vendredi 24 juin 2011

Les maladies de l’âme et leurs remèdes selon les écrits des soufis



INTRODUCTION


L’espèce humaine est composée, de façon générale, de deux grandes parties : Une première, matérielle ou physique qui est le corps humain ; et une seconde partie qui est intangible et immatérielle. Cette dernière représente la base des désirs et instincts de l’homme et également le principal guide de sa raison. C’est elle aussi qui le distingue des autres espèces. Cette facette immatérielle de l’homme se nomme : l’âme.

L’âme est donc la partie profonde de l’homme. Elle dirige son mental. Par conséquent, il n’est donc pas superflu de dire que son bon état est primordial pour l’homme.

Néanmoins, nos âmes ne sont pas toujours en bon état. Elles sont souvent affectées par des pathologies qui provoquent des dysfonctionnements chez les hommes.

Notre objectif est de faire un diagnostic de ces différentes maladies et d’essayer de leur proposer des solutions. Pour ce faire, nous nous appuierons sur les œuvres des auteurs qui se sont penchés sur les problèmes auxquels l’âme peut être confrontée. Parmi eux se trouvent les soufis. Notre réflexion sera essentiellement basée sur les œuvres écrites de ces derniers.

Nous mettrons tout d’abord, dans notre démarche pour atteindre cet objectif, la lumière sur les soufis afin de mieux les connaître. Ensuite, nous essayerons avec eux de faire un diagnostic des maladies qui peuvent s’attaquer à l’âme. Enfin, nous essayerons de proposer des solutions ou des remèdes à ces maladies.

1- PSYCHOLOGIE SOUFIE OU SCIENCE DE L’ÂME

Les soufis ont élaboré une science de l’âme (nafs) et ont mis en œuvre cette connaissance à la fois inspirée et empirique dans une pédagogie initiatique. Alors que les juristes fixaient des lois et les théologiens des dogmes, les maîtres soufis mettaient au point une méthode visant à effectuer un "travail" spiritual-sur l’ego. Cette connaissance a été transmise le plus souvent oralement, mais rarement qu’on trouve des écrits et des traces dans des textes qui, dès le IXe siècle, traitent des "maladies de l’âme et de leurs remèdes".

Le soufisme comme toute mystique tend à purifier l’âme humaine. Ce processus de purification suppose une transformation de l’âme qui, selon le Coran, passe par trois degrés. "L’âme qui incite le mal", c'est-à-dire aux instincts inférieurs et aux passions doit progressivement faire place à "l’âme qui ne cesse de blâmer" son propriétaire pour ces penchants et aspire à la lumière. A l’issue de ce combat intérieur, elle deviendra "l’âme apaisée", épurée, transparente, ne se posant plus en obstacle à la pr ésence. La présence. C’est l’un des buts assignés par la sagesse suivante, parfois attribuée au Prophète : "celui qui se connaît (ou se connaît) connaît son seigneur ". Cette parole a été interprétée différemment par les uns et les autres, en fonction de leur degré spirituel

1.1- QU’EST CE QUE LA PERSONALITÉ ?

La différence des deux points de vue de l’orient traditionnel-et l’occident moderne apparaît nettement dans l’appréciation d’une catégorie centrale, celle de "personnalité". Dans son approche "extravertie" de la notion de la "personne", Marcal-MAUSS nous donne l’impression, après plusieurs références à des cultures diverses, de n’avoir rien fait d’autre que de définir comment le "moi" se perçoit dans l’occident moderne. Cela au terme d’une évolution (non forcément temporelle) qui, pour n’être pas convaincant, a cependant le mérite de nous faire douter de l’évidence de cette notion du "moi".

La notion de personne, de personnalité, est complexe, car la perception d’autrui suppose un ensemble de significations liées à des valeurs et à une culture déterminée.

Les faits mêmes concernant la notion historique de personne dont fait remonter l’origine au latin persona, à l’étrusque phersu ou au grec prosôpon (tous ces termes sont liés au concept de "masquer") sont très divers et il semble qu’on puisse les sélectionner en fonction de ce que l’on veut démontrer.

Il est révélateur que ce terme de persona ait reçu deux significations diamétralement opposées: la première en fait le côté le plus extérieur, le plus superficiel-de l’être (un masque de comédie) et la seconde, au contraire, comme par exemple chez les philosophes scolastiques allemands, en fait le côté divin immortel-de l’être.

La signification du masque lui-même peut être passible des deux interprétations. Il masque l’acteur, il est vrai, mais son caractère inchangé durant toute l’action, le nombre limité de masques et le fait que le spectateur puisse déjà prévoir à partir du masque le type d’action que l’acteur va entreprendre laissent supposer que le masque est là pour révéler le fond constant et caché des individus, leurs réalités archétypes.

Ces réalités sont d’ailleurs, comme nous le verrons, étagées selon des degrés différents dont il est l’expression, son seigneur (Rabb)

LA CATÉGORIE SPIRITUELLE

Si chaque individu est la manifestation extérieure d’un archétype divin, il se dégage alors la possibilité d’établir une caractérologie fondée sur des principes d’ordre spirituel.

En ce qui concerne plus précisément l’âme humaine, philosophes, Hukama et soufis sont d’accord pour dire que celle-ci est la synthèse de l’âme végétale, animale puis de l’âme parlante (Al-Nafs Natiqa) qui distingue l’être humain en tant que tel. Chacune de ces âmes a un comportement instinctif et contraignant qui n’est dépassé qu’au niveau de l’âme parlante lorsqu’elle a retrouvé sa pureté originelle.

Lorsqu'au contraire, les âmes végétales et animales ont le dessus, cela se traduit chez l’homme par une perversité de caractère, celle de l’âme despotique (Al-Nafs Al-Ammarah).

A cela, il faut ajouter l’œuvre du démon Iblîs car, dit un hadith ; "Il n’est aucun d’entre vous qui n’ait un démon", ou encore "satan court dans le fils d’Adam à la manière de la course du sang".

Ce démon agit par l’intermédiaire de la faculté estimative (Al-Wahmiyya), c'est-à-dire par la divagation imaginaire ou par la création d’illusions.

Dans le Coran également, cette suggestibilité négative est assimilée à un alter ego démoniaque

1.3- LES FACULTÉS DE L’ÂME

Nous essaierons d’examiner ici comment ont été conçues et décrites les facultés de l’âme. Pour ce faire, nous nous appuyons sur deux sources : Fakhr Eddine et Razi, philosophe ascharite et Al-Jurjânî, auteur d’un lexique des termes techniques du soufisme utilisé par Ibn Arabî dans ses Futuhat Al-Makkiyyah.

Ces deux sources ne sont certainement pas les seules ; nous retrouverons les mêmes descriptions chez des soufis orientaux comme Suhrawardi ou des Hukama comme Dawud Al-Antaki.

Ces auteurs nous donnent de l’âme végétale et animale une description physiologique, mais il faut plutôt dire psychophysiologique car, comme nous l’avons vu, les mécanismes physiologiques traduisent directement une typologie psychologique correspondante :

L’âme végétale a une faculté métabolique qui se distingue par une puissance d’attraction et de rétention. Elle a aussi une faculté de répulsion, de dissolution, de croissance et de reproduction.
L’âme animale se distingue de l’âme végétale par l’apparition d’une volonté propre. Elle est motrice et perceptive. C’est le pneuma vital entité subtile et vaporeuse qui est en même temps le véhicule de l’âme parlante.

Ce pneuma vital a une faculté motrice et une faculté de perception. Cette dernière contient elle-même dix facultés qui sont les cinq sens internes et les cinq sens externes [4]

Les sens externes sont : le toucher, le goût, l’odorat, l’ouïe et la vue.

Les facultés de perception internes sont :

Le sensorium, point de confluence des cinq sens externes où se forme une représentation conforme aux stimulis sans que l’imagination subjective y ait sa part.

L’estimation ou imagination subjective : le lieu de l’imagination et de la spéculation subjective, de toutes les supputations gratuites. Elle se distingue comme nous le verrons de l’imagination active.

L’imagination représentative, qui est la réserve du sensorium ou sont conservées les images après qu’elles ont disparu des sens externes.

La mémoire, faculté de rappel

La faculté régulatrice et cogitative.

Nous devons ici distinguer le rôle de cette faculté chez les animaux, qui leur permettraient de saisir les significations partielles et, chez les hommes, qui leur permet de saisir les significations "totales" ou "synthétiques".

Chez ces derniers, elle se distingue comme le lieu de la ration et des opérations logiques permettant certaines réalisations comme la séparation (analyse), la composition (synthèse) et l’invention.

Chez cette faculté cogitative, capable d’une synthèse, qui distingue l’homme en tant que tel. Elle est dons une expression de l’âme parlante qui en elle-même est capable d’assurer des "formes" diverses en fonction de son degré de connaissance.

1.4- LES FORMES ET LES DEGRÉS DE L’ÂME PARLANTE

Voici la définition d’Al-Jurjânî : "L’âme parlante : elle ne relève pas de la matière dans ses essences mais est comparable dans ses actes comme il en est des âmes des sphères. Si cette âme trouve la paix dans l’ordre et qu’elle se libère du trouble qui a lieu lorsqu’elle est dite pacifiée. Si sa paix n’est pas complète, mais elle suive l’âme concupiscente et elle s’oppose à elle, elle est appelée admonitrice dans l’adoration de son maître. Si elle abandonne l’admonition, se laisse aller, suit la satisfaction de la concupiscence et se prête aux sollicitations de satan ; elle est appelée despotique".

Cette définition d’Al-Jurjânî relève d’un ordre initiatique. Les dénominations des différentes modalités de l’âme (le moi) sont basées sur le texte coranique.

Ce qui importe de remarquer ici est que l’âme évolue en fonction du "jihad", de l’effort qu’elle fait contre elle même pour sortir de l’emprise du monde sensible et s’élever dans la hiérarchie spirituelle.

Cette description ne concerne que l’âme parlante te non pas l’âme animale te végétale qui, elles, continuent d’assurer leur fonctions sans lesquelles se romprait le lien du corps. Pour souligner cette distinction, certains soufis emploient le terme de Nafs (âme) uniquement dans un sens psychologie négatif ou dans le sens du pneuma vital de l’être (âme animale), réservant d’autres termes, esprit (Ruh), secret ( Sirr), à l’âme parlante en fonction de son degré d’avance" [5].

Ces changements fréquents dans les sens donnés aux termes usités par les soufis donnent lieu à plusieurs divergences dont celles concernant le support de la vie. Est-il dû au pneuma vital (l’âme animale) ou à l’esprit ?

Ibn Ajiba répond : "L’esprit est ce par quoi a eu lieu l’insufflation. L’âme (animale) quant à elle, est créée dans le fœtus, avant que l’esprit ne soit insufflé. C’est par elle que survient le mouvement et elle accompagne nécessairement le corps physique, ne sont séparés qu’à la mort ; alors l’esprit sort en premier et l’âme cesse d’être (tanquati), c’est alors que cesse la vie".

Cette insufflation de l’esprit souligne ici la transcendance de l’âme parlante par rapport à l’âme animale.

Le même problème se pose en ce qui concerne la mort et la difficulté d’interpréter le verset coranique suivant : "C’est DIEU reçoit les âmes lorsque le moment de la mort est venu, et celle qui n’est pas morte pendant son sommeil".

De quelle âme s’agit-il ? Pour Jurjânî il s’agit du pneuma vital, entité subtile et vaporeuse "illuminant" le corps humain et pouvant être dans les trois états suivants :
" Si la lumière de l’âme arrive à toutes les parties du corps, son extérieur et son intérieur, il s’agit de l’état d’éveil. Si la lumière cesse extérieurement, mais subsiste intérieurement, il s’agit de l’état de sommeil. Si elle disparaît complètement, c’est la mort".

Suhrawardi apporte des compléments à ce passage de Jurjânî. Il nous dit que le pneuma vital, entité subtile et vaporeuse, se répand dans tout le corps "après avoir revêtu la souveraineté de lumière qui appartient à l’âme pensante (ou parlante)". Ainsi donc la "lumière" dont nous parlait Jurjânî est bien celle de l’âme parlante et non pas celle de pneuma vital.

Cette définition du pneuma vital est reprise par Ibn Khaldûn qui suit en cela la conception des médecins musulmans classiques.

Il semble donc bien que le verset coranique en question fasse allusion à l’âme parlante, l’esprit insufflé, et non pas au pneuma vital qui n’en est que le "véhicule".

Ce que nous venons de dire devrait nous faire comprendre comment l’âme parlante prend l’aspect de l’âme animale, s’identifie à cette dernière en revêtant la modalité de l’âme animale, s’identifie à cette manière en revêtant la modalité de l’âme despotique : cette identification doit être entendue dans un sens psychologie.

Au fur et à mesure de son épuration par un procédé de rappel, l’âme gravite à travers les étapes qui doivent la mener à la connaissance de DIEU. A chaque nouvelle étape, l’âme apparaît avec de nouveaux caractères.

Cela est décrit dans un tableau donné pat le Cheikh Abd Al-Qâdir Al-Jilânî (m1166) où il présente une typologie des âmes en sept étapes ; le Cheikh distingue : l’âme despotique, l’âme admonitrice, l’âme inspirée, l’âme purifiée, l’âme satisfaite, l’âme agréée et enfin l’âme parfaite.

Chacune des âmes en question se distingue par un ensemble de caractères :

Pour l’âme despotique : L’avarice, la cupidité, l’insouciance, l’orgueil, la recherche de la célébrité, la jalousie, l’inconscience.

Pour l’âme admonitrice : Le blâme, les soucis, la contraction, l’estime de soi, les réactions d’opposition [6 ] .

Pour l’âme inspirée : Le détachement, le contentement, la science, l’humilité, l’adoration (de DIEU), le repentir, la patience, l’endurance, l’acquittement (de ses tâches).

Pour l’âme pacifiée : La générosité, copter sur DIEU, les sagesses, l’adoration, la reconnaissance, la satisfaction.

Pour l’âme satisfaite : L’ascétisme, la sincérité, la piété, le renoncement de ce qui ne la concerne point "en toute choses", la loyauté.

Pour l’âme agréée : l’excellence de caractère, le détournement (ou abstention) de tout ce qui est autre que DIEU, la délicatesse envers les créatures (ou encore porter secours aux créatures), la proximité de DIEU, méditer sur la magnificence divine, la satisfaction de ce que DIEU lui a octroyé.

Pour l’âme parfaite : tout ce qui a été dit des excellentes qualités précédentes. Et DIEU est le plus savant (voir Figure 2).

Le Cheikh Abd El-Kader s’exprime ici dans un langage qui est fondamentalement coranique. "Le soufisme, écrit symbiose avec le hadith, le fiqh et le kalam".

Pour la typologie des âmes, nous retrouvons cette pluralité du langage pour l’expression d’une même réalité : le premier d’obédience néo-aristotélicienne (ou platonicienne), le second strictement coranique.

Cette typologie se dédouble en deux sortes d’expression du soufisme. Celle des soufis dit Ahadiyyun (de Ahadiyyah: unité métaphysique) qui dévoilent sous un langage qui peut sembler parfois "philosophique" des vérités spirituelles, et celle des soufis Muhammadiyyun qui s’en tiennent à une formulation plus proche de la compréhension du commun.

Mais l’expérience qui sous-tend des diverses formulations étant la même nous retrouvons dans leur structure un même symbolisme fondamental, celui de l’irradiation de l’Un dans le multiple représenté en général par le chiffre sept.

Parallèlement à sept degrés de l’âme Moulay Abd Al-Qâdir décrit d’une manière correspondante les sept types de voyages entrepris par chacune de ces âmes, les mondes qu’elles traversent, leurs degrés d’intériorité dans l’être, leurs états spirituels et leurs lumières respectives, chacune de ces lumières se manifestant sous une couleur déterminée constituant ainsi autant d’irradiations de la seule lumière incolore, principe de toutes les autres lumières (voir figure 1) [7]

Figure1



 
 
Source : D’après Moulay Abd Al-Qâdir Al-Jilânî, Al-Fuyudat Er Rabbaniyyah



Figure 2



 
 
Source : D’après Moulay Abd Al-Qâdir Al-Jilânî Al-Fuyudat Er Rabbaniyyah.



