samedi 2 avril 2016

Denys Roman - « Du Temple à la Maçonnerie par l’Hermétisme chrétien »


                 Avec l'aimable autorisation du site   denysroman.fr/


2009 : La Lettera G / La Lettre GN° 10

 Denys Roman : « Du Temple à la Maçonnerie par l’Hermétisme chrétien »*

Il est reconnu que Denys Roman retenait l’œuvre de René Guénon comme référence authentiquement traditionnelle, et nos lecteurs n’ignorent pas non plus l’intérêt privilégié que ce dernier accordait à l’Ordre maçonnique et en particulier à l’Hermétisme, parce qu’il considérait que la science d’Hermès présente avec l’Art Royal une affinité de nature.   Dans certaines de leurs opérations, les deux voies maçonnique et hermétique n’ont, en apparence, que peu de points communs : nous disons en apparence car si, par exemple, l’alchimie qui est une des applications de l’Hermétisme fait principalement appel aux matériaux que sont les “métaux” (qui ne sont pas inconnus en Maçonnerie), l’Art Royal, quant à lui, se réfère surtout à la “pierre”, matériau fondamental des Bâtisseurs. Il n’en est pas moins vrai qu’il s’agit, dans les deux cas, d’un support tiré du règne minéral, support indispensable pour permettre la restauration de ce règne par l’exercice conforme – c’est-à-dire “juste et parfait”– du Métier pour le Maçon, et de la “transmutation” pour ceux qui mettent en œuvre la “sublimation” des métaux ; dans les deux cas il est question d’une “restauration”, d’une “réhabilitation” de la Nature par le matériau brut mené à une perfection correspondant à son ordre ; ceci par analogie avec la démarche de restauration primordiale de l’être humain qui en est également l’opérateur selon la Volonté du Ciel. On notera à ce propos et pour en terminer avec cette digression un peu technique, que le symbolisme de la pierre est commun aux deux démarches et qu’il se retrouve très explicitement et de façon synthétique dans la formule énigmatique VITRIOL (ou dans un sens plus étendu : Vitriolum) qui apparaît dans le Cabinet de réflexion en usage dans certains Rites maçonniques.

  Cela dit, si l’on retient exclusivement les faits en eux-mêmes, on ne peut – et ne pourra sans doute jamais – avoir de certitude en ce qui concerne la plupart des courants ésotériques évoqués par l’auteur, qui se réfère aux travaux de Luigi Valli et à ceux de Guénon contenus dans plusieurs chapitres de ses Aperçus sur l’ésotérisme chrétien. Pour ce domaine particulier et a fortiori dans la période considérée, la documentation se réduit surtout à des formules symboliques discrètes : seul le rapprochement de quelques textes, l’examen attentif du “jargon” utilisé, comme le relève Denys Roman, permettent de reconnaître et de suivre de probables filiations, ou des appartenances supposées. En fait, si aujourd’hui chacun bénéficie d’une libre parole – ce qui n’est pas forcément mieux dans certains cas – les conséquences de la destruction (dans les conditions de brutalité que l’on sait) de l’Ordre du Temple par les forces conjointes du temporel et du spirituel imposaient la plus extrême prudence dans l’expression et les comportements. On conçoit dès lors que la preuve documentaire fasse pratiquement défaut et qu’il faille recourir à d’autres méthodes.

  Lorsque, dans son article sur “Euclide élève d’Abraham”1, Denys Roman examine les héritages échus à l’Ordre maçonnique, dont certains antérieurs au christianisme, il prend principalement pour base de sa réflexion les légendes maçonniques qu’il qualifie, comme R. Guénon, d’histoire traditionnelle. Dans le texte que nous présentons aujourd’hui, “Du Temple à la Franc-Maçonnerie par l’Hermétisme chrétien”, il s’appuie sur quelques faits et événements historiques non négligeables ; il met l’accent sur le cheminement emprunté par des courants ésotériques, plus précisément initiatiques : ce sont notamment ceux que l’on qualifie de rosicruciens du fait de leurs liens de nature avec les “Rose-Croix” (qui ne formèrent – et ne forment – jamais d’organisation proprement dite) et avec l’Ordre du Temple. Denys Roman se révèle ainsi fidèle à ce qu’affirmait René Guénon lorsqu’il disait que c’est par le canal du Templarisme que le Rosicrucianisme (de même qu’une certaine chevalerie) devait aboutir au sein de la Maçonnerie sous forme de dépôt symbolique chrétien. On en trouve d’ailleurs un écho très suggestif dans les divers textes présentés dans cette revue par Franco Peregrino sur les Templiers. Cela ne veut pas dire que l’Hermétisme, dans certaines de ses expressions, ait trouvé refuge dans la Maçonnerie quelques siècles plus tard, précisément au cours des XVIIe et XVIIIe siècles, sous forme d’un “emprunt” tardif comme certains faits peuvent le laisser penser : en effet, cette vision superficielle est infirmée par des “indices” qu’il convient d’examiner attentivement ; l’un de ceux qui firent l’objet de développements de la part de D. Roman est abordé dans son texte sur Euclide évoqué ci-dessus et inspiré de l’histoire traditionnelle véhiculée par différents Old Charges dont le Dowland manuscript, le Regius, le Cooke et d’autres, qui sont de rares témoins connus de la Maçonnerie opérative en Angleterre ayant échappé à l’autodafé d’Anderson en 1730. Il s’agit en l’occurrence de la légende qui fait état de la filiation de l’Hermétisme en provenance d’Égypte, par le canal de la Grèce et de l’Islam. Un autre témoignage de la présence et de l’influence de l’Hermétisme au Moyen Âge peut être constaté par tous : il apparaît dans l’iconographie des monuments religieux ou civils de cette époque jusqu’à la Renaissance comprise. Quant à la production “littéraire” alchimique considérable des XVIIe et XVIIIe siècles, qui témoigne d’une volonté d’extériorisation due à une partielle dégénérescence, voire une extinction dans certains cas, elle est trop connue pour que nous y insistions, sauf pour lui reconnaître une évidente antériorité qui remonte bien au-delà de ces siècles.

