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2009 : La
Lettera G / La Lettre G, N°
10
Denys
Roman : « Du Temple à la Maçonnerie par l’Hermétisme
chrétien »*
Il
est reconnu que Denys Roman retenait l’œuvre de René Guénon
comme référence authentiquement traditionnelle, et nos lecteurs
n’ignorent pas non plus l’intérêt privilégié que ce dernier
accordait à l’Ordre maçonnique et en particulier à l’Hermétisme,
parce qu’il considérait que la science d’Hermès présente avec
l’Art Royal une affinité de nature. Dans certaines de
leurs opérations, les deux voies maçonnique et hermétique n’ont,
en apparence, que peu de points communs : nous disons en apparence
car si, par exemple, l’alchimie qui est une des applications de
l’Hermétisme fait principalement appel aux matériaux que sont les
“métaux” (qui ne sont pas inconnus en Maçonnerie), l’Art
Royal, quant à lui, se réfère surtout à la “pierre”, matériau
fondamental des Bâtisseurs. Il n’en est pas moins vrai qu’il
s’agit, dans les deux cas, d’un support tiré du règne minéral,
support indispensable pour permettre la restauration de ce règne par
l’exercice conforme – c’est-à-dire “juste et parfait”–
du Métier pour le Maçon, et de la “transmutation” pour ceux qui
mettent en œuvre la “sublimation” des métaux ; dans les deux
cas il est question d’une “restauration”, d’une
“réhabilitation” de la Nature par le matériau brut mené à une
perfection correspondant à son ordre ; ceci par analogie avec la
démarche de restauration primordiale de l’être humain qui en est
également l’opérateur selon la Volonté du Ciel. On notera à ce
propos et pour en terminer avec cette digression un peu technique,
que le symbolisme de la pierre est commun aux deux démarches et
qu’il se retrouve très explicitement et de façon synthétique
dans la formule énigmatique VITRIOL (ou dans un sens plus étendu
: Vitriolum)
qui apparaît dans le Cabinet de réflexion en usage dans certains
Rites maçonniques.
Cela
dit, si l’on retient exclusivement les faits en eux-mêmes, on ne
peut – et ne pourra sans doute jamais – avoir de certitude en ce
qui concerne la plupart des courants ésotériques évoqués par
l’auteur, qui se réfère aux travaux de Luigi Valli et à ceux de
Guénon contenus dans plusieurs chapitres de ses Aperçus
sur l’ésotérisme chrétien.
Pour ce domaine particulier et a
fortiori dans
la période considérée, la documentation se réduit surtout à des
formules symboliques discrètes : seul le rapprochement de quelques
textes, l’examen attentif du “jargon” utilisé, comme le relève
Denys Roman, permettent de reconnaître et de suivre de probables
filiations, ou des appartenances supposées. En fait, si aujourd’hui
chacun bénéficie d’une libre parole – ce qui n’est pas
forcément mieux dans certains cas – les conséquences de la
destruction (dans les conditions de brutalité que l’on sait) de
l’Ordre du Temple par les forces conjointes du temporel et du
spirituel imposaient la plus extrême prudence dans l’expression et
les comportements. On conçoit dès lors que la preuve documentaire
fasse pratiquement défaut et qu’il faille recourir à d’autres
méthodes.
Lorsque,
dans son article sur “Euclide élève d’Abraham”1,
Denys Roman examine les héritages échus à l’Ordre maçonnique,
dont certains antérieurs au christianisme, il prend principalement
pour base de sa réflexion les légendes maçonniques qu’il
qualifie, comme R. Guénon, d’histoire traditionnelle. Dans le
texte que nous présentons aujourd’hui, “Du Temple à la
Franc-Maçonnerie par l’Hermétisme chrétien”, il s’appuie sur
quelques faits et événements historiques non négligeables ; il met
l’accent sur le cheminement emprunté par des courants ésotériques,
plus précisément initiatiques : ce sont notamment ceux que l’on
qualifie de rosicruciens du fait de leurs liens de nature avec les
“Rose-Croix” (qui ne formèrent – et ne forment – jamais
d’organisation proprement dite) et avec l’Ordre du Temple. Denys
Roman se révèle ainsi fidèle à ce qu’affirmait René Guénon
lorsqu’il disait que c’est par le canal du Templarisme que le
Rosicrucianisme (de même qu’une certaine chevalerie) devait
aboutir au sein de la Maçonnerie sous forme de dépôt symbolique
chrétien. On en trouve d’ailleurs un écho très suggestif dans
les divers textes présentés dans cette revue par Franco Peregrino
sur les Templiers. Cela ne veut pas dire que l’Hermétisme, dans
certaines de ses expressions, ait trouvé refuge dans la Maçonnerie
quelques siècles plus tard, précisément au cours des XVIIe et
XVIIIe siècles, sous forme d’un “emprunt” tardif comme
certains faits peuvent le laisser penser : en effet, cette vision
superficielle est infirmée par des “indices” qu’il convient
d’examiner attentivement ; l’un de ceux qui firent l’objet de
développements de la part de D. Roman est abordé dans son texte sur
Euclide évoqué ci-dessus et inspiré de l’histoire traditionnelle
véhiculée par différents Old
Charges dont
le Dowland
manuscript,
le Regius,
le Cooke et
d’autres, qui sont de rares témoins connus de la Maçonnerie
opérative en Angleterre ayant échappé à l’autodafé d’Anderson
en 1730. Il s’agit en l’occurrence de la légende qui fait état
de la filiation de l’Hermétisme en provenance d’Égypte, par le
canal de la Grèce et de l’Islam. Un autre témoignage de la
présence et de l’influence de l’Hermétisme au Moyen Âge peut
être constaté par tous : il apparaît dans l’iconographie des
monuments religieux ou civils de cette époque jusqu’à la
Renaissance comprise. Quant à la production “littéraire”
alchimique considérable des XVIIe et XVIIIe siècles, qui
témoigne d’une volonté d’extériorisation due à une partielle
dégénérescence, voire une extinction dans certains cas, elle est
trop connue pour que nous y insistions, sauf pour lui reconnaître
une évidente antériorité qui remonte bien au-delà de ces siècles.
