VII.
— L'intervention française et ses conséquences (1925-1943)
1.
La première déportation de Cheikh Hamahoullah
En
1917, le Sahel de Nioro était en crise. Les réquisitions de grains, le
recrutement des tirailleurs pour la défense de la France, les pénuries de
médicaments, la famine et toutes les difficultés économiques nées de la
Première Guerre mondiale avaient entraîné les populations à se tourner vers la
religion pour y trouver un refuge. Ce retour à l'Islam pour « échapper » aux
difficultés du moment se traduisit à Nioro par le renforcement des confréries
religieuses. La rivalité entre les disciples de Hamahoullah et ceux du
tijânisme « douze grains » allait créer une situation sociale explosive. Dans
les deux camps, la plupart des adeptes étaient turbulents.
Dans
les autres localités du Soudan et de la Mauritanie à forte population
hamalliste, la situation était également tendue. A Bamako comme à Kaëdi, les
incidents se multipliaient. Les fidèles des confréries rivales devenaient de
plus en plus intolérants et agressifs.
Des
incidents sanglants se multiplièrent à Bamako. A Nioro, les extrémistes
s'affrontèrent au cours de batailles rangées. Les fanatiques des deux clans
considéraient ces bagarres comme de véritables guerres saintes 1.
La
situation devint de plus en plus grave et en 1924, une sanglante bagarre éclata
à Nioro, opposant les partisans et les adversaires du tijânisme « onze grains
».
Sur
les appels incessants de certains marabouts, l'administration coloniale qui
n'appréciait guère la réserve de Cheikh Hamahoullah à son égard, s'immisça de
manière brutale dans le conflit religieux 2.
La
suite des événements nous est révélée par Lamine Guèye, conseiller colonial du
Sénégal, en ces termes :
«
Un grand administrateur des colonies à l'intelligence encore plus grande,
tellement qu'on se demande s'il ne serait pas justiciable de l'académie de
Montyon … ou de l'asile de Charenton, a jugé que Chérif Amalia était un danger
pour le prestige de la France au Soudan et pour la tranquillité de la
population musulmane de l'Afrique occidentale française. ll fait donc un rapport
ad hoc que soutient de toute son autorité Monsieur Descemet, secrétaire général
actuel du Soudan, le même fonctionnaire qui précisément, étant commandant de
cercle de Nioro quelques années auparavant, n'avait eu que des éloges à
adresser au Chérif Amalia. Triste retour des choses d'ici bas … Mais passons.
Donc, sur le rapport Némos-Descemet, le Gouverneur du Soudan propose au
Gouverneur général l'internement en Mauritanie du Chérif Amalia dans l'intérêt
de la paix et de la sécurité de son Saint-Empire du Soudan. »
Lamine
Guèye n'était ni hamalliste ni tijâni « douze grains ». Il n'avait aucun lien
particulier avec Cheikh Hamahoullah qu'il n'avait jamais rencontré. On ne
pouvait d'aucune manière le suspecter de partialité. Avocat de talent, il n'eut
cependant pas la possibilité de plaider en faveur du marabout de Nioro devant
un tribunal. Le Cheikh relevait d'ailleurs de l'indigénat, dans la mesure où il
n'était que sujet et non citoyen français. Homme politique de renom et juriste
distingué, Lamine Guèye fut un musulman pieux. Epris de liberté et défenseur
des droits de l'Homme, le magistrat sénégalais prit fait et cause pour Cheikh
Hamahoullah qui était, à ses yeux, victime de l'arbitraire colonial et de la
délation des marabouts 3.
Lamine Guèye
Le
rapport Némos-Descemet dont Lamine Guèye fait mention est en réalité signé par
le seul Descemet qui reprenait à son propre compte les thèses de Némos. Il
s'agissait d'un vrai mémoire de plus de trente pages 4.
Ce
rapport était accusateur. Ce réquisitoire était surtout fondé sur des
calomnies. D'ailleurs, Descemet n'avait pu établir par des preuves irréfutables
la culpabilité de Cheikh Hamahoullah dans les bagarres de Nioro.
Il
s'appuyait notamment sur des poèmes injurieux à l'endroit de la France, rédigés
et présentés par des adversaires du Chérif de Nioro. Ces libelles faussement
attribuées au marabout maure par les vrais auteurs étaient considérées comme
des documents à charge.
En
clair, cet administrateur avait fait preuve non seulement de partialité, mais
aussi de légèreté dans la mesure où il fut manipulé par les adversaires de
Cheikh Hamahoullah.
Il
prétendait que le marabout disposait d'agents, de « véritables postes d'écoute
» dans les résidences et les bureaux des administrateurs français, ce qu'il n'a
pas prouvé. Il présentait la récitation de la Jawharatu-l-Kamâli comme étant «
le mot d'ordre d'une espèce de société secrète islamique ». Cette
interprétation relève de l'aberration. Nous avons déjà expliqué les motifs
purement religieux de cette pratique hamalliste. Pour étayer son argumentation,
Descemet citait d'ailleurs de larges extraits d'un rapport du capitaine André,
alors que cet officier était très peu averti des questions musulmanes. En
effet, c'est avec surprise que nous avons relevé de graves confusions sous la
plume 5 de cet officier qui était pourtant chargé du service de renseignements
et des affaires musulmanes :
«
El Hadj Omar, le prophète du Fouta, récitait douze fois la Djahourat el Kémal
mais dans son traité Djavar el Mahani, il déclare que la véritable diction est
de onze … Il existe un livre assez secret appelé Djavar el Mahani dans lequel
El Hadj Omar a résumé ses prescriptions et ses prédictions 6. »
Comme
on le constate le capitaine André confond Jawâhir al-ma'ânî, le bréviaire
tijâni, rédigé par Ḥâjj Ali Ḥarâzim ben Barrâda et l'ouvrage d'El-Hadj Omar
intitulé ar-Rimâḥ. Le chef du service des Affaires musulmanes voulait
certainement parler d'ar-Rimâḥ, mais dans ce traité d'Omar Tall (saint ou
marabout du Fouta et non prophète), il n'a jamais été question de réciter onze
fois la Jawharatu-l-Kamâli mais « douze ».
Il
convient de réfuter un certain nombre de thèses présentées par Descemet dans
son rapport.
Rien
ne lui permettait, en effet, d'écrire que Cheikh Hamahoullah prêchait la
violence et « qu'hypocritement, il reste dans la coulisse, donnant à voix basse
les mots d'ordre et tirant les ficelles, cette attitude fut toujours la sienne,
il en profitera pour rejeter toutes les fautes de son entourage sur ses
adeptes. »
Il
ressort de tous les témoignages que nous avons recueillis que le marabout avant
d'être persécuté était un homme paisible, désireux de vivre dans la prière et
le recueillement. Les lettres du résident Charbonnier de Méderdra que nous
citerons plus loin, ainsi que l'opinion du gouverneur Gaden qui était bien
informé des questions islamiques, apportent un démenti à la version soutenue
par Descemet.
Les
arguments utilisés pour convaincre le gouverneur général de la nécessité
d'infliger une peine de dix ans d'internement en dehors de la colonie du Soudan
sont contestables et peu solides. Descemet accuse le Chérif de Nioro d'avoir
imposé « son candidat » à la tête de la tribu des Laghlal et de n'avoir rien
fait pour empêcher les affrontements entre certains de ses disciples et les
tijânis « douze grains » de Nioro. Il prétend que Hamahoullah entretenait des
relations avec l'émir de Sokoto et des réformateurs de tendance politique
xénophobe en territoire étranger.
Toutes
ces assertions nous ont paru trop partiales pour être accueillies de confiance.
Au vrai, elles témoignent d'un esprit carrément partisan.
Au
sujet des faits qui étaient reprochés à Cheikh Hamahoullah, Alphonse Gouilly 7
analyse le rapport Descemet à la lumière d'une masse considérable de documents
des A.P.A.S. :
«
Le Directeur des Affaires politiques du Gouvernement général de l'époque 8
était d'avis que les faits reprochés à l'intéressé ne justifiaient pas une
sanction aussi grave.
Il
peut paraître intéressant de consigner ici les scrupules de ce haut fonctionnaire,
car le premier internement de Cheikh Hamallah contient en germe le problème
hamalliste tel qu'il s'est posé par la suite.
Il
convient, écrivait M. Rougier, d'agir prudemment et de ne pas courir le risque
de créer contre nous un foyer de fanatisme agissant. C'est pourquoi il serait
peut-être expédient, au lieu de combattre ouvertement une influence certaine et
déjà considérable qui s'est développée à l'abri de la protection française, de
la canaliser habilement à notre profit. Il n'est sans doute pas impossible de
nous attacher Chérif Hamallah par quelques prébendes et de le gagner à notre
cause par une très large tolérance comme nous avons déjà su gagner les Cheikhs
ainsi que tous les marabouts notoires de la Mauritanie et du Sénégal…
Suivent
les raisons qui paraissent s'opposer à une mesure d'internement :
Quatre
ordres de faits sont exposés (dans le rapport demandant l'internement) :
Chérif
Hamallah demande 9 et obtient de l'administration l'internement de son rival en
religion Fah Ould Cheikh Mohammed, chef d'une tribu qadriya (tinouajiou).
Peut-on
faire grief à Hamallah d'une démarche où il a obtenu gain de cause ?
Chérif
Hamallah exerce son influence en faveur d'un candidat à la succession du
commandement des Oulad Nacer. Ici encore il obtient gain de cause et son
intervention emporte par surprise, dit-on, la décision de l'administration.
Ceci mérite-t-il dix ans d'internement ?
Des
tidjanias réformistes et des tidjanias orthodoxes disputent sur le mérite du
chapelet à onze grains. La discussion devient soudain plus âpre et les
antagonistes en viennent aux mains. Hamallah assiste de très loin à la
querelle, on lui reproche de n'être pas intervenu.
Etait-il
tenu d'intervenir ? et son intervention n'aurait-elle pas provoqué une bagarre
plus sérieuse ?
Les
Laghlal pillent périodiquement des Tinouajiou. Il se trouve que les Laghlal
sont tidjanias réformistes et les Tinouajiou qadriyas, et immédiatement la
responsabilité de ces pillages retombe sur le chef de la confrérie tidjania qui
vit très loin du théâtre de ces entreprises.
Or
les Laghlal ont toujours vécu de rapines et ils eussent agi de la même façon si
d'aventure ils avaient été qadriyas.
Dans
aucune de ces manifestations je ne relève une preuve suffisante de la
culpabilité du marabout et je persiste à penser que nous risquons dans cette
affaire de commettre à la fois une injustice et une faute politique. En dépit
de ces objections, Cheikh Hamallah fut frappé d'une peine d'internement
administratif de dix ans. Le Gouverneur de la Mauritanie qui était alors M.
Gaden proposa que cet internement fût subi à Méderdra. M. Gaden, en effet,
avait été frappé par la forte et séduisante personnalité de Cheikh Hamallah et
avait pensé le faire interner dans un point relevant de son ressort
territorial, tant pour l'empêcher éventuellement de nuire que pour le protéger
contre les menées de ses adversaires.
C'est
ainsi qu'il put prouver que les allégations selon lesquelles Cheikh Hamallah
entretenait des relations en territoire étranger et envoyait un émissaire à
l'émir de Sokoto étaient dénuées de tout fondement puisque le prétendu
émissaire était un qadri bon teint allé en Nigéria pour se procurer des
chevaux. Quand on part à la recherche des conspirations, écrivait le gouverneur
Gaden, à ce propos, on a toute chance d'en rencontrer 10. »
Ces
extraits du rapport Gouilly prouvent bien que Cheikh Hamahoullah avait été
victime d'une injustice et qu'il avait été calomnié par certains de ses pairs
qui avaient réussi à influencer certains administrateurs tels que Descemet,
Carde, Boisson et Terrasson de Fougères.
On
peut même relever des contre-vérités par omission dans le rapport Descemet :
«
J'ajoute que Cheikh Hamahoullah ne nous a pas fourni la moindre preuve de
loyalisme. Il en avait l'occasion pendant la guerre. »
En
vérité, il n'était pas question pour le marabout de faire des déclarations de
loyalisme ou de demander à ses disciples d'aller se battre les armes à la main
pour défendre contre l'Allemagne une cause qui lui paraissait étrangère à
l'Islam. Cependant, il avait tenu à aider financièrement la France pendant la
Première Guerre. Ce qui a permis à Lamine Guèye d'écrire :
«
Tout cela, Chérif Amalia l'a fait sans calcul ni ostentation, avec la même
simplicité que lorsqu'il s'est agi, aux jours tragiques de la guerre, d'aider
financièrement la métropole. Qu'est-ce que cela prouve, dira-t-on ? Ce que le
Chérif Amalia a fait, n'importe qui le ferait à sa place. C'est vrai. Mais la
question n'est pas de savoir s'il est un sujet d'exception aimant la France
plus que vous et moi. Il s'agit tout simplement de prouver que ses sentiments
et son attitude habituels sont ceux d'un an ti-Français et c'est précisément
cette preuve qui n'a pas encore été administrée par les ennemis du Chérif 11. »
Les
contre-vérités ne manquent pas dans le rapport Descemet. En effet, cet
administrateur mentionne que Cheikh Hamahoullah, qui a prévu la mort et l'exil,
aurait désigné un successeur en la personne de Mohammed Mahmoud ould Ahmed
Taleb des Idaou el-Haj. En vérité, le Cheikh n'avait pas désigné de successeur.
Malgré
la légèreté du rapport Descemet et les objections qu'il avait soulevées, le
chef de la colonie du Soudan, dont relevait le marabout, demanda au gouverneur
général l'internement 12 du Chérif à Méderdra (Mauritanie). C'est dans ces
conditions qu'un beau jour Chérif Hamahoullah fut convoqué par le gouverneur
Terrasson de Fougères à Bamako.
—Tu
es un brave homme lui dit-on mais tes disciples sont turbulents, le Gouverneur
général a décidé de t'exiler, je ne sais pas où tu iras, tout ce que je peux te
dire, c'est que tu ne verras pas ta famille. Tu indiqueras parmi tes femmes,
celle que tu préfères comme compagnon d'exil et je la ferai venir. Je n'admets
ni réplique ni explications. J'ai dit aussi vrai que je m'appelle Terrasson de
Fougères, Gouverneur de tous les Soudan.
Le
marabout a cependant le courage de répondre :
—
Je paie mes impôts, je rachète mes prestations, je ne fais aucune espèce de
propagande ni orale, ni écrite et je n'ai pas sur la conscience un seul acte
d'hostilité à l'égard de la France et de ses représentants. Si tu en connais,
cite-les moi et je suis prêt à subir ta sentence si ma culpabilité est
démontrée.
—
Tes enfants ne vont pas à l'école française.
—
Mes enfants sont tous petits, Monsieur le Gouverneur. Pour le moment, je leur
apprends le Coran comme je l'ai moi-même appris lorsque j'avais leur âge. Plus
tard, ils pourront aller à l'école française. Cependant, si tu désires qu'à
tout prix ils y aillent, tu n'as qu'à les prendre. Je te les abandonne. — Et puis
tu as tort de t'abstenir de toute intervention auprès de tes talibés, si
turbulents et si querelleurs ; ils troublent l'ordre public.
—
Monsieur le Gouverneur, j'ai déjà dit que je ne fais aucune espèce de
propagande. Tu es la personnification de l'autorité et tu l'exerces
effectivement, ayant à ta disposition des soldats, des gardes, une armée. Moi,
je n'ai que mon chapelet. Quand j'ai payé mon impôt et rempli toutes les
obligations imposées à un sujet, mon rôle est terminé. Je n'ai pas à m'occuper
de ceux qui troublent l'ordre public, ne serait-ce que pour ne pas empiéter sur
tes attributions. D'ailleurs, tu ne m'as jamais demandé d'intervenir auprès de
n'importe quel musulman dans aucune circonstance. Que ne fais-tu venir ceux que
tu appelles mes disciples et qui troublent l'ordre public ? C'est à toi qu'il
appartient, puisqu'ils transgressent tes ordres et font le contraire de ta
volonté, de les châtier ainsi qu'ils le méritent.
—
La conversation a assez duré. Retourne à Bamako où tu es descendu je te ferai
appeler lorsque j'aurai besoin de toi 13.
Le
marabout avait cru bon de s'expliquer mais c'était inutile car son sort était
déjà fixé. Le gouverneur Terrasson de Fougères avait déjà demandé son
internement en Mauritanie pour une période de dix ans 14.
En
effet par arrêté 2639 bis du 28 novembre 1925 15 le gouverneur général de
l'Afrique occidentale française décide l'internement de Chérif Hamahoullah pour
une période de dix années en vertu des pouvoirs qui lui sont conférés par le
décret du 15 novembre 1924 16.
Il
ne restait plus qu'à arrêter le Chérif de Nioro qui résidait à Bamako depuis
plusieurs mois sur la demande de Terrasson de Fougères. Faisant le récit de
l'arrestation de l'élève de Lakhdar, Lamine Guèye écrivait :
«
Le vendredi 25 décembre 1925, jour de Noël, fut pour la population indigène de
Bamako un jour de profonde tristesse. L'émotion fut grosse, causée par la
nouvelle de l'envoi en exil de Cheikh Amalla, grand et paisible marabout
universellement aimé et respecté dans toute l'Afrique occidentale française.
Dès
une heure du matin, des bruits se perçoivent, des chuchottements significatifs
indiquent qu'il se prépare un coup anormal : ce sont les fonctionnaires de la
sûreté qui font leurs préparatifs pour enlever le Chérif Amalia telle une belle
du pays des mille et une nuits.
Les
rues avoisinant la demeure du marabout sont occupées par des gardes de cercle
et des agents de police armés : les autos sont là qui font du tintamarre ; les
voisins se réveillent en sursaut, les femmes s'affolent et dans tout ce
brouhaha le commissaire de police avec toute sa majesté, dit la sentence qui
doit consacrer le malheur d'un innocent et donner au Chérif Amalia une auréole
de martyre :
Voici
l'arrêté du Gouverneur général prononçant ton exil et ton internement en
Mauritanie. L'ordre que j'ai reçu est que tu prennes immédiatement cette
automobile. Laisse tes bagages et toutes tes affaires, tu trouveras tout au
lieu indiqué.
Le
marabout prend place dans la voiture pour une destination inconnue. Dislocation
de tout le monde officiel et dans la maison vide de son hôte, femmes, enfants
et vieillards sont secoués par des sanglots. Le commissariat de police croit
cependant devoir avertir le beau-frère du marabout que le Gouverneur le tiendrait
pour responsable de toute manifestation, quels qu'en soient les organisateurs,
étant interdit à quiconque d'accompagner le marabout à la gare et même de lui
adresser la parole avant son départ 17. »
Le
Chérif est donc enlevé à Bamako le 25 décembre 1925. La lettre n° 532/AP du
gouverneur du Soudan en date du 18 décembre adressée à son homologue de
Mauritanie nous précise l'itinéraire du Chérif :
«
Cet indigène sera dirigé sur Méderdra via Thiès et Saint-Louis par régulier
quittant Bamako le 25 courant escorté par deux agents de police, il sera en
outre accompagné des nommés Ahmed ould Saadi et Moussa Diallo. »
Un
télégramme en date du 28 décembre envoyé par les autorités administratives de
Thiès précise que Chérif Hamahoullah est arrivé et qu'il quittera cette
localité le même jour pour Saint-Louis (lieu de résidence du gouverneur de la
Mauritanie). Le chef de confrérie ne rejoindra Méderdra que le 24 juillet 1926.
Avant cette date le gouverneur Gaden, de la Mauritanie, fit parvenir une lettre
en date du 21 juillet 1926 au Commandant de cercle du Trarza à Boutilimit :
«
… il (Chérif Hamahoullah) a auprès de ceux qui ne suivent pas sa Voie la
réputation d'un saint, … Avant d'envoyer Chérif Hamallah à Méderdra, j'ai tenu
à m'y rendre moi-même pour voir les principaux personnages religieux de la
région. J'ai trouvé chez tous la même bonne opinion et l'affirmation que son
installation à Méderdra ne leur causait aucune inquiétude 18. »
Depuis
qu'il avait quitté Thiès le 28 décembre 1925 jusqu'en juillet 1926, date de son
départ pour Méderdra, Cheikh Hamahoullah demeurait terrassé par la maladie à
Saint-Louis du Sénégal. Mais durant cette période, la nouvelle de l'arrestation
du nouveau « Pôle » de la Tijâniyya suscitait des réactions.
2.
Les réactions à l'arrestation de Cheikh Hamahoullah
La
nouvelle de l'arrestation du Chérif de Nioro s'était très vite répandue dans
toute l'A.O.F. Elle fut la cause d'un fort mécontentement dans les milieux les
plus divers. Les réactions furent nombreuses et pas toujours favorables à
l'interné politique de Méderdra. A l'époque, le journal l'A.D.P., Echo de la
Côte occidentale, ouvrit ses colonnes au débat que suscitait l'internement
administratif de Hamahoullah.
Lamine
Guèye fut le premier à écrire à ce sujet :
«
A mon passage à Bamako, j'ai été sollicité d'une façon tellement pressante que,
après consultation de mes amis dont les avis étaient profondément divergents
sur le personnage déporté et sur le problème posé par son cas, j'ai dû invoquer
des considérations qui ne sauraient être un obstacle à détermination pour un
homme public digne de ce nom, pour un musulman émancipé dégagé des entraves du
fanatisme. Mon refus de dire un mot sujet à commentaire ou à interprétation
était légitime surtout pour mon constant souci de ne jamais commettre
l'abominable crime de faire naître des espoirs irréalisables. Ce qui arriverait
dans le cas particulier si, mal informé, je m'étais permis une appréciation
prématurée et que dans la suite il fût démontré que la mesure administrative prise
était opportune. Il eût été contraire à l'intérêt général de soulever ou de
tenter de soulever l'indignation de l'opinion publique contre laquelle aucune
puissance au monde ne peut résister. Je me réservais de n'y faire appel que
lorsqu'il serait indubitablement prouvé que Chérif Amalla doit son malheur à
une erreur engendrée par le déchaînement des passions, et qu'au lieu de
l'exiler on aurait dû le laisser jouir de la sécurité à laquelle a droit tout
homme se conduisant d'une façon irréprochable. J'étais loin, bien loin de
penser, en quittant Bamako qu'à mon retour à Dakar, je trouverais une si
impressionnante correspondance relative au Chérif Amalia. Quelle abondance !
