بـــسْم ﭐلله ﭐلرّحْمٰن ﭐلرّحــيــم ﭐللَّهُمَّ صَلِّ عَلَى سَيِّدِنَا مُحَمَّدٍ وَ عَلَى آلِهِ و صحبه وَ سَلِّمْ السلام عليكم و رحمة الله و بركاته
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vendredi 22 juin 2012
Le soufisme en Égypte et en Syrie - Éric Geoffroy - Troisième partie - Un monde pluriel aux structures encore souples - Introduction - Chapitre X - Les différents modes de l’affiliation
Lampe de mosquée - Egypte 1385 -
Éric Geoffroy
Introduction à la troisième partie - Un monde pluriel aux structures encore souples
La mystique syro-égyptienne présente une identité multiple, déjà pressentie dans le contraste entre soufis et pseudo-soufis. La pratique du taṣawwuf est fondée sur l’initiation. Sa pluralité apparaîtra donc d’abord dans la diversité des modes d’affiliation. Elle se manifestera ensuite dans l’histoire particulière de chaque voie initiatique ; quelques modèles majeurs sont présentés par ces voies, qui déterminent à la fois des passages et des exclusions entre elles. Une comparaison avec les mystiques turco-persane d’une part et maghrébine de l’autre nous aidera à mieux cerner cette identité multiple du soufisme syro-égyptien. Nous n’en aurons pas pour autant fini avec la “voie initiatique”, car la disparité que nous y repérons nous amènera à relativiser son importance dans l’analyse du taṣawwuf.
Chapitre X - Les différents modes de l’affiliation
I - Le maître unique : le cheikh de tarbiya
II - Diversite des rites initiatiques
1 - La ḫirqa
2 - La prise du pacte avec le maître (aḫḏ al-ʿahd, bayʿa, muṣāfaḥa)
3 - L’enseignement des formules de ḏikr (talqīn al-ḏikr)
4 - L’irḫā’ al-ʿaḏaba
III - La multiple affiliation
IV - Cheikh de tarbiya et supports de baraka : deux modes qui coexistent
Si l’on ne peut parler du soufisme comme d’un ensemble simple et uniforme, c’est en partie parce que les degrés d’adhésion à cette spiritualité sont variés. La ṣuḥba ou compagnonnage spirituel, qui est le terme le plus général pour désigner la relation de maître à disciple, illustre bien les modalités multiples que revêt l’engagement dans la Voie. Le verbe ṣaḥiba indique des liens à teneur diverse : il peut signifier la simple fréquentation d’un maître comme impliquer l’obédience absolue d’un novice à son cheikh. Si le personnage est déjà un soufi confirmé, ce n’est pas d’un lien de maître à disciple qu’il s’agit, mais de fraternité dans la Voie1. Le contexte ici est le seul guide. Le cas du cheikh Raḍī al-Dīn al-Ġazzī éclaire amplement l’ambiguïté du terme ; dans la palette très variée de soufis syriens et égyptiens dont il dit avoir bénéficié de la ṣuḥba, celle-ci qualifie de façon évidente des rapports de types différents, sans que l’on ne puisse jamais être sûr de leur valeur respective2.
Néanmoins on peut, d’une manière approximative, ramener l’affiliation à deux modalités principales : d’une part l’obédience absolue du disciple à son maître, qui suit attentivement son évolution et parfait son éducation spirituelle (al-tarbiya) ; d’autre part la simple réception de baraka véhiculée par un lignage initiatique, forme de rattachement beaucoup plus lâche. Dans la pratique, il y a évidemment un ensemble de gradations qui nous amèneront à nuancer ce tableau. De nombreux auteurs, cependant, fondent leur exposé sur cette distinction, qui semble pertinente pour le soufisme de cette époque3.
I - Le maître unique : le cheikh de tarbiya
Le novice s’attache à son maître et se conforme à son modèle. C’est le compagnonnage ou ṣuḥba véritable, qui doit s’accomplir dans les mondes physique comme subtil : le lien (rābiṭa) qu’il a avec lui doit opérer à tous les niveaux de l’être. L’affiliation devient filiation, car le murīd est éduqué comme un fils et il en arrive parfois à ressembler physiquement à son maître. Abū al-Ḥasan al-Šāḏilī disait : « Nous sommes comme la tortue qui élève ses enfants par le regard. »4 ʿAlī b. Maymūn al-Fāsī sustentait ses disciples, selon cheikh ʿAlwān, « comme un père plein de sollicitude »5. L’identité même du disciple se modèle sur celle de son cheikh : al-Madyanī a été appelé ainsi du nom de son maître et oncle, cheikh Madyan, et il en va de même pour al-Mawāhibī, disciple et successeur d’Abū al-Mawāhib.
La relation étroite de maître à disciple a parfois pour nom l’iqtidā’, c’est-à-dire le fait d’être guidé6, mais le plus souvent le terme tarbiya (éducation) désigne cette modalité. Aḥmad al-Zarrūq emploie le mot mutābaʿa, car le disciple suit en tout son cheikh. Notons qu’un cheikh de tarbiya peut être sollicité par un large public pour la baraka qu’il véhicule, bien au-delà du cercle restreint de ses proches disciples7.