Nous
voudrions terminer ces quelques propos par l’évocation d’un
aspect lié à l’existence secrète des “Fidèles d’Amour” et
d’autres comme la “Fede
santa”
ou la “Massenie du Saint Graal”. Si leur caractère secret
relevait d’une précaution élémentaire face aux dangers générés
par les influences qui provoqueront la destruction de l’Ordre du
Temple et se poursuivront par ailleurs, il faut surtout en rechercher
les causes profondes dans la nature initiatique de la démarche
elle-même qui ne peut se manifester qu’à “couvert”. Cette
démarche n’inspirera d’ailleurs qu’une certaine “littérature”
et les arts dits “mineurs”, qui, en réalité, ne le sont pas ;
l’influence du noyau ne franchira guère l’écorce, sans doute
parce que les temps n’étaient plus propices à l’épanouissement
de la “Rose”. Héritiers fidèles d’une chevalerie qui
déclinait rapidement en privilégiant la Force en tant que vertu,
ils virent l’expression de leur dignité et de leur ferveur
s’évanouir peu à peu sous l’influence des temps modernes
destructeurs de toute véritable spiritualité. Mais la “vocation”
des “Fidèles d’Amour” était-elle, comme celle des Templiers,
orientée vers l’établissement du Saint Empire sur cette terre
alors que la démarche peut y conduire individuellement ? Nous avons
au moins une certitude : l’Ordre maçonnique a recueilli le
précieux héritage du Saint Empire plus tard, au moment où sa
“représentation temporelle” disparaissait ; et les symboles
véhiculés dans certains rituels maçonniques sont l’expression de
sa présence toujours agissante jusqu’à ce que vienne “l’heure
de la puissance des ténèbres”.
Qu’attendons-nous
alors, comme nous y conduit Denys Roman, pour nous placer sous la
protection vivifiante de la “Vérité d’Amour” ?
André
Bachelet
NOTES :
*
Chapitre III de l’ouvrage René
Guénon et les Destins de la Franc-Maçonnerie,
Éditions Traditionnelles, 1995.
-
Chapitre XII, ibid.
DU
TEMPLE À LA FRANC-MAÇONNERIE PAR L’HERMÉTISME CHRETIEN
Guénon
a écrit que les liens qui rattachent la Franc-Maçonnerie aux
organisations préexistantes sont d’une extrême complexité 1.
En plus des « héritages » pythagoricien et templier, qui sont le
plus fréquemment attribués à l’Ordre maçonnique, il en est un
autre qu’il revendique également : celui des Rose-Croix. La
réalité de cet héritage a fait l’objet, on le pense bien, de
multiples contestations. Et pourtant, si l’héritage templier a pu
passer à la Maçonnerie, ce dut bien être aussi par l’intermédiaire
du Rosicrucianisme authentique, puisque, selon René Guénon, «
après la destruction de l’Ordre du Temple, les initiés à
l’ésotérisme chrétien se réorganisèrent, d’accord avec les
initiés à l’ésotérisme islamique pour maintenir, dans la mesure
du possible, le lien qui avait été apparemment rompu par cette
destruction ; mais cette réorganisation dut se faire d’une façon
plus cachée, invisible en quelque sorte, et sans prendre son appui
dans une institution connue extérieurement et qui, comme telle,
aurait pu être détruite une fois encore » 2.
Dans
un article déjà ancien 3,
un des meilleurs historiens actuels de la Maçonnerie, M. G.-H.
Luquet, avait abordé cette question en analysant les divers textes
sur lesquels on a tenté de s’appuyer pour prouver que les
Rosicruciens ont joué un rôle lors du passage de la Maçonnerie
opérative à la Maçonnerie spéculative. Ce sont divers poèmes,
opuscules, lettres et articles de journaux qui s’échelonnent de
1638 à 1730 4.