1.5- QUI INFLUENCE L’ÂME ?

L’ambivalence qui caractérise l’âme est voulue par DIEU puisque, selon l’islam, Il est à l’origine du bien comme du mal. Les soufis ont ainsi soulevé la délicate question du rôle de satan, ou Iblîs, dans la conscience humaine. Le Coran relate comment les anges, d’abord surpris par cet effet de la volonté divine, acceptèrent de se prosterner devant Adam, cet homme qui allait "répandre le mal et verser le sang". Iblîs, qui n’adorait que DIEU et le connaissait le devenir de l’humanité, refusa de se prosterner. Déchu par DIEU pour son insoumission, il fut dès lors voué à tenter l’homme. Voyant en lui un ange gnostique, certains soufis s’apitoient sur son destin tragique et font de lui, avec le Prophète, le plus parfait des monothéistes, instrument de la colère divine dans l’humanité, tandis que le Prophète est l’instrument de la miséricorde.

Pour la plupart des maîtres, cependant, cette réhabilitation d’un satan promu martyr n’est accessible qu’à ceux qui ont dépassé la dualité du bien et du mal ; et ont compris l’essence des contraires. Elle est périlleuse pour le commun des spirituels, et a fortiori des fidèles, car satan est l’ennemi de l’homme, comme le rappelle souvent le coran. Son orgueil aveugle- "Je suis meilleur que lui" va à l’encontre de la soumission demandée au croyant, mais aussi de l’extinction du mystique en DIEU. Si la wilâya (sainteté) est proximité de DIEU, le terme arabe shaytân (satan) porte en lui-même l’idée de séparation et d’éloignement."Ni Ma terre, ni Mon cial-ne Me contiennent seul Me contient le cœur de Mon serviteur croyant"; ce seul hadîth qudusî suffit à démentir le mépris qu’Iblîs a pour l’homme.

Bien que DIEU n’ait accordé aucun pouvoir réal-à Iblîs, le cœur de l’homme est bien l’arène ou se déroule un combat permanent entre DIEU, assisté par l’ange, et Iblîs, assisté par l’âme charnelle.

Les armes employées de part et d’autre sont les pensées adventices (khawâtir) qui assaillent l’homme. On assigne usuellement à celles-ci quatre origines : divine, angélique, égotique ou satanique. En général, le disciple n’a pas assez de discernement pour en entrevoir la source. Et" la source. Et si les mauvaises provenant de satan sont légion pour ce qui touche la vie temporelle, elles revêtent n caractère plus pervers dans la vie spirituelle."Evident et claire est la satisfaction de l’ego dans la désobéissance, dit Ibn Atâ Allah, mais il est cachée et sournoise dans l’obéissance (c'est-à-dire les œuvres de l’adoration) [8].

Or la guérison de ce qui est caché est difficile." Iblîs dit-on, peut se manifester en pieux fidèle, en mystique averti, en cheikh séduisant…C’est pour cette raison que, dans certaines voies, il était demandé au disciple de livrer à son maître toutes les pensées et visions. A l’inverse de la plupart des thérapies actuelles, cette "analyse", qui visait à structurer vers le haut la personnalité du disciple, reposait sur une alchimie spirituelle entre maître et disciple [9 ]

1.6- LES RÊVES, LES VISIONS, LES CONTEMPLATIONS ET LA VISION SPIRITUELLE


Le Coran évoque à plusieurs reprises l’importance des rêves et des visions. Le Prophète lui-même leur accorder une attention particulière et interprétait les rêves de ses compagnons. La vision de son corps spirituel, durant le sommeil ou à l’état de veille, est toujours pour l’initié un signe majeur. Rêves et visions représentent pour les soufis un mode de participation à la prophétie puisque, selon un hadîth, la vision est la quarante-sixième partie de prophétie (Bukhârî). Ils se produisent dans "le monde imaginal" appelé encore "monde des symboles", intermédiaire entre notre monde sensible et celui des réalités divines. Iles permettent aux initiés d’avoir accès au monde invisible, d’être instruits par les prophètes, par des saints du passé ou contemporains. Avant de s’engager à l’initier, le cheikh analyse parfois les rêves de la personne qui désire se rattacher, l’analyse a toujours pour but de libérer l’esprit de l’aspirant, afin que celui-ci procède, par une maïeutique éprouvée, à son propre "accouchement" [10].

L’élévation spirituelle du disciple correspond à ce que les soufis appellent l’éclaircissement de la vision spirituelle appelée "Al-Basirah". Cette vision peut, soit se produire à l’état d’éveil et c’est ce que les soufis appellent "Al-Mushahadah" (La contemplation), soit dans l’état de sommeil sous la forme de rêves particulièrement clairs et chargés de massages symbolique que les soufis appellent la "Ru-yah" (la vision). Il est nettement distingué entre "Ru-yah" (la vision) qui a un caractère "lumineux" et spiritual-et le "Hulm", qui est un rêve à caractère ténébreux. Des Hadiths nombreux font allusion à cette différence fondamentale : "Ru-yah" provient du Miséricordieux et le "Hulm" provient du satan. Un autre hadith : "La vision du croyant est une parole par laquelle le serviteur communique avec son seigneur".

Il serait difficile de développer ici entièrement tout ce qui concerne les visions spirituelles tant ce domaine est vaste. Nous n’évoquerons donc que ce qui touche la vision spirituelle en rapport avec la progression initiatique du disciple [11].

Mais un aspect de la question est à éclaircir tout d’abord. Dans les termes arabes, il est fait une distinction entre la "Ru-yah" et "la Basirah". Ces deux termes correspondent effectivement à deux réalités distinctes. La vision spirituelle perçoit les " essence " des êtres lesquels relèvent d’un ordre informel.

Ce n’est qu’une fois que cette perception a lieu que celle-ci se traduit sur un autre plan par la perception de formes déterminées Ces plans peuvent être justement la vision faite pendant les états de sommeil ou d’éveil.

Les visions et les contemplations sont des événements qui se produisent souvent au cours de la progression initiatique du disciple dans la voie spirituelle. Elles ne sont cependant que les traductions secondaires d’une réalité supérieure qui est d’ordre spirituel.

Pour ces raisons, elles jouent, lors de la progression initiatique du disciple, un rôle qui peut être aussi bien positif que négatif. Positif, dans la mesure où il constitue un "encouragement" du disciple qui est au début de la voie a quelquefois besoins de confirmations sensibles. Elles sont, disent les soufis, comme des "bonbons" que l’on distribue aux enfants afin de les encourager à poursuivent leurs efforts.

Leur rôle peut également être négatif dans la mesure où le disciple débutant dans la voie prend toutes ces manifestations pour des grandes réalisations spirituelles, ce qui l’empêche d’évoluer. Le rôle du maître spiritual-est justement de monter au disciple que ce ne sont là que des aspects très secondaires de la réalisation spirituelle et la délivrer ainsi de l’adoration de ces nouvelles idoles afin de lui faire comprendre la signification du véritables "monothéisme" intérieur [12 ]

2- LE SOUFISME

2.1– ORIGINE ET DÉVELOPPEMENTS

A défaut de pouvoir traiter d'un sujet que nous ne saurions définir, nous nous proposons de donner plusieurs éclairages, sous différents angles, de cet océan spiritual qu'est le soufisme, ou plus exactement de ce qui nous en est accessible [13].

Il est de tradition de commencer tout exposé historique sur le soufisme par une présentation étymologique du terme arabe sûfî qui désigne l'adepte. Nous n'allons pas énumérer ici les diverses argumentations, mais disons que l'on peut établir de manière vraisemblable – sans pour autant être décisive – la parenté du terme sûfî avec le terme qui désigne " la laine. Cette" la laine. Cette parenté est généralement expliquée par le fait que les premiers soufis auraient porté une robe de laine pour se caractériser. La généralité de ce fait est loin d'être établie, bien au contraire, et il semble bien que la parenté étymologique réfère plutôt à un lien d'ordre sémantique, lien que le port du vêtement a pu venir parfois manifester symboliquement. En effet, si le soufi est apparenté à la laine, c'est en raison des idées de consécration et de pauvreté spirituelles, de sacrifice et de pureté, qui sont associées. C'est d'ailleurs dans un même champ sémantique que s'inscrivent les autres étymologies évoquées: du grec sophos, le sage; du verbe arabe sûfiya signifiant il a été purifié; du terme ahl-suffa désignant quelques compagnons du Prophète qui résidaient dans la mosquée et vivaient dans le dénuement; ou encore du nom des Banû sûfa, cette caste ou lignage sacerdotal antéislamique – plutôt que tribu – dont les membres portaient un toupet de laine en signe de leur consécration au service de la Ka'ba, etc.

يقول الله تعالى في كتابه العزيز : ﴿ يوم لا ينفع مال و لا بنون إلا من أتى الله بقلب سليم ﴾ سوﺮﺓ اﻟﺸﻌﺮاﺀ اﻵﻴﺘﺎﻦ 88 و 89

DIEU dit: "Le jour où ni les biens, ni les enfants ne seront d’aucune utilité, sauf celui qui vient à Allah avec un cœur sain" (Coran Sourate 26; verset: 88,89).

Abu ‘Abdullah an Nu’man le fils de Bachir (qu’Allah les agrée tous deux) rapporte qu’il a entendu l’Envoyé de DIEU (qu’Allah prie sur lui et le salue) dire : "…Eh bien ! Il y a dans le corps un morceau de chair qui, s’il est sain, rend tout le corps sain ; mais s’il est corrompu, tout le corps devient corrompu. Eh bien ! Il s’agit du cœur.", Hadith rapporté par Al Bukhârî et Muslim.

Ces quelques paroles des maîtres du soufisme expriment bien l’impossibilité où nous sommes d’enfermer cet aspect spiritual-de l’Islam dans une définition qui en marquerait les limites. Comment cerner, en effet, une réalité spirituelle qui intègre aussi bien les plus simples manifestations de la piété que la plus haute réalisation de la sainteté ? Comment cerner une spiritualité qui, alors qu’on s’attendait à en trouver la fin dans les plus subtils enseignements de ses sages, refuse de se refermer en un système et maintient en permanence une ouverture sur l’Infini et l’Inexprimable ?

Le qadi Cheikh al Islam Zakaria Al Ansari a dit : "Le soufisme est la science par laquelle on connaît les états de la purification des âmes, et la pureté des caractères (qualités), et par laquelle s’enrichissent l’extérieur et l’intérieur pour parvenir à la béatitude (félicité) éternelle".

Le Cheikh Zarrûq a dit : "le soufisme est la science qui vise la pureté des cœurs (c’est à dire à rendre les cœurs sains) et le fait de les dépouiller de tout ce qui n’est pas DIEU. Le fiqh est la réforme des actes et la préservation de l’ordre (droiture) et l’expression de la sagesse des principes de la loi (al-Ahkam). Les Usûl sont la science de l’unicité divine par la réalisation effective des preuves, et par l’ornementation (la parure) de la foi par la conviction comme la médecine préserve la santé du corps, ou de la grammaire préserve la langue etc."

L’imam des deux groupes Al-Junayd a dit : "Le soufisme est la mise en pratique (en acte) de toutes les qualités nobles"

Et encore : "Le soufisme est entièrement caractères nobles. Celui qui te dépasse en bons caractères te dépasse en soufisme."

Abou AL Hassan Shâdhilî a dit : "Le soufisme c’est exercer l’âme à accomplir les actes de la servitude, et la faire revenir (la soumettre) aux statuts de la Seigneurie."

Ibn ‘Ajiba a dit : "Le soufisme est la science qui enseigne la manière de cheminer (marche initiatique) vers la présence du Roi des rois, la purification de la souillure, et la parure (revêtement) de toutes sortes de qualités vertueuses ; en premier lieu il est science, ensuite bonnes actions et en dernier lieu c’est un don."

"C’est la science par laquelle on connaît de quelle manière les gens parfaits se sont élevés des aspects (natures) humains vers les degrés de félicité divine."

Et il a ajouté : "La science du Tassawwûf n’est connu que de celui qui est éveillé dans la vérité, et celui qui n’en est pas témoin ne peut la connaître ; et comment un aveugle peut-il témoigner de la lumière du soleil !"

Dans ses qawa’id at-Tassawûf, le Cheikh Zarrûq a dit : "Les définitions explicatives du soufisme sont nombreuses ; mais toutes reviennent à une seule : la véracité (la sincérité) de l’orientation vers Allah."

Ce qu’en dit Chaykh Abû Sa'ïd [14] :

On demande au Cheikh : Qui est le soufi ? Il répondit : Le soufi est celui qui, en tout ce qu’il fait, agit pour plaire à DIEU ; et par conséquent tout ce que fait DIEU lui plaît. (p. 294)

Le Cheikh a dit : Sept cents Maîtres du soufisme ont parlé sur le soufisme. Le premier en a dit la même chose que le dernier. Les phrases ont été diverses, mais l’idée est restée la même : le soufisme est l’abandon du superflu. Il n y a rien de plus superflu que ton moi, car en t’occupant de ton moi, tu t’éloignes de DIEU. (p. 301)

Le Cheikh a dit : Partout où existe l’illusion de ton moi, c’est l’Enfer ; partout où ton moi n’est pas, c’est le paradis.

Le Cheikh a dit : Le voile entre DIEU et Sa créature n’est ni le cial-ni la terre, c’est une illusion de toi même et c’est ton moi qui constitue ce voile. Enlève ce voile et tu parviendras à DIEU. (p. 291)

Le Cheikh a dit : Si tu désires que le Vrai existe en ton cœur, purifie ton cœur de tout ce qui est autre que DIEU. En effet, le roi n’entre pas dans une maison emplie de racaille et de populace ; il n’entre que dans une demeure évacuée où il n y aura que lui même et où tu n’auras pas accès auprès de lui. Comme on dit : Sors d’ici ! C’est ma demeure.

Le Cheikh a dit : Le soufisme est la volonté de DIEU (agissant) dans l’homme, sans l’intermédiaire de l’homme. (p. 298)

Notre Cheikh a dit : Le soufisme est un mot, mais lorsqu’il parvient à la perfection il n y reste que DIEU. Cela veut dire que lorsque le soufisme atteint la perfection, il n y a plus que DIEU et tout ce qui est en dehors de DIEU n’existe plus. (p. 290)

On demanda à notre Cheikh : Qu’est le soufisme ? Il répondit : Ce soufisme n’est qu’impiété On demanda : Mais pourquoi Cheikh ? Il répondit : Parce que le soufisme consiste à renoncer à tout autre que lui ; or, il n y a pas autre que Lui. (p. 245)

Si l'on excepte l'adjectif de relation désignant les membres des Banû sûfa, la plus ancienne attestation du terme sûfî date de la fin du IIe/VIIIe s. où on le trouve appliqué au fameux alchimiste Jâbir b. Hayyân, disciple de Ja'far al-Sâdiq, le 6e Imam du shiisme. C'est à dire que les interrogations sur l'étymologie du terme sont étroitement liées à la question de l'origine du fait : d'où vient le soufisme, et y eut il un soufisme avant que cette dénomination n'existe ?

2.1.1- Le soufisme avant la lettre (Ie/VIIe s.-IIe/VIIIe s.)

Une sentence fameuse parmi les soufis dès le Ve/XIe s. affirme que le tasawwuf est aujourd'hui un nom sans réalité, alors que c'était jadis une réalité sans nom.

Par delà l'exagération d'une telle formule, un fait demeure : on ne saurait rien comprendre au soufisme si l'on ne considère pas qu'il relève d'abord de l'Islam. C'est là une chose établie, le soufisme, al-tasawwuf, est une voie spirituelle islamique, et plus précisément ésotérique et initiatique. C'est une voie ésotérique parce qu'elle s'ordonne autour d'une doctrine selon laquelle toute réalité comporte un aspect extérieur apparent – ou exotérique, zâhir – et un aspect intérieur caché – ou ésotérique, bâtin ; et le soufisme se présente lui-même comme l'aspect intérieur et ésotérique de l'Islam. C'est une voie initiatique parce que le disciple, après avoir reçu l'initiation, aspire à réaliser sous la conduite d'un Cheikh, d'un Maître spirituel, des états de conscience toujours plus intérieurs, jusqu'à l'extinction de sa propre conscience en DIEU.