  Nous voudrions terminer ces quelques propos par l’évocation d’un aspect lié à l’existence secrète des “Fidèles d’Amour” et d’autres comme la “Fede santa” ou la “Massenie du Saint Graal”. Si leur caractère secret relevait d’une précaution élémentaire face aux dangers générés par les influences qui provoqueront la destruction de l’Ordre du Temple et se poursuivront par ailleurs, il faut surtout en rechercher les causes profondes dans la nature initiatique de la démarche elle-même qui ne peut se manifester qu’à “couvert”. Cette démarche n’inspirera d’ailleurs qu’une certaine “littérature” et les arts dits “mineurs”, qui, en réalité, ne le sont pas ; l’influence du noyau ne franchira guère l’écorce, sans doute parce que les temps n’étaient plus propices à l’épanouissement de la “Rose”. Héritiers fidèles d’une chevalerie qui déclinait rapidement en privilégiant la Force en tant que vertu, ils virent l’expression de leur dignité et de leur ferveur s’évanouir peu à peu sous l’influence des temps modernes destructeurs de toute véritable spiritualité. Mais la “vocation” des “Fidèles d’Amour” était-elle, comme celle des Templiers, orientée vers l’établissement du Saint Empire sur cette terre alors que la démarche peut y conduire individuellement ? Nous avons au moins une certitude : l’Ordre maçonnique a recueilli le précieux héritage du Saint Empire plus tard, au moment où sa “représentation temporelle” disparaissait ; et les symboles véhiculés dans certains rituels maçonniques sont l’expression de sa présence toujours agissante jusqu’à ce que vienne “l’heure de la puissance des ténèbres”.

  Qu’attendons-nous alors, comme nous y conduit Denys Roman, pour nous placer sous la protection vivifiante de la “Vérité d’Amour” ?

André Bachelet

NOTES :

* Chapitre III de l’ouvrage René Guénon et les Destins de la Franc-Maçonnerie, Éditions Traditionnelles, 1995.
  1. Chapitre XII, ibid.


DU TEMPLE À LA FRANC-MAÇONNERIE PAR L’HERMÉTISME CHRETIEN

  Guénon a écrit que les liens qui rattachent la Franc-Maçonnerie aux organisations préexistantes sont d’une extrême complexité 1. En plus des « héritages » pythagoricien et templier, qui sont le plus fréquemment attribués à l’Ordre maçonnique, il en est un autre qu’il revendique également : celui des Rose-Croix. La réalité de cet héritage a fait l’objet, on le pense bien, de multiples contestations. Et pourtant, si l’héritage templier a pu passer à la Maçonnerie, ce dut bien être aussi par l’intermédiaire du Rosicrucianisme authentique, puisque, selon René Guénon, « après la destruction de l’Ordre du Temple, les initiés à l’ésotérisme chrétien se réorganisèrent, d’accord avec les initiés à l’ésotérisme islamique pour maintenir, dans la mesure du possible, le lien qui avait été apparemment rompu par cette destruction ; mais cette réorganisation dut se faire d’une façon plus cachée, invisible en quelque sorte, et sans prendre son appui dans une institution connue extérieurement et qui, comme telle, aurait pu être détruite une fois encore » 2.

    Dans un article déjà ancien 3, un des meilleurs historiens actuels de la Maçonnerie, M. G.-H. Luquet, avait abordé cette question en analysant les divers textes sur lesquels on a tenté de s’appuyer pour prouver que les Rosicruciens ont joué un rôle lors du passage de la Maçonnerie opérative à la Maçonnerie spéculative. Ce sont divers poèmes, opuscules, lettres et articles de journaux qui s’échelonnent de 1638 à 1730 4.