S’il
semble bien, comme le dit M. Luquet, que chacun de ces écrits pris à
part ne prouve pas grand-chose, il est tout de même étrange de
voir, dans six des neuf textes analysés, le nom des Francs-Maçons
rapproché de celui des Rose-Croix et, dans un septième texte, de
celui des Kabbalistes. Ce faisceau de coïncidences est digne
d’examen, si l’on songe à l’habitude de certains Rosicruciens
de procéder par allusions, d’attirer l’attention pour la
détourner ensuite, de jeter eux-mêmes le discrédit sur leurs
propres ouvrages.
Le
huitième des neuf textes étudiés, que M. Luquet analyse
longuement, est intitulé Long
Livers (ce
qu’on pourrait traduire par « Ceux qui sont doués de longévité
»), publié à Londres en 1723, sous le nom d’Eugenius
Philalethes junior. C’est la traduction d’un traité
hermétique d’Arnauld de Villeneuve, traduction dédiée « aux
Grand-Maître, Maîtres, Surveillants et Frères de la très ancienne
et très honorable Fraternité des Francs-Maçons de Grande-Bretagne
et d’Irlande ». Sur l’identité de l’auteur de cet ouvrage, du
reste fort intéressant, voici ce que nous dit M. Luquet : « En
s’appelant Eugénius Philalethes le jeune, il a tout l’air de
vouloir se placer sous le patronage d’un Eugénius Philalethes plus
ancien. En fait, des livres imprimés de 1650 à 1657 étaient signés
Eugénius Philalethes. Son vrai nom fut Thomas Vaughan. Mais la
question se complique. Des ouvrages du même genre que ceux
d’Eugénius Philalethes ont été publiés à Amsterdam et à
Londres de 1664 à 1678 par un certain Eirenæus Philalethes,
“Anglais de naissance et cosmopolite de résidenceˮ, qu’on n’est
pas parvenu à identifier. Divers auteurs ont confondu ces deux
Philalethes, et ils sont d’autant plus excusables qu’à ce qu’on
dit, Eirenæus lui-même aurait pris pour un de ses ouvrages le
prénom d’Eugénius. Il n’y aurait donc rien de surprenant à ce
qu’Eugénius Philalethes le jeune ait commis la même confusion,
et, bien que ne plaçant sous le signe d’Eugénius, se soit inspiré
à la fois d’Eugénius et d’Eirenæus. » En somme, tout a été
fait, et même très bien fait, pour « brouiller les pistes », et
l’on ne s’y retrouve guère. Ceux qui voudront d’autres
renseignements sur les deux (ou sur les trois) Philalethes, « jeunes
» ou non, et qui apparurent çà et là sous les noms de Georges
Starkey, Dr Zheil, Childe, Carnobius, pourront consulter certains
ouvrages de René Guénon 5 et
de Sédir 6
Quoi
qu’il en soit, Long
Livers dut
avoir un certain retentissement dans le monde maçonnique d’alors,
car M. Luquet nous apprend que cinq ans plus tard, un haut dignitaire
de la Maçonnerie galloise, Edward Oakley, fit, devant la Loge
londonienne « Aux trois Compas », un discours qui fut imprimé
ensuite dans un document officiel, et où il reprenait non seulement
les idées de Long
Livers,
« mais jusqu’à des passages textuels, entre guillemets ».
Nous
signalons aussi trois points dont il n’est pas parlé dans
l’article de M. Luquet, et qui nous semblent avoir quelque
importance. D’abord, s’il est bien vrai que Long
Livers ne
fait aucunement mention des Rose-Croix, cet ouvrage n’en est pas
moins « signé » par eux, car dans une partie de la préface qui
précède celle que M. Luquet a traduite, il est parlé de certaines
personnes « dont le nom doit être rayé pour toujours du livre M ».
Il s’agit bien évidemment du « Livre M » des Rose-Croix, qu’on
a interprété par Liber
Mundi ou
même par Mutus
Liber,
et qui est le seul livre dans lequel ils consentent à lire, eux qui
n’écrivent point. Ensuite, il est fait mention de Long
Livers et
du « Frère » Eugenius Philalethes dans un ouvrage édité à
Londres en 1723 « à l’usage des Loges » et intitulé Ebrietatis
Enconium (« Éloge
de l’ivresse »).
Enfin, divers auteurs ont pensé qu’Eugenius Philalethes était un
certain Robert Samber, qui vivait dans l’entourage du duc de
Montagu, successeur de Désaguliers comme Grand-Maître des «
Modernes ».
*
*
*
Selon
Guénon, la doctrine professée par les Rose-Croix authentiques
relevait de l’« hermétisme chrétien » 7.