L’aspirant n’a qu’un seul maître à la fois, car il ne peut se livrer totalement qu’à une seule personne. Ceci est vrai notamment dans la Šāḏiliyya égyptienne comme syrienne : on y voit des disciples éminents succéder à leur cheikh et n’avoir eu que ce dernier comme directeur spirituel. ʿAlī al-Ḫawwāṣ demande à Šaʿrānī de ne pas aller vers un autre maître tant qu’il est vivant8, et l’auteur des Anwār qudsiyya va jusqu’à dire qu’il ne convient pas au disciple d’un cheikh de rendre visite à d’autres maîtres sans sa permission9. Lorsque le cheikh meurt, le murīd doit, s’il n’a pas atteint la “réalisation”, prendre un autre guide. Šaʿrānī, d’abord sous l’obédience d’al-Marṣafī puis d’al-Šinnāwī, obtient ensuite son sevrage spirituel (fiṭām), selon son expression, sous la direction d’al-Ḥawwāṣ10. Le maître connaissant parfaitement son disciple, il peut évaluer sa progression sur la Voie ; le premier cheikh d’al-Mawāhibī, Muḥammad al-Maġribī, prédit ainsi à son disciple qu’il n’atteindra la maturité spirituelle qu’après sa mort, entre les mains d’Abū al-Mawāhib11.
Bien souvent, le premier maître demeure irremplaçable. On voit des disciples qui, après la mort de leur cheikh, ne peuvent plus s’engager aussi totalement avec un autre, ou encore n’en éprouvent-ils plus le besoin. C’est après la mort de son premier guide que Šāhīn pérégrine et côtoie soixante cheikhs12, et Sulaymān al-Ḫuḍayrī fréquente « des cheikhs innombrables » une fois son murabbī (éducateur) décédé13. Muḥammad al-Turūsī a bien d’autres maîtres après Muḥammad al-Ḫurasānī, mais c’est celui-ci qui l’a marqué : il lui prédit qu’il mourra durant le mois de Šaʿbān, et chaque année à cette période, al-Turūsī attend sa fin ; décédé en Šaʿbān 970 selon al-Ġazzī, il retourne à ses origines spirituelles puisqu’on l’enterre près d’al-Ḫurasānī, à Alep14.
Envers le murabbī, la politesse spirituelle (adab) doit être parfaite. Un disciple d’Ibn ʿInān, selon Šaʿrānī, a servi ce dernier pendant des années sans jamais voir son visage, et le maître lui-même ne sut que par des personnes extérieures que la barbe de son jeune murīd avait poussé. Šaʿrānī donne plusieurs exemples, dans l’histoire du soufisme, de cette crainte révérentielle (hayba) qui empêche le novice de regarder son cheikh15.
Le maître de tarbiya exige la soumission absolue du disciple, qui doit être « comme le cadavre entre les mains du laveur de morts »16. Nūr al-Dīn al-Marṣafī demande au murīd de s’en tenir aux prescriptions de son maître, même si elles vont à l’encontre des arguments des ʿulamā’17. Le cheikh se doit d’avertir son disciple des conséquences de l’engagement pris avec lui. Muḥammad al-Maġribī donne ainsi à choisir à Ibrāhīm al-Mawāhibī entre une « éducation de bazar » (tarbiya sūqiyya) où l’on joue les grands maîtres, et l’ « éducation domestique » ou « intérieure » (tarbiya baytiyya) fondée sur les épreuves (al-balā’), portes de la sainteté18. La discipline peut être rigoureuse. Si ʿAlī Ibn Maymūn al-Fāsī voit des choses répréhensibles (munkar) chez ses disciples, il les frappe avec un bâton, au point de leur fracturer parfois un os ; briser l’âme charnelle (al-nafs) peut être à ce prix19. S’il fait ressortir les moindres défauts (yastanqiṣ) de ses murīd-s – surtout ceux de ses disciples notables religieux – c’est dans le même esprit de purification20. L’enjeu est de taille, car l’ “illumination” (al-fatḥ) est au bout des épreuves : al-Fāsī laisse Ibn ʿArrāq sans boire pendant vingt jours, jusqu’à ce qu’il arrive au seuil de la mort ; une fois abreuvé, le disciple obtient rapidement le fatḥ21.
Cette modalité de rattachement réclame un engagement total, et les maîtres confient que le vrai aspirant, le murīd muni de l’irāda (volonté d’avancer sur la Voie), est une perle rare. Aḥmad al-Ḥaḍramī (m. 895/ 1490), le cheikh d’al-Zarrūq, affirme que la véritable formation (al-tarbiya bi-al-iṣṭilāḥ) des disciples s’est éteinte en 824/142122, tandis qu’al-Ǧāriḥī déplore devant Šaʿrānī que depuis trente-sept ans qu’il est cheikh en Égypte, personne ne vient le voir pour la Voie mais pour des affaires temporelles23. Voici encore Abū al-ʿAbbās al-Ḥurayṯī confessant avant de mourir qu’il n’a jamais eu de disciple authentique, et Šaʿrānī ajoute qu’al-Matbūlī fit le même aveu24. Ces déclarations relèvent sans doute du leitmotiv de la dégénérescence de la Voie que l’on a déjà rencontré, mais elles suggèrent que des formes d’affiliation moins exigeantes peuvent exister parallèlement. On ne peut réellement appréhender ces formes sans s’arrêter sur les rites initiatiques qui en sont les supports.
II - Diversite des rites initiatiques
Si le terme ṣuḥba est vague, les rites d’initiation, qui concrétisent l’affiliation à une voie soufie, n’apportent guère plus de précision. Leur variété, d’abord, laisse parfois perplexe, et ce qu’ils véhiculent réellement n’est pas toujours explicite : un même rite peut recouvrir des réalités diverses selon l’époque et l’endroit, et des écoles ou des auteurs contemporains peuvent en user selon des acceptions différentes. L’étude du contexte est donc nécessaire pour pouvoir décrypter ces rites, qui foisonnent même dans les sources non spécialisées comme les recueils biographiques.
