
Jonas (44). « Aujourd’hui nous te sauvons en ton corps », car le châtiment ne
concerne que ton être extérieur, et ainsi les hommes purent voir comment il
avait été sauvé du châtiment. Celui-ci fut le début de la noyade, quant à sa
mort elle fut un martyre pur et innocent (shahâda khâlisa barî’a), entaché
d’aucune désobéissance. Son esprit fut saisi au moment où il accomplissait la
meilleure des oeuvres, la profession de foi (al-talaffuz bi-l-îmân), pour que
personne ne désespère de la Miséricorde d’Allah et que l’on sache que les actes
sont jugés sur leurs conclusions (al-a’mâl bi-l-khawâtim) ... L’âme de Pharaon
lui fut enlevée sans retard, dans son état de croyance, afin qu’il ne revienne
pas à son ancienne prétention. Dieu — exalté soit-il — conclut cette histoire
en disant : « Et la plupart des hommes sont indifférents à Nos signes » (45).
De fait la plupart n’y prêtèrent pas attention et condamnèrent ainsi un croyant
à la damnation. La parole d’Allah : « Et il (Pharaon) les conduisit au Feu » (46)
ne permet pas d’affirmer qu’il y soit entré avec eux. Allah dit encore : «
Faites entrer les Gens de Pharaon (âl Fir'awn) » et non : Pharaon et ses gens.
La miséricorde de Dieu est trop large pour ne pas accepter la foi de l’homme
réduit à une extrême nécessité (al-mudtarr). Et quelle nécessité de la
Miséricorde divine est plus grande que celle de Pharaon au bord de la noyade.
Allah ne dit-il pas de lui-même : « Celui qui répond à l’homme nécessiteux
lorsqu’il L’invoque et dissipe le mal » (47). Puisqu’Allah promet à cet homme
réponse et dissipation du mal, que dire de Pharaon, qui a cru en lui d’une foi
pure. Il ne demanda pas la survivance ici-bas, de peur des défaillances et de
perdre la pureté d’intention (ikhlâs) conférée par cet instant. En attestant sa
foi, il préféra la rencontre avec Allah à la survie terrestre. La noyade
constitua pour lui « le supplice de l’Au-delà et d’Ici-bas » (48) ; son
châtiment ne fut que le désagrément de l’eau salée et son esprit fut saisi dans
les meilleures conditions, comme l’indique le sens obvie du texte. « Certes en
cela il y a sujet à méditation pour qui craint Dieu » (49), sur le fait que lui
fut infligé le supplice de l’au-delà et d’ici-bas. L’au-delà est mentionné
avant l’ici-bas, pour que l’on sache que la noyade fut le seul supplice de
l’au-delà, ce qui constitue une grâce immense. Vois donc, mon ami, quel fut
l’effet des propos adressés avec douceur et quel fruit ils produisirent » (50).
Citons encore cet autre texte où les arguments sont
présentés de façon légèrement différente.
« Jusqu’à ce qu’au bord de la noyade, il dise : j’ai
cru qu’il n’y a pas de dieu si ce n’est Celui en qui ont cru les Fils d’Israël
». Cette proclamation de l’unité est celle de l’appel au secours (tawhîd
al-istighâta). Pharaon employa une proposition relative (sila) pour lever toute
équivoque. Les magiciens avaient fait de même ; après avoir proclamé leur foi
dans le Seigneur des mondes, ils avaient ajouté : « le Seigneur de Moïse et
Aaron » pour qu'il n'y ait aucune ambiguïté dans l’esprit des auditeurs, et
pour cette raison Pharaon les avait menacés du supplice. Ce dernier paracheva
ainsi son attestation : « et je suis de ceux qui se soumettent à Dieu ». Car
Dieu est celui vers qui tous sont guidés et qui n’est guidé par personne ...
Par ces paroles Pharaon informa son peuple qu’il revenait sur sa prétention
d’être leur seigneur le plus-haut. Son sort est entre les mains d’Allah
(fa-amruhu ilâ-llâh) puisqu’il crut en voyant l’imminence de sa mort. Une foi
de ce genre ne peut écarter le châtiment de ce monde, à l’exception du peuple
de Jonas, mais il n’est pas question ici du châtiment de l’au-delà. Allah le
confirma ensuite dans sa foi : « est-ce maintenant, alors que tu as désobéi
auparavant? » Ce verset prouve la sincérité de sa foi, sinon Allah lui aurait
répondu comme aux Arabes du désert qui disaient : « nous avons cru!