Or, il est remarquable que le grade maçonnique de Rose-Croix, qui se
retrouve dans presque tous les systèmes de hauts grades 8,
est spécifiquement hermétique et chrétien. C’est ainsi que le
signe de reconnaissance de ce degré fait visiblement allusion à
l’adage de la Table d’émeraude:
« Ce qui est en haut est comme ce qui est en bas, et ce qui est en
bas est comme ce qui est en haut. » Le caractère chrétien du grade
est marqué par le fait que le « signe d’ordre » est appelé «
Signe du Bon Pasteur », et que l’« âge » rituel des Frères est
de 33 ans. Le mot de passe est « Emmanuel », et le mot sacré, qui
ne se prononce pas, est constitué par quatre lettres « I.N.R.I. »,
dont la signification évidente est à la fois chrétienne (Jésus
Nazarenus Rex Judeorum)
et hermétique (Igne
Natura Renovatur Integra) 9
Venons-en
maintenant au mystère presque insondable qui entoure tout ce qui
concerne les Rose-Croix. Guénon a souligné le fait que la naissance
même de ce « Collège des Invisibles » dut être soigneusement
cachée afin d’éviter que se renouvelât le drame de 1314. C’est
en effet la raison immédiate et on pourrait presque dire «
historique » du secret qui concerne l’origine de la Rose-Croix et
aussi les différentes activités dont elle a pu être
l’inspiratrice. Luigi Valli, par des travaux remarquables, est
parvenu à déchiffrer le langage secret des initiés contemporains
de Dante, pour lesquels, par exemple, le mot « pleurer » signifiait
en réalité « dissimuler ». Cette dissimulation pouvait aller
d’ailleurs très loin puisque, dans le Roman
de la Rose,
un rôle pour ainsi dire bénéfique est attribué au personnage de
Faux-Semblant 10.
Mais
on doit rappeler que c’est là une raison purement contingente du
secret initiatique, secret qui tient avant tout à sa nature même,
qui le rend inexprimable dans le langage profane.
Il
est bien évident que lorsque la Maçonnerie a reçu en
héritage 11 le
« dépôt initiatique » de telle autre organisation qui
disparaissait alors comme telle, un secret absolu sur ce « transfert
» devait être gardé pour les deux raisons que nous venons
d’indiquer. Tout d’abord, une organisation ne disparaît, en
règle générale tout au moins, que si elle est en butte à une
hostilité extérieure, et cette hostilité pourrait se reporter sur
l’organisation héritière si cette dernière était connue 12.
Ensuite, une telle transformation correspond exactement à une mort
suivie d’une renaissance, c’est-à-dire à un changement d’état,
qui ne peut s’accomplir que dans l’obscurité.
*
*
*
Nous
voudrions maintenant attirer l’attention sur un point important.
Guénon souligne le fait que l’institution de la Rose-Croix fut le
résultat d’une entente des initiés chrétiens avec les initiés
musulmans. Cela est d’ailleurs tout naturel, puisque les Templiers
– la chose est bien connue – entretinrent des rapports suivis
avec certaines organisations islamiques 13.
Or, si la Rose-Croix se rattache à l’hermétisme chrétien, il
faut se rappeler qu’il y a aussi un hermétisme musulman, puisque,
selon Guénon, l’hermétisme est une science d’origine
égyptienne, revêtue d’une forme grecque, et qui fut transmise à
la fois au monde chrétien et au monde musulman, et en grande partie
au premier de ces deux mondes par l’intermédiaire du second 14.
L’hermétisme, comme la Maçonnerie, c’est l’« Art Royal »,
et il ne faut pas s’étonner des rapports de la Rose-Croix avec le
« Saint-Empire ». C’est à la fin de la guerre de trente ans, 333
ans après la ruine des Templiers 15,
que les Rose-Croix désertent l’Europe, où le Saint-Empire n’est
plus désormais qu’une « fiction diplomatique ». Au XVIIIe siècle
la création du « Conseil des Empereurs d’Orient et d’Occident »
prépare les voies à ce qui deviendra, lorsque Napoléon aura porté
le coup de grâce à l’Empire romain-germanique, les « Suprêmes
Conseils du Saint-Empire » dont le rituel porte les traces évidentes
d’une inspiration marquée du sceau de la plus haute
spiritualité 16.
*
*
*
Selon
Guénon, il y a une distinction essentielle à faire entre Rose-Croix
et Rosicruciens. Les premiers ont atteint un très haut degré de
réalisation spirituelle, ils n’écrivent pas et ils ont quitté
l’Occident au milieu du XVIIe siècle, c’est-à-dire peu
avant l’époque où la Maçonnerie opérative commençait à
devenir spéculative. Quant aux Rosicruciens, ils ont joué un rôle
beaucoup plus « agissant », et ils furent sans doute les « organes
» des véritables Rose-Croix, qui sont les authentiques «
Supérieurs Inconnus » ; et c’est pourquoi les tentatives faites
au XVIIIe siècle pour établir un contact avec ces derniers ont
lamentablement échoué, d’autant plus que la Stricte Observance,
qui fut à l’origine de ces tentatives, avait commis l’insigne et
presque sacrilège maladresse d’assigner comme but à son activité
la découverte du trésor des Templiers. Trésors « monétaires »
bien entendu, et les mânes de Philippe le Bel ont dû tressaillir de
jalousie s’il leur fût donné d’apprendre une telle nouvelle !
Mais c’est d’un trésor d’une bien autre « valeur », et aussi
d’une bien autre « signification », que les initiés qui veillent
sur la Maçonnerie lui ont permis de recueillir l’héritage. Au
moment où cette Maçonnerie était sur le point de perdre son
caractère opératif et de subir sa transformation « spéculative »,
et comme pour compenser en quelque mesure cette redoutable
dégénérescence, les nombreuses organisations initiatiques, et
surtout les organisations chevaleresques encore subsistantes,
allaient trouver au sein des Loges un refuge assuré et définitif.