Cependant, dans une tradition telle que l'Islam, qui se veut totalité et qui engage l'être dans tous ses aspects, la spiritualité ne signifiera pas retraite vers le sacré, mais l'intégration du sacré dans tous les plans de l'existence. C'est ainsi que le soufisme sera riche de dimensions scientifiques et artistiques, et qu'il jouera, par ailleurs, sur la scène de l'histoire, un rôle social, économique et politique souvent fort important.

Pour ces raisons, nous aborderons le soufisme en tant que réalité isolée et partie intégrante de l'Islam. Nous n'entendons pas par là y reconnaître un aspect de l'universelle aspiration de l'homme à l'absolu, aspiration nourrie ici de la méditation des sources islamiques : le Coran d'abord, puis la vie et les dires du Prophète et de ceux qui se sont conformés à son exemple et à son enseignement.

Bien sûr, on ne saurait dire que le Prophète fut un mystique, quelle que soit l'acceptation du terme retenue, de même qu'on ne saurait le dire soufi, si nous entendons par là la pratique du soufisme ; mais qui pourrait affirmer qu'il ne fut pas un 'ârif bi-Allah, un connaissant de DIEU/par DIEU, terme qui désigne chez les soufis l'adepte par excellence, établi dans le suprême degré de la réalisation spirituelle, et donc modèle parfait du tasawwuf? Et pour ne pas se laisser obnubiler par les vicissitudes de l'histoire, on peut songer à ce propos à la spiritualité d'un Émir 'Abd el-Kader, récemment révélée à tous ceux qui n'avaient de lui que l'image d'un sabreur magnanime.

Parmi ceux que le soufisme revendique ensuite comme ancêtres, figurent en premier lieu certains des plus grands Compagnons du Prophète, considérés comme les précurseurs directs des ascètes des deux premiers siècles de l'Hégire (VIIe-VIIIe s. après J.C.). Selon une perspective typiquement islamique, l'attitude de renoncement dans le monde (al-zuhd fî-l-dunyâ) qui les caractérise consiste, non pas à retirer sa main du monde, mais à en vider son cœur. Là encore, il s'agit donc moins de mystiques vivant en rupture radicale avec le monde que de musulmans intégrés dans la société et menant une vie de consécration dans la crainte de DIEU (makhafa) et l'observance scrupuleuse de la Loi.

De ces précurseurs, le soufisme postérieur retiendra donc surtout des figures relativement incontestées dont certaines deviendront particulièrement célèbres jusqu'à nos jours, tels Hasan al-Basrî (m. 110/728) considéré comme le patriarche des soufis et Râbi'a al-'Adawiyya (m. 185/801), cette femme qui proclama son amour (mahabba) passionné pour DIEU et refusa obstinément de se marier. L'hagiographie rapporte aussi, déjà, la geste des Maîtres d'une école du Khorasan, cette région septentrionale de l'Iran d'où sortiront tant de grands noms, mais à cette époque l'implantation est encore pour beaucoup proche orientale. C'est à Kouffa, alors colonie militaire en Irak et centre shiite actif, qu'un groupe – qui eut 'Abdak (m.v. /825) pour dernier Maître, fut le premier à être désigné collectivement par le qualificatif de soufi.

Ce groupe sera pourtant laissé dans l'ombre par l'hagiographie, peut être du fait de ses liens avec le shiisme.

Nous ne pouvons qu'évoquer cette importante et délicate question des relations du soufisme, non pas avec le shiisme tel qu'il se formalisera ultérieurement, mais avec ses Imams, et en particulier Ja'far al-Sâdiq (m. 148/765). Ce dernier dont nous venons de dire que c'est un de ses disciples qui a, pour la première fois, porté le nom de soufi, a vécu une période de transition cruciale dans l'histoire de l'Islam : le renversement de la dynastie omeyyade et le passage du pouvoir aux 'Abbassides dont l'établissement sera concrétisé par la fondation de Bagdad trois ans après la mort d'al-Sâdiq. Un changement politico-religieux s'opère alors, qui n'est, peut être pas sans rapport avec l'apparition du terme soufi. Le Calife omeyade, en effet, soucieux de souveraineté temporelle, s'arrangeait assez facilement d'un Imam se contentant de dispenser un enseignement spiritual-sans se dresser contre son autorité (imâm qâ'id vs imâm qâ'im). Le Calife 'abbasside, par contre, se présente comme investi d'une autorité spirituelle incontestable et exclusive : de ce fait, les Imams de la descendance d'al-Sâdiq ne pourront plus prêcher ni enseigner sans être inquiétés, sauf en se dissimulant ainsi que le fera la branche ismaïlienne.

C'est donc au moment où le contact direct avec la conduite spirituelle par un Imam devient pratiquement impossible que des Maîtres, puis des écoles, sont pour la première fois qualifiés par le terme sûfî, les premiers à l'être étant précisément en rapport avec l'un de ces Imams : qui plus est, le 8e Imam 'Ali al-Ridâ (m. 202/818), le seul qui connaîtra un exceptionnel-répit, sera aussi le dernier des Imams à apparaître dans des chaînes de transmission initiatiques (silsila-sftn1515 [15]).

Or même si l'on conteste l'authenticité de ces silsila-s, il n'en reste pas moins qu'elles manifesteraient alors la volonté d'une référence à huit figures qui sont également huit Imams du shiisme. Par ailleurs, l'hagiographie soufi nous présente al-Ridâ comme maître de Ma'rûf al-Karkhî (m. 200/815) qui passe pour avoir été le premier à enseigner l'ésotérisme [16] de la doctrine de l'unité (Tawhîd) à Bagdad.

2.1.2- De l'apparition à l'intégration (IIIe/IXe s.-V/XIe s.)

C'est en effet dans les métropoles de l'Irak, creuset intellectuel-et carrefour d'influences diverses, qu'apparaît au IIIe/IXe s. le soufisme historique, avec l'école issue de Ma'rûf al-Karkhî et illustrée par la figure de Junayd (m. 297/910), école qui prône la sobriété (sahw) et le respect de la discipline du secret (taqiyya, kitmân) dans l'enseignement ésotérique. Cependant, les soufis se rencontrent très tôt un peu partout dans le monde islamique où Maîtres et disciples circulent et forment des groupes tenant cercles dans les mosquées ou à domicile. Le Khorasan tend, dès la fin du IIIe/IXe s. à devenir une région de forte implantation du tasawwuf qui s'y combine avec des mouvements locaux – tels le karramisme – ou les supplante. C'est là que prend naissance, en réaction contre un certain soufisme devenu trop ostentatoire, le courant des gens du blâme, les malâmâtiyya [17], qui se caractérisent par une spiritualité dépouillée vécue sans se séparer du monde et de ses règles, et même sans s'y distinguer extérieurement. A ce courant est liée la futuwwa, véritable chevalerie spirituelle, axée donc sur une spiritualité de l'action, qui deviendra le cadre des initiations de métier. Mais bien qu'attachées en leur principe à une spiritualité discrète intégrant le sacré à tous les plans de l'existence, deux voies donneront paradoxalement lieu à maintes manifestations d'anticonformisme et de fronde qui sont sans doute, au moins en partie, responsables de la vive hostilité que rencontrent alors les soufis chez les autorités politiques et religieuses. Toutefois, cette animosité est aussi, et surtout, due à deux autres causes indépendantes, l'une principielle, l'autre historique.

D'abord, la réalisation spirituelle est, de par sa nature même, une expérience intime et incommunicable, la seule manière de l'exprimer étant de recourir à un langage inaccessible à tous ceux qui lui sont étrangers ; il n'est donc pas étonnant qu'elle ne parvienne à susciter chez ces derniers que de l'incompréhension, source de méfiance et d'hostilité. Qui plus est, il peut arriver que le soufi, sous l'emprise de l'extase ou de l'ivresse mystique, profère des Shatahât (sing. Shath), des paroles comportant de véritables outrances théologiques, tel le fameux subhânî ! Gloire à Moi du Khurassanien Abû Yazîd al-Bistamî (m. 261/875).

Par ailleurs, la fin du IIIe/IXe s. voit la montée de courants shiites à la fois ésotériques, initiatiques et politiques : un état qarmate s'installe dans la péninsule arabique, qui prendra La Mecque en 317/930, tandis que les Ismaïliens préparent la révolte qui donnera naissance à la dynastie fâtimide. Les soufis, souvent mal considérés par ces mouvements qui voient en eux des concurrents idéologiques, se heurtent simultanément à ceux qui les prennent au contraire pour des agents propagandistes de ces courants subversifs. C'est dans ce contexte embrouillé de luttes politiques et de troubles sociaux qu'il faut replacer la crise qui culmina avec le procès et l'exécution du célèbre al-Hallaj (m. 309/922). L'affaire eut un retentissement considérable, non pas à cause de la fin tragique d'al-Hallaj – qui n'était pas en soi exceptionnelle depuis les premières persécutions sous le règne d'al-Mu'tamid (256-279/870-893) – mais du fait du rayonnement de ce saint qui avait fréquenté la plupart des Maîtres importants et parcouru une grande partie du monde islamique, jusqu'en Inde, prêchant le soufisme sans attention pour la discipline du secret. En fait, c'est ce caractère public et populaire de sa prédication, ainsi que l'accusation d'avoir partie liée avec les mouvements shiites mentionnés, qui entraînèrent le verdict des juges, bien plus que son célèbre Shath : Anâ-l-Haq ! Je suis le Vrai !

Les soufis se maintiendront désormais dans une attitude de prudente réserve et s'efforcent d'obtenir un statut de composante reconnue du sunnisme, intégrée tout en gardant certaines spécificités. L'IVe/Xe s. connaîtra bien des Maîtres dans la continuité de ceux de l'IIIe/IXe s. Mais l'époque est avant tout à l'aménagement : réservant les propos de haute spiritualité à ceux qui sont préparés à les entendre, les soufis rédigent, en arabe, plusieurs traités destinés, d'une part à exposer les bases de la Voie à des cercles plus larges de musulmans soucieux d'intériorité spirituelle, et d'autre part à prouver leur légitimité traditionnelle, ce qui à l'époque veut dire surtout se montrer en accord avec les thèses de la théologie ascharite qui prend son essor.

Ce travail d'éclaircissement, de classification et d'explications apaisantes se poursuit au Ve/Xe s. qui voit aussi l'apparition des premiers historiens et hagiographes du tasawwuf. Finalement, un soufisme modéré, toujours caractérisé par le rejet des extrémismes sectaires et des attitudes excentriques – comme celles de certains malâmâtiyya – par l'harmonie entre la Voie spirituelle et la Loi, par l'adoption des seules méthodes et pratiques éprouvées, et par son exigence de purification morale, se voit toléré, voire reconnu par les représentants officiels de l'Islam.

Adopté par la dynastie turque des Seldjoukides qui domine alors l'Est islamique, le soufisme se répand à sa suite dans l'ensemble du Proche-Orient. Peu à peu, il gagne le monde islamique dans son entier et pénètre toutes les couches de la société, avec un succès peut être plus grand en Orient où, dès le milieu du Ve/XIe s, se multiplient les écrits soufis en langue persane. Enfin l'insertion doctrinale définitive du soufisme dans le sunnisme se fera grâce à l'œuvre magistrale du célèbre Abû Hamid al-Ghazâlî (m. 505/1111). Originaire de Khorasan, ce grand théologien ascharite, proche de la cour seldjoukide, enseigne à Bagdad dans une des plus anciennes et des plus prestigieuses universités islamiques. Au faîte de la gloire et de la renommée, il vit une importante crise spirituelle qui l'amène à approfondir la voie du soufisme, seule voie qu'il considérera finalement comme complète après avoir étudié, puis écarté les voies des théologiens, des philosophes hellénisants (falâsifa) et des ésotéristes ismaïliens (bâtiniyya, ta'llmiyya). Il préparera également les esprits à accepter plus largement des méthodes spirituelles utilisant la musique et la danse (samâ', raqs), ou des épiphénomènes – visions (ru'ya-s) et miracles (karâmât) – qui accompagnent fréquemment la réalisation spirituelle. Quant à son frère cadet, Ahmad Ghazâlî, qui ne fut pas sans influence sur son orientation, il est, lui, la première grande figure d'un aspect particulier du soufisme qui se développe au Khorasan et plus largement en Iran dès les débuts de cette période charnière que constituent les VIe/XIIe s. et VIIe/XIIIe s.

La civilisation islamique vit pendant ces deux siècles une des phases les plus critiques de son histoire, la seconde correspondant à l'ère coloniale. Elle se voit pour la première fois menacée et perdra même de sa puissance temporelle. Rappelons quelques faits : en 492/1099, les premiers croisés prennent Jérusalem tandis que les Normands achèvent la reconquête de " la Sicile. L'Andals" la Sicile. L'Andalûs, l'Espagne musulmane dont la reconquista a déjà commencé, bénéficie encore d'un répit jusqu'en 609/1212 où commence pour les musulmans une retraite qui ne laissera subsister de leur présence sur le sol ibérique que l'enclave du royaume de Grenade. A l'est, s'avancent les Mongols qui conquièrent les provinces iraniennes avant de prendre Bagdad en 656/1258 : la limite de leur empire viendra imprimer dans le monde islamique une coupure dont les effets, pour atténués qu'ils soient, demeurent encore sensibles.

Dans cet Orient iranien, une école du Khorasân – qu'on ne peut qu'avec beaucoup de réserves dénommer soufisme persan – prend son essor avec Ahmad Ghazâlî (m. 531/1126). On peut caractériser sommairement cette école en disant que les questions spirituelles y sont traitées, en persan, sous une forme poétique ou narrative relativement affranchie de toute expression théologique, philosophique ou, plus généralement, logique. Elle atteindra l'un de ses sommets avec Jalal-Ed-Dîn Rûmî (m. 672/1273), aussi connu sous le nom de Mawlâna, notre Maître. Originaire du Khorasân, puis établi en Anatolie, Rûmî est célèbre à deux titres : d'abord comme source de la tarîqa mawlawiyya fameuse pour ses derviches tourneurs qui suivent la voie choisie par leur Maître, la voie de la musique et de la danse ; ensuite comme auteur d'un immense et superbe poème mathnawî, centré sur les thèmes coraniques, poème si admiré qu'il suffit de la désigner comme le Mathnawî.

Une autre est l'école Ishrâqî qui voit le jour en cette même époque et qui illustre bien les difficultés où nous sommes parfois, de trancher nettement entre le soufisme proprement dit et d'autres voies spirituelles. Son fondateur, Shihâb u-Dîn Yahyâ Suhrawardi, qui mourra exécuté sur ordre de Saladin en 587/1191, est à proprement parler un théosophe, autrement dit un philosophe pour qui la Sagesse ne saurait être que divine et un spiritual-pour qui la voie ne saurait être qu'une gnose, une connaissance libératrice. Il fut donc l'initiateur d'une théosophie illuminatrice où il voulait conjoindre, dans le cadre de la tradition soufi – sans pourtant qu'on le sache affilier à quelque silsila – l'angéologie des Sages de l'ancienne Perse, la philosophie mystique d'Avicenne (m. 428/1073) et, par delà ce dernier, la philosophie des anciens Sages grecs, au premier rang desquels viennent les Platoniciens. Et jusqu'à nos jours encore, en Iran et en Inde surtout, d'éminents spirituels déclareront leur appartenance à cette tradition Ishrâqî.

