LES
ÉNIGMES DANS LA VIE D’AGUÉLI
LES
PSEUDONYMES
Il
ne s’agit évidemment pas d’un jeu littéraire ou d’une simple
fiction, comme nous allons essayer de le démontrer ci-après 1.
Son
nom d’état-civil, Agelii, est déjà un pseudonyme ! Le
véritable patronyme est MOBERG. Or, quand le grand-père, Isak
Moberg, voulut s’inscrire au collège, le directeur l’obligea à
changer de nom et à prendre celui d’Agelii, sous prétexte que «
Moberg » était un nom de cocher (sic ! – Cf. Gauffin, t.I,
p.14).
On
remarquera que « Agelii » est le génitif du nom latin Agelius,
latinisation d’ailleurs fréquente dans les pays Scandinaves à
l’époque (ex. : Sibelius, Vilnius, Emmanuelis Swedenborgis, etc…).
Or il y a une hypothèse ingénieuse sur l’origine de ce nom,
peut-être suggérée par Agelii lui-même, qu’émet un de ses amis
anarcho-théosophistes – Jacques Tasset – disant qu’Agelius
serait la contraction du nom de l’écrivain latin Aulus Gelius (A
– lus Geli – us), auteur des « nuits Attiques » (vers 130
avant J.C.). Argument plausible, sans plus (op. cit.,I, p.61) !
Avant
de prendre son pseudonyme d’artiste « Aguéli » transcrit à la
française, il avait signé sur une esquisse, dès le 15 octobre
1889, Иван Агзпии
en caractères cyrilliques, soit « Ivan [= John = Jean ] Ageli (ou
Aguéli) », nom qu’il gardera toute sa vie. Mais un peu plus tard,
en 1894 au Caire, il se fera adresser des lettres au nom de M. Ivan
Stranyi, ce qui en russe signifie l‘étranger et donne
peut-être déjà un indice sur sa personnalité mystérieuse, car ce
titre fait penser aux « Cosmopolites », Rose-Croix, Passants et
autres « Nobles Voyageurs »… René Guénon écrira même que le
nom d’origine était « Aquileff ou Aguileff » (lettre inédite du
26/3/1938), mais Aguéli était expert dans l’art de brouiller les
pistes sur ses véritables origines en bon agent secret ! 2
En
italien, il transcrit naturellement son nom sous la forme « Agheli
»; curieusement, ce nom est entièrement contenu dans le nom
d’Alighieri, laissant de côté les trois lettres RII. Transcrit en
écriture arabe, cela donnerait « al-Ighieri » ( ou al-Ighiari); or
la racine « ghiâr », adjectif « ghiâry / ghairy », signifie «
venir en aide ». Le nom de Dante pourrait alors se lire « à
l’arabe » : Ali-ghiari… Sans garantie de vraisemblance. Nous
évoquons juste cette possibilité que certains auraient à nous
reprocher d’avoir méconnue .
En
Égypte, Agelii adopte le nom arabe de `Ageli, le plus proche par sa
prononciation dialectale de son nom suédois et du nom de famille de
lettrés égyptiens [`Uqayli, en écriture classique vocalisée]. Or
ce terme est intéressant en ce qu’il est le diminutif grammatical
– de type « fa’al — fu’ayl » – de `aql, l’intellect, et
sa vocalisation est la même que dans le terme « uwaysi » dont nous
avons attribué la qualité à Cheikh `Abdul-Hadi et qui vient de «
aws » – le lynx doué de vue perçante (cf. VLT n°72, p.51,
n°27), soit :
– ‘aql
— ‘uqayl — ‘uqayli : le petit intellect.
– aws
— uways — uwaysi : le petit voyant.
Nous
y verrons pour notre part une allusion discrète au cas spirituel de
Cheikh `Abdul-Hedi.
Poursuivons
cette « valse » des pseudonymes avec le suivant : « Volontario »,
dont il signe ses premiers articles (en italien) dans la revue
politico-sociale « Il Commercio italiano », le Caire 1902, soit
deux ans avant la fameuse revue « Al-nadi = Il Convito ».
Ce
qui est curieux, c’est sa prétendue origine tartare, et P. Genty
qui l’a rencontré chez Dujols (et peut-être présenté à cette
occasion à Guénon) lui trouvait un faciès asiatique !
Ce
qui est certain, c’est qu’Aguéli était châtain aux yeux bleus
et que ses photos ne font pas penser à un mongol ! Mais le jugement
de Genty n’était pas toujours très sûr et ses connaissances
ethno-linguistiques parfois assez fantaisistes (comme son ouvrage
incroyable sur les « Celtes » – Editions Traditionnelles, Paris,
1973).
Ceci
nous amène naturellement à son 4è pseudonyme : Huei-Tso, comme
nous le révèle Axel Gauffin (t.II, p.168). Nous reproduirons ici la
note que nous avons rédigée dans notre traduction inédite de
l’ouvrage de Gauffin:
[nous
sommes en janvier 1912], c’est à cette époque et à la suite de
sa rencontre avec Chiang Kaï Shek qu’Aguéli prit le pseudonyme de
Hoei-Tso qui est la transcription suédoise de Wei-Tsu ( en «
pin-yin » : Hui-Ze) qui signifie aussi « le peintre » . Ce
pseudonyme n’a pas été choisi au hasard ; en effet :
a)
Hwei-Tse est le nom du « logicien » (ou « dialecticien ») de
fameux dialogues avec Tchwang-Tse.
b)
Il existe un peintre japonais du nom de Hoi Tsu (1761-1828).
c)
Enfin le terme « Wei » (Hui) désigne expressément les Musulmans
chinois du Xin Jiang (Uygur ), ce caractère étant fait de 2 carrés
l’un dans l’autre.