*
*
*
Nous
rappelions plus haut que la doctrine ésotérique qui existait en
Occident avant l’apparition du Rosicrucianisme « présentait des
caractères qui permettent de la faire rentrer dans ce qu’on
appelle généralement l’hermétisme » 17.
Guénon poursuivait ainsi : « L’histoire de cette tradition
hermétique est intimement liée à celle des Ordres de Chevalerie et
(…) elle était conservée par des organisations initiatiques comme
celle de la Fede
Santa et
des Fidèles
d’Amour,
et aussi (de la)Massenie
du Saint Graal (…) ».
M.
Jean-Pierre Berger a examiné dans un long article 18 les
rapports entre deux organisations qui ont des liens directs avec la
Franc-Maçonnerie, à savoir les Fidèles d’Amour et les Templiers.
Comme toutes les études de cet auteur, cet article touche à des
questions de la plus la haute importance. M. Berger connaît très
bien l’œuvre de Guénon ; mais il a voulu faire des recherches
personnelles « afin, dit-il, de confirmer et de préciser l’adhésion
que l’on a pu donner à la parole d’un homme en qui il ne serait
malgré tout pas raisonnable d’avoir une “foiˮ aveugle, si digne
de confiance qu’il fût dans la quasi totalité des cas ». Il est
certain qu’une attitude « passive » n’est pas du tout indiquée
pour aborder une telle œuvre ; et personne n’a jamais réclamé
pour les vérités traditionnelles une « foi » aveugle. Guénon
disait un jour à Oswald Wirth : « En matière de métaphysique, on
comprend ou on ne comprend pas. » L’adhésion aux principes, qui
se traduit pratiquement par une certaine compréhension du symbolisme
(qui est « la langue de la métaphysique »), voilà, en définitive,
la principale condition requise pour retirer quelque fruit de la
lecture et surtout de l’étude de l’œuvre guénonienne, et il
est assez vain de se demander si son auteur a cru « sur parole »
telle ou telle des allégations d’Henri Martin, d’Aroux, de
Rossetti et même de Luigi Valli. L’extraordinaire « érudition »
de Guénon, les « matériaux » qu’il tirait de ses lectures dans
les cinq principales langues de l’Europe occidentale, tout cela
n’était pour lui que des occasions qu’il utilisait pour exposer
des idées de provenance toute différente. Nous avons connu des
guénoniens (ou qui se croyaient tels) qui se disaient « embarrassés
» en constatant que Guénon, dans Autorité
spirituelle,
diffère de Dante qui, dans son traité De
la Monarchie,
soutient l’indépendance des deux pouvoirs. De tels « embarras »
nous font penser à ces chrétiens qui sont troublés par les
contradictions entre certains livres de l’Ancien Testament et par
celles, encore plus nombreuses, entre les quatre Évangiles. Quoi
qu’il en soit, M. Berger, dans son étude, a voulu examiner de près
la question des rapports entre les Fidèles d’Amour et les
Templiers, « car, dit-il, il faut bien reconnaître que R. Guénon
ne fournit pas le moindre indice permettant de justifier ses
affirmations si nettes et si lourdes de conséquences » en ces
matières.
M.
Berger ne professe pas la moindre considération pour les travaux
d’Aroux et de D.-G. Rossetti. Nous le trouvons bien exigeant. Peu
importe ce qu’ont pu être ces deux personnages. Aroux (sincèrement
ou non) se donne pour une sorte de catholique « ultra-intégriste »,
ennemi juré du « vieil Alighieri » hérétique, révolutionnaire
et socialiste ! Rossetti, lui, joignait à la fougue d’un
conspirateur quarante-huitard le lyrisme d’un poète romantique et
d’un peintre préraphaélite. Ces deux auteurs si différents ont
pourtant rassemblé une masse considérable de faits, de citations,
d’allusions, dont ils ont donné des interprétations parfois
discutables, mais que rien n’empêche de « restituer » dans une
perspective traditionnelle. À ce titre, ils méritaient d’être
cités dans l’Ésotérisme
de Dante,
de préférence à tant d’éminents « dantologues » dont la
portée des travaux ne dépasse pas les domaines de la linguistique
et de la critique littéraire.
M.
Berger a lu les auteurs italiens cités par Guénon : Luigi Valli,
Ricolfi et Scarlata. Il a été déçu par le premier qui, dit-il, «
chausse trop aveuglément les bottes de Rossetti et d’Aroux ».
Mais comment M. Berger a-t-il donc lu Luigi Valli ? Il semble avoir
cherché dans cet auteur la mention de faits établissant d’une
manière indiscutable et pour ainsi dire « officielle » l’existence
de rapports entre Templiers et Fidèles d’Amour. Tel n’était pas
le but de Valli. Le titre de son ouvrage : Il
Linguaggio segreto di Dante e dei Fedeli d’Amore,
montre assez qu’il s’agit d’une étude sur le « jargon »
initiatique des Fidèles d’Amour. Cette étude a été menée avec
une habileté consommée. Le sens des principaux termes du langage
secret a été indubitablement établi par la comparaison d’une
multitude de pièces écrites par les auteurs, célèbres ou obscurs,
du dolce
stil novo.
