dimanche 17 juillet 2011

L’Islam mystique de Cheikh Ahmadou Bamba

                                    Grande Mosquée de Touba où repose le Cheikh Ahmadou Bamba


écrit par Emmanuel Brisson


 J’ai longtemps suivi du regard le Cheikh qui s’éloignait. Je n’ai pas pu mettre d’âge sur son visage à la fois jeune et ridé. Sa longue djellaba, collée par le vent, l’a aussitôt enveloppé lorsqu’il s’est levé. Il a plissé les yeux pour se protéger du sable, et sans plus quitter du regard son nouvel horizon, il est parti. En le regardant, j’ai songé à ses mots, “sur la route de Touba...”. J’avais senti dans son regard, dans sa ferveur, la conviction qu’il était en train de me donner un “bon conseil”. Presque une parabole.


En vrai mystique, il venait juste de me suggérer... une Voie !

Au Sénégal, les grands mystiques sont les marabouts. S’ils sont Mourides, ils s’appellent Mbacké ou Fall. Et ils sont les descendants du fondateur, Cheikh Ahmadou Bamba Mbacké, et de son disciple Cheikh Ibrahima Fall. Ces deux grands hommes de religion sont des personnages clés dans la vie sénégalaise d’aujourd’hui. Tant sur les plans religieux qu’économiques et sociaux. La confrérie des Mourides, héritière de la Parole d’Ahmadou Bamba, et son mouvement Baye Fall, inspiré de la conduite du disciple Ibrahima Fall, sont incontournables aujourd’hui. Ils irriguent le pays, ils créent des cultures, et ils assurent logement, nourriture et apprentissage intellectuel -par l’enseignement coranique- aux enfants les plus pauvres ou aux enfants “perdus”. Ils ont aussi des détracteurs, qui leur reprochent leurs irrigations, leurs cultures intensives, et leurs aides sociales.

Car la confrérie est en effet particulièrement puissante et elle serait dotée d’une énorme richesse provenant justement de la culture, principalement de l’arachide. Organisée selon une structure décrite par certains comme féodale, elle est fondée sur l’obéissance totale à une autorité spirituelle, le Khalife général, descendant en ligne directe du fondateur. Elle est également dotée d’une vrai influence politique, avec ses consignes de votes, et les politiciens de tous bords n‘hésitent pas à venir prendre conseil auprès du leader spirituel. Le président Abdoulaye Wade, élu en 2000, est le premier président Mouride du Sénégal.

Face aux critiques de toutes natures, personne ne semble pourtant pouvoir remettre en cause la personnalité du fondateur, Ahmadou Bamba, un véritable mystique. Sa vie, sa foi, ses réflexions religieuses rédigées sous forme de poèmes, les "Khassaides", ses actions et son désintéressement sont autant de faits qui permettent pour beaucoup une lecture positive du Mouridisme.

Et ils sont d’ailleurs toujours plus nombreux à retourner à Dieu avec la confrérie des Mourides. On recense de plus en plus de cas d’apostasie chez les chrétiens, pour qui ce sont surtout les mariages interconfessionnels qui sont en cause. Chez les musulmans d’autres confréries, c’est sa vigueur et son action qui sont appréciées lorsqu’ils choisissent de rejoindre la communauté et de “confier leur âme”, selon la formule consacrée, au Khalife des Mourides.

Le Mouridisme est présent dans toutes les sphères de la vie sociale. Organisés en différentes associations socioprofessionnelles et culturelles, les Mourides véhiculent un enseignement de l’effort, une philosophie, presque une mystique du travail. Le mot d’ordre du fondateur, issu d’un hadith du prophète Mohamed qu’il a fait sien, est d’ailleurs significatif : « Travaille comme si tu ne devais jamais mourir, et prie comme si tu devais mourir demain ».

Dès sa jeunesse, Ahmadou Bamba se serait montré très doué pour l’étude et la réflexion. Il possède une grande culture théologique, du droit islamique, et a une parfaite connaissance du Coran. Il est un vrai érudit qui fait des traductions d’ouvrages importants de l’Islam, comme ceux d’Al Khadari ou d’Al Ghazali.

Le courant spirituel qu‘il initie avec le Mouridisme, est un soufisme dans sa voie la plus mystique. Une mystique qui repose sur une fidélité scrupuleuse à l’orthodoxie musulmane. Pour le fondateur du Mouridisme, le soufisme ne constitue pas un mouvement confessionnel, mais plutôt un style de vie et de pratiques cultuelles directement issues de l’enseignement du prophète Mohamed.

Certains voient là un Islam noir, avec ses spécificités de culte et son propre prophète, noir également. Mais Cheikh Ahmadou Bamba n’a lui même jamais admis cette idée, car selon lui, la religion musulmane est universelle. « Je n’ai rien créé de neuf, je n’ai fait que suivre les recommandations du Prophète », avait-il d’ailleurs dit. Alors pour la plupart des Croyants au Sénégal, la tradition islamique est bien là. Dans la parole d’un saint homme qui n’a fait que raffermir l’Islam de son pays, menacé par l’intégration coloniale, en devenant selon ses propres mots le “Khadim Rasul”, le “serviteur du prophète” en Arabe. Un titre que vont porter tous les Khalifes Mourides. Et pour cette communauté, comme pour tout le pays d’ailleurs, Cheikh Ahmadou Bamba est bien le “Sauveteur de l’Islam” au Sénégal.

Car à la naissance du futur saint homme, la France coloniale est toute à son action politique et confessionnelle. L’implantation qu’elle fait de sa propre culture étatique et religieuse est en train de faire imploser le système social tribal du pays. La “Vrai Foi”, l’Islam, en pâtit car son enseignement repose sur ces érudits dispersés sur le territoire et que l’on appelle déjà des marabouts. Pour permettre l’accomplissement du projet français, cette élite est consignée dans ses foyers, quand elle n’est pas arrêtée et exilée.

L’histoire de Cheikh Ahmadou Bamba est ainsi celle d’un résistant au colonisateur français. De son vrai nom Mouhamad ben Mouhamad ben Habîballâh, il est né vers 1853 dans une famille noble et lettrée, conseillère des princes. Son père, qui dirige une école coranique qu'il a lui-même créée, est un proche de Lat Dior, dernier damel (roi) du Cayor, un royaume côtier du Sénégal d‘antan. Lat Dior proposera d’ailleurs un poste important à Ahmadou Bamba à la mort de son père en 1882. Un honneur qu'il refusera, déjà très imprégné qu'il est de sa spiritualité. C'est l'époque où les autorités coloniales françaises commencent à signaler une affluence grandissante autour du futur fondateur de la confrérie Mouride. Parmi les fidèles qu'il attire, il y a toutes les couches de la population, dont des proches des princes déchus.

Il est arrêté en 1895, lorsqu’il choisit de faire face à ses ennemis comme le lui a demandé Allah, dit la tradition, et incarcéré à la prison de Saint Louis alors siège du gouverneur de l'AOF, avant d'être déporté au Gabon. Ceux qui le jugent sont des administrateurs privés de la colonie qui justifieront ainsi leur décision :

"Il ressort clairement du rapport que l'on a pu relever contre Ahmadou Bamba aucun fait de prédication de guerre sainte, mais son attitude, ses agissements, et surtout ceux de ses principaux élèves sont en tous points suspects". L'un des juges se serait d'ailleurs écrié une fois le décision rendue : "Morte la bête, mort le venin".

Une véritable erreur stratégique ! Lorsqu'il est autorisé à rentrer au pays en 1902, l'accueil qui lui est fait est triomphal. Sa popularité n'a cessée de grandir en son absence. On tente alors de nouveau de l'arrêter dans son village en envoyant un détachement de troupes coloniales, tirailleurs et spahis. Mais ses talibés font barrage et le protègent.

Un an plus tard, il est convoqué par l'administrateur de la colonie à Saint Louis, un ordre auquel il ne répondra pas. Mais un nouveau détachement l'arrête un peu plus tard et le déporte de nouveau, cette fois en Mauritanie pendant 4 ans, avant de le placer en résidence surveillée au nord du Sénégal, puis enfin dans sa région d'origine.

Les français changent à cette époque leur politique vis à vis du guide spirituel. Ils tentent de s'en faire un allié en l'élevant à la dignité de chevalier de la légion d'honneur. Un insigne qu'il refusera bien sûr de porter !

Selon un historien sénégalais, Iba Der Thiam, sa première arrestation aurait été motivée par le désir de Bamba de se rendre en pèlerinage à La Mecque, où son audience aurait pu encore s'élargir. Mais l’analyse du chercheur n’est pas admise par tout le monde. Ce qui est sûr, c’est que les français ont pu se forger un avis grâce aux rapports qu’ils recevaient de la part de chefs locaux, jaloux de son audience.

Véritable résistant donc, Cheikh Ahmadou Bamba à toujours su faire la preuve de son indépendance. Son attitude face à l’oppression coloniale va participer à la fondation de sa légende. Ainsi, lors de sa première comparution en 1895, il fait scandale en n’hésitant pas à faire ses prières dans le bureau de ses juges ! Dès cette époque, les histoires qui se colportent pour raconter sa détermination et la vigueur de sa foi forgent le caractère de leader spirituel de Cheikh Ahmadou Bamba. Enfermé avec un lion, il le rend aussi docile qu’un agneau. Mis face à la charge d’un taureau furieux, il le voit tomber raide mort devant ses pieds. A bord du navire qui l‘emporte pour son exil au Gabon, on l’empêche de faire ses Ablutions pour la prière. Il est alors aidé par les anges qui le portent à la surface de l'eau où il peut prier en paix...

Mais les histoires sont parfois plus récentes. Ainsi, des Baye Fall m’ont raconté celle-ci : En France, il y avait deux sénégalais qui faisaient les marchés. L'un d'eux était Mouride. Un jour, sur une route peu fréquentée, loin de tout, leur voiture tombe en panne. Et impossible de réparer. Bientôt, le Mouride se met à prier et à demander l’intercession du Khalife. L'autre s’en amuse et se moque de son ami. Quand arrive soudain une voiture 4X4. Le chauffeur, un français blanc, descend de son véhicule et n’a trop de peine à remettre la voiture des deux hommes en état de marche. Puis il remonte dans son 4X4 alors que le sceptique lui lance : « Eh, tu nous as aidé et je ne connais même pas ton nom... »

- Je m’appelle Bamba, répondit le blanc en démarrant.

L'homme, impressionné, s’est alors converti au mouridisme !

La presse sénégalaise se fait aussi parfois l’écho d’histoires extraordinaires. Ainsi en 2001, rapporte-t-elle, l’image de Cheikh Ahmadou Bamba est apparue sur un tronc d'arbre à Dakar, provoquant « un gigantesque attroupement et des manifestations hystérico-religieuses ».

Nomenclature


Ablutions Purification rituelle, elles sont obligatoires pour accomplir la prière. La nature des ablutions rituelles de l'Islam est précisée dans un verset du Coran (Sourate 5, Al Ma'idah - La table servie - verset 6) :


« Ô les croyants ! Lorsque vous vous levez pour la Salat - prière -, lavez vos visages et vos mains jusqu'aux coudes; passez les mains mouillées sur vos têtes; et lavez-vous les pieds jusqu'aux chevilles. Et si vous êtes pollués (à cause d'un orgasme sexuel), alors purifiez-vous (par un bain); mais si vous êtes malades ou en voyage ou si l'un de vous revient du lieu où il a fait ses besoins ou si vous avez touché aux femmes et que vous ne trouviez pas d'eau, alors recourez à de la terre pure, passez-en sur vos visages et vos mains. Dieu ne veut pas vous imposer quelque gêne, mais Il veut vous purifier et parfaire sur vous Son bienfait. Peut-être serez-vous reconnaissants. »


Tous les musulmans ne sont pas d'accords quant à leur utilité hygiénique. Pour certains, la purification apportée par les ablutions est uniquement une purification spirituelle et non une purification physique.


Techniquement, elles sont expliquées ainsi : Il faut d'abord avoir au fond du cœur l'intention d'accomplir les ablutions. Et puis déclarer : « Au nom de Dieu, le Clément et le Miséricordieux ». Puis :


1. Se laver les mains jusqu'aux poignets trois fois.


2. Se rincer la bouche en prenant de l'eau dans le creux de la main droite trois fois.


3. Aspirer de l'eau par les narines, puis la rejeter trois fois.


4. Se laver le visage en vérifiant que l'eau se répand sur tout le visage, trois fois.


5. Se laver la main droite jusqu'aux coudes trois fois.


6. Se laver la main gauche jusqu'aux coudes trois fois.


7. Se passer les mains humides sur la tête d'avant en arrière.


8. Avec le pouce et l'index, se masser les oreilles à l'intérieur ainsi qu'à l'extérieur.


9. Se laver le pied droit jusqu'à la cheville trois fois.


10. Se laver le pied gauche jusqu'à la cheville trois fois.


Il y a également une invocation à réciter pendant les ablutions : « O Mon Seigneur ! Pardonne-moi mes péchés et étends pour moi ma maison et répands la plénitude sur ma portion ». Et une autre après : « J'atteste qu'il n'y a d'autre Dieu que Dieu L'Unique, il n'a point d'associé, et j'atteste que Mohammed est son esclave et son apôtre, ô mon seigneur, compte-moi parmi les repentants et les purifiés ».


Enfin, il existe trois sortes d'ablutions : Mineures, telles que décrites, majeures, qui comprennent un lavage complet du corps, et sèches, dans lesquelles, en l'absence d'eau, il est possible de les pratiquer malgré tout, en posant au préalable les mains sur du sable pur par deux fois.


Baye Mot Wolof qui signifie père. Sa véritable orthographe en wolof est baay. Si j'ai choisi de l'écrire plutôt ainsi, c'est tout simplement parce que c'est de cette manière qu'on le retrouve le plus souvent dans la plupart des textes en français. Même les chercheurs, hormis quelques uns, et la presse sénégalaise l’orthographient ainsi...


Cheikh Le mot, qui peut s’orthographier également cheik ou scheik, vient de chaikh qui signifie vieillard en arabe. En Arabie, il désigne un chef de tribu. Plus largement et ailleurs, il est aussi un maître ou un sage, un homme respecté en raison de son grand âge, de ses connaissances scientifiques, religieuses et philosophiques. L’Islam attribue ce titre à des leaders religieux, et dans les confréries soufies, il désigne un maître spirituel.


En Afrique, les guides religieux de l’islam tendent à vouloir remplacer l’appellation marabout, devenue péjorative pour certains parce que donnée également aux animistes, par celle de cheikh, plus conforme à l’identité islamique.


Coran C’est al qûran, en arabe. En français, le mot signifie la Récitation.


Mouride Encore un mot qui tire son étymologie de l’arabe. Il désigne celui qui veut apprendre, un aspirant, sur le plan spirituel. Il est aussi un élève, un disciple, d'un maître Soufi. La confrérie Mouride est la Mouridyya (Muridul-Allah en arabe), c’est à dire l’aspirant à Dieu.


                                            Pèlerinage en Mecque d'Afrique aux éditions Globophile
                                                             Date de parution : Octobre 2013
                                                 
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