Dis : vous n’avez pas encore cru, dites plutôt : nous
nous sommes soumis, car la foi n'a point encore pénétré vos coeurs » (51).
Allah a témoigné de la foi de Pharaon, or Il ne peut attester que quelqu’un ait
proclamé sincèrement Son Unité, sans l'en rétribuer. Il ne désobéit plus après
avoir cru et Allah l’agréa auprès de Lui — s’il en est ainsi — dans toute la
pureté de sa foi. De même que l'incroyant en entrant en Islam doit procéder à
une ablution totale (ghusl), de même la noyade constitua pour Pharaon une
ablution et une purification. Allah le prit dans cet état et « lui infligea le
supplice de l’au-delà et d’ici-bas » pour faire de lui « un sujet de méditation
pour qui craint Dieu ». On ne peut pas assimiler sa foi a celle de l'agonisant
(al-mugharghir). Ce dernier est absolument certain de quitter la vie, tandis
que la noyade de Pharaon se présente autrement. Il vit la mer asséchée pour les
croyants et comprit qu’ils le devaient à leur foi. Se fiant à sa propre foi, il
ne fut pas certain de mourir et pensa même vivre. Sa situation est différente
par conséquent de celui à qui se présente la mort et qui dit alors : « je me
suis repenti maintenant », ou de « ceux qui meurent incroyants » (52). Son sort
est donc entre les mains d’Allah » (53).
Ces deux passages (54) montrent assez avec quelle
vigueur leur auteur a soutenu la foi de Pharaon. Il faut ajouter pourtant que
dans le dernier texte Ibn 'Arabî remet à deux reprises son sort à Dieu, à qui
seul appartient de connaître la destinée posthume des êtres. Ailleurs il émet
une légère réserve sur la force de son argument fondé sur le « est-ce
maintenant ? » (55). Mais dans l’ensemble sa position est cohérente et claire,
n’était le passage suivant en contradiction apparente avec les textes que nous
avons cités. Certains auteurs, soucieux de défendre l’orthodoxie du Shaykh
al-Akbar, y trouvèrent même la preuve qu’il n’avait jamais soutenu pareille
opinion (56).
«... Ces criminels (mujrimûn) se répartissent en quatre
groupes, tous voués au Feu, dont ils ne sortiront point. Ce sont eux qui se
sont enorgueillis à l’égard de Dieu (al-mutakabbirûn 'allâ-l-llâh), comme
Pharaon et ses semblables, qui ont prétendu à la Seigneurie en niant celle
d’Allah. C’est ainsi qu’il dit : « ô assemblée, je ne vous connais pas d’autre
dieu que moi ! » et également : « je suis votre seigneur le plus-haut ! » Il
entendait par là que, dans le ciel, il n’y avait pas d’autre dieu que lui comme
l’avaient aussi prétendu Nemrod et d’autres. » (57).
Comment situer ce texte par rapport à ceux qui le
précèdent ? Il a beau se trouver dans le premier tome des Futûhât et ceux qui
expriment clairement la foi de Pharaon dans les tomes suivants, l’idée d’une
évolution dans la pensée d’Ibn 'Arabî semble bien invraisemblable. Elle
s’accorderait peu avec la nature de son oeuvre et l’existence d’une seconde
rédaction des Futûhât. Une autre explication plus plausible serait de
considérer Pharaon ici comme un type, celui de l’orgueil humain et de
l'endurcissement du coeur, indépendant du contexte de l’histoire prophétique.
Enfin, et peut-être est-ce la meilleure explication, pourquoi ne pas admettre
simultanément l’existence de deux interprétations : l’une exotérique et
destinée au commun des croyants, et l’autre destinée à l’élite spirituelle,
seule capable de saisir la subtilité du verbe coranique et par conséquent la
dimension initiatique du personnage (58).