Le
même son dans une autre graphie peut aussi signifier « Société
(secrète ?), réunion, rencontre ».
Aguéli
l’a utilisé pour signer un article sur les « Idées politiques
dans la Chine actuelle », fortement inspiré par le futur et célèbre
opposant à Mao Tsé-Dong : Chiang Kay Shek (Jiang Jie-shi).
Le
pseudonyme suivant est plus énigmatique qu’il n’y paraît :
Dante !
C’est
dans la revue « Il-Convito » qu’il signe ainsi dès le n° 4 du
19/6/1904, pseudonyme qui pourrait correspondre à une « entité »
(voir supra) prenant pour support il Dante Alighieri 3 .D’ailleurs
comme nous n’inventons rien, 4 dans une lettre à sa mère, Aguéli
lui signale que ce pseudonyme recouvre plusieurs personnes (op. cit.,
t.II, p.133).
Enfin,
il y a le plus important:
«
al-maghrabi », comme son Maître, c’est à dire «
occidental » (et non pas « marocain ») qui indique allusivement
une fonction à l’égard de l’occident (qu’on se rappelle : «
j’ai tracé une Voie comme personne n’en a tracé avant moi »)
vers lequel reviendra Aguéli en 1910 pour fonder une Société (la «
Akbariyya ») et instituer une Zawiya où se retrouveront les 4
premiers rattachés français connus à l’époque (Guénon, Aguéli,
Champrenaud – et l’Italien Moronti, selon un extrait de lettre
cité par la revue Science Sacrée – n°7, Dijon, 2005). En tout
cas, il est associé par son Maître Elish el-Kabîr à une fonction,
qui, comme nous l’avons dit, consistait à instituer le Tasawwuf en
occident, et notamment à Paris, où rentrant seulement en avril
1910, il rencontre assez vite René Guénon (entre avril et juillet,
vraisemblablement) car, dès l’été, il prépare un article pour
la revue « La Gnose » (cf. Gauffin, t.II, p.176 et sq.), article
qui ne paraîtra qu’en décembre de cette année… – On suppose
que ce genre de personnalités, pour s’identifier, a des moyens
physiognomoniques (« ’ilm al-firasa ») qu’ignorent les
hommes ordinaires – c’est encore actuellement le privilège des
Afrad. Quant à son titre initiatique : « Khâdim
al-Awliya’ », nous y verrons une ishara renvoyant à son
Maître invisible (« Khâtim al-Awlia’ »)
En
conclusion, nous ferons remarquer la multiplicité des dons et
facettes d’Aguéli : les férus d’astrologie attribueront cela à
son signe des Gémaux, caractérisé traditionnellement par le don
des langues, la jeunesse prolongée et la mobilité physique et
intellectuelle; c’est bien le cas d’Aguéli, mais l’explication
par les astres nous paraît bien simpliste et trop réductrice : il
n’y a pas influence des astres, mais il peut y avoir (à ne pas
prendre au sens littéral) une « énergie » symbolisée par
certains astres; (cf. supra.). Or cette science est presque
complètement perdue dans l’occident non-traditionnel.
A.A.H.,
11 jumada II, 1436 h.
NOTES:
1
Selon ses propres dires, quand René Guénon a utilisé différentes
signatures, ce n’étaient pas de simples pseudonymes mais ils
correspondaient à autant d’entités distinctes, si bien qu’il ne
fallait lui attribuer que les livres ou articles signé René Guénon
– Mais, alors, qu’en est il de ses articles signés en arabe AWY
(dans la revue cairote Al-Ma’rifa) ?
Nous ne disons pas que c’était le cas d’Aguéli, à part sur un point traité ci-dessous.
Nous ne disons pas que c’était le cas d’Aguéli, à part sur un point traité ci-dessous.
2
Ainsi dans la présentation d’Aguéli aux lecteurs du Mercure de
France de septembre 1912, Guillaume Apollinaire écrit sans vergogne
qu’Aguéli était né à Paris et habitait avec ses parents rue
Cortot, à Montmartre (sic). Comment a-t-il pu inventer cela ? Il est
bien possible qu’Aguéli lui ait raconté n’importe quoi pour se
débarrasser d’un curieux (Il disait bien à tout venant qu’il
était « fils de roi » !).
3
On se référera à l’étude probante de J.Robin, dans son 1er
ouvrage de 1978 sur Guénon. Même si cet auteur est à prendre avec
des pincettes, il a parfois des connaissances surprenantes dans le
domaine ésotérique.
4
Après notre 1er article sur Aguéli (VLT, 1998), quelques
sceptiques, doutant des aspects fantastiques de sa vie avaient eu
l’outrecuidance diffamatoire de prétendre que nous étions victime
de notre imagination !
Si
nous révélions tout ce que nous savons sur Aguéli, que
diraient-ils ?