1 - La ḫirqa
L’investiture du manteau initiatique (ilbās al-ḫirqa) constitue le rite le plus important25. L’origine de la ḫirqa est iraqo-persane, comme en témoignent les noms figurant dans les chaînes initiatiques des ḫirqa que Suyūṭī a revêtues : la plupart sont persans26. Ibn Ḫaldūn, traquant toute infiltration chiite dans le taṣawwuf, voit d’ailleurs dans la ḫirqa un emprunt à la tradition chiite orientale27. La ḫirqa est en tout cas quasiment inconnue au Maghreb à l’époque d’Ibn ʿArabī, comme le montre son Kitāb nasab al-ḫirqa ; le Šayḫ al-Akbar était d’ailleurs très réservé à son égard, jusqu’à ce qu’il aille en Orient28. À l’inverse d’Ibn Ḫaldūn, Suyūṭī trouve l’origine de la ḫirqa dans la Sunna ; il s’appuie sur l’autorité du grand muḥaddiṯ syrien Ibn Ṣalāḥ (m. 643/1245) pour identifier le “manteau” à l’étoffe (kiswa) dont le Prophète couvrit une femme dénommée Umm Ḫālid29. La ḫirqa ne se répand au Proche-Orient qu’à partir du viiie ou du ixe siècle de l’Hégire30. Le support matériel en est tout à fait imprécis, puisqu’il peut consister en une calotte ordinaire (ṭāqiyya, qalansuwa)31 ou même en n’importe quelle pièce de tissu, qu’il soit neuf ou ancien, cousu ou non32.
L’investiture de la ḫirqa représente à l’origine le transfert de l’état (ḥāl) de perfection du maître sur le disciple, celui-ci étant alors purifié de sa nature imparfaite (al-aḫlāq al-maḏmūma, al-radiyya)33. Al-Suhrawardī rapporte comment son oncle Abū al-Naǧīb (m. 563/1168) refroidit l’élan d’une personne désirant revêtir la ḫirqa, après lui avoir énoncé tout ce qu’en exigeait l’investiture (ḥuqūq al-ḫirqa)34. Mais l’auteur des ʿAwārif al-maʿārif opère déjà une distinction, reprise par les maîtres postérieurs, entre l’initiation impliquant une relation réelle de maître à disciple (ḫirqa d’irāda35, de qudwa ou d’iqtidā’36) et celle du tabarruk. La ḫirqa correspond encore chez le traditionniste et soufi Quṭb al-Dīn al-Qasṭallānī (m. 686/1287) à l’iqtidā’, à l’obédience totale à un cheikh37, mais nous voyons Ibn Baṭṭūṭa, au viiie/xive, collectionner des investitures au cours de ses voyages38. Ce rite semble ainsi perdre graduellement à l’époque mamelouke de son authenticité et de son efficacité : la ḫirqa n’est pas devenue synonyme de tabarruk uniquement dans la Šāḏiliyya39 ; des maîtres de tous horizons doivent en rappeler la véritable portée initiatique, tels al-Fāsī et Šaʿrānī40. Cette modalité prédomine néanmoins à la fin de l’époque mamelouke, car elle ne suppose pas une discipline spirituelle précise41. La ḫirqa désigne alors l’initiation de manière générale, ce qui explique l’omniprésence du terme dans les sources42. La fonction de protection et de bénédiction qui est la sienne explique que l’on puisse en revêtir un enfant43.
2 - La prise du pacte avec le maître (aḫḏ al-ʿahd, bayʿa, muṣāfaḥa)
La prise du pacte avec le maître constitue un autre rite d’initiation. Elle implique théoriquement un véritable engagement du disciple envers le cheikh de tarbiya44. Cependant, les maîtres divergent sur la question. Suyūṭī relativise étrangement la portée du ʿahd en répondant dans une fatwa qu’un soufi ayant pris un premier pacte avec un cheikh puis un second avec un autre n’est tenu par aucun des deux, car ceci n’a pas de fondement (lā aṣl li-ḏālika)45. Šaʿrānī affirme de son côté que « rompre le pacte, c’est comme apostasier », mais il fait allusion au pacte passé avec Dieu pour avancer dans la Voie, non à un engagement avec un maître précis46. Al-Haytamī se montre plus péremptoire ; pour lui, le murīd qui s’est engagé avec un cheikh ne peut plus reculer ou choisir un autre maître ; de telles velléités proviennent assurément de l’ego (al-nafs) et il ne faut pas y prêter attention47. Une telle rigueur contraste avec la pratique initiatique. La prise de pacte, peu mentionnée dans les textes, n’a souvent elle aussi qu’une valeur de tabarruk, notamment dans sa modalité de la poignée de main (muṣāfaḥa ou mušābaka). ʿAlī b. Maymūn al-Fāsī critique là encore la déperdition du sens spirituel attaché à ce rite48.