En Irak, siège du califat 'abbaside qui vit ses dernières années, le soufisme vit aussi une profonde mutation. Celle-ci se caractérise par la naissance des premières tarîqa-s ou organisations initiatiques dotées d'une règle et d'une méthode propre : deux d'entre elles, la Qâdiriyya et la Rifâ'iyya, apparaissent dès le VIe/XIIe s. Cette mutation se manifeste également par la multiplication de bâtiments spéciaux appelés ribât-s qui seront progressivement réservés aux soufis pour leurs réunions et séances rituelles (par la suite, on désignera ces établissements par l'arabe zawiya). Il semble en fait que le Calife al-Nâsir (587-622/1180-1225) a joué un rôle d'importance dans cette mutation. Personnalité exceptionnelle, il aspirait à une restructuration de l'Islam intégrant shiites et sunnites dans le cadre de la futuwwa réformée en une organisation qui ne manque de rappeler l'institution chevaleresque et les compagnonnages de métier de notre Moyen-âge. Encore faut-il, derrière la personne du souverain 'abbaside, discerner l'influence de celui qui fut son conseiller spiritual-: Abû Hafs Shihâb al-Dîn 'Umar Suhrawardî (m. 631/1234) qui fut à l'origine de la tariqa portant ce nom et qu'il faut bien distinguer de son homonyme précédemment cité.

Il apparaît alors que la mutation vécue par le soufisme n'est pas le fruit de coïncidences fortuites, mais qu'elle relève bien de l'action consciente et volontaire d'une élite, en réponse aux nouveaux besoins de la communauté musulmane. Élargissant encore le cercle de ses participants, le soufisme devient ouvertement, dès cette époque trouble et menaçante, un extraordinaire pôle d'intégration communautaire, à tel point qu'on pourra dire parfois qu'il n'est personne en tel pays qui ne relève de quelque manière de l'obédience d'une tariqa.

C'est dans ce contexte qu'apparaît l'œuvre d'Ibn 'Arabî, peut être l'événement spiritual-le plus important de l'histoire du soufisme. Né en Andalousie en 560/1165, Ibn 'Arabî entre très jeune dans la Voie et commence bientôt une vie de pérégrinations qu'il mènera jusqu'à l'âge de soixante ans. Il se cantonne dans un premier temps à l'Andalousie et au Maghreb qui, malgré les difficultés posées par l'étroit littéralisme doctrinal des Almoravides puis des Almohades, vivent alors de belles journées spirituelles. Après un passage en Égypte, il parcourt ensuite sans relâche le Proche-Orient du Hijâz à l'Anatolie, de l'Irak à la Palestine, pour finir enfin par s'installer en 620/1223 à Damas. C'est là que s'étendra en 638/1240 ce vivificateur de la religion (c'est le sens de son surnom : Muhyîuddîn) que la prospérité désignera aussi comme plus grand Maître (al-Cheikh al-Akbar) et Sultan des Connaissants (Sultân al-'ârifin). Il laisse une œuvre monumentale : œuvre d'explication théoriques certes, offrant avec les Fûtûhât al-Makkiyya une véritable encyclopédie du tasawwuf ; mais œuvre du secret, synthèse difficile, voire impénétrable comme en témoigne le livre des Fusûs al-hikam, petit ouvrage de moins de deux cents pages qui reste à ce jour le plus commenté – et le plus attaqué – de la littérature soufie.

Son disciple d'élection, Sadr-u-Dîn Qûnawî (m. 672/1263), sera en contact avec un grand nombre de hautes figures spirituelles : il rencontrera Ibn Sab'în (m. 629/1270), autre grand théosophe andalou ; le poète égyptien Ibn al-Fârid (m. 632/1235), connu comme Sultan des Amants divins (Sultân al-'âshiqîn) ; les fondateurs de tarîqa Suhrawardi, l'irakien, et Shâdhilî le maghrébin (m. 656/1258) ; il sera en rapport avec l'iranien Sa'd al-Dîn Hamûye (m. 650/1252) avec qui nous voyons réapparaître brillamment un soufisme shiite dont nous avions perdu la trace depuis le IIe/IXe s; enfin il entretiendra une correspondance avec le philosophe Nâsir-u-Dîn Tûsî (m. 672/1274) avec qui l'Imamisme official-prendra finalement lui aussi position en faveur d'un soufisme modéré. Cette rapide énumération peut permettre de donner une idée de la richesse des relations spirituelles de cette époque. L'Andalousie comme l'Iran, le Proche-Orient comme le Maghreb connurent alors bien des grands noms que nous ne pouvons citer ici et qui ont fait de cette période de mutation un des âges d'or du soufisme.

2.1.4- Continuités et assoupissements (VIII/XIV s.-XIIe/XVIIIe s.)

Partout dans le monde musulman, les deux siècles suivants apparaissent comme la continuation des orientations prises au cours du VIIe/XIIIe s.

Sur le plan doctrinal, l'œuvre d'Ibn 'Arabî tend à s'imposer définitivement comme la pierre de touche de la métaphysique et de la cosmologie du soufisme. Toute prise de position se fait par rapport à cette œuvre et bien rares sont ceux qui échappent à cette influence. On peut même dire sans trop d'exagération que toute la littérature théosophique postérieure en Islam ne sera en quelque sorte que commentaire, illustration ou prolongement d'Ibn 'Arabî, quel que soit en définitive le recul ou l'écart pris par rapport au Maître. Il ne s'agit pas, bien sûr, de nier des divergences plus ou moins importantes et de divers ordres, mais il faut bien prendre conscience qu'elles interviennent dans un domaine si subtil qu'il est souvent difficile d'en déterminer la nature ou la raison d'être. Ainsi, et pour ne citer qu'un seul exemple, on ne pourra que s'interroger sur la nature de l'adversité d'un Samnânî (m. 736/1336) qui, bien que sévèrement critique à l'égard de l'expression théorique de la wahdat al-wujûd, s'essaiera à donner un commentaire partial-des Fusûs al-hikam.

Par ailleurs, opposés à toutes ces écoles intellectuelles et ésotériques, un certain nombre de pieux et doctes musulmans se réclament d'un tasawwuf khuluqî ou soufisme du souci éthique, considéré comme étant le véritable soufisme des Anciens, le tasawwuf falsafî ou soufisme philosophique des Modernes n'étant qu'une blâmable innovation. Entendu comme se réduisant à cette seule préoccupation, le soufisme sera fréquemment admis, voire pratiqué, par des musulmans qui restent cependant étrangers à tout ce que nous avons désigné comme la réalisation spirituelle. Tel fut le cas de certaines figures célèbres du hanbalisme militant et aussi de savants polygraphes comme Ibn Khaldûn (m. 808/1046) et le grenadin Ibn al-Khatîb (m. 777/1375).

Ceci en ce qui concerne l'histoire doctrinale et proprement interne du soufisme. Les tarîqa-s, quant à elles, se développent, se ramifient et s'installent de plus en plus dans leurs fonctions sociales, politiques, culturelles et économiques. Malgré des études de plus en plus nombreuses abordant ces aspects du soufisme, beaucoup de travail reste à faire pour évaluer tous les cas d'adaptation des confréries et de leurs centres à des réalités locales. D'une manière générale, on peut dire qu'elles n'auraient pu parvenir à ce degré de développement dans tout le monde musulman sans la protection et le soutien économique – notamment par des dotations immobilières constituées en biens (waqf) – que leur accordent, par conviction ou par intérêt, les princes et les souverains. Ce furent d'abord les Mongols en Asie et au Moyen-Orient iranien, diverses principautés turques en Anatolie et les Mamlouks au Proche-Orient arabe. Ensuite, à partir du VIII/XVI s, il faut considérer séparément quatre grands états musulmans : le Maroc chérifien, l'Empire ottoman, l'Iran safavide et l'Inde moghole.

Dans le Maroc chérifien, les confréries prospèrent et jouent un rôle politique d'importance. La position des zawiyas s'est considérablement renforcée du VIIe/XIIIe s. au Xe/XVIe s. à la faveur de la résistance qu'elles ont animée face à la pression occidentale et plus particulièrement ibérique. " La dynastie Sa'dien" La dynastie Sa'dien doit dans une large mesure son installation et son maintien au pouvoir à l'influence des chefs de confréries. C'est encore par le canal des zawiyas-s que la culture islamique s'introduit alors jusque dans les zones montagneuses. Enfin, leur enracinement est tel que, lorsque l'État Sa'dien s'effondre au XIe/XVIIe s, une zawiya sera sur le point de reconstituer l'unité du Maroc sur une base maraboutique. C'est pourtant la famille 'Alawite qui prendra finalement le pouvoir, ouvrant une ère de relations plus tendues entre les soufis et l'État chérifien, sans pour autant que s'affaiblisse le rayonnement des zawiyas.

La situation des confréries dans l'Empire ottoman est, sous un certain rapport, encore plus favorable. Pour tout un pan du soufisme, l'évolution se fait, de manière ambiguë, vers une sorte d'institutionnalisation contrôlée. De manière ambiguë car il reste à savoir qui contrôle quoi ? D'un côté, certains chefs de confréries, nommés et dotés par le gouvernement, sont comptés parmi les grands dignitaires de l'État. Mais par ailleurs, le Sultan est lui-même affilié, soit à la Mawlawiyya, soit à la Khalwatiyya qui se répand alors dans tout l'Empire. Enfin, et sans présager d'autres rapports, le corps des Janissaires, élite de l'armée impériale et soutien du trône, est tout entier rattaché à la Bektâchîyya, curieuse synthèse – ou syncrétisme? – liée au shiisme anatolien : ce n'est pas un des moindres paradoxes de l'histoire de l'Islam que celui d'un État vigoureusement sunnite s'appuyant sur un corps militaire lié à une tarîqa shiite !

Tout aussi paradoxale est l'évolution de la tariqa turque des Safawiyya : après avoir adopté le shiisme, elle donne naissance en Iran à un État qui adopte officiellement et impose cette doctrine et où les confréries seront pour le moins mises à mal. Au XIIe/XVIIIe s, les tarîqa-s sunnites ont disparu de l'Iran safavide et le soufisme confrérique en général y est au plus bas. Sur le plan intellectuel, par contre, cette période – qu'Henri Corbin qualifiait de renaissance safavide – est marquée par la production d'œuvres spirituelles fortes et originales. A la fois docteurs du shiisme et théosophes gnostiques, leurs auteurs, tout en ne se rattachant pas nécessairement au soufisme, voire même en s'en démarquant, abordent les mêmes questions métaphysiques et cosmologiques que les soufis nourrissant leurs méditations tant de la tradition héritée des Imams que des œuvres d'Ibn 'Arabî, de Suhrawardi ou d'autres encore.

Une autre production intellectuelle originale est celle qui naît, en Inde, du contact avec la spiritualité gnostique hindoue (jnâna). La rencontre aboutit parfois à un syncrétisme comme le fut la tentative de l'Empereur moghol Akbar (m. 1014/1605) de créer une religion divine (Dîn ilâhî). Mais d'autres – tel, semble t-il, le Prince soufi Dârâh Shikōh (m. 1069/1659) – eurent bien conscience d'une convergence entre deux réalités autonomes. En Inde également, les confréries introduites depuis l'Iran dès le VIIe/XIIIe s. se sont développées et multipliées, essaimant plus loin encore, dans le monde indo-malais. Au sein d'une de ces confréries, apparaît au XIe/XVIIe s. une personnalité remarquable, le Cheikh Ahmad Sarhindî (m. 1023/1625) qui passera à la postérité sous le nom de Rénovateur du second millénaire de l'Hégire (mujaddid al-alf al-thânî) : on se trouve avec lui face aux prémices d'une vague de fond dont les effets se feront sentir dès le XIIe/XVIIIe s. et qui atteindra au siècle suivant tout le monde musulman.

On a souvent considéré les siècles postérieures à celui d'Ibn 'Arabî comme une période de décadence du soufisme. Il est vrai que, hormis de remarquables exceptions, les œuvres intellectuelles relevant directement du tasawwuf se font peu à peu plus rares ou moins brillantes [18].

Il est vrai également qu'après une période d'élaboration, les confréries tendent à une certaine institutionnalisation, avec tout le conformisme que cela implique. Toutefois, si le soufisme semble bien plongé dans un tranquille – et tout relatif – assoupissement, le réveil qu'il connaîtra au XIIIe/XIXe s. nous empêche d'utiliser à ce propos le terme de décadence.

2.1.5- Le réveil (XIIIe/XIXe s.)

Au XIIIe/XIXe s, le monde musulman vit la deuxième grande période critique de son histoire, période de la confrontation avec l’Occident. A cet égard une date, celle de 1798, année de l’expédition d’Égypte, peut tenir lieu de repère, même si bien avant déjà des premiers contacts et des premiers affrontements eurent lieu. En ce siècle, l’Occident se rendra maître d’une grande part de la terre d’Islam (Dâr al-Islâm), mais ce siècle verra aussi le réveil du monde musulman, ce réveil que dans les pays arabes on nommera nahda. Dans le tumulte de cette nahda des mouvements modernistes – nationaux ou religieux – une autre nahda, celle du tasawwuf, sera peu remarquée. Pendant longtemps, et dans une large mesure jusqu’à nos jours, les exposés sur l’histoire moderne de l’Islam, en Occident comme en Orient, ont laissé planer un étranger silence sur les manifestations de cet esprit de revivification et de rénovation qui anime alors le soufisme.

Quand le soufisme est abordé dans des études sur cette période, c’est principalement sous ses aspects les plus voyants, aspects apparemment plus faciles à saisir mais qui, du fait qu’ils relèvent des applications contingentes et non de l’essence, sont souvent des réalités mouvantes aux motivations multiples et complexes. On s’intéresse ainsi au soufisme institutionnalisé qui atteint alors ses sommets en Égypte où siège un conseil soufi suprême présidé par un Cheikh des Cheikh de toutes les tarîqa-s; institution plus que paradoxale, véritable caricature bureaucratique du tasawwuf, qui continue actuellement encore de fonctionner. On multiplie aussi les études sur un soufisme dit populaire, études dans lesquelles on retraite inlassablement, et souvent sans grand discernement, de la ziyâra, ou visite aux tombes des saints, et des multiples pratiques annexes dont elle est le cadre. On est concerné, enfin, par le soufisme missionnaire, militant ou combattant, fonctions que le soufisme assume en fait depuis son apparition mais auxquelles on est, là, plus directement confronté. C’est presque exclusivement en raison d’un tel engagement que certaines manifestations du renouveau confrérique doivent être remarquées : on parlera ainsi fréquemment de la Sanûsiyya et de ses développements en Cyrénaïque, du rôle de la Mahdiyya au Soudan, ou encore du Jihad d’al-Hajj ‘Umar en Afrique occidentale…

Pourtant, le réveil du soufisme est loin de se limiter à ces engagements relativement extérieurs et secondaires. Il se manifeste tout d’abord, et cela dès le XIIe/XVIIIe s, par l’apparition d’œuvres importantes, généralement d’inspiration akbarienne, dont nous citerons au moins celle, magistrale et par trop méconnue, de l’Émir Abd el-Kader (m. 1300/1883). Il se manifeste aussi, et surtout, par une revivification des confréries existantes qui donnent naissance à de nouvelles branches actives. C’est à cette époque que la Ni’matullâhiyya est restaurée dans son pays d’origine, l’Iran, par un maître venu de l’Inde du Sud. Au Maghreb, le renouveau se manifeste encore par l’éclosion de tarîqa-s comme la Tîjâniyya ou l'Idrîsiyya, tarîqa-s caractérisées par certains aspects nouveaux que nous ne pouvons développer ici. La plupart de ces branches ou de ces tarîqa-s nouvelles se répandent très rapidement dans tout un secteur du monde musulman, et parfois même d’un bout à l’autre du globe. Enfin, on ne peut non plus ignorer l’éclosion en Iran de l’école Cheikhiyya qui, bien que se démarquant des confréries, n’en participe pas moins à ce renouveau spirituel.