Jamais
nous n'avons reçu tant de lignes intéressant un même sujet. Pour la turbulence
de ses disciples, seul motif invoqué par l'administration pour justifier
l'internement du marabout en Mauritanie, nous faisons alors nôtre,
l'indignation qu'anime nos correspondants du Soudan. Nous reviendrons sur le
cas du Chérif et nous disons à nos confrères de la presse locale et
métropolitaine, que s'il est des questions pour lesquelles il puisse y avoir
division ; nous disons dans celle du marabout de faire, dans l'intérêt de la
France, la protestation unanime qu'attendent les indigènes dont les conceptions
concilient difficilement les promesses de justice et de sécurité de la
Troisième République, avec la mesure véritablement inquisitoire frappant un
individu contre qui on ne peut invoquer aucune faute, même de simple
vaticination tendancieuse révélatrice de la moindre ambition dangereuse 19. »
Lamine
Guèye ne pouvait d'ailleurs prendre la défense du Chérif car celui-ci relevait
de l'indigénat. Rappelons qu'en vertu de l'article 22 du décret du 15 novembre
1924, le gouverneur général avait le pouvoir de prononcer une peine
d'internement de dix ans ou même de vingt ans contre n'importe quel « indigène
». Sa décision était sans appel quels qu'en fussent les motifs.
Malgré
tout, dans les colonnes de L'A.O.F. du 28 janvier 1926, l'avocat sénégalais fit
un véritable plaidoyer en faveur du Chérif mauritanien :
«
Son crime n'a consisté que dans un acte d'abstention pour éviter précisément
que la moindre initiative de sa part, soit interprétée défavorablement et lui
vaille le pire des désagréments. Si son cas avait été déféré à un tribunal
français, le marabout aurait pu s'expliquer et démontrer victorieusement
l'inanité des griefs articulés à son encontre, malheureusement il relève de
l'indigénat, c'est-à-dire de l'arbitraire sans limite. Oui ! l'indigénat, voilà
à quelles possibilités tu peux donner naissance. Je n'ai jamais cru en toi et
ce nonobstant le verbe enchanteur et magique de Monsieur Albert Sarraut. Entre
les mains de fonctionnaires à mentalité façonnée et rétrograde, tu permets
souvent de commettre des crimes monstrueux contre des innocents et contre les
intérêts de la France. Lorsque la religion de Monsieur le Gouverneur général
Carde sera mieux éclairée et espérons qu'elle le soit un jour très prochain au
sujet du Chérif Amalia nous ne doutons pas qu'il ne rapporte la mesure qu'il a
dû prendre sur la foi de renseignements inexacts. Le Chérif est innocent,
Monsieur le Gouverneur général et nous attendons de votre impartialité et de
votre équité la prescription d'une enquête qui, osons-nous l'espérer,
démontrera lumineusement que le Chérif Amalia ne faisait courir aucun danger à
l'autorité française. Ce faisant, vous accomplirez un acte de justice digne du
premier représentant de la France en Afrique et du collaborateur du Grand Van
Vollenhoven mort en héros pour le triomphe du droit et de la justice 20. »
Enfin,
des Africains à l'honnêteté douteuse intervinrent dans le débat mais pour
approuver les mesures prises contre le Chérif de Nioro par les représentants de
la Troisième République en Afrique de l'Ouest. C'est encore le journal L'A.O.F.
qui se fit l'écho de ces interventions. En effet, le directeur politique de cet
hebdomadaire dakarois répondit en ces termes à la lettre de menaces à peine
voilées que lui adressèrent des adversaires du grand Cheikh maure :
«
J'ai reçu de Kayes d'un groupe d'El Hadj soudanais au nom de tous les musulmans
(?) une lettre me signalant les dangers auxquels je suis paraît-il exposé, en
prenant la défense du Chérif Amalia. J'extrais de cette lettre les passages
suivants : Ceux qui vous écrivent sont des partisans ou de soi-disant disciples
de Chérif Amalia. Nous, nous n'avons d'autres références que notre titre de «
pèlerins mohametans », que votre honorable feu père a porté aussi, avec autant
de distinction que de ferveur. El Hadj Chérif Mohamed El Moctar de Nioro a
fourni son propre fils pour être tirailleur, Chérif Amalia a toujours été
sourdement hostile aux Blancs. Il n'a fourni ni fils, ni talibés ; il a refusé
d'envoyer ses fils à l'école, il n'a jamais fait acte de soumission à
l'administration de Nioro. De tels agissements pouvant rejaillir sur tous les
musulmans, nous avons cru de notre devoir de désigner Chérif Amalia qui est le
cerveau comme perturbateur du repos et de la paix que les Français maintiennent
dans le pays. Voyez en âme et conscience s'il est légitime de laisser perdre la
collectivité pour le profit d'un seul individu entouré d'une camarilla de
profiteurs. Ce n'est point par hasard que les opinions sur Chérif Amalia sont
contradictoires. C'est qu'au-dessus de la masse qui suit aveuglement, se
trouvent des consciences clairvoyantes et averties qui puisent en elles-mêmes
le droit de battre la breloque. Chérif Amalia est interné. C'est la
condamnation des clameurs et des djikrs 21 guindés et sans ferveur pour
permettre à la bonne foi pure et intègre de faire son chemin dans le silence
paisible du recueillement.
Je
remarque tout d'abord que ce groupe de pèlerins manie la langue française avec
une aisance peu commune. Je ne serais pas surpris d'apprendre que ces pèlerins
sont venus en droite ligne de Paris. A la vérité, il s'agit tout bonnement de
gens qui servent d'instruments de je ne sais quels personnages occultes, qui
leur font écrire n'importe quoi, pour démontrer que Chérif Amalia est un
monstre dont les agissements pouvaient constituer une menace pour la sécurité
et le prestige de la France. Or, ce qui me paraît singulier, c'est la ténacité
avec laquelle on cherche à accabler cet homme, alors que le gouverneur du
Soudan, mis en demeure de préciser ses griefs contre lui, a été absolument
incapable de le faire. Ce que j'ai dit et écrit au sujet de ce marabout n'est
que la traduction du sentiment que peut éprouver tout homme imbu de justice et
de vérité et qui les voit fouler aux pieds au détriment d'un être innocent et
inoffensif. Chérif Amalia, oui ou non a-t-il commis un crime envers la France ?
Ceux qui l'affirment ont le devoir de le prouver s'ils en ont les moyens. Je ne
pense pas qu'ils y aient encore réussi. Jusqu'à ce qu'on me démontre par des
faits ou des actes, que j'ai tort de considérer Chérif Amalia comme un
innocent, je persiste à dire qu'il a été victime d'une injustice qui n'est
point faite pour servir les intérêts bien compris de la France, à une époque où
le besoin se fait plus que jamais sentir d'une politique libérale et généreuse
envers ses sujets. La France a toujours tenu à honneur de conquérir le coeur de
ses enfants adoptifs non par la force et la violence mais en appelant à son
aide la douceur et la persuasion. Cette méthode qui lui a toujours réussi,
pourquoi ne pas en avoir usé à l'égard du Chérif Amalia ?
Quoi
qu'il en soit, je ne puis me défendre d'un sentiment de réelle sympathie à
l'égard de cet homme qui à mes yeux, reste une victime et cela d'autant plus
volontiers que le réquisitoire publiquement prononcé contre lui émane de personnages
anonymes, alors que ce rôle appartenait à ceux qui, officiellement, ont pris
sur eux de l'envoyer en exil. »
L'appel
de Lamine Guèye resta sans effet. Un autre grand Sénégalais, Galandou Diouf
demanda par télégramme (n°288 en date du 16 juin 1926) à Blaise Diagne, le
premier député ouest-africain, d'intervenir en faveur de Cheikh Hamahoullah
auprès du ministère des Colonies 22.
Cette
requête resta également sans résultat. Pendant que les uns et les autres
s'affrontaient au sujet de l'internement administratif du Chérif, celui-ci
souffrait à l'hôpital de Saint-Louis. De toutes façons, il allait rejoindre
Méderdra en vue de purger la peine prononcée contre lui.
3.
L'exil de Méderdra et les interventions d'un administrateur colonial d'une
admirable équité (1926-1930)
A
la fin de juillet 1926, Chérif Hamahoullah et ses compagnons étaient déjà à
Méderdra. Ils furent logés dans la case de Khayar M'Bengue. Les premiers
hamallistes à découvrir le lieu d'internement du Chérif 23 étaient des Maures
originaires de Chinguetti. La nouvelle de la présence du déporté politique à
Méderdra se répandit alors dans toute la Mauritanie et le Soudan. De partout
des fidèles affluèrent apportant des dons. Cheikh Hamahoullah qui n'accepta pas
de faire venir auprès de lui sa famille, fut rejoint par ses confidents, Amadou
Kouyé, Bilali et Boubacar Bâ, tous originaires de Nioro.
L'arrivée
du Chérif à Méderdra ne passa pas inaperçue. Elle nous est signalée en ces
termes par l'administrateur de la ville :
«
Honneur rendre compte que Chérif Hamallah arrivé le 24 à Méderdra est venu me
rendre visite dès sa descente d'automobile, il a passé une heure quarante cinq
minutes au bureau où j'ai pu lui donner les renseignements qu'il m'a demandés
sur le climat et les habitants du pays. Le Chérif a produit une bonne
impression parmi les populations. Les Maures présents au village lui ont rendu
une visite de politesse. L'émir dont le campement se trouve à environ une
douzaine de kilomètres de Méderdra, a tenu à envoyer son fils préféré, Ely,
recevoir les bénédictions du Chérif. Le surlendemain de son arrivée, Chérif
Hamallah est revenu me voir pour me demander de faire quelques réparations à sa
maison d'habitation que le menuisier a d'ailleurs effectuées en quelques
instants. A sa sortie du bureau, Chérif Hamallah est allé voir la mosquée du
village. Le Chérif ne m'a montré dans les entretiens que j'ai eus avec lui,
aucun signe de mécontentement 24. »
Chérif
Hamahoullah jouissait de bonnes conditions d'internement. Il était bien traité
par Charbonnier le résident de Méderdra qui lui rendait souvent visite. Le
Cheikh n'était pas surveillé, il pouvait circuler librement dans la ville mais
il sortait rarement de chez lui. Il subissait moins de tracasserie qu'à Nioro.
Tout le monde pouvait le rencontrer. L'élève de Lakhdar était tout simplement
en résidence obligatoire mais n'était pas considéré comme un prisonnier. Chez
lui, un cénacle se forma. Il passait toutes ses matinées à discuter avec les
lettrés de la ville. Au cours de ces rencontres les passages les plus obscurs
du Coran et de la Sunna étaient à l'ordre du jour. Le Chérif de Nioro réussit à
gagner la sympathie de tous les grands savants et lettrés de la région :
«
Depuis qu'il est à Méderdra, Chérif Hamallah s'est toujours montré très déférent,
vit en reclus, se montre accueillant pour tous, jouit d'une grande sympathie
dans le pays. J'ignore ce qu'il a fait à Nioro pour lui valoir une disgrâce
semblable, je ne crois pas qu'il serait devenu un héros de l'Islam mais nous en
faisons aux yeux des musulmans même de ceux qui ne sont pas ses adeptes, un
persécuté. C'est de la mauvaise politique en terre d'Islam 25. »
Dans
une lettre confidentielle n°460 du 16 octobre 1926 26 Charbonnier dont la
conscience semble révoltée par l'injustice qui a frappé Cheikh Hamahoullah,
continuait son plaidoyer en faveur de l'homme de Nioro. Il fit même des
suggestions fort intéressantes au gouverneur général :
«
J'ai beaucoup causé avec lui (Chérif Hamahoullah), je l'ai trouvé très lucide,
lui-même dirigeait la conversation, il m'a posé de nombreuses questions sur la
France, ses produits, sa faune, ses industries, le rôle de la femme dans le
ménage, la mosquée de Paris, la constitution du Gouvernement, etc… Notre
conversation a semblé beaucoup l'intéresser. Chérif Hamallah a certainement
très à coeur la mesure qui l'a frappé, l'ennui ronge cet homme éloigné de ses
femmes et de ses enfants. J'irai le voir quelques fois. Je l'appellerai auprès
de moi le plus souvent possible. Nous devons faire quelque chose pour lui. A
mon avis sans mettre en doute la mesure prise par le Gouverneur du Soudan,
l'expiation est suffisante, je crois que l'appréciation toute élogieuse des
principaux marabouts et savants de la résidence pourrait avoir une heureuse
influence sur le Gouverneur général Carde. Voilà mes suggestions : une grande
assemblée, sorte de concile composé de Cheikh Sidati, moghadem des Qhadirias,
Cheikh ould Mohamed Saïd, moghadem des Tijanes, Ahmed Baba ould Hamdi
représentant du rite Chadelya, le Cadi Mohamed Vall avec une trentaine de
savants ou de personnages ou de marabouts importants.
Ces
gens donneraient leur avis sur le Chérif Hamallah au sujet de la Voie qu'il
suit, de ses exercices spirituels, qui ne sont nullement contraires aux
principes de la religion musulmane. Je suis persuadé d'avance que l'avis de
tous ces personnages serait élogieux et leur délibération se terminerait par
une supplique à l'autorité supérieure de mettre un terme à l'exil de Cheikh
Hamallah. L'intéressé ignore ma pensée sur ce point, je vous serais
reconnaissant de me faire connaître si ma suggestion peut avoir le mérite de
retenir votre attention. La présence de Chérif Hamallah à Méderdra ne peut en
rien troubler le pays. Les gens ne se permettent même pas de critiquer la
décision prise contre Chérif Hamallah mais ils le plaignent. La répercussion de
son internement dépassera certainement la Mauritanie. Il sera jugé comme un
acte de persécution religieuse. En toute conscience, je dis ma penseée 27 . »
Le
résident de Méderdra ne pouvait être suspect de partialité à l'égard de Cheikh
Hamahoullah qu'il considérait à raison comme un innocent. Il rejoint le point
de vue de Lamine Guèye et de Galandou Diouf. Sa lettre apporte un démenti au
rapport de Brévié dans lequel on peut lire : « On croirait qu'il (Cheikh
Hamahoullah) est au stade pathologique qui précède ou accompagne le mysticisme
28. »
En
effet Charbonnier écrivait : « Je l'ai trouvé très lucide 29. »
L'administrateur de Méderdra fait également remarquer l'esprit ouvert et
curieux du Chérif qui parlait de gouvernement et même de constitution. Et
pourtant la tradition orale sans mettre en cause la lucidité du marabout
présente celui-ci comme un vrai mystique qui ne s'intéressait qu'à sa religion.
Nous pensons que le séjour de quelques mois que le Chérif a fait à Bamako et à
Saint-Louis l'a rapproché des préoccupations de ce monde. Dans ces dernières
localités, il avait certainement entretenu des relations avec des intellectuels
qui lui parlèrent sans doute de la France et de ses institutions. A Nioro on
comptait parmi ses disciples Mamadou Gaye et Racine Sy, deux instituteurs du
cadre secondaire 30.
D'autre
part lorsque l'administrateur de Méderdra parle de « l'ennui qui ronge » Cheikh
Hamahoullah on peut à ce sujet penser que la détention du Chérif paraissait à
celui-ci même d'autant plus vexante qu'il ignorait toujours les raisons de son
internement.
En
effet, on pouvait lire dans un rapport administratif rendant compte d'une
rencontre entre Cheikh Mohammed Saïd et le Chérif de Nioro :
«
Cheikh Hamallah l'a interrompu pour lui demander s'il connaissait le motif de
son internement, que ne s'étant jamais occupé de politique du pays, se
contentant de donner l'Ouerd (le chapelet) [wird] à ceux qui le sollicitaient,
il ne comprenait pas encore pour quels motifs les autorités françaises avaient
pris une mesure semblable contre lui 31. »
Enfin
le séjour du Chérif à Méderdra ne fut pas aussi pénible qu'on pourrait le
croire. Ses conditions de vie étaient bonnes, grâce à la compréhension agissante
de Charbonnier.
Certes,
les interventions de ce dernier auprès de ses supérieurs hiérarchiques
restèrent sans suite. Mais le courage, la franchise, l'intégrité et la bonne
foi du résident de Méderdra forcent notre admiration. Nous ne pouvons nous
défendre d'un sentiment de réelle sympathie à l'égard d'un
administrateur-débutant qui n'hésita pas à intervenir pour réparer ce qu'il
considérait comme une injustice et cela au prix de sa carrière. Surtout qu'il
n'ignorait pas que la position des autorités supérieures de Dakar était
définitivement arrêtée à l'égard de l'interné dont les sympathisants et les
disciples étaient au même moment pourchassés et persécutés dans toute l'A.O.F.
On
constate d'ailleurs que Charbonnier fut très tôt muté. Il céda son poste à M.
Chazal 32 qui adopta la politique officielle à l'égard du hamallisme. Cet
administrateur profitera du premier incident pour se débarrasser du Cheikh
Hamahoullah. Les événements de Kaëdi où les hamallistes furent mis en cause lui
en donneront l'occasion. Kaëdi n'étant pas très loin de Méderdra il demandera
l'envoi du Cheikh dans une autre localité.
4.
Les événements de Kaëdi (1929-1930)
Située
sur la rive mauritanienne du fleuve Sénégal, Kaëdi était en 1929 une vaste
agglomération de 4 000 âmes environ 33. Les quartiers les plus anciens de la
ville sont Touldé et Gattaga. Le premier abrite les Toucouleurs et les Peuls,
le second les Soninkés. C'est auprès de ces derniers que Cheikh Lakhdar 34 le
missionnaire de Tlemcen avait reçu un accueil des plus chaleureux. Parmi eux il
avait nommé des moqaddem du tijânisme « onze grains ». C'était au début du
siècle. A partir de ce moment, une rivalité s'instaura entre les Soninkés et
leurs voisins (Toucouleurs et Peuls) qui étaient tijânis douze grains. Une
véritable scission se produisit dans la communauté musulmane de Kaëdi après le
ralliement de tous les disciples de Lakhdar à Cheikh Hamahoullah. Dans tout le
Fouta, des voix s'élevèrent pour arrêter l'expansion de la confrérie
hamalliste. Des marabouts comme Tidjane Wone de Kaëdi, Ham et Baba de Thilogne
et Thierno Amadou Moctar de Boghé auraient rédigé des livres ou des poèmes pour
condamner la pratique des « onze Jawharatu-l-Kamâli ». De leur côté, Fodié
Abdallahi Diagana, Fodié Cheikhou Diagana, Mohammed Youssouf Diagana ainsi que
Fodié Boubacar Doucouré défendirent cette pratique en se fondant sur Jawâhir
al-ma'ânî.
Vers
1929, Yacouba Sylla, un disciple de Cheikh Hamahoullah, arrive à Kaëdi. Pour
cet homme, l'Islam signifie non seulement avoir la foi en Allah mais aussi la
purification des moeurs sociales. Sur ce plan, son intransigeance rappelle un
peu celle d'Ibn Tûmart, le « mahdi impeccable », le fondateur du mouvement
almohade. Les prédications enflammées de Yacouba Sylla lui assurèrent
l'adhésion de la plus grande partie des hamallistes de Kaëdi. Dès lors, ses
prosélytes furent appelés yacoubistes, bien qu'ils n'eussent jamais cessé de se
réclamer de Cheikh Hamahoullah. Désormais, les « onze » eux-mêmes étaient
divisés en deux groupes opposés. Tous les moqaddem de Cheikh Lakhdar
refusèrent, semble-t-il, de reconnaître l'autorité de Yacouba Sylla. Mais entre
les hamallistes qui acceptèrent les réformes sociales proposées 35 par le
nouveau venu et ceux qui contestèrent son autorité religieuse, le divorce ne
fut pas total. Tous récitaient onze fois la formule dite de « la perle de
perfection ». Quant aux Toucouleurs de Kaëdi qui considéraient que tout
enseignement de la Tijâniyya différent de celui d'El-Hadj Omar relevait de
l'hérésie, ils appréciaient très mal les nouvelles pratiques religieuses de
leurs voisins yacoubistes :
«
Yacoub Cilla a été accusé par le clan des « douze » de provoquer des incidents
par l'annonce de rêves et par ses déclarations. L'or serait à ses yeux une
parure sacrilège. Le parti des « douze » lui reproche encore de conseiller, à
ceux qui avaient commis un crime d'adultère de se purifier l'âme par une
confession publique 36. »
Les
adeptes du tijânisme à douze Jawharatu-l-Kamâli ne cessaient de dénoncer 37 à
l'administration la « Voie » yacoubiste comme étant une hérésie touchant à
l'intégrité de l'Islam dont la France se présentait comme la Puissance
protectrice. Des querelles se produisirent entre les deux groupes dès le mois
de juillet 1929 38. Devant l'effervescence qui semblait gagner toute la ville
et répondant aux appels des « douze » l'administration locale fit expulser
Yacouba Sylla le 31 août 1929. Le départ de celui que l'on considérait comme «
un agitateur » ne mit pas fin aux troubles. La responsabilité des incidents fut
imputée aux yacoubistes 39. Bien que des injures fussent proférées par les
exaltés des deux camps à l'encontre des tirailleurs venus mettre fin à la rixe
40 seuls les partisans de Yacouba furent condamnés le 8 juillet 1929 par le
tribunal du 2e degré « à vingt jours de prison pour rébellion et insultes à des
agents de l'autorité ».
Dans
la nuit du 18 au 19 septembre de la même année, l'administrateur Charbonnier
(muté sans doute à Kaëdi à la suite de ses interventions en faveur de
Hamahoullah) évite de justesse l'éclatement d'une rixe. Le lendemain Hammadi
Ciré, l'un des responsables yacoubistes fut emprisonné pour un an. Vingt
punitions disciplinaires de quinze jours de prison furent prononcées contre le
groupe soninké « en vertu de l'alinéa II de l'article I de l'arrêté du 20 juin
1925 sanctionnant les manifestations susceptibles de troubler la tranquillité
publique ».
Le
3 octobre, Charbonnier devait rejoindre son nouveau poste ; par le bateau qu'il
emprunta on voulut expulser une femme de Kaëdi venue en congé dans sa famille à
Gattaga. Celle-ci était la nièce de Paly Kaba, le successeur de Yacouba à la
tête du mouvement. Selon le rapport du commandant de cercle Quesgneaux cette
femme était « particulièrement excitée ». Les Soninkés firent en cette occasion
une marche de protestation. Des injures auraient été proférées contre
l'administrateur et ses gardes de cercle. Selon Yacouba Sylla qui était
d'ailleurs absent de Kaëdi, « le commandant aurait été insulté par Paly Kaba
qui ne pouvait comprendre l'expulsion sans motif de sa nièce 41 ».
Deux
jours plus tard « le 5 octobre 1929, neuf condamnations par le tribunal du 2e
degré allant de vingt jours de prison à un an (plus deux ans d'interdiction de
séjour) doublées d'amendes dont le total atteignait 1 800 F pour rebellions et
insultes à des agents de l'autorité, et dix-huit punitions disciplinaires,
chacune de vingt jours de prison et de 100 F d'amende furent prononcées contre
les yacoubistes 42 ».
«
Entre temps il y avait eu des querelles de femmes à peu près journalières »
opposant Gattaga et Touldé.