3 - L’enseignement des formules de ḏikr (talqīn al-ḏikr)
Le talqīn consiste en l’enseignement d’une formule d’invocation à répéter selon certaines règles49. Il s’agit le plus souvent de Lā ilaha illā Allāh50, mais d’autres formes existent, notamment celle ayant pour support la prière sur le Prophète51. Transmis généralement en même temps que la ḫirqa, ce rite se vulgarise en cette époque où le soufisme s’extériorise. Les cheikhs cherchent à faire pénétrer l’influx spirituel de leur voie dans de larges couches de la population : dix mille personnes sont dites avoir pris le talqīn d’Abū al-ʿAbbās al-Ḥurayṯī52, et trente mille d’Ibn Abī al-Ḥamā’il53. Cette vulgarisation, pourtant, ne compromet pas obligatoirement l’authenticité de l’initiation ; bien qu’Abū al-Naǧā al-Fuwwī transmette à beaucoup de personnes le talqīn, celles qui le reçoivent « perçoivent alors le langage de toutes les créatures, y compris les objets inanimés ».54
4 - L’irḫā’ al-ʿaḏaba
Ce rite, qui a selon Suyūṭī une source prophétique55, consiste à laisser pendre la queue (al-ʿaḏaba) du turban du disciple. ʿAlī al-Ḫawwāṣ y voit l’expression d’une faculté secrète (sirr) qu’a le soufi de faire prendre aux choses une expansion physique, par son regard ou son toucher56. Si telle est la portée de l’irḫā’, sa pratique fréquente, qu’attestent les textes, implique sans doute davantage la simple imitation des maîtres (al-tašabbuh bi-al-Qawm) plutôt qu’une authentique réalisation.
Cette imitation des soufis “réalisés” a été diversement appréciée suivant les époques. Les premiers auteurs comme Abū Naṣr al-Sarrāǧ ne voient dans le tašabbuh qu’un simulacre57, alors qu’al-Suhrawardī (m. 632/ 1234) le justifie dans un chapitre entier de ses ʿAwārif58. Celui qui imite les soufis ne cherche pas à plagier leur comportement, mais à s’imprégner d’un état spirituel (ḥāl) supérieur auquel il n’a pas encore accès59. Aḥmad al-Zarrūq préconise l’imitation des maîtres jusque dans leurs attributs extérieurs, tels la bure rapiécée (al-muraqqaʿa), le bâton, le chapelet, car la présence de ces objets empêche la nafs de commettre des turpitudes60. Al-Haytamī entérine dans une fatwa la pratique du tašabbuh ; celui qui s’y adonne a le mérite de croire en la sainteté des soufis, et sa démarche prouve qu’il les aime. La quête de la ressemblance, ajoute-t-il cependant, doit viser leur conduite spirituelle et non un quelconque accoutrement61. Tous ces auteurs citent évidemment le hadith ṣaḥīḥ affirmant que « celui qui cherche à ressembler à un groupe en fait partie »62. Face à une telle importance accordée au tašabbuh, on est tenté d’affirmer avec ʿAlī al-Ḫawwāṣ que la plupart des mystiques de la fin de l’époque médiévale ne sont plus aptes à réaliser l’initiation véhiculée par les rites ; ils peuvent du moins puiser par ce biais la baraka des anciens maîtres (tabarruk bi-al-salaf)63. Son disciple Abū al-Faḍl al-Aḥmadī est plus sévère vis-à-vis des mutaṣawwifa qui se livrent aux parodies rituelles ; il se voit obligé de rappeler, à l’instar d’al-Fāsī, la signification réelle de ces supports initiatiques64.
L’imitation des maîtres a donc pour corollaire la recherche de leur baraka, comme le remarque al-Zarrūq65. L’une et l’autre expliquent que les rites envisagés plus haut sont souvent conférés ensemble à une même personne. À la fin de l’époque médiévale, l’initiation paraît plus quantitative que qualitative ; il ne nous appartient pas d’affirmer qu’il y a là l’indice d’une dévalorisation spirituelle, mais on peut du moins parler de banalisation : dans « Le cursus studiorum d’un savant ottoman du xviiie siècle », G. Vajda souligne que l’intéressé évoque « avec complaisance ses initiations diverses, talqīn, ḫirqa, turban, sabḥa, muṣāfaḥa, mušābaka »66. Cette quête de la baraka permet également de mieux comprendre le phénomène d’accumulation des chaînes de rattachement.
III - La multiple affiliation
Si les cheikhs šāḏilī dénigrent les modalités trop souples de rattachement au profit de l’unique tarbiya, de leur propre aveu, la simple lecture des oraisons et des prières (aḥzāb, awrād) composées par leur maître éponyme introduit pourtant le fidèle dans leur famille spirituelle67. Plusieurs sphères imbriquées se dessinent ainsi autour d’une même source initiatique, la plus large de ces sphères étant aussi la plus lâche. Celui qui ne fait que goûter à telle ou telle source pour la baraka a tout loisir de multiplier les points d’abreuvement. Ce phénomène d’accumulation s’explique par l’observance logique d’un principe de la Voie : les différentes sources ou voies initiatiques trouvent toutes leur origine dans la personne du Prophète ; il est donc compréhensible que l’aspirant cherche à multiplier les voies d’accès à l’influx spirituel muhammadien. Bien adaptée à l’extériorisation du soufisme propre à cette époque, et moins exigeante spirituellement, la multiple affiliation semble éclipser la tarbiya, aux dires mêmes d’al-Mawāhibī (lā wuǧūd fī al-ġālib li-ġayri-hā)68.
La multiple affiliation est en effet un phénomène général à l’époque qui nous concerne. Présentons quelques données qui nous aideront à en mesurer l’ampleur. Le grand cadi Zakariyyā al-Anṣārī a reçu l’initiation dans toutes les voies orthodoxes présentes en Égypte, dont le nombre ne doit pas être inférieur aux vingt-six desquelles se réclame Šaʿrānī69. On ne peut attribuer à Raḍī al-Dīn al-Ġazzī, qui se trouve au cœur d’un vaste réseau de relations spirituelles, aucune identité initiatique plus qu’une autre, et c’est aussi le cas de Šāhīn, ancien mamlūk de Qāytbāy, qui dit avoir été rattaché à soixante cheikhs70. D’autres encore, comme ʿAbd al-Raḥmān al-Awǧāqī ou Aḥmad Ibn Šaʿbān71, maniant tour à tour ḫirqa et ṣuḥba, côtoient tous les maîtres du moment. Ibn Ṭūlūn collectionne de son côté les baraka-s des lignages damascènes, et en récupère un grand nombre d’origine égyptienne par l’intermédiaire d’Abū al-Fatḥ al-Mazzī72. On cherche généralement à multiplier les rattachements dans toutes les familles spirituelles, mais une logique d’affiliation est parfois perceptible : Abū Bakr al-ʿAydarūsī ne prend, d’après les sources, que la voie šāḏilī, mais il le fait par l’intermédiaire de plusieurs maîtres73.
