بـــسْم ﭐلله ﭐلرّحْمٰن ﭐلرّحــيــم ﭐللَّهُمَّ صَلِّ عَلَى سَيِّدِنَا مُحَمَّدٍ وَ عَلَى آلِهِ و صحبه وَ سَلِّمْ السلام عليكم و رحمة الله و بركاته
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vendredi 29 avril 2016
jeudi 28 avril 2016
mercredi 27 avril 2016
samedi 23 avril 2016
Cheikh al-Alawî - L'Unicité de l’Être
Source : Titus Burckhardt - Un Saint Soufi du XXème siècle (Le cheikh Ahmad al-'Alawî)
Le Guide des éléments de la
connaissance religieuse de Ibn 'Ashir, dont Al-Minah al Qud-dûsiyyah
(Les dons sanctifiés) du Cheikh al-Alawî est un commentaire,
formule comme suit ce qui doit nécessairement être attribué à
Dieu : " Être, non-commencement, non-fin, indépendance
absolue, incomparabilité, unité d'essence, de qualité et
d'activité, puissance, volonté, connaissance, vie, ouïe, parole,
vue."
Avant de considérer quelques-unes des
formules personnelles du Cheikh al-Alawî sur la doctrine de
l'Unicité de l’Être, voyons ce qu'il cite du "cheikh de nos
cheikhs", Mawlây Al-'Arabi ad-Darqâwî :
" Comme j'étais en état de
souvenir, les yeux baissés, j'entendis une voix disant : Il est le
premier et le dernier, l'extérieur et l'intérieur. Je restai
silencieux et la voix répéta cela une deuxième fois, puis une
troisième fois; je dis alors "pour le premier je comprends,
pour le dernier je comprends et pour l'intérieur je comprends, mais
quant à l'extérieur, je ne vois rien que des choses créées."
Et la voix reprit : " S'il y avait quelque extérieur autre que
Lui-même, je te l'aurais dit". A cet instant, je réalisai
toute la hiérarchie de l'Être absolu".
Le Cheikh al-Alawî commente ainsi : "
Il explique ici ce qui appartient à Dieu. Vois donc, ô serviteur,
ce qui t'appartient, car, si tu te qualifiais de quelqu'une de ces
qualités, tu serais en conflit avec ton Seigneur.
" A Dieu appartient la prérogative
de l'Être, et l'Être est le véritable soi de Celui qui est. C'est
l'Être absolu qu'on ne peut limiter, ni mesurer, ni mettre de côté.
Il ne peut exister un autre être à côté de cet Être, en vertu de
Son infinité, de Sa force, de Sa manifestation et de l'immensité de
Sa lumière.
Tu devrais savoir que cet Être ne
tolère pas de négation dans l’œil intérieur des gnostiques, pas
plus que les objets sensibles ne tolèrent de négation dans la
vision de ceux qui sont voilés (par l'ignorance). Et même,
l'évidence de la vérité spirituelle pour l'intellect est plus
forte et plus directe que l'évidence de l'objet sensible pour les
sens. Ainsi, la manifestation de l'Être absolu s'impose à la
perception du soufi de telle sorte qu'il est complètement submergé
dans sa réalisation de l'infini. S'il parcourt le vaste
sans-commencement, il ne découvre aucun point de départ et s'il se
tourne alors vers le sans-fin, il ne trouve ni limite ni but. Il
plonge dans les profondeurs du mystère le plus secret et ne découvre
pas d'issue, puis il s'élève à travers la hiérarchie de la
manifestation extérieure et ne trouve pas d'évasion, de sorte que,
dans sa perplexité il implore un refuge. Alors, les vérités des
noms et des qualités s'adressent à lui, disant : " Cherches-tu
à limiter l'Essence ? Voudrais-tu lui attribuer des dimensions ? Tu
es dans une station qui comporte la connaissance des secrets des noms
et des qualités. Qu'as-tu à faire avec les choses créées ?"
Là-dessus, il s'abandonne à l'Être et réalise qu'il n'y a, en
dehors de Lui, ni néant ni être."
En ce qui concerne l'incomparabilité
Divine, il fait le commentaire suivant :
" Une autre qualité nécessaire
est la dissemblance de Dieu à l'égard de ce qui est contingent,
mais cette qualification n'est pas un support pour les gnostiques
puisqu'il n'entre point de comparaison dans leur pensée... Pour eux,
celui qui voit est inclus dans ce qui est vu. Il n'y a rien qui ait
l'être en dehors de Dieu pour pouvoir Lui être comparé. Pourtant
cette qualification d'incomparabilité est utile à ceux qui sont
voilés - bien plus, elle est l'arche même de leur salut.
" La vérité transcende toutes les
qualités des choses contingentes et, si, de Sa qualité de
transcendance, l'enveloppe extérieure est retirée pour les
gnostiques, ils sont frappés d'étonnement car ils découvrent que
la vérité transcende la transcendance. Ils désirent alors d'écrire
ces mystères merveilleux, mais la profusion des lettres sur leur
langue leur fait obstacle; il se peut donc que surgisse une formule
ressemblant à une comparaison et risquant d'offenser l’oreille de
ceux qui sont voilés, bien que cette expression soit, en réalité,
une affirmation extrême de la transcendance.
" Nul n'est à l'abri du piège qui
consiste à qualifier la vérité et à faire des comparaisons à son
sujet, sauf celui qui devient le compagnon des gnostiques et foule le
sentier de ceux qui réalisent l'unité...
" Comment serait-il à l'abri de
limiter la vérité, celui qui la conçoit comme éloignée ? Et
comment franchirait-il les frontières de l'ignorance si l'univers
créé existe encore à ses yeux ?...
" Il ne sert à rien d'affirmer Sa
transcendance par la langue en affirmant dans le cœur Sa
ressemblance avec d'autres choses. Si tu es voilé, en paraissant
affirmer Sa transcendance tu affirmes en fait Sa ressemblance avec
autre que Lui par ton incapacité de concevoir la vérité de Sa
transcendance, tandis que si tu Le connais, en paraissant Le comparer
à d'autres, tu affirmes en fait Sa transcendance par l'effacement
total de ton être en Son Être. En un mot, l'affirmation de Sa
ressemblance par les Gens transcende l'affirmation de Sa
transcendance par la généralité.
" Une autre vérité que l'on doit
croire au sujet de Dieu est Son unité en Essence, Qualités et
Activités car il n'est pas composé de parties ni multiple.
" L'unité de la vérité ne permet
pas que rien lui soit ajouté, car, en vérité, celle-ci n'admet pas
de diminution : " Dieu était, et rien n'était avec Lui".
" Il est maintenant tel qu'Il était"; les Qualités
n'existent pas par elles-mêmes de sorte qu'elles soient
indépendantes dans leur être ou qu'elles soient distinctes de ce
qu'elles décrivent, et qui est l'Essence.
" Quant à l'unité dans les
Activités, cela signifie qu'il ne peut y avoir d'acte, si ce n'est
l'Acte de Dieu.
" Les Gens peuvent être divisés
en trois groupes. Le premier est le groupe de ceux qui voient qu'il
n'y a pas d'agent si ce n'est Dieu, réalisant ainsi l'unité dans
les Activités par voie de perception intellectuelle directe et non
simplement par voie de croyance, car ils voient l'unique agent à
travers la multiplicité des actes. Le deuxième est le groupe de
ceux qui réalisent l'unité dans les Qualités, c'est-à-dire que
nul n'a ouïe, vue, vie, parole, puissance, volonté, connaissance si
ce n'est Dieu. Le troisième est le groupe de ceux qui réalisent
l'unité de l'Essence et qui sont voilés à l’égard de tout autre
chose parce que l'infinité de l'essence leur a été dévoilée; de
sorte qu'il ne reste plus de place pour l'apparence d'aucune chose
créée. Ils disent : " En vérité, il n'y a rien si ce n'est
Dieu ", car ils ont tout perdu sauf Lui. Ceux-ci sont les Gens
de l'essence et les gnostiques unifiants, et tous les autres sont
voilés et inattentifs : ils n'ont pas goûté la saveur de
l'identité ni senti le parfum de la solitude, mais ils ont seulement
entendu parler de cette doctrine et ils croient y adhérer parce
qu'elle est venue à leurs oreilles. En fait, ils sont loin de la
vérité et séparés d'elle.
" Quant à ses Qualités de
puissance, volonté, connaissance, vie, ouïe, parole, vue, elles
sont comme un voile sur l'Essence car la force surabondante de Sa
manifestation extérieure dresse des écrans. Ainsi, la puissance est
le voile du Puissant, la volonté, le voile de Celui qui veut, la
connaissance, le voile du Connaissant, la vie, le voile du Vivant,
l'ouïe, le voile de Celui qui entend, la vue, le voile de Celui qui
voit et la parole, le voile de Celui qui parle.
" De même, les Qualités sont
voilées à la vue : ainsi la puissance est voilée par les
manifestations extérieures de puissance, la volonté par les
diverses impulsions, la parole par la différenciation des lettres et
des voix, la vie par son inséparabilité de l'essence, l'ouïe et la
vue par la puissance de leurs manifestations dans les créatures et
la connaissance par son extrême capacité d'embrasser toutes les
choses connues.
" Ces Qualités sont de trois
sortes et chaque groupe a son monde qui lui est propre. L'ouïe, la
vue, la parole sont les qualités du Monde des sens humains, la
puissance, la volonté, la connaissance sont celles du Monde de la
souveraineté ('âlam al-Malakût), tandis que la vie est celle du
Monde de la domination et aucune d'elles n'est séparées de
l'Essence, en vertu de sa capacité de tout embrasser et de sa
transcendance à toute localisation.