  S’il semble bien, comme le dit M. Luquet, que chacun de ces écrits pris à part ne prouve pas grand-chose, il est tout de même étrange de voir, dans six des neuf textes analysés, le nom des Francs-Maçons rapproché de celui des Rose-Croix et, dans un septième texte, de celui des Kabbalistes. Ce faisceau de coïncidences est digne d’examen, si l’on songe à l’habitude de certains Rosicruciens de procéder par allusions, d’attirer l’attention pour la détourner ensuite, de jeter eux-mêmes le discrédit sur leurs propres ouvrages.

  Le huitième des neuf textes étudiés, que M. Luquet analyse longuement, est intitulé Long Livers (ce qu’on pourrait traduire par « Ceux qui sont doués de longévité »), publié à Londres en 1723, sous le nom d’Eugenius  Philalethes junior. C’est la traduction d’un traité hermétique d’Arnauld de Villeneuve, traduction dédiée « aux Grand-Maître, Maîtres, Surveillants et Frères de la très ancienne et très honorable Fraternité des Francs-Maçons de Grande-Bretagne et d’Irlande ». Sur l’identité de l’auteur de cet ouvrage, du reste fort intéressant, voici ce que nous dit M. Luquet : « En s’appelant Eugénius Philalethes le jeune, il a tout l’air de vouloir se placer sous le patronage d’un Eugénius Philalethes plus ancien. En fait, des livres imprimés de 1650 à 1657 étaient signés Eugénius Philalethes. Son vrai nom fut Thomas Vaughan. Mais la question se complique. Des ouvrages du même genre que ceux d’Eugénius Philalethes ont été publiés à Amsterdam et à Londres de 1664 à 1678 par un certain Eirenæus Philalethes, “Anglais de naissance et cosmopolite de résidenceˮ, qu’on n’est pas parvenu à identifier. Divers auteurs ont confondu ces deux Philalethes, et ils sont d’autant plus excusables qu’à ce qu’on dit, Eirenæus lui-même aurait pris pour un de ses ouvrages le prénom d’Eugénius. Il n’y aurait donc rien de surprenant à ce qu’Eugénius Philalethes le jeune ait commis la même confusion, et, bien que ne plaçant sous le signe d’Eugénius, se soit inspiré à la fois d’Eugénius et d’Eirenæus. » En somme, tout a été fait, et même très bien fait, pour « brouiller les pistes », et l’on ne s’y retrouve guère. Ceux qui voudront d’autres renseignements sur les deux (ou sur les trois) Philalethes, « jeunes » ou non, et qui apparurent çà et là sous les noms de Georges Starkey, Dr Zheil, Childe, Carnobius, pourront consulter certains ouvrages de René Guénon 5 et de Sédir 6

  Quoi qu’il en soit, Long Livers dut avoir un certain retentissement dans le monde maçonnique d’alors, car M. Luquet nous apprend que cinq ans plus tard, un haut dignitaire de la Maçonnerie galloise, Edward Oakley, fit, devant la Loge londonienne « Aux trois Compas », un discours qui fut imprimé ensuite dans un document officiel, et où il reprenait non seulement les idées de Long Livers, « mais jusqu’à des passages textuels, entre guillemets ».

  Nous signalons aussi trois points dont il n’est pas parlé dans l’article de M. Luquet, et qui nous semblent avoir quelque importance. D’abord, s’il est bien vrai que Long Livers ne fait aucunement mention des Rose-Croix, cet ouvrage n’en est pas moins « signé » par eux, car dans une partie de la préface qui précède celle que M. Luquet a traduite, il est parlé de certaines personnes « dont le nom doit être rayé pour toujours du livre M ». Il s’agit bien évidemment du « Livre M » des Rose-Croix, qu’on a interprété par Liber Mundi ou même par Mutus Liber, et qui est le seul livre dans lequel ils consentent à lire, eux qui n’écrivent point. Ensuite, il est fait mention de Long Livers et du « Frère » Eugenius Philalethes dans un ouvrage édité à Londres en 1723 « à l’usage des Loges » et intitulé Ebrietatis Enconium (« Éloge de l’ivresse »). Enfin, divers auteurs ont pensé qu’Eugenius Philalethes était un certain Robert Samber, qui vivait dans l’entourage du duc de Montagu, successeur de Désaguliers comme Grand-Maître des « Modernes ».

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Selon Guénon, la doctrine professée par les Rose-Croix authentiques relevait de l’« hermétisme chrétien » 7. Or, il est remarquable que le grade maçonnique de Rose-Croix, qui se retrouve dans presque tous les systèmes de hauts grades 8, est spécifiquement hermétique et chrétien. C’est ainsi que le signe de reconnaissance de ce degré fait visiblement allusion à l’adage de la Table d’émeraude: « Ce qui est en haut est comme ce qui est en bas, et ce qui est en bas est comme ce qui est en haut. » Le caractère chrétien du grade est marqué par le fait que le « signe d’ordre » est appelé « Signe du Bon Pasteur », et que l’« âge » rituel des Frères est de 33 ans. Le mot de passe est « Emmanuel », et le mot sacré, qui ne se prononce pas, est constitué par quatre lettres « I.N.R.I. », dont la signification évidente est à la fois chrétienne (Jésus Nazarenus Rex Judeorum) et hermétique (Igne Natura Renovatur Integra9
  