La pratique de l’affiliation multiple prend certainement de l’ampleur à la fin de la période médiévale ; elle s’extériorise également par des formes initiatiques qui semblent éclipser la tarbiya, mais elle constitue pourtant un trait constant du soufisme. On sait que les soufis de la première période (IIIe et IVe siècles de l’Hégire) allaient d’un maître à l’autre, et, pour Ibn ʿArabī, « rien n’interdit à un disciple d’avoir plusieurs maîtres »74. Ibn Mašīš, le maître d’al-Šāḏilī, n’interdit pas à ses murīd-s de fréquenter d’autres cheikhs et leur conseille même d’aller à « la source la plus fraîche »75. Au viie/xiiie, il s’agit d’une pratique très courante, chez Ibn Abī al-Manṣūr lui-même et les cheikhs qu’il mentionne dans sa Risāla76 ; Quṭb al-Dīn al-Qasṭallānī mentionne au même moment les différents maîtres dont il a pris un enseignement spirituel77. Au viiie/xive, Ibn Mulaqqin dresse, dans ses Ṭabaqāt al-awliyā’, la longue liste des ḫirqa-s qu’il a revêtues, précisant qu’il les a reçues d’un grand nombre de cheikhs (min ǧamāʿāt) et dans des voies variées (bi-ṭuruq mutanawwiʿāt)78 ; Ibn Dā’ūd précise de son côté qu’il est souhaitable, pour le novice, de multiplier les affiliations79. Un peu plus tard, environ cent vingt folios sont nécessaires à Abū al-Fatḥ al-Mazzī pour aligner, dans sa Ḥuǧǧa rāǧiḥa li-sulūk al-maḥabba al-wāḍiḥa, toutes les ḫirqa-s qu’ont prises son père et lui ; il nous livre ainsi le réseau complet des voies égyptiennes et syriennes pour le ixe/xve siècle80. L’un des intérêts de cet ouvrage est de montrer qu’on ne se rattache pas par un seul accès à une voie ; al-Mazzī est affilié par exemple à la Qādiriyya par au moins une quinzaine de cheikhs, s’assurant ainsi de ne pas laisser échapper la baraka de ʿAbd al-Qādir al-Ǧīlānī... Enfin, à l’époque ottomane, l’affiliation multiple est la norme81, et elle se maintient de nos jours : un grand ʿālim soufi connu à Damas, Ibrāhīm al-Yaʿqūbī (m. en 1985) a reçu une iǧāza – ce terme est l’équivalent, dans le soufisme tardif, de la ḫirqa – de toutes les ṭuruq du Proche-Orient, mais aussi d’ordres indiens comme la Šištiyya.
IV - Cheikh de tarbiya et supports de baraka : deux modes qui coexistent
Y a-t-il lieu de chercher le moment où l’affiliation multiple de type tabarruk l’emporte chronologiquement sur le lien unique de maître à disciple ? Il est bien sûr tentant de voir dans la première la manifestation d’un soufisme dégénéré, et dans le second le refuge de l’initiation authentique et originelle. En ce qui concerne notre époque, il est clair que les deux modes d’initiation existent simultanément. Ils sont en fait complémentaires, car ils opèrent à des niveaux différents. Ce ne sont certes ni la transmission du Ḥizb al-baḥr ni les trois ḫirqa-s qu’a revêtues Suyūṭī à la Mecque82 qui ont marqué sa vie spirituelle, mais bien le fait d’être disciple au Caire du šāḏilī Muḥammad al-Maġribī. Šaʿrānī dit avoir fréquenté au cours de sa vie beaucoup de soufis (ahl al-Ṭarīq), cherchant auprès d’eux « clés et portes » de l’ouverture spirituelle, mais il avoue ne s’être réellement engagé qu’avec ses trois maîtres de tarbiya83. Étant lui-même dépositaire d’un grand nombre d’influences initiatiques, l’auteur des Anwār qudsiyya ne reçoit pourtant que d’un seul de ses maîtres, Muḥammad al-Šinnāwī, l’autorisation d’éduquer des disciples (tarbiyat al-murīdīn)84.
Par ailleurs, la tarbiya n’est pas l’apanage du maître d’un ordre initiatique. Les ʿulamā’ ne laissent pas la Voie entre les mains des cheikhs de zāwiya-s. Non qu’ils leur disputent une quelconque hégémonie spirituelle, car ils sont souvent eux-mêmes leurs disciples, mais la maturité spirituelle de certains de ces ʿulamā’ leur donne un grand ascendant sur ceux qui sont venus étudier chez eux : un maître en sciences exotériques est tout simplement un maître, qui transmet toujours plus qu’un enseignement scolastique, même s’il ne le fait que par allusions. C’est sans doute dans cette optique qu’il faut envisager la « chaîne de compagnonnage de juristes » (silsilat al-ṣuḥba al-muttaṣila bi-al-fuqahā’) évoquée par al-Sanūsī, qui passe par Zakariyyā al-Anṣārī, comme on peut s’en douter, ainsi qu’Aḥmad Ibn Qudāma (le père de Muwaffaq al-Dīn) et Aḥmad Ibn Ḥanbal85.