Ayant
compris que l'autorité française était hostile aux yacoubistes contre lesquels
des condamnations venaient d'être prononcées, les « douze » décidèrent d'agir,
étant presque sûrs de l'impunité 43. Au même moment, « le gouverneur avait reçu
une lettre signée les musulmans de Kaëdi demandant l'autorisation de se servir
de leurs fusils contre les yacoubistes 44 ». En guise de réponse, le gouverneur
de la Mauritanie fait parvenir les télégrammes-lettres n°269 AP du 15 octobre,
315 AP du 26 octobre et 316 AP du 5 novembre à l'administrateur Quesgneaux. Ces
dépêches « conseillent la prudence » et « recommandent de chercher l'apaisement
» 45.
Le
calme semblait revenir à Kaëdi durant le dernier trimestre de l'année 1929
lorsque éclata une rixe le 26 décembre à 18 heures entre des femmes des deux
tendances du tijânisme :
«
L'agent de police B. B. intervient… Ce genre d'incidents sont assez fréquents
mais sans gravité … Le 27 décembre vers huit heures, une querelle est engagée par
le nommé Babayel (des douze) avec le nommé Doucouré (des onze). Elle
s'envenime. Bagarre à laquelle prirent part des femmes et des hommes des clans
adverses 46. »
Jusque-là
il ne s'agissait que de heurts isolés. Mais au cours de la matinée des activistes
de Touldé décidèrent de regrouper des centaines de personnes pour aller
incendier Gattaga.
«
A quatorze heures, environ deux cents jeunes gens de Touldé armés de gourdins
courent vers Gattaga. Rixe générale qui s'étend sur toute la lisière sud du
village qui a près d'un kilomètre de longueur. Moi, mon adjoint et huit seuls
gardes disponibles luttons pied à pied. A dix-sept heures, refoulons les
assaillants sur Touldé … Le chef de canton de Kaëdi, Besse Amadou, étant en
tournée son fils Abdou Besse est invité à réunir les notables pendant la nuit
et à les palabrer.
Un
poste de police est établi place du marché (un brigadier, cinq hommes, deux
gardes et deux agents de police) à Touldé.
28
décembre, 7 heures matin. Notables Touldé sont au poste et assurent que tout a
été fait pour écarter meneurs conflit.
7
heures 15, la menue bande de la veille suivie d'autant de femmes se précipite
sur Gattaga. La rixe recommence. L'adjoint De Guerry et moi concentrons nos
huit gardes. Je fais appel à 14 anciens tirailleurs de Gattaga. J'envoie les
notables de Touldé chasser les jeunes gens. A notre approche la bande s'enfuit
pour rentrer plus loin dans le village. Rixe générale. Des cases en paille sont
incendiées. Les portes de magasins appartenant à des commerçants onze sont
enfoncées. (Le marabout aveugle Fodié Amadou (onze) est emporté au poste pour
éviter attentat à sa vie).
Ai
tiré quelques coups de feu en l'air pour effrayer. Inutile. Ni moi ni mon
adjoint ni gardes molestés bien que presque toujours isolés. Notre présence
limite rixe et dégâts. Mais c'est tout. Réussissons cependant à chasser de
Gattaga et à renvoyer sur Touldé toute la bande vers 17 heures. Mais pas pu
procéder à arrestations …
31
décembre. Résultat enquêtes faites veille et avant veille, une trentaine cases
paille brûlées … nombreuses clôtures et quelques cases banco détruites,
nombreux objets mobiliers et effets dérobés, deux machines à coudre brisées.
Chez les onze, cinquante-neuf blessés, chez les Touldé soixante dont une
vingtaine parmi les notables … aucun tué 47. »
Comme
on le constate, une certaine faiblesse 48 de l'administration, sinon sa
complaisance a été une des causes de l'acharnement des « douze ». Des sanctions
sévères permettant de prévenir toute autre rixe n'ont pas été prises contre les
agresseurs des yacoubistes :
Vingt-quatre
heures après les jeunes Toucouleurs de Touldé amenés par les notables sont
repris en mains. Le repentir (uniquement d'avoir désobéi à la loi française)
est net et sincère. J'ai soin de faire régler les dommages … par une commission
élue que préside le Cadi supérieur de Boghé. Vingt-six mille francs sont payés
par Touldé 49. »
A
l'époque, le gouverneur de la Mauritanie s'était bien rendu compte de la
partialité du commandant de cercle de Kaëdi. A ce propos, l'inspecteur des
affaires administratives Dumas envoyé dans la ville pour faire un rapport
détaillé sur la situation écrivait aux autorités supérieures de la Colonie :
«
Je n'ai pas manqué de dire à l'administrateur que de pareils désordres étaient
inadministrables et qu'il devait saisir d'urgence le Tribunal de Cercle en vue
de punitions exemplaires, M. Quesgneaux m'a répondu qu'il était de cet avis et
qu'il envisageait des peines au moins égales à celles qui avait été prononcées
le 5 octobre. Je ne lui ai pas caché que vous estimiez ces peines insuffisantes
et que vous en demandiez l'augmentation 50. »
L'amende
collective infligée au village de Touldé était dérisoire dans la mesure où elle
ne pouvait permettre un dédommagement équitable de Gattaga. Surtout si l'on
sait que des objets de valeur avaient été volés, des cases incendiées et de
nombreux magasins pillés.
Au
début du mois de février 1930, les sages des deux quartiers se réunissent et
décident d'oeuvrer dans le sens de la réconciliation. A Touldé, il n'y avait
pas que des agitateurs. Dans ce quartier, des hommes de bonne volonté tentaient
de ramener le calme dans les esprits. A la vérité ils étaient débordés. Tous
les jours des femmes et des enfants de Gattaga étaient pourchassés par leurs
adversaires. Pour puiser de l'eau les femmes devaient être escortées par des
hommes armés de gourdins et de haches. Au même moment, le commandant de cercle
recevait des dizaines de plaintes déposées par des hamallistes. Il ne fit rien
pour assurer la sécurité des Soninkés dont le chef de quartier défendait, aussi
curieux que cela puisse paraître, la même cause que les Touldéens, à savoir,
celle du tijânisme « douze grains ».
C'est
dans cette atmosphère tendue que les sages de Touldé et de Gattaga annoncèrent
après de longs conciliabules que la réconciliation était faite (14 février
1930) sur les ordres de Quesgneaux. Ils s'étaient engagés à rétablir le calme
dans la ville et annonçaient qu'ils désavoueraient d'avance tout agitateur.
Faut-il préciser que les jeunes et les exaltés des deux camps n'avaient pas été
associés à ces négociations ?
Nombre
de yacoubistes n'accordaient aucun crédit à la parole donnée par leurs
adversaires ni à la sincérité du commandant de cercle. Le chef de ce groupe
d'exaltés était Mamadou Sadio. Pour lui, cette réconciliation voulue par les
Touldéens et imposée par l'administrateur n'était rien d'autre qu'une mise en
scène sinon une ruse pour endormir et surprendre les Soninkés. Le 15 février au
matin, Mamadou Sadio semble être sous l'effet d'une sorte de folie mystique. Il
réveille tout Gattaga aux cris de :
—
« Je suis le Mahdî ! nous devons combattre nos ennemis ! »
Tous
ses partisans accoururent, et Hamadi Ciré le premier, avec des bâtons et des
haches. Ayant déchiré tous ses habits, Mamadou, complètement nu, se mit à
danser devant la foule. Aussitôt son compagnon Hamadi Ciré prit la parole pour
expliquer que les autorités administratives étaient incapables sinon peu
disposées à assurer la sécurité des hamallistes en général et des yacoubistes
en particulier. Pour lui les Touldéens devaient être sanctionnés comme
l'avaient été les hamallistes le 5 octobre avant d'envisager une éventuelle
réconciliation. Il contestait également l'intégrité du principal médiateur, le
Cadi supérieur de Boghé qui s'était déjà distingué par ses livres et ses poèmes
de combat contre le hamallisme. Il rejeta les conditions imposées lors de la «
réconciliation » et acceptées par les sages de Gattaga avec à leur tête Fodié
Mohamadou. Il demanda à la foule de rester vigilante et de se tenir prête à
incendier Touldé dans le cas où les « douze » attaqueraient de nouveau le quartier
des « onze ». Enfin, il fit comprendre à la foule qu'il fallait désormais
s'opposer, au besoin par la force, à toute mesure de répression que prendrait
le commandant de cercle contre les habitants de Gattaga. Moins d'une quinzaine
de minutes après le début de l'attroupement, l'administrateur de Kaëdi avait
déjà été informé de la manifestation et des déclarations de Mamadou Sadio. Sur
la foi des renseignements reçus, il préféra envoyer sur les lieux des gardes de
cercle et des tirailleurs. Ceux-ci demandèrent aux yacoubistes qui n'avaient
encore attaqué personne (contrairement aux assertions de Dumas) de déposer les
gourdins et les haches. Ils refusèrent d'obtempérer. C'était à Gattaga devant
la demeure d'Amadi Gata. En guise de réponse aux ordres du brigadier
Koudiougou, Hamadi Ciré et ses hommes proférèrent des injures et des menaces.
Ayant reçu pour la seconde fois l'ordre formel de tirer sur les manifestants
par l'intermédiaire de l'agent de liaison Bondi Lô, le brigadier ouvrit le feu
sur la foule. Le bilan fut lourd. Il y eut 22 morts et 37 blessés selon le
rapport Dumas ; 32 morts et une cinquantaine de blessés d'après Yacouba Sylla
51. Selon Bocar Bâ 52, ancien interprète, on pouvait dénombrer 80 morts et
blessés. Du côté des gardes, aucune victime ne fut signalée. « La répression a
été dure » comme l'écrit l'Inspecteur Dumas 53. Les résistants qui avaient
survécu au massacre furent conduits en prison 54. Vingt-quatre personnes furent
proposées pour un internement de dix ans 55.
Le
rapport rédigé par l'inspecteur des affaires administratives nous paraît
tendancieux dans la mesure où il tente de justifier le massacre :
«
Quoi qu'il en soit, le crime de rébellion, attaque en bande et à main armée,
voies de fait et outrages à des agents de la force publique dans l'exercice de
leurs fonctions est bien caractérisé… il était malheureusement impossible de
les disperser autrement que par la force, la répression a été dure, mais elle
était inévitable en présence de gens complètement égarés et qui dans leur folle
témérité avaient même envisagé d'attaquer le poste … Il s'agit d'une folie
mystique et collective, très dangereuse, mais qui est heureusement fort rare et
contre laquelle, la persuasion ni les bonnes paroles ne pouvant rien, seule la
force doit être employée. Le grand nombre de morts et de blessés s'explique par
le fait que les gens étaient groupés à une dizaine de mètres des gardes et que
la même balle a fait plusieurs victimes 56. »
Selon
les témoignages recueillis, les hamallistes ne s'étaient pas réunis dans le but
d'attaquer le poste administratif. Ils étaient dans leur quartier devant la
demeure de Amadi Gata et n'avaient d'aucune manière troublé la sécurité
publique. La version de Dumas selon laquelle « les onze sortent de tous côtés,
armés de bâtons, de sabres, de haches … blessent plusieurs personnes, qui se
trouvent sur leur chemin et arrivent sur la place du marché sans avoir été
inquiétés » est contestée par tous les témoins des événements que nous avons
rencontrés. Les « onze » ont été surpris et pris à parti par les tirailleurs
devant la demeure d'un des leurs. Selon les mêmes sources, ils n'avaient ni
l'intention de piller les magasins des commerçants européens et touldéens, ni
de « proclamer la guerre sainte» comme le prétend Dumas 57.
Ce
dernier a tout simplement cherché à couvrir l'administrateur Quesgneaux 58.
A
la vérité, on a l'impression que celui-ci ne cherchait qu'une occasion pour
sévir contre les yacoubistes. N'écrivait-il pas dans une lettre du 11 février
adressée au gouverneur de la Mauritanie, à propos des hamallistes ? : « Ils
seront à mater sérieusement un jour ou l'autre 59. » Dans une autre
correspondance adressée au chef de la Colonie qui semble lui avoir reproché son
manque de sang froid au cours des événements du 15 février, il écrivait :
«
Pour quelle raison, dans ces conditions, aurai-je pu manquer de calme le 15
février? Depuis cinq mois, je pratiquais journellement les yacoubistes. Je
connaissais leur mentalité, négation absolue de toute autorité en dehors de
celle de leurs Cheikhs … Il y a eu menace esquissée contre les concessions
européennes ; les commerçants viennent vers le poste. Des blessés, des réfugiés
arrivent à chaque instant.
Les
tidjanis omariens peuvent réagir d'un instant à l'autre. Ça peut être une horrible
et sanglante mêlée générale. Je dois la prévoir et l'empêcher.
Il
ne peut absolument pas être question pour moi d'opérer comme fin décembre. Dans
des cas semblables, je l'avais bien vu, la présence du Blanc influe vraiment
peu. Il faut réprimer le mouvement rapidement, en force et si nécessaire par
les armes. Tout ceci s'impose clairement. Je déplore d'avoir à prendre cette
décision. Mais je la prends froidement … Je vous ai répondu bien longuement
Monsieur le Gouverneur. Mais l'excuse que vous m'avez donnée d'un défaut de
calme pour ne pas dire autrement m'a profondément humilié. Je ne la mérite pas.
… Je vous demanderais de vouloir bien transmettre ma lettre au Gouverneur
général…, avec votre opinion qui, je l'espère ne restera plus la même en ce qui
concerne mon attitude le 15 février dernier, au moins en ce qui touche à la
netteté voulue de ma décision qui aggrave ma responsabilité 60. »
Nous
admirons le courage de Quesgneaux lorsqu'il semble vouloir prendre la
responsabilité des ordres qu'il a donnés, sans toutefois approuver la décision
grave de conséquences qu'il a prise. Il ne pouvait d'ailleurs faire autrement.
Mais on ne peut manquer de souligner qu'il a perdu le sens du devoir en
confiant le commandement du feu de salve 61 à un brigadier chef entouré
essentiellement d'anciens combattants de la Première Guerre, originaires de
Touldé, volontaires intéressés 62 ayant spontanément répondu à son appel.
L'administrateur
de Kaëdi semble peu convaincant surtout lorsqu'il dénature les faits pour
justifier le carnage du 15 février :
«
Trois ou quatre hommes du second détachement sont prêts quand arrive
l'estafette du premier détachement, au moment où un coup de fusil est tiré par
un émeutier sur les gardes et me demandant confirmation des instructions reçues
63. »
Selon
certains rescapés 64 du massacre, aucun yacoubiste n'avait fait usage d'arme à
feu. Aucun fusil n'était semble-t-il entre les mains des manifestants. Ce que
confirme Dumas peut-être sans s'en rendre compte. En effet après avoir parlé
d'un coup de feu qu'un « émeutier » aurait tiré sur les gardes au début de son
rapport, Dumas écrit à la fin de ce même document sans s'apercevoir de la
contradiction : « La foule privée de ses plus farouches éléments (22 tués, 37
blessés) abandonne alors sur le terrain tous les instruments qui servaient
d'armes ; on a ramassé une cinquantaine de haches, autant de sabres et de
bâtons.»
Si
les manifestants n'avaient aucun fusil, mais rien que les « instruments »
cités, un coup de feu ne pouvait être tiré sur les gardes. Ce coup de feu
serait-il alors l'oeuvre d'une tierce personne embusquée mais ne figurant pas
parmi les manifestants (un « douze » ?) dans le but d'amener les gardes à tirer
sur les « onze » ? C'est une hypothèse à ne pas écarter. Mais il est étonnant,
dans ce cas, que les tirailleurs ne se soient pas rendus compte qu'il
s'agissait de l'acte d'un provocateur n'appartenant pas au groupe des
émeutiers.
Le
détenteur du fusil aurait-il réussi à prendre la fuite ? Hypothèse à écarter
dans la mesure où aucun des « onze » n'a cherché à échapper à la mort. Dans ce
combat, inégal pourtant, (armes à feu contre haches et bâtons) les résistants
n'ont pas reculé même lorsque leurs principaux chefs étaient tombés 65.
Le
fameux coup de feu serait-il le fruit d'une. imagination un peu trop fertile de
Quesgneaux ou de son brigadier Koudiougou ? C'est probable, car on n'apporte
pas un fusil sur un champ de bataille pour tirer un seul coup de feu.
Enfin
l'administrateur de Kaëdi affirme contrairement à ce qu'il prétendait dans son
rapport n°1232C du 31/12/1929, que les yacoubistes avaient provoqué les
incidents des 27 et 28 décembre 1929 : « Quand survint l'échauffouré des 27 et
28 décembre provoquée par les yacoubistes, je défends ceux-ci qui sont
attaqués, avec mon adjoint, Monsieur de Guerry et sept gardes dispersés sur un
front de 800 à 1 000 mètres, de rue en rue. » Comment se fait-il alors que
l'administrateur ait sanctionné les Touldéens (26 000 F d'amende) et épargné
les yacoubistes (Gattaga) qui selon lui auraient été les provocateurs des
incidents de décembre ?
A
la vérité, comme il l'avait reconnu d'ailleurs, ce sont les « douze » de Touldé
qui avaient pillé et incendié le quartier soninké des « onze ».
Enfin
on peut conclure sur les événements de Kaëdi en constatant que les incidents du
15 février ne se seraient pas produits si l'administrateur n'avait fait preuve
d'une étonnante maladresse ou alors pour reprendre l'expression du Gouverneur
de la Mauritanie « d'un défaut de calme pour ne pas dire autrement ». Certes,
parmi les yacoubistes il y avait des exaltés comme Hamadi Ciré et Mamadou
Sadio, mais leur réunion du 15 février sans l'intervention brutale des tirailleurs
n'aurait pas connu un dénouement aussi tragique.
En
dehors des morts de la journée et de ceux qui avaient succombé à leurs
blessures, de nombreux déportés yacoubistes ne purent survivre aux conditions
de vie des camps d'internement français. Yacouba Sylla sans être présent à
Kaëdi mais considéré comme responsable des troubles fut déporté une première
fois à Koutiala (Soudan français) puis à Sassandra (Côte d'Ivoire) pour une
période de huit ans 66.
De
toutes façons une tendance nouvelle du hamallisme, le yacoubisme, malgré les
persécutions était définitivement enraciné à Kaëdi. Plus loin nous reviendrons
sur l'étude de ce mouvement. Conséquence non moins importante des événements de
février 1930, Chérif Hamahoullah fut déporté pour une seconde fois.
5.
L'exil ivoirien du Chérif Hamahoullah
Bien
que Cheikh Hamahoullah ne fût pas impliqué dans les bagarres de Kaëdi,
l'administration coloniale décida de le transférer en Côte d'Ivoire :
«
Je dirige ce jour sur Dakar Chérif Hamallah chef de la secte tidjani maghrébine
“onze grains” interné pour dix années (arrêtés généraux des 28 novembre et 17
décembre 1925). Ainsi que je l'ai exposé dans la lettre n° 15 du 24 mars la
présence de ce marabout dangereux à proximité des localités où se sont passés
les gros incidents de février dernier, est devenue indésirable ; elle a permis
en effet à ses adeptes de prétendre continuer leurs relations avec lui et
d'agir en conformité de ses directives. Cet appui a d'ailleurs joué récemment
puisque l'auteur principal de la bagarre de Kaëdi, Mamadou Sadio s'est servi de
son intervention supposée pour agir sur l'esprit des affiliés de la secte
maghrébine. Ce personnage religieux est accompagné de trois suivants que vous
l'avez autorisé à amener en Côte d'Ivoire où il doit être transféré pour
achever sa peine d'internement 67. »
En
effet, par arrêté n° 0808 le gouverneur général sur proposition du gouverneur
de la Mauritanie décidait :
«
Le nommé Hamallah ould Mohamédou ould Seydna Oumar dit Chérif Hamallah
(originaire de Nioro, Soudan français) interné à Méderdra, Mauritanie, pour une
période de dix années en vertu des dispositions de l'arrêté du 28 novembre 1925
sera transféré en Côte d'Ivoire pour y subir le restant de sa peine dans un
centre fétichiste qui sera désigné par le lieutenant-gouverneur de cette
colonie. »
On
devine aisément les raisons pour lesquelles le lieu d'internement du Chérif fut
choisi dans un « centre fétichiste ». Nous verrons que cet éloignement du
Cheikh ne l'empêcha nullement de communiquer avec ses fidèles de la Mauritanie
et du Soudan. En dépit des précautions prises par les autorités coloniales,
l'homme de Nioro introduisit le tijânisme « onze grains » dans la forêt
ivoirienne.
Il
nous paraît intéressant de relever les motifs invoqués par le résident de
Méderdra pour justifier le transfert de l'interné politique en Côte d'Ivoire.
Selon les versions recueillies auprès de certains témoins oculaires des
bagarres de Kaëdi, à aucun moment, ni avant, ni après les événements, Mamadou
Sadio n'a prétendu avoir reçu des directives du Chérif Hamahoullah. D'ailleurs
le rapport de l'inspecteur des affaires administratives, bien qu'il soit
tendancieux, ne révèle rien à ce propos.
Mamadou
Sadio aurait dit lors de son interrogatoire : « Je ne regrette rien de ce que
j'ai fait, je suis le seul responsable de la résistance de notre groupe aux
tirailleurs ». Cette thèse est confirmée par Dumas : « Mamadou Sadio … avec un
cynisme révoltant avoue être l'instigateur de l'agression 68. » Il paraît
intéressant de révéler que même certains prosélytes du tijânisme « douze grains
» reconnurent que Cheikh Hamahoullah n'était pas l'homme à approuver la
violence qui sévissait entre les musulmans de Kaëdi.
Manifestement,
Chazal, le résident de Méderdra, avait incriminé à tort Cheikh Hamahoullah en
lui imputant une certaine responsabilité dans les événements tragiques du
Gorgol. Son opinion était loin d'être partagée par le commandant de cercle de
Kaëdi. En effet, ce dernier souhaitait non pas l'éloignement du Cheikh, mais sa
venue à Kaëdi en vue de ramener le calme dans la localité. D'ailleurs, dès
décembre 1929, Quesgneaux avait écrit dans ce sens au gouverneur de la
Mauritanie :
«
Le fond de l'hostilité est purement religieux (…) il paraît indispensable de
faire intervenir des lettrés musulmans. Un certain nombre de ceux-ci, des «
douze » et non des moindres, m'ont affirmé qu'un voyage ici de Chérif Hamala
amènerait la réconciliation définitive, que ce marabout ne pourrait que blâmer
les pratiques réprouvées par la loi musulmane (…) et enfin me demandèrent de
faire part de ce désir au chef de la colonie en offrant de payer les frais de
voyage.
Si
je n'ai personnellement pas d'avis sur ce point, étant trop neuf en Mauritanie
et ne connaissant pas Chérif Hamala, je crois que mon prédécesseur, M.
