mardi 7 juillet 2020

Le Petit Prince (interprétation ésotérique) - Jean Foucaud




       
         Dans un précédent écrit, nous avons qualifié ce livre de « conte initiatique inspiré ».

En effet, il ne s'agit pas d'une expérience «mystique » de style pascalien ou d'un conte pour enfants (malgré les apparences); d'ailleurs, les adolescents ne le goûtent guère et les enfants y voient surtout les belles images et le voyage interplanétaire. C'est généralement plus tard, quand la vie nous a mûris que l'on commence à entrevoir autre chose, quelque chose d'indéfinissable. En fait, c'est un conte pour adultes. Aussi, nous pensons que seul un commentaire « ésotérique »  pourra rendre compte de la profondeur et de la finesse spirituelle de cet opuscule qui n'a rien  d'un roman ni d'une nouvelle.

 Dans une interview ancienne, Saint-Exupéry déclare qu'il a écrit ce livre, non pas pendant la guerre, mais juste avant, en 1939-40. Cette indication a son importance, car cela suggère que l'aventure qui lui est arrivée ne se situe pas dans le feu de l'action  (il était pilote), mais que, à notre  avis, il s'agit d'une « épiphanie » ( au sens grec d'apparition) ayant eu lieu à un moment privilégié, qui peut très bien ne pas se situer dans le désert et pourtant liée au désert ( il est vrai qu'à la fin du livre, il parle d'une panne en plein  désert où il rencontre le petit Prince**), dont Saint-Ex dira dans une de ces formules dont il avait le secret : « Le Désert, c'est Dieu moins les hommes ! » .Tous ceux qui ont fait l'expérience du désert auront été saisis par l'impression ineffaçable de  Solitude, de Silence et de  Pureté qui émanent de cette circonstance.

              Cette  apparition est évidemment celle d'un enfant (blond comme le sable), avec ses questions d'enfant qui sont non seulement embarrassantes pour les adultes oublieux de l' « esprit d'enfance », mais surtout parce que nous avons presque tous plus ou moins trahi notre origine céleste ou paradisiaque.

 Ce thème de l'enfant qui apparaît lors d'états spirituels élevés chez des êtres exceptionnels est connu des Anciens, notamment Jamblique. Alors qu'il se trouvait assis sur le bord d'une fontaine (appelée « Eros ») comme le racontent ses disciples  : »(Il ) effleura l'onde de sa main et, murmurant quelques paroles, fit sortir du fond de la source un petit enfant. Il était blanc, d'une taille bien proportionnée  ; et sa chevelure, aux reflets dorés couvrait de son rayonnement son dos et sa poitrine. » Arrivés à une deuxième fontaine (du nom d' « Antiéros »), Jamblique tira de l'eau un autre Amour, semblable au précédent, sauf que ses cheveux étaient noirs.. »(p. XIX de l'introduction de F.Viéri aux « Mystère de  l'Egypte «  de Jamblique (Les Belles Lettres – 1993). Ces enfants disparaissent peu après.
    Ce thème de l'enfant (ou de l'homonculus) est connu  des Alchimistes qui ont trouvé l'Illumination (et non l'or matériel !) .

         Chez Ibn 'Arabi  - mais à un tout autre niveau -  il y a l'apparition surprenante d'un « fatan » (= jeune homme) lors d'une de ses visites à la Kaaba quand il faisait les circumambulations usuelles. Ce « jouvenceau » (comme le traduit Claude Addas , dans sa thèse remarquable sur Ibn 'Arabi et se référant à un article inédit de Michel Vâlsan) lui révèle qui il est et Ibn 'arabi dit : « La réalité de  sa Beauté se dévoila à moi et je devins éperdu d'Amour » (p.243).

     Enfin, le dernier cas connu est celui du grand Sage  Ramakrishna (décédé en 1886, au moment même où naissait Guénon – et ce n'est pas fortuit) qui raconte l'apparition d'un petit enfant lors de certains états spirituels, comme une sorte de projection de son esprit. Ce petit trublion  gambadait partout dans la pièce , interrompant ses dévotions, lui faisant des farces  et des « singeries », au point que Ramakrishna allait le frapper; mais se retenant à temps, il fut pris de honte , comprenant qu'il avait à faire à une apparition céleste (que nous appelons « épiphanie »)...

     On l'appelle Amour, enfant (homonculus), Jouvenceau ou Petit Prince (notons en passant que ce dernier terme est employé par Guénon pour désigner les « Afrad »). Comme chez Jamblique, l'enfant apparu à Saint-Ex est blond : il apparaît puis disparaît à la fin dans des circonstances qui exigent un interprétation initiatique.