" Mais lorsque les Gens de Dieu
parlent des Qualités comme dépendantes des choses crées, ils
veulent dire qu'elles dépendent d'elles-mêmes sous leur rapport de
manifestation extérieure, puisque l'existence est tissée des
qualités tout comme une natte est tissée de joncs. Ainsi, les
Qualités, loin d'être formées de créatures, sont elles-mêmes le
véritable tissus de toutes les choses existantes. A vrai dire, si tu
examines tout ce qui est, tu ne trouveras rien qui soit ajouté à
l'unité du Divin - unité en Essence, Qualités et Activités.
" L'acte ne fait qu'un avec l'agent
avant et après sa venue à l'existence : ce n'est pas de lui-même
qu'il apparaît mais seulement si Celui-ci le manifeste et Se
manifeste en lui, car les choses ne sont rien en elles-mêmes.
" En énumérant ainsi les
prérogatives nécessaires de Dieu, il ne prétend pas les limiter
car les qualités de la vérité sont sans limites et ne peuvent être
circonscrites; il cherche seulement à rendre son exposé plus
accessible à l'entendement humain."
Dans son enseignement oral, le cheikh
avait l'habitude de paraphraser comme suit les formules du cheikh
Al-Bûzîdî sur ces vérités : " L'infini ou le monde de
l'absolu que nous concevons comme étant en dehors de nous est, au
contraire, universel et existe au-dedans de nous aussi bien qu'au
dehors.
Il n'y a qu'un monde, c'est Lui. Ce que
nous regardons comme le monde sensible, le monde fini du temps et de
l'espace, n'est rien qu'un conglomérat de voiles qui cachent le
monde réel. Ces voiles sont nos propres sens : nos yeux sont les
voiles de la véritable vue, nos oreilles les voiles de la véritable
ouïe et il en est de même sens.
Pour que nous prenions conscience de
l'existence du monde réel, il faut écarter les voiles des sens...
Que reste-il alors de l'homme ? Il reste une faible lueur qui lui
apparaît comme la lucidité de sa conscience... Il y a parfaite
continuité entre cette lueur et la grande lumière du monde infini
et, lorsque cette continuité a été saisie, notre conscience peut
(au moyen de la prière) prendre son essor, se déployer pour ainsi
dire dans l'infini et ne plus faire qu'un avec Lui, de sorte que
l'homme parvient à réaliser que l'infini seul est, et que lui, la
conscience humaine, existe seulement comme un voile. Une fois que cet
état a été réalisé, toutes les lumières de la vie infinie
peuvent pénétrer l'âme du soufi et le faire participer à la vie
Divine, au point qu'il ait quelque droit de s'écrier : " Je
suis Allâh." L'invocation du nom Allâh est comme un
intermédiaire qui va et vient entre les lueurs de la conscience et
les splendeurs éblouissantes de l'infini, affirmant la continuité
entre elles, les entrelaçant dans une relation de plus en plus
intime jusqu'à ce qu'elles soient "fondues dans l'identité".
Le cheikh fait quelques commentaires
détaillés sur les opposés des Qualités Divines qui sont énumérés
par Ibn 'Ashir comme étant impossibles en ce qui concerne Dieu. Nous
ferons des citations de ce qu'il dit au sujet du néant, de
l'extinction, de la mort, de la surdité, du mutisme et de la cécité
:
" Il parle ici de ce qui est
impossible en ce qui concerne Dieu et inévitable pour le serviteur
et, par "serviteur", les Gens entendent le monde, de son
zénith sous le trône, à son nadir aux confins inférieurs de la
création; c'est à dire, tout ce qui est entré dans l'existence au
mot : "Sois", tout ce qui est "autre". Prends
donc conscience, mon frère, de tes propres attributs et regarde avec
l’œil du cœur le commencement de ton existence lorsqu'elle a
surgi du néant, car lorsque tu auras vraiment pris conscience de tes
attributs, Il t'enrichira des Siens.
" L'un de tes attributs est le pur
néant qui t'appartient ainsi qu'au monde dans sa totalité. Si tu
reconnais ton néant, Il t'enrichira de Son Être...
" L'extinction aussi est un de tes
attributs. Tu es déjà éteint, mon frère, avant de subir
l'extinction et tu n'es rien, avant même d'être annihilé. Tu es
une illusion dans une illusion et un néant dans un néant. Quand
as-tu eu l'existence pour que tu puisses être éteint ? Tu es comme
un mirage dans le désert que l'homme altéré prend pour de l'eau
jusqu'à ce qu'il y arrive et découvre qu'il n'est rien; mais à sa
place il trouve Dieu (Coran XXIV, 39). De même, si tu venais à
t'examiner toi-même, tu trouverais que ce "toi" n'est rien
et tu y trouverais Dieu; c'est-à-dire que tu trouverais Dieu, au
lieu de te trouver toi-même, et il ne resterait rien de toi qu'un
nom sans forme. L'Être en lui-même appartient à Dieu, non à toi :
si tu parvenais à réaliser la vérité du sujet et à comprendre ce
qui est Dieu, en te dépouillant de tout ce qui n'est pas à toi, tu
découvrirais que tu es comme le bulbe d'un oignon. Si tu le pèles,
tu enlèves peau, puis la deuxième, la troisième et ainsi de suite
jusqu'à ce qu'il ne reste plus rien de l'oignon.
Ainsi est le serviteur à l'égard de
l'Être de la vérité.
" On dit que Râbi'ah al-Adawiyyah
rencontra un gnostique et l'interrogea sur son état; il répondit :
" J'ai marché dans la voie de l'obéissance et n'ai point péché
depuis que Dieu m'a créé", sur quoi elle s'écria : "
Hélas, mon fils, ton existence est un péché auquel nul autre ne
peut être comparé."
" Marche donc, mon frère, dans la
voie de ceux qui réalisent l'unité et affirment que l'Être
n'appartient pas à d'autres qu'à Dieu, car, si quelqu'un parmi les
Gens s'attribue l'Être à soi-même, il est coupable d'idolâtrie.
Pourtant, la généralité ne peut éviter d'affirmer l'existence
d'autres que Dieu, bien que, ce faisant, elle affirme tous les maux.
" La vie n'est pas un de tes
attributs, car tu es mort sous l'apparence de la vie, comme un
possédé qui prétend être quelqu'un qu'il n'est pas. Mais si tu
étais amené devant ton Seigneur, ton corps gisant comme celui
d'Adam, ton père, Il t'insufflerait de Son esprit et te créerait à
Son image; alors, ayant réalisé ton état de mort, tu pourrais dire
sans erreur :
" Je suis vivant", tandis
qu'auparavant, en t'attribuant la vie et en t'accordant une existence
indépendante tu étais en conflit avec ton Seigneur.
" Un autre attribut du serviteur
est la surdité. Tu es sourd, en ce moment, ô serviteur, et l'ouïe
n'est pas dans ta nature.
Dieu est Celui qui entend et c'est parce
que tu attribues à toi-même cette faculté que tu es sourd. Bien
que tu aies des oreilles, tu n'entends pas. Si tu pouvais entendre,
tu entendrais la parole de Dieu à chaque instant et en toute
circonstance, car Il n'a jamais cessé de parler. Or qu'entends-tu de
cette parole et que comprends-tu de ce discours ? Tu es sourd et
encore au creux du néant. Mais si tu venais à l'Être, tu
entendrais alors la parole de l’Universellement Adoré et si tu
pouvais l' entendre, tu y répondrais. Pourtant, comment pourrais-tu
répondre puisque le mutisme est une de tes qualités ? Comment
viendrais-tu prétendre à la parole qui est un des attributs de ton
Seigneur ? Si tu étais vraiment capable de parler, tu pourrais
servir de maître, mais aux pieds d'un muet, nul ne vient s'asseoir.
Si tu prenais conscience de ton mutisme, Il t'enrichirait de Sa
parole, tu arriverais à parler avec la parole de Dieu et tu
t'entretiendrais avec Lui, de telle sorte que ton ouïe serait l'ouïe
de Dieu et que ce que tu entendrais viendrait entièrement de Dieu.
" La cécité, ô serviteur, est un
autre attribut de tes attributs. Si tu étais capable de voir, tu
apercevrais Son nom, l' "Extérieur", mais maintenant tu ne
vois que des apparences. Où est ta vision de la manifestation de la
vérité, quand les choses autres que Lui sont plus évidentes à ta
vue ? Loin de Lui qu'il puisse y avoir quelque voile sur Sa
manifestation ! C'est seulement que la cécité, ton attribut, t'a
vaincu et tu es devenu aveugle bien que tu aies des yeux; uniquement
pour t'être attribué la vue. Mais si tu prends conscience de ta
cécité et si tu cherches à t'approcher de Lui par des actions
telles que Son bon plaisir les agrée de toi, alors, Il sera ton ouïe
et ta vue et quand Il sera ton ouïe et ta vue, tu n'entendras que
Lui et ne verras que Lui, car tu le verras avec Sa vue et tu
l'entendras avec Son ouïe.
" Considère bien ton attribut de
cécité et médite sur la sagesse qui consiste à l'attribuer à
toi-même; alors apparaîtront sur toi les rayons de la vision. Puis,
tu entendras ce que tu n'entendais pas et tu verras ce que tu ne
voyais pas, mais cela n'est possible que par la connaissance de
toi-même et la méditation sur le néant qui est tien de plein
droit.
" C'est Dieu qui a manifesté les
choses par Sa propre manifestation en elles, comme l'a dit
précisément une gnostique :
C'est Toi que Tu manifestas dans les
choses, quand Tu les créas.
Et voici qu'en elles, les voiles sont
levés de Ta face.
L'homme, par celle que Tu retranchas de
Ton propre soi,
N'est pas uni à Toi ni séparé de
Toi."
Ibn 'Ashir formule comme suit "les
preuves" de l'éternité de Dieu : " Si l’Éternité
n'était pas nécessairement Son attribut, Il devrait obligatoirement
être éphémère, soumis aux changements et aux vicissitudes. Si
l'extinction était possible, l’Éternité serait bannie."
