dimanche 10 mai 2015

A.A.H – Les énigmes dans la vie d’Aguéli – Les pseudonymes










LES ÉNIGMES DANS LA VIE D’AGUÉLI


LES PSEUDONYMES


    Il ne s’agit évidemment pas d’un jeu littéraire ou d’une simple fiction, comme nous allons essayer de le démontrer ci-après 1.


     Son nom d’état-civil, Agelii, est déjà un pseudonyme ! Le véritable patronyme est MOBERG. Or, quand le grand-père, Isak Moberg, voulut s’inscrire au collège, le directeur l’obligea à changer de nom et à prendre celui d’Agelii, sous prétexte que « Moberg » était un nom de cocher (sic !  – Cf. Gauffin, t.I, p.14).


     On remarquera que « Agelii » est le génitif du nom latin Agelius, latinisation d’ailleurs fréquente dans les pays Scandinaves à l’époque (ex. : Sibelius, Vilnius, Emmanuelis Swedenborgis, etc…). Or il y a une hypothèse ingénieuse sur l’origine de ce nom, peut-être suggérée par Agelii lui-même, qu’émet un de ses amis anarcho-théosophistes – Jacques Tasset – disant qu’Agelius serait la contraction du nom de l’écrivain latin Aulus Gelius (A – lus Geli – us), auteur des « nuits Attiques » (vers 130 avant J.C.). Argument plausible, sans plus (op. cit.,I, p.61) !


     Avant de prendre son pseudonyme d’artiste « Aguéli » transcrit à la française, il avait signé sur une esquisse, dès le 15 octobre 1889,  Иван Агзпии    en caractères cyrilliques, soit « Ivan [= John = Jean ] Ageli (ou Aguéli) », nom qu’il gardera toute sa vie. Mais un peu plus tard, en 1894 au Caire, il se fera adresser des lettres au nom de M. Ivan Stranyi, ce qui en russe signifie l‘étranger et donne peut-être déjà un indice sur sa personnalité mystérieuse, car ce titre fait penser aux « Cosmopolites », Rose-Croix, Passants et autres « Nobles Voyageurs »… René Guénon écrira même que le nom d’origine était « Aquileff ou Aguileff » (lettre inédite du 26/3/1938), mais Aguéli était expert dans l’art de brouiller les pistes sur ses véritables origines en bon agent secret ! 2


    En italien, il transcrit naturellement son nom sous la forme « Agheli »; curieusement, ce nom est entièrement contenu dans le nom d’Alighieri, laissant de côté les trois lettres RII. Transcrit en écriture arabe, cela donnerait « al-Ighieri » ( ou al-Ighiari); or la racine « ghiâr », adjectif « ghiâry / ghairy », signifie « venir en aide ». Le nom de Dante pourrait alors se lire « à l’arabe » : Ali-ghiari… Sans garantie de vraisemblance. Nous évoquons juste cette possibilité que certains auraient à nous reprocher d’avoir méconnue .


     En Égypte, Agelii adopte le nom arabe de `Ageli, le plus proche par sa prononciation dialectale de son nom suédois et du nom de famille de lettrés égyptiens [`Uqayli, en écriture classique vocalisée]. Or ce terme est intéressant en ce qu’il est le diminutif grammatical – de type « fa’al — fu’ayl » – de `aql, l’intellect, et sa vocalisation est la même que dans le terme « uwaysi » dont nous avons attribué la qualité à Cheikh `Abdul-Hadi et qui vient de « aws » – le lynx doué de vue perçante (cf. VLT n°72, p.51, n°27), soit :


– ‘aql — ‘uqayl — ‘uqayli : le petit intellect.


aws — uways — uwaysi : le petit voyant.


Nous y verrons pour notre part une allusion discrète au cas spirituel de Cheikh `Abdul-Hedi.


    Poursuivons cette « valse » des pseudonymes avec le suivant : « Volontario », dont il signe ses premiers articles (en italien) dans la revue politico-sociale « Il Commercio italiano », le Caire 1902, soit deux ans avant la fameuse revue « Al-nadi = Il Convito ».


     Ce qui est curieux, c’est sa prétendue origine tartare, et P. Genty qui l’a rencontré chez Dujols (et peut-être présenté à cette occasion à Guénon) lui trouvait un faciès asiatique !


Ce qui est certain, c’est qu’Aguéli était châtain aux yeux bleus et que ses photos ne font pas penser à un mongol ! Mais le jugement de Genty n’était pas toujours très sûr et ses connaissances ethno-linguistiques parfois assez fantaisistes (comme son ouvrage incroyable sur les « Celtes » – Editions Traditionnelles, Paris, 1973).