Charbonnier, partage l'avis de ces lettrés et j'ai une tendance à le partager
pour ce que j'ai appris depuis mon arrivée 69. »
Dans
une lettre en date du 4 mars 1935 à propos de la libération anticipée de Cheikh
Hamahoullah (qui fut envisagée mais non accordée à cause de l'avis défavorable
des autorités du Soudan), V. Chazelas gouverneur de la Mauritanie reconnaît que
le marabout maure n'était pas responsable des incidents de Kaëdi :
«
Le Gouverneur général m'a transmis le rapport de l'administrateur en chef M.
Beyries sur l'état religieux et social de l'Islam maure et me prescrit
d'examiner en liaison directe avec vous la suggestion relative à la libération
anticipée de Chérif Hamallah. J'ai l'honneur de vous faire connaître que je ne
vois aucun inconvénient à une libération anticipée de ce personnage religieux.
Pendant la période qu'il a été interné à Méderdra il a eu des relations
correctes avec l'administration locale. Il a laissé dans le pays la réputation
d'un homme d'une grande valeur morale, charitable et (…) désintéressé. Son
transfert à la Côte d'Ivoire en 1930 a été la conséquence des désordres survenus
à Kaëdi à la suite des excitations de Yacoub Silla (…) Mais le rapport de
l'administrateur Beyries fait ressortir que Cheikh Hamallah n'a jamais
d'ailleurs été personnellement mis en cause et ne doit pas être tenu pour
responsable des excès en question 70. »
Quoi
qu'il en soit, Chérif Hamahoullah et ses trois compagnons quittèrent Méderdra
le 10 avril au matin à destination de Dakar où ils arrivèrent le 11 avril 1930
à douze heures. A seize heures, le même jour, ils furent embarqués sur le
vapeur Niger en direction de Grand-Bassam 71.
De
cette localité, ils rejoignirent Agboville. Là, ils ne restèrent qu'une nuit.
Ce bref séjour ne passa pas inaperçu. Il fut très mouvementé. Les populations
de la forêt ne pouvaient rester indifférentes à la nouvelle de la présence
parmi elles de « l'homme miracle du Nord, le nouveau Samori qui ose défier les
Blancs ». Les Agbovillois qui avaient déjà entendu parler du Chérif de Nioro
voulaient tous le voir et le toucher. Lorsqu'on leur refusa l'autorisation
d'entrer dans la demeure de l'adjudant-chef Mamadou Konaté où le Cheikh était
logé sur les instructions de l'administrateur, ils démolirent les murs à coups
de pique. Il fallut l'intervention des forces de police pour disperser la foule
de ces visiteurs peu commodes 72.
D'Agboville,
le marabout fut déporté à Adzopé. Dans cette subdivision, la présence du Chérif
est signalée par le Commandant de cercle de l' Agnéby : « Chérif Hamallah et
suivants sont actuellement très surveillés à Adzopé 73. »
En
dépit des mesures prises pour l'isoler de la population, l'élève de Lakhdar fit
de nombreux adeptes dont Banéné Traoré, le chef de la communauté dioula. Lors
de notre séjour, ce vieillard nous fit conduire par Birama Traoré sur la place
où se trouvait naguère la résidence du Chérif. De ce bâtiment, il ne reste
rien. C'est à peine, si l'on en discerne encore les fondations. Ce local était
situé entre le bureau 74 de l'administrateur et le logement du brigadier chef
des gardes.
Selon
les témoignages recueillis auprès des vieux d'Adzopé, Cheikh Hamahoullah vivait
en compagnie de trois personnes : Sidi, Mamadou et Bilali. Ce que confirme
d'ailleurs Gabriel Marguay le Commandant de cercle de l'Agnéby : « Sont
présents à Adzopé Hamallah ould Mohamédou ould Seydna Oumar … et sa suite :
Bilali, Amadou ould Saady et Mamadou Diallo. Rien à signaler sur leur conduite
car ils sont surveillés de très près 75.
Auparavant,
les mêmes autorités signalent que « d'après le chef de subdivision d'Adzopé,
Chérif Hamallah et ses suivants sont calmes, l'humidité de la saison des pluies
semble éprouver leur santé et ils sont presque continuellement malades 76. »
Les rapports politiques sont souvent très laconiques au sujet de l'interné.
Mais
les témoignages oraux semblent plus importants. C'est donc grâce à la tradition
orale que nous savons que Hamahoullah n'était pas autorisé à prendre contact
avec la population d' Adzopé. Même lorsqu'il se trouvait devant la porte de sa
résidence pour faire ses ablutions, c'était sous la surveillance des gardes de
cercle. Personne n'osait s'approcher de la résidence du Cheikh sous peine
d'emprisonnement. En effet, des personnes avaient été incarcérées pour avoir
salué le Chérif. Soupçonnés d'avoir pris des contacts avec Cheikh Hamahoullah,
Birama Traoré et Banéné purgèrent une peine de huit jours de détention 77.
Comme
on le constate, les conditions d'internement du marabout étaient beaucoup plus
dures qu'à Méderdra.
Malgré
l'étroite surveillance que les autorités coloniales exercèrent sur le Cheikh,
il réussit à maintenir les contacts avec sa famille et nombre de ses partisans
du Soudan 78 et de la Mauritanie. Il parvint également à communiquer avec les
musulmans d'Adzopé. A une heure très avancée de la nuit, il recevait des
visiteurs avec la complicité du brigadier des gardes de cercle. Le chef de la
subdivision d'Adzopé qui ne se doutait de rien écrivait en 1930 :
«
Le Chérif Hamallah et ses suivants sont très surveillés. Des indigènes, la nuit
ont essayé de communiquer avec lui et n'ont pu s'échapper que grâce à l'obscurité
79. »
Plus
tard, l'administrateur finit par être informé de ces visites et des
correspondances que recevait le détenu.
«
Chérif Hamallah est à Adzopé. A part sa correspondance clandestine qui a motivé
le changement d'affectation d'un brigadier des gardes de cercle, il n'a donné
aucun ennui étant d'ailleurs étroitement surveillé 80. »
A
la vérité, durant tout son séjour à Adzopé, Chérif Hamahoullah s'attacha tous
les gardes qui étaient chargés de sa surveillance. Du Soudan et de la
Mauritanie, les lettres et les colis destinés au Chérif étaient expédiés à
Abidjan à l'adresse de Sidati ould Baba Aïnina, un ressortissant mauritanien
dont nous parlerons plus loin. De la capitale ivoirienne, le courrier était
acheminé à Adzopé par un certain Baïlo Moussa qui le confiait à Dramane,
l'infirmier chargé de suivre l'état de santé de Cheikh Hamahoullah. Vers la fin
de son séjour, le marabout fut autorisé à envoyer l'un de ses compagnons pour
faire des courses en ville. C'était en l'occurrence Bilali qui se chargeait de
ces emplettes. Sidati ould Baba Aïnina venait souvent le rencontrer au marché
d'Adzopé pour lui remettre la correspondance clandestine du Cheikh. Ce dernier
réussit à établir des contacts avec les populations de la région. ll initia de
nombreux Ivoiriens et Voltaïques au tijânisme « onze grains ». Il éleva
certains au rang de moqaddem. Parmi ces nouveaux lieutenants du marabout, on
cite généralement les noms de Yacouba Konaté (originaire de Ouahigouya), Ladji
Tiréra de Bouaké et Sanoussin Diaby de Daloa. Enfin, d'après les mêmes
témoignages, Cheikh Hamahoullah refusa de percevoir ses allocations mensuelles
de 350 francs 81.
Cette
dernière attitude peut être considérée comme un moyen de protestation du Chérif
de Nioro contre la mesure qui le frappait. Selon les vieux d'Adzopé, c'est
pendant son internement en Côte d'Ivoire que Cheikh Hamahoullah prit réellement
conscience de l'attitude du régime colonial à son égard. Durant tout son
itinéraire, de Nioro à Bamako et de Bamako à Méderdra, il se considérait comme
une victime innocente, puisqu'il n'avait, selon lui, rien fait pour mériter la
prison. Il ne semblait pas en vouloir à l'administration coloniale. Il se
sentait victime de délations mensongères. Il aurait longuement réfléchi dans sa
prison d'Adzopé. C'est là qu'il semble avoir compris qu'il devait choisir entre
la soumission totale et sans réserve, et la volonté de résistance qu'on lui
prêtait depuis 1924.
Il
semble qu'il ait choisi finalement de ne pas se départir de son esprit
d'indépendance, c'est-à-dire la seconde solution.
C'est
donc après avoir été provoqué et envoyé en prison que le Cheikh se comporta
comme un résistant à la colonisation française.
Avant
sa libération, il commença la prière abrégée, la Ṣalât al-khawf, littéralement
la prière de la peur ou de l'insécurité, qui n'était pratiquée aux débuts de
l'Islam que par les voyageurs, les combattants de la foi, et tous les musulmans
qui ne se sentaient pas en sécurité du fait du voisinage des infidèles. Mais
c'est à son retour 82 à Nioro en 1936 que l'administration fut informée de
cette nouvelle pratique du Chérif.
6.
Le retour à Nioro et la prière abrégée (1936-1937)
Cheikh
Hamahoullah arriva à Nioro le jeudi 28 shawwâl 1354 de l'Hégire, vers neuf
heures 83. Le même jour, ses proches constatèrent qu'il abrégeait ses prières.
Pour justifier cette nouvelle pratique, il déclara qu'il se fondait sur le
verset 102 de la sourate IV du Coran :
«
Si vous courez le pays, il n'y aura aucun péché d'abréger vos prières, si vous
craignez que les infidèles ne vous surprennent ; les infidèles sont vos ennemis
déclarés » 84
Chacune
des deux conditions évoquées dans la sourate IV semble autoriser la prière
abrégée : quand le musulman est en voyage ou quand il vit dans l'insécurité.
C'est
surtout cette deuxième condition qu'invoquait Cheikh Hamahoullah pour abréger
ses prières. Il estimait qu'il y avait de sérieuses menaces qui pesaient sur sa
sécurité. Il se disait exposé à des mesures arbitraires d'un pouvoir colonial
hostile à l'Islam : « Interrogé par un lettré arabe nommé Mohammed Mahmoud,
Chérif Hamallah viendrait en effet de définir comme suit son attitude actuelle
: avant je priais comme tout le monde mais les Blancs m'ont exilé en Côte
d'Ivoire, là j'ai commencé à diviser les prières, on m'a fait revenir à Nioro
mais je ne suis pas encore libre, un jour ou l'autre, les mêmes Blancs pourront
peut-être me mettre à mort. Je ne puis donc abandonner ma nouvelle façon de
prier 85. »
La
pratique de la Ṣalât al-khawf par Chérif Hamahoullah créa une véritable
controverse religieuse au Soudan, au Sénégal et en Mauritanie de janvier 1936 à
septembre 1937. Ses adversaires prétendaient qu'au plan strictement religieux,
rien ne lui permettait d'abréger ses prières. Ils ne retenaient comme valable
que la première condition évoquée dans la sourate IV, à savoir le voyage. Ils
firent comprendre aux tenants du système colonial que Cheikh Hamahoullah créait
par sa nouvelle manière de prier une atmosphère de guerre sainte, avant
d'ajouter que la sourate IV avait été révélée au Prophète Mohammed en période
de jihâd. Pour le musulman assez conservateur qu'était Cheikh Hamahoullah, tout
croyant devait s'appliquer à respecter les commandements issus de la « Parole
de Dieu », le Coran. Il soutenait qu'il était insensé de vouloir renoncer aux
dévotions que commandent les nombreux versets révélés au prophète de l'Islam
pendant le jihâd, sous prétexte qu'ils incitent à la guerre sainte.
Enfin,
pour le Chérif de Nioro, le problème de la prière abrégée relevait finalement
d'une affaire de conscience et d'interprétation personnelles. C'est sans doute
la raison pour laquelle il n'a pas imposé sa nouvelle manière de prier à ses
fidèles. Il convient de noter que la prière abrégée avait soulevé en d'autres
temps et sous d'autres cieux des controverses célèbres. D'ailleurs, les quatre
grandes écoles juridiques du sunnisme (ou madhâhib), le ḥanafisme, le
mâlikisme, le shâfi'isme et le ḥanbalisme ont des positions différentes sur la
pratique de la prière abrégée 86.
Pour
l'Imam Mâlik, il n'est permis d'abréger les prières que lorsqu'on est en voyage
ou en période de guerre sainte.
Pour
l'Imam al-Shâfi'î, abréger les prières n'est pas une obligation même si on est
en voyage ou sous la menace des infidèles. Le choix serait donc laissé au
croyant.
Pour
l'Imam Abû Ḥanîfa 87, le voyageur et le mujâhid doivent obligatoirement abréger
leurs prières.
Une
des études les plus récentes sur la prière abrégée reste celle de Rashîd Riḍâ
(mort en 1935). Dans son ouvrage intitulé Tafsîr almanâr 88, il cite le verset
102 de la sourate IV et signale les divergences des quatre grandes écoles
juridiques sunnites à propos de la prière abrégée.
Après
avoir clairement présenté les thèses défendues par les différentes tendances,
il semble se rallier aux vues du célèbre Ibn Qayyim, l'auteur de Zâd al-ma'âd :
«
Dieu a permis l'abréviation de la prière dans sa durée et dans les raq'a
(génuflexions) quand on est en voyage ou menacé.
«
On peut diminuer les raq'a s'il y a voyage sans menace.
«
On peut diminuer les raq'a s'il y a menace sans voyage. »
En
général, les « douze grains » condamnèrent l'attitude de Cheikh Hamahoullah qui
ne bénéficia pas en cette occasion de l'appui de tous ses disciples. Il fut
violemment contesté par des marabouts du Hodh et de la région de Mourdiah qui
s'étaient jusque-là distingués par leur zèle à défendre le tijânisme « onze
grains ». C'est dans cette atmosphère de contestation au sein de la confrérie
hamalliste que parut l'ouvrage du célèbre Sidati ould Baba Aïnina intitulé
Bahjat al-shabaḥ wa-l-arwâḥ. (Bonheur des corps et des âmes dans la prière
abrégée). Se fondant sur des ḥadîth et de nombreuses sourates du Coran, Sidati
réussit à convaincre la plupart des contestataires, que la prière abrégée était
permise non seulement à Cheikh Hamahoullah dans les conditions particulières où
il se trouvait, mais à l'ensemble des musulmans qui ne se sentaient pas en
sécurité du fait de la présence coloniale. De son côté, Mohammed Lémine ould
Khtour tournait en dérision dans des poèmes particulièrement caustiques
l'attitude des marabouts hamallistes qui avaient condamné la pratique de la
prière abrégée.
Cheikh
Hamahoullah, qui faisait de cette affaire un problème de conscience
personnelle, n'intervint pas dans le débat.
Parmi
les marabouts hamallistes qui s'obstinèrent dans leur opposition à la prière
abrégée, certains avaient fait mine de se rétracter mais ils n'ont jamais
pardonné les satires de Mohammed Lémine ould Khtour. Ils combattirent
sournoisement Cheikh Hamahoullah et n'hésitèrent pas à le calomnier 89 auprès
de l'administration coloniale.
Prétextant
du fait que le verset 102 de la sourate IV du Coran n'avait été mis en application
au temps du Prophète Mohammed qu'en période de jihâd, les adversaires de Cheikh
Hamahoullah réussirent à convaincre l'administrateur de Nioro que, par sa
nouvelle façon de prier, le marabout conviait implicitement les musulmans de la
région à proclamer la guerre sainte dans le but de mettre fin à la domination
française 90.
C'est
dans ces conditions que le Cheikh fut convoqué par le commandant de cercle de
Nioro avant d'être interpellé en ces termes :
—
Pourquoi abrèges-tu tes prières ? Pourquoi tiens-tu à te singulariser en
faisant deux raq'a? Te prends-tu maintenant pour un Prophète ?
Gardant
son calme habituel, sans élever la voix, Cheikh Hamahoullah fit la réponse
suivante :
—
Monsieur le Représentant de la France, dites-moi, s'il vous plaît, combien de
raq'a sont prescrites par la France 91 ?
Surpris
et vexé, l'administrateur français congédia sans ménagement le marabout.
A
l'époque, on fit beaucoup de bruit autour de la prière abrégée ; celle-ci fut
interprétée dans un certain nombre de correspondances officielles comme un
signe d'hostilité à l'égard de l'administration coloniale :
«
L'Islam fait un devoir à ses fidèles de ne pas vivre dans un pays soumis aux
infidèles mais faute de pouvoir les chasser, il leur prescrit lorsqu'ils sont
opprimés de se contenter d'une révolte morale.
La
prière abrégée est le signe qu'il se dérobe spirituellement à la domination de
l'infidèle 92. »
En
vérité, Cheikh Hamahoullah semblait vouloir susciter une prise de conscience
chez ses frères en religion en leur rappelant l'hostilité de l'administration
coloniale à l'égard de l'Islam. Il se comportait comme un résistant qui tenait
à utiliser l'arme la plus redoutable contre l'arbitraire, celle de la foi.
Le
colonisateur ne s'y laissa pas prendre, d'autant plus que le thème du jihâd
était revenu à la mode dans les mosquées et les zâwiya depuis que Cheikh
Hamahoullah avait commencé d'abréger ses prières. Il préféra cette fois-ci la
conciliation à la répression. Cette modération était purement tactique et ne
traduisait aucune volonté d'assouplissement du régime colonial de la part du
gouvernement issu du Front populaire (1934-38). Surtout si l'on sait que le
gouverneur du Soudan français avait déclaré au gouverneur général en tournée à
Bamako :
«
Chérif Hamallah nous est ouvertement hostile. Il s'estime en danger de notre
fait… Son prestige religieux sera difficile à ruiner 93. »
Comme
nous l'avons mentionné, un émissaire du gouvernement général se rendit le 7
septembre à Bamako et le 8 à Kayes en vue « d'ébranler et d'amener à la raison
» les adeptes de Chérif Hamahoullah.
Au
même moment, les plus hautes autorités de l' A.O.F. avaient réaffirmé leur politique
traditionnelle à l'égard du hamallisme. Les administrations locales en avaient
été informées par lettres confidentielles 94.
Curieusement,
c'est au même moment que le gouverneur général désigne un marabout influent du
tijânisme « douze grains » et connu pour son opposition au hamallisme, pour
aller « réconcilier Cheikh Hamallah et ses adversaires de Nioro ». Le
commandant de cercle de Nioro rendit compte à sa manière de cette médiation
sans dire au gouverneur général qu'en échange de l'abandon de la prière abrégée
on avait promis au Chérif de le laisser en paix, ainsi que ses fidèles :
«
Le 25 septembre … Il (le marabout délégué par le gouverneur) assistait à
l'entrevue entre l'administrateur et le Chérif Hamallah dans le bureau du
commandant de cercle, entrevue au cours de laquelle Chérif Hamallah promit de
renoncer à la prière abrégée. Et le jour même, au salam du soir Chérif Hamallah
et ses télamides (disciples) récitèrent comme les omariens la prière à quatre
rekaat.
Et
le lendemain … il (le marabout représentant le gouverneur) glorifia en termes
élevés l'oeuvre de la France en Afrique noire. Par leur tolérance en matière de
religion … les Français sont, affirma-t-il, les meilleurs de tous les peuples
colonisateurs 95. »
Reprenant
onze ans plus tard le dossier de cette « réconciliation de Nioro », Alphonse
Gouilly affirme que le marabout envoyé par le gouverneur pour « réconcilier »
Hamallah et ses adversaires fut promu pour la circonstance officier de la
Légion d'Honneur ; avant de poursuivre :
«
Le Gouverneur général lui écrivit personnellement pour le féliciter de ses bons
offices. Quant à Hamallah, il reçut le télégramme suivant : “En abandonnant
publiquement la prière abrégée, en conseillant , à vos adeptes suivre cet
exemple raisonnable, avez donné autorités françaises témoignages que
j'attendais de vous.”
En
définitive, cette réconciliation dont on augurait tant et que l'on plaçait sous
le signe du respect des croyances, paraît bien n'avoir été que la soumission de
Hamallah aux règles d'un ordre rival sur la pression d'une administration qui
se fit championne d'une prétendue orthodoxie.
D'ailleurs,
moins de deux ans après la réconciliation une surveillance très attentive mais
extrêmement discrète était prescrite par le Gouvernement général sur les
agissements de quinze hamallistes signalés comme suspects par d'autres
musulmans, tandis que des fonctionnaires hamallistes étaient mutés et qu'une
enquête était ordonnée sur les progrès du Hamallisme parmi les tirailleurs de
Nioro 96. »
En
vérité, l'administration coloniale redoutait surtout l'arme politique que
constituait la prière abrégée pratiquée comme manifestation de protestation
contre un pouvoir non musulman dans le contexte religieux du Sahel à l'époque.
Son objectif essentiel mais inavoué était la disparition de la confrérie
hamalliste par la répression, rejetant ainsi les solutions moins arbitraires
qui lui étaient proposées par certains fonctionnaires européens, certes
minoritaires, mais plus avertis des réalités locales que les gouverneurs.
A
ce sujet, on lit dans le rapport du lieutenant Long :
«
Nous ne pouvons nous immiscer dans les querelles confessionnelles, nous n'avons
pas d'autre part une “équipe” de grands marabouts assez prestigieuse pour
combattre victorieusement l'hérésie nouvelle.
A
mon sens, la sagesse serait de gagner les chefs locaux du hamallisme, de les
faire prisonniers des honneurs, de les acheter enfin. Privé de mots d'ordre le
mouvement ne gagnerait plus d'adeptes nouveaux, stagnerait et disparaîtrait
enfin comme ont disparu toutes les petites chapelles vivant en vase clos 97. »
De
son côté, Cheikh Hamahoullah n'était pas dupe quant aux intentions de
l'administration coloniale à son égard, d'autant plus que les marabouts les
plus hostiles à sa confrérie jouissaient plus que jamais des faveurs et de la
protection des administrateurs.
Le
Cheikh ne demandait qu'à être rassuré qu'il ne serait plus inquiété. Pour des
motifs religieux, il souhaitait rester en marge de la vie coloniale. Il
abandonna la prière abrégée dès que le commandant de cercle de Nioro lui donna
les assurances qu'il revendiquait 98.
Mais
la vérité c'est qu'il n'y avait pas eu de réconciliation entre les tijânis «
douze grains » de Nioro et la confrérie de Cheikh Hamahoullah. On avait surtout
voulu que Cheikh Hamahoullah abandonnât la prière abrégée, et les assurances
qui lui avaient été données relevaient de la simple hypocrisie. La fragilité de
la « réconciliation » de Nioro n'avait pas échappé à la foule de fidèles
rassemblée par les gardes de cercle autour de l'administrateur de Nioro,
entouré de Cheikh Hamahoullah et de l'émissaire du gouverneur général.
En
effet, lorsque ce dernier déclara à Cheikh Hamahoullah, citant un verset du
Coran 99, « Allah nous demande d'obéir à ceux d'entre nous qui exercent
l'autorité », Cheikh Hamahoullah lui répondit :
—
Je suis d'accord avec vous, mais Allah s'adressait aux seuls musulmans
lorsqu'il a dit dans le verset que vous citez : obéissez à ceux d'entre vous
qui détiennent le pouvoir. Que je sache, ce ne sont pas les musulmans qui
exercent actuellement l'autorité dans nos pays 100.
