DANS CHAQUE ECRITURE se retrouve le même désir d’éternité, le désir de rendre immortelle une pensée, une histoire. Dans le cas de l’écriture arabe, c’est également une religion, en l’occurence l’Islam, qu’il s’est agit de préserver dans sa pureté originelle.
L’écriture arabe est donc fondamentalement liée à l’existence et l’expansion de l’Islam. La révélation coranique a en effet permis aux Arabes de fixer dans sa perfection la langue de la poésie antéislamique. Le Coran ne peut être récité qu’en arabe, et la diffusion de l’Islam a obligé les Musulmans à définir une typographie la plus explicite qui soit afin d’éviter que le message d’Allah ne puisse être trahi.
Toutefois ce respect figé de la langue n’a pas nuit pour autant à la l’écriture arabe. En effet, cette contrainte associée au fait que l’Islam interdise de représenter les êtres animés, a conduit les Musulmans à développer de manière flamboyante la calligraphie afin d’exalter la parole révélée de Dieu. Ce faisant ils ont élevé cet art au rang d’art majeur.
Calligraphie:
1° Art de bien former les caractères d’écriture; écriture formée selon cet art.
2° Oeuvre du calligraphe.
La calligraphie est une manière de visualiser une langue et sa topographie. En ce sens, la calligraphie arabe repose sur un principe visuel simple: l’entrelacs d’une ligne de base simple et de lignes verticales, entrelacs complété par des signes typographiques conventionnels (voyelles brèves, shaddé, etc.). Elle obéit à une logique interne fondée sur l’équilibre et le dynamisme de la composition. Sa beauté ne dépends plus du texte qu’elle illustre: texte devenu dessin, la calligraphie prend son sens en elle-même. C’est ce qui explique, sans doute pourquoi, l’art calligraphique arabe peut toucher le non-arabophone.
Avant d’approfondir le thème de la calligraphie arabe, cette première partie de la série ‘De la calligraphie à la typographie’ va présenter brièvement l’alphabet arabe et mettre en évidence son importance aux yeux des Musulmans et des gnostiques arabes.
L’écriture est la forme d’art plastique essentielle de la civilisation arabo-musulmane. L’écriture étant jugée divine, elle se divinise encore plus dans la perfection, la rigueur et le dénuement de son effet décoratif. Abstraite par sa forme et profonde par son sens, elle conduit au divin.But ultime d’un art dépouillé, la calligraphie est poussée à l’extrême jusqu’à la pureté du signe et l’ornement devient l’éloge du Verbe par l’écriture.
Y.H. Safadi
Bismillah, Qutub minar, XIII
De l’Alef au Ya
’ALPHABET (ALIF BAE YA) ARABE est composé de vingt-neuf lettres. La majorité des lettres changent légèrement la forme de leur caractère en fonction de leur position dans le mot (initiale, médiane ou finale) si elles sont jointes à une autre lettre, ou bien si elles sont isolées. Seules les forme finales isolées sont présentées ci-dessous:
L’arabe est une écriture consonnantique. Cela se traduit par le fait que toutes ces lettres, à l’exception du Alef (), sont des consonnes. Le Waw () et le Ya () sont, elles, des demi-voyelles, dans la mesure où elles représentent à la fois une consonne et une voyelle: le Waw se prononce ‘w’ ou ‘ou’ alors que le Ya se prononce ‘y’ ou ‘i’. Ainsi, la racine trilitère ‘KTB’ arabe peut, selon le vocalisme, être lue ‘katib’ lire, ‘kitab’ l’écrivain, ‘kutub’ les livres, ‘kataba’ il écrivit, etc.
Les voyelles brèves sont figurées par des signes diacritiques applées Fathah (son ‘a’: un petit trait au dessus de la consonne), Dammah (son ‘ou’: un petit Waw au dessus de la consonne) et Kasrah (son ‘i’: un petit trait au dessous de la consonne).
Dernière particularité de l’écriture arabe: elle s’écrit de droite à gauche.