Et le cheikh commente : " A chaque
démonstration, il dit : " Si telle ou telle chose n'était pas
le cas, alors ce serait telle et telle autre", selon la manière
des logiciens et cela convient aux jeunes qui commencent à apprendre
la doctrine de l'islam, mais les gnostiques, qui sont fermement
établis dans la station de la vision face à face, ne perdent pas
leur temps à de tels enseignements; ils auraient honte devant Dieu
de s'exprimer en ces termes, même sans imaginer l'existence de
phases et vicissitudes dans la Divinité - en fait, cela est
impossible pour le cerveau des gnostiques et ne trouverait place où
se faire admettre en leur intelligence. La certitude à laquelle ils
sont parvenus est telle qu'ils n'utilisent ni preuve logique ni
démonstration, même méthode d'enseignement, d'autant qu'ils sont
revêtus du manteau de la proximité dans la présence de la
contemplation directe.
" Ils conçoivent la preuve en un
autre sens cependant; par exemple, de la façon suivante, si
l'extinction qui est pur néant était possible, l'Être pur,
attribut intime de l'éternité serait banni. Ainsi, l'éternité
serait-elle retranchée de Ce qui est éternel, puisque nous avions
parlé de néant en Sa présence; tandis que, non seulement l'être
relatif mais aussi le néant s'évanouissent en cette noble présence.
Dieu était, et il n'y avait ni néant ni être à côté de Son
Être.
" Quant au pur néant, si tu
pouvais l'examiner après l'avoir conçu, tu y découvrirais une
vérité de Ses vérités, puisque aucune vérité n'est dépourvue
de la vérité de l'Essence. Précisément, l'Essence est nommée la
Vérité des vérités. Ainsi, toute impossibilité a une vérité
Divine sous-jacente que les hommes ne conçoivent généralement pas
et cette vérité doit être entendue selon Sa parole : De quelque
côté que vous vous tourniez, là est la face de Dieu. Les choses se
trouvent cachées dans leurs opposés et, sans l'existence des
opposés, Celui qui oppose ne serait pas manifesté.
" Nul ne comprend ce que je viens
de dire sauf celui qui a réalisé la vérité de l'unité de
l'Essence et tout ce qu'implique cette vérité. Celui qui est voilé
risque de prendre l'unité comme signifiant que Dieu est Un, en ce
que Son essence n'est pas composée ou en ce qu'il n'y a pas
d'essence comparable à elle. Il ne perçoit pas que l'unité refuse
d'admettre que la moindre chose lui soit coexistante.
" Ne compte pas ce monde comme une
chose et ne crois pas qu'il ait quelque altérité à l'égard de la
Divine Présence ou qu'il Lui soit étranger, car il n'est rien
qu'une de Ses lumières. Dieu est la lumière des cieux et de la
terre (Coran XXI, 35).
En commentaire de ce dernier verset, il
fait suivre un autre passage du Coran : Ainsi Nous montrâmes à
Abraham le royaume des cieux et de la terre, afin qu'il fût de ceux
qui possèdent la certitude. Quand la nuit se fut étendue sur lui,
il vit un astre et dit : " Voici mon Seigneur." Puis quand
il disparut, il dit : " Je ne saurais aimer ceux qui
disparaissent."
Quand il vit la lune se lever, il
s'écria : " Voici mon Seigneur" et quand elle disparut, il
dit : " Si mon Seigneur ne me pas, je serai forcement parmi le
peuple des égarés." Et quand il vit le soleil se lever, il
s'écria : " Voici mon Seigneur, c'est le plus grand !"
Mais quand il disparut, il dit : " Ô mon peuple, en vérité je
suis innocent de tout ce que vous associez à Dieu. En vérité, j'ai
tourné mon visage vers Celui qui créa les cieux et la terre"
(Coran VI, 75-79).
" Abraham ne disait pas : Voici mon
Seigneur dans le sens d'une comparaison, mais il parlait ainsi pour
affirmer d'une manière absolue la transcendance de Dieu, quand lui
fut révélée la Vérité de toutes les vérités, désignée dans
le noble verset :
De quelque côté que vous vous
tourniez, là est la face de Dieu. Il informa son peuple de cette
vérité, afin que ce dernier puisse faire preuve de piété envers
Dieu à propos de chaque chose. Tout cela se référait à ce qui lui
avait été révélé sur la souveraineté des cieux et de la terre,
de sorte qu'il découvrit la vérité du Créateur existant en toute
chose créée.
Il voulut alors faire partager aux
autres la connaissance à laquelle il était parvenu, mais il vit que
leurs cœurs étaient détournés de la pure doctrine de l'unité
pour laquelle Dieu l'avait choisi, il dit donc : Ô mon peuple, en
vérité, je suis innocent de tout ce que vous associez à Dieu. "
Quant aux mots : Je ne saurais aimer ce
qui disparaît, le cheikh les explique ainsi, dans un autre passage :
" Bien que la Vérité se manifeste
à Ses serviteurs sous certaines formes, encore est-elle jalouse pour
ses autres formes de manifestation dans lesquelles ils l'oublient,
car la forme limitée à laquelle ils s'attachent est bien souvent de
la plus éphémère brièveté... Abraham ne voulait pas être fidèle
à Dieu en quelques formes éphémères, sans Le reconnaître en
toutes, c'est pourquoi il dit : Je ne saurais aimer les chose qui
disparaissent, c'est à dire, je ne veux pas connaître Dieu en une
chose plutôt qu'en une autre, de crainte qu'à la disparition de
cette chose, je ne L'oublie. Bien plus, j'ai tourné mon visage et,
de quelque côté que je le tourne, il y a la beauté de Dieu.
" Abraham avait une certaine
préférence pour l'un de ses fils et Dieu l'éprouva en cela, lui
donnant l'ordre de le sacrifier; Abraham montra son obéissance,
prouvant ainsi sa sincérité."
Il dit ailleurs : " C'est Sa
volonté que tu Le connaisses en ce qu'Il veut, non en ce que tu
veux; va donc comme Il va et ne cherche pas à montrer le chemin. Si
tu Le connaissais dans l'Essence, tu ne Le nierais pas dans les
manifestations de celle-ci. Sa volonté est que tu Le connaisses
vraiment et non pas seulement par ouï-dire.
" L'extérieur n'est voilé par
rien d'autre que par la puissance des manifestations, sois donc
présent à Lui et non voilé de Lui par ce qui n'a pas d'être en
dehors de Lui. Ne t'arrête pas à l'illusion des formes et n'accorde
pas d'attention à l'apparence extérieure des réceptacles.
" Ne Le connais pas seulement dans
Sa beauté, niant ce qui te vient de Sa majesté, mais acquiers une
profonde science en tous les états et considère-Le comme il
convient dans les opposés. Ne Le connais pas seulement dans
l'expansion, Le niant dans la contraction, et ne Le connais pas
seulement quand Il accorde, Le niant quand Il retient, car une telle
connaissance n'est que de surface. Ce n'est pas une connaissance née
de la réalisation."
Il illustre plus loin ces remarques, au
sujet du symbolisme du pèlerinage. Après avoir mentionné que la
"circumambulation" autour de la Ka'bah exprime l'état de
submersion dans la présence de l'unité, il dit que Safa et Marwah,
les deux rochers à l'extérieur de la Sainte Mosquée, représentent
respectivement la beauté et la majesté.
" Les allées et venues des
gnostiques entre ces deux stations sont comme le balancement de
l'enfant dans le berceau. C'est la main de la Divine sollicitude qui
les fait mouvoir de-ci, de-là et les protège dans les deux états,
de telle sorte qu'ils n'en subissent point d'épreuve puisqu'ils ont
déjà, en vertu de leur "circumambulation", été
submergés dans la présence de l'unité et sont devenus comme une
parcelle de celle-ci. Ainsi, ni la majesté ni la beauté ne les
affectent intérieurement, car ils sont déjà à l'intérieur de
l'une et de l'autre, alors que, pour tout autre qu'eux, chacune
d'elles est une épreuve. Nous vous éprouvons par le mal et par le
bien (Coran XXI, 35). Pour le gnostique, la majesté Divine n'est
rien d'autre que la beauté Divine, et c'est ainsi qu'il se réjouit
en l'une et l'autre à la fois. Notre cheikh, Sidi Muhammad
al-Bûzîdî, disait souvent dans ses moments de souffrance : "
Ma majesté ne fait qu'un avec ma beauté" et on pouvait alors
le voir encore plus rayonnant de bonheur et plus surabondant en
sagesse que lorsqu'il était dans une phase de beauté. Un jour, il
fut pris d'une telle crise que l'une de ses jambes et l'un de ses
bras furent paralysés, et quand nous arrivâmes auprès de lui, tout
attristés, les premières paroles qu'il nous dit furent les
suivantes : " Depuis que je suis entré dans la voie, je n'ai
pas trouvé d'expression plus éloquente de la Vérité que celle-ci
: je m'endormis pendant une partie de cette nuit bénie et, en
m'éveillant, je touchai mon bras paralysé avec la main de celui que
je peux mouvoir; je crus que c'était autre chose que moi-même car
mon bras sans vie ne sentait pas mon contact. Je le pris donc pour un
corps étranger et j'appelai les gens de la maison pour m'allumer,
disant :" Il y'a ici un serpent auprès de moi. Je le tiens".
Et quand ils allumèrent la lampe, je trouvai la main de l'un de mas
bras serrant l'autre et point de serpent auprès de moi ni, en
vérité, rien d'autre que moi-même, aussi je m'écriai : "
Gloire à Dieu ! Ceci est un exemple de l'illusion qui advient au
chercheur avant qu'il ait atteint la gnose." Vois donc, mon
frère, la condition des Gens et comme ils se réjouissent en la
majesté de Dieu parce qu'ils sont avec Lui à tout moment et non
avec les manifestations de majesté ou de beauté, regardant
déploiement et contradiction comme ils regardent la nuit et le jour
(Nous avons fait de la nuit un voile et Nous avons fait le jour pour
la vie) (Coran LXXVIII, 10-11), deux phases nécessaires à la forme
corporelle, la contradiction étant l'attribut de la chair, le
déploiement celui de l'esprit.