    Pour en revenir au cas énigmatique de  Saint-Ex, nous ne croyons pas un instant qu'il ait eu connaissance de ces faits et pensons  que son expérience est pure ; d'ailleurs il y a dans son texte  certains termes et symboles typiques que l'on ne peut inventer et qui proviennent directement de l'inspiration la plus pure. Et ne sont donc explicables que par des données ésotériques et initiatiques, inconnues avant René Guénon.
   Ainsi, à un moment, il dit : « On ne voit bien qu'avec le Coeur, l'Essentiel est invisible pour les yeux » . Malheureusement, tous les commentateurs profanes et occidentaux  ont toujours réduit le coeur au sentiment, alors qu'ici, il s'agit de la Connaissance intérieure (celle du Soi, pour parler « hindou ») distincte de la connaissance mentale (celle des yeux) qui est inférieure et  lui est subordonnée. Ce genre de formule inspirée ne peut être copiée ou inventée : elle jaillit d'une authentique spontanéité de l'être détaché des contingences, détachement qui a sans doute rapport avec l' « expérience »  du Désert dont nous parlions ci-dessus.

 Une phrase  curieuse de l'enfant avant de mourir a attiré notre attention :

« J'aurai l'air mort, et ce ne sera pas vrai »

« je ne peux pas emporter ce corps-là . C'est trop  lourd....
 Mais ce sera comme une  vieille écorce abandonnée. »

On retrouve la même idée (et presque dans les mêmes termes ) dans l'Esotérisme cabbalistique (le « dépouillement des écorces »/ les Qlippoth) et, dans un certaine mesure dans le « dépouillement des métaux » lors de l'Initiation en Loge.

    On sait (cf. notre étude sur les différents termes arabes pour désigner le CORPS) qu'il y a plusieurs corps  et que ce corps matériel (jism) est un obstacle dans la mesure  où il manque de légèreté et de lumière (et s'oppose à la « himma »),  comme l'exprime fort bien Saint-Ex par le truchement du Petit Prince. De plus, l'enfant dit : « ce corps-là » et non pas : « mon corps », nuance initiatique relevant de toute une science de la Réalisation spirituelle.

   La mort  par la piqûre du serpent ne s'explique bien que par référence  aux termes arabes que nous avons utilisés dans notre article : « Les Hommes de la Fitra »: il y a un double sens des mots : « hayât » ( la Vie) et « hayya » (le serpent »). (cf. la mésaventure d'Adam et Eve); nous citions   le poisson venimeux qui s'appelle « vive » en français, et la vipère se dit « vouivre »; tous ces termes renvoient à l'idée de vie et de  mort et c'est plus qu'une coïncidence lexicale : les langues à l'origine fonctionnent de façon analogue. Il n'y a rien d'arbitraire là-dedans. Quand on le sait, on peut pratiquer sans crainte l'étymologie, science un peu oubliée de nos jours...

 Cette mort, donc, symbolise la renaissance dont est conscient l'enfant qui représente l'initié ayant franchi une étape de réalisation : « J'aurai l'air mort, mais ce ne sera pas vrai ». C'est le passage à un autre état qui n'a rien à  voir avec les lubies des réincarnationnistes. (confusion entre les terme anglais « rebirth «  et « reincarnation »)
  Cet enfant  étant, selon notre interprétation, une « projection » de Saint-Ex, nous révèle discrètement les qualités spirituelles exceptionnelles de l'auteur 

        Il resterait à s'interroger sur le voyage intergalactique qu'effectue l'enfant et son « statut » cosmique. Sous les apparences d'un conte enfantin, il y a peut-être là une intuition  - à l'insu de  l'auteur – des voyages dans l'espace qu'effectuent certains saints missionnés, et qui n'ont rien à voir avec les illusions des « voyages en astral » dont se vantent ingénument les adeptes du rosicrucianisme moderne  qui, à supposer qu'ils ne soient pas entièrement imaginaires, ne représentent qu'une promenade psychique sans portée  ni mission spirituelle, (même s'ils rencontrent à l'occasion des êtres « ectoplasmiques » dans leur genre,  bien entendu ! ***

   
** Il y a là une contradiction entre l'interview de 1939-40 et le texte du petit Prince.

 

*** Il y a des cas authentiques d'ubiquité et rencontre dans l'espace (bien connus dans le monde oriental), comme chez le Père Padre Pio. Mais là il s'agit d'un saint ayant une fonction précise (et que l'Eglise moderne avait bien du mal à admettre, ignorant tout de ce qui dépasse la perspective « exotérique » !

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 



2 commentaires:

  1. Merci de cette lecture initiatrice là d’une ici leçon ainsi magistrale

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