Comme
on pouvait le deviner, cette « réconciliation » du 25 septembre 1937 fut sans
lendemain, d'autant plus que l'attitude de l'administration coloniale à l'égard
du hamallisme n'était pas de nature à favoriser une entente définitive entre
les hamallistes et leurs adversaires religieux. En effet, moins d'un an après,
l'incident d'Akwawine marquera le début de nouvelles tensions sociales dans les
confins soudano-mauritaniens. La haine religieuse mêlée d'inimitiés tribales
anciennes créera une situation sociale explosive qui s'achèvera par des combats
fratricides sanglants.
7.
L'incident d'Akwawine (1938) et ses conséquences
Le
3 juin 1938, Baba, le fils aîné de Cheikh Hamahoullah, quitta son campement
situé à une centaine de kilomètres au nord de Nioro pour rendre visite à son
père. Après une journée de voyage, soit le 4 juin 1938, il arriva au village
d'Akwawine. Là, il rencontra, à sa grande joie, sa mère Khaïty mint Taleb
Chabbé revenant de Nioro. Ils décidèrent de rester ensemble jusque vers la
seizième heure, la chaleur les obligeant à interrompre momentanément leur
voyage. Baba était accompagné de Teïna ould Bouboye 101, Taleb Mohammed ould
Moustaphe 102, El-Hassen ould Moustaphe 103, et Bébaly ould Moulaye Idriss 104.
Ce
dernier fut à l'origine de l'incident d'Akwawine. En effet, tous les voyageurs
étaient réunis à l'ombre d'un grand arbre lorsque Bébaly se leva pour aller
abreuver les chameaux au puits du petit village d'Akwawine. Là, les animaux
commencèrent à boire. Peu après, un Tinouajiou, celui qui avait rempli
l'abreuvoir, les chassa en leur assénant de violents coups. Pour manifester son
mécontentement, Bébaly Ould Moulaye Idriss proféra des injures au Tinouajiou
qui répondit aussitôt. Fort nerveux et fier, le Chérif n'était pas de
tempérament à supporter les injures d'un « serviteur ». Il projeta le
Tinouajiou dans la boue. Les cris de l'assistance alertèrent tout le village
qui se rendit sur les lieux de la bagarre. La solidarité tribale et la haine
religieuse jouant, une soixantaine de disciples de Fah ould Cheikh el-Mehdi ligotèrent
le compagnon et cousin du fils de Cheikh Hamahoullah.
Baba
qui se trouvait à environ deux cents mètres du puits se présenta à la foule. Il
n'eut pas le temps de parler, il fut insulté, battu et ligoté à son tour. Ses
deux compagnons qui étaient restés 105 sous l'arbre pour surveiller les bagages
prirent d'urgence la direction de Nioro pour annoncer la nouvelle de la
bagarre. Entre temps, les habitants d'Akwawine confisquaient les chameaux et
les biens des chérifs déjà enfermés dans une case.
D'après
des témoignages 106, on fit marcher le fils de Cheikh Hamahoullah sur des
braises ardentes. Selon une autre thèse, on l'obligea à marcher pieds nus et le
sable chaud des dunes d'Akwawine lui brûla les pieds 107. Faut-il encore
rappeler qu'il existait une vive rivalité entre les tribus Laghlal et
Tinouajiou qui se haïssaient et cela, bien avant la naissance du mouvement
hamalliste ? Ces derniers étaient restés en majorité réfractaires à la tariqa
du Chérif de Nioro.
Avec
l'apparition du tijânisme « onze grains » au Sahel soudano-mauritanien, les
rivalités religieuses vinrent s'ajouter à l'antagonisme d'ordre tribal. Comme
leurs hôtes « douze grains » de Nioro, les Tinouajiou étaient quelque peu
inquiets de la progression rapide du hamallisme dans la région. Pour eux, la
confrérie de Cheikh Hamahoullah apparaissait avant tout comme un mouvement
regroupant leurs ennemis traditionnels, les Laghlal 108. Cette version est
confirmée par le gouverneur du Soudan qui écrivait en 1941 dans son rapport
politique annuel :
«
Les Tinouajiou se sont toujours considérés d'un niveau intellectuel supérieur à
celui des tribus voisines. Ils estiment avoir seuls de profondes connaissances
en textes sacrés et ne cessent de manifester mépris et dédain à l'égard de ceux
qui les entourent. De temps en temps, de petits incidents sont relevés entre
Tinouajiou d'une part, Laghlal, Chorfa, Ahel Sidi Mahmoud et Ladern d'autre
part. Ceux-ci supportent difficilement l'attitude arrogante des Tinouajiou
envers eux ; d'origine guerrière, ils n'admettent pas la supériorité de cette
tribu de marabouts. En outre, les Tinouajiou sont réfractaires à l'action
hamalliste tandis que les Maures des autres tribus sont entièrement acquis au
tijânisme onze grains 109. »
Après
ce rappel, il convient de dire que Bébaly et Baba ne furent libérés que le 5
juin au soir, sur l'intervention des goumiers Oulad Nacer en patrouille dans la
région 110. Le premier fut emprisonné et le second fut envoyé au dispensaire de
Nioro. Selon des versions recueillies dans la région, des chefs de tribus et de
nombreux fidèles sont venus exprimer au Chérif de Nioro, de la manière la plus
pressante, leur soutien et leur solidarité dans l'affaire d'Akwawine à laquelle
Cheikh Hamahoullah ne voulait cependant donner aucune suite. A Nioro, dès que
les hamallistes apprirent que leurs « frères ennemis » avaient maltraité le
fils de leur Cheikh, ils décidèrent de mener une expédition punitive contre les
Tinouajiou d'Akwawine.
Mais
c'est Cheikh Hamahoullah lui-même qui les en dissuada.
Quant
à l'administrateur de Nioro, il s'abstint de prendre toute sanction à
l'encontre des agresseurs du fils du marabout. Ce dernier décida d'ailleurs de
ne pas porter plainte auprès d'une administration à laquelle il ne souhaitait
reconnaître ni de facto ni de jure, aucune légitimité.
Pour
justifier l'attitude du commandant de cercle de Nioro, le gouverneur par
intérim du Soudan, écrivit au gouverneur général :
«
Pour donner satisfaction à Chérif Hamallah et au chef tinouajiou … le
commandant de cercle propose qu'aucune suite judiciaire ne soit donnée à cette
affaire (d'Akwawine) 111 . »
Après
sa guérison, Baba fut convoqué par son père qui le sermonna sérieusement et le
pria d'éviter à l'avenir tout incident qui occasionnerait des contacts avec les
administrateurs coloniaux. Baba ne dit pas un mot avant de se retirer quelques
instants après. Lui qui était vindicatif de nature, orgueilleux et très
intelligent, ne pouvait pardonner et moins encore oublier ce qu'il aurait
appelé « l'affront d'Akwawine ». Désormais, il mit son génie au service de son
désir de vengeance. Sa tâche ne fut pas difficile dans la mesure où l'inimitié
entre les Tinouajiou et la plupart des autres tribus de la région était,
semble-t-il, à son paroxysme. L'attitude de l'administrateur de Nioro ne fut
pas de nature à ramener le calme dans les esprits, comme le révèle si bien un
journal de l'époque :
«
La surprise est grande, l'inquiétude également depuis que ce scandale a eu lieu
(l'incident d'Akwawine) aucune sanction n'a été prise contre les fauteurs.
L'administration reste passive devant le fait ; cette dissension que Monsieur
l'administrateur, commandant le cercle de Nioro, se plaît d'appeler querelle
d'enfants deviendra la source de rébellions si les autorités ne prenaient les
devants et ne jugeaient l'affaire avec toute l'importance qu'elle mérite. Ce
n'est pas sur du pus que l'on guérit une plaie, disent les Bambaras. Le clan
adverse (Kabalanké et Foutanké) ne manque pas de stratagème pour surprendre la
bonne foi des gens honnêtes, ils sont les conseillers et les hôtes des
Tinouassives 112.
Avec
les mensonges forgés de toutes pièces, ces gens, pour dissimuler leur faute,
n'ont pas manqué d'inventer que Seydna Oumar (Baba) et sa suite … avaient un
revolver et un fusil. … Bravo, le filon est trouvé et cuisiné. Mais le bon sens
est là pour les démentir. Que ne s'est-il défendu puisque le cas était
légitime, avec les armes qu'on fait siennes quand il s'est vu envahi par toute
une tribu ? (soixante personnes environ !) C'est quand on est armé qu'on se
laisse ligoter, brûler la plante des pieds sans faire entendre une détonation ?
Vous conviendrez que non 113 ! »
Les
agresseurs de Baba n'ayant pas été punis, ce dernier était décidé à se faire
lui-même justice. Il le fit à sa manière deux ans plus tard à Mouchgag.
8.
La bataille de Mouchgag (1940) et ses conséquences
L'une
des conséquences de l'incident d'Akwawine fut le choc sanglant de Mouchgag. En
effet, de juin 1938 au début d'août 1940, Baba mena discrètement auprès des
chefs de tribus du Hodh et de l'Assaba une véritable campagne anti-tinouajiou.
Il réussit très facilement à convaincre ses interlocuteurs de la nécessité
d'une intervention armée contre la tribu qui l'avait malmené à Akwawine. Il
leur fit comprendre que l'impunité était d'avance assurée dans la mesure où la
France était en guerre 114.
Il
fallait donc, selon lui, profiter de la faiblesse momentanée d'une
administration démoralisée par les nouvelles de la défaite de 1940 pour châtier
impunément les Tinouajiou.
Le
fils de Hamahoullah s'assura de l'alliance des chefs de tribus Laghlal, Ladern,
Chorfa, Idaou el-Haj, Ahel Sidi Mahmoud et Oulad Nacer. Mais auparavant, il
obtint de tous ses alliés que son père ne fût pas informé des préparatifs de
l'agression. Le 27 août au soir, il regroupa tous ses partisans au lieu connu
sous le nom de Lemzeïnzra.
Etaient
présents 2 000 hommes selon les uns 115 et 700 d'après le gouverneur du Soudan
116. Le massacre des campements tinouajiou eut lieu le 28 août 1940 à l'aube.
La nouvelle parvint en ces termes à Saint-Louis, chef-lieu de la Mauritanie :
«
En tournée 6 septembre stop. D'après renseignements plusieurs centaines
hamallistes fractions Chorfa, Ladern, Laghlal, Ahel Soueïd de Nioro, Ahel Sidi
Mahmoud de Kayes, Laghlal de l'Assaba se sont rassemblés en bandes armées sous
direction Baba ould Cheikh Hamallah, région Zomeïta stop. Ont pris et tué douze
Tinouajiou isolés, puis 27 août treize Tinouajiou stop. Ont attaqué 28 août
matin près de Lemras 117 très important campement tinouajiou Lemras les pillant
et détruisant grand nombre de personnages amenant tout bétail 118 et serviteurs
stop . »
Il
convient de faire remarquer que, d'après les témoignages que nous avons
recueillis aussi bien auprès des Tinouajiou que des Chorfa, il n'y eut aucun
conflit avant le 28 août, la bataille n'ayant commencé que ce jour à l'aube. Elle
ne dura pas plus de deux heures. Contrairement aux informations officielles,
les Ahel Soueïd ne participèrent pas à l'expédition.
Mais
voyons d'abord les résultats de l'enquête qui suivit le conflit 119 :
«
Fin août 1940, sur les confins Mauritanie-Soudan, plus de cinquante fractions
de diverses tribus maures de ces colonies prirent part à différentes agressions
contre la tribu tinouajiou qui eut 247 tués et ses biens pillés. Ces agressions
connues sous le nom général d'Affaire Nioro-Assaba, cercles Nioro et Assaba
étant le théâtre des opérations, se déroulèrent aux lieux dits :
Lemzeïnzra
24 août 1940
Lemzeïta
25 août 1940
Achemmat
27 août 1940
Lemras
ou Mouchgag 28 août 1940 120. »
Les
agresseurs ont ensuite menacé gardes Tamchakett en tournée en se déclarant en
révolte contre autorité française stop 121. »
Toutes
ces informations sont inexactes, comme on l'a déjà souligné, la bataille n'a
pas duré quatre jours, le nombre des victimes n'est qu'approximatif, les
vainqueurs ayant emporté leurs morts.
Enfin,
les fractions coalisées étaient moins de dix. Nous les avons toutes citées.
A
la vérité, certains administrateurs ont exagéré la gravité de l'affaire, ils
ont tenu à lui donner une envergure qu'elle n'avait pas, à la suite des propos
que les Tinouajiou prêtèrent à Baba et à ses partisans : « Cette nuit marque la
fin de la puissance française. Lorsque nous aurons exterminé les Tinouajiou
nous ferons de même pour tous ceux qui ne sont pas tijânis puis viendra le
moment de se retourner contre les Français 122. »
Les
coalisés du 28 août n'avaient à aucun moment envisagé de chasser les Français.
Mais les administrateurs de Nioro, de Yélimané, avaient fait siennes les thèses
défendues par les Tinouajiou, les vaincus de Mouchgag. Les faits furent
dénaturés et amplifiés dans les rapports officiels 123.
Les
objectifs visés étaient clairs : amener les autorités supérieures à adopter une
politique de répression aveugle contre ceux qui participèrent à la bataille aux
côtés des fils du Chérif de Nioro. Et pourtant, certains administrateurs
reconnurent que le choc du 28 août n'était qu'une querelle de tribus qui
pouvait être en rapport avec l'incident d' Akwawine :
«
Nouveaux incidents peuvent être en corrélation avec rixe (Akwawine). Dans ce
cas, leur portée ne devrait pas normalement dépasser cadre querelles
religieuses entre indigènes sauf actes intempestifs notre part ou agissements
pêcheurs en eau trouble que saurait éviter ou arrêter 124 . »
Cette
hypothèse ne fut pas retenue à Dakar et à Saint-Louis. Du reste, le commandant
de cercle de Kiffa se rallia finalement à la thèse de la rébellion contre
l'autorité. Quoi qu'il en soit, Baba et ses partisans furent arrêtés 125 pour
les motifs suivants : « attentats contre la sûreté de la Colonie dans le but
d'en troubler la paix intérieure … assassinats d'un grand nombre de Tinouajiou
».
Dès
qu'il fut informé des événements de Mouchgag, Chérif Hamahoullah fit parvenir
la lettre suivante à l'administrateur de Nioro:
«
… Moi, Cheikh Hamallah… je suis témoin de Dieu sur la terre ; il ne sied pas à
un témoin de Dieu de faire sur cette terre de Dieu ce qui déplaît à Dieu et à
son Prophète (que le salut et la miséricorde soient sur lui) ; il ne doit pas
habiter avec des personnes ayant l'intention de se battre, à plus forte raison
être leur instigateur, encourager les hommes dans cette voie ou les réunir pour
cette intention. Je demande que Dieu me détourne d'une telle tentative et me
procure du bonheur. Dieu sait que jamais je n'entre dans cette voie et je n'ai
à aucun moment tenté autre chose ; jamais pour l'amour de ce monde, je
n'entreprendrai de telles tentatives, pas plus que je ne ferai cela pour
l'amour d'un fils ou d'un chef car je renonce à tout, n'ayant en vue que Dieu
et son prophète … Celui qui n'a d'autre souci que Dieu et son envoyé peut-il
abandonner cette voie pour se préoccuper d'un autre ? Dieu est témoin de ce qui
précède … 126 »
En
écrivant cette lettre, les intentions du Chérif de Nioro étaient claires :
condamner devant l'opinion publique le massacre des Tinouajiou. Contrairement à
ce que l'on pouvait penser, ce n'était ni l'exil, ni la persécution que
redoutait Cheikh Hamahoullah. N'avait-il pas lui-même prédit sa déportation dès
son retour d' Adzopé 127 ? Et il savait aussi que les Français ne cherchaient
qu'une occasion pour l'abattre.
Comme
ses fidèles et ses enfants étaient impliqués dans l'affaire « Assaba-Nioro »,
il craignait qu'on ne l'accusât d'avoir été l'instigateur du conflit de
Mouchgag. Il se devait, en tant que chef de confrérie, de préserver son image
d'homme de Dieu. Faut-il à ce propos faire remarquer que le nom de Dieu est
mentionné onze fois 128 dans la lettre que le chef du tijânisme « onze grains »
adressa à l'administrateur de Nioro ?
Cette
missive ne servit à rien. L'administration ne lui fit aucune publicité. Les
représentants du gouvernement pétainiste, empêtrés dans les difficultés liées à
la guerre de 1939-45, décidèrent de sévir contre le Cheikh dont la culpabilité
dans l'« Affaire Nioro-Assaba » ne fut jamais établie. A ce propos, le
lieutenant Chapelle écrivait en 1942 :
«
Quelle a été la responsabilité de Cheikh Hamallah dans les incidents
Nioro-Assaba ? Il en a rejeté la responsabilité. A-t-il été l'instigateur et
l'âme du complot ou un simple complice, ou fut-il complètement innocent ? Rien
ne permet de répondre avec certitude à ces trois questions. Le procès n'a
apporté que peu de lumière sur son rôle dans l'incident. Il est cependant peu
vraisemblable que le Cheikh qui a supporté que ce ne soit pas lui
l'instigateur, ait ignoré ce qui se préparait.
Deux
de ses fils ont participé aux bagarres, lui ont rendu visite peu avant les
troubles qui ne furent pas le résultat sanglant d'une rixe spontanée mais bien
la manifestation d'un mouvement préparé et dirigé. Et l'on connaît suffisamment
l'emprise du Cheikh sur chacun de ses fidèles pour en déduire que ceux-ci ne
pouvaient entreprendre une si importante affaire sans lui demander au moins son
approbation. Il semble donc que sa responsabilité soit la responsabilité morale
que l'on peut imputer à un chef religieux dont la secte animée par lui-même
d'un violent esprit de fanatisme et de sectarisme et menée par certains
disciples influents et chefs de tribus d'autorité incontestable a causé de
violents désordres et pourrait, si l'on n'y prenait pas garde, renouveler ses
exploits. C'est pour cela que Cheikh Hamallah a été frappé aussi durement
quoique l'on ait pu retenir aucun fait positif contre lui-même 129. »
On
voit bien que si Hamahoullah avait été déféré devant un tribunal français, il
aurait, au moins, incontestablement bénéficié du doute. Comme l'écrit Chapelle
: « aucun fait positif n'a pu être retenu contre lui-même. » Il ne pouvait être
tenu responsable des agissements d'un millier d'hommes lucides qui, de
surcroît, résidaient à des centaines de kilomètres de Nioro, dans une autre
colonie. Les arguments du lieutenant Chapelle sont peu convaincants : « on
connaît suffisamment l'emprise du Cheikh Hamahoullah sur chacun de ses fidèles
pour en déduire que ceux-ci ne pouvaient entreprendre une si importante affaire
sans lui demander au moins son approbation. » Cet argument est réfutable.
Surtout lorsqu'on connaît la réputation de sagesse du Cheikh Hamahoullah. Il a
toujours fait preuve de pondération. En 1938, le Chérif intervint
personnellement pour empêcher une armée de fidèles d'aller au village
d'Akwawine pour libérer par la force son fils. A en croire les nombreux
témoignages recueillis au Hodh, le Chérif n'avait pas été mis au courant de ce
que tramait son fils en coulisse, loin de Nioro. Rien d'étonnant en cela, si
l'on sait que, malgré leurs tournées incessantes, et malgré le nombre
impressionnant de leurs goumiers dans la région, les administrateurs coloniaux
des confins soudano-mauritaniens n'eurent pas eux-mêmes vent des préparatifs de
ce conflit considéré comme l'une des plus grandes batailles de l'histoire du
Sahel de Nioro. A la vérité, ceux qui avaient inutilement versé le sang de
leurs frères sur les dunes mortes de l'Aouker savaient que pour la réussite de
leur entreprise, il fallait tenir les administrateurs coloniaux et Chérif
Hamahoullah dans l'ignorance de leurs machinations. En fait, Baba s'était
contenté de préparer psychologiquement les tribus hamallistes à la lutte contre
les Tinouajiou, sans dévoiler publiquement ses intentions réelles. Seuls
quelques chefs influents et sûrs tels que Sidi ould Arbi et Sidi ould Brahim
assistaient aux réunions secrètes dont nous parlions plus haut. C'est seulement
à la veille de l'agression que les dirigeants des groupements maures
annoncèrent leur décision de combattre les Tinouajiou. Ils réunirent ensuite
les membres de leurs tribus. Ni Hamahoullah dont l'esprit « trop pacifiste »
était mal apprécié par nombre de dignitaires maures, ni les administrateurs
français qui résidaient tous à des centaines de kilomètres du théâtre des
opérations, ne pouvaient donc être informés des préparatifs de l'expédition
punitive de Mouchgag avant que celle-ci n'eût lieu. Quoi qu'il en soit, dans de
nombreuses correspondances officielles envoyées des confins
soudano-mauritaniens à destination du Haut-Commissariat de l'Afrique française,
on tenta, sans succès d'ailleurs, d'établir la responsabilité morale du Chérif,
à défaut de sa culpabilité dans les événements d'août 1940 :
«
Cette affaire se présente donc comme une lutte d'influence religieuse, les fils
de Cheikh Hamallah, chef de la confrérie, faisant la guerre sainte au nom de
leur père, pour supprimer ses ennemis, Tinouajiou d'abord, qui se sont toujours
montrés réfractaires à la Voie hamalliste, Européens ensuite dont la puissance
n'existerait plus à la suite des événements d'Europe. L'enquête n'a pas permis
d'apporter la preuve décisive que Chérif Hamallah ait été l'instigateur et
l'ordonnateur de l'affaire Nioro-Assaba. Par contre, il apparaît absolument
certain qu'il n'a pu être dans l'ignorance de ce qui se préparait et qu'il n'a
rien fait pour l'empêcher 130. »
Ce
que nous avons dit pour le rapport Chapelle, reste valable pour celui du gouverneur
du Soudan, dans la mesure où aucune preuve formelle et irréfutable de la
culpabilité du Chérif n'est encore donnée. Au lieu de se fonder sur des
apparences (« il apparaît comme absolument certain») ou sur les hypothèses des
administrateurs du Soudan traditionnellement opposés au hamallisme, le
gouverneur général Boisson aurait pu éviter de condamner un innocent à dix ans
d'internement s'il avait tenu compte des renseignements donnés par certains
commandants de cercle de la Mauritanie vivant au contact des réalités maures. A
ce propos, il nous paraît intéressant de rappeler les termes de la lettre de
Dubié :
«
Cheikh Hamallah, disent les notables de Tichitt, conseille à ses Télamides le
calme, l'humilité : Si vous êtes frappés sur la joue droite, ne dites rien et
tendez la joue gauche, etc., etc. Ils ne sont en relation avec lui qu'en ce qui
concerne Allah et son prophète 131. »
Malheureusement
pour l'homme de Nioro, son sort semblait fixé d'avance. Il fut « frappé
durement ». Les autorités administratives n'avaient d'ailleurs pas besoin de
prouver la « culpabilité » du mystique maure pour sévir contre lui, dans la
mesure où celui-ci était un « indigène » relevant donc, selon l'expression de
Lamine Guèye, « de l'arbitraire sans limite » (l'indigénat). En réalité, dans
un système où l'administration était juge et partie, il serait injuste de
parler de justice.