Dieu est Celui qui contracte et qui
déploie (Coran II, 245). Mais, du fait que le gnostique est avec
Celui qui contracte et non dans la contraction elle-même, et avec
Celui qui déploie, non dans le déploiement lui-même, il est plutôt
actif que passif et comme si rien ne lui est arrivé. Sois donc avec
Dieu, ô toi qui cherches, et tout sera avec toi, soumis à tes
ordres. Cela même qui serait pour d'autres le feu de l'enfer
deviendra pour toi un paradis, puisque la main de miséricorde, de
grâce et sollicitude te berce de-ci, de-là, prenant soin que tu ne
connaisse point de souffrance et que tu ne manques de rien.
Laisse la station te chercher : ne la
cherche point, toi, puisqu'elle fut créée pour toi, non toi pour
elle. Sois tourné vers Dieu, accueillant avec satisfaction tout ce
qui te vient de Lui.
Ne te préoccupe de rien, mais laisse
toute chose s'occuper de toi; pour ta part, occupe-toi de proclamer
l'infini en disant il n'y a de dieu si ce n'est Dieu, complètement
libéré ainsi de toutes choses, jusqu'à ce que tu parviennes à
être le même en l'un ou en l'autre état et que tu sois à Safâ
comme tu es à Marwah, que la Perfection (kamâl) qui est béatitude
à la fois dans la majesté et la beauté, soit ton attribut."
Dans un autre passage, après avoir cité
les vers suivants d'Al-Harrâq :
La somme des recherches est dans Ta
beauté.
Tout le reste, pour nous, ne vaut pas un
regard.
Et même en regardant, nous ne voyons
rien
A côté de Ton merveilleux visage.
il en fait le commentaire : " Le
gnostique n'a pas atteint la gnose s'il ne reconnaît Dieu dans toute
situation et dans toutes les directions vers lesquelles il se tourne.
Le gnostique ne connaît qu'une seule orientation, c'est la Vérité
elle-même. De quelque côté que vous vous tourniez, là est la face
Dieu, c'est à dire de quelque côté que vous tourniez vos sens vers
les choses sensibles, ou votre intelligence vers les choses
intelligibles, ou votre imagination vers des choses imaginables, là
est la face de Dieu. Ainsi, en tout ain [Ce mot extrêmement
synthétique signifie : œil, fontaine, soi, origine, et, comme ici,
en une synthèse suprême, l'Essence Divine] (où) il y'a ain et tout
est lâ ilâha illa' Llâh (il n'y a de dieu si ce n'est Dieu).
" En lâ ilâha illa' Llâh, tout
est compris, c'est à dire, l'Être universel et l'être individuel,
ou l'Être et ce qui est métaphysiquement dit existant, ou l'Être
de la vérité et l'être créé. L'être créé se place sous lâ
ilâha, ce qui signifie que tout, sauf Dieu, est néant (bâtil),
c'est à dire nié sans la moindre possibilité d'affirmation, et
l'Être de la vérité se place sous illa'Llâh. Ainsi, tout les maux
se placent sous la première partie et tout ce qui peut être loué
se place sous la deuxième.
" Tout être est compris dans
l'affirmation de l'unité (lâ ilâha illa'Llâh), et tu dois
l'inclure aussi en nommant le plus noble des serviteurs (en disant
Muhammad un rasûlu'Llâh, Mohammed est l'apôtre de Dieu).
" Cette seconde attestation inclut
les trois mondes :
Muhammad désigne le Monde du royaume,
c'est à dire le monde sensible, et la référence à sa mission
d'apôtre est une référence au Monde de la souveraineté, le monde
intérieur des secrets des conceptions abstraites, c'est
l'intermédiaire entre l'éphémère et l’Éternel; le nom Divin
désigne le Monde de la domination, la mer où les sens et les
concepts prennent également naissance.
" Rasûl (apôtre, envoyé) est
vraiment le médiateur entre l'éphémère et l’Éternel, puisque
sans lui l'existence serait réduite à rien, car, si l'éphémère
rencontrait l’Éternel, l'éphémère s'évanouirait et il ne
resterait que l’Éternel.
" Quand l'apôtre fut placé dans
sa relation exacte entre les deux, le monde alors fut ordonné, car
l'apôtre est extérieurement un morceau d'argile et intérieurement,
il est le calife du Seigneur des mondes.
" En résumé, le sens de
l'affirmation de l'unité n'est pas complet et son bienfait n'a pas
toute sa portée, sans l'affirmation de l'unité en Essence, Qualités
et Activités. Cette affirmation doit être entendue de la formule
Muhammadun Rasûlu'Llâh.
" Quand un des gnostiques dit lâ
ilâha illa'Llâh, il ne voit, en réalité et non pas seulement par
métaphore, rien qu'Allâh.
Ne te satisfais donc pas, mon frère, de
la seule énonciation de cette noble sentence, car alors seule ta
langue et rien d'autre en tirerait profit, ce qui n'est pas le but
recherché.
L'essentiel est de connaître Dieu tel
qu'Il est. " Dieu était, et rien n'était avec Lui. Il est
maintenant tel qu'Il était." Sache-le :
tu te reposeras des fardeaux de la
négation et il ne restera rien pour toi que l'affirmation, de telle
sorte qu'en parlant, tu diras : Allâh, Allâh. Tandis que
maintenant, ton cœur est alourdi et ta vision est faible. Depuis
que tu fus créé, tu as toujours dis lâ ilâha..., mais quand cette
négation prendra t-elle effet ? En fait, elle ne prendra pas effet,
car ce n'est qu'une négation de la langue. Si tu niais avec ton
intellect, c'est à dire avec ton cœur et ton plus intime secret,
alors le monde entier serait banni de ta vue et tu trouverais Dieu au
lieu de toi, sans parler de tes semblables. Les Gens ont nié
l'existence d'autre que Dieu, ils ont trouvé le repos et sont entrés
dans Sa forteresse, pour ne jamais la quitter, tandis que tes
négations ne connaissent pas de fin...
" Ce qui est autre que Dieu ne
s'évanouira pas pour un simple "non" sur ta langue, ni
même par l’œil de la foi et de la certitude, mais seulement quand
tu parviendras à la station du témoignage direct et de la vision
face à face; en vérité ton Seigneur est l'ultime fin (Coran LIII,
42), à laquelle tout aboutit. Alors tu n'auras pas besoin de
négation, pas plus que d'affirmation, car Celui dont l'Être est
nécessaire est déjà affirmé avant que L'affirmes et ce dont
l'être est impossible est déjà néant avant que tu le nies.
N'iras-tu pas auprès d'un médecin qui t'enseigne l'art de
l'effacement, afin que tu puisses, une fois pour toutes, effacer tout
sauf Dieu; d'un médecin qui te conduise en l'état de sobriété où
tu ne trouveras rien que Dieu ? Alors tu vivras en Dieu et tu
demeureras dans le séjour de vérité, à la cour d'un roi
tout-puissant (Coran LIV, 55); tout cela, en vertu de ton souvenir et
de ta gnose de ce qu'il n'y a pas de dieu si ce n'est Dieu.
Maintenant tu ne connais encore que la seule formule et ta seule
connaissance la plus étendue consiste à dire : " Rien n'a
droit à l'adoration sauf Dieu. " C'est là la connaissance de
la généralité, mais en quoi est-elle comparable à la connaissance
des Gens ? Plût à Dieu que tu eusses connu la connaissance des élus
avant de connaître ce que tu connais maintenant, car c'est
précisément ta connaissance présente qui te prive de l'autre. Ne
veux-tu pas tout nier, entre les mains d'un cheikh ayant une éminente
expérience en la Vérité, jusqu'à ce que, pour toi, il ne subsiste
plus rien que Dieu, non seulement par la foi et la certitude mais par
le témoignage direct ? L'ouï-dire n'est pas même chose que la
vision face à face."
mercredi 20 avril 2016
jeudi 14 avril 2016
Pierre Ponsoye - Saint Bernard et la Règle du Temple
Maison natale de Saint Bernard Fontaine lès Dijon
lundi 11 avril 2016
samedi 9 avril 2016
mercredi 6 avril 2016
Le symbolisme de la pluie - Dictionnaire des symboles ( J. Chevalier- A. Gheerbrant )
Source : Dictionnaire des symboles : Mythes, rêves, coutumes, gestes, formes, figures, couleurs, nombres
Jean
Chevalier, Alain
Gheerbrant
samedi 2 avril 2016
Denys Roman - « Du Temple à la Maçonnerie par l’Hermétisme chrétien »
Avec l'aimable autorisation du site denysroman.fr/
2009 : La
Lettera G / La Lettre G, N°
10
Denys
Roman : « Du Temple à la Maçonnerie par l’Hermétisme
chrétien »*
Il
est reconnu que Denys Roman retenait l’œuvre de René Guénon
comme référence authentiquement traditionnelle, et nos lecteurs
n’ignorent pas non plus l’intérêt privilégié que ce dernier
accordait à l’Ordre maçonnique et en particulier à l’Hermétisme,
parce qu’il considérait que la science d’Hermès présente avec
l’Art Royal une affinité de nature. Dans certaines de
leurs opérations, les deux voies maçonnique et hermétique n’ont,
en apparence, que peu de points communs : nous disons en apparence
car si, par exemple, l’alchimie qui est une des applications de
l’Hermétisme fait principalement appel aux matériaux que sont les
“métaux” (qui ne sont pas inconnus en Maçonnerie), l’Art
Royal, quant à lui, se réfère surtout à la “pierre”, matériau
fondamental des Bâtisseurs. Il n’en est pas moins vrai qu’il
s’agit, dans les deux cas, d’un support tiré du règne minéral,
support indispensable pour permettre la restauration de ce règne par
l’exercice conforme – c’est-à-dire “juste et parfait”–
du Métier pour le Maçon, et de la “transmutation” pour ceux qui
mettent en œuvre la “sublimation” des métaux ; dans les deux
cas il est question d’une “restauration”, d’une
“réhabilitation” de la Nature par le matériau brut mené à une
perfection correspondant à son ordre ; ceci par analogie avec la
démarche de restauration primordiale de l’être humain qui en est
également l’opérateur selon la Volonté du Ciel. On notera à ce
propos et pour en terminer avec cette digression un peu technique,
que le symbolisme de la pierre est commun aux deux démarches et
qu’il se retrouve très explicitement et de façon synthétique
dans la formule énigmatique VITRIOL (ou dans un sens plus étendu
: Vitriolum)
qui apparaît dans le Cabinet de réflexion en usage dans certains
Rites maçonniques.