Venons-en maintenant au mystère presque insondable qui entoure tout ce qui concerne les Rose-Croix. Guénon a souligné le fait que la naissance même de ce « Collège des Invisibles » dut être soigneusement cachée afin d’éviter que se renouvelât le drame de 1314. C’est en effet la raison immédiate et on pourrait presque dire « historique » du secret qui concerne l’origine de la Rose-Croix et aussi les différentes activités dont elle a pu être l’inspiratrice. Luigi Valli, par des travaux remarquables, est parvenu à déchiffrer le langage secret des initiés contemporains de Dante, pour lesquels, par exemple, le mot « pleurer » signifiait en réalité « dissimuler ». Cette dissimulation pouvait aller d’ailleurs très loin puisque, dans le Roman de la Rose, un rôle pour ainsi dire bénéfique est attribué au personnage de Faux-Semblant 10.

  Mais on doit rappeler que c’est là une raison purement contingente du secret initiatique, secret qui tient avant tout à sa nature même, qui le rend inexprimable dans le langage profane.

  Il est bien évident que lorsque la Maçonnerie a reçu en héritage 11 le « dépôt initiatique » de telle autre organisation qui disparaissait alors comme telle, un secret absolu sur ce « transfert » devait être gardé pour les deux raisons que nous venons d’indiquer. Tout d’abord, une organisation ne disparaît, en règle générale tout au moins, que si elle est en butte à une hostilité extérieure, et cette hostilité pourrait se reporter sur l’organisation héritière si cette dernière était connue 12. Ensuite, une telle transformation correspond exactement à une mort suivie d’une renaissance, c’est-à-dire à un changement d’état, qui ne peut s’accomplir que dans l’obscurité.

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  Nous voudrions maintenant attirer l’attention sur un point important. Guénon souligne le fait que l’institution de la Rose-Croix fut le résultat d’une entente des initiés chrétiens avec les initiés musulmans. Cela est d’ailleurs tout naturel, puisque les Templiers – la chose est bien connue – entretinrent des rapports suivis avec certaines organisations islamiques 13. Or, si la Rose-Croix se rattache à l’hermétisme chrétien, il faut se rappeler qu’il y a aussi un hermétisme musulman, puisque, selon Guénon, l’hermétisme est une science d’origine égyptienne, revêtue d’une forme grecque, et qui fut transmise à la fois au monde chrétien et au monde musulman, et en grande partie au premier de ces deux mondes par l’intermédiaire du second 14. L’hermétisme, comme la Maçonnerie, c’est l’« Art Royal », et il ne faut pas s’étonner des rapports de la Rose-Croix avec le « Saint-Empire ». C’est à la fin de la guerre de trente ans, 333 ans après la ruine des Templiers 15, que les Rose-Croix désertent l’Europe, où le Saint-Empire n’est plus désormais qu’une « fiction diplomatique ». Au XVIIIe siècle la création du « Conseil des Empereurs d’Orient et d’Occident » prépare les voies à ce qui deviendra, lorsque Napoléon aura porté le coup de grâce à l’Empire romain-germanique, les « Suprêmes Conseils du Saint-Empire » dont le rituel porte les traces évidentes d’une inspiration marquée du sceau de la plus haute spiritualité 16.

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Selon Guénon, il y a une distinction essentielle à faire entre Rose-Croix et Rosicruciens. Les premiers ont atteint un très haut degré de réalisation spirituelle, ils n’écrivent pas et ils ont quitté l’Occident au milieu du XVIIe siècle, c’est-à-dire peu avant l’époque où la Maçonnerie opérative commençait à devenir spéculative. Quant aux Rosicruciens, ils ont joué un rôle beaucoup plus « agissant », et ils furent sans doute les « organes » des véritables Rose-Croix, qui sont les authentiques « Supérieurs Inconnus » ; et c’est pourquoi les tentatives faites au XVIIIe siècle pour établir un contact avec ces derniers ont lamentablement échoué, d’autant plus que la Stricte Observance, qui fut à l’origine de ces tentatives, avait commis l’insigne et presque sacrilège maladresse d’assigner comme but à son activité la découverte du trésor des Templiers. Trésors « monétaires » bien entendu, et les mânes de Philippe le Bel ont dû tressaillir de jalousie s’il leur fût donné d’apprendre une telle nouvelle ! Mais c’est d’un trésor d’une bien autre « valeur », et aussi d’une bien autre « signification », que les initiés qui veillent sur la Maçonnerie lui ont permis de recueillir l’héritage. Au moment où cette Maçonnerie était sur le point de perdre son caractère opératif et de subir sa transformation « spéculative », et comme pour compenser en quelque mesure cette redoutable dégénérescence, les nombreuses organisations initiatiques, et surtout les organisations chevaleresques encore subsistantes, allaient trouver au sein des Loges un refuge assuré et définitif.