Ces ʿulamā’ ne se limitent pas, en effet, à la transmission de simples influences spirituelles, ils assument parfois aussi l’éducation de novices. Le premier maître d’Ibn ʿArrāq est le muḥaddiṯ Ibrāhīm al-Nāǧī, qui réunit ses disciples dans une zāwiya que lui prêtent les descendants d’Abū Bakr al-Mawṣilī86. Suyūṭī a autour de lui quelques murīd-s qui s’attachent entièrement à sa personne : ʿAbd al-Qādir Ibn Muġayzil se consacre à lui et à son œuvre, avant de rejoindre Saḫāwī87, et Qāsim al-Maġribī le fréquente assidûment (irtabaṭa bi-hi), allant jusqu’à l’imiter dans le port du chèche appelé ṭaylasān été comme hiver88. Al-Zabīdī apporte un autre témoignage du rôle des grands ʿulamā’ dans la formation initiatique ; dans son ouvrage d’asānīd, il distingue clairement, à l’instar des auteurs šāḏilī précédents, la direction spirituelle (iqtidā’ wa ṣuḥba) du tabarruk. Or il mentionne pour la première la lignée inattendue de Tāǧ al-Dīn al-Subkī > ʿAbd al-Raḥīm Ibn al-Furāt > Zakariyyā al-Anṣārī > Muḥammad Naǧm al-Dīn al-Ġayṭī89. Ces ʿulamā’ soufis ne sont donc pas considérés comme de simples relais de la baraka, mais comme de véritables guides.
La couverture initiatique assurée par les soufis et nombre de ʿulamā’ sur l’ensemble du territoire mamelouk nous met en présence de réseaux multiples et souvent informels utilisant des formes d’influences spirituelles diverses. Tentons de les mettre en place en identifiant leur support le plus tangible, à savoir les voies initiatiques.
Éric Geoffroy
Notes
1 Cf. introduction de D. Gril à la Risāla, p. 42-43.
2 On peut notamment se poser la question en ce qui concerne les relations d’al-Ġazzī ou de Šaʿrānī avec les maǧdūb-s du Caire : leur ṣuḥba devait sans doute consister à recevoir des indications sous forme allusive (išārāt).
3 Le šāḏilī Ibrāhīm al-Mawāhibī (m. 914/1508) suit ce schéma, dont deux versions assez différentes nous sont proposées, l’une par Ibn ʿAyyād dans ses Mafāḫir (p. 130), l’autre par ʿAlī ʿAmmār (Abū al-Ḥasan al-Šāḏilī, Le Caire, 1952, II, p. 31-32). La deuxième est plus complète et présente une analyse plus nuancée et sans doute plus juste des formes d’affiliation dans la Šāḏiliyya. Ibn Ḥaǧar al-Haytamī observe également la distinction entre tarbiya et tabarruk ; cf. Fat. ḥadīṯiyya, p. 76-77.
4 Mafāḫir, p. 130.
5 Ka-al-wālid al-šafūq ; cf. Muǧlī al-ḥuzn, fol. 111b.
6 Ibn Mulaqqin distingue très clairement entre iqtidā’ et les autres termes (ḫirqa, ṣuḥba, tabarruk), qui indiquent pour lui un lien plus lâche avec la source initiatique ; cf. Ṭabaqāt, p. 502.
7 Lorque ʿAlī b. Maymūn al-Fāsī s’installe à Damas en 912/1506, « les gens se précipitent chez lui pour le tabarruk » (Ibn Ṭūlūn, Mufākaha, I, p. 312), mais il a déjà autour de lui des murīd-s éprouvés qui transmettront son enseignement.
8 Durar al-ġawwāṣ, p. 83.
9 Anwār, II, p. 76.
10 Ṭāhā Surūr, al-Taṣawwuf al-islāmī, p. 45.
11 Kaw., I, p. 110.
12 Ibid., II, p. 150.
13 Ibid., II, p. 149.
14 Ibid., III, p. 66.
15 Anwār, I, p. 93-94.
16 Cette parole est attribuée au maître iraqien Sahl b. ʿAbd Allāh al-Tustarī (m. 283/ 896).
17 Šaʿrānī, Ṭ.K., II, p. 128.
18 Ibid., II, p. 115.
19 Ṭāškoprüzādeh, Šaqā’iq, p. 212. Dans son Bayān ġurbat al-Islām (fol. 181a), le même ʿAlī b. Maymūn mentionne la sagesse (ḥikma) affirmant que « sans maître, on ne peut connaître Dieu » (law lā al-murabbī mā ʿaraftu rabbī), sentence que l’on entend encore de nos jours.
20 Et non par orgueil de sa part, comme le précise al-Ġazzī, dont le grand-père Raḍī al-Dīn a côtoyé le cheikh (Kaw., I, p. 276).
21 al-Šaqā’iq, p. 213.
22 Rasā’il šayḫ Damirdāš, Le Caire, p. 34. Nous ne voyons pas ce qui justifie une datation aussi précise ; peut-être le cheikh fait-il allusion à la mort d’un maître de sa lignée.
23 Šaʿrānī, Ṭ.K., II, p. 129.
24 Ibid., II, p. 171.
25 Cf. Trimingham, The Sufi Orders, p. 181-183 ; art. « Khirqa » dans E.I.2 ; Cl. Addas, loc. cit., p. 174-179.
26 Ḫiraq al-Suyūṭī, ms. Damas.