Il est pour le moins curieux qu’un mouvement d’une telle importance – et encore n’avons nous évoqué que les faits les plus saillants – n’ait pas encore, contrairement aux autres tendances islamiques, suscité de véritable étude. Sans doute faut-il voir là un effet de l’attention exagérée qu’on accorde e plus en plus aux phénomènes – qui ne sont souvent que des épiphénomènes – aux dépens de réalités bien plus importantes mais aussi moins voyantes. Quoi qu’il en soit, ajouté à la présentation fréquente des aspects les moins brillants du soufisme, le silence fait sur cette renaissance, à la fois si actuelle et si profondément enracinée dans la tradition, a eu pour effet de dévaloriser le tasawwuf aux yeux des musulmans instruits. Parmi ceux ci, les uns, sécularisés et occidentalisés, rejettent plus ou moins l’Islam, au moins en tant que mode de vie et code complet de lois; quant aux autres, s’ils sont de pieux musulmans, ils n’envisagent trop souvent de l’Islam que l’interprétation exotérique de la Sharî'a, rejetant tout ce qui touche à sa dimension intellectuelle et spirituelle. Et tous, ou presque, en arrivant à concevoir le tasawwuf comme se réduisant à certaines pratiques excentriques ou à une institution figée. Les tarîqa-s ne leur apparaissent que comme des organisations obscurantistes, sources de tous les maux de l’Islam ou de leur nation. Elles portent à leurs yeux la lourde responsabilité d’une décadence et d’un affaiblissement qui auraient favorisé la colonisation qu’elles sont de plus accusées d’avoir appuyé de leur collaboration.

Il n’est pas question bien sûr de nier a priori la réalité de certains cas, encore faudrait il alors examiner les motivations réelles dans le cadre complexe de chaque situation sans ramener tout à un manichéisme primaire. Mais on peut de manière globale infirmer cette image. ‘Abd el-Kader, soufi et combattant, suffirait à cela ; or il ne fut pas un cas isolé : réassumant une fonction qu’ils exercèrent déjà souvent par le passé – on a déjà parlé de l’importance prise par les zawiyas marocaines à la faveur de leur activité face au danger ibérique – les confréries soufis ou les tarîqa-s continuent d’inspirer et de mener et d’animer la résistance contre toute atteinte culturelle ou militaire à l’Islam.

Allons plus loin et disons que ceux pour qui l’Islam est un ennemi savaient bien – et savent encore – que le soufisme est le cœur qu’il faut toucher. Dans la conclusion d’une thèse en sciences politiques publiée à Alger en 1910 on peut lire : Nos efforts devront tendre à attirer à nous les chefs influents qui nous sont hostiles. Essayons d’avoir raison de leurs préventions par l’appât de hautes situations… Jusqu’au jour où les Khouans (les affiliés), éclairés par la civilisation, briseront les liens d’esclavage qui les rivent à leur chef. Ce jour là, l’Islam sera vaincu.[19].

Auparavant déjà, A. Le Chatelier, dans son Islam au XIXe siècle (Paris, 1888), avait noté à propos de l’Afrique du Nord la vitalité des courants spirituels de l’Islam qui furent selon lui le principe religieux actif du XIXe s. Dix ans plus tard, un islamologue russe écrivait : Etant donné l’immobilité des dogmes officiels de l’Islam, tous les mouvements intellectuels dans le monde musulman, doivent revêtir le drapeau du soufisme. La renaissance de l’Islam ne peut se faire que sous son influence. Chaque nouvelle idée, chaque mouvement politique ou religieux, réactionnaire ou révolutionnaire, devra se couvrir du drapeau du soufisme.

Nous espérons, en citant ces remarques de personnes peu suspectes de sympathie pour le soufisme, amener certains à réfléchir sur la position réelle du tasawwuf au sein de la civilisation islamique, afin que soient évités ou rectifiés certains jugements, partiels et partiaux, qui pèsent sur lui et son histoire. Après avoir survolé cette histoire, nous voudrions encore présenter brièvement quelques figures soufisme.

2.2- QUELQUES FIGURES DU SOUFISME « IBN 'ARABI »
Pour comprendre les propos qui seront développés plus loin, il est nécessaire de savoir que le langage des soufis est un langage allusif qui se réfère à l’expérience initiatique, ainsi il ne peut être compris que par les initiés, ce qui manifeste en quelque sorte une volonté de rester "fermé" à la compréhension superficielle des profanes (les non initiés).

En effet, s’agissant de réalités spirituelles, il n’est pas indifférent que les profanes puissent comprendre même le sens extérieur des paroles des initiés (qui se réfèrent à une réalisation spirituelle effective), car ceux-ci ne manqueront pas de leur donner un sens qu’elles n’ont pas et de produire ainsi certaines déviations regrettables, surtout d’ailleurs pour ces profanes eux mêmes.

2.2.1- Présentation générale

Ibn 'ARABI, grand maître de l’ésotérisme [20] musulman (1165-1240)

Le grand maître, le vivificateur de la religion, le maître de l’amour ou Sultan des connaissants, Abu Bakr Muhammad Ibn AL ARABI est né le 27 ramadan 560 de l’hégire (7 août 1165) à Murcie, dans le sud est de l’Espagne de parents yéménites.

Issu d’une illustre famille ayant d’excellentes relations culturelles et sociales, marquée par de fortes inclinations religieuses. Son père, fut un homme influent de grande réputation. Trois de ses oncles se convertirent au soufisme.

A quinze ans, lorsqu' ’ il rencontre Ibn Rochd (Averroès), ami de son père, il se révèle être déjà le grand mystique qu' ’ il deviendra.

Il a épousé une jeune femme nommée Mariam qui partagea son aspiration à la Voie.

Ibn Arabî, avide de s’instruire auprès des plus grand maîtres, voyage à travers l’Andalousie, l’Afrique du Nord et l’Asie Mineure jusqu’aux portes de l’Iran, s’entretenant avec des mystiques et ascètes soufis, des sages et savants de son temps. Ascète [21]aimant méditer dans les cimetières, suivant une coutume soufie, jeûnant et priant, il s’initiait aussi à toutes les sciences de son temps, à la philosophie, à la théologie [22], ainsi aux connaissances ésotériques, recherchant le sens caché de tous les rapports des signes, nombres, lettres, rêves, astres et événements."Mes yeux plongeaient plus loin que le monde visible", eut-il pu dire.

Son œuvre inachevée ne compte pas moins 400 titres : pensée métaphysique, expérience mystique [23], expressions poétiques sont inséparables.

Ibn Arabî écrit ses œuvres sans ordre préconçu, mêlant citations, anecdotes, récits d’extase et déconcertant le lecteur attaché à une dialectique rationnelle. Il fuit les définitions dogmatiques; les précisions détaillées qu’il multiplie sur tel ou tel exercice spirituel, ne visent qu’à servir d’itinéraire à l’expérience personnelle de l’unification.

Il se refuse à l’incarcération de l’esprit dans les formules ,les concepts, les rites, les cultes qui arrêtent les élans de l’âme sur des expressions toute humaines de l’infini divin, pour s’abandonner totalement à l’attrait du seul amour de DIEU: "Mon cœur est capable de devenir toute forme: cloître du moine chrétien, temple des idoles, prairies des gazelles, pierre noire des pèlerins, Tables de lai mosaïque , Coran…Amour est mon credo(ce à quoi on croit) et ma foi."

Les soufis reconnaissent en Ibn Arabî, même s’ils ne le suivent pas en tout point, le très grand maître.

Huit cent cinquante-six de ses ouvrages ont été répertoriés, son "livre des conquêtes spirituelles de la Mecque (Futûhât)" est considéré comme la "somme" de l’ésotérisme musulman.

Les "Gemmes des Sagesses des Prophètes (Fûssûs)"résument les approches, les aspects, les noms de la Connaissance de DIEU unifiante. Les figures des prophètes évoquent chacune l’une des facettes du diamant unique, " la Sagesse Divine." la Sagesse Divine.

Son influence grandissante éveille soupçons et critiques : il était accusé d’hérésie (s’opposer aux doctrines officielles), et comme tant d’autres mystiques, il a écrit des poèmes brûlants pour chanter les extases de l’amour ; il doit dès lors, se justifier contre l’accusation d’érotisme en expliquant le symbolisme ésotérique [24] de ses vers.

Il avait écrit : "mon cœur avait de multiples passions mais la découverte de ton amour en a fait une seule…je laisse aux hommes leur terre et leur croyance depuis que tu es devenu mon pays et ma religion."

A l’âge de soixante ans il s’installe à Damas, il est entouré de disciples et de visiteurs ; il donne avec son enseignement, l’exemple d’une vie austère et recueillie. C’est là qu’il meurt ; il est inhumé dans une petite mosquée des faubourgs de Damas.

2.2.2- Apports

Sans prétendre résumer en quelques mots son œuvre littéraire colossale, nous pouvons toutefois nous arrêter sur ses apports suivants :

Science de la balance

Le mouvement des astres, des hommes et de toute chose dans l’univers lui paraît dominé par un pôle, centre énergétique qui assure la cohésion de chaque être et la cohérence du tout.

Cette vision de pôle du temps et l’espace illustre pour lui la relativité du monde matériel-et sa destination global de manifestation de l’esprit.

Il a développé, ainsi, une science, qui marquera profondément le soufisme, "la science de la balance": c’est la capacité de mesurer "l’énergie spirituelle" immanente en un être, un acte, un désir, et même dans une parole ou un texte.

Cette science comporte une métaphysique, une éthique, ainsi tout être témoigne de deux tendances :

L’une vers le matérialisme et la mort ;

L’autre vers la spiritualisation et la vie ;

Correspondant à sa double origine matérielle et spirituelle.

Le mystique se purifiera de l’une, se réalisera dans l’autre.

De même, l’interprétation d’un texte s’en tiendra à sa matérialité, la lettre, le manifesté, le signifié du premier degré " الظاهر "; ou bien elle s’approfondira dans le sens caché, en dégagera l’esprit, l’ésotérique (ce qui est réservé aux initiés)" الباطن ".

Ainsi, la science de la balance est tournée vers la rencontre de "l’esprit manifesté" et "l’esprit caché", ou, suivant un langage familier à Ibn Arabî, vers une mutation de l’être, analogue à celle du plomb en or pur: "science divine qui triomphe de la mort".

Doctrine de l’amour

La mystique soufie est construite autour d’un principe fondamental : c’est à travers l’extase amoureuse, au sens spiritual-du terme, que le soufi peut, éventuellement " faire un " avec DIEU.

Les soufis utilisent souvent le personnage de "Leila" pour l’amour de laquelle,"Majnûn" (le fou) a perdu la raison, car elle reste inaccessible à ce dernier qui se trouve en deçà des frontières de son propre "moi".

Ainsi chaque fois que Majnûn frappe à la porte de Leila, celle-ci demande : "Qui est-ce ?" et Majnûn répond :"C’est moi." La porte reste alors fermée jusqu’au jour où Majnûn fut emporté par son amour, répondit :"C’est toi." La porte lui fut alors ouverte.

Ainsi : "L’amour est cette flamme qui, lorsqu’elle s’élève brûle tout : DIEU seul reste."

Le cœur du soufi "professe la religion de l ’ Amour ". " Quelque direction que prenne ma monture, l ’ Amour est ma religion et ma foi " Ibn Arabî.

Ibn Arabî avance que le Créateur et la créature sont indissociablement liés par l’énergie d'Amour. ( المحبة )

En outre, l'homme étant issu de DIEU, il possède Sa conscience et a donc la possibilité de se reconnaître. Car la réalité toute entière de son début et de sa fin vient de DIEU seul, et c’est vers lui qu’elle retourne.

Par extension, à l'image de l'artiste qui se fait connaître par son œuvre et de l ' œuvre qui nous éclaire sur l'artiste, se découvrir soi-même c'est découvrir DIEU en soi : cette parole du prophète en est la preuve :

"Celui qui se connaît soi-même connaît son Seigneur" ( من عرف نفسه عرف ربه )

La réalisation de cette réunion au Divin par la connaissance de l'Amour est donc pour lui le but de toute vie spirituelle.

Dans son traité sur l'Amour extrait des “ Conquêtes Mecquoises ”, le maître illustre à cet effet qu'étant le fruit de l'Amour Divin, l'homme est intégralement concerné par cet Amour qui est à la fois son origine et sa destination. L'homme est donc fait pour aimer et être aimé, et aimer DIEU c’est d’abord être aimé par Lui, comme le déclare cette parole coranique :

"Il les aime et ils L’aiment" (coran, V, 54)... فسوف يأتي ﷲ بقوم يحبهم و يحبونه "

Et, composé d'un corps, d'une âme et d'un esprit, l’Homme ne peut déconsidérer une forme d'Amour au profit d'une autre devant ainsi réaliser la symbiose des différents modes d'expression de l'Amour : physique, spiritual-et divin, pour reformer en lui l'unité primordiale.

Mais la réalisation de ce passage à l’unification avec Le Bien-aimé Divin se conçoit comme une transformation et nullement comme une incarnation, car l’état individuel-dans ses conditions mêmes (par rapport à la loi religieuse, aux lois physiques, psychiques,…) est un état de servitude, état qui ne peut être dépassé sur le plan spirituel.

Ainsi chaque individu en tant que tel ne peut être rattaché à DIEU, nous dit Ibn Arabî, que par son Seigneur exclusivement.

Le Seigneur est ici le nom divin, qui correspond à la prédisposition de l’individu à connaître DIEU sous cet aspect particulier et non sous un autre (de servitude).

"Connaître DIEU par DIEU, aimer DIEU par DIEU"

Pour nous indiquer ce qu’il entend par terme "cœur", Ibn Arabî invoque le Hadith Qudsî suivant :

" Ni Ma terre, ni Mon cial-ne sont assez grand pour me contenir .mais le "cœur" de Mon serviteur croyant pieux et pur, est assez grand pour me contenir." ما وسعني ارضي ولا سمائي وسعني قلب عبدي المؤمن التقي النقي ]

Puis, il cite cette parole significative d'Abu Yazid Al Bastami:"Même si le Trône divin et tout ce qui y est contenu devaient se trouver indéfiniment multiplié dans le cœur du gnostique ( قلب العارف ), celui-ci ne le sentirait pas."

Les cinq conseils d’Ibn Arabî :

- CONSEIL 1

Conseil d’ordre général, l’union fait la force

La Main de Dieu est avec la Communauté rassemblée.

- CONSEIL 2

La pratique du bien

Il ne faut pas dédaigner d’adorer Dieu .Par adoration il faut entendre ici demande ou supplique spontanée ( الدعاء ). La demande spontanée est appelée adoration puisque celle-ci implique humilité.

"Demandez-Moi, Je vous exaucerai" (Coran, 40/60)

- CONSEIL 3

La bonne estimation au sujet de DIEU

Que ta pensée à l’égard de Dieu soit empreinte de la connaissance certaine qu’Il efface, pardonne et est indulgent.

DIEU t'incite à garder cette pensée à Son égard dans le verset suivant :
"O Mes serviteurs qui avez été excessifs envers vous mêmes, ne désespérez pas de la Miséricorde de DIEU "Coran (39 / 53) " قل يا عبادي الدين أسرفوا على أنفسهم لا تقنطوا من رحمة الله إن الله يغفر الذنوب جميعا انه هو الغفور الرحيم "

Il t’interdit donc le désespoir et tu dois t’abstenir de ce qu' ’ Il défend.

"Certes, DIEU pardonne tous les péchés" (Coran, 43/54), sans spécifier tel ou tel péché.

- CONSEIL 4

L’obligation de l’invocation de Dieu

Vous êtes tenus au dhikr de DIEU, secrètement et ouvertement, en vous-mêmes et en assemblée. DIEU a dit : "Faîtes donc Mon Dhikr, Je fais votre dhikr "Coran, 2/152).)

- CONSEIL 5

La proximité de DIEU

Dans la nouvelle prophétique authentique suivante : "Si le serviteur s’approche de Moi d’un empan, Je M’approche de lui d’une coudée. S’il s’approche de Moi d’une coudée, Je M’approche de lui d’une brasse. S’il vient à Moi en marchant, Je viens à lui en M’empressant."

Je veux parler ici de cette proximité qui est la conséquence de la proximité que le serviteur a avec DIEU. Or le serviteur n’a de proximité avec DIEU que par la foi en ce qui provient de DIEU, même, en plus de la foi en DIEU et en celui qui transmet (la Révélation) de Sa part.

Ainsi, l’importance essentielle d’Ibn Arabî dans l’histoire du soufisme repose sur deux choses :
 D’une part il fut le lien entre deux phases historiques du soufisme et de l’islam et d’autre part il fut le lien entre les formes occidentales et orientales du soufisme.