Cela
dit, si l’on retient exclusivement les faits en eux-mêmes, on ne
peut – et ne pourra sans doute jamais – avoir de certitude en ce
qui concerne la plupart des courants ésotériques évoqués par
l’auteur, qui se réfère aux travaux de Luigi Valli et à ceux de
Guénon contenus dans plusieurs chapitres de ses Aperçus
sur l’ésotérisme chrétien.
Pour ce domaine particulier et a
fortiori dans
la période considérée, la documentation se réduit surtout à des
formules symboliques discrètes : seul le rapprochement de quelques
textes, l’examen attentif du “jargon” utilisé, comme le relève
Denys Roman, permettent de reconnaître et de suivre de probables
filiations, ou des appartenances supposées. En fait, si aujourd’hui
chacun bénéficie d’une libre parole – ce qui n’est pas
forcément mieux dans certains cas – les conséquences de la
destruction (dans les conditions de brutalité que l’on sait) de
l’Ordre du Temple par les forces conjointes du temporel et du
spirituel imposaient la plus extrême prudence dans l’expression et
les comportements. On conçoit dès lors que la preuve documentaire
fasse pratiquement défaut et qu’il faille recourir à d’autres
méthodes.
Lorsque,
dans son article sur “Euclide élève d’Abraham”1,
Denys Roman examine les héritages échus à l’Ordre maçonnique,
dont certains antérieurs au christianisme, il prend principalement
pour base de sa réflexion les légendes maçonniques qu’il
qualifie, comme R. Guénon, d’histoire traditionnelle. Dans le
texte que nous présentons aujourd’hui, “Du Temple à la
Franc-Maçonnerie par l’Hermétisme chrétien”, il s’appuie sur
quelques faits et événements historiques non négligeables ; il met
l’accent sur le cheminement emprunté par des courants ésotériques,
plus précisément initiatiques : ce sont notamment ceux que l’on
qualifie de rosicruciens du fait de leurs liens de nature avec les
“Rose-Croix” (qui ne formèrent – et ne forment – jamais
d’organisation proprement dite) et avec l’Ordre du Temple. Denys
Roman se révèle ainsi fidèle à ce qu’affirmait René Guénon
lorsqu’il disait que c’est par le canal du Templarisme que le
Rosicrucianisme (de même qu’une certaine chevalerie) devait
aboutir au sein de la Maçonnerie sous forme de dépôt symbolique
chrétien. On en trouve d’ailleurs un écho très suggestif dans
les divers textes présentés dans cette revue par Franco Peregrino
sur les Templiers. Cela ne veut pas dire que l’Hermétisme, dans
certaines de ses expressions, ait trouvé refuge dans la Maçonnerie
quelques siècles plus tard, précisément au cours des XVIIe et
XVIIIe siècles, sous forme d’un “emprunt” tardif comme
certains faits peuvent le laisser penser : en effet, cette vision
superficielle est infirmée par des “indices” qu’il convient
d’examiner attentivement ; l’un de ceux qui firent l’objet de
développements de la part de D. Roman est abordé dans son texte sur
Euclide évoqué ci-dessus et inspiré de l’histoire traditionnelle
véhiculée par différents Old
Charges dont
le Dowland
manuscript,
le Regius,
le Cooke et
d’autres, qui sont de rares témoins connus de la Maçonnerie
opérative en Angleterre ayant échappé à l’autodafé d’Anderson
en 1730. Il s’agit en l’occurrence de la légende qui fait état
de la filiation de l’Hermétisme en provenance d’Égypte, par le
canal de la Grèce et de l’Islam. Un autre témoignage de la
présence et de l’influence de l’Hermétisme au Moyen Âge peut
être constaté par tous : il apparaît dans l’iconographie des
monuments religieux ou civils de cette époque jusqu’à la
Renaissance comprise. Quant à la production “littéraire”
alchimique considérable des XVIIe et XVIIIe siècles, qui
témoigne d’une volonté d’extériorisation due à une partielle
dégénérescence, voire une extinction dans certains cas, elle est
trop connue pour que nous y insistions, sauf pour lui reconnaître
une évidente antériorité qui remonte bien au-delà de ces siècles.
Nous
voudrions terminer ces quelques propos par l’évocation d’un
aspect lié à l’existence secrète des “Fidèles d’Amour” et
d’autres comme la “Fede
santa”
ou la “Massenie du Saint Graal”. Si leur caractère secret
relevait d’une précaution élémentaire face aux dangers générés
par les influences qui provoqueront la destruction de l’Ordre du
Temple et se poursuivront par ailleurs, il faut surtout en rechercher
les causes profondes dans la nature initiatique de la démarche
elle-même qui ne peut se manifester qu’à “couvert”. Cette
démarche n’inspirera d’ailleurs qu’une certaine “littérature”
et les arts dits “mineurs”, qui, en réalité, ne le sont pas ;
l’influence du noyau ne franchira guère l’écorce, sans doute
parce que les temps n’étaient plus propices à l’épanouissement
de la “Rose”. Héritiers fidèles d’une chevalerie qui
déclinait rapidement en privilégiant la Force en tant que vertu,
ils virent l’expression de leur dignité et de leur ferveur
s’évanouir peu à peu sous l’influence des temps modernes
destructeurs de toute véritable spiritualité. Mais la “vocation”
des “Fidèles d’Amour” était-elle, comme celle des Templiers,
orientée vers l’établissement du Saint Empire sur cette terre
alors que la démarche peut y conduire individuellement ? Nous avons
au moins une certitude : l’Ordre maçonnique a recueilli le
précieux héritage du Saint Empire plus tard, au moment où sa
“représentation temporelle” disparaissait ; et les symboles
véhiculés dans certains rituels maçonniques sont l’expression de
sa présence toujours agissante jusqu’à ce que vienne “l’heure
de la puissance des ténèbres”.
Qu’attendons-nous
alors, comme nous y conduit Denys Roman, pour nous placer sous la
protection vivifiante de la “Vérité d’Amour” ?
André
Bachelet
NOTES :
*
Chapitre III de l’ouvrage René
Guénon et les Destins de la Franc-Maçonnerie,
Éditions Traditionnelles, 1995.
-
Chapitre XII, ibid.
DU
TEMPLE À LA FRANC-MAÇONNERIE PAR L’HERMÉTISME CHRETIEN
Guénon
a écrit que les liens qui rattachent la Franc-Maçonnerie aux
organisations préexistantes sont d’une extrême complexité 1.
En plus des « héritages » pythagoricien et templier, qui sont le
plus fréquemment attribués à l’Ordre maçonnique, il en est un
autre qu’il revendique également : celui des Rose-Croix. La
réalité de cet héritage a fait l’objet, on le pense bien, de
multiples contestations. Et pourtant, si l’héritage templier a pu
passer à la Maçonnerie, ce dut bien être aussi par l’intermédiaire
du Rosicrucianisme authentique, puisque, selon René Guénon, «
après la destruction de l’Ordre du Temple, les initiés à
l’ésotérisme chrétien se réorganisèrent, d’accord avec les
initiés à l’ésotérisme islamique pour maintenir, dans la mesure
du possible, le lien qui avait été apparemment rompu par cette
destruction ; mais cette réorganisation dut se faire d’une façon
plus cachée, invisible en quelque sorte, et sans prendre son appui
dans une institution connue extérieurement et qui, comme telle,
aurait pu être détruite une fois encore » 2.
Dans
un article déjà ancien 3,
un des meilleurs historiens actuels de la Maçonnerie, M. G.-H.
Luquet, avait abordé cette question en analysant les divers textes
sur lesquels on a tenté de s’appuyer pour prouver que les
Rosicruciens ont joué un rôle lors du passage de la Maçonnerie
opérative à la Maçonnerie spéculative. Ce sont divers poèmes,
opuscules, lettres et articles de journaux qui s’échelonnent de
1638 à 1730 4.
S’il
semble bien, comme le dit M. Luquet, que chacun de ces écrits pris à
part ne prouve pas grand-chose, il est tout de même étrange de
voir, dans six des neuf textes analysés, le nom des Francs-Maçons
rapproché de celui des Rose-Croix et, dans un septième texte, de
celui des Kabbalistes. Ce faisceau de coïncidences est digne
d’examen, si l’on songe à l’habitude de certains Rosicruciens
de procéder par allusions, d’attirer l’attention pour la
détourner ensuite, de jeter eux-mêmes le discrédit sur leurs
propres ouvrages.