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Nous rappelions plus haut que la doctrine ésotérique qui existait en Occident avant l’apparition du Rosicrucianisme « présentait des caractères qui permettent de la faire rentrer dans ce qu’on appelle généralement l’hermétisme » 17. Guénon poursuivait ainsi : « L’histoire de cette tradition hermétique est intimement liée à celle des Ordres de Chevalerie et (…) elle était conservée par des organisations initiatiques comme celle de la Fede Santa et des Fidèles d’Amour, et  aussi (de la)Massenie du Saint Graal (…) ».

  M. Jean-Pierre Berger a examiné dans un long article 18 les rapports entre deux organisations qui ont des liens directs avec la Franc-Maçonnerie, à savoir les Fidèles d’Amour et les Templiers. Comme toutes les études de cet auteur, cet article touche à des questions de la plus la haute importance. M. Berger connaît très bien l’œuvre de Guénon ; mais il a voulu faire des recherches personnelles « afin, dit-il, de confirmer et de préciser l’adhésion que l’on a pu donner à la parole d’un homme en qui il ne serait malgré tout pas raisonnable d’avoir une “foiˮ aveugle, si digne de confiance qu’il fût dans la quasi totalité des cas ». Il est certain qu’une attitude « passive » n’est pas du tout indiquée pour aborder une telle œuvre ; et personne n’a jamais réclamé pour les vérités traditionnelles une « foi » aveugle. Guénon disait un jour à Oswald Wirth : « En matière de métaphysique, on comprend ou on ne comprend pas. » L’adhésion aux principes, qui se traduit pratiquement par une certaine compréhension du symbolisme (qui est « la langue de la métaphysique »), voilà, en définitive, la principale condition requise pour retirer quelque fruit de la lecture et surtout de l’étude de l’œuvre guénonienne, et il est assez vain de se demander si son auteur a cru « sur parole » telle ou telle des allégations d’Henri Martin, d’Aroux, de Rossetti et même de Luigi Valli. L’extraordinaire « érudition » de Guénon, les « matériaux » qu’il tirait de ses lectures dans les cinq principales langues de l’Europe occidentale, tout cela n’était pour lui que des occasions qu’il utilisait pour exposer des idées de provenance toute différente. Nous avons connu des guénoniens (ou qui se croyaient tels) qui se disaient « embarrassés » en constatant que Guénon, dans Autorité spirituelle, diffère de Dante qui, dans son traité De la Monarchie, soutient l’indépendance des deux pouvoirs. De tels « embarras » nous font penser à ces chrétiens qui sont troublés par les contradictions entre certains livres de l’Ancien Testament et par celles, encore plus nombreuses, entre les quatre Évangiles. Quoi qu’il en soit, M. Berger, dans son étude, a voulu examiner de près la question des rapports entre les Fidèles d’Amour et les Templiers, « car, dit-il, il faut bien reconnaître que R. Guénon ne fournit pas le moindre indice permettant de justifier ses affirmations si nettes et si lourdes de conséquences » en ces matières.

  M. Berger ne professe pas la moindre considération pour les travaux d’Aroux et de D.-G. Rossetti. Nous le trouvons bien exigeant. Peu importe ce qu’ont pu être ces deux personnages. Aroux (sincèrement ou non) se donne pour une sorte de catholique « ultra-intégriste », ennemi juré du « vieil Alighieri » hérétique, révolutionnaire et socialiste ! Rossetti, lui, joignait à la fougue d’un conspirateur quarante-huitard le lyrisme d’un poète romantique et d’un peintre préraphaélite. Ces deux auteurs si différents ont pourtant rassemblé une masse considérable de faits, de citations, d’allusions, dont ils ont donné des interprétations parfois discutables, mais que rien n’empêche de « restituer » dans une perspective traditionnelle. À ce titre, ils méritaient d’être cités dans l’Ésotérisme de Dante, de préférence à tant d’éminents « dantologues » dont la portée des travaux ne dépasse pas les domaines de la linguistique et de la critique littéraire.

  M. Berger a lu les auteurs italiens cités par Guénon : Luigi Valli, Ricolfi et Scarlata. Il a été déçu par le premier qui, dit-il, « chausse trop aveuglément les bottes de Rossetti et d’Aroux ». Mais comment M. Berger a-t-il donc lu Luigi Valli ? Il semble avoir cherché dans cet auteur la mention de faits établissant d’une manière indiscutable et pour ainsi dire « officielle » l’existence de rapports entre Templiers et Fidèles d’Amour. Tel n’était pas le but de Valli. Le titre de son ouvrage : Il Linguaggio segreto di Dante e dei Fedeli d’Amore, montre assez qu’il s’agit d’une étude sur le « jargon » initiatique des Fidèles d’Amour. Cette étude a été menée avec une habileté consommée. Le sens des principaux termes du langage secret a été indubitablement établi par la comparaison d’une multitude de pièces écrites par les auteurs, célèbres ou obscurs, du dolce stil novo. C’est au moyen de ce langage éminemment symbolique qu’on doit mener toute recherche relative aux Fidèles d’Amour. Or, dans ce langage, deux termes ont une importance particulière : ce sont les mots « dame » et « pleurer ». La dame symbolise entre autres choses une organisation initiatique (Valli dit une « secte »). La mort de la dame est la destruction de cette organisation. Et « pleurer », terme qui revient constamment chez les Fidèles, signifie prendre toutes dispositions nécessitées par cette destruction : une de ces dispositions consistait à « simuler » la non-appartenance à la « secte ». Les dangers en effet étaient considérables ; c’est pourquoi il est inutile de chercher dans l’œuvre de Dante une allusion explicite à son rattachement aux Templiers.