Il formula les intuitions et les enseignements des générations de soufis qui l’avaient précédé, consignant par écrite pour la 1ère fois, de façon systématique et détaillée, le vaste fond de l’expérience soufis et de la tradition orale en puisant dans le trésor de termes techniques et de symboles puissamment enrichi par des siècles d’élaboration.

A un monde musulman sur le point de recevoir le coup écrasant qui devait l’affaiblir culturellement, économiquement et politiquement, il laisse un Exposé définitif des enseignements soufis aussi bien qu’un mémorial complet de l’héritage ésotérique de l’Islam.

En faisant cela, il a profondément influencé tout l’enseignement soufi postérieur et demeure ainsi le lien le plus important entre les soufis qui l’ont précédé et ceux qui sont venus après lui.

Ceci éclaire peut-être en partie son affirmation d’avoir été le sceau de la sainteté mohammadienne, dans la mesure où l’on peut dire qu’il a été le dernier de ceux qui ont reçu les enseignements "non formulés" de la Voie, alors que tous ceux qui vinrent après lui furent tributaires de son expression synthétique.

3. LES MALADIES DE L’ÂME ET LES REMÈDES PROPOSES PAR LES SOUFIS






3.1- EDUCATION DE L’ÂME




L'éducation (adab) de l'âme (nafs) constitue l'un des thèmes centraux de la littérature soufie. Tous les grands auteurs soufis ont abordé ce sujet dans leur œuvre ; c'est le cas d'Ibn 'Arabî dans ses Futûhât al-Makkiya (les illuminations de la Mecque) et de l'imâm Ghazali dans son ihyâ' ulûm a-din (revivification des sciences religieuses). Al-Muhâsibi a écrit âdab a-nufus (éducation des âmes), Thirmidi a rédigé une petite épître intitulée makr al-nafs (les ruses de l'âme). Ibn 'Atâ 'Allah quant à lui a composé tahdhîb al-nufus (l'éducation des âmes).



Pour éduquer l'âme, il faut connaître ses maladies et les moyens d'y remédier ; c'est ainsi qu'al-Sulamî a nommé son traité :les maladies de l'âme et leurs remèdes ('Uyûb al-nafs wa mudâwâtuhâ). L'éducation de l'âme consistera à en éliminer les tendances négatives contraires à DIEU pour que seules subsistent les tendances positives et agréées par DIEU.

3.2- PSYCHOLOGIE DE L’ÂME

Selon une sentence de Ibn' Atâ' 'Allah : La satisfaction mondaine de l'âme est évidente et claire dans la désobéissance, mais elle est cachée et subtile dans l'obéissance ; la guérison de ce qui est caché est difficile.

En effet, il est facile d'apprendre les gestes et les paroles de la prière mais, il est plus difficile d'acquérir l'attitude antérieure qu'exige notre situation face à Dieu dans la prière. De" la prière. De plus, si on sait qu'il est avec vous où que vous soyez (Sourate Al-Hadid, 4)

Il nous faudra à tout moment et en tout lieu nous efforcer de corriger pour la rendre agréable à DIEU qui observe tout (Sourate Al-Ahzab, 52) وهو معكم أينما كنتم (الحديد الآية 4)

Au retour d'un combat contre l'ennemi, dans un célèbre hadîth, le Prophète a qualifié cet effort continuel, de grande guerre sainte : Nous sommes revenus de la petite guerre sainte à la grande guerre sainte. Ses compagnons étonnés lui demandèrent : qu'est ce que la grande guerre sainte ? Il répondit : C'est la guerre contre l'âme. Cette grande guerre sainte consiste à purifier l'âme de tout vice et à la rendre conforme à Dieu en y cultivant ces reflets des qualités divines dans l'homme que sont les vertus.

En fait, ce n'est pas l'homme qui acquiert telle ou telle vertu, il ne fait qu'écarter les voiles qui le séparent de la grâce divine comme on ouvre les volets d'une chambre pour qu'elle se remplisse de lumière. La vertu n'appartient pas à l'homme comme la lumière n'appartient pas à la chambre qu'on illumine ; elle est un rayon de la Grâce divine à laquelle l'homme peut participer. Quant à l'humble, il sait bien que les vertus lui appartiennent par emprunt, comme la lumière appartient d'une certaine façon à l'eau qui la reflète, mais il ne perd jamais de vue qu'il n'est pas l'auteur de ses vertus – pas plus que l'eau n'est la source de la lumière- et que les plus belles vertus ne sont rien en dehors de DIEU.

En islam, l'exemple à suivre est le Prophète qui est le réceptacle de toutes les vertus, l'homme parfait ( 'al-insan al-kamil), telle est la signification profonde de la sunna.

D'après Ibn 'Ata' Allah : L'origine de toute désobéissance, toute négligence et toute passion réside dans notre approbation (al-ridâ) des penchants de l'âme ; et l'origine de toute obéissance, toute vigilance et toute vertu réside dans notre désapprobation des penchants de l'âme.

Pourquoi l'homme donne-t-il de l'importance à son âme au point de l'approuver ? Parce qu'au fond de l'âme se trouvent la passion et l'orgueil.

La passion se manifeste par l'attachement et l'insatiabilité et pousse l'homme à préférer le monde à DIEU. Le Prophète a bien souligné cet écueil en disant : L'amour de ce monde est à l'origine de toute faute et de même N'est ce pas que ce bas monde est maudit, et tout ce qui s'y trouve est maudit à l'exception de l'invocation de DIEU (Dhikr' Allah), de tout ce qui rapproche de lui, du maître et de celui qui cherche la science divine. DIEU dit aussi certes la vie de ce bas monde est un jeu, un divertissement, une parure, un sujet de vanité entre vous, un lieu de multiplication de biens et d'enfants (Sourate Al-Hadid, 19).

Quant à l'orgueil, il s'exprime dans l'ambition et l'obstination et pousse l'homme à se préférer à DIEU. L'estime de soi-même implique souvent la sous-estimation et le mépris d'autrui.

La passion et l'orgueil s'interpénètrent et constituent la racine des autres maladies de l'âme.

Les arguments avancés par al-Sulamî pour guérir les maladies de l'âme sont souvent appuyés par des versets coraniques, des 'hadith, les qualités du Prophète, DIEU lui prodigue Bénédictions et Salut, ou des paroles de ses prédécesseurs.

3.3- QUICONQUE CONNAÎT SON AME CONNAÎT SON SEIGNEUR

La première chose que DIEU a voulu de ses serviteurs, c'est qu'ils le connaissent par les différents aspects à travers lesquels il s'est fait connaître à eux; en effet, il s'est fait connaître à eux par le fait qu'il crée le monde pour les créatures (al-khalq), qu'il le régit, qu'il est Tout puissant, qu'il s'est porté garant de la subsistance, qu'il donne la mort et qu'il ressuscite.

La connaissance précède toute chose et est la racine de toute chose puis vient la volonté qui découle de la connaissance.

Après la connaissance de DIEU, rien d'autre ne prime pour le serviteur que la connaissance de ce que Dieu déteste, c'est-à-dire ce que Dieu a défendu…. La connaissance des vices de l'action vient avant l'action comme la connaissance de la route (tarîqa vient avant son cheminement ... il n'est pas exigé du serviteur d'entreprendre toutes les bonnes mais, par contre, il doit abandonner tout le mal. Celui qui abandonne le mal tombe dans le bien mais, par contre, tous ceux qui entreprennent une bonne action n'appartiennent pas forcément aux gens de bien. Lorsque le serviteur connaît le bien ainsi que le mal, mais en revanche, il n'y a pas dans la connaissance du bien les deux connaissances ensemble ; car celui qui discerne entre le bien et le mal, met le mal de côté et s'en éloigne et tout ce qui reste après cela c'est le bien tout entier. Il se peut que quelqu'un connaisse le bien mais ne discerne pas le mal qui s'y trouve et qui corrompt le bien et l'annihile, car le bien est altéré et mêlé de mal, alors que le mal est tout entier mal.

Le premier pas vers la guérison est donc la connaissance ; d'une part la connaissance des décrets divins afin de pouvoir discerner entre le bien et le mal, le licite et l'illicite ; d'autre part la connaissance de l'âme et de ses différentes facettes.

Premièrement, il faut obéir aux commandements du Prophète quand il dit : La recherche de la science (al-Ilm) est obligatoire pour tout musulman. Et aussi : Recherchez la science (al-îlm) même en Chine.

Et deuxièmement : Celui qui connaît son âme connaît son Seigneur (Hadith qudsi). Pour connaître DIEU, pour s'approcher de DIEU, le musulman doit connaître son âme, savoir qu'elle est instigatrice du mal (ammâra bi a-ssu') et qu'elle blâme (lawwâma) ; il doit ensuite adopter l'attitude légitime qu'exige une telle situation : il faut se méfier de l'âme, ne pas entrer dans son jeu, la haïr et la prendre comme ennemie. Autrement dit celui qui connaît réellement les maladies de son âme aspirera sincèrement à la réalisation de leurs contraintes, les vertus. Et par les vertus, qui sont les reflets des qualités divines dans l'homme, il est alors possible de connaître DIEU.

Le Sheikh al-Alawi disait : Les connaissants sont classés par étapes : Celui qui connaît son Seigneur et celui qui connaît son âme est plus élevé que celui qui connaît son seigneur.

Vraisemblablement le Sheikh al-Alawi entendait par celui qui connaît son Seigneur celui qui ne le connaît qu'extérieurement et indirectement, non pas celui qui a réalisé DIEU dans le sens d'union qui est le but de tout mystique.

Selon al-Muhâsibi : Le signe de la connaissance de l'âme c'est d'avoir mauvaise opinion d'elle…, le signe de la connaissance de ce bas monde c'est de l'abandonner, d'y renoncer, de le fuir et de fuir ceux qui s'y enracinent, l'aiment et le préfèrent de manière démesurée. Et aussi : Le signe de la connaissance de l'au-delà c'est d'éveiller le désir pour l'au-delà, d'avoir un désir ardent pour l'au-delà, d'agir en sorte que la remémoration de l'au-delà devienne familière, de fréquenter celui qui œuvre sincèrement pour l'au-delà.

Les maladies de l´âme et leurs remèdes proposés par les soufis

Le Cheikh 'Abû 'Abd al-Rahmân Muhammad Ben al-Husayn al-Sulami al-Nisâburi que DIEU lui fasse miséricorde, a dit :

Louange à DIEU qui a fait connaître à Ses purs les maladies ('uyûb) de leur âme. Dans sa générosité, il leur en a fait découvrir les perfidies, et les a éveillés et rendus attentifs aux états (al-'ahwal) qu'ils traversent. Louange à DIEU qui leur a permis de se guérir et de se prémunir par des remèdes inaccessibles aux distraits. Il les a aidés parce qu'ils savent que leur âme est malade et parce qu'ils recherchent activement sa guérison. C'est par sa bonté et sa bienveillante Grâce, qu'il leur a rendu facile cette tâche ardue. Le prophète que DIEU lui prodigue Bénédictions et paix a dit : L'épreuve (al-balâ), la passion (al-hawâ) et le désir (a-shahwa) sont pétris dans l'argile d'Adam.

Une des maladies de l’âme est de se croire (tatawahham) déjà parvenue à la porte de salut, elle croit y frapper par l’artifice de ses prières et s’imagine que la porte s’ouvrira. Mais en réalité le murîd s'est fermé la porte de la félicité en raison du grand nombre de ses transgressions (al-mkhalafat).

Al-Husayn Ben Yahyâ m'a raconté, d'après Ja'far Ben Muhammad, d'après Ibn masruq, que Râbi'a al-Adawiyya passait un jour devant l'assemblée (majlis) de sâlih murrî. Celui-ci dit alors : La porte s'ouvrira pour celui qui frappe assidûment. Et Râbi'a a répliqué : La porte est ouverte mais tu la fuis. Comment peux-tu arriver au but alors que tu t'es trompé de chemin au premier pas ? Ou comment le serviteur peut il éviter échapper aux maladies de l'âme alors qu'il la laisse obéir à ses désirs ? Ou comment peut-il éviter de suivre ses passions alors qu'il ne se préserve pas des transgressions ?

Les remèdes dans cette situation, d'après Sarî al-Saqarî, sont :

- Le cheminement de la voie droite ;

- La nourriture pure ;

- Et la piété parfaite ;

Parmi les maladies de l'âme : Rechercher le secours des créatures alors qu'elles sont incapables de la délivrer de ses malheurs (durr), espérer (rajà’uhu) un profit de quelqu’un qui est incapable de l'accorder, s’inquiéter de sa subsistance (rizq) alors que DIEU la garantit.

Le remède correspondant, c'est de retourner à une foi saine comme l'a énoncé DIEU Très-Haut dans Son Livre lorsqu'il dit : " Si DIEU te frappe d’un malheur (dhorr), il n’y a nul autre que lui pour l’écarter ; s’il veut pour toi un bien, nul ne pourra détourner sa faveur " (Sourate Younes, 107). وان يمسسك الله بضر فلا كاشف له إلا هو وان يردك بخير فلا راد لفضله(سورة يونس الآية 107)

Et de même : il n'y a pas de bête dont la subsistance n'incombe à DIEU (Sourate Houd, 6). Cet état du murîd se corrige lorsqu'il considère la faiblesse des créatures et leur impuissance à l'aider : il apprend ainsi que celui qui est dans le besoin ne peut pas satisfaire les besoins d'autrui et, à son tour, celui qui est impuissant à aider ne pourra être raffermi par les ressources d'autrui. Il échappe ainsi à ce mal, et l'âme retourne entièrement vers son Seigneur.

Une des maladies de l'âme est sa nonchalance (fatra) dans les devoirs religieux que le murîd accomplissait auparavant.

Une maladie plus grande est l'absence de préoccupation pour ses carences et sa nonchalance.

Plus grande encore la maladie qui consiste à les nier.

Cela est dû au manque de gratitude envers DIEU qui lui a permis d'accomplir ses devoirs ; en manquant de gratitude le murîd se prive de l'assistance divine (maqâm a-tawfiq) pour tomber dans la station des carences (maqâm a-taqsir) ; il se cache à lui même ses imperfections et considère ses laideurs comme belles. DIEU, à lui toute Gloire et Majesté, a dit : Celui dont la mauvaise action a été embellie au point qu'il la considère comme bonne (Sourate Fater, 8) افمن زين له سوء عمله فراه حسنا ( سورة فاطر الآية 8)

Il faut chercher refuge auprès de DIEU Très-Haut, pour s'en délivrer ; le murîd doit pratiquer assidûment l’invocation (dhikr) de DIEU ; dans les titres de la gloire…,La couronne de l'Islam Abû 'Abd Allâh al-Husayn ibn Nasr ibn Muhammad ibn Khamîs a mentionné qu'on avait interrogé Dhû-l-nûn7 sur l'invocation et qu'il avait répondu : C'est l'absence (ou l'inconscience : ghayaba) de l'invoquant (dhâkhir) à l'égard de l'invocation. Et il avait déclamé ce vers :

Si je T'invoque fréquemment, ce n'est point parce que je T'aurais oublié, c'est parce que ces invocations s'écoulent de ma langue.

Selon la même source, Dû-l-Nûn a dit : Quand un homme invoque DIEU, DIEU invoque pour lui

Sa'ïd ibn 'Uthmân a rapporté ceci : J'ai entendu Dû-l-Nûn dire : la vie d'ici-bas n'est bonne que par l'invocation de DIEU, la vie dernière n'est bonne que par Son pardon, et le paradis n'est bon que par la vision que l'on a de Lui.

Le murîd doit aussi lire Le Saint Coran et demander aux Saints les adorateurs de DIEU de prier pour lui.

Une des maladies de l'âme est de ne jamais accepter la vérité et la soumission contraire à la nature de son caractère, cela résulte principalement de sa faiblesse à résister aux passions et aux désirs.