Le
huitième des neuf textes étudiés, que M. Luquet analyse
longuement, est intitulé Long
Livers (ce
qu’on pourrait traduire par « Ceux qui sont doués de longévité
»), publié à Londres en 1723, sous le nom d’Eugenius
Philalethes junior. C’est la traduction d’un traité
hermétique d’Arnauld de Villeneuve, traduction dédiée « aux
Grand-Maître, Maîtres, Surveillants et Frères de la très ancienne
et très honorable Fraternité des Francs-Maçons de Grande-Bretagne
et d’Irlande ». Sur l’identité de l’auteur de cet ouvrage, du
reste fort intéressant, voici ce que nous dit M. Luquet : « En
s’appelant Eugénius Philalethes le jeune, il a tout l’air de
vouloir se placer sous le patronage d’un Eugénius Philalethes plus
ancien. En fait, des livres imprimés de 1650 à 1657 étaient signés
Eugénius Philalethes. Son vrai nom fut Thomas Vaughan. Mais la
question se complique. Des ouvrages du même genre que ceux
d’Eugénius Philalethes ont été publiés à Amsterdam et à
Londres de 1664 à 1678 par un certain Eirenæus Philalethes,
“Anglais de naissance et cosmopolite de résidenceˮ, qu’on n’est
pas parvenu à identifier. Divers auteurs ont confondu ces deux
Philalethes, et ils sont d’autant plus excusables qu’à ce qu’on
dit, Eirenæus lui-même aurait pris pour un de ses ouvrages le
prénom d’Eugénius. Il n’y aurait donc rien de surprenant à ce
qu’Eugénius Philalethes le jeune ait commis la même confusion,
et, bien que ne plaçant sous le signe d’Eugénius, se soit inspiré
à la fois d’Eugénius et d’Eirenæus. » En somme, tout a été
fait, et même très bien fait, pour « brouiller les pistes », et
l’on ne s’y retrouve guère. Ceux qui voudront d’autres
renseignements sur les deux (ou sur les trois) Philalethes, « jeunes
» ou non, et qui apparurent çà et là sous les noms de Georges
Starkey, Dr Zheil, Childe, Carnobius, pourront consulter certains
ouvrages de René Guénon 5 et
de Sédir 6
Quoi
qu’il en soit, Long
Livers dut
avoir un certain retentissement dans le monde maçonnique d’alors,
car M. Luquet nous apprend que cinq ans plus tard, un haut dignitaire
de la Maçonnerie galloise, Edward Oakley, fit, devant la Loge
londonienne « Aux trois Compas », un discours qui fut imprimé
ensuite dans un document officiel, et où il reprenait non seulement
les idées de Long
Livers,
« mais jusqu’à des passages textuels, entre guillemets ».
Nous
signalons aussi trois points dont il n’est pas parlé dans
l’article de M. Luquet, et qui nous semblent avoir quelque
importance. D’abord, s’il est bien vrai que Long
Livers ne
fait aucunement mention des Rose-Croix, cet ouvrage n’en est pas
moins « signé » par eux, car dans une partie de la préface qui
précède celle que M. Luquet a traduite, il est parlé de certaines
personnes « dont le nom doit être rayé pour toujours du livre M ».
Il s’agit bien évidemment du « Livre M » des Rose-Croix, qu’on
a interprété par Liber
Mundi ou
même par Mutus
Liber,
et qui est le seul livre dans lequel ils consentent à lire, eux qui
n’écrivent point. Ensuite, il est fait mention de Long
Livers et
du « Frère » Eugenius Philalethes dans un ouvrage édité à
Londres en 1723 « à l’usage des Loges » et intitulé Ebrietatis
Enconium (« Éloge
de l’ivresse »).
Enfin, divers auteurs ont pensé qu’Eugenius Philalethes était un
certain Robert Samber, qui vivait dans l’entourage du duc de
Montagu, successeur de Désaguliers comme Grand-Maître des «
Modernes ».
*
*
*
Selon
Guénon, la doctrine professée par les Rose-Croix authentiques
relevait de l’« hermétisme chrétien » 7.
Or, il est remarquable que le grade maçonnique de Rose-Croix, qui se
retrouve dans presque tous les systèmes de hauts grades 8,
est spécifiquement hermétique et chrétien. C’est ainsi que le
signe de reconnaissance de ce degré fait visiblement allusion à
l’adage de la Table d’émeraude:
« Ce qui est en haut est comme ce qui est en bas, et ce qui est en
bas est comme ce qui est en haut. » Le caractère chrétien du grade
est marqué par le fait que le « signe d’ordre » est appelé «
Signe du Bon Pasteur », et que l’« âge » rituel des Frères est
de 33 ans. Le mot de passe est « Emmanuel », et le mot sacré, qui
ne se prononce pas, est constitué par quatre lettres « I.N.R.I. »,
dont la signification évidente est à la fois chrétienne (Jésus
Nazarenus Rex Judeorum)
et hermétique (Igne
Natura Renovatur Integra) 9
Venons-en
maintenant au mystère presque insondable qui entoure tout ce qui
concerne les Rose-Croix. Guénon a souligné le fait que la naissance
même de ce « Collège des Invisibles » dut être soigneusement
cachée afin d’éviter que se renouvelât le drame de 1314. C’est
en effet la raison immédiate et on pourrait presque dire «
historique » du secret qui concerne l’origine de la Rose-Croix et
aussi les différentes activités dont elle a pu être
l’inspiratrice. Luigi Valli, par des travaux remarquables, est
parvenu à déchiffrer le langage secret des initiés contemporains
de Dante, pour lesquels, par exemple, le mot « pleurer » signifiait
en réalité « dissimuler ». Cette dissimulation pouvait aller
d’ailleurs très loin puisque, dans le Roman
de la Rose,
un rôle pour ainsi dire bénéfique est attribué au personnage de
Faux-Semblant 10.
Mais
on doit rappeler que c’est là une raison purement contingente du
secret initiatique, secret qui tient avant tout à sa nature même,
qui le rend inexprimable dans le langage profane.
Il
est bien évident que lorsque la Maçonnerie a reçu en
héritage 11 le
« dépôt initiatique » de telle autre organisation qui
disparaissait alors comme telle, un secret absolu sur ce « transfert
» devait être gardé pour les deux raisons que nous venons
d’indiquer. Tout d’abord, une organisation ne disparaît, en
règle générale tout au moins, que si elle est en butte à une
hostilité extérieure, et cette hostilité pourrait se reporter sur
l’organisation héritière si cette dernière était connue 12.
Ensuite, une telle transformation correspond exactement à une mort
suivie d’une renaissance, c’est-à-dire à un changement d’état,
qui ne peut s’accomplir que dans l’obscurité.
*
*
*
Nous
voudrions maintenant attirer l’attention sur un point important.
Guénon souligne le fait que l’institution de la Rose-Croix fut le
résultat d’une entente des initiés chrétiens avec les initiés
musulmans. Cela est d’ailleurs tout naturel, puisque les Templiers
– la chose est bien connue – entretinrent des rapports suivis
avec certaines organisations islamiques 13.
Or, si la Rose-Croix se rattache à l’hermétisme chrétien, il
faut se rappeler qu’il y a aussi un hermétisme musulman, puisque,
selon Guénon, l’hermétisme est une science d’origine
égyptienne, revêtue d’une forme grecque, et qui fut transmise à
la fois au monde chrétien et au monde musulman, et en grande partie
au premier de ces deux mondes par l’intermédiaire du second 14.
L’hermétisme, comme la Maçonnerie, c’est l’« Art Royal »,
et il ne faut pas s’étonner des rapports de la Rose-Croix avec le
« Saint-Empire ». C’est à la fin de la guerre de trente ans, 333
ans après la ruine des Templiers 15,
que les Rose-Croix désertent l’Europe, où le Saint-Empire n’est
plus désormais qu’une « fiction diplomatique ». Au XVIIIe siècle
la création du « Conseil des Empereurs d’Orient et d’Occident »
prépare les voies à ce qui deviendra, lorsque Napoléon aura porté
le coup de grâce à l’Empire romain-germanique, les « Suprêmes
Conseils du Saint-Empire » dont le rituel porte les traces évidentes
d’une inspiration marquée du sceau de la plus haute
spiritualité 16.
*
*
*
Selon
Guénon, il y a une distinction essentielle à faire entre Rose-Croix
et Rosicruciens. Les premiers ont atteint un très haut degré de
réalisation spirituelle, ils n’écrivent pas et ils ont quitté
l’Occident au milieu du XVIIe siècle, c’est-à-dire peu
avant l’époque où la Maçonnerie opérative commençait à
devenir spéculative. Quant aux Rosicruciens, ils ont joué un rôle
beaucoup plus « agissant », et ils furent sans doute les « organes
» des véritables Rose-Croix, qui sont les authentiques «
Supérieurs Inconnus » ; et c’est pourquoi les tentatives faites
au XVIIIe siècle pour établir un contact avec ces derniers ont
lamentablement échoué, d’autant plus que la Stricte Observance,
qui fut à l’origine de ces tentatives, avait commis l’insigne et
presque sacrilège maladresse d’assigner comme but à son activité
la découverte du trésor des Templiers. Trésors « monétaires »
bien entendu, et les mânes de Philippe le Bel ont dû tressaillir de
jalousie s’il leur fût donné d’apprendre une telle nouvelle !
Mais c’est d’un trésor d’une bien autre « valeur », et aussi
d’une bien autre « signification », que les initiés qui veillent
sur la Maçonnerie lui ont permis de recueillir l’héritage. Au
moment où cette Maçonnerie était sur le point de perdre son
caractère opératif et de subir sa transformation « spéculative »,
et comme pour compenser en quelque mesure cette redoutable
dégénérescence, les nombreuses organisations initiatiques, et
surtout les organisations chevaleresques encore subsistantes,
allaient trouver au sein des Loges un refuge assuré et définitif.
*
*
*
Nous
rappelions plus haut que la doctrine ésotérique qui existait en
Occident avant l’apparition du Rosicrucianisme « présentait des
caractères qui permettent de la faire rentrer dans ce qu’on
appelle généralement l’hermétisme » 17.