  Dans un article d’Archeologi19, M. le duc de Lévis-Mirepoix a écrit : « Un autre interrogatoire du plus haut intérêt est celui de Florence, étudié à la Bibliothèque du Vatican par Loiseleur. Il relate, d’après des dépositions obtenues sans violences, les initiations mystérieuses que le Temple aurait cachées. Elles ont plus ou moins de rapport avec le catharisme, du fait que nombre de cathares, après la catastrophe de leur secte, avait été introduits de gré ou de force parmi les Templiers ». Il y avait donc à Florence une commanderie de Templiers, et ces Templiers étaient réputés hérétiques, puisque Albigeois. On sait comment ces derniers furent traités. Le danger était mortel, pour Dante et pour ses amis, s’ils étaient reconnus comme étant des  leurs.

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La seconde partie de l’article parle surtout de l’œuvre d’André le Chapelain, étudiée par Ricolfi. M. Berger voit dans la Champagne une province privilégiée. Est-ce bien sûr ? En tout cas, quand il nous dit qu’il y a filiation de saint Bernard à Ruysbroeck et de Dante à Eckhart, la chose, en ce qui concerne les deux derniers noms, est hautement improbable : en effet, l’œuvre de Dante est tout imprégnée de symbolisme, et ce n’est assurément pas le cas pour celle d’Eckhart.

  À propos du symbolisme de la « pluie » en Maçonnerie, l’auteur évoque ce que dit saint Bernard sur un passage du Cantique des Cantiques : « Déjà l’hiver est passé, la pluie s’en est allée, les fleurs sont apparues sur notre terre, le temps de tailler la vigne est venu. » Ce rapprochement est intéressant. Mais à vrai dire, nous pensons que l’expression : « Il pleut sur le Temple », employée lors de la collation des grades quand le candidat frappe « irrégulièrement » à la porte, est due surtout au fait que le Tableau de la Loge (et surtout le pavé mosaïque) est dit représenter la « Terre sainte » (Holy ground), substitut du Paradis terrestre, et qu’il ne pleuvait pas dans le jardin d’Éden.

  Nous en profiterons pour mentionner quelques points importants. Le Cantique des Cantiques, épithalame des noces de Salomon avec la fille du roi d’Égypte, a été l’objet d’une multitude de commentaires, tant juifs que chrétiens. Parmi ces derniers, le plus remarquable est certainement celui de saint Grégoire de Nysse. Ce « Père cappadocien » a intégré dans sa théologie non seulement certaines perspectives des philosophes néo-platoniciens, mais encore les thèses « orthodoxes » de Clément d’Alexandrie et d’Origène, dont on sait qu’ils ont exprimé en partie l’ésotérisme chrétien primitif. On trouve chez Grégoire de Nysse des notions sur la position centrale de l’être humain, sur le véritable sens des « tuniques de peau », sur la « transfiguration » du Cosmos opérable par l’homme, sur la non-éternité du mal, sur le sens supérieur des ténèbres, etc. La pensée de Grégoire n’a jamais été oubliée en Orient. Mais en Occident ce Père n’a été traduit en latin que par le bienheureux Guillaume de Saint-Thierry, disciple et biographe de saint Bernard. Bernard et Guillaume ont d’ailleurs écrit des commentaires sur le Cantique, où l’on retrouve comme un écho de Grégoire de Nysse. Nous ne voudrions pas tirer de ces rapprochements plus qu’ils ne peuvent donner. Mais n’est-il pas au moins curieux que le plus métaphysicien des Père grecs (et peut-être de tous les Pères de l’Église) ait été mis à la portée de la chrétienté occidentale par un religieux de l’entourage immédiat de saint Bernard, rédacteur de la Règle de ces Templiers qui (selon des auteurs aussi peu suspects de sympathie pour l’ésotérisme que René Grousset et le duc de Lévis-Mirepoix) furent en rapport, en Orient, non seulement avec les « sectes » de l’islam, mais aussi avec celles de la chrétienté byzantine ?