Le remède correspondant consiste à s’affranchir de la passion et du désir pour aller vers son seigneur. Alors qu'un homme lui demandait avec quelle intention le serviteur ('Abd) devait s'élancer vers Dieu- à Lui toute Gloire et Majesté- Ibn Zâdân rétorqua : Avec l'intention de ne plus retourner vers ce qu'il a quitté et de ne pas prêter attention à ce dont il s'est affranchi pour aller vers Dieu On lui dit alors : Ceci concerne le pêcheur repenti, qu'en est-il de celui dont la foi est tiède ? Il répondit : C'est de sentir la douceur de l'état à venir plutôt que de sentir l'amertume liée à son passé.

De la soumission confiante (taslîm) Dû-Nûn a dit : Il y a trois signes de la soumission confiante: l'accueil consentant du destin décrété par Dieu (qadâ), la patience dans l'épreuve, et la gratitude dans l'abondance.

Une des maladies de l'âme est de s’habituer aux mauvaises pensées et en conséquence, de se laisser obnubiler par les transgressions.

Le remède est de repousser ces pensées en début afin qu'elles ne prennent par dessus, et celui grâce à l'invocation continuelle (al-dhikr al-dai’m) et la crainte de Dieu( al-khawf) nourrie par la certitude que Dieu sait ce qu'il y a dans ton intériorité secrète (sirr)10 comme les hommes savent ce qu'il y a dans ta vie publique ('alâniyya).Tu devrais avoir honte de rectifier pour les hommes l'objet de leur regard alors que tu ne rectifie pas l'objet du Regard de Dieu. L'Envoyé de Dieu- que Dieu lui prodigue bénédictions et paix- a dit: Certes Dieu ne regarde pas vos apparences (suwar), ni vos actions ('a'amâl), mais il regarde vos cœurs (qulûb) ; j'ai entendu 'Abû Bakr al-Razi dire d'après Ibrahim al-Khawwâs:au début le péché est en germe dans la pensée (al-khatra) et l'homme doit s'efforcer de le combattre par le rejet, sinon il devient un obstacle (mu'ârada) que l'homme doit encore combattre par le rejet. Au stade suivant il devient une tentation (waswasa) que l'homme doit vaincre par le combat [spirituel] (al-mujâhada), sinon il en jaillit le désir qui devient passion.

Dû-l-Nûn l'Egyptien a dit : DIEU n'honore pas un serviteur par une plus grande gloire que de lui montrer la bassesse de son âme, et DIEU n'humilie pas un serviteur par un plus grand abaissement que de lui cacher celle-ci.
Le péché recouvre l'intelligence (al-'aql), la science (al-'ilm) et le discernement (al-bayân). C'est ainsi que l'on rapporte selon une tradition prophétique que : La passion et le désir vainquent l'intelligence, la science et discernement.

Une des maladies de l'âme consiste à s’occuper des vices des autres et à fermer les yeux sur les siens.

Le remède correspondant, c'est de constater la maladie de l'âme, de connaître ses ruses, (makrîha); c'est aussi l'alternance continuelle des voyages (asfar) et les retraites (al-inqitâ’).

Isrâfil a rapporté ceci : J'ai entendu quelqu'un poser à Dû-l-Nûn la question : Quand est-il correct de s'isoler des créatures ? Et sa réponse a été : Quand on la force de s'isoler de son âme.

Sa'ïd ibn 'Uthman a rapporté ceci : J'ai entendu Dû-l-Nûn dire : Il y a trois raisons de la consécration exclusive à DIEU (en se coupant de tout, 'inqita') : la consolidation (variante : La priorité donnée, Selon Abû Nu'aym) de la science (de la religion), l'apprentissage de la maîtrise de soi (variante : de la loi), et l'aiguisement de la compréhension.

C'est aussi de se tenir en compagnie des gens pieux et d'appliquer leurs préceptes. Mais, si le murîd n'agit pas pour guérir les vices de son âme, qu'au moins il se taise au sujet des vices d'autrui, qu'il les excuse et qu'il couvre leurs vices en espérant qu'ainsi Dieu guérisse les siens. En effet, le Prophète- que Dieu lui prodigue Bénédictions et paix- a dit " Celui qui couvre les défauts (âwrata) de son frère musulman, DIEU couvrira les siens "

D'autres maladies de l'âme sont la négligence, la lassitude, l’obstination, l’ajournement des bonnes actions, la quasi certitude d’être sauvé dans l’au-delà (taqrib al-âmal) et la pensée que le moment de la mort est encore lointain (tab’îd al-ajal).

Le remède peut se déduire d'après Ja'far al-Khuldi quand on demanda à Junayd : Quel-est le chemin pour se consacrer Très- Haut ? Junayd répondit : " c’est une repentance (Tawbah) qui rompt l’obstination, une crainte qui fait disparaître l’ajournement, un espoir qui incite à l’accomplissement des devoirs religieux ; c’est invoquer DIEU à tout instant et mépriser l’âme à cause de sa fin proche et de son espoir de salut lointain ". On demanda à Junayd : Comment le serviteur arrive t-il à cela, Il répondit : Avec un cœur unifié qui a réalisé la pure Unit ← ." la pure Unité.

Une des maladies de l'âme est de s’employer à embellir les apparences, de simuler l’humilité sans la pratiquer véritablement, de feindre d’adorer sans être présent dans l’adoration.

Le remède correspondant, c'est que le murîd s’occupe de préserver ses secrets intimes pour les lumières de son fort intérieur embellissent ses actions extérieures. Il sera alors embelli sans parure, respectable sans admirateur, fort sans clan. C'est pour cela que l’envoyé de DIEU, que DIEU lui prodigue bénédictions et paix, a dit : " Celui qui corrige sa vie intérieure (Sarira), DIEU corrigera sa vie extérieure (âlaniyatah) "

Une des maladies de l'âme est de rechercher la suprématie (al-riyâsa) du savoir, de s’en enorgueillir et de s’en vanter auprès des autres.

Le remède est de voir la grâce du DIEU Très-Haut à l'égard du murîd parce qu'il a fait de lui un réceptacle pour Ses dispositions ; c'est aussi de pratiquer l’humilité (a-twadu’), la contrition (al-inkissar), la compassion (ashafaqa) pour les créatures et de leur prodiguer des bons conseils. DIEU dit : Certes parmi les serviteurs de DIEU les savants Le craignent (Sourate Fater, Verset 28) إنما يخشى الله من عباده العلماء سورة فاطر. 28

C'est ainsi qu'un homme a demandé à Sha'bî : Qui est le savant ? Il répondit : " le savant est celui qui craint DIEU Très-haut "

Une des maladies de l'âme est de demander à DIEU de la guider dans ses actions et s’indigner ensuite de ce qu’Il a choisi pour elle.

Le remède c'est qu'il faut que l'âme sache que l'excellent choix de DIEU pour elle est meilleur que le choix qu'elle fait pour elle même.

Le Prophète, que DIEU lui prodigue bénédictions et paix, a dit : " Protège Dieu, Il te protègera ; protège DIEU, tu Le trouveras avec toi. Si tu as une demande, adresse-la Lui, si tu as besoin d’aide, cherches le auprès de Lui, Sache aussi que si toute la nation s’est réunie pour te faire bénéficier de quelque chose, ils ne te feront bénéficier que de ce que Dieu t’a fixé ; et s’ils se réunissent pour te nuire, ils ne te nuisent qu’en ce que Dieu t’a destiné "

Une des maladies de l'âme est son goût pour les affaires de ce monde et le bavardage.

Le remède correspondant, c'est que le murîd s'emploie à invoquer (dhikr) DIEU constamment pour que cela le détourne du souvenir du monde et des mondains et l'empêche de s'enfoncer dans les mêmes gouffres qu'eux. Qu'il sache que les affaires mondaines ne le concerne pas et qu'il les laisse de côté ; car la Prophète, que DIEU lui prodigue bénédictions et paix, a dit : " L’homme pratique un bal-islam lorsqu’il délaisse ce qui ne le concerne pas "

Une des maladies de l'âme est de faire montrer son obéissance afin que les gens s’en parlent ; c'est aussi le fait qu'il s'en pare auprès d'eux.

Le remède correspondant, c'est que le murîd sache que les hommes ne lui sont d'aucun mal ni d'aucun bien et qu'il s'efforce d'exiger de son âme la sincérité dans les actes pour que cette maladie disparaisse ; En effet, Dieu Très-Haut dit : Il ne leur a été ordonné que d'adorer Dieu d'un culte sincère, en vrais croyants (Sourate Al-bayina, verset 5) وما أمروا إلا ليعبدوا الله مخلصين له الدين حنفاء (سورة البينة الآية 5)

Le Prophète, que DIEU lui prodigue bénédictions et paix, rapporte que son Seigneur a dit : "Celui qui fait une action dans laquelle il associe quelqu’un d’autre que Moi, J’en suis affranchi et l’action appartient à celui qu’il a associé "

Al-Muhâsibi illustre cela par la parabole suivante : Si les racines de l'arbre apparaissent hors de la terre, l'arbre est alors coupé de l'eau qu'il boit, ses branches ne sont pas belles, ses feuilles sont sèches, l'arbre ne donne pas de fruit, on n'en tire pas profit et sa valeur se perd. Mais si les racines plongent dans la terre et disparaissent de la vue de tous, alors l'arbre boit beaucoup, l'eau le nourrit, ses racines augmentent, ses feuilles verdissent, ses fruits sont savoureux. Le propriétaire de l'arbre récolte les fruits et la valeur de l'arbre augmente. (al-Muhasibi, Al-wasâya,).

Ce n'est pas seulement les idoles que l'on associe à Dieu mais aussi le monde, l'ego, un état ou une sensation : As-tu vu celui qui prend ses passions pour son dieu (sourate Al-jatiya 22) أفرأيت من اتخذ إلهه هواه ( سورة الجاثية الآية 22)

La convoitise (al-tama')

Le remède correspondant, c'est que le murîd sache que la convoitise l'entraîne vers l'ostentation, lui fait oublier la douceur de l'adoration et le rend esclave des esclaves bien que Dieu Très haut l'ait créé libre de leur servitude. Le Prophète, que DIEU lui prodigue bénédictions et paix, a cherché refuge contre la convoitise en disant: Je cherche refuge auprès de Toi contre une convoitise qui scelle (le cœur) et qui est sans objet; car cette convoitise voile le cœur (al-qalb), fait désirer le monde et détourner de l'Au-delà.

On raconte que l'un des anciens a dit " la convoitise est la pauvreté effective ; le riche qui convoite est pauvre et le pauvre qui s’abstient de convoiter est riche ".

Une des maladies de l'âme est son penchant à la vengeance, à l’hostilité et à la colère.

Le remède correspondant c'est d'aimer la religion, de prendre pour ennemie notre âme pécheresse, la haïr et reporter contre elle notre colère.

Dans ce sens, on raconte que le Prophète -que Dieu lui prodigue bénédictions et paix- ne s'est jamais vengé pour lui-même ; il ne se vengeait que pour DIEU, lorsque les interdits fixés par la religion étaient transgressés '[25].

Une des maladies de l’âme, c’est que la personne ferme les yeux sur ses faux pas et ses erreurs

Le remède correspondant consiste à réagir rapidement contre ce faux pas par l’abdication et se repentir pour que l’âme ne revienne ( التعود ) pas à cette erreur ou à quelque chose similaire.

La personne se trouve traînée vers ce qui procure la joie mondaine

Le remède correspondant, c’est que la personne sache que DIEU Très Haut n’aime pas ceux qui se réjouissent de façon mondaine car DIEU dit "certes DIEU n’aime pas ceux qui se réjouissent" (sourate al Qassas, versé 75), et une des caractéristiques du Prophète, que DIEU lui prodigue bénédiction et paix, a dit : "certes DIEU aime tout cœur triste"

Se croire supérieur à ses semblables

Le remède correspondant, c’est que la personne apprenne à connaître son âme. Car aucune autre personne ne peut la connaître mieux que lui-même, c’est aussi que cette personne ait une bonne opinion de ses coreligionnaires pour qu’elle soit portée à mépriser son âme et à considérer la vertu de ses frères. Il ne peut réaliser cela qu’après avoir exagéré les qualités des autres, simultanément elle doit aussi sous estimer ses propres qualités.

Renoncer à l’acquisition de sa subsistance ( الكسب ) pour montrer aux autres sa confiance en DIEU ; puis attendre avec impatience la bienveillance de DIEU et s’indigne quand la subsistance ne lui vient pas

Le remède correspondant c’est de se subvenir à son besoin comme le Prophète, que DIEU lui prodigue bénédiction et paix, "la meilleure chose est qu’un homme mange ce qu’il a acquis". Extérieurement la personne doit travailler en vue de sa subsistance et intérieurement elle doit avoir confiance en DIEU.

Une des maladies de l’âme est qu’elle aime la compagnie de ceux qui s’opposent à DIEU ou qui s’en détournent

Le remède correspondant est le retour à la compagnie de ceux qui sont en accord [avec DIEU], et qui sont tournés vers DIEU, à lui toute Gloire et Majesté. En effet, le Prophète que DIEU lui prodigue bénédictions et paix a dit: "celui qui cherche à ressembler à un peuple en fait partie".

Il a dit aussi : "celui qui augmente les rangs d’un peuple en fait partie". Un ancien a dit : "la compagnie des gens mauvais engendre une mauvaise opinion à l’égard des gens bien". L’un d’entre eux a dit : "quand les cœurs s’éloignent de DIEU à lui toute Gloire et Majesté, ils se mettent à détester ceux qui appliquent ses décrets."

Une des maladies de l’âme, est son désir violent d’accumuler [des biens] ( الجمع ) et de s’interdire [de les distribuer] ( المن )

Le remède correspondant, c’est que le murîd ait conscience de la fin imminente de sa vie. Qu’il n’amasse donc que le strict nécessaire et qu’il ne refuse pas de le distribuer sachant que sa mort est proche.

Accumuler des biens est de l’illusion pour celui qui ne peut être garant d’un de ses souffles. Et refuser de donner à autrui, bien qu’on soit obligé d’en rendre compte, est de l’ignorance.

Une des maladies de l’âme est l’obstination à rester dans le péché en souhaitant le pardon divin et en espérant la miséricorde de DIEU

Le remède correspondant, c’est que le murîd sache que DIEU a accordé son pardon à celui qui ne s’obstine pas dans son péché et cela est manifeste quand il dit: ["un paradis large comme les cieux et la terre a été préparé pour ceux qui, après avoir accompli une mauvaise action ou s’être fait du tort, invoquent DIEU et lui demandent pardon pour leurs péchés (…) et pour ceux qui ne s’obstinent pas dans leurs agissements alors qu’ils savent" (Coran 3,135).

Une des maladies de l’âme est son violent désir [de richesses]

Le remède correspondant, c’est que le murîd sache que sa convoitise ne lui amènera pas plus de subsistance que DIEU ne lui en a destiné.

Ibn Mas'ûd rapporte d’après le Prophète que DIEU lui prodigue bénédictions et paix la parole suivante : "DIEU dit à l’ange : écris le jour de sa mort, sa subsistance, ses actes et s’il sera damné ou sauvé." et DIEU dit aussi: "la parole auprès de Moi ne change pas" (Coran 50,29).

La jalousie

Le remède correspondant, c’est que le murîd sache que le jaloux est ennemi de la grâce de DIEU. Le Prophète que DIEU lui prodigue bénédictions et paix a dit : "ne vous jalousez pas et ne vous haïssez pas." la jalousie découle du manque de compassion des musulmans entre eux.

Se laisser abuser par des flatteries

Le remède correspondant, c’est que la personne garde à l’esprit l’état réal-de son âme qu’il connaît mieux que qui conque. Les louanges à son égard contredisent ce que DIEU connaît de lui et ce que la personne sait de lui-même, et ces éloges ne le délivreront pas de la honte de la punition.

Le mensonge

Le remède correspondant est de rester indifférent à la satisfaction ou au mécontentement des gens car c’est l’espoir de les satisfaire ou de leur plaire ou le goût du prestige qui pousse à mentir. On rapporte dans ce sens la parole suivante du Prophète que DIEU lui prodigue bénédictions et paix : "la véracité mène à la piété, et la piété au paradis ; le mensonge, par contre, conduit à la débauche, et la débauche en enfer."