Guénon poursuivait ainsi : « L’histoire de cette tradition
hermétique est intimement liée à celle des Ordres de Chevalerie et
(…) elle était conservée par des organisations initiatiques comme
celle de la Fede
Santa et
des Fidèles
d’Amour,
et aussi (de la)Massenie
du Saint Graal (…) ».
M.
Jean-Pierre Berger a examiné dans un long article 18 les
rapports entre deux organisations qui ont des liens directs avec la
Franc-Maçonnerie, à savoir les Fidèles d’Amour et les Templiers.
Comme toutes les études de cet auteur, cet article touche à des
questions de la plus la haute importance. M. Berger connaît très
bien l’œuvre de Guénon ; mais il a voulu faire des recherches
personnelles « afin, dit-il, de confirmer et de préciser l’adhésion
que l’on a pu donner à la parole d’un homme en qui il ne serait
malgré tout pas raisonnable d’avoir une “foiˮ aveugle, si digne
de confiance qu’il fût dans la quasi totalité des cas ». Il est
certain qu’une attitude « passive » n’est pas du tout indiquée
pour aborder une telle œuvre ; et personne n’a jamais réclamé
pour les vérités traditionnelles une « foi » aveugle. Guénon
disait un jour à Oswald Wirth : « En matière de métaphysique, on
comprend ou on ne comprend pas. » L’adhésion aux principes, qui
se traduit pratiquement par une certaine compréhension du symbolisme
(qui est « la langue de la métaphysique »), voilà, en définitive,
la principale condition requise pour retirer quelque fruit de la
lecture et surtout de l’étude de l’œuvre guénonienne, et il
est assez vain de se demander si son auteur a cru « sur parole »
telle ou telle des allégations d’Henri Martin, d’Aroux, de
Rossetti et même de Luigi Valli. L’extraordinaire « érudition »
de Guénon, les « matériaux » qu’il tirait de ses lectures dans
les cinq principales langues de l’Europe occidentale, tout cela
n’était pour lui que des occasions qu’il utilisait pour exposer
des idées de provenance toute différente. Nous avons connu des
guénoniens (ou qui se croyaient tels) qui se disaient « embarrassés
» en constatant que Guénon, dans Autorité
spirituelle,
diffère de Dante qui, dans son traité De
la Monarchie,
soutient l’indépendance des deux pouvoirs. De tels « embarras »
nous font penser à ces chrétiens qui sont troublés par les
contradictions entre certains livres de l’Ancien Testament et par
celles, encore plus nombreuses, entre les quatre Évangiles. Quoi
qu’il en soit, M. Berger, dans son étude, a voulu examiner de près
la question des rapports entre les Fidèles d’Amour et les
Templiers, « car, dit-il, il faut bien reconnaître que R. Guénon
ne fournit pas le moindre indice permettant de justifier ses
affirmations si nettes et si lourdes de conséquences » en ces
matières.
M.
Berger ne professe pas la moindre considération pour les travaux
d’Aroux et de D.-G. Rossetti. Nous le trouvons bien exigeant. Peu
importe ce qu’ont pu être ces deux personnages. Aroux (sincèrement
ou non) se donne pour une sorte de catholique « ultra-intégriste »,
ennemi juré du « vieil Alighieri » hérétique, révolutionnaire
et socialiste ! Rossetti, lui, joignait à la fougue d’un
conspirateur quarante-huitard le lyrisme d’un poète romantique et
d’un peintre préraphaélite. Ces deux auteurs si différents ont
pourtant rassemblé une masse considérable de faits, de citations,
d’allusions, dont ils ont donné des interprétations parfois
discutables, mais que rien n’empêche de « restituer » dans une
perspective traditionnelle. À ce titre, ils méritaient d’être
cités dans l’Ésotérisme
de Dante,
de préférence à tant d’éminents « dantologues » dont la
portée des travaux ne dépasse pas les domaines de la linguistique
et de la critique littéraire.
M.
Berger a lu les auteurs italiens cités par Guénon : Luigi Valli,
Ricolfi et Scarlata. Il a été déçu par le premier qui, dit-il, «
chausse trop aveuglément les bottes de Rossetti et d’Aroux ».
Mais comment M. Berger a-t-il donc lu Luigi Valli ? Il semble avoir
cherché dans cet auteur la mention de faits établissant d’une
manière indiscutable et pour ainsi dire « officielle » l’existence
de rapports entre Templiers et Fidèles d’Amour. Tel n’était pas
le but de Valli. Le titre de son ouvrage : Il
Linguaggio segreto di Dante e dei Fedeli d’Amore,
montre assez qu’il s’agit d’une étude sur le « jargon »
initiatique des Fidèles d’Amour. Cette étude a été menée avec
une habileté consommée. Le sens des principaux termes du langage
secret a été indubitablement établi par la comparaison d’une
multitude de pièces écrites par les auteurs, célèbres ou obscurs,
du dolce
stil novo.
C’est au moyen de ce langage éminemment symbolique qu’on doit
mener toute recherche relative aux Fidèles d’Amour. Or, dans ce
langage, deux termes ont une importance particulière : ce sont les
mots « dame » et « pleurer ». La dame symbolise entre autres
choses une organisation initiatique (Valli dit une « secte »). La
mort de la dame est la destruction de cette organisation. Et «
pleurer », terme qui revient constamment chez les Fidèles, signifie
prendre toutes dispositions nécessitées par cette destruction : une
de ces dispositions consistait à « simuler » la non-appartenance à
la « secte ». Les dangers en effet étaient considérables ; c’est
pourquoi il est inutile de chercher dans l’œuvre de Dante une
allusion explicite à son rattachement aux Templiers.
Dans
un article d’Archeologia 19,
M. le duc de Lévis-Mirepoix a écrit : « Un autre interrogatoire du
plus haut intérêt est celui de Florence, étudié à la
Bibliothèque du Vatican par Loiseleur. Il relate, d’après des
dépositions obtenues sans violences, les initiations mystérieuses
que le Temple aurait cachées. Elles ont plus ou moins de rapport
avec le catharisme, du fait que nombre de cathares, après la
catastrophe de leur secte, avait été introduits de gré ou de force
parmi les Templiers ». Il y avait donc à Florence une commanderie
de Templiers, et ces Templiers étaient réputés hérétiques,
puisque Albigeois. On sait comment ces derniers furent traités. Le
danger était mortel, pour Dante et pour ses amis, s’ils étaient
reconnus comme étant des leurs.
*
*
*
La
seconde partie de l’article parle surtout de l’œuvre d’André
le Chapelain, étudiée par Ricolfi. M. Berger voit dans la Champagne
une province privilégiée. Est-ce bien sûr ? En tout cas, quand il
nous dit qu’il y a filiation de saint Bernard à Ruysbroeck et de
Dante à Eckhart, la chose, en ce qui concerne les deux derniers
noms, est hautement improbable : en effet, l’œuvre de Dante est
tout imprégnée de symbolisme, et ce n’est assurément pas le cas
pour celle d’Eckhart.
À
propos du symbolisme de la « pluie » en Maçonnerie, l’auteur
évoque ce que dit saint Bernard sur un passage du Cantique
des Cantiques :
« Déjà l’hiver est passé, la pluie s’en est allée, les
fleurs sont apparues sur notre terre, le temps de tailler la vigne
est venu. » Ce rapprochement est intéressant. Mais à vrai dire,
nous pensons que l’expression : « Il pleut sur le Temple »,
employée lors de la collation des grades quand le candidat frappe «
irrégulièrement » à la porte, est due surtout au fait que le
Tableau de la Loge (et surtout le pavé mosaïque) est dit
représenter la « Terre sainte » (Holy
ground),
substitut du Paradis terrestre, et qu’il ne pleuvait pas dans le
jardin d’Éden.
Nous
en profiterons pour mentionner quelques points importants.
Le Cantique
des Cantiques,
épithalame des noces de Salomon avec la fille du roi d’Égypte, a
été l’objet d’une multitude de commentaires, tant juifs que
chrétiens. Parmi ces derniers, le plus remarquable est certainement
celui de saint Grégoire de Nysse. Ce « Père cappadocien » a
intégré dans sa théologie non seulement certaines perspectives des
philosophes néo-platoniciens, mais encore les thèses « orthodoxes
» de Clément d’Alexandrie et d’Origène, dont on sait qu’ils
ont exprimé en partie l’ésotérisme chrétien primitif. On trouve
chez Grégoire de Nysse des notions sur la position centrale de
l’être humain, sur le véritable sens des « tuniques de peau »,
sur la « transfiguration » du Cosmos opérable par l’homme, sur
la non-éternité du mal, sur le sens supérieur des ténèbres, etc.
La pensée de Grégoire n’a jamais été oubliée en Orient. Mais
en Occident ce Père n’a été traduit en latin que par le
bienheureux Guillaume de Saint-Thierry, disciple et biographe de
saint Bernard. Bernard et Guillaume ont d’ailleurs écrit des
commentaires sur le Cantique,
où l’on retrouve comme un écho de Grégoire de Nysse. Nous ne
voudrions pas tirer de ces rapprochements plus qu’ils ne peuvent
donner. Mais n’est-il pas au moins curieux que le plus
métaphysicien des Père grecs (et peut-être de tous les Pères de
l’Église) ait été mis à la portée de la chrétienté
occidentale par un religieux de l’entourage immédiat de saint
Bernard, rédacteur de la Règle de ces Templiers qui (selon des
auteurs aussi peu suspects de sympathie pour l’ésotérisme que
René Grousset et le duc de Lévis-Mirepoix) furent en rapport, en
Orient, non seulement avec les « sectes » de l’islam, mais aussi
avec celles de la chrétienté byzantine ?