Sans vouloir être exhaustif, nous avons essayé de
reproduire le plus fidèlement possible l’interprétation qu’en donne Ibn 'Arabî.
D’emblée on reste frappé par la démarche suivie par l’auteur dans ces textes.
Leur aspect démonstratif et exégétique est l’un de leurs traits les plus
remarquables : ils apparaissent en cela comme assez différents d’autres
exemples d’interprétation ésotérique plus volontiers fondés sur l’allusion
(ishâra). Une question donc se pose : sommes-nous en présence d’une
interprétation guidée par une certaine forme de lecture, ou bien l’auteur
essaye-t-il de retrouver, par le biais de l’exégèse, la confirmation d’une
intuition de départ ? L’analyse de sa méthode exégétique permettra d’entrevoir un début de réponse et surtout de
poser plus clairement la question des rapports entre la doctrine et l’exégèse.
L’attachement des commentateurs sûfîs à la lettre du
Coran a été maintes fois signalé. Il ne signifie pas exégèse littérale, mais
exploitation de sa richesse d’évocation symbolique, dans le but de faire
découvrir au lecteur la portée spirituelle et métaphysique du texte. Une forme
de cet attachement est la référence au sens originel et concret d’une racine ou
d’un mot apparenté à celle-ci, pour découvrir le sens profond d’un autre mot
rendu abstrait par l’usage. Ibn 'Arabî procède ainsi pour le mot nakâl,
supplice, dans le verset « Et Allah lui infligea le supplice de l’au-delà et
d’ici-bas ». Il ramène son sens à l’idée de « lien » (qayd), et par conséquent
à celle de « conditionnement » (taqyîd), en le rapprochant du mot de même
racine : nikl, lien, garrot. Pour le commentaire le résultat est le suivant :
après avoir prétendu à l’état inconditionné de divinité, Pharaon est ramené,
providentiellement, au conditionnement de la servitude, sans lequel il n’y a ni
délivrance véritable ni félicité. Le verset « Certes, en cela il y a un objet
de méditation ('ibra) » invite justement à un dépassement du sens (tajâwuz
al-ma'nâ) du verset précédent par ce mot de 'ibra, du verbe 'abara, traverser,
dépasser. Parfois la seule puissance de suggestion d’une racine suffit pour
faire jaillir une idée nouvelle. Quand il est dit de Pharaon : « peut-être se
souviendra-t-il » (yatadhakkar), les sens multiples de la racine DhKR
s’interposent entre le lecteur et le texte et l’idée de réminiscence entraîne
celle d’une connaissance antérieure et essentielle. Le temps d’un verbe peut
lui aussi être chargé de signification. La forme accomplie du verbe âmantu, «
j’ai cru », par lequel Pharaon commence son attestation de l’unité divine, est
la preuve qu’il était en son for intérieur un croyant de longue date.
L’argumentation d’Ibn ‘Arabî dans ces trois derniers
exemples se fonde sur la valeur des mots en eux-mêmes de par leur racine ou
leur forme grammaticale. Dans une autre forme d’interprétation, ce n’est plus
le contenu linguistique en lui-même qui constitue l’argument, mais le
rapprochement logique suggéré dans l’esprit du lecteur par tel mot, telle
expression, ou même l’ordonnance particulière des mots dans une phrase. Le «
peut-être » (la'alla) par lequel Dieu souhaite le repentir de Pharaon serait
insignifiant s’il était prononcé par un autre que Lui. Mais dans ce cas Sa
Toute-Puissance exige que Son voeu soit réalisé. La parole possède en elle-même
une certaine force opératrice, comme le témoignent ces mots prononcés par la
femme de Pharaon : « (il sera) une fraîcheur de l’oeil pour moi et pour toi!»
(59). Pour Ibn 'Arabî ces propos présagent l’heureuse fin de son époux,
puisque, grâce à Moïse, Pharaon réalise sa véritable destinée spirituelle. La
connexion d’un mot avec une notion traditionnelle peut renforcer la portée de
celui-ci; après son attestation de l’unité divine, Pharaon fait acte de
soumission à Dieu (islam), or, selon le hadith, un tel acte efface toutes les
fautes antérieures, donc Pharaon est nécessairement pardonné. Enfin la place
insolite d’un mot n’échappe pas à l’attention d’Ibn 'Arabî. Pourquoi l’au-delà
est-il mentionné avant l’ici-bas dans le verset « Et Allah lui infligea le
supplice de l’au-delà et d’ici-bas»? Cette permutation de l’ordre ordinaire
nécessite une explication : la réunion des deux châtiments en un seul, celui de
la noyade dans ce monde.