L'occasion
que cherchait le chef suprême de l'A.O.F. pour « châtier un indigène » qui n'a
pas rallié le camp de l'administration après dix années de souffrance et d'exil
pour « sa réserve », était là. Elle fut saisie. Comme semblent le vouloir les
autorités administratives, s'agissant de Chérif Hamahoullah, « sa
responsabilité étant et demeurant entière » 132, le haut-commissaire de
l'A.O.F. fait procéder à l'arrestation du marabout.
Pierre
Boisson, Gouverneur général de l'A.O.F., Haut-Commissaire de
l'Afrique française
9.
L'arrestation de Chérif Hamahoullah (19/6/41) et sa déportation à Cassaigne
(Algérie)
«
Par arrêté du Gouverneur général 133, Haut-Commissaire de l'Afrique française,
du 11 juin 1941, en application des dispositions des décrets du 10 septembre
1940 et du 2 avril 1941, la peine de dix ans d'internement à subir à Cassaigne,
département d'Oran (Algérie), est infligée au nommé Chérif Hamallah, fils de
Mohammedou ould Seydna Oumar et d'Aïssa Diallo, résidant actuellement à Nioro
(Soudan français ) 134. »
Avant
l'arrestation du Chérif, le 19 juin 1941, des mesures de sécurité furent prises
par le gouverneur général de l' A.O.F. :
«
Mesures sécurité prévues sont arrêtées comme suit :
Primo
: groupe nomade Chinguetti et Hodh dans la région Aïoun El Atrouss - Timbédra
Secundo
: une compagnie en état d'alerte Kayes avec moyens transport automobiles
Tertio
: trois avions Glen Martin tenus prêts partir sur demande adressée à Commandant
Air-Dakar. En cas de trouble ensemble ces unités ainsi que compagnie Nioro et
Néma et goums Nioro seront placés sous commandement Chef de bataillon Steber de
Kayes. »
Le
19 juin, Chérif Hamahoullah fut enlevé dès l'aube. L'avion qui le transportait
vers Dakar décolla à six heures. Tous ses adeptes furent arrêtés et regroupés
sur la grande place du marché de Nioro. A en croire la tradition, Nioro ne
connut jamais une journée aussi cruelle.
Des portes furent défoncées, des
vieillards battus, de nombreux hamallistes enchaînés, des femmes enceintes
traînées jusqu'à la prison.
Tout
cela se passait sous les cris de joie des « douze » 135. Le 19 juin au soir,
quelques personnes furent libérées mais le reste fut dirigé vers la grande
prison de Nioro. A la porte de la geôle, il y avait trois tirailleurs. lls
donnaient l'avant-goût du camp de concentration aux entrants. Le premier
administrait une gifle, le second un coup de crosse et le troisième un coup de
pied. Cinq cents hamallistes furent ainsi internés. A quinze heures, le
brigadier des gardes avait réquisitionné tous les cordonniers de la ville pour
confectionner des fouets et des cravaches. Avec l'accord des autorités, les tirailleurs
avaient, semble-t-il, pris rendez-vous à 20h 30 pour administrer une « sévère
correction » aux prisonniers. Mais vers la dix-neuvième heure, un orage qu'on
n'avait ni remarqué ni prévu, éclata. Une pluie torrentielle rendit impossible
la circulation des hommes et des bêtes avant le lever du jour. Ainsi, les
partisans du Chérif auraient échappé au châtiment.
Cette
pluie providentielle fut interprétée comme une manifestation concrète de la
baraka du saint Maure en faveur de ses disciples. Toute une légende fut tissée
autour de cette pluie par les disciples de Hamahoullah.
Quant
aux mesures de sécurité décidées par le gouvernement général, elles semblent
avoir été inutiles, aucune tribu n'ayant entrepris de réagir à la nouvelle de
l'arrestation du Cheikh. Les fidèles de Nioro, comme on l'a vu, se laissèrent
arrêter sans la moindre action de résistance. Nombre d'entre eux furent envoyés
dans les camps de concentration 136 d'Ansongo, de Bourem et de Kidal (Soudan
français) 137.
Pour
la plupart d'entre eux, ce fut un arrêt de mort 138. Les maisons du Chérif
furent pillées par ses adversaires en liesse. Ses épouses furent traînées hors
des demeures dont elles ne sortaient presque jamais.
Entre
temps, Chérif Hamahoullah arrivait à Dakar le même jour. L'avion qui le
transportait fit auparavant une brève escale à Kayes vers huit heures (cet
appareil était escorté d'un second avion) 139. Il séjourna à Dakar jusqu'au 21
juin; ce bref séjour dakarois ne fut pas de tout repos. Le gouverneur général
Boisson décida « d'humilier publiquement le Chérif de Nioro » au cours d'une
assemblée générale des marabouts qu'il avait réunis pour la circonstance.
Avant
de rendre compte de cette réunion, il convient de faire la connaissance de
Pierre Boisson pour mieux comprendre la suite des événements :
«
L'occupation d'une partie de la France en 1940 et la limitation des
possibilités d'action des pouvoirs publics en Métropole amena le gouvernement
du Maréchal Pétain à donner une autorité beaucoup plus large au gouverneur
général. Le décret du 25 juin 1940 créa un Haut Commissariat de l'Afrique
Française ayant autorité pleine et entière sur l'A.O.F., l'A.E.F., le Togo et
le Cameroun. M. Boisson fut le premier haut-commissaire 140. »
Le
gouverneur général Boisson était à Brazzaville au moment de l'armistice. En
août 1940, il rejoint Dakar après sa nomination au poste de gouverneur général
de l'A.O.F. et haut-commissaire de l'Afrique française. Il devait rester au
Sénégal jusqu'en 1943. Il a laissé un très mauvais souvenir en Afrique. Il
n'hésitait pas à utiliser la méthode forte pour « régler » les problèmes
religieux ou sociaux.
Décrit
par les traditions orales africaines comme un « méchant unijambiste » qui
terrorisait même ses agents européens, Boisson fut aussi un fidèle serviteur de
Vichy. Il avait la confiance absolue du Maréchal Pétain qui n'avait pas oublié,
semble-t-il, que son bouillant proconsul en Afrique avait perdu une jambe à
Verdun. Il fit de nombreux séjours en France pendant la guerre. Il eut de
nombreuses entrevues avec Laval, à Charmeilles notamment en août 1941, et avec
le maréchal Pétain lui-même.
Il
créa une ambiance de terreur en Afrique où il pourchassa les gaullistes, les
sujets anglais des colonies voisines et les hamallistes. Il s'était
particulièrement illustré par un discours farouchement anti-gaulliste au début
de juillet 1940 sur les ondes de Radio-Brazzaville, avant de recevoir les
bateaux anglais au large de Dakar par des obus, faisant ainsi échouer le
débarquement des Alliés en A.O.F. Churchill devait le lui faire remarquer plus
tard à Casablanca : « Vous nous avez bien mal accueillis à Dakar, Monsieur le
Gouverneur général. »
Autoritaire, passionné et arrogant, Boisson porte sur la
conscience la mort des milliers de hamallistes dans les camps de concentration
qu'il avait créés à Kidal, Bourem et Gao. Son nom évoque le colonialisme le
plus obscur pour les Africains et les Européens d'Afrique qui n'étaient pas
restés sourds à l'appel du 18 juin.
Revenons
à la réunion organisée par Boisson. Ce dernier fit conduire à son palais
dakarois Cheikh Hamahoullah menottes aux poignets, avant de le présenter à une
assemblée de grands marabouts réunis pour la circonstance.
—
Voici le fameux Chérif Hamallah ! » s'exclama le gouverneur général. « Chérif
Hamallah ! te crois-tu plus fort que tous ces grands marabouts ? Te crois-tu
plus instruit encore ? Pourquoi ne restes-tu pas tranquille ? Si tu es encore
turbulent c'est parce qu'on ne t'a pas encore embêté. En tout cas, tu vas
souffrir et je te promets que tu ne verras plus cette terre d'Afrique. Ne
veux-tu pas être comme tous ces grands marabouts ici présents ?
Le
Chérif Hamahoullah, qui était toujours debout et enchaîné devant l'assistance,
eut le courage de répondre :
—
Je ne vois sincèrement pas ce qu'on peut me reprocher, Monsieur le Gouverneur,
je paye mes impôts, je rachète mes prestations, je ne me suis pas opposé au
recrutement des tirailleurs. Ma conscience ne me reproche rien du tout.
J'attends toujours vos preuves de ma culpabilité. Pour répondre à vos
questions, je dirai que les marabouts que voici sont très respectables et en
aucune façon ils ne veulent pas être enchaînés publiquement comme moi. Et moi,
je ne voudrais pas être comme eux … Regardez leurs poitrines, ils acceptent vos
médailles. Vous pouvez être sûr que moi je n'épinglerai jamais vos médailles
sur ma poitrine. Dieu ne m'autorise pas à le faire.
Enfin,
comme tu tiens à me faire souffrir, je vais t'aider dans ce sens. Tu peux
m'interdire le port du chapelet, tu peux me faire torturer, tu peux m'empêcher
de prier, tout cela ne me fera pas souffrir. Mais comme tu tiens absolument à
me faire souffrir, voilà comment tu peux le faire : Empêche-moi de penser à
Dieu pendant que je suis en vie. »
Sur
l'ordre du gouverneur général Boisson, Cheikh Hamahoullah fut brutalement
reconduit en prison 141.
Le
21 juin, le Chérif de Nioro est embarqué dans un avion militaire à destination
de l'Algérie via Atar et Casablanca :
«
Mauritanie, Saint-Louis à Atar, chiffré militaire, priorité absolue n° 68 A.P.
Gouverneur général télégraphie pour annoncer avion régulier 21 juin
transportera Chérif Hamallah condamné dix ans internement subir Algérie Stop.
Prendre toutes mesures surveillance nécessaire et n'admettre aucun indigène sur
le terrain durant escale avion 142. »
Le
Chérif fut donc « conduit toujours en avion en Algérie à Cassaigne, ville
située au nord-est de Mostaganem » 143. Auparavant, Cheikh Hamahoullah avait
été condamné par un arrêté administratif à subir une peine de dix ans à
Cassaigne, près d'Oran.
Au
même moment, le « tribunal criminel de Yélimané » devait siéger pour statuer
sur le sort de ses fils et partisans impliqués dans « l'affaire Nioro-Assaba ».
Avant que le tribunal ne siégeât, « plus de huit cents individus furent parqués
dans les camps de concentration de Tamchakett, Aïoun, Nioro, Yélimané, Kayes et
Bamako, puis rassemblés à partir du 8 février 1941 à Yélimané. Les principaux
chefs furent inculpés d'atteinte à la sûreté de la colonie » 144.
Enfin,
« siégeant à Yélimané par arrêté général du 3 juin pour des raisons de
sécurité, du 24 au 30 juin 1941, le tribunal criminel a prononcé à cette
dernière date :
33
condamnations à mort dont une par contumace 145
3
condamnations à vingt années de travaux forcés
une
condamnation à dix ans
L'action
publique étant éteinte à l'égard de l'inculpé Mohammed Fall ould Ahmed Maloum,
décédé entre-temps. »
Enfin,
par arrêté du 2 juillet 1941, le haut-commissaire de l'A.O.F. infligea dix ans
d'internement à 542 inculpés et cinq ans à seize autres à Gao 146.
10.
Le séjour de Cheikh Hamahoullah en Afrique du Nord (22 juin 41-9 avril 42)
Deux
mois après son arrivée à Cassaigne le 23 juin 1941, le Chérif avait acquis une
réputation de savant et de saint parmi les habitants de la région. La plupart
des notables voulaient le saluer et le rencontrer.
Il
était cependant étroitement surveillé. Le 23 août 1941, la Délégation Générale
du Gouvernement en Afrique transmit au gouverneur de l'Algérie un « ordre de
surveillance » dans lequel il était demandé de « mettre Cheikh Hammallah Aïdara
de Nioro dans l'impossibilité absolue de communiquer de quelque façon que ce
soit avec les indigènes de la Fédération ouest africaine ».
Deux
semaines plus tôt, le gouverneur Boisson, qui faisait du problème de Cheikh
Hamahoullah une affaire personnelle, avait demandé à l'administrateur de
Cassaigne de lui communiquer des renseignements et des photos de nature à
compromettre le Chérif. Dans sa lettre (7 août 1941) le gouverneur général de
l'A.O.F. demandait à être « renseigné de façon détaillée avec photographies si
possible sur la façon de vivre de Chérif Hamallah, dans le but d'aider à la
neutralisation des manoeuvres de certains de ses zélateurs qui s'efforcent de
créer à son sujet une légende de martyr ». Pourtant au début de sa
correspondance, il reconnaissait qu'en Afrique « Chérif Hamallah avait acquis
une influence indéniable et faisait en quelque sorte figure d'apôtre ».
En
guise de réponse Boisson ne put obtenir aucun renseignement de nature à jeter
le discrédit sur le Chérif ; au contraire ! En effet l'administrateur de
Cassaigne lui écrivait dans une lettre du 1er septembre 1941 :
«
Les circonstances de fait et le comportement du personnage, empêchent de
produire des documents, photographiques en particulier, susceptibles de
combattre efficacement les bruits que ses amis feraient courir sur son compte.
Je tiens à signaler que son origine lointaine, la mesure exceptionnelle dont il
est l'objet, enfin sa sévère conduite strictement commandée par les impératifs
de la foi musulmane, ont une influence certaine sur son entourage immédiat. Les
cavaliers (de la commune de Cassaigne) l'ont adopté d'emblée comme leur imam et
il n'est pas rare de les voir absorbés derrière lui dans leurs prières en
public, ce qu'ils ne faisaient guère auparavant. Quelques notables musulmans
lui ont fait parvenir des fruits, un vêtement. Enfin, il a exigé du cavalier
qui lui fait la cuisine de refuser le remboursement de ses frais par la
commune. Le parti-pris du Chérif apparaît évident, en ce point ; mais le plus
significatif c'est que le cavalier, sans penser à mal d'ailleurs, croit devoir
effectivement refuser. Je crois pour ma part qu'il n'est pas opportun de
maintenir Chérif Hamallah en milieu musulman 147. »
A
Cassaigne, le Chérif de Nioro était très mal logé. Il habitait « un réduit
disponible dans les bâtiments communaux ». A ce sujet l'administrateur de
Cassaigne écrivait ce qui suit, au préfet d'Oran (lettre du 30/10/1941) :
«
Le défaut de logement convenable à Cassaigne même m'a conduit à envisager la
mise en résidence de Chérif Hamallah dans un douar de la commune mixte, plus
exactement dans le douar Achaacha où le caïd dispose d'une vaste demeure
susceptible de le recevoir aux conditions les meilleures. Cette solution
n'entraînerait nullement un relâchement de surveillance, car il peut être absolument
compté sur le loyalisme et la vigilance du caïd Belarbi Moulaye Mohamed dont il
serait l'hôte à titre d'ailleurs complètement gracieux suivant le désir exprimé
par ce chef indigène 148. »
Naturellement,
ces suggestions ne furent pas retenues. Le Chérif sahélien connut un hiver très
rude. Les autorités d'Oran, le gouverneur général de l'Algérie ainsi que le
délégué général du gouvernement en Afrique française ne s'occupèrent guère de
Cheikh Hamahoullah malgré les appels pressants de l'administrateur de Cassaigne
qui cherchait en vain à les persuader « que la complexion faible de Cheikh
Hamallah fait craindre que sa santé n'en souffre gravement ». Il ajoutait que
le bâtiment où se trouvait Hamahoullah « devient très inconfortable l'hiver. »
Au
début de 1942, Hamahoullah qui ne pouvait résister à ses dures conditions
d'internement était déjà malade. Il fut examiné par « le docteur Fournier,
médecin de colonisation à Cassaigne, qui a diagnostiqué une bronchite suspecte
susceptible d'aggravation rapide ». Le 17 mars 1942, Cheikh Hamahoullah fut
transféré sur « les recommandations du médecin à l'hôpital civil de Mostaganem
aux fins d'examen radioscopique et de traitement approprié ». Alors qu'il était
alité à l'hôpital, le Ministre, secrétaire d'Etat à l'Intérieur du gouvernement
de Vichy décida de le transférer à Vals-les-Bains en France, par arrêté du 15
mars 1942, notifié le 7 avril au centre hospitalier. Dans cet arrêté le
ministre s'appuyait notamment sur « le décret du 18 novembre 1939 modifié par
la loi du 15/10/1941 relatifs aux mesures à prendre à l'égard des individus
dangereux pour la Défense nationale et la Sécurité publique ».
Sans
se soucier de son état de santé et sans avoir consulté son médecin traitant, on
retira Cheikh Hamahoullah de son lit d'hôpital, sur instructions télégraphiques
du Ministre de l'Intérieur, et on l'envoya en autocar à Oran le 8 avril 1942.
Il était « accompagné par un gradé indigène des Douars et conduit à son arrivée
à Oran à la caserne des Douars, l'ancienne prison civile ». Le lendemain, le
Cheikh fut conduit au port par le chef de la Police spéciale d'Oran. Au départ
du bateau Sidi Aissa il est « pris en charge par le commissaire du bord qui le
remettra aux services de police lors de l'arrivée à Marseille le 12 avril 1942
».
11.
De Vals-les-Bains à Montluçon ou l'exil sans espoir de retour
La
présence de Cheikh Hamahoullah en France a été signalée en ces termes au
gouverneur de la Mauritanie par la Sûreté nationale française :
«
Cheikh Hamallah fut interné à Cassaigne, département d'Oran où d'après des
renseignements fournis, il aurait continué d'exercer sur son entourage une
influence néfaste. Aussi, à la fin de l'année 1942, le secrétaire d'Etat aux
Colonies jugeant inopportun son maintien en pays musulman, a demandé au
ministère de l'Intérieur d'envisager le transfert de l'agitateur soudanais en
France. Embarqué le 9 avril à Oran sur le vapeur Sidi Aïssa à destination de
Marseille, Cheikh Hamallah arriva le 12 avril et fut immédiatement transféré à
Vals-les-Bains 149. »
Par
un arrêté du conseiller d'Etat, secrétaire général de la Police de Vichy,
Cheikh Hamahoullah est donc interné à Vals-les-Bains en Ardèche, le 13 avril
150.
Son
nom figure sur l'état nominatif des personnes détenues à l'établissement
d'internement administratif de Vals-les-Bains et du personnel de service à la
date du 9 novembre 1942. Faisons remarquer que le premier compagnon
d'internement mentionné sur cette liste n'est personne d'autre que le célèbre
constructeur d'avions, le Français Marcel Dassault 151.
Nous
savons, par un procès-verbal de passation de service du chef de l'établissement
administratif de Vals-les-Bains qui nous a été aimablement communiqué par M.
Dominique Dupraz, directeur des Archives de l'Ardèche, que Cheikh Hamahoullah
occupait la chambre n° 24 152. Dans une lettre en date du 3 août 1981, la
Direction des Archives de l'Ardèche à Privas nous apprend en particulier que :
le
29 juin 1942, le préfet du département d'Oran a adressé au préfet de l'Ardèche
une fiche de la Compagnie algérienne de Crédit et de Banque concernant le
Chérif Hamallah, ainsi que le procès-verbàl d'inventaire des objets laissés par
celui-ci au poste des cavaliers de la commune mixte de Cassaigne qu'une
correspondance du 13 juillet 1942 fait connaître que M. Hamallah a refusé de
signer le procès-verbal d'inventaire des objets lui appartenant 153. » Cheikh
Hamahoullah n'avait aucune confiance dans les autorités françaises ; ne sachant
pas lire le français, il s'abstenait de signer tout papier qu'on lui
présentait.
A
Vals-les-Bains, l'illustre prisonnier était constamment malade.
«
Il était arrivé en France avec pour tout vêtement le mince burnous qu'il
portait en Afrique. Nul ne prit soin de le vêtir, de lui donner une nourriture
appropriée à ses habitudes et à sa religion 154. »
Il
ne mangeait que les aliments qu'il connaissait, donc très peu. Le climat lui
était insupportable.
«
Le 29 août 1942, le médecin attaché au centre d'internement a affirmé que son
état de santé était incompatible avec un séjour prolongé à Vals. Pour ces
raisons, le transfert de cet interné fut envisagé 155. »
Ce
transfert n'eut pas lieu et l'état de santé du Cheikh empira au début du mois
d'octobre 1942 :
«
Je suis informé par le ministère de l'Intérieur qu'à la suite d'une congestion
pulmonaire il (Cheikh Hamahoullah) a dû être transporté d'urgence à l'hôpital
d'Aubenas 156. »
Ce
n'est qu'à la fin du mois d'octobre 1942, au moment où le Cheikh était très
affaibli, que le Régime de Vichy envisagea d'améliorer ses conditions de
détention :
«
Le département vient de transmettre les premiers renseignements sur les
conditions d'internement, la vie matérielle et le comportement de Cheikh
Hamallah dans la métropole … Les difficultés qu'il éprouve à s'adapter au
climat, malgré les conditions de confort réel dont il bénéficie font envisager
son transfèrement en un lieu plus clément (Corse vraisemblablement). Je vous
demande d'envisager en ce qui concerne la possibilité d'envoyer à l'intéressé,
avec la plus stricte discrétion, la collection de vêtements chauds du pays qui
lui manque : deux burnous, deux serouals, deux boubous par exemple accompagnés,
le cas échéant, de quelques denrées locales telles : riz, mil ou fonio,
arachides et condiments. L'envoi serait effectué directement par vos soins à l'adresse
suivante : Monsieur le Secrétaire d'Etat aux Colonies, Direction des Affaires
Politiques, Vichy 157. »
Cheikh
Hamahoullah ne fut pas transféré en Corse, les habits et les denrées
alimentaires demandés au gouverneur général de l'A.O.F. ne lui parvinrent
jamais 158. D'Aubenas, on le renvoya à Vals-les-Bains 159. Mais le ministère de
l'Intérieur fut rapidement informé de l'extrême gravité de son état de santé.
On décida de l'envoyer au camp d'internement d'Evaux-les-Bains où les
conditions de vie étaient meilleures. Transporté le 28 novembre 1942 à Evaux,
sa maladie ne cessa de s'aggraver. Le 4 décembre 1942, il est examiné par le
docteur F . Perron qui juge grave son état général et recommande « son
admission d'urgence à l'hôpital » 160.