Cette écriture, malgré le grave inconvénient que représente le fait qu’elle soit consonnantique, est toutefois considérée pour certains spécialistes plus adéquate qu’aucune autre pour souligner les aspects syntaxiques et sémantiques de la langue arabe. L’alphabet arabe met ainsi en évidence les aspects morphologiques et phonétiques de la langue.
C’est que l’arabe est une langue dans laquelle les voyelles ne servent qu’à préciser la fonction grammaticale du mot et non son sens. On a ainsi pu le voir pour l’association des lettres ‘K’, ‘T’ et ‘B’ qui fait toujours référence à l’écrit, les voyelles ne servant qu’à préciser le temps du verbe conjugué ou un pluriel.
Ainsi l’absence de vocalisation, qui serait un handicap pour une langue indo-européenne comme le français du fait de l’existence de nombreux mots combinants plusieurs voyelles ou commençant par une voyelle, n’en est pas un pour l’arabe, tout comme d’ailleurs l’autre grande langue sémitique qu’est l’hébreu.
Caractère sacré de l’écriture arabe
D’APRES L’ENSEIGNEMENT DE L’ISLAM, le Coran fut transmis au prophète Mahommet en langue arabe par l’archange Gabriel, d’où son statut de langue divine. Ceci explique pourquoi l’écriture arabe a toujours conservé une place importante dans la culture musulmane. Fondée sur le concept du mot pré-éternel divinement écrit dans le Coran, chaque copie de celui-ci emmène le fidèle au contact immédiat avec le scribe éternel divin du destin.
La première révélation du Coran concerne l’art de l’écriture que Dieu a octroyé à l’homme:
Il enseigna par le Calame et enseigna à l’Homme ce qu’il ignorait.
Coran XCVI,4-5
La deuxième révélation coranique a pour titre al-Qalam, “le Calame” :
Par le Calame et ce qu’ils écrivent.
Coran LXVIII,1
Le Coran est pré-écrit:
Pourtant ceci est une Prédication sublime sur une Table conservée.
Coran LXXXV, 21-22
Les Anges sont les premiers scribes de l’Écriture:
En vérité, à votre encontre, sont certes des Anges qui retiennent vos actes, des Anges nobles qui écrivent, sachent ce que vous faites.
Coran LXXXII, 10-12
Certes, Nous avons créé l’Homme. Nous savons ce que lui suggère son âme. Nous sommes plus près de lui que sa veine jugulaire lorsque recueillent son discours les deux Anges Recueillants assis à droite et à gauche.
Coran L, 15-16
Et logiquement, dans cette culture où tout est préécrit, le destin de chaque homme est déjà écrit et son immuabilité se retrouve dans l’expression de la tradition prophétique qad jaffal-qalam, “le calame est déjà sec”.
....et il n’échappe à ton Seigneur ni le poids d’un atome sur la terre et dans le ciel, ni un poids plus petit ou plus grand qu’un atome sans que cela soit consigné dans un rôle explicite.
Coran X, 62
Le jour ou Nous appellerons tous les hommes avec leur rôle ceux à qui l’on remettra leur rôle dans la dextre, ceux-là le liront et ne seront point lésés d’un fil.
Coran XVII, 73
Ceux qui sont infidèles ont dit: ‘L’Heure ne nous touchera point.’ Réponds-leur: ‘Si! par mon Seigneur qui connaît l’inconnaissable, à qui n’échappent ni le poids d’un atome, dans les cieux et sur la terre, ni un poids plus petit ou plus grand que cela! Rien ne se fait sans que cela soit consigné dans un rôle explicite.
Coran XXXIV, 3
Nous savons ce que la Terre dévore d’eux. Près de Nous est un Écrit, gardien de ce qu’ils font.
Coran, L,4
Il est donc logique que les Musulmans commencèrent à écrire très tôt le Coran de telle manière d’en exprimer son éternelle beauté. Mahomet aurait d’ailleurs dit: qu’ “une bonne écriture fait éclater la vérité”. De là découle la haute estime dans laquelle est tenue le calligraphe. Comme le dit le dicton: “le mot écrit est un talisman, et le processus d’écriture un art magique lié non seulement avec la technique, l’habileté et l’art du maître, mais aussi avec sa personnalité spirituelle et morale”.
Aujourd’hui encore, toute personne qui se convertit à l’Islam doit apprendre l’arabe afin de pouvoir correctement réciter le Coran. Les lettres de l’alphabet arabe représentent pour le Musulman de véritables icônes de la religion.
Bismillah
“Au nom d’Allah, le Clément, le Miséricordieux”: formule traditionnelle qui introduit chaque sourate du Coran et ponctue la récitation. Elle fait généralement l’objet d’un traitement calligraphique d’une grande richesse.
Bismillah, Turquie, XVIe siècle
Bismillah, XIXe siècle
Muhammad [est le messager de Dieu], Eski Cami, Edirne
Symbolisme de l’alphabet arabe
L’ART DE L’ECRITURE EN ISLAM, est également caractérisé par une autre spécificité: le symbolisme des lettres. L’agencement des lettres y a en effet, a une haute signification: il s’agit d’exprimer en termes intelligibles la réalité cachée de la parole d’Allah. Cette alchimie des lettres, en arabe Jafr, symbolise le désir d’expression d’une géométrie de l’âme.
Véritable science cabalistique, le Jafr repose sur la combinaison de chacune des 28 lettres de l’alphabet arabe avec les 10 chiffres. Il faut d’ailleurs rappeler que les susdites 28 lettres, d’après l’ordre du vieil alphabet sémitique, peuvent être mises en lien avec les 28 positions de la lune.
C’est ainsi que ces 28 lettres sont divisées en 4 groupes de 7 lettres, groupes représentant les 4 éléments fondamentaux de l’univers, l’air (Ba ‘’), la terre (Dal ‘’), le feu (Alef ‘’) et l’eau (Jim ‘’). On invoque les lettres de feu pour soigner les malades qui souffrent du froid, pour augmenter le pouvoir de la chaleur ou encore pour affermir la puissance du guerrier. On invoque les lettres de l’eau pour soigner les fièvres et augmenter les pouvoirs du froid.
Par ailleurs, chaque lettre a une valeur numérique (Abjad Hawaz) et les agencer afin d’obtenir une certaine date est très commun. Ces équivalents numériques sont:
de 1 à 9 de l’Alef au Ta,
de 10 à 90 du Ya au Sad,
de 100 à 900 du Qaf au Za,
et 1000 pour le Ghain.
À partir de ces chiffres, on peut établir des correspondances entre les différentes lettres de l’alphabet. C’est ainsi que le Ba (2), le Kha (20) et le Ra (200) recouvrent des manières différentes d’exprimer le chiffre 2. Toutefois, comme le notait fort pertinement Ibn Kaldoun, la réelle signification des relations existant entre les lettres et les humeurs des hommes et les lettres et les chiffres est difficile à appréhender.
Par ailleurs, les lettres elles-même forment une part importante du langage symbolique de la prose et de la poésie religieuse et profane. Alef (), la première lettre, une ligne droite, dont la valeur numérique est 1, est le chiffre de la grâce fine du bien-aimé mais aussi en même temps le symbole d’Allah, le dieu unique, l’unité absolue. Les poètes ont souvent proclamé qu’ils n’avaient appris qu’une lettre, le Alef. Elle est en effet plus importante que tout l’alphabet réuni: connaître l’unicité et l’unité d’Allah prime sur la connaissance des choses visibles de ce monde. De plus, Le Alef, première lettre de l’alphabet, se retrouve dans toutes les autres lettres. Ainsi, le Hha’ () n’est autre qu’un Alef courbé et le Mim () un Alef circulaire.
Le Ba (), la deuxième lettre de l’alphabet, qui est aussi la première lettre du Bismillah qui forme le début du Coran, est considéré comme la première manifestation de la sagesse divine, la porte d’entrée dans le monde de l’Absolu. Dans son point sont contenus tous les mystères de la création. C’est que par la vertu de la médiation du Ba, qui suggère le Alef et en même temps diffère de lui par la ligature qui le joint aux autres lettres, il est possible de voir le Alef dans les autres lettres, révélant la divinité latente de l’homme.
Les relations entre le Alef et le Ba sont à l’origine de spéculations ésotériques de portée philosophique. C’est ainsi que pour les mystiques soufis, le Alef a été créé spontanément, de par sa volonté propre, alors que le Ba a été “obligé” d’exister. La conclusion en découle est que la liberté n’est pas incompatible avec l’obligation... Toujours dans cette tradition soufie, il est possible de mentionner un des enseignements du Persan Sanai: “la première et la dernière lettre du Coran sont b et s (= bas, qui signifie en arabe “assez”); cela signifie que le Coran est suffisant comme guide sur ton chemin”.
D’autres lettres, comme le dad (), le jim (), le lam () ou le qaf () ont été comparés aux boucles ou les tresses du bien-aimé, le nun () à une boucle, le sin () à ses dents, le sad () ou le ‘ain () à ses yeux en amandes. Le lam-alef (), essentiellement une ligature, a souvent symbolisé l’union. Enfin, le Mim (), un petit anneau, dont la valeur numérique est 40, est l’abbréviation de Mahommet, le récipiendaire de la parole divine.
Comme pour montrer l’importance symbolique des lettres arabes, il faut pour conclure soulever la question des Futuhat, ces lettres isolés qui introduisent souvent les sourates coraniques. Ces lettres, dont la signification ne nous est pas connue, ont donné lieu à de nombreuses spéculations . Quoiqu’il en soit, échappant à la compréhension humaine, ces lettres sont souvent perçues comme une sorte de signe d’Allah, une intuition divine.
“Lui”reflète “Lui” exprimant
l’unité soufie avec Dieu
(calligraphie miroir)
Esthétique de l’écriture arabe
LES POETES DE L’ERE PRE-ISLAMIQUE connaissaient déjà dans une certaine mesure l’écriture arabe; ils font souvent allusion à la forme de certaines lettres comme le lam-alef () qui est comparé à une empreinte de pied.
“Il ne fait aucun doute qu’il exite peu d’alphabets dans le monde qui puisse être écrit de manière aussi diverses et aussi harmonieuses que l’arabe” observe ainsi Anne-Marie Schimmel. On retrouvera cette calligraphie sur les mosquées, les madrassées, les tombeaux (épigraphes), les objets de la vie quotidienne....
D’un point de vue purement esthétique, le mot ‘Allah’ avec ses trois barres est un mot idéal pour un artiste dans la mesure où il est formé exclusivement de barres verticales.
Les Califes Omar et Ali n’aimaient pas les petits corans car selon eux, le nom d’Allah devait être écrit en grands caractères. C’est un des facteurs qui fit le succès du Coufique comme première grande écriture arabe.
Deux exemples de lam-alef
“Allah” en coufique géométrique
Article rédigé par: Jean-Christophe Loubet del Bayle
Beyrouth, Juin 1996 - Publié sur T&C en février 2000 - Remis en page en mars 2006
Références bibliographiques:
Blachère (Régis), traducteur, Le Coran, G.P. Maisonneuve & Larose, Paris, 1956 & 1980
Khatibi (Abdelkebir) & Sijelmassi (Mohammed), The Splendor of Islamic calligraphy, Thames & Hudson, Londres, 1995
Massoudy (Hassan), Calligraphie arabe vivante, Flammarion, Paris, 1981
Meynet (Roland), L'Ecriture arabe en question, Coll. Hommes et Sociétés du Proche-Orient, Dar-el-Machreq, Beyrouth, 1971
Safadi (Yasim Hamid), Calligraphie islamique, Chêne, Paris, 1978
Schimmel (Annemarie), Islamic calligraphy, Collection Iconography of Religions, E.J.Brill, Leyde, 1970
http://www.typographie.org/index.html
et pour ceux qui souhaite écrire en arabe mais ne dispose pas d'un clavier arabe, http://www.clavier-arabe-plus.ma/tastiera-araba-it.php
RépondreSupprimerBaraka Allâhu fik !
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