Dans
les articles que M. Jean-Pierre Berger a publiés, nous avons
toujours remarqué qu’après avoir passé au crible d’une
critique assez souvent mal fondée certaines des thèses de René
Guénon, il terminait en apportant à ces mêmes thèses une
éclatante « justification ». Il n’y a pas manqué dans l’article
que nous venons de commenter longuement, et il a eu la bonne idée de
traduire pour ses lecteurs une page capitale de Luigi Valli, où cet
auteur expose le seul fait qui puisse être avancé en faveur d’une
filiation entre Templiers et Fidèles d’Amour. Cette preuve est
tirée de Boccace. Nous ne résistons pas au plaisir d’en
reproduire l’essentiel. C’est Valli qui parle d’abord, et qui
cite ensuite Boccace : « Enfin, un argument, selon moi d’une
portée considérable, puisqu’il ne s’agit pas ici de retrouver
seulement un Dante templier, mais de mettre en évidence les liens
cachés de tout ce mouvement (des Fidèles d’Amour) avec les
Templiers, est constitué par l’apologie chaude, passionnée et
d’une grande noblesse que fait des Templiers Jean Boccace au livre
IX (les livres sont – par hasard – au nombre de neuf) de ses Vies
des Hommes illustres.
Après avoir exalté la pureté, la noblesse et la pauvreté
originelles des Templiers (…), après avoir narré en particulier
les vicissitudes du Grand Maître Jacques de Molay qui se dit digne
de mourir non pour avoir commis des crimes, mais pour s’être
laissé arracher par la torture de faux aveux (…), après avoir
donné le témoignage de son père Boccace, présent lors des
supplices, il fait certaines “considérations sur la constanceˮ,
où il trouve une manière très habile d’appeler à plusieurs
reprises les Templiers “les nôtresˮ (…). » Il dit : « De
nombreux anciens (…), par les enseignements de la divine
philosophie ou bien pour acquérir la gloire (…), furent conduits à
d’horribles tourments. Les
nôtres firent
autrement (…). Que diraient alors ceux qui s’émerveillent de la
patience des anciens sous les supplices s’ils avaient vu
l’endurance considérable des nôtres ?
Ils n’auraient vraiment plus lieu de s’étonner. »
Après
avoir reproduit ces textes de Valli et de Boccace, M. Jean-Pierre
Berger ajoute : « On peut s’étonner que Boccace (né sans doute à
Paris vers 1313 et mort en l375) parle des Templiers en utilisant les
mots “les nôtresˮ, alors que de son vivant l’Ordre des
Templiers n’existait en fait plus. Il faudrait donc supposer que ce
qualificatif vise la fraternité des Fidèles d’Amour dont il fit
certainement partie. » M. Jean-Pierre Berger a bien fait de rappeler
que le père de Boccace, comme Dante probablement, étaient à Paris
lors du drame de 1314. Quant à savoir si les Templiers n’existaient
plus en 1375… Disons, comme Boccace lui-même (à propos d’un
autre sujet) dans le 3econte du Décaméron,
que « la question est pendante, et peut-être le demeurera-t-elle
longtemps encore ».
Denys
Roman
- Ces dates sont intéressantes. 1638, c’est trois ans après le début de la « période française » de la guerre de Trente ans, période qui devait voir la défaite irréparable du Saint-Empire, à la suite de quoi les Rose-Croix quittèrent l’Europe pour l’Asie. Quant à 1730, c’est 13 ans après la fondation de la Grande Loge des « Modernes ».
- Notamment le Théosophisme. Au chapitre IV, il mentionne que, dans une organisation rosicrucienne du XVIIIe siècle et donc assez tardive, la « Rose-Croix d’Or », il est encore prescrit que « chaque Frère changera ses noms et prénoms après avoir été reçu, et fera de même chaque fois qu’il changera de pays ». Sur Eugenius Philalethes, voir le même ouvrage, pp. 55-56.
- Au Rite Écossais, la dénomination complète de ce grade est la suivante : « Chevalier de l’Aigle et du Pélican, Souverain Prince Rose-Croix ».
- Les éléments chrétiens sont encore accentués dans l’« agape » du 18e degré, où la table doit avoir la forme d’une croix grecque et prend le nom d’« autel », les verres étant désignés sous celui de « calice », – et surtout dans la « cène mystique des Rose-Croix », qui se célèbre le jeudi saint. Les initiales I.N.R.I. sont encore interprétées d’une troisième façon dans les « questions d’ordre » du grade. Voici ces quatre questions : « D’où venez-vous ? De Jérusalem. – Où allez-vous ? À Nazareth. – Quel est votre guide ? L’Archange Raphaël. – De quelle tribu êtes-vous ? De Juda. » Les deux premières réponses ont évidemment un caractère chrétien prononcé. La troisième comporte un sens hermétique, car Raphaël (« Remède de Dieu ») fait allusion à l’élixir de longue vie, c’est-à-dire à la « vraie médecine » (la veram medicinam de l’acrosticheVitriolum). Quant à Juda, c’était la tribu royale des Juifs.
- Les deux personnages évangéliques qui jouent un rôle dans les légendes de la Table ronde et du Saint Graal sont Joseph d’Arimathie et Nicodème qui, dans l’Écriture, sont dits avoir été « disciples de Jésus, mais en secret, par crainte des Juifs ». C’est évidemment cette mention de secret – bien que, dans le contexte scripturaire, on ne puisse pas dire qu’elle soit précisément élogieuse – qui a fait choisir les deux disciples comme dépositaires de secrets ésotériques. Et c’est pour la même raison que plusieurs des amours symboliques des chevaliers du Graal sont des amours secrètes et parfois coupables. L’exemple le plus typique est l’amour de Lancelot du Lac pour la reine Guenièvre, amour dont le caractère secret fut même conservé, lors de l’épisode de l’« Ordalie », par l’artifice d’un mensonge particulièrement grave, ce qui justifie d’ailleurs les dures expiations dans lesquelles les deux héros terminèrent leurs jours. II va sans dire que prendre ces formes un peu particulières du symbolisme, ainsi que celles, très analogue, qu’on trouve chez Boccace et chez Rabelais, pour des éloges véritables de l’ivrognerie, du mensonge et de l’adultère serait tout simplement se montrer incapable de « rompre l’os et sucer la substantifique moëlle ».
- Dans certains rituels, les Frères du 18ème degré sont appelés « Souverains Princes d’Hérédom », et ici le mot Hérédom fait allusion non pas aux Harodim de la Maçonnerie opérative, mais à l’héritage (heirdom en anglais) et en particulier à l’héritage des Templiers.
- C’est en particulier pourquoi l’héritage des Templiers est entouré d’une telle obscurité.
- Alors que les rapports des Templiers avec les musulmans n’ont jamais été mis en doute, n’est-il pas étrange qu’on ne parle à peu près jamais de relations qu’ils auraient pu avoir avec les chrétiens des Églises « byzantines », alors pourtant que l’empereur de Constantinople était, au moins nominalement, le suzerain des États fondés par les Croisés ?
- Cf. Aperçus sur l’Initiation, chap. XLI. Les liens entre l’hermétisme chrétien et l’hermétisme islamique sont symbolisés par une « anecdote » célèbre dans l’histoire de Charlemagne. Ce fondateur du Saint-Empire reçut en effet, aussitôt après son sacre, une ambassade d’Haroun al-Rachid, calife abbasside de Bagdad, qui apportait au souverain franc les « clés du Saint-Sépulcre ». On sait que le « pouvoir des clés » est une notion spécifiquement hermétique.
- Sur ce nombre 333, cf. Formes traditionnelles et Cycles cosmiques, p. l68. Il est, comme 666, en rapport (bénéfique ou maléfique) avec la figure de César, premier fondateur de l’Empire romain. Il y aurait bien des choses à dire sur le nombre 111 et ses différents multiples. LaPrédiction des Papes attribuée à saint Malachie, qui est, avec les Centuries de Nostradamus, la seule prédiction non scripturaire à laquelle Guénon ait accordé quelque importance, est une liste de 111 devises. À propos des Centuries, il est assez divertissant de voir les tentatives actuelles pour les interpréter. Car si l’on excepte un très petit nombre de coïncidences très frappantes comme celle relative à la mort de Henri II et les cinq ou six strophes où Napoléon est évidemment visé, peut-être tout le reste n’est-il que pur « remplissage ». Dans ce cas Michel de Notre-Dame a dû bien s’amuser en prévoyant les pénibles efforts de ses futurs commentateurs, lui qui n’avait peut-être en vue que d’attirer l’attention sur les deux dates qu’il a écrites « en clair » : la date en prose et la date en vers. Quant à la « prédiction des papes », des recherches toutes récentes semblent bien prouver qu’elle remonte à l’époque même de saint Malachie. Sur ce dernier, il n’est pas inutile de donner quelques détails. C’était un moine cistercien, ami intime de saint Bernard, et qui fut élevé à l’archevêché d’Armagh en Irlande. Se rendant à Rome, il passa par Clairvaux où il mourut dans les bras de saint Bernard. Il fut enseveli dans le cimetière de l’abbaye, où Bernard par la suite vint le rejoindre. À la Révolution, les sépultures des deux saints furent violées, et leurs ossements furent mélangés. Aujourd’hui encore, les reliques du législateur des Templiers et celles de l’auteur sous le patronage duquel on a placé la prédiction aux 111 devises sont vénérées conjointement dans une église de Troyes. Rappelons enfin que Guénon reconnaissait que l’affaire des Templiers n’était pas étrangère à la prédiction dite de saint Malachie.
- Michel Vâlsan, dans les Études Traditionnelles de juin, juillet-août et septembre 1953 et sous le titre Les derniers hauts grades de l’Écossisme et la réalisation descendante, a donné un remarquable article sur certains symboles de ce grade qui ont un évident rapport avec la Tradition primordiale.
- Cf. le chapitre du présent ouvrage intitulé : « Le Temple, Ordre initiatique chrétien » [René Guénon et les Destins de la Franc-Maçonnerie, chapitre II