C’est au moyen de ce langage éminemment symbolique qu’on doit
mener toute recherche relative aux Fidèles d’Amour. Or, dans ce
langage, deux termes ont une importance particulière : ce sont les
mots « dame » et « pleurer ». La dame symbolise entre autres
choses une organisation initiatique (Valli dit une « secte »). La
mort de la dame est la destruction de cette organisation. Et «
pleurer », terme qui revient constamment chez les Fidèles, signifie
prendre toutes dispositions nécessitées par cette destruction : une
de ces dispositions consistait à « simuler » la non-appartenance à
la « secte ». Les dangers en effet étaient considérables ; c’est
pourquoi il est inutile de chercher dans l’œuvre de Dante une
allusion explicite à son rattachement aux Templiers.
Dans
un article d’Archeologia 19,
M. le duc de Lévis-Mirepoix a écrit : « Un autre interrogatoire du
plus haut intérêt est celui de Florence, étudié à la
Bibliothèque du Vatican par Loiseleur. Il relate, d’après des
dépositions obtenues sans violences, les initiations mystérieuses
que le Temple aurait cachées. Elles ont plus ou moins de rapport
avec le catharisme, du fait que nombre de cathares, après la
catastrophe de leur secte, avait été introduits de gré ou de force
parmi les Templiers ». Il y avait donc à Florence une commanderie
de Templiers, et ces Templiers étaient réputés hérétiques,
puisque Albigeois. On sait comment ces derniers furent traités. Le
danger était mortel, pour Dante et pour ses amis, s’ils étaient
reconnus comme étant des leurs.
*
*
*
La
seconde partie de l’article parle surtout de l’œuvre d’André
le Chapelain, étudiée par Ricolfi. M. Berger voit dans la Champagne
une province privilégiée. Est-ce bien sûr ? En tout cas, quand il
nous dit qu’il y a filiation de saint Bernard à Ruysbroeck et de
Dante à Eckhart, la chose, en ce qui concerne les deux derniers
noms, est hautement improbable : en effet, l’œuvre de Dante est
tout imprégnée de symbolisme, et ce n’est assurément pas le cas
pour celle d’Eckhart.
À
propos du symbolisme de la « pluie » en Maçonnerie, l’auteur
évoque ce que dit saint Bernard sur un passage du Cantique
des Cantiques :
« Déjà l’hiver est passé, la pluie s’en est allée, les
fleurs sont apparues sur notre terre, le temps de tailler la vigne
est venu. » Ce rapprochement est intéressant. Mais à vrai dire,
nous pensons que l’expression : « Il pleut sur le Temple »,
employée lors de la collation des grades quand le candidat frappe «
irrégulièrement » à la porte, est due surtout au fait que le
Tableau de la Loge (et surtout le pavé mosaïque) est dit
représenter la « Terre sainte » (Holy
ground),
substitut du Paradis terrestre, et qu’il ne pleuvait pas dans le
jardin d’Éden.
Nous
en profiterons pour mentionner quelques points importants.
Le Cantique
des Cantiques,
épithalame des noces de Salomon avec la fille du roi d’Égypte, a
été l’objet d’une multitude de commentaires, tant juifs que
chrétiens. Parmi ces derniers, le plus remarquable est certainement
celui de saint Grégoire de Nysse. Ce « Père cappadocien » a
intégré dans sa théologie non seulement certaines perspectives des
philosophes néo-platoniciens, mais encore les thèses « orthodoxes
» de Clément d’Alexandrie et d’Origène, dont on sait qu’ils
ont exprimé en partie l’ésotérisme chrétien primitif. On trouve
chez Grégoire de Nysse des notions sur la position centrale de
l’être humain, sur le véritable sens des « tuniques de peau »,
sur la « transfiguration » du Cosmos opérable par l’homme, sur
la non-éternité du mal, sur le sens supérieur des ténèbres, etc.
La pensée de Grégoire n’a jamais été oubliée en Orient. Mais
en Occident ce Père n’a été traduit en latin que par le
bienheureux Guillaume de Saint-Thierry, disciple et biographe de
saint Bernard. Bernard et Guillaume ont d’ailleurs écrit des
commentaires sur le Cantique,
où l’on retrouve comme un écho de Grégoire de Nysse. Nous ne
voudrions pas tirer de ces rapprochements plus qu’ils ne peuvent
donner. Mais n’est-il pas au moins curieux que le plus
métaphysicien des Père grecs (et peut-être de tous les Pères de
l’Église) ait été mis à la portée de la chrétienté
occidentale par un religieux de l’entourage immédiat de saint
Bernard, rédacteur de la Règle de ces Templiers qui (selon des
auteurs aussi peu suspects de sympathie pour l’ésotérisme que
René Grousset et le duc de Lévis-Mirepoix) furent en rapport, en
Orient, non seulement avec les « sectes » de l’islam, mais aussi
avec celles de la chrétienté byzantine ?