Le
Cheikh fut transféré le même jour à l'hôpital de Montluçon, dans la clinique du
docteur Bons « où il est décédé le 16 janvier 1943 à la suite d'une crise
cardiaque et d'une congestion pulmonaire. La veille des obsèques (le 19
janvier), les représentants de la colonie nord-africaine et noire sollicitèrent
l'autorisation d'assister aux funérailles.
Une
délégation composée d'une vingtaine d'indigènes de couleur fut autorisée à
accompagner le défunt jusqu'à sa sépulture 161. »
12.
Témoignages sur le séjour de Cheikh Hamahoullah à Montluçon
En
1974, le député-maire de Montluçon, M. Maurice Brun, qui avait mené une enquête
minutieuse auprès des services hospitaliers de la commune, nous a déclaré:
«
Cheikh Hamahoullah est entré au Centre hospitalier de Montluçon en médecine générale,
au service du docteur Bons, le 4 décembre 1942. Quand il est arrivé, le docteur
Bons m'a certifié que personne ne lui a signalé qu'il pouvait s'agir d'une
personnalité. C'est un malade qui est arrivé du centre d'Evaux-les-Bains. Il a
eu son lit d'hôpital, on l'a soigné. Il n'a rien dit, il n'a absolument pas
revendiqué quoi que ce soit. Il a très peu parlé, du moins à son médecin. Le
docteur Bons affirme que dans son service on ne lui a jamais dit que c'était
une personnalité qui arrivait. C'était le malade anonyme. Cheikh Hamahoullah
est décédé le 16 janvier 1943 à seize heures trente. Diagnostic : cardiopathie
… Après son décès, son corps a été inhumé au cimetière de l'Est à Montluçon,
carré L, tombe 183 162. »
De
son côté, le docteur Establet, du Centre hospitalier de Montluçon, écrit dans
une lettre en date du 12 mars 1973 :
«
… J'ai questionné mes prédécesseurs, Monsieur Michon et le docteur Bons. Il
ressort de leurs souvenirs respectifs qu'il s'agissait d'une personnalité en
vue dans son pays mais qu'ils ne purent obtenir aucun renseignement des
autorités de police qui dirigeaient l'établissement d'internement à l'époque.
L'intéressé ne parlait à personne. »
En
effet, le docteur Bons écrit lui-même 163 :
«
Quand ce malade a été hospitalisé dans mon service, je ne savais rien de son
importance religieuse, et je n'avais aucune raison de m'intéresser à lui en
dehors de sa maladie. »
Enfin,
après avoir reconnu que la tombe de Cheikh Hamahoullah est celle qui reçoit le
plus « de visiteurs de marque, ministres, ambassadeurs et intellectuels
africains », M. Matron, le gardien du cimetière, affirme que l'homme de Nioro
fut enterré d'abord dans un carré commun, avant d'être déplacé et inhumé au
Carré L 183 en 1956, dans une concession achetée pour cent ans par Monsieur
Tiécoura Diawara, un instituteur d'Abidjan. Il convient de le préciser, carré
commun ne signifie pas fosse commune. Pendant la guerre, on enterrait parfois
plusieurs personnes dans une même fosse. Ce ne fut pas le cas de la dépouille de
Cheikh Hamahoullah inhumée dans une tombe (individualisée) indiquée par une
plaque portant « Chérif Cheikh Hamallah ».
Faut-il
encore préciser qu'au cimetière de l'Est, les indigents étaient enterrés chacun
dans une tombe individuelle au carré commun ?
Amadou
Hampaté Bâ serait le premier Africain à avoir localisé la tombe de Cheikh
Hamahoullah. C'est le docteur Charles Pidoux qui lui aurait donné les premières
informations sur le séjour du Cheikh en France. Dans une lettre en date du 23
mai 1972, M. Pidoux écrit :
«
J'ai été en résidence surveillée à Vals-les-Bains (Ardèche) au début d'avril
1942, Cheikh Hamallah y a lui-même été amené une ou deux semaines après. Les
internés ont été transférés à Evaux quelques temps après … En 1951, … j'ai eu
le bonheur de révéler à Amadou Hampaté Bâ ce qu'était devenu le Maître, dont
personne en Afrique — je crois — ne savait plus rien. »
Monsieur
Pidoux, qui vit actuellement dans le XVIIe arrondissement de Paris, affirme que
« Chérif Hamahoullah est arrivé apparemment en bonne santé à Vals-les-Bains en
provenance d'Oran. Le Cheikh était vêtu d'un burnous blanc. Il est descendu en
même temps que tous les internés dans la cour de l'hôtel pour les photos
d'anthropométrie et le relevé des empreintes digitales. » M. Pidoux se rappelle
que les conditions de détention n'étaient pas bonnes et que les internés
étaient mal nourris. Le menu était presque toujours le même : viande de mouton
et poireaux vinaigrette. Il précise qu'on ne servait ni vin, ni viande de porc.
Selon M. Pidoux, Cheikh Hamahoullah comprenait bien le français mais ne voulait
pas le parler avec les autorités du centre d'internement. Il aurait surtout
communiqué avec G. Le Diberder, un interné qui parlait l'arabe. Selon M.
Pidoux, pour les responsables du centre, Cheikh Hamahoullah, qui arrivait de
l'Oranais, était algérien. Mais une notice individuelle établie à
Vals-les-Bains en avril 1942 indique qu'il est originaire « du douar Nior,
Maroc et qu'il est fils de Jacob ben Amallah et de Mohammed ben Amallah ». Ces
dernières informations sont naturellement fausses.
En
vérité, l'administration de Vichy ne donnait aucun renseignement sur le Cheikh,
même dans les centres d'internement. Nous verrons plus loin les raisons de ces
précautions. Même si le Cheikh comprenait le français comme le pense M. Pidoux,
il ne voulait pas parler cette langue. La direction du Centre ne pouvait donc
obtenir de renseignements sur lui, comme le précise la notice individuelle.
Elle n'était donc pas sûre de sa filiation : « le Cheikh Amallah ne connaît pas
la langue française et il n'a pas été possible à ce jour d'obtenir le moindre
renseignement précis sur sa situation de famille. » Mais nous pensons que
Cheikh Hamahoullah a pu dire qu'il venait de Nioro. En effet, les Maures de la
Mauritanie et du Mali disent Nior pour Nioro, ils ne prononcent pas le « o »
final. Comme Cheikh Hamahoullah venait d'Algérie, pour les responsables du
Centre, il arrivait sans doute d'un douar qui s'appelait Nior, nom de Nioro
communiqué probablement par le Cheikh lui-même à ses gardiens.
En
vérité, on cachait son identité réelle et sa provenance, même aux responsables
des centres qui l'ont abrité. Mais comme le régime de Vichy avait interné de
nombreux Juifs, les responsables du Centre ont dû penser qu'il s'agissait d'un
Juif marocain ou algérien. Il n'est pas impossible qu'on l'ait présenté à
dessein comme tel aux services de police de Vals-les-Bains. C'est ce qui
explique sans doute le prénom attribué faussement à sa mère dans sa notice
individuelle, Jacob, un prénom que portent de nombreux Juifs.
Heureusement,
les services de police avaient pris la précaution de mentionner dans la même
notice qu'ils n'avaient pu obtenir eux-mêmes aucun renseignement sur la
situation de famille du Chérif. Le régime de Vichy entretenait le plus grand
secret autour de la personne de Hamahoullah pendant tout son exil en France.
En
effet, « des craintes ont pu être exprimées que les Allemands n'aient eu l'idée
de se servir de lui plus tard pour provoquer des troubles en A.O.F. » 164.
A
ce sujet, on peut lire dans un rapport politique du gouvernement général de
l'A.O.F. en date d'août 1948 (déjà cité) :
«
Pas un instant notre vieil ennemi (Cheikh Hamahoullah) n'avait essayé d'entrer
en contact avec les autorités allemandes. On est en droit de penser que s'il
s'était fait connaître, ou si les prisonniers africains de Montluçon avaient
révélé qui il était à leurs gardiens allemands, il aurait été transféré avec de
grands honneurs à Berlin où il aurait trouvé le mufti de Jérusalem, l'Emir
Cheikib Arslan et tous les ennemis de notre cause auxquels les Allemands
accordaient un traitement privilégié. »
Craignant
sans doute de violentes réactions populaires en Afrique, le gouvernement de
Vichy fit de la mort du Cheikh un secret d'Etat. La nouvelle ne fut communiquée
au gouverneur de l'A.O.F. qu'en 1945, deux ans après le décès du Chérif 165.
De
1945 à 1947, des rumeurs contradictoires circulèrent en Afrique à propos du
décès du marabout. D'aucuns affirmaient, sûrs de leur vérité, avec admiration,
que le Cheikh avait disparu de façon mystérieuse au cours d'un bombardement à
Marseille ou à Paris, pendant la dernière guerre et qu'il se trouvait bien
vivant quelque part en attendant la fin du « règne de la France en Afrique ».
Il convient de rapprocher cette thèse d'une légende populaire qui rapporte la
disparition mystérieuse d'El-Hadj Omar Tall à Déguimberé, au moment où il était
encerclé par les armées peules de l'empire du Macina, renforcées par les hommes
de [Cheikh] Békâye.
D'autres
déclaraient que Cheikh Hamahoullah avait été exécuté sur les ordres du maréchal
Pétain.
Chaque
camp s'appuyait sur de prétendus témoignages de soldats africains de la Seconde
Guerre mondiale revenant de France.
Dans
le but d'éclairer l'opinion publique, Amadou Doucouré, un sénateur du Soudan
français (Mali actuel), intervint officiellement auprès du ministre de la
France d'Outre-Mer en vue d'obtenir des précisions sur le sort de Cheikh
Hamahoullah.
Il
fit publier les renseignements obtenus dans le journal Paris-Dakar du 7 août
1947. Après avoir confirmé la triste nouvelle, il ajouta :
«
Cette réponse (du ministre de la F.O.M.) confirme malheureusement l'opinion
qu'en hommes avertis, bon nombre de Soudanais s'étaient déjà faite sur le sort
du Chérif Hamallah. Nous n'en remercions pas moins le ministre de la F.O.M. de
nous avoir donné officiellement plus de détails et de précisions sur cette fin.
Cheikh
Hamallah est donc bien décédé mais d'une mort naturelle.
Aussi,
compatriotes soudanais, le meilleur hommage que vous puissiez apporter à la
mémoire du vénéré disparu est de prier pour le repos de son âme. »
Cette
déclaration n'a pas convaincu tout le monde au Soudan français. Aujourd'hui
encore (1983), dans certaines régions du Mali, du Sénégal, de la Côte d'Ivoire
et surtout de la Mauritanie, de nombreux musulmans pensent que Cheikh
Hamahoullah est toujours vivant. Personne ne réussira à leur faire accepter le
contraire, quels que soient les documents et preuves qu'on leur présentera. Ils
affirment qu'il avait prédit dès 1937 non seulement son exil en France, mais
aussi et surtout son retour en Afrique. Reprenons ces arguments en les
critiquant, tout en marquant clairement tout notre respect pour ceux qui les
soutiennent.
Certes,
Cheikh Hamahoullah, s'il était vivant aujourd'hui, en 1983, serait âgé de cent un
ans (il est né en 1882). Il y a bien quelques centenaires en Afrique, même
s'ils ne sont pas nombreux. Mais s'il était vivant, il aurait été libéré en
1951 puisqu'il était condamné à purger une peine de dix ans d'internement à
compter du 19 juin 1941.
S'il
avait pu s'échapper et se mettre à l'abri quelque part sous d'autres cieux, il
se serait manifesté après la décolonisation de la Mauritanie et du Mali en
1960. Il aurait pris contact avec sa famille.
Enfin,
le gouvernement français dont il était l'illustre prisonnier, a annoncé
officiellement sa mort en 1945. Il l'a confirmée en 1964 et indiqué
l'emplacement de sa tombe par la bouche du général de Gaulle lui-même, au cours
d'un entretien officiel à l'Elysée avec le Président mauritanien de l'époque qui
avait été informé des résultats de l'enquête menée par les autorités françaises
de la Ve République sur le sort qui avait été réservé au Cheikh.
Nous
reviendrons plus loin sur cet entretien de Gaulle-Ould Daddah de 1964 à propos
de Cheikh Hamahoullah. Nous savons à présent comment se termina la vie de
courage, de foi et de dignité de Cheikh Hamahoullah, qui apparaît à nos yeux
comme un témoin de Dieu, un chef historique de l'Islam qui a tenté d'abord de
se réfugier dans la prière et le recueillement pour éviter toute compromission
avec le colonisateur français, avant de retourner contre ce dernier l'arme de
la foi, qui reste encore de nos jours une des forces les plus redoutables
contre l'oppression et l'injustice en pays musulman. Cheikh Hamahoullah représente
aujourd'hui aux yeux des Mauritaniens et des Maliens ce que Jean Moulin, le
président du Conseil de la Résistance française, représente pour le peuple de
l'Hexagone.
Amadou
Hampaté Bâ fut le premier hamalliste à localiser la tombe du Chérif d'après les
informations qu'il avait reçues du docteur Pidoux en mai 1951. Mais il revint à
un autre Africain de faire installer le corps dans l'actuelle sépulture.
Monsieur Tiécoura Diawara, un instituteur musulman d'Abidjan, s'était rendu à
Montluçon en 1956 pour se recueillir sur la tombe du Cheikh. Au cours de cette
visite, il avait décidé de transférer les restes du Chérif du carré commun à
une concession à perpétuité. M. Matron, le gardien du cimetière, était le seul
témoin de ce transfert. C'est M. Tiécoura Diawara, affirme-t-il, « qui a
apporté un cercueil de chêne et un linceul en velours blanc. C'est lui qui a
transféré le corps dans la tombe de la concession n°5773, c'est lui qui a
financé toute l'opération 166. »
A
ce propos, M. Tiécoura Diawara nous a déclaré lui-même en 1973 à Abidjan :
«
En 1939-40 j'avais écrit à Cheikh Hamallah, le saint le plus prestigieux de
l'Ouest-africain. Il n'avait pas répondu. Je savais que son courrier était
surveillé au niveau de la poste de Nioro et que certaines lettres ne lui
parvenaient pas. Quand j'écrivis une seconde lettre, je reçus une réponse qui
m'était adressée par quelques talibés.
Je
n'avais jamais eu l'honneur de rencontrer Cheikh Hamallah. En 1956, je me suis
rendu en France pour suivre un traitement médical. J'étais à l'hôtel des
Acacias, dans le 17e arrondissement de Paris. Pendant mon séjour en France,
j'ai effectué un voyage en compagnie d'Houphouet-Boigny et de Hampaté Bâ à
Montluçon. Au cimetière de Montluçon, M. Matron, le gardien, nous a dit que la
tombe du Cheikh pouvait disparaître au bout de sept ans, dans la mesure où elle
se trouvait dans un carré commun et non dans une concession à perpétuité.
J'avais
eu l'impression que chacun d'entre nous avait l'intention de faire quelque
chose, d'empêcher la disparition de cette tombe.
Puis
mes compagnons repartent pour Paris, et moi je me rends à Aix-les-Bains.
Vingt-et-un jours plus tard, je reviens à Montluçon. Je dépose ma valise chez
M. Matron au cimetière avant de réserver une chambre d'hôtel. Je me présente
aussitôt à l'Hôtel de ville où on me remet des imprimés à remplir après avoir
payé une somme de … Je reviens au cimetière après avoir acheté quatre mètres de
velours blanc.
Ensuite,
je choisis l'emplacement de la nouvelle tombe et je procède au transfert du
corps sans l'aide de personne. »
De
nombreux dirigeants africains effectuent de nos jours le pèlerinage de
Montluçon. M. Maurice Brun, député-maire de Montluçon en 1974, nous a déclaré
au sujet de l'affluence des pèlerins venus se recueillir sur la tombe de Cheikh
Hamahoullah :
«
Il y a énormément de gens qui viennent et ils arrivent en général incognito. Il
serait intéressant que vous poursuiviez vos enquêtes auprès des chauffeurs de
taxis de Montluçon. ll y a toute une industrie (transports en car jusqu'au
cimetière et retour à la gare). Les visiteurs en arrivant ont des mots de passe
ou le nom ou le surnom du chauffeur de taxi qui les conduira au cimetière de
l'Est ; la seule personnalité ayant sollicité les services de la mairie avant
d'aller se recueillir sur la tombe est le ministre malien de l'Education
nationale. Le 11 septembre 1964, j'ai reçu dans la soirée la visite de M. le
Ministre de l'Education nationale du Mali en cure à Châtel-Guyon, accompagné de
deux de ses collaborateurs, qui désirait se recueillir sur la tombe d'un de ses
compatriotes mort en déportation à Montluçon …
Il
m'a indiqué que sa visite n'avait aucun caractère officiel, qu'il désirait
conserver l'incognito le plus total 167. »
A
la suite de cette visite, des transformations furent apportées à la tombe, à la
demande du ministre malien ; la dalle qui couvrait la tombe a été enlevée :
«
Suite à la visite de Monsieur le ministre … sur la tombe de Cheikh Hamallah,
concession de un mètre de large située en bordure d'allée, dans le cimetière
moderne-Est, plan n° L 183 et sur laquelle il a été édifié un monument avec
dalle … Monsieur le ministre et ses accompagnateurs m'ont fait savoir que
suivant la coutume de leur religion, les tombes ne sont pas recouvertes d'une
dalle, mais qu'il existe un entourage en ciment et au milieu du gravier ou du
sable 168. »
Après
l'accession de la Mauritanie à l'indépendance le 28 novembre 1960, les
responsables du pays avaient saisi l'ambassadeur de France à Nouakchott en vue
d'obtenir l'accord du Gouvernement français pour le rapatriement des restes
mortels du Chérif 169.
Le
Président mauritanien devait évoquer cette affaire au cours de l'entretien
qu'il eut avec le général de Gaulle le 11 septembre 1964. Les enquêtes menées
par les autorités françaises sur les instructions de l'Elysée avaient confirmé
que « la tombe de Montluçon était bien celle de Cheikh Hamahoullah ould
Mohammedou ould Seydna Oumar, arrêté le 19 juin 1941 à Nioro et déporté
successivement en Algérie et en France ». Le Gouvernement français était
d'accord sur le principe du transfert des restes mortels du marabout en
Mauritanie. Il exigeait cependant que deux conditions fussent remplies au
préalable :
La
présentation par les autorités mauritaniennes d'une demande de transfert signée
par les plus proches parents en vie du défunt.
Vis-à-vis
de la France, il conviendrait d'obtenir du Gouvernement mauritanien l'assurance
que le transfert des restes mortels de Chérif Hamallah ne donne lieu à des
manifestations d'hostilité 170.
L'ex-Président
Ould Daddah, que nous avons interrogé à ce sujet, avait accepté les conditions
françaises. Il envisageait, nous a-t-il dit, le transfert des restes mortels à
Tichitt, localité d'origine du Cheikh.
Il
avait donné en 1964 des instructions aux autorités des deux Hodhs en vue
d'obtenir la signature des proches parents du Cheikh qui résidaient, à Aïoun et
à Néma. Un des moqaddem du Chérif avait également été sollicité.
Cependant,
« les responsables politiques et administratifs des régions concernées avaient
signalé que, pour de nombreux Télamides (fidèles), le Cheikh n'est pas mort et
que le rapatriement de ses restes mortels pourrait entraîner des troubles au
cours desquels le maintien de l'ordre exigerait éventuellement des mesures
draconiennes …
Au
même moment, j'avais effectué une visite officielle en Guinée où j'avais été
bien reçu par Sékou Touré. De Gaulle était très mécontent, les rapports entre
Nouakchott et Paris se détériorèrent rapidement. C'est dans cette atmosphère de
tension politique entre la Mauritanie et la France, et compte tenu des raisons
internes déjà évoquées, que la question du transfert avait été mise en suspens.
Les relations entre Paris et Nouakchott étant mauvaises à l'époque, aucune
demande de transfert n'avait été transmise à l'Elysée.
Du
côté malien, contrairement à ce que certains vous ont dit, Modibo Keita n'était
pas contre le transfert des restes mortels du Cheikh à Tichitt, au contraire. »
Aujourd'hui
encore, les mêmes raisons d'ordre interne évoquées par l'ex-Président Ould
Daddah semblent constituer un obstacle au transfert des restes mortels du
Chérif. Pour de nombreux hamallistes du Hodh, le Cheikh n'est pas mort et la
tombe de Montluçon ne représente rien à leurs yeux.
Vingt-deux
ans après l'indépendance de son pays, Cheikh Hamahoullah, considéré en Afrique
de l'Ouest comme un des plus grands saints de l'Islam et l'un des plus
prestigieux résistants à la colonisation française, est toujours enterré dans
un cimetière chrétien. Les cendres de la plupart des résistants africains morts
dans les camps d'internement du colonisateur français ont été transférées dans
leurs pays.
La
Guinée a salué, dans un enthousiasme populaire légitime, le retour des cendres
de l'Almami Samori Touré et d'Alfa Yaya Diallo, roi de Labé, qui étaient
inhumés respectivement au Gabon et en Mauritanie.
Parmi
tous les résistants ouest-africains morts en exil, seul Cheikh Hamahoullah ne
bénéficie pas encore d'une sépulture (deux mètres carrés) sur cette terre
d'Afrique pour laquelle il est mort. Pourtant, à Montluçon, les pèlerins
africains (Mauritaniens, Maliens, Sénégalais, Ivoiriens, Voltaïques, etc.)
affluent. Des hommes politiques, des universitaires, des marabouts, viennent
s'incliner pieusement devant la sépulture du Cheikh.
Il
convient maintenant d'étudier brièvement ce qu'est devenu le hamallisme après
la disparition du Cheikh.
Notes
1.
Ces bagarres avaient souvent lieu dans la banlieue de Nioro, au bord du marigot
connu sous le nom de « Fakha ». ll paraît intéressant de faire remarquer que
chacun des deux groupes d'extrémistes qualifiait l'autre d'« infidèle »
(munkir).
2.
Il convient de le rappeler, le régime colonial en 1924, c'était l'indigénat,
l'arbitraire. Le pouvoir colonial avait tous les droits et les peuples
a&icains aucun. Malgré tout, le journal « L'A.O.F. n° 1896 du jeudi 27 mai
1926 s'élevait contre l'ingérence de l'administration coloniale dans les
affaires de culte. L'auteur de l'article s'appuyait en réalité sur la loi de
1905 par laquelle « l'Etat français était devenu étranger à tous les problèmes
d'ordre confessionnel ». Cette loi n'avait jamais été appliquée en Afrique.
D'ailleurs, elle ne pouvait l'être dans la mesure où elle était en parfaite
contradiction avec l'attitude de la France à l'égard de l'Islam. En effet, la
loi du 9 décembre 1905 dont il s'agit stipule que : « La République française
assure la liberté de conscience. Elle garantit le libre exercice des cultes
sous les seules restrictions édictées ci-après dans l'intérêt de l'ordre public
» (Code administratif, Dalloz, 1969, p. 269).