Enfin on trouve fréquemment sous la plume d’Ibn 'Arabï
une série d’arguments exégétiques que la science du tafsîr désigne sous le
terme générique de « commentaire du Coran par lui-même » (tafsîr al-qur'ân
bi-l-qur’ân). Le rapprochement entre deux versets possédant chacun un terme en
commun peut éclairer l’un par rapport à l’autre. Ainsi le verset « Ne craignent
Allah, parmi Ses serviteurs, que les savants » rapproché du verset « peut-être
se souviendra-t-il ou éprouvera-t-il de la crainte » signifie que, quand
Pharaon aura éprouvé une telle crainte, il se souviendra de la science qu’il a
oubliée. La forme comparable que prend l’attestation de l’unité divine chez
Pharaon et les Magiciens est due pour Ibn 'Arabî à leur souci commun de lever
toute ambiguïté possible dans leur formulation. Par conséquent celle du premier
est tout aussi valable que celle des seconds. Inversement un autre argument
pour l’acceptation de sa foi par Dieu est fourni par la comparaison de deux
versets allant chacun dans un sens opposé. Si Dieu reproche à Pharaon d’avoir
tant tardé à attester sa foi, Il ne lui en dénie pas non plus la valeur comme
ce fut le cas pour ces Arabes du désert qui s’entendirent reprocher : « vous
n’avez pas cru ! » C’est donc la preuve que la foi de Pharaon était sincère et
qu’elle a été agréée. D’autre part Ibn 'Arabî relève que nulle part dans le
Coran Pharaon n’est explicitement mentionné comme damné, si ce n’est dans
l’expression « les gens de Pharaon ». Mais pour lui l’expression ne concerne
pas Pharaon lui-même.
Tous ces procédés restent plus ou moins dans le cadre
de l’exégèse classique. Evoquons encore une autre forme d’interprétation, plus
suggestive que rigoureusement logique, s’attachant à mettre en valeur des
relations insoupçonnées entre les mots. Par exemple, le témoignage (shahâda) de
l’Unité divine proclamé par Pharaon, évoque aussi l’idée de martyre (shahâda),
car, selon le hadîth, le noyé meurt martyr (shahîd). D’autre part, la noyade
n’est pas ici sans évoquer l’ablution totale (ghusl), elle-même symbole, pour
qui fait acte d'Islam, de purification des péchés antérieurs, ce qui est
également une promesse faite aux martyrs.
Les arguments d’Ibn 'Arabî sont-ils convaincants ? La
question a son intérêt, puisqu’autour de leur valeur tourne toute la polémique
soulevée par sa position. Cependant elle n’offre guère d’utilité pour le but
que nous nous sommes fixé. Il nous importe avant tout de comprendre la démarche
d’Ibn 'Arabî et pour cela, nous devons nous interroger, non pas sur la valeur
de son argumentation, mais sur ses motivations profondes. Comme cela a déjà été
souligné, l’enjeu de celle-ci est essentiellement doctrinal et prend une
coloration à la fois religieuse, métaphysique et initiatique. Incontestablement
le point qu’il défend avec le plus de force et de conviction est
l’incommensurabilité de la Miséricorde divine. L’oeuvre du Shaykh al-Akbar est
émaillée de constants rappels de celle-ci, étayés par la mention du verset : «
Ma miséricorde embrasse toute chose » (60) et du hadîth qudsî : « Ma
miséricorde a précédé mon courroux ». Sur le plan religieux seul le désespoir
ou refus de la grâce est, avec l’associationisme, un péché sans pardon
possible. Or Pharaon renonce aux deux en même temps ; a-t-on le droit, dans ces
conditions, de lui refuser d’être reçu dans la miséricorde divine ? Sur le plan
métaphysique, condamner Pharaon c’est donc limiter cet aspect de l’Infini
qu’est la Miséricorde. Sous ce rapport la position d’Ibn ‘Arabî est à replacer
dans le cadre général de sa critique des théologiens, auxquels il reproche de
vouloir, par leur réflexion limitée, conditionner l’Absolu.