Dans
les articles que M. Jean-Pierre Berger a publiés, nous avons
toujours remarqué qu’après avoir passé au crible d’une
critique assez souvent mal fondée certaines des thèses de René
Guénon, il terminait en apportant à ces mêmes thèses une
éclatante « justification ». Il n’y a pas manqué dans l’article
que nous venons de commenter longuement, et il a eu la bonne idée de
traduire pour ses lecteurs une page capitale de Luigi Valli, où cet
auteur expose le seul fait qui puisse être avancé en faveur d’une
filiation entre Templiers et Fidèles d’Amour. Cette preuve est
tirée de Boccace. Nous ne résistons pas au plaisir d’en
reproduire l’essentiel. C’est Valli qui parle d’abord, et qui
cite ensuite Boccace : « Enfin, un argument, selon moi d’une
portée considérable, puisqu’il ne s’agit pas ici de retrouver
seulement un Dante templier, mais de mettre en évidence les liens
cachés de tout ce mouvement (des Fidèles d’Amour) avec les
Templiers, est constitué par l’apologie chaude, passionnée et
d’une grande noblesse que fait des Templiers Jean Boccace au livre
IX (les livres sont – par hasard – au nombre de neuf) de ses Vies
des Hommes illustres.
Après avoir exalté la pureté, la noblesse et la pauvreté
originelles des Templiers (…), après avoir narré en particulier
les vicissitudes du Grand Maître Jacques de Molay qui se dit digne
de mourir non pour avoir commis des crimes, mais pour s’être
laissé arracher par la torture de faux aveux (…), après avoir
donné le témoignage de son père Boccace, présent lors des
supplices, il fait certaines “considérations sur la constanceˮ,
où il trouve une manière très habile d’appeler à plusieurs
reprises les Templiers “les nôtresˮ (…). » Il dit : « De
nombreux anciens (…), par les enseignements de la divine
philosophie ou bien pour acquérir la gloire (…), furent conduits à
d’horribles tourments. Les
nôtres firent
autrement (…). Que diraient alors ceux qui s’émerveillent de la
patience des anciens sous les supplices s’ils avaient vu
l’endurance considérable des nôtres ?
Ils n’auraient vraiment plus lieu de s’étonner. »
Après
avoir reproduit ces textes de Valli et de Boccace, M. Jean-Pierre
Berger ajoute : « On peut s’étonner que Boccace (né sans doute à
Paris vers 1313 et mort en l375) parle des Templiers en utilisant les
mots “les nôtresˮ, alors que de son vivant l’Ordre des
Templiers n’existait en fait plus. Il faudrait donc supposer que ce
qualificatif vise la fraternité des Fidèles d’Amour dont il fit
certainement partie. » M. Jean-Pierre Berger a bien fait de rappeler
que le père de Boccace, comme Dante probablement, étaient à Paris
lors du drame de 1314. Quant à savoir si les Templiers n’existaient
plus en 1375… Disons, comme Boccace lui-même (à propos d’un
autre sujet) dans le 3econte du Décaméron,
que « la question est pendante, et peut-être le demeurera-t-elle
longtemps encore ».
Denys
Roman
- Ces dates sont intéressantes. 1638, c’est trois ans après le début de la « période française » de la guerre de Trente ans, période qui devait voir la défaite irréparable du Saint-Empire, à la suite de quoi les Rose-Croix quittèrent l’Europe pour l’Asie. Quant à 1730, c’est 13 ans après la fondation de la Grande Loge des « Modernes ».
- Notamment le Théosophisme. Au chapitre IV, il mentionne que, dans une organisation rosicrucienne du XVIIIe siècle et donc assez tardive, la « Rose-Croix d’Or », il est encore prescrit que « chaque Frère changera ses noms et prénoms après avoir été reçu, et fera de même chaque fois qu’il changera de pays ». Sur Eugenius Philalethes, voir le même ouvrage, pp. 55-56.
- Au Rite Écossais, la dénomination complète de ce grade est la suivante : « Chevalier de l’Aigle et du Pélican, Souverain Prince Rose-Croix ».
- Les éléments chrétiens sont encore accentués dans l’« agape » du 18e degré, où la table doit avoir la forme d’une croix grecque et prend le nom d’« autel », les verres étant désignés sous celui de « calice », – et surtout dans la « cène mystique des Rose-Croix », qui se célèbre le jeudi saint. Les initiales I.N.R.I. sont encore interprétées d’une troisième façon dans les « questions d’ordre » du grade. Voici ces quatre questions : « D’où venez-vous ? De Jérusalem. – Où allez-vous ? À Nazareth. – Quel est votre guide ? L’Archange Raphaël. – De quelle tribu êtes-vous ? De Juda. » Les deux premières réponses ont évidemment un caractère chrétien prononcé. La troisième comporte un sens hermétique, car Raphaël (« Remède de Dieu ») fait allusion à l’élixir de longue vie, c’est-à-dire à la « vraie médecine » (la veram medicinam de l’acrosticheVitriolum). Quant à Juda, c’était la tribu royale des Juifs.