La révolte

Le remède correspondant, c’est de faire accepter à l’âme son destin, car la rébellion est une braise du diable. En effet, un homme est venu vers le Prophète que DIEU lui prodigue bénédictions et paix et lui a dit :"donne-moi un conseil", le Prophète lui répondit : "ne te mets pas en colère, car cela entraîne le serviteur au seuil de la perdition sauf si l’obéissance aux préceptes de DIEU l’en préserve."

Perdre son temps à des futilités en compagnie des mondains

Le remède correspondant, c’est que le murîd sache que son temps est de plus précieux et doit être investi dans ce qu’il y a de plus utile, à savoir l’invocation de DIEU ; il doit aussi obéir continuellement à DIEU et exiger la sincérité de son âme.

On rapporte que le Prophète que DIEU lui prodigue bénédictions et paix a dit :"l’homme pratique un bal-islam quand il délaisse ce qui ne le concerne pas." Al-Hassan Ibn Mansûr a dit : "prends soin de ton âme, si tu ne l’occupes pas, c’est elle qui t’occupera."

Une des maladies de l’âme, c’est que le murîd revêt le costume des pieux alors qu’il accomplit des actions perverses

Le remède correspondant, c’est que le murîd délaisse les parures extérieures tant qu’il n’a pas rectifié l’intérieur.

Selon une tradition prophétique :"l’homme est des plus mauvais quant il montre au gens qu’il craint DIEU alors que son cœur est immoral". Abû Uthman a dit : "une humilité extérieure avec un cœur immoral engendre l’obstination".

Une des maladies de l’âme est que le murîd n’exige pas assez d’elle dans ses actions et ses paroles, et qu’il est satisfait d’elle dans l’état où elle se trouve

Le remède correspondant, c’est que le murîd ait un vif désir d’exiger toujours plus de l’âme dans ses actions et ses paroles et cela en s’efforçant de suivre au mieux l’exemple des anciens. En effet, Ali Ibn Abi Tâlib a dit : "celui qui n’est pas dans le surplus est dans le manque".

Une des maladies de l’âme est qu’elle aime divulguer les vices de ses frères et de ses amis

Le remède correspondant, c’est que le murîd se mette à la place d’autrui avant d’en divulguer les vices et qu’il aime pour les autres ce qu’il aime pour lui-même. On rapporte dans ce sens la parole suivante du Prophète que DIEU lui prodigue bénédictions et paix :" celui qui couvre les défauts de son frère musulman, DIEU couvrira les siens".

Une des maladies de l’âme est le dédain du murîd pour le sursis dont il bénéficie lorsqu’il pêche et dont il est conscient

Le remède correspondant, c’est une crainte continuelle, c’est aussi de savoir que le délai de grâce [accordé par DIEU] n’est pas une omission [de sa part] et que DIEU tout béni et Très Haut interrogea le murîd sur ses péchés et le rétribuera en conséquence, à moins qu’il ne lui fasse miséricorde. Certes, ceux qui craignent DIEU perçoivent la conséquence de leurs actes, car DIEU dit : "il y a là un enseignement pour celui qui craint DIEU" (coran 79,26). Le poète a dit :"l’âme a été abusée par le délai que son créateur lui a accordé ; ne crois pas que cela soit un oubli à l’égard de l’âme".

Une des maladies de l’âme est son penchant à la fréquentation des amis et à la compagne des frères

Le remède correspondant, c’est que le murîd sache que le compagnon sera séparé de lui et que les liens de camaraderies se rompent. On rapporte d’après le Prophète, que DIEU lui prodigue bénédictions et paix, que Gabriel, sur la paix, a dit : "Vis tant que tu voudras, en réalité tu es [déjà] mort, aime qui tu veux, tu seras séparé et fais ce que tu veux, tu seras rétribué en conséquence". Abû al-Qasim Al-Hakim a dit : "l’amitié est une inimitié sauf celle que tu as rendue pure, l’accumulation de biens est un malheur sauf ce que tu as donné et la fréquentation des gens disperse sauf si tu as agi avec prudence".

Une des maladies de l’âme est d’obéir à ses passions et d’être en accord avec son bon plaisir

Le remède correspondant se trouve dans les commandements de DIEU Très-Haut quand il dit : "Celui qui empêche l’âme de céder à ses passions" (Coran 79,40). Et aussi dans le verset suivant "Certes l’âme est instigatrice du mal (Coran 12,53). De même on raconte que Masr al-Ghazi a dit : "Certes, il est plus facile de sculpter les montagnes avec les ongles que de contrecarrer la passion lorsque celle-ci s’est fermement installée dans l’âme.

D’autres maladies de l’âme sont la gaieté mondaine et le repos recherché par la paresse. Tout" la paresse. Tout cela résulte de la négligence

Le remède correspondant, c’est que l’âme soit attentive à ce qu’il à ce qui l’attend. C’est aussi le murîd voit ses carences lorsqu’il accomplit ses devoirs religieux et qu’il ait conscience de sa tendance à commettre ce qui lui a été défendu. Qu’il sache aussi que cette demeure est pour lui une prison et qu’il n’y a ni joie ni repos dans une prison. En effet, le Prophète, que DIEU lui prodigue bénédictions et paix, a dit : "Le monde est la prison du croyant et le paradis de l’incroyant. Il faut donc que la vie du croyant soit semblable à celle des prisonniers et non à celle des hommes libres".

Une des maladies de l’âme est d’aimer les commérages et d’approfondir les sciences dans le seul but de capturer les cœurs des ignorants et d’attirer l’attention par de beaux discours

Le remède correspondant, c’est que le murîd accomplisse ce qu’il prêche et qu’il exhorte autrui par ses actions et non par ses paroles. Dans ce même sens, on raconte que DIEU Très Haut a révélé à Jésus, fils de Marie, sur lui la paix : "Si tu veux exhorter ton prochain, encourage-toi d’abord au bien et quand tu en auras profité, tu pourras alors exhorter ton prochain ; sinon aie honte devant Moi."

Le Prophète, que DIEU lui prodigue bénédictions et paix, a dit : "Lors de mon voyage nocturne, je suis passé parmi des gens dont on cisaillait les lèvres avec des ciseaux de feu. J’ai demandé : Qui sont-ils. O Gabriel- ? Il répondit : ce sont des prédicateurs de la communauté, ils ordonnent aux autres la piété et oublient eux-mêmes"

Une des maladies de l’âme c’est de commettre tant de péchés et de fautes que le cœur se durcit

Le remède correspondant, c’est de demander beaucoup pardon à DIEU et de se repentir à chaque souffle, c’est aussi continuellement jeûner, passer la nuit en prière, servir les gens de biens, s’asseoir avec les gens vertueux et assister aux séances d’invocations. En effet, un homme s’est plaint auprès du Prophète, que DIEU lui prodigue bénédictions et paix, de la dureté de son cœur: le Prophète dit alors:"Rapproche-le de l’invocation " Le Prophète dit aussi: "Certes, je demande pardon à DIEU soixante dix fois par jour. Et de même : "Si le serviteur commet un péché, un point noir apparaît dans son cœur, s’il se repend et s’il demande pardon, ce point noir s’en va. Mais s’il commet de nouveau un péché, un nouveau point noir apparaît dans son cœur : il en est ainsi jusqu’à ce que le cœur ne reconnaisse plus le bien ni ne dénie le mal.

CONCLUSION

Somme toute, il faut reconnaître que l’âme n’est pas invulnérable. Elle peut bien être l’objet de pathologies de diverses intensités. Ces pathologies sont cumulables, et plus une âme en a, plus l’individu ne sombre dans l’immoralité et la perversité. Ce sont donc des maladies qui rongent l’individu de l’intérieur. C’est la raison pour laquelle il est primordial de trouver rapidement des remèdes aux problèmes de l’âme. Mais, une question demeure : le fait de disposer de ces remèdes qui ont été proposés, constitue-t-il une assurance totale d’une guérison ?



La réponse est NON. Pour parvenir à la guérison, il faut également une prise de conscience de l’individu par rapport à sa situation. Ceci lui permettra aussi d’user du remède le plus adéquat. A tout ceci, il faut ajouter la ferme volonté personnelle de l’individu de revenir sur le droit chemin, et surtout l’aide et l’éclairage indispensable du Seigneur, le tout puissant, DIEU.



Un exposé de:






Bouchra Sbaï, Mariam Al-Adouli, Imane Al-mrabet
Hasnae Bakach, Koko Mawulé Agbegninou, Atika Naciri
Année universitaire : 2004 – 2005, Université Abdelmalek Essaâdi
Ecole Nationale de Commerce et de Gestion National
School of Management Tanger Maroc




BIBLIOGRAPHIE


Albrecht, Pierre-Yves (1945-....), Au cœur des zaouïas : rencontre avec des soufis guérisseurs ; préf. de cheikh Khaled Bentounès, Paris : Presses de la Renaissance, 2004. 392 p. : couv. Ill. ; 23 cm.


Ali-Shah, Omar (1922-....), Soufisme d'aujourd'hui ; [texte établi par Augy Hayter à partir d'enregistrements], Traduction de Sufisme for today, Paris : G. Trédaniel, 1998. 252 p. ; 21 cm.


Arberry, Arthur John (1905-1969), Le Soufisme : la mystique de l'Islam ; trad. de l'anglais par Jean Gouillard, Traduction de Sufism : an account of the mystics of Islam, [Paris] : le Mail, 1988. 150 p. : couv. Ill. en coul. ; 22 cm.


Ben Abdelaziz, Abdullah, La Pensée islamique et le monde moderne, [Maroc] : [s.n.], [198-?] (Casablanca : Sonir). 168 p. ; 21 cm.


Bonaud, Christian, Le soufisme : al-Tassawwûf et la spiritualité islamique ; bibliogr. sélective établie par Sara Descamps-Wassif, Paris : Maisonneuve et Larose : Institut du monde arabe, Collection "Islam-Occident", 1991. 155 p. : ill. en coul, couv. Ill. ; 21 cm.


Chevalier, Jean (1906-1993), Le Soufisme, Paris : Presses universitaires de France, Collection "Que sais-je ?", 1984. 127 p. ; 18 cm.


Corbin, Henry, L'imagination créatrice dans le soufisme d'Ibn Arabi, Paris : Flammarion, Collection "Homo-Sapiens", 1958. 284 p.-[4] p. de pl. : ill., couv. Ill. en coul. ; 22 cm.


Le Matin, Article intitulé : Les zaouïas de Fès dans la topographie du sacre, paru Lundi 25 Décembre 2000, N° 10.931 sur les zaouias.


Lings, Martin, Qu'est-ce que le soufisme ? ; traduit de l'anglais par Roger Du Pasquier, Traduction de What is sufism ?, Paris : Éditions du Seuil, Collection "Points. Sagesses", 1977. 182 p. : couv. Ill. en coul. ; 18 cm.


Massignon, Louis, La Passion d'al-Husayn-ibn-Mansûr. Al-Hallâj, martyr mystique de l'Islam, Paris : P. Geuthner, 1922. 2 vol. Gr. in-8 °, pl.


Muhyîuddîn, Abu Abdullah Ghulam, Le livre de la guérison soufie ; [trad. de l'anglais par Antonia Leibovici], Traduction de The book of Sufi healing, Paris : G. Trédaniel, 1996. 248 p. : ill, couv. ill. en coul. ; 24 cm.


Molé, Marijan, Les Mystiques musulmans, Paris : les Deux océans, 1982. 126 p. : couv. ill. en coul. ; 21 cm.


Sheikh Al-Sulamî, Les maladies de l'âme et leurs remèdes, Traité de psychologie soufie, Archè Edit, 1990.


Skalli, Faouzi, docteur d'état en sciences des religions, Intervention dans l’émission Pour tout vous dire sur 2M de Samira Sitail dont le sujet est Le soufi est fils de son temps .


Michal- Albin, Les soufis de l'Andalousie, suivi de la vie merveilleuse de Dû-l-Nûn.


LEGENDES


[1] Eric GEOFFROY : Initiation au soufisme. Edition 2003.


[2] Faouzi SKALI : La voie soufie. Edition 1985.


[3] Faouzi SKALI : La voie soufie. Edition 1985.


[4] Faouzi SKALI : La voie soufie. Edition 1985


[5] Faouzi SKALI : La voie soufie. Edition 1985


[6] Faouzi SKALI : La voie soufie. Edition 1985


[7] Faouzi SKALI : La voie soufie. Edition 1985


[8] Eric GEOFFROY : Initiation au soufisme. Edition 2003.


[9] Eric GEOFFROY : Initiation au soufisme. Edition 2003.


[10] Eric GEOFFROY : Initiation au soufisme. Edition 2003.


[11] Faouzi SKALLI : La voie soufie. Edition 1985.


[12] Faouzi SKALLI : La voie soufie. Edition 1985.


[13] Autrement dit, l'exotérisme de l'ésotérisme. La difficulté lorsque l'on a affaire à un courant ésotérique, c'est d'abord le secret, bien sûr, mais aussi et surtout ce qui est secret par nature : la méditation des enseignements et l'expérience des états. On ne peut connaître la poire qu'en y goûtant, dit la sagesse.


[14] Cheikh Abū Sa'ïd, de Muhammad Ibn al-Munawwar, traduit par M. Achéna.


[15] Le disciple est souvent relié à une chaîne (silsila) de Maîtres spirituels remontant jusqu'au Prophète. Il fait partie d'une tarîqa, d'une confrérie initiatique dont le Cheikh lui communique le wird, la litanie spécifique qu'il devra dorénavant pratiquer régulièrement. Certaines silsila-s existent toutefois qui n'ont jamais donné naissance à une congrégation organisée : le disciple suivra alors son Maître sans que le lien qui les unit n'apparaisse extérieurement.


[16] Selon le petit Robert, "doctrine suivant laquelle des connaissances ne peuvent ou ne doivent pas être vulgarisées, mais communiquées seulement à un petit nombre de disciples, Ant. Exotérisme."


[17] On peut résumer le point de vue des spirituels désignés comme malāmātiyya en ces termes : si l'ésotérique devait être manifesté, le Prophète aurait été le premier à le faire ; or il ne l'a pas fait car l'ésotérique (bātin) est du domaine de ce qui est en soi intérieur et caché et doit donc le rester, tandis que l'apparence extérieure (zāhir) est le lieu de manifestation (mazhar) de la parure de la Sharī'a, de ce qui est en soi exotérique. Le terme de malāmātiyya est donc lié à l'origine à une volonté ou à un état de conformité à la norme spirituelle de l'Islam. Néanmoins, sa signification de gens du blâme a donné lieu, tout comme la notion de faqîr, à bien des glissements et des déviations – Le soufisme, al-tasawwuf et la spiritualité islamique, Christian Bnaud, page 47.


[18] Au nombre de ces exceptions remarquables on pourra citer l'œuvre du Palestinien 'Abd al-Ghan al-Nabulusi (m. 1143/1731).


[19] M. SIMIAN, Les confréries religieuses islamiques en Algérie p. 91.


[20] Ésotérisme : ensemble de doctrines secrètes.


[21] Ascète : qui tend à la perfection morale ou spirituelle.


[22] Théologie : science de la religion, doctrine religieuse.


[23] Expérience mystique : relatif au mysticisme (doctrine religieuse selon laquelle l’Homme peut communiquer directement avec DIEU).


[24] Esotérique : réservé aux initiés.


[25] Les maladies de l'âme et leurs remèdes, Sheikh Al-Sulamî (Xe siècle), Arché Edit 1990, et Les soufis de l'Andalousie, suivi de la vie merveilleuse de Dû-l-Nûn, Michel Albin Sheikh Al-Sulamî (Xe siècle), Les maladies de l'âme et leurs remèdes, Archè Edit 1990, traduit par Abdul Karim Zein.

Cette communication n’est pas verbale, mais se réfère à une vérité spirituelle (ou si l’on préfère d’une "énergie" spirituelle) qui ne peut être supportée que par une personne arrivée à un degré élevé de l’initiation.

Il s’agit en somme, d’une disposition préalable réalisée par un disciple au cours de sa progression dans la voie initiatique.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire