samedi 15 juin 2013

Biographie du Cheikh Abu-l-Hassan Shâdhilî - Louis Rinn






Par Louis Rinn (MARABOUTS ET KHOUANS , ÉTUDE SUR L’ISLAM EN ALGÉRIE, chap. XVII, ORDRE PRINCIPAL DES CHADELYA, 1884)





...Le  disciple de prédilection et le successeur spirituel d' Abdes-Sellem-ben-Machich fut, en effet, le chérif Tadj-ed-Din-Abou-el-Hassen-Ali-ech- Chadeli-ben-Atha-Alla le-ben-Abd-el-Djebbar, né en l’an 593 de l’Hégire (1196-1197 de J.-C.), dans un village dit Ghemara, près de Ceuta.

Chadeli avait été, fort jeune, initié aux doctrines du Soufisme et, quand il suivit les leçons de Abd-es-Sellem ben- Mechich, il avait déjà reçu l’investiture du manteau des mains de Abou-Abdallah-Mohammed (fils de Cheikh-Abou-Hassen-Ali-ben-Harzehoum), disciple de Abou-Mohammed-Salah-ben-Bensar-ben-Okban-ed-Dekali-el-Aleki, disciple d’Abou-Median.

Si Abd-es-Sellem-ben-Mechich avait, du reste, bien vite reconnu chez son élève les qualités nécessaires à l’apôtre, et il lui aurait dit : « Tu te rendras en Ifrikia; et tu demanderas la localité appelée Chadeli ; Dieu désire que tu t’appelles Chadeli; tu iras ensuite à Tunis, où tu auras à souffrir de la part du pouvoir.

De là tu te dirigeras sur l’Orient, où tu hériteras de la polarité.

En 625 (1227-1228), à la mort de son cheikh, Si Chadeli, âgé seulement de vingt-deux ans, quitta donc le Maghreb, à la recherche de la localité qui lui avait été indiquée comme étant située aux environs de Tunis.

Il s’installa sur le Djebel-Zlass, dans une caverne dont il fit un hermitage (kheloua), qui devint bientôt célèbre. Autour de lui affluèrent les gens de la ville et de la campagne. Bientôt sa popularité fut telle, qu’il porta ombrage aux détenteurs du pouvoir. Il avait surtout pour ennemi le cadhi de la ville, un certain Ben-el-Berra, qui par jalousie, mit tout en oeuvre pour nuire au pieux solitaire. Les choses en vinrent à un tel point que Si Chadeli fut forcé de s’éloigner et partit pour l’Égypte.

Ayant appris que la haine de son ennemi l’avait précédé, et qu’il était signalé à tous les ulémas du Caire comme un athée et un possédé, il ne voulut pas entrer en lutte pour s’imposer en cette ville, et demeura d’abord, non loin d’Alexandrie, dans une grotte au bord de la mer.

Il y vécut longtemps dans la retraite, l’isolement et la pauvreté. Il raconta, plus tard, qu’étant resté une fois trois jours sans prendre aucune nourriture, il vit un vaisseau grec jeter l’ancre à portée de son ermitage et descendre à terre quelques-uns de ses matelots. Ceux-ci, en l’apercevant, se dirent : « C’est un ermite musulman, » et touchés sans doute de la dignité de son attitude, déposèrent devant lui des vivres abondants : « Je fus, dit Chadeli, étonné de leur conduite et ne pus m’empêcher de remarquer que le secours m’arrivait par la main des infidèles, et non par la main des Musulmans; j’entendis alors une voix qui me dit: ce n’est pas quand on est secouru par des amis qu’on est réellement homme, mais bien quand on l’est par des ennemis. »

Dans cette même retraite, l’ange Gabriel lui apparut et lui demanda quelle punition il voulait voir infliger au calomniateur Ben-Berra ; Chadeli demanda qu’il perdit la mémoire et, qu’après sa mort, sa tombe devint un lieu d’immondices.

Sa prière fut exaucée : le cadhi mourut peu de temps après, et ses descendants ont beau nettoyer sa tombe, elle est toujours, le matin, couverte d’ordures et de fumier ; le miracle dure encore de nos jours. Nous ne savons au juste à la suite de quelles circonstances Chadeli quitta la kheloua d’Alexandrie, pour venir habiter le Caire et se mêler aux savants prévenus contre lui. Une légende nous dit que le souverain de l’Égypte, qui avait partagé l’animosité des ulémas contre lui, fut, une nuit, roué de coups par une légion d’anges et de génies monstrueux ; et qu’à la suite de ce songe, il revint à de meilleurs sentiments vis-à-vis de l’exilé du Maghreb.

Quoi qu’il en soit, d’ailleurs, des causes de son arrivée au Caire, il est certain que ce fut dans cette ville que le Saint (qui déjà était parvenu à des degrés élevés dans la vie contemplative et avait été l’auteur de miracles illustres) se révéla comme docteur et s’imposa comme un des plus grands savants de l’Islam.

Il eut très vite un nombre considérable de disciples.

Parmi eux, se trouva bientôt Azzeddin-ben-Abd-es-Sellem, cheikh el-Islam et président des ulémas du Caire, qui, après avoir été un de ses premiers adversaires, devint un de ses plus fervents admirateurs. Abou-Hassen avait, en effet, vu en songe le Prophète, qui lui avait inspiré des réponses tellement nettes et telllement brillantes, qu’elles avaient confondu tout le cénacle des savants. « Sid Chadeli ayant alors ajouté que le Prophète l’avait chargé de ses bénédictions pour Sid Azzeddin,

le cheikh El-Islam, en proie à un transport religieux, se mit à sauter et à danser, entraînant avec lui tous les ulémas....

Telle était, du reste, sa vaste érudition que, quelle que fût la science sur laquelle on l’interrogeait, il en parlait avec tant de naturel, et en sondait avec tant de grâce toutes les profondeurs, que chacun en l’entendant se disait : certes il ne possède pas que cette seule branche de connaissances.

A ceux qui lui demandaient où il avait appris tout ce qu’il savait, il répondait : « Quand je suis interrogé sur une question scientifique et que je ne sais quelle réponse faire, je vois aussitôt cette réponse tracée, par une main invisible, sur les murs ou sur les tapis. »

A ceux qui lui demandaient quel était son cheikh, il répondait : « Tout d’abord, j’ai considéré comme tel Abd-es-Sellem-ben-Machich, aujourd’hui je me désaltère à cinq mers terrestres : Mohammed, Abou-Beker, Omar, Otsman et Ali, puis à cinq mers célestes : Gabriel, Michel, Asrafi l, Azraïl et l’Esprit de Dieu (Jésus). »

La sainteté de Sid Chadeli est l’objet de très nombreux récits hagiographiques qui, tous, montrent combien est grande la vénération des Musulmans à son égard.

Ainsi, ses disciples racontent, comme preuve de cette sainteté surnaturelle, qu’un jour, l’air ayant été obscurci par des nuées d’hirondelles voltigeant autour de Si Chadeli, le Saint aurait répondu à ceux qui l’interrogeaient sur la cause de la persistance de ces oiseaux à s’approcher de lui : « Ce sont des âmes du Purgatoire (Berzekh) qui viennent participer aux bénédictions célestes dont Dieu m’a comblé. »

Une autre fois, dans le désert d’Aïzab, Sid Chadeli rencontra El-Khadir qui lui dit : « Abou-Hassen, Dieu t’a favorisé de sagesse; Il est avec toi dans le repos et dans le mouvement.»

« Si Chadeli était de grande taille, mais son corps était maigre et frêle ; Il avait le teint olivâtre et la barbe peu fournie le long des joues. Ses doigts étaient effilés et longs comme ceux des gens du Hidjaz. Sa parole était douce, son élocution facile, et il montra toujours une grande bienveillance dans son enseignement. Il ne cherchait nullement à imposer au néophyte des fatigues ou des difficultés. Il voulait, au contraire, les lui éviter et n’en parlait pas : « On ne vient pas à nous, disait-il, pour rechercher les fatigues, mais bien le repos. » Pourvu que l’on cherchât à se réunir à Dieu, qu’on aimât la retraite et la prière, il laissait chacun parfaitement libre d’adopter telle ou telle voie. Il ne voulait même pas obliger le néophyte à ne pas voir d’autre cheikh que lui. »

Tous les ans, pendant son séjour au Caire, Si Chadeli fit le voyage de La Mecque ; il partait par la Haute-Égypte et passait dans la ville sainte le mois de Redjeb et les suivants, jusqu’à l’accomplissement des cérémonies du pèlerinage.

Puis il visitait le tombeau du Prophète et revenait dans son pays en faisant le grand tour par la route de terre, traversant le Hidjaz et le désert.

Une certaine année, ce fut la dernière fois qu’il se mit en route, il dit à son disciple et serviteur Omar : « Prends une pioche, un panier, des aromates et tout ce qu’il faut pour ensevelir un mort. »

— Pourquoi cela, ô mon maître ? lui demanda le serviteur.

— Tu le sauras à Homaithira, lui répondit Chadeli ; et il ajouta : Je ferai cette année le pèlerinage de la délégation(1).

En effet, arrivé à ce lieu, le cheikh fit ses ablutions et récita une prière de deux reka. A peine avait-il terminé sa dernière prosternation, que Dieu le rappela à lui. Il fut enseveli à cet endroit. Ibn-Batouta, qui raconte ce fait(2), dit qu’il a visité son tombeau, couvert d’une pierre sépulcrale sur laquelle sont gravés : le nom de Sid Chadeli et la généalogie du Saint, qui remonte à Sid Hassen-ben-Ali-ben-Abou-Thaleb. Homaithira est dans les montagnes de la Haute-Égypte, à l’est de Daraou, à trois journées de marche de ce village vers la mer Rouge. Là, dans une plaine, se trouvent des puits d’eau douce, dits aujourd’hui Biar-Chadelya. La tombe du Saint, sur laquelle un souverain mamelouk a fait élever une coupole gracieuse, est tenue en grande vénération par les Égyptiens et il s’y fait encore, de nos jours, de nombreux pèlerinages.

Dans l’Yemen, à Moka, et sur les bords de la mer Rouge, on raconte un peu différemment la mort de Si Chadeli et la légende arabe rattache, à cet événement, la découverte du café; voici cette légende, traduite par M. Sylvestre de Sacy(3), d’un livre turc, le Djihan-Numa, de Hadji-Khalfa :

« L’an de l’Hégire 656 (1258 de J.-C.), le cheikh Abou-Husen-Chadeli, allant, par Souakim, en pèlerinage à La Mecque, dit à son disciple, le cheikh Omar, lorsqu’il fut arrivé entre la montagne s d’Ebrek, qui est à six jours de la montagne des Émeraudes, et celle d’Adjin, qui est aussi à six
journées de la montagne d’Ebrek :

Je mourrai en cet endroit-ci. Quand j’aurai rendu l’âme, vous aurez soin de faire tout ce que vous dira une personne que vous verrez venir, et qui aura le visage voilé. »

« Peu après la mort du cheikh Chadeli, la personne qu’il avait annoncée apparut effectivement, avec le visage couvert, et creusa tant soit peu au même lieu. A l’instant l’eau parut par la permission de Dieu : le cheikh Omar se servit de cette eau pour laver le corps du cheikh Chadeli, puis il l’enterra. Quand cette personne voulut se retirer et s’en aller, le cheikh Omar l’arrêtant par le bas de sa robe, la pria de lui dire qui elle était .

Cette personne ayant alors levé le voile qui lui couvrait le visage, le cheikh  Omar vit, avec grande surprise, que c’était le cheikh Chadeli lui-même, qui lui remit une boule, et lui enjoignit de ne s’arrêter qu’à l’endroit où cette boule demeurerait sans mouvement.

Le cheikh Omar se rendit à Souakim, mais ayant remarqué que la boule remuait, Il ne s’y arrêta pas. Il s’embarqua sur un bâtiment pour Moka ; y étant arrivé, il vit que la boule ne faisait plus de mouvement. Il s’y arrêta donc, et se logea dans une cabane qu’il fit avec des joncs. Il creusa en
cet endroit un puits, d’où sortit une eau douce et agréable. Il n’y avait point précédemment d’eau potable à Moka; il fallait y en apporter de très loin.

Quelque temps après, les habitants de Moka furent affligés d’une maladie dont ils guérissaient par l’intercession et les prières du cheikh ; le peuple lui portait des malades sur lesquels il faisait des prières. La fille du roi du pays, qui était d’une rare beauté, ayant aussi été attaquée de la même maladie, le roi la fit transporter chez le cheikh. Le cheikh pria sur elle pendant quelques jours, et elle fut guérie par son intercession. Mais cet événement donna lieu à des propos de la part du peuple. On dit qu’il n’était pas convenable qu’une si belle princesse soit restée si longtemps chez le cheikh, et qu’il n’y avait pas apparence qu’il ne se fût pas passé quelque chose contre son honneur. Le roi, apprenant ces discours, eut honte de la démarche qu’il avait faite ; il chassa le cheikh de Moka, et l’exila à la montagne d’Oursab, où il fut conduit avec quelques-uns de ses disciples.

Là, ils ne trouvèrent rien à manger que du café ; Ils en prenaient, en faisaient bouillir dans une marmite, et en buvaient la décoction. Vers ce temps-là, les habitants de Moka furent attaqués de la gale. Quelques amis du cheikh étaient allés le voir à la montagne d’Oursab, y burent de cette décoction, et furent guéris sur-le-champ de cette incommodité. Quand ils furent de retour à la a ville, les habitants leur demandèrent comment ils avaient été guéris; ils dirent que c’était par la vertu d’une eau qu’ils avaient bue chez le cheikh Omar. Cette nouvelle se répandit dans la ville, et vint jusqu’aux oreilles du roi, qui fi t prier le cheikh de revenir à Moka, le combla de caresses, et lui fit bâtir un hospice. Cet hospice est aujourd’hui l’objet de la dévotion du peuple, ainsi que cette boule dont nous avons parlé, qui y est conservée.

Quelques années après, le cheikh Omar se maria ; il eut un fils auquel il recommanda, quand il eut un âge mûr, d’aller à Souakim, au même endroit où il était demeuré quelques jours et de s’y établir. Il y bâtit un hospice qui est aujourd’hui en grande vénération, et les cheikhs qui l’habitent sont les descendants de ce fils du cheikh Omar. »

 
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 (1) Allusion à ce qu’a dit le Prophète : « Quiconque mourra dans la
route du pèlerinage, Dieu déléguera un ange pour accomplir ce devoir à sa place et lui fera avoir la récompense. »
(2) Ibn-Batouta, tome I, page 39, traduction de Defrémery et Sanguinetti.
(3) Voir Sylvestre de Sacy, Chrestomathie, tome II, page 233. Extrait de Sidi Abd-el-Qader-ben-Mohammed-Ansari-Djeziri-Hambali, et surtout note 60, page 277 du même volume. — Dans une autre note M. de Sacy rappelle que Fauste Neiron attribuait l’invention de l’usage du café à deux
moines français « Chadli et Aider, également honorés chez les Turcs qui leur adressent des prières quotidiennes. » Aidar, est évidemment Haidar, l’inventeur du hatchich. Niebuhr, dans son Voyage en Arabie au XVIIIe siècle, fait allusion à cette légende, il attribue même la fondation de Moka à Si Chadeli, qui a donné son nom à une des portes de la ville.

 

Quoi qu’il en soit d’ailleurs des détails relatifs à cette mort, et de la véracité de la légende, le fait qui s’en dégage est que le cheikh Abou-Hassen-Ali-ech-Chadeli mourut dans le mois de Dou-el-Qada 656 de l’Hégire, soit octobre-novembre 1258 de J.-C.

Ce savant ne laissait aucun ouvrage écrit de sa main; bien souvent, cependant, il avait été sollicité par ses disciples de résumer, en un catéchisme ou ouvrage spécial, les preuves de l’existence de Dieu et les instructions propres à conduire les hommes dans la voie droite. A ces sollicitations, il répondait toujours : « Mes livres, ce sont mes compagnons et mes disciples. »

L’un d’eux, et le plus autorisé d’entre eux, Abou-Abbasel- Morci, complétant et précisant la pensée de son maître, disait plus tard à ce propos : « Je n’écris pas de livre, parce que les sciences qui s’occupent de la preuve (de Dieu) ne sont pas à la portée de l’intelligence de la foule: tout ce que renferment les ouvrages écrits pour le peuple, n’est guère que la poussière des rivages de la mer. »

Mais s’il n’existe aucun livre didactique dû à la plume de Si Chadeli, ses disciples et ses continuateurs ont écrit plusieurs exposés complets des doctrines et des prescriptions du maître, exposés qui ont tous, pour point de départ et pour appui, les paroles mêmes prononcées par Si Chadeli et pieusement recueillies par ses contemporains.

Il n’est donc pas sans intérêt de citer ici quelques-unes de ces paroles(1), avant d’aborder les extraits mêmes des livres de doctrine ou de rituel spéciaux aux Chadelya :

« Tu ne sentiras pas le parfum de la sainteté, disait Chadeli, tant que tu ne seras pas détaché du monde et des hommes. Celui qui désire la gloire dans ce monde et dans l’autre doit entrer dans ma voie. Il rejettera alors de son coeur tout ce qui n’est pas Dieu, ne recherchera que Dieu, n’aimera que Dieu, ne craindra que Dieu et n’agira qu’en vue de Dieu.

Écoute qui t’appelle à la quiétude et non qui t’appelle à la lutte.
Dieu m’a donné un registre dans lequel mes compagnons et les disciples de mes compagnons sont inscrits, comme étant à l’abri du feu de l’enfer, jusqu’au jour de la résurrection.

Obéis à ton cheikh avant d’obéir au souverain Temporel.

Le plus malheureux des hommes est celui qui est opposé à son maître, s’occupe de ses intérêts mondain, oublie le commencement  et la fin, et ne fait pas d’oeuvres en vue de la vie future. Si tu te trouves dans la société des savants, ne leur parle que de sciences traditionnelles et de faits parfaitement authentiques et relatifs à la foi, et en cela tu les instruiras ou tu t’instruiras toi-même. Si tu te trouves avec des dévots, des ascètes, assieds-toi devant eux sur le tapis de la contemplation et de l’adoration ; parle-leur de façon à édulcorer ce qu’ils trouvent d’amer dans la vie; fais-les goûter aux connaissances dont ils ignorent la saveur.

 

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(1) Ces paroles de Chadeli sont extraites du Lataïf-el-Mounan-oua-el-
Akhlak, d’Abd-el- Ouhab-el-Charani (V. plus loin) ; elles nous ont été communiquées par Cheikh-Missoum, khalifa de l’ordre en Algérie. La traduction est de M. Arnaud, interprète militaire.

 

Si tu te trouves avec des gens vrais dans leur foi, laisse de côté ce que tu sais, et tâche d’apprendre ce que tu ne sais pas.

Ne discute pas Dieu et tu seras unitaire ; agis d’après la loi et tu seras sonnite ; si tu ne discutes pas Dieu et que tu agisses selon la loi, tu seras dans la vérité.

Mange la nourriture des Musulmans, fussent-ils pervers ; ne mange pas la nourriture des polythéistes ( ), fussent-ils cénobites.

Vois la pierre noire (de La Mecque), elle n’est devenue noire que par le toucher des polythéistes et non par celui des Musulmans. Évite les bienfaits des hommes avec plus de soin que leurs mauvais traitements, car les bienfaits atteindront ton coeur, tandis que les mauvais traitements ne feront souffrir que ton corps. Or, il vaut mieux souffrir dans son corps que dans son coeur. Nul n’atteint un degré supérieur de la science, sans avoir eu quatre épreuves à subir : les injures des ennemis, le blâme des amis, les attaques des ignorants, et la jalousie des savants.

Il faut cinq grâces pour être kotb (pôle). Que celui qui prétend les posséder, toutes ou en partie, montre donc : 1° qu’il a le secours de l’émanation, de la miséricorde, qu’il a le vicariat et la délégation divine ; qu’il a le secours des porteurs du trône de Dieu ; 2° qu’il a reconnu le véritable caractère de l’essence de Dieu, ainsi que les attributs qui renferment Dieu tant extérieurement qu’intérieurement ; 3° qu’il possède la grâce du jugement ; qu’il est à même d’indiquer la séparation entre les deux substances, dont la nature est d’être saisie par les sens intérieurs; 4° qu’il est à même de faire comprendre la disjonction de la première chose d’avec son origine et la continuelle dépendance de cette première chose avec son origine jusqu’à sa fn ; 5° qu’il possède la certitude de cette première origine, le jugement antérieur, le jugement postérieur, le jugement de ce qui n’a ni priorité ni antériorité ; la science du commencement, science qui embrasse toute science, ainsi que le tout connu, dont la création est sortie du premier inconnu et en dépendra jusqu’à la fin de la matière, pour revenir ensuite à sa cause première. »

Dans un manuscrit inédit, intitulé : les Hautes glorifications des qualités des Chadelya , écrit par Ahmed-ben-Mohammed-Abbad-ech-Chafei, nous relevons encore les paroles et sentences suivantes, attribuées à Si Chadeli(1)

« N’allez pas de compagnie avec qui se préfère à vous-même, car celui-là est un homme vicieux ; ne prenez pas non plus pour compagnon celui qui vous préfère à lui-même, car c’est là un sentiment qui ne durera pas. Mais prenez pour compagnon celui qui, s’il parle, prie Dieu.

Méfiez-vous de la compagnie de trois espèces d’hommes : des faux lecteurs du Coran, des Soufi ignorants, des puissants sans foi.

Il y a trois classes de frères : 1° les frères en religion, avec lesquels il n’y a de contestation possible qu’en affaires de règlement de compte ; 2° les frères de votre société (de votre monde), avec lesquels il n’y a à craindre que les dissentiments de caractère ; 3°, les frères qui vous imposent les relations mondaines, et dont il faut songer à éviter le mal.

Ne permettez à votre langue de parler que pour prier Dieu et pour accomplir certains devoirs sociaux, tels que les conversations en famille dans certaines circonstances, et les discours pour rendre service à quelque frère. »


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(1) Traduction de M. Arnaud.

 

Parmi les paroles textuelles de Si Chadeli, il faut encore citer la leçon ou « oraison de la mer » ( ), prière qui fait partie du rituel de tous les ordres Chadelya, et que récitent également, surtout en voyage, les Musulmans non congréganistes.

Voici cette prière(1) :

 

 

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(1) Extrait d’Ibn-Balouta, tome 1er, page 41, traduction de MM. Defrémery et Sanguinetti.

 

 

« O Dieu, ô Être sublime, ô Être magnifique, doux et savant, c’est Toi qui es mon Seigneur ! Il me suffit de Te connaître. Quel excellent Maître est le mien ! Tu secours qui Tu veux, Tu es l’Être illustre et clément. Nous implorons Ta protection dans nos voyages, dans nos demeures, dans nos
paroles, dans nos désirs et nos dangers ; contre les doutes, les opinions fausses et les erreurs qui empêcheraient  nos coeurs de connaître Tes mystères. Les Musulmans ont été éprouvés par l’affliction et violemment ébranlés. Lorsque les hypocrites et ceux dont le coeur est malade diront:

Dieu et son Envoyé ne nous ont fait que de fausses promesses; affermis-nous, secours-nous et calme, devant nous, les flots de cette mer, comme Tu l’as  fait pour Moïse ; comme Tu as assujetti les flammes à Abraham ; comme Tu as soumis les montagnes et le fer à David ; les vents, les démons et les génies à Salomon. Calme devant nous chaque mer qui T’appartient sur la terre et dans le ciel, dans le monde sensible et dans le monde invisible, et la mer de cette vie et celle de l’autre vie. Assujettis-nous toutes choses, ô Toi qui possèdes toutes choses C. H. Y. ‘A. S.(1).

Secours-nous, ô Toi qui es le meilleur des défenseurs, et donne nous la victoire, ô Toi le meilleur des conquérants; pardonne-nous, ô Toi le meilleur de ceux qui pardonnent ; fais-nous miséricorde, à Toi le meilleur des êtres miséricordieux; accorde-nous notre pain quotidien, ô le meilleur de ceux qui distribuent le pain quotidien ! Dirige-nous et délivre-nous des hommes injustes. Accorde-nous les vents favorables, ainsi que le peut Ta science ; tire-les pour nous des trésors de ta clémence, et soutiens-nous généreusement par leur moyen, en nous conservant sains et saufs dans notre foi, dans ce monde et dans l’autre ; car tu peux toutes choses. O mon Dieu ! Fais réussir nos affaires, en nous accordant le repos et la santé, pour nos coeurs comme pour nos personnes, en ce qui touche nos intérêts religieux et nos intérêts mondains. Sois notre compagnon de voyage, et remplace- nous au sein de notre famille. Détruis les visages de nos ennemis et fais empirer leur condition ; qu’ils ne puissent nous échapper ni marcher contre nous….. »

La prière chadelienne s’arrête là : c’est à peu près la moitié de l’oraison qui continue par une série de versets du Coran juxtaposés, les uns à la suite des autres, sans qu’on s’explique bien l’idée qui a présidé à cet assemblage.

La réputation de Si Chadeli est restée considérable chez tous les Musulmans, et il est aussi célèbre comme moraliste, jurisconsulte, théologien qu’il est vénéré comme personnage religieux et chef mystique :

« Ce saint, ce grand savant, cet imam, cette lune dans son plein, résumait toute la science de la tradition : extrêmement bien doué sous le rapport de l’intuition, son esprit non seulement avait sondé le monde des âmes et celui des corps, les mystères de la loi révélée et de la vérité, mais il en a encore montré les merveilles; il en a rendu les abords faciles, il en a divulgué les secrets.

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(1) Ces lettres ou monogrammes commencent le chapitre XIX du Coran, qui traite de la miséricorde de Dieu envers Zacharie, etc.

 

 

Aussi les cheikhs de son ordre sont-ils des puits de science, et le simple fakir chadeli est un cheikh pour la science * côté des cheikhs des autres confréries. Si Abou-Hassen-ech-Chadeli était le pôle de son époque, le pôle par excellence, celui vers qui on se réfugiait; il était le phare qui éclairait le monde, le porte-étendard que voyaient tous les yeux, l’argument du soufi , la science des coeurs dociles, la  parure des savants……

il réunissait toutes les perfections(1). »

 

Aussi, ceux-là même d’entre les Musulmans qui n’avaient aucun goût pour la vie dévote et les exercices spirituels des fakirs, recherchèrent -ils partout, avec avidité, les enseignements transmis à ses disciples, par ce saint doublé d’un philosophe et d’un savant.

 

Le nom de Chadeli devint bientôt très populaire chez tous les lettrés du Maghreb, et, en peu de temps, ses doctrines mystiques prirent une extension considérable dans tout le nord de l’Afrique. Ses nombreux adeptes, disséminés de l’Arabie à l’Espagne, formèrent des groupes distincts qui, tout en s’inspirant des préceptes du maître, devinrent autant de congrégations isolées, ayant chacune des règles spéciale et aussi des aspirations déterminées, d’après les circonstances qui avaient entouré leur fondation.

Cependant, tous ces ordres, plus ou moins autonomes, se détachent d’un groupe principal dont les adeptes ont conservé, en Algérie, le nom de Chadelya, tandis qu’ils ont pris, au Maroc, celui de Derqaoua, et, plus tard, en Tripolitaine, celui de Madanya. Ces trois branches, dont les centres de direction sont différents, ont sensiblement les mêmes règles et appuient leurs doctrines sur une seule et même chaîne mystique qui est la suivante :

 

13, Abou-Median ;

14, Abd-es.Bellem-ben-el-Mechich

15, Abou-Hassen-ech-Chadeli ;

16, Abou-el-Abbas-Ahmed-bon-Amar-el-Ansari-el-Morci (mort on 686, 1287.1288 de J.-C.) ;

17, Tadj-ed-Din-Abou-el-Fadhel-Ahmed-ben-Mohammed-ben- Abd-el-Kerim-ben-Atha-Allah-el-Iskenderi-el-Maleki, mort au Caire l’an 709 (1309-1310 de J.-C.) ;

18, Abou-Abbas-el-Hassen-et-Karafi ;

19, Cheikh-Mohammed-ben-Yacoub-el-Hadrami ;

19 bis, Cheikh-Ahmed-ben-Okba-el-Hadrami ;

20, Sid Abou-Abbas-Ahmed-Zerouk-el-Bernoussi, mort en 899- 900 (1494 de J.-C.) ;

20 bis, Sid Ahmed-ben-Youcef-el-Miliani-er-Rachedi ;

20 ter, Abou-el-Anouar-Ibrahim-ben-Ali-el-Zerhouni ;

21, Ibrahim-ben-Ajeham (ou EL-Djemi-ou-Amdjam) ;

21 bis, Sid Ali-es-Soussi ;

21 ter, Sid El-R’azi-ben-Belgaeem ;

22, Youcef-es-Sanhadji-ed-Daouar ;

22 bis, Aboul-Hakem-Ali-ben-Ahmed-es-Sanhadji-ed-Daouar ;

23, Abouzid-Abd-er-Rahman-el-Facy-el-Oukil-el-Medjdoub ;

23 bis, Djemal-ed-Din-Abou-Mehassen-Youcef-ben-Mohammedel- Facy vivait en 986 (1578-1579 de J.-C.) ;

24, Mohammed-ben-Abdallah ;

25, Kacem-el-Khessass ;

25 bis, Sid Ahmed-el-Yamani ;

26, Ahmed-ben-Abdallah ;

27, El-Arbi-ben-Abdallah ;

28,Abou-Hassan-Moulay-Ali-ben-Abd-er-Rahman-el-Djemal-el-Facy ;

29, Mouley-el-Arbi-ben-Ahmed-ed-Derqaoui.

 

Quelques Tolba-Derqaoua intercalent dans cette chaîne :

Ibrahim-el-Matbouli, Ali-el-Khaouas, Abd-el-Ouahab-ben-Ahmed-ben-Ali-ech-Charani, dit aussi en Égypte El-Charaouï, né en 899 (1493-1494 de J.-C.), mort en 973 (1565-1566 de J.-C.). Ces trois personnages sont bien, en effet, des Chadelya, mais le plus grand nombre des docteurs estime qu’ils n’appartiennent pas à la chaîne mystique aboutissant à Mouley-el-Arbi-ben-Ahmed-ed-Derqaoui. Abou-Hassan-Mouley-Ali-ben-Abd-er-Rahman-el-Djemal- et-Facy, l’avant-dernier cheikh de cette chaîne, passe, aux yeux de beaucoup de Musulmans, pour avoir été le véritable fondateur de l’ordre religieux des Derqaoua ; en réalité, il n’a fait que donner, dans l’ouest du Maghreb, une nouvelle extension à l’ordre des Chadelya, que les populations délaissaient pour se rapprocher de celui des Taibya, déjà inféodé à la dynastie régnante...

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(1) Extrait de Charani communiqué par Chikh-el-Missoum

A suivre ... 

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