- Les deux personnages évangéliques qui jouent un rôle dans les légendes de la Table ronde et du Saint Graal sont Joseph d’Arimathie et Nicodème qui, dans l’Écriture, sont dits avoir été « disciples de Jésus, mais en secret, par crainte des Juifs ». C’est évidemment cette mention de secret – bien que, dans le contexte scripturaire, on ne puisse pas dire qu’elle soit précisément élogieuse – qui a fait choisir les deux disciples comme dépositaires de secrets ésotériques. Et c’est pour la même raison que plusieurs des amours symboliques des chevaliers du Graal sont des amours secrètes et parfois coupables. L’exemple le plus typique est l’amour de Lancelot du Lac pour la reine Guenièvre, amour dont le caractère secret fut même conservé, lors de l’épisode de l’« Ordalie », par l’artifice d’un mensonge particulièrement grave, ce qui justifie d’ailleurs les dures expiations dans lesquelles les deux héros terminèrent leurs jours. II va sans dire que prendre ces formes un peu particulières du symbolisme, ainsi que celles, très analogue, qu’on trouve chez Boccace et chez Rabelais, pour des éloges véritables de l’ivrognerie, du mensonge et de l’adultère serait tout simplement se montrer incapable de « rompre l’os et sucer la substantifique moëlle ».
- Dans certains rituels, les Frères du 18ème degré sont appelés « Souverains Princes d’Hérédom », et ici le mot Hérédom fait allusion non pas aux Harodim de la Maçonnerie opérative, mais à l’héritage (heirdom en anglais) et en particulier à l’héritage des Templiers.
- C’est en particulier pourquoi l’héritage des Templiers est entouré d’une telle obscurité.
- Alors que les rapports des Templiers avec les musulmans n’ont jamais été mis en doute, n’est-il pas étrange qu’on ne parle à peu près jamais de relations qu’ils auraient pu avoir avec les chrétiens des Églises « byzantines », alors pourtant que l’empereur de Constantinople était, au moins nominalement, le suzerain des États fondés par les Croisés ?
- Cf. Aperçus sur l’Initiation, chap. XLI. Les liens entre l’hermétisme chrétien et l’hermétisme islamique sont symbolisés par une « anecdote » célèbre dans l’histoire de Charlemagne. Ce fondateur du Saint-Empire reçut en effet, aussitôt après son sacre, une ambassade d’Haroun al-Rachid, calife abbasside de Bagdad, qui apportait au souverain franc les « clés du Saint-Sépulcre ». On sait que le « pouvoir des clés » est une notion spécifiquement hermétique.
- Sur ce nombre 333, cf. Formes traditionnelles et Cycles cosmiques, p. l68. Il est, comme 666, en rapport (bénéfique ou maléfique) avec la figure de César, premier fondateur de l’Empire romain. Il y aurait bien des choses à dire sur le nombre 111 et ses différents multiples. LaPrédiction des Papes attribuée à saint Malachie, qui est, avec les Centuries de Nostradamus, la seule prédiction non scripturaire à laquelle Guénon ait accordé quelque importance, est une liste de 111 devises. À propos des Centuries, il est assez divertissant de voir les tentatives actuelles pour les interpréter. Car si l’on excepte un très petit nombre de coïncidences très frappantes comme celle relative à la mort de Henri II et les cinq ou six strophes où Napoléon est évidemment visé, peut-être tout le reste n’est-il que pur « remplissage ». Dans ce cas Michel de Notre-Dame a dû bien s’amuser en prévoyant les pénibles efforts de ses futurs commentateurs, lui qui n’avait peut-être en vue que d’attirer l’attention sur les deux dates qu’il a écrites « en clair » : la date en prose et la date en vers. Quant à la « prédiction des papes », des recherches toutes récentes semblent bien prouver qu’elle remonte à l’époque même de saint Malachie. Sur ce dernier, il n’est pas inutile de donner quelques détails. C’était un moine cistercien, ami intime de saint Bernard, et qui fut élevé à l’archevêché d’Armagh en Irlande. Se rendant à Rome, il passa par Clairvaux où il mourut dans les bras de saint Bernard. Il fut enseveli dans le cimetière de l’abbaye, où Bernard par la suite vint le rejoindre. À la Révolution, les sépultures des deux saints furent violées, et leurs ossements furent mélangés. Aujourd’hui encore, les reliques du législateur des Templiers et celles de l’auteur sous le patronage duquel on a placé la prédiction aux 111 devises sont vénérées conjointement dans une église de Troyes. Rappelons enfin que Guénon reconnaissait que l’affaire des Templiers n’était pas étrangère à la prédiction dite de saint Malachie.
- Michel Vâlsan, dans les Études Traditionnelles de juin, juillet-août et septembre 1953 et sous le titre Les derniers hauts grades de l’Écossisme et la réalisation descendante, a donné un remarquable article sur certains symboles de ce grade qui ont un évident rapport avec la Tradition primordiale.
- Cf. le chapitre du présent ouvrage intitulé : « Le Temple, Ordre initiatique chrétien » [René Guénon et les Destins de la Franc-Maçonnerie, chapitre II
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