Sur le plan initiatique la portée des textes cités est
multiple. Nous rappellerons ici brièvement les quelques points de doctrine qui
constituent l'essentiel de l'interprétation du personnage par Ibn 'Arabî.
Celle-ci repose tout d’abord sur une certaine conception de la connaissance et
du connaissant. Connaître une chose, ou un être, c’est s’identifier à elle, ou
à lui. Plus l’identification est totale, plus la connaissance est parfaite. Or
pour qu’elle puisse se réaliser, le sujet connaissant doit renoncer à toutes
les formes de prétention individuelle, qui sont autant d’obstacles interposés
entre lui et son but. Pour arriver à celui-ci, il n’est d’autre voie que celle
de la servitude et de la pauvreté. Elles seules peuvent protéger le connaissant
contre la terrible épreuve qu’est pour lui la découverte de sa propre «
divinité » et « seigneurie », lesquelles ne lui appartiennent pas en propre,
mais ne sont que des manifestations divines en lui. Le danger couru est donc
l’appropriation illégitime de qualités qui n’appartiennent qu’à Dieu. Pourtant,
et c’est un autre aspect important du personnage de Pharaon, la connaissance est
acquise une fois pour toutes; si elle peut s’accroître, elle ne peut diminuer
et reste donc source de délivrance. Cette dernière n’est autre que
l’affranchissement de toutes les limitations par la réalisation de l’Unité
essentielle de l’Etre, ou plutôt de sa non-dualité. On a reconnu là ce qu’on
est convenu d’appeler la wahdat-al-wujûd, bien qu’il ne semble pas qu’Ibn
'Arabî lui-même ait fait usage de ce terme.
Nous possédons maintenant assez d’éléments pour
esquisser une définition de son herméneutique. Celle-ci nous semble à la fois
une, quant à son inspiration et à double sens, quant à sa démarche. Un être
dont l’aspiration tout entière est tournée vers l’Un ne peut pas ne pas trouver
dans la manifestation multiple de Son Verbe les indices de Son Unité. N’a-t-on
pas le sentiment que l’interprétation d’Ibn 'Arabî est constamment guidée par
cette dimension métaphysique ? Nous parlons du double sens de sa démarche parce
que l’interprète a vis-à-vis du Verbe un double rôle, passif et actif.
Réceptacle, il reçoit en fonction de sa prédisposition spirituelle et
intellectuelle. Il nous semble, sans pouvoir rien affirmer, que la saisie du
sens symbolique des racines et des mots soit de cet ordre, ce qui expliquerait
son caractère parfois insolite. Par ailleurs le commentateur coule dans le
moule de l’exégèse sa méditation sur le Livre divin. Ces deux aspects,
schématiquement distingués, se conjuguent en fait dans la lecture. Pour le
sûfî, celle-ci est aussi bien dhikr que fikr, c’est-à-dire : réminiscence
intuitive et directe et réflexion sur le contenu symbolique et doctrinal du
Coran. Il serait donc inexact de dire qu’Ibn 'Arabî, ou tel autre auteur du
Tasawwuf se servent du Coran pour justifier leurs thèses. C’est au contraire en
vertu d’une nécessité intérieure que tel ou tel point de doctrine est replacé
par eux dans son contexte coranique.
Il reste maintenant, pour conclure, à situer
l’interprétation du Shaykh al-Akbar dans l’histoire de la littérature
ésotérique de l’Islam. Une première remarque s’impose : si elle n’est pas
isolée, elle est du moins unique par son ampleur. On en trouve une première
trace, à notre connaissance, chez Sahl al-Tustarî (61). Sarrâj rapporte de lui
cette parole : « L’âme a un secret que Dieu n’a divulgué que par la bouche de
Pharaon, lorsqu’il proclama : « Je suis votre seigneur le plus-haut ! » (62)
Al-Hallâj, immédiatement après Sahl, prend dans une certaine mesure la défense
de Pharaon de façon beaucoup plus allusive qu’Ibn 'Arabî. On lit dans les
Akhbâr al-Hallâj : «... et l’un d’eux lui demanda (à Hallâj) : ô Shaykh ! Que
dis-tu de la parole de Fir'awn ? — C’est une parole véritable (kalimat haqq).
Et que dis-tu de la parole de Moïse ? — C’est une parole véritable : toutes
deux sont des paroles dont le cours prééternel est conforme à leur cours post-éternel
» (63). Ce texte en lui- même reste ambigu ; reste celui des Tawâsîn, dont une
seule phrase peut être mise en relation avec un commentaire d’Ibn 'Arabî : «
Pharaon dit : « Je ne vous connais pas d’autre dieu que moi ! », sachant que
dans son peuple personne n’était capable de distinguer entre le vrai et le faux
» (64). Mais ce qui frappe plutôt chez al-Hallâj, c’est cette sorte d’affinité
qu’il affirme lui-même exister entre lui et Pharaon (65). On pense
naturellement aux passages où Ibn 'Arabï assimile la parole de Pharaon à un
shath. Il est intéressant de remarquer qu’un certain nombre d’auteurs ont
soutenu simultanément deux opinions sur Pharaon. Jalâl al-dïn Rûmî, par
exemple, dans le Mathnavî condamne Pharaon ou l’interprète microcosmiquement
comme le symbole de l’imagination luttant contre l’intellect (66). Mais dans le
Fîhi mâ fîhi il signale la possibilité de l’interprétation ésotérique, tout en
considérant le point de vue exotérique comme nécessaire : « Les spirituels ne nient
pas totalement la faveur de Dieu envers Pharaon, mais ceux qui ne voient que
l’apparence le considèrent comme totalement abandonné par Dieu; et pour le
maintien des apparences, cette croyance est convenable » (67). Un autre exemple
d’une double interprétation se retrouve également chez les commentateurs
respectifs de Hallâj et Ibn 'Arabî, Rûzbehân Baqlî et Qâshânî ; le premier
justifie dans son commentaire des Tawâsîn (68) les propos d’al-Hallâj ou de son
disciple sur Pharaon mais n’en souffle mot dans son commentaire du Coran, les
'Arâ’is al-bayân. De même Qâshânï ne fait aucune allusion à la position d’Ibn
'Arabî dans son propre commentaire, les Ta’wîlât al-qur’ân, tandis qu’il
commente les Fusûs al-hikam et admet parfaitement l’interprétation de l’auteur.
Beaucoup plus proche de nous, l’Emir 'Abd al-Qâdir, disciple fervent d’Ibn
'Arabî, condense dans un premier passage des Mawâqif (69) l’argumentation de ce
dernier, comme le fit également Dawwâni, cet autre défenseur de la position
d’Ibn 'Arabï (70). Mais dans un autre mawqif, la question de la félicité
posthume de Pharaon apparaît pour l’Emir sous un jour beaucoup plus personnel,
puisque sa propre félicité lui est annoncée sous forme d’un verset concernant
Pharaon. Comme il s’en étonne, Dieu lui révèle que Pharaon a consacré sa vie à
l’adoration divine et qu’il est mort « pur, purifié et martyr » (71).
L’intérêt de cette dernière attestation de la «
sainteté » de Pharaon est de répondre partiellement à la question que nous nous
sommes posée sur la nature de la tradition ésotérique concernant Pharaon et
dont Ibn 'Arabî fut le plus éclatant représentant. Faut-il y voir une
communauté d’attitude herméneutique ou bien une transmission littéraire ou
orale ? L’exemple de l’Emir Abd al-Qàdir montre qu’il est parfaitement possible
d’admettre les deux simultanément.
On aimerait pouvoir replacer cette interprétation dans
une tradition « gnostique » des « Gens du Livre ». Peut-on espérer plus belle
illustration de la Gnose salvatrice que l’histoire de Pharaon telle qu’elle
nous est présentée par Ibn 'Arabî ? Les quelques textes que nous avons
consultés ne nous ont apporté que des réponses à moitié satisfaisantes. Le
Midrash fait pourtant allusion au repentir de Pharaon (72). La tradition
exégétique chrétienne s’est elle aussi intéressée à Pharaon, mais, dans
l’ensemble, elle en fait plutôt l’illustration du mystère de la prédestination
ou le symbole des forces ténébreuses qui entraînent l’homme vers la matière
(73). Mais nos possibilités dans ce domaine étant très limitées, c’est plutôt
pour susciter une réponse que nous mentionnons ces deux exemples. Quant à l’Egypte
pharaonique, ce Fir'awn coranique la concerne assez peu; toutefois il n’est pas
inintéressant de retrouver sous la plume d’un auteur sûfî une quasi
justification de la « divinité » de Pharaon.
(1) Muhyî-l-dîn M. b. 'Alî Ibn 'Arabî, surnommé
al-Shaykh al-Akbar est né à Murcie en 560/1165 et est mort à Damas en 638/1240.
(2) Ibn Taymiyya notamment; v. Majmû'a al-rasâ’il
wa-l-masâ’il, T. IV, pp. 98-101. Il semble qu’il n’ait connu que le texte des
Fusûs. Voir également la réfutation par Mollâ Qârî de l’épître de Dawwânî (v.
infra) : Farr al-'awn min mudda'î îmân Fir'awn, Le Caire 1964. Pour la
polémique autour de l’oeuvre d’Ibn 'Arabî, voir la liste des ouvrages dans
l’introd. d’O. Yahya à l’éd. du Nass al-nusûs de Haydar Âmolî, Paris-Téhéran
1975.
(3) Moïse est mentionné 135 fois dans le Coran, Pharaon
74 fois, Abraham 69 fois etc...
(4) Cf. Coran XXVIII, 6 et 8; XXIX, 39 et XL, 24.
(5) Cf. Coran XXIX, 39 et XL, 24.
(6) Cf. Coran X,
83; XXIII, 46; XXVIII, 4.
(7) Cf. Coran XX,
71; XXVI, 44; XXVIII, 38; XLIII, 51; LXXIX, 24.
(8) Les passages des Futûhât où Ibn 'Arabî traite de la
question sont les suivants : T. I pp. 194, 235, 301, 436 ; II pp. 276-7, 410,
411; III pp. 90, 163-4, 178, 264, 355, 514, 533 ; IV, 20, 60, 291 (éd. du Caire
1329). Pour les Fusûs al-hikam, éd. 'Afîfî, Le Caire 1946 ; pp. 197-213.
(9) Coran XX, 43-44.
(10) Futûhât III, 264 et 533.
(11) lbid. II, 276.
(12) Coran LXXIX,
24.
(13) Futûhât III,
533. Le
texte fait évidemment allusion au hadîth qudsî : «... Mon serviteur ne peut se
rapprocher de Moi par une oeuvre qui me soit plus agréable que celle que Je lui
ai imposée, et il ne cesse de se rapprocher de Moi jusqu’à ce que Je sois
l’ouïe par laquelle il entend, la vue par laquelle il voit, la main par
laquelle il saisit, le pied par lequel il marche » Cité par Bukhârî, Riqâq 38
(Le Caire 1315 h., T. VII, 190).
(14) Coran XX, 44.
(15) Futûhât III,
533.
(16) Kitâb al-Jalâla,
éd. Hyderabad 1948, p. 5. Trad. M. Vâlsan, in Etudes
Traditionnelles 1948, p. 152. Les transcriptions ont été modifiées par nous.
(17) Formule que l’on prononce dans la prière canonique
en se relevant de l’inclination. Dans cette position debout l’orant assume
potentiellement la fonction de khalîfa ; c’est donc Dieu qui parle en réalité.
(18) Futûhât I, 436.
(19) La « nature » (tabî'a) désigne chez Ibn 'Arabî la
manifestation formelle au sens le plus large.
(20) Il s’agit d’Abû Yazîd al-Bistâmî. V. supra.
(21) Futûhât 1,
275-6.
(22) Coran XXVIII,
38.
(23) Futûhât III, 178.
(24) Coran XX, 50.
(25) Futûhât IV, 291.
(26) Coran XX, 72 : parole prononcée par les Magiciens
condamnés par Pharaon au supplice. Fusûs p. 210.
(27) Coran XXVI,
21.