27 Cf. la Muqaddima, traduite par V. Monteil, II, p. 662-663. S. H. Nasr corrobore cette opinion, et cite à l’appui le ḥadīṯ al-kisā’, selon lequel le Prophète aurait couvert d’un manteau Fāṭima, ʿAlī, Ḥasan et Ḥusayn ; il donne toutefois un sens différent à ce hadith (Essais sur le soufisme, Paris, 1980, p. 152-154).
28 Cf. D. Gril, introduction à la Risāla, p. 148, note 1. Le Kitāb nasab al-ḫirqa (ms. Istanbul, Sul. 1507) a été traduit par Cl. Addas ; cf. son mémoire de maîtrise « L’Émir ʿAbd al-Qādir al-Ǧazā’irī et la ḫirqa akbariyya », Paris IV, mai 1980, p. 40-58.
29 En accomplissant ce geste, il lui dit : « Revêts-la et acquiers une noble conduite [spirituelle] » (albisī wa aḫliqī) ; cf. Ḫiraq, fol. 35a. Le savant égyptien renforce l’authenticité du hadith en ajoutant qu’il est rapporté par les deux traditionnistes Buḫārī et Muslim.
30 Elle est encore tout à fait marginale dans la Risāla de Ṣafī b. Abī al-Manṣūr, texte datant du VIIe siècle ; cf. p. 43 de l’introduction.
31 Cf. Abū al-Fatḥ al-Mazzī, al-Ḥuǧǧa al-rāǧiḥa, ms. Damas, fol. 85 ; Ibn Dā’ūd, Adab al-murīd, ms. Damas, fol. 30.
32 Cf. Adab al-murīd, fol. 30-31 ; voir aussi Cl. Addas, loc. cit., p. 175, où Ibn ʿArabī est investi de ḫirqa consistant en un turban ou un simple morceau d’étoffe ; Šaʿrānī mentionne plusieurs sortes de vêtements (Anwār, II, p. 100).
33 C’est ainsi que la définit Ibn ʿArabī (cf. Cl. Addas, loc. cit., p. 178), ou encore ʿAlī al-Ḫawwāṣ (cf. Šaʿrānī, Durar al-ġawwāṣ, p. 120) ou al-Zabīdī (al-Manhal al-rawī, p. 105). Le maître n’est que le substitut du Prophète ; se vêtir de la ḫirqa, c’est donc « recouvrer virtuellement la nature de l’Insān al-Kāmil » (cf. Cyrille Chodkiewicz, Les premières polémiques autour d’Ibn ʿArabī : Ibn Taymiyya, thèse de troisième cycle soutenue à Paris IV en 1984, p. 267, note 304).
34 Cf. ʿAwārif, p. 68.
35 L’aspirant (murīd) s’engage en effet à parcourir activement la Voie, avec toute son énergie spirituelle (himma).
36 Cf. al-Ḥuǧǧa, fol. 19b. Ce type de ḫirqa représente la forme réelle et authentique du rite (ḫirqat al-aṣl), et elle en est le vrai critère (al-muʿawwal ʿalay-hā) ; cf. Adab al-murīd, fol. 31. Les auteurs de ces deux textes s’inspirent largement des ʿAwārif.
37 Risāla fī ilbās al-ḫirqa, ms. Damas.
38 Cf. Trimingham, loc. cit., p. 36, 183, 185.
39 Celle-ci étant, à l’origine, une voie occidentale, elle ne reconnaît pas la ḫirqa, mais est basée sur le compagnonnage étroit entre maître et disciple : la ṣuḥba est chez eux synonyme de tarbiya. Implantée au Proche-Orient, la Šāḏiliyya intègre la ḫirqa, mais à un degré moindre ; la position des maîtres šāḏili est unanime sur ce point ; voir par exemple celle de l’Égyptien ʿAbd al-Qādir Ibn Muġayzil (m. 894/1489) ; cf. al-Sanūsī, ʿIqd, fol. 53. Nous avons vu ce qu’il en était d’al-Mawāhibī ; Ibn Maymūn al-Fāsī refuse quant à lui de recourir à ce qui n’est pour lui qu’une parodie d’initiation (Kaw. I, p. 272).
40 Bayān al-aḥkām fī al-ḫirqa... ; Anwār, II, p. 100.
41 Ibn Dā’ūd écrit déjà au début du ixe/xve siècle qu’un grand nombre de ʿulamā’, de dirigeants (ḥukkām) et d’ascètes (zuhhād) l’ont revêtue ; cf. Adab al-murīd, fol. 28. Ceci contredit l’affirmation de M. Winter selon laquelle l’investiture de la ḫirqa serait réservée à des soufis “professionnels” ; cf. Society and Religion, p. 127.
42 J.-L. Michon fait le même constat dans son art. « Khirqa » (E.I.2, p. 18).
43 C’est le sens du geste effectué par Abū al-Fatḥ al-Mazzī sur le futur šayḫ al-Islām, Badr al-Dīn al-Ġazzī, alors âgé de deux ans ; cf. Kaw., III, p. 4.
44 Ibn Dā’ūd en décrit les modalités précises dans son Adab al-murīd (fol. 36-38). Le cheikh stipule, lors de la prise du pacte, que son murīd doit s’attacher exclusivement à lui : Ubāyiʿu-ka ʿalā an takūna murīdan lī dūna ġayr-ī (fol. 37).
45 Ḥāwī, I, p. 236. La prise du pacte dans la Zarrūqiyya est décrite par A. F. Khushaim, loc. cit., p. 130.