  Dans les articles que M. Jean-Pierre Berger a publiés, nous avons toujours remarqué qu’après avoir passé au crible d’une critique assez souvent mal fondée certaines des thèses de René Guénon, il terminait en apportant à ces mêmes thèses une éclatante « justification ». Il n’y a pas manqué dans l’article que nous venons de commenter longuement, et il a eu la bonne idée de traduire pour ses lecteurs une page capitale de Luigi Valli, où cet auteur expose le seul fait qui puisse être avancé en faveur d’une filiation entre Templiers et Fidèles d’Amour. Cette preuve est tirée de Boccace. Nous ne résistons pas au plaisir d’en reproduire l’essentiel. C’est Valli qui parle d’abord, et qui cite ensuite Boccace : « Enfin, un argument, selon moi d’une portée considérable, puisqu’il ne s’agit pas ici de retrouver seulement un Dante templier, mais de mettre en évidence les liens cachés de tout ce mouvement (des Fidèles d’Amour) avec les Templiers, est constitué par l’apologie chaude, passionnée et d’une grande noblesse que fait des Templiers Jean Boccace au livre IX (les livres sont – par hasard – au nombre de neuf) de ses Vies des Hommes illustres. Après avoir exalté la pureté, la noblesse et la pauvreté originelles des Templiers (…), après avoir narré en particulier les vicissitudes du Grand Maître Jacques de Molay qui se dit digne de mourir non pour avoir commis des crimes, mais pour s’être laissé arracher par la torture de faux aveux (…), après avoir donné le témoignage de son père Boccace, présent lors des supplices, il fait certaines “considérations sur la constanceˮ, où il trouve une manière très habile d’appeler à plusieurs reprises les Templiers “les nôtresˮ (…). » Il dit : « De nombreux anciens (…), par les enseignements de la divine philosophie ou bien pour acquérir la gloire (…), furent conduits à d’horribles tourments. Les nôtres firent autrement (…). Que diraient alors ceux qui s’émerveillent de la patience des anciens sous les supplices s’ils avaient vu l’endurance considérable des nôtres ? Ils n’auraient vraiment plus lieu de s’étonner. »

  Après avoir reproduit ces textes de Valli et de Boccace, M. Jean-Pierre Berger ajoute : « On peut s’étonner que Boccace (né sans doute à Paris vers 1313 et mort en l375) parle des Templiers en utilisant les mots “les nôtresˮ, alors que de son vivant l’Ordre des Templiers n’existait en fait plus. Il faudrait donc supposer que ce qualificatif vise la fraternité des Fidèles d’Amour dont il fit certainement partie. » M. Jean-Pierre Berger a bien fait de rappeler que le père de Boccace, comme Dante probablement, étaient à Paris lors du drame de 1314. Quant à savoir si les Templiers n’existaient plus en 1375… Disons, comme Boccace lui-même (à propos d’un autre sujet) dans le 3econte du Décaméron, que « la question est pendante, et peut-être le demeurera-t-elle longtemps encore ».

Denys Roman

  1. L’Ésotérisme de Dante, chap. IV, in fine 
  2. Aperçus sur l’Initiation, chap. XXXVIII 
  3. Le Symbolisme,  juin 1951. 
  4. Ces dates sont intéressantes. 1638, c’est trois ans après le début de la « période française » de la guerre de Trente ans, période qui devait voir la défaite irréparable du Saint-Empire, à la suite de quoi les Rose-Croix quittèrent l’Europe pour l’Asie. Quant à 1730, c’est 13 ans après la fondation de la Grande Loge des « Modernes ». 
  5. Notamment le Théosophisme. Au chapitre IV, il mentionne que, dans une organisation rosicrucienne du XVIIIe siècle et donc assez tardive, la « Rose-Croix d’Or », il est encore prescrit que « chaque Frère changera ses noms et prénoms après avoir été reçu, et fera de même chaque fois qu’il changera de pays ». Sur Eugenius Philalethes, voir le même ouvrage, pp. 55-56. 
  6. Histoire et Doctrine des Rose-Croix, chapitres VI et VII. 
  7. Aperçus sur l’Initiation, chap. XXXVIII et XLI. 
  8. Au Rite Écossais, la dénomination complète de ce grade est la suivante : « Chevalier de l’Aigle et du Pélican, Souverain Prince Rose-Croix ». 
  9. Les éléments chrétiens sont encore accentués dans l’« agape » du 18e degré, où la table doit avoir la forme d’une croix grecque et prend le nom d’« autel », les verres étant désignés sous celui de « calice », – et surtout dans la « cène mystique des Rose-Croix », qui se célèbre le jeudi saint. Les initiales I.N.R.I. sont encore interprétées d’une troisième façon dans les « questions d’ordre » du grade. Voici ces quatre questions : « D’où venez-vous ? De Jérusalem. – Où allez-vous ? À Nazareth. – Quel est votre guide ? L’Archange Raphaël. – De quelle tribu êtes-vous ? De Juda. » Les deux premières réponses ont évidemment un caractère chrétien prononcé. La troisième comporte un sens hermétique, car Raphaël (« Remède de Dieu ») fait allusion à l’élixir de longue vie, c’est-à-dire à la « vraie médecine » (la veram medicinam de l’acrosticheVitriolum). Quant à Juda, c’était la tribu royale des Juifs. 
  10. Les deux personnages évangéliques qui jouent un rôle dans les légendes de la Table ronde et du Saint Graal sont Joseph d’Arimathie et Nicodème qui, dans l’Écriture, sont dits avoir été « disciples de Jésus, mais en secret, par crainte des Juifs ». C’est évidemment cette mention de secret – bien que, dans le contexte scripturaire, on ne puisse pas dire qu’elle soit précisément élogieuse – qui a fait choisir les deux disciples comme dépositaires de secrets ésotériques. Et c’est pour la même raison que plusieurs des amours symboliques des chevaliers du Graal sont des amours secrètes et parfois coupables. L’exemple le plus typique est l’amour de Lancelot du Lac pour la reine Guenièvre, amour dont le caractère secret fut même conservé, lors de l’épisode de l’« Ordalie », par l’artifice d’un mensonge particulièrement grave, ce qui justifie d’ailleurs les dures expiations dans lesquelles les deux héros terminèrent leurs jours. II va sans dire que prendre ces formes un peu particulières du symbolisme, ainsi que celles, très analogue, qu’on trouve chez Boccace et chez Rabelais, pour des éloges véritables de l’ivrognerie, du mensonge et de l’adultère serait tout simplement se montrer incapable de « rompre l’os et sucer la substantifique moëlle ». 
  11. Dans certains rituels, les Frères du 18ème degré sont appelés « Souverains Princes d’Hérédom », et ici le mot Hérédom fait allusion non pas aux Harodim de la Maçonnerie opérative, mais à l’héritage (heirdom en anglais) et en particulier à l’héritage des Templiers. 
  12. C’est en particulier pourquoi l’héritage des Templiers est entouré d’une telle obscurité. 
  13. Alors que les rapports des Templiers avec les musulmans n’ont jamais été mis en doute, n’est-il pas étrange qu’on ne parle à peu près jamais de relations qu’ils auraient pu avoir avec les chrétiens des Églises « byzantines », alors pourtant que l’empereur de Constantinople était, au moins nominalement, le suzerain des États fondés par les Croisés ? 
  14. Cf. Aperçus sur l’Initiation, chap. XLI. Les liens entre l’hermétisme chrétien et l’hermétisme islamique sont symbolisés par une « anecdote » célèbre dans l’histoire de Charlemagne. Ce fondateur du Saint-Empire reçut en effet, aussitôt après son sacre, une ambassade d’Haroun al-Rachid, calife abbasside de Bagdad, qui apportait au souverain franc les « clés du Saint-Sépulcre ». On sait que le « pouvoir des clés » est une notion spécifiquement hermétique. 
  15. Sur ce nombre 333, cf. Formes traditionnelles et Cycles cosmiques, p. l68. Il est, comme 666, en rapport (bénéfique ou maléfique) avec la figure de César, premier fondateur de l’Empire romain. Il y aurait bien des choses à dire sur le nombre 111 et ses différents multiples. LaPrédiction des Papes attribuée à saint Malachie, qui est, avec les Centuries de Nostradamus, la seule prédiction non scripturaire à laquelle Guénon ait accordé quelque importance, est une liste de 111 devises. À propos des Centuries, il est assez divertissant de voir les tentatives actuelles pour les interpréter. Car si l’on excepte un très petit nombre de coïncidences très frappantes comme celle relative à la mort de Henri II et les cinq ou six strophes où Napoléon est évidemment visé, peut-être tout le reste n’est-il que pur « remplissage ». Dans ce cas Michel de Notre-Dame a dû bien s’amuser en prévoyant les pénibles efforts de ses futurs commentateurs, lui qui n’avait peut-être en vue que d’attirer l’attention sur les deux dates qu’il a écrites « en clair » : la date en prose et la date en vers. Quant à la « prédiction des papes », des recherches toutes récentes semblent bien prouver qu’elle remonte à l’époque même de saint Malachie. Sur ce dernier, il n’est pas inutile de donner quelques détails. C’était un moine cistercien, ami intime de saint Bernard, et qui fut élevé à l’archevêché d’Armagh en Irlande. Se rendant à Rome, il passa par Clairvaux où il mourut dans les bras de saint Bernard. Il fut enseveli dans le cimetière de l’abbaye, où Bernard par la suite vint le rejoindre. À la Révolution, les sépultures des deux saints furent violées, et leurs ossements furent mélangés. Aujourd’hui encore, les reliques du législateur des Templiers et celles de l’auteur sous le patronage duquel on a placé la prédiction aux 111 devises sont vénérées conjointement dans une église de Troyes. Rappelons enfin que Guénon reconnaissait que l’affaire des Templiers n’était pas étrangère à la prédiction dite de saint Malachie. 
  16. Michel Vâlsan, dans les Études Traditionnelles de juin, juillet-août et septembre 1953 et sous le titre Les derniers hauts grades de l’Écossisme et la réalisation descendante, a donné un remarquable article sur certains symboles de ce grade qui ont un évident rapport avec la Tradition primordiale. 
  17.  L’Ésotérisme de Dante, chap. IV. 
  18.  Paru dans la revue Le Symbolisme, octobre-décembre 1969. 
  19. Cf. le chapitre du présent ouvrage intitulé : « Le Temple, Ordre initiatique chrétien » [René Guénon et les Destins de la Franc-Maçonnerie, chapitre II 


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