3.
L'A.D.P., op. cit., journal dont Lamine Guèye était le directeur politique.
4.
S.E. 2/33, A.N.M. (de larges extraits en annexe).
5.
19 G 23 - 108, op. cit.
6.
Extrait du Rapport du 10 août 1923, 19 G 23 (108), A.N.S.
7.
A. Gouilly, rapport confidentiel, op. cit.
8.
Il s'agissait de M. Rougier.
9.
Il convient de noter que Cheikh Hamahoullah n'a jamais demandé quoi que ce soit
à l'administration coloniale. Nous avons déjà expliqué les raisons pour
lesquelles Fah fut interné à Boutilimit.
10.
Archives A.P.A.S. APS, Dossier Hamalliste VIII (Soudan). Dossiers individuels
(doc. cités par Gouilly, op. cit., 1948).
11.
« Autre son de cloche » journal L'A.O.F. n°1896 du 27 mai 1926.
12.
Voir en annexe le rapport de Terrasson de Fougères, gouverneur du Soudan.
13.
Voir L'A.O.F. du 28 janvier 1926.
14.
Voir Rapport du gouverneur Terrasson de Fougères. S.E. 2/33, A.N.M., (en
annexe).
15.
Voir S.E. 2/33, A.N.M.
16.
Le décret du 15 novembre 1924 détermine en A.O.F. l'exercice des pouvoirs
disciplinaires et des mesures propres à l'indigénat.
17.
L'A.O.F., op. cit.
18.
Voir lettre du gouverneur Gaden (21/7/1926), A.N.M.
19.
« Dans l'empire du Soudan » L'A.O.F. 21 janvier 1926.
20.
L'A.O.F. du 28 janvier 1926.
21.
Djikr ou dhikr : litanie.
22.
Voir le texte du télégramme en annexe.
23.
A Nioro et à Bamako, le lieu d'internement du Chérif fut tenu secret par les
autorités coloniales.
24.
Rapport du résident de Méderdra. S.E. 2/33 (A.N.M.).
25.
Lettre en date du 7 octobre 1926 de Charbonnier adressée au gouverneur de la
Mauritanie à Saint-Louis. S.E. 2/33 (A.N.M.).
26.
S.E. 2/33, A.N.M.
27.
Lettre de Charbonnier, op. cit.
28.
Extrait du rapport Descemet citant J. Brévié.
29.
Lettre de Charbonnier, op. cit.
30.
Voir à ce sujet le rapport Descemet, op. cit.
31.
Lettre de Charbonnier, op. cit.
32.
A la lecture des documents de la S.E. 2/33, A.N.M., on se rend compte que
Chazal était à Méderdra en 1930 comme administrateur.
33.
Voir Rapport DUMAS en date du 18 mars 1930. S.E. 2/34. A.N.M.
34.
Voir au sujet du séjour de Lakhdar à Kaëdi, le rapport n°1099C du commandant du
cercle de Kaëdi (en date du 5 septembre 1929). S.E. 2/34, A.N.M.
35.
Nous reviendrons plus loin sur le mouvement yacoubiste, sa doctrine religieuse
et les réformes sociales proposées par Yacouba Sylla.
36.
Extrait du Rapport n°268 AP du gouverneur de la Mauritanie en date du 17
octobre 1929, adressée au gouverneur général à Dakar. S.E. 2/34, A.N.M.
37.
Voir « lettre des musulmans de Kaëdi ». S.E. 2/34, A.N.M.
38.
Voir Rapport n° 371 du 13 mars 1930 du commandant de cercle du Gorgol. S.E.
2/34, p. 1-2, A.N.M.
39.
Ibid.
40.
Selon les témoignages de M. Kébé (Gagnoa) et feu Cheikhna Aliou Diakité (Kaëdi)
(entretiens de 1974).
41.
« L'un d'eux, Paly Kaba ami de Yacoub Cilla se distingue par sa fureur et
frappe les gardes chargés de l'emmener ». Voir Rapport 268 AP du 17 octobre
1929, op. cit., p. 3.
42.
Voir rapport n° 371, op. cit. , p. 2.
43.
Selon Yacouba Sylla (entretiens de 1974 à Gagnoa).
44.
Rapport n° 371, op. cit. , p. 3.
45.
Ibid.
46.
Rapport Quesgneaux n° 1232 C du 31 décembre 1929, p. 1. S.E. 2/34, A.N.M.
47.
Extraits du rapport Quesgneaux, op. cit.
48.
« Pour Touldé, je ne puis cependant emprisonner cent cinquante à deux cents
individus; je n'en ai d'ailleurs pas les moyens. » Extraits du rapport 1232C,
S.E. 2/34, A.N.M.
49.
Rapport n° 371 du 13 mars 1930, op. cit., p. 3.
50.
Extraits du rapport du 13 janvier 1930 de l'inspecteur des affaires
administratives au sujet des incidents de Kaëdi des 27 et 28 décembre 1929, p.
2. S.E. 2/34, A.N.M.
51.
Voir en annexe la liste officielle des morts.
52.
Lettre reçue de feu Bocar Bâ, originaire de Kaëdi.
53.
Voir rapport Dumas, op. cit., S.E. 2/34, A.N.M.
54.
Nombre d'entre eux furent aussitôt envoyés à la prison de Boghé. (Voir rapport
Dumas).
55.
Pour la liste des internés, voir S.E. 2/34, A.N.M.
56.
Voir rapport Dumas, op. cit.
57.
Voir rapport Dumas, op. cit.
58.
Dans son rapport, Dumas écrivait encore : « Le désir général est donc que tous
les onze soient expulsés définitivement de Kaëdi et installés ailleurs. Les
chefs déclarent que s'il en est autrement, il leur est impossible désormais de
garantir l'ordre et d'éviter de nouveaux troubles. Amadou Amar déclare
notamment : Sans le gouvernement, les « onze » qui ont la plus mauvaise
mentalité et qui n'aiment personne auraient attenté à la vie de tous. Grâce à
Dieu et au gouvernement nous sommes sauvés … Tous les musulmans sont contents
et disent que l'action était indispensable. Le cadi de Kaëdi approuve ses
paroles : Nous remercions le Commandant et sa patience ; s'il ne nous avait pas
défendus on serait tous morts. « Le Cadi de Boghé cite le chapitre de Khalil
qui prévoit la rébellion et le refus d'obéissance à l'autorité, les onze
étaient des rebelles et en droit musulman on a toute liberté d'agir, car le
Prophète de Dieu a dit : Tous ceux qui sèmeront le désordre entre les musulmans
auront la tête coupée. Une fois leur soumission faite, les blessés doivent être
soignés, c'est tout ce qui est prescrit. »
59.
Lettres de Quesgneaux, op. cit., S.E. 2/34, A.N.M.
60.
Extrait du rapport n°371 du 13/3/1930, op. cit.
61.
Faisons remarquer comme le reconnaît Quesgneaux lui-même dans son rapport
précité que le « commandement de feu de salve n'existait plus depuis longtemps
».
62.
Parlant de Quesgneaux, Dumas écrit le 18 mars 1930 « Il fait procéder au rassemblement
des anciens tirailleurs qui viennent offrir leurs services ».
63.
Lettre du 13 mars 1930, op. cil. S.E. 2/34, A.N.M.
64.
Des rescapés dont H. Kamara que nous avons interrogé à Gagnoa en 1974.
65.
Sur ce point, documents et traditions orales concordent fort bien.
66.
Par arrêté général du 27-1-1930.
67.
Voir rapport Chazal (correspondance du 2e trimestre), S.E. 2/ 32, A.N.M.
68.
Voir rapport Dumas, op. cit. Mamadou Sadio :
—
Je ne regrette absolument rien. Je recommencerai à l'occasion si Dieu (m'en)
révélait (la nécessité).
—
Quels sont vos complices ?
Mamadou
Sadio :
—
Personne, je suis le maître. (Extrait de l'interrogatoire de Mamadou Sadio à
l'Audience du 20 mars 1930, jugement n°2, Kaëdi).
Comme
on le constate ni Cheikh Hamahoullah ni Yacouba Sylla n'étaient responsables
des incidents de Kaëdi. Voir aussi lettre en date du 25 septembre 1943 du
commandant de cercle de Kaëdi (S.E. 2/41).
69.
Voir rapport n°1232C du 31-12-1929 du cercle de Kaëdi, op. cit., S.E. 2/34.
A.N.M.
70.
Voir lettre signée de Chazelas adressée au gouverneur du Soudan à propos de la
libération anticipée de Chérif Hamahoullah. S.E. 2/41, A.N.M.
71.
Voir à ce sujet les rapports du 2° trimestre de 1930. S.E. 2/32, A.N.M.
72.
D'après la version d'El-Hadj Bakary Sakho d'Abidjan, historien et chercheur,
qui a recueilli de nombreuses traditions orales.
73.
Document X-38-2 : Rapport polit. du IIIe trim., p . 12, A.N.C.I.
74.
Ce bureau est occupé aujourd'hui par le Service de l'état civil. Il se trouve à
une cinquantaine de mètres au sud-est de l'ancien camp des gardes d'Adzopé.
75.
Série E, X-38-2, op. cit., A.N.C.I.
76.
Ibid.
77.
D'après le chef de la communauté dioula d'Adzopé. (Entretiens de 1973 à
Adzopé).
78.
Soudan français (Mali actuel).
79.
Rapport du 4e trimestre (1930) X-38-2, p. 12, op. cit., A.N.C.I.
80.
Ibid.
81.
Ce refus n'est pas mentionné dans les documents d'Archives de Côte d'Ivoire.
Mais il convient d'ajouter qu'en 1926, le résident de Méderdra signalait que
Cheikh Hamahoullah ne « voulait toujours pas toucher la subvention mensuelle
qui lui était accordée » (voir à ce propos S.E. 2/33, correspondances des 2e et
3e trimestres de 1926 du résident Charbonnier).
82.
Le journal le Sénégal du jeudi 2 janvier 1936 (n° 83) annonce la libération
prochaine de Cheikh Hamahoullah.
83.
Cette date correspond au jeudi 13 janvier 1936.
84.
Traduction de Kasimirski, Le Coran, éd. Baudoin, Paris, 1980.
85.
Voir S.E. 2/31, A.N.M. (Extrait d'un rapport administratif), ou le dossier 17
G-60-17 en particulier la circulaire n°570 AP/2 du gouverneur général en date
du 6 septembre 1937. A.N.S.
86.
Voir dans Abū l-Walīd Muḥammad bin 'Aḥmad bin Rušd [Ibn Rushd] (Averroès),
Bidâyat al-mujtahid (3e éd., 1379/1960, p. 166) les thèses des grandes écoles
juridiques sunnites.
87.
Il est intéressant de rappeler que l'un des disciples les plus connus d'Abû Ḥanîfa,
Mohammed Ibn al-Ḥasan al-Shaybânî (m. 805), avait réfuté les thèses de Mâlik
Ibn Anas.
88.
Voir Tafsîr al-manâr, t. V, 2e éd., 1948, p. 364.
89.
Pour plus de précision sur les marabouts hamallistes qui ont écrit des lettres
confidentielles pour dénoncer Cheikh Hamahoullah à la suite des divergences
nées au sujet de la prière abrégée, voir A. Gouilly, rapport confidentiel, op.
cit., 1948, pp. 30-31 (doc. non classé).
90.
Pour plus de détails, voir la Série E/13, A.N.M.
91.
D'après les témoignages recueillis en 1973 auprès de M. Amadou Hampâté Bâ.
92.
Cf. Rapport de J. Beyries (1936) cité par le lieutenant Chapelle dans « le
Hamallisme dans la région de Nioro ». S.E. 2/13, A.N.M. 155
93.
Cf. Rapports politiques du Soudan 2G-37-34 (A.N.S.) et S.E. 2/34 (A.N.M.).
94.
Voir Rapport politique 2G-37-34, A.N.S.
95.
Lettre du commandant de cercle de Nioro en date du 6 octobre 1937. Archives
A.P.A.S., APS, non classées. Dossier hamalliste, Soudan, VII G.
96.
A. Gouilly, 1948, rapport, op. cit., pp. 43-44.
97.
Rapport Long du 1er septembre 1936, p. 7. Archives A.P.A.S. APS, Dossier
hamallisme VII (cité par Gouilly, rapport, 1948).
98.
Voir séries 2/34, A.N.M. et 2G 37-34, A.N.S., version confirmée par Bocar Bâ,
ancien interprète originaire de Kaëdi, décédé en 1979.
99.
Sourate IV — Les femmes, verset 62 : « O croyant, obéissez à ceux d'entre vous
qui exercent l'autorité … ». Ce verset a en effet été utilisé par de nombreux
marabouts proches du régime colonial en vue d'obtenir la soumission et
l'obéissance des fidèles au pouvoir colonial.
100.
Selon des traditions orales, généralement dignes de foi, recueillies au Hodh.
101.
Chérif recensé chez les Laghlal Ahel Bouboye de Nioro.
102.
Chérif recensé chez les Laghlal Ahel Dahmasse de Nioro.
103.
Chérif recensé chez les Laghlal Ahel Dahmasse de Nioro.
104.
Chérif recensé chez les Laghlal O. Abdel Malik de Tamchakett.
105.
Khaïty avait quitté Akwawine juste avant la bagarre.
106.
Traditions recueillies le 17 avril 1973 à la zâwiya de Bamako.
107.
D'après la version de Brahim ould el-Bane, un vieux notable tinouajiou que nous
avons rencontré à Aïn Farba en août 1972 (R.I.M.). Voir à ce sujet dans le
dossier 15 G 14-17 (A.N.S.), le document n° 4989 selon lequel il s'agirait
d'une brûlure : « les pieds sont brûlés de onze millimètres de profondeur au
troisième degré. »
108.
La prédication hamalliste eut un écho favorable dans la tribu Laghlal recensée
en grande partie à Yélimané, à Nioro et à Aïoun El Atrouss.
109.
Voir 2 G 41-20, A.N.S., p. 144.
110.
Selon les traditions orales recueillies au Hodh, ces goumiers de la tribu des
Oulad Nacer étaient affiliés à la confrérie hamalliste. Mais d'après Cheïbani
ould el-Bane que nous avons déjà cité, Baba et son compagnon furent libérés par
des chefs tinouajiou. Il prétend aussi que seul Bébaly fut maltraité.
111.
Série 15G-14-17, A.N.S.
112.
Tinouassives : il s'agit d'une mauvaise transcription de Tinouajiou.
113.
Le Périscope africain n°406 du samedi 20 août 1938.
114.
Rappelons que la « drôle de guerre » prit fin en mai 1940. En effet la «
guerre-éclair » se déclenche à l'aube du 10 mai 1940. Le 10 juin le
gouvernement quitte Paris pour Tours. Paris est occupé le 14 juin 1940. Le 22
juin, dans la forêt de Compiègne le général Huntziger signe la convention
d'armistice avec l'Allemagne dans le « wagon de l'Armistice » du 11 novembre
1918.
115.
D'après la version de Cheïbani ould el-Bane qui aurait pris part à la bataille
de Mouchgag.
116.
Voir 2 G-41-20, A.N.S.
117.
Lemras : Lemghas ou encore Mouchgag.
118.
Voir rapport du gouverneur du Soudan 2 G 41 -20, A.N.S., op. cit.
119.
Nioro : armes saisies en 1941 : 274 ; armes de traite recensées: 1084, 2 G
41-20. A.N.S.
120.
Voir jugement n° 4 du 30 juin 1941 de Nioro. S.E. 2/ 45, A.N.M.
121.
Voir télégramme n° 82 CF, op. cit.
122.
Voir 2 G-41-20, p. 140, op. cil. (Cheïbani ould el-Bane nous a déclaré ce qui
suit en août 1972 à Aïn Farba : « Les représentants de notre tribu avaient dit
aux Français que les partisans de Baba avaient exprimé de vive voix leur désir
de chasser les colonisateurs après avoir massacré tous les Tinouajiou. »
123.
Voir à ce sujet télégramme n° 25 CF du commandant de cercle de Kiffa, op. cit.
124.
Le commandant de Kiffa défendait dans ses premiers télégrammes la thèse selon
laquelle il s'agirait « d'une querelle de tribus ». Finalement, il se rallia à
celle de la « révolte contre l'autorité française », suivant ainsi le point de
vue des administrateurs de Nioro et de Y élimané.
125.
« Ils ont été mis en état d'arrestation quelques jours ou quelques semaines
après les événements au sein de leur tribu d'origine, au moins pour la plupart
d'entre eux et à ma connaissance sans résistance. » (Selon le colonel Rocaboy,
dans une lettre qui nous est parvenue le 25 juin 1975). Il s'agit d'un extrait
de la réponse à un questionnaire que nous lui avons adressé. Rocaboy, qui a rédigé
de nombreux rapports sur le hamallisme, a fait partie du personnel de
commandement de la région à l'époque.
126.
Extraits de la lettre en date du 15 septembre 1940. S.E. 2/45, A.N.M.
127.
Selon la version de feu Samba Bathily, de Nioro du Sahel.
128.
Certains hamallistes sauraient sans doute interpréter le fait que le nom de
Dieu soit mentionné onze fois et non douze ou dix foix dans la lettre.
129.
Voir Rapport du lieutenant Chapelle. S.E. 2/13, A.N.M.
130.
Voir 2 G 41-20, p. 144. A.N.S. (Rapport du gouverneur du Soudan).
131.
Extrait d'un rapport du résident de Tidjikja (Dubié) en date du 10/11/ 1940.
S.E. 2/45. A.N.M.
132.
Voir doc. 2 G 41-20, p. 151. A.N.S.
133.
Voir télégramme du gouverneur général n°7081 à Maurit. Saint-Louis surchif. par
fil n° 624 S.E. 2/45. A.N.M.
134.
Extrait du Journal officiel de l'A. O.F. du 28 juin 1941 (cité par lettre
n°2077 A/ P, Série E 2/ 45, op. cit.).
135.
Voir « lettre des musulmans » adressée au Gouverneur général, Haut Commissaire
en A.O.F., à Dakar, S.E. 2/ 45, A.N.M.
136.
Le mot « concentration » est employé par les administrateurs coloniaux
eux-mêmes. Voir rapports S.E. 2/45, op. cit.
137.
Voir à ce sujet S.E. 2/ 33, op. cit.
138.
Idem, ibid.
139.
Voir à ce sujet le T.O. n° 537. (Priorité absolue) adressé par Rapenne au
gouverneur général le 19 juin 1941. A.N.M., S.E. 2/ 45.
140.
J.R. de Benoist, 1979, p. 47.
141.
D'après Amadou Hampaté Bâ (entretiens de 1973 résumés par nous).
142.
S.E. 2/45, op. cit.
143.
Extrait d'une lettre de Boisson adressée au gouverneur du Soudan. S.E. 2/45,
op. cit., R.I.M.
144.
Voir 2 G-41-20, p. 147, A.N.S.
145.
Voir la liste des condamnés à mort en annexe.
146.
Voir 2 G-41-20, p. 152, A.N.S. Les tribus coalisées devaient payer 6 947 355,50
pour dédommager les Tinouajiou.
147.
Voir Dossier Cheikh Hamallah, Fonds Oran, série F, dépôt des Archives
d'Outre-mer, Aix-en-Provence.
148.
Ibid.
149.
Extrait d'une lettre de la Sûreté naÜonale française adressée au gouverneur de
la Mauritanée (S.E. 2/33). A.N.M. D'après la même lettre, Cheikh Hamahoullah
fut envoyé en Algérie avec l'accord du général Weygand.
150.
Voir l'arrêté en annexe.
151.
Voir en annexe l'état nominatif des compagnons de détention du Cheikh à l'hôtel
du Vivarais.
152.
Voir en annexe une copie de ce procès-verbal et l'ensemble du courrier que nous
avons reçu au sujet de Cheikh Hamahoullah de M. le Directeur des Archives de
l'Ardèche.
153.
Lettre du 16 octobre 1981 de M. H. Hours, directeur des Archives de la Creuse.
154.
Pièces annexées au bordereau n°713 AP5 du 20 mars 1947, Archives A.P.A.S. AP5,
Dossier hamallisme Soudan VII G (non classé).
155.
Rapport de la Sûreté nationale française, op. cit., S.E. 2/33.
156.
Lettre n°6270 en date du 23 octobre 1942 du secrétaire d'Etat aux Colonies de
Vichy, adressée au gouverneur général de l' A.O.F. S.E. 2/67/68, A.N.M.
157.
Voir S.E. 2/33, op. cit., A.N.M.
158.
C'est finalement auprès de la Croix rouge que le centre d'internement de Vals a
pu obtenir des habits pour le Chérif de Nioro (voir en annexe les lettres
relatives à cette affaire).
159.
Cheikh Hamahoullah occupait la chambre n°24 à Vals-les-Bains.
160.
Voir en annexe le certificat médical établi par le docteur Perron
d'Evaux-les-Bains.
161.
Extraits d'une lettre circulaire n°259 AP/ 5 du gouverneur général de l'A.O.F.
en date du 7 juin 1945 (S.E. 2/33, A.N.M.). Voir en annexe la lettre n°157 du
20 janvier 1943 du directeur de l'établissement d'Evaux qui précise qu'un
officiant bénévole psalmodia les prières musulmanes lors des obsèques du
Cheikh.
162.
Entretiens de 1974 avec M. Maurice Brun, député-maire de Montluçon.
163.
Lettre en date du 26 mars 1975 que le docteur Bons a bien voulu nous faire
parvenir (en annexe).
164.
Lettre n°3149 du 24 décembre 1943 du gouverneur général de l'A.O.F., adressée
au Commissaire de la France à Alger. Document des A.P.A.S. cité par Gouilly
dans son rapport confidentiel de 1948, op. cit.
165.
Voir Circulaire n°259 A.P./5 du gouverneur général Cournarie en date du 7 juin
1945 annonçant officiellement aux gouverneurs des colonies de toute l'Afrique
de l'Ouest le décès de Chérif Hamahoullah, op. cit.
166.
Témoignage de M. Matron, ancien gardien du cimetière de Montluçon (octobre
1975). L'intéressé réside actuellement dans la même ville (1983).
167.
Lettre en date du 11 septembre 1964 du Secrétaire général de la Mairie de
Montluçon adressée à Monsieur le Maire absent (Archives municipales,
Montluçon).
168.
Extrait du Compte rendu de la visite de Monsieur le Ministre de l'Education
nationale du Mali (Archives municipales de Montluçon).
169.
Voir en annexe la note rédigée à l'intention du général de Gaulle par M.
Perrier, haut fonctionnaire, à la veille de l'audience accordée au chef de
l'Etat mauritanien le 11 septembre 1964 à l'Elysée.
170.
Note de l'Elysée, op. cit.
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