46 Anwār, I, p. 80.
47 Fat. ḥadīṯiyya, p. 76.
48 Bayān al-aḥkām, fol. 176-177.
49 Voir sur ce point Trimingham, loc. cit., p. 182 ; Šaʿrānī, Anwār, II, p. 99 ; al-Zabīdī, Manhal, p. 106.
50 Cf. par exemple al-Fāsī, Mabādi’ al-sālikīn ilā maqāmāt al-ʿārifīn, ms. Damas, fol. 15.
51 Anwār, I, p. 32. Chez la Zarrūqiyya, cf. A. F. Khushaim, loc. cit., p. 130-132.
52 Šaʿrānī, Ṭ.K., II, p. 170.
53 Ibid., II, p. 127.
54 Šaʿrānī, Ṭ.Ṣ., p. 66.
55 Ḫiraq al-Suyūṭī, fol. 35b.
56 Šaʿrānī, Durar, p. 119, repris dans Anwār, II, p. 100.
57 Lumaʿ, p. 3.
58 Chap. 7, p. 65-70.
59 Il existe une distinction similaire dans le soufisme entre le waǧd (extase ou plutôt “enstase”) et le tawāǧud (faire semblant, s’efforcer d’être en état de waǧd).
60 Qawāʿid, p. 76.
61 Fat. ḥadīṯiyya, p. 329-330.
62 Man tašabbaha bi-qawm fa-huwa min-hum (hadith rapporté notamment par Abū Dā’ūd et Ibn Ḥanbal).
63 Šaʿrānī, Durar al-ġawwāṣ, p. 121.
64 Ṭ.K., II, p. 177.
65 Qaw., p. 77.
66 Dans La transmission du savoir, p. 300.
67 Ils affirment que la récitation de ces textes, qu’elle se fasse avec ou sans compréhension du sens profond, a une efficacité en soi ; « man qara’a ḥizba-nā fa-la-hu mā la-nā wa ʿalay-hi mā ʿalay-nā », aurait dit al-Šāḏilī (Abū al-Ḥasan al-Šāḏilī, II, p. 31). Dans son Salsabīl (p. 57), al-Sanūsī mentionne la chaîne de transmission du Ḥizb al-baḥr, l’oraison la plus connue, qui passe par les Subkī et par Suyūṭī, celle de la Waẓīfa (ensemble de prières et de formules à réciter quotidiennement) et enfin celle des Dalā’il al-ḫayrāt, le recueil de louanges sur le Prophète composé par le šāḏilī marocain Muḥammad al-Ǧazūlī.
68 On ne saurait pour autant mésestimer le tabarruk, qui véhiculait pour les soufis de tous les temps cet influx prophétique. La recherche de la baraka, qui connote pour nos contemporains un soufisme dégénéré et empreint de superstitions, n’est pas l’expression, en Islam, d’une mentalité populaire, mais elle concerne l’ensemble des croyants ; des maîtres tel al-Zarrūq en relèvent la portée initiatique (Qaw., p. 77). La transmission de la baraka a d’ailleurs ses règles ; en même temps qu’il confère la ḫirqa, l’initiateur doit communiquer à celui qu’il rattache à lui la chaîne (silsila) complète de sa nouvelle voie, et les auteurs des recueils de ḫirqa mentionnent le lieu et la date exacts de l’investiture comme des marques d’authentification (cf. par exemple al-Ḥuǧǧa al-rāǧiḥa).
69 Cf. T. Ṭawīl, Šaʿrānī, p. 45-46 ; M. Winter, loc. cit., p. 90.
70 Kaw., II, p. 150.
71 Kaw., I, p. 134, 234.
72 Ibn Ṭūlūn, al-Maʿazza fī-mā qīla fī al-Mazza, p. 11.
73 Kaw., I, p. 114.
74 Cl. Addas, loc. cit., p. 91.
75 « In waǧadtum Manhalan aʿḏab min hāḏā al-Manhal fa-rudū » ; cf. Mafāḫir, p. 60.
76 Cf. p. 42 de l’introduction de D. Gril à sa Risāla.
77 Cf. sa Risāla, fol. 294-302.
78 Voir p. 494.
79 al-maṭlūb min-hā (= al-ḫirqa) takṯīr al-asānīd ; cf. Adab al-murīd, fol. 32.
80 Bien que né et ayant passé sa jeunesse en Égypte, al-Mazzī (m. 906/1501) fait des voyages d’étude au Hedjaz, en Inde et en Iraq, puis s’installe à Mazza, près de Damas (d’où sa nisba) en 841/1437.
81 La Mutʿat al-aḏhān d’al-Ḥiṣkafī mentionne les nombreuses affiliations d’Ibn Ṭūlūn (notamment n° 696, 814, 964). Pour une période plus tardive, cf. Gilbert Delanoue, Moralistes et politiques musulmans dans l’Égypte du xixe siècle, I, p. 199-201. Voir aussi toutes les voies auxquelles a été initié un cheikh syrien de la fin du xixe siècle, Muḥammad Efendi al-Safarǧallānī, dans ses ʿUqūd al-asānīd, p. 33-54.
82 Il s’agit de l’Aḥmadiyya, de la Qādiriyya, et de la Suhrawardiyya ; cf. Ḫiraq al-Suyūṭī, ms. Damas.
83 Cité par Ṭāhā Surūr, al-Taṣawwuf, p. 45.
84 Anwār, I, p. 31.
85 Salsabīl p. 26.
86 Ibn Ṭūlūn, Ḏaḫā’ir al-qaṣr, fol. 68b.
87 Ḍaw’, IV, p. 266.
88 Kaw., I, p. 293-294.
89 ʿIqd, fol. 52.
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