     Ceci nous amène naturellement à son 4è pseudonyme : Huei-Tso, comme nous le révèle Axel Gauffin (t.II, p.168). Nous reproduirons ici la note que nous avons rédigée dans notre traduction inédite de l’ouvrage de Gauffin:


[nous sommes en janvier 1912], c’est à cette époque et à la suite de sa rencontre avec Chiang Kaï Shek qu’Aguéli prit le pseudonyme de Hoei-Tso qui est la transcription suédoise de Wei-Tsu ( en « pin-yin » : Hui-Ze) qui signifie aussi « le peintre » . Ce pseudonyme n’a pas été choisi au hasard ; en effet :


a) Hwei-Tse est le nom du « logicien » (ou « dialecticien ») de fameux dialogues avec Tchwang-Tse.


b) Il existe un peintre japonais du nom de Hoi Tsu (1761-1828).


c) Enfin le terme « Wei » (Hui) désigne expressément les Musulmans chinois du Xin Jiang (Uygur ), ce caractère étant fait de 2 carrés l’un dans l’autre.


Le même son dans une autre graphie peut aussi signifier « Société (secrète ?), réunion, rencontre ».


     Aguéli l’a utilisé pour signer un article sur les « Idées politiques dans la Chine actuelle », fortement inspiré par le futur et célèbre opposant à Mao Tsé-Dong : Chiang Kay Shek (Jiang Jie-shi).


     Le pseudonyme suivant est plus énigmatique qu’il n’y paraît : Dante !


C’est dans la revue « Il-Convito » qu’il signe ainsi dès le n° 4 du 19/6/1904, pseudonyme qui pourrait correspondre à une « entité » (voir supra) prenant pour support il Dante Alighieri 3 .D’ailleurs comme nous n’inventons rien, 4 dans une lettre à sa mère, Aguéli lui signale que ce pseudonyme recouvre plusieurs personnes (op. cit., t.II, p.133).


     Enfin, il y a le plus important:


« al-maghrabi », comme son Maître, c’est à dire « occidental » (et non pas « marocain ») qui indique allusivement une fonction à l’égard de l’occident (qu’on se rappelle : « j’ai tracé une Voie comme personne n’en a tracé avant moi ») vers lequel reviendra Aguéli en 1910 pour fonder une Société (la « Akbariyya ») et instituer une Zawiya où se retrouveront les 4 premiers rattachés français connus à l’époque (Guénon, Aguéli, Champrenaud – et l’Italien Moronti, selon un extrait de lettre cité par la revue Science Sacrée – n°7, Dijon, 2005). En tout cas, il est associé par son Maître Elish el-Kabîr à une fonction, qui, comme nous l’avons dit, consistait à instituer le Tasawwuf en occident, et notamment à Paris, où rentrant seulement en avril 1910, il rencontre assez vite René Guénon (entre avril et juillet, vraisemblablement) car, dès l’été, il prépare un article pour la revue « La Gnose » (cf. Gauffin, t.II, p.176 et sq.), article qui ne paraîtra qu’en décembre de cette année… – On suppose que ce genre de personnalités, pour s’identifier, a des moyens physiognomoniques (« ’ilm al-firasa ») qu’ignorent les hommes ordinaires – c’est encore actuellement le privilège des Afrad. Quant à son titre initiatique : « Khâdim al-Awliya’ », nous y verrons une ishara renvoyant à son Maître invisible (« Khâtim al-Awlia’ »)


     En conclusion, nous ferons remarquer la multiplicité des dons et facettes d’Aguéli : les férus d’astrologie attribueront cela à son signe des Gémaux, caractérisé traditionnellement par le don des langues, la jeunesse prolongée et la mobilité physique et intellectuelle; c’est bien le cas d’Aguéli, mais l’explication par les astres nous paraît bien simpliste et trop réductrice : il n’y a pas influence des astres, mais il peut y avoir (à ne pas prendre au sens littéral) une « énergie » symbolisée par certains astres; (cf. supra.). Or cette science est presque complètement perdue dans l’occident non-traditionnel.


A.A.H., 11 jumada II, 1436 h.


NOTES:


1 Selon ses propres dires, quand René Guénon a utilisé différentes signatures, ce n’étaient pas de simples pseudonymes mais ils correspondaient à autant d’entités distinctes, si bien qu’il ne fallait lui attribuer que les livres ou articles signé René Guénon – Mais, alors, qu’en est il de ses articles signés en arabe AWY (dans la revue cairote Al-Ma’rifa) ?
Nous ne disons pas que c’était le cas d’Aguéli, à part sur un point traité ci-dessous.
2 Ainsi dans la présentation d’Aguéli aux lecteurs du Mercure de France de septembre 1912, Guillaume Apollinaire écrit sans vergogne qu’Aguéli était né à Paris et habitait avec ses parents rue Cortot, à Montmartre (sic). Comment a-t-il pu inventer cela ? Il est bien possible qu’Aguéli lui ait raconté n’importe quoi pour se débarrasser d’un curieux (Il disait bien à tout venant qu’il était « fils de roi » !).
3 On se référera à l’étude probante de J.Robin, dans son 1er ouvrage de 1978 sur Guénon. Même si cet auteur est à prendre avec des pincettes, il a parfois des connaissances surprenantes dans le domaine ésotérique.
4 Après notre 1er article sur Aguéli (VLT, 1998), quelques sceptiques, doutant des aspects fantastiques de sa vie avaient eu l’outrecuidance diffamatoire de prétendre que nous étions victime de notre imagination !


Si nous révélions tout ce que nous savons sur Aguéli, que diraient-ils ?