(28) Cf. Coran
XXVI, 23.
(29) Fusûs, p. 207.
(30) Coran XX,
49-52.
(31) Coran XX,
51-52.
(32) Coran XLIII,
54. Futûhât III, 533.
(33) Coran XL, 35. Ce verset concerne Pharaon bien
qu’il n’y soit pas nommément mentionné.
(34) Futûhât III, 514.
(35) Le pronom désigne Ibn 'Arabî lui-même.
(36) Futûhât II, 276. Ce passage et celui qui suit un
peu plus loin sont extraits du chapitre 167 intitulé Kimiyâ' al-sa'âda
(l’Alchimie du Bonheur). Celui-ci a été traduit en entier par G. Anawati, in
MIDEO, VI, 1959-1961.
(37) Futûhât III, 264. V. également II, 410 et 411.
(38) Futûhât III, 90 et infra.
(39) Ibid. II, 277.
(40) Coran X, 90.
(41) Coran VII, 121 et XX, 70.
(42) Coran X, 91.
(43) Ibid. 92.
(44) Cf. ibid. 98.
(45) Ibid. 92.
(46) Coran XI, 98.
(47) Coran XXVII,
62.
(48) Coran LXXIX,
25.
(49) Ibid. 26.
(50) Futûhât II,
276-7
(51) Coran XLIX,
14.
(52) Coran IV, 18.
(53) Futûhât II, 410.
(54) V. également Futûhât III, 533 et Fusûs, p. 212.
(55) Futûhât II, 410.
(56) Tel Sha'rânî dans ses Yawâqît wa-l-jawâhir, Le
Caire 1307 h., p. 13.
(57) Futûhât I, 301.
(58) Il nous faut signaler un autre passage découvert
après la rédaction de cet article. Ibn 'Arabi y oppose l’état de misère
(shaqâ’) de Pharaon à l’état de félicité (sa'âda) de sa femme. Bien que ces
deux termes se rapportent généralement à l’au-delà, l’auteur ne précisant pas,
il est difficile de trancher. D’autre part, comme dans les textes cités plus
haut, la déchéance de Pharaon est expliquée par la hauteur du maqâm qu’il a
atteint. (Cf. Futûhât III, 11).
(59) Coran XXVIII, 9 ; Fusûs, p. 201.
(60) Coran VII, 156.
(61) Mort en 283 h.
(62) Al-Luma', éd. Nicholson, Leyde 1914, p. 354 ; v.
aussi p. 227. Cf. Massignon, Passion d’al-Hallâj, rééd. Gallimard, T. I, 111.
(63) Cité dans Passion III, 122.
(64) Tawâsîn, p. 50. Même si le passage est, selon
Massignon, rajouté par Wâsitî, il reflète néanmoins le point de vue de son
maître al-Hallâj.
(65) V. Tawâsîn, p. 50 et Passion I, 58. La vision de
Ibn Fâtik pourrait tout aussi bien s’appliquer à al-Hallâj. Mais nombre
d’auteurs, pour défendre la légitimité du shath de ce dernier, l’opposent à la
prétention (da'wâ) de Pharaon. Cf. Passion II, 281.
(66) Sur cette dernière interprétation, v. Mathnavî,
trad. Nicholson; T. IV, vers 399 à 403.
(67) Fîhi mâ fîhi, trad. E. de Vitray-Meyerovitch;
Téhéran 1975, p. 224-5.
(68) Tawâsîn, p. 93.
(69) Mawâqif, pp. 53-55.
(70) Risâla fî îmân Fir'awn, éd. Ibn al-Hatîb, Le Caire
1964, suivie de la réfutation de Mollâ Qârî.
(71) Mawâqif, pp. 236-7.
(72) Cf. Sidersky, Les origines des légendes
musulmanes, Paris 1933, p. 85 : « Prends exemple de Pharaon, roi d’Egypte; par
le même langage qu’il avait péché, il s’est ensuite repenti, en disant (Exode
XIV, 11) « Qui est comme toi parmi les Dieux, ô Eternel! »».
(73) V. Origène, Homélies sur l’Exode, et Grégoire de
Nysse, La Vie de Moise, Sources Chrétiennes, Tomes XVI et I.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire