بـــسْم ﭐلله ﭐلرّحْمٰن ﭐلرّحــيــم ﭐللَّهُمَّ صَلِّ عَلَى سَيِّدِنَا مُحَمَّدٍ وَ عَلَى آلِهِ و صحبه وَ سَلِّمْ السلام عليكم و رحمة الله و بركاته
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vendredi 22 juin 2012
Le soufisme en Égypte et en Syrie - Éric Geoffroy - Chapitre XI - Grands courants du taṣawwuf dans le domaine syro-égyptien
Éric Geoffroy
I - L’Égypte
1 - Voies locales
L’Aḥmadiyya
La Muṭāwiʿa
La Burhāniyya (ou Burhāmiyya)
2 - Voies d’Occident
La Šāḏiliyya
La Wafā’iyya
La Ḥanafiyya
3 - Voies d’Orient
La Rifāʿiyya
La Qādiriyya
La Suhrawardiyya
La Ḫalwatiyya
La Uwaysiyya
II - La Syrie
1 - Voies locales
La Yūnusiyya
2 - Voies d’Occident
La Ḫawāṭiriyya (Madyaniyya ou Šāḏiliyya )
La Ḥātimiyya ou Akbariyya
3 - Voies iraqiennes
La Rifāʿiyya
La Saʿdiyya ou Ǧibāwiyya
La Qādiriyya
La Mawṣiliyya ou Šaybāniyya
La Dā’ūdiyya
La Ṣamādiyya
4 - Voies issues du monde turco-persan : Anatolie,
Caucase, Perse, Asie Centrale
La ʿAdawiyya
L’Ardabīliyya ou Ṣafawiyya
La Ḫalwatiyya
La Bisṭāmiyya
La Adhamiyya
La Qalandariyya
La Kubrawiyya
La Simnāniyya ou Rukniyya
La Hamadāniyya
Si certains soufis ne se réclament pas de voies particulières, ou si leur affiliation n’est parfois pas mentionnée, la grande majorité d’entre eux possède une identité initiatique. Un inventaire quelque peu fastidieux mais nécessaire des différentes voies présentes dans notre champ de recherche nous donnera une image suffisamment précise des courants initiatiques. Nous préciserons les caractéristiques spirituelles de chaque voie, pour autant qu’elles apparaissent, en nous aidant notamment du Ǧāmiʿ al-uṣūl fī al-awliyā’ du traditionniste naqšbandī Aḥmad al-Kumušḫānawī (m. 1311/1893)1. Quelques remarques s’imposeront en cours d’exposé, mais les conclusions d’ensemble seront tirées par la suite.
I - L’Égypte
1 - Voies locales
L’Aḥmadiyya
Fondée par Aḥmad al-Badawī (m. 675/1276), c’est la voie égyptienne majeure2, car la plus enracinée dans le terroir égyptien et la plus populaire : pour le peuple comme pour les gouvernants, Sīdī Aḥmad est considéré comme le saint patron de l’Égypte, et son mawlid à Tanta attire plus de monde que celui du Prophète au Caire. Ce rôle protecteur attribué au saint explique qu’al-Kumušḫānawī le qualifie spirituellement par la miséricorde (al-taraḥḥum) et la compassion (al-taʿaṭṭuf)3. L’Aḥmadiyya ne présente pas un profil homogène, car il n’y a aucune commune mesure entre les maîtres de cette voie et les bandes d’aḥmadī gyrovagues qui pillent la campagne égyptienne, sous le prétexte qu’il s’agit là du domaine d’al-Badawī. Les premiers n’ont d’ailleurs de cesse de dénoncer de manière virulente ces éléments hétérodoxes, qui souillent l’image du saint4. La plupart des cheikhs aḥmadī manifestent un grand souci de la Communauté, allié à une valorisation du travail manuel. Tel est l’enseignement du cheikh Ibrāhīm al-Matbūlī (m. 877/1472), qui bâtit une importante zāwiya où il vit en autarcie économique avec ses disciples : le soufi ne doit pas être à la charge de la Umma, il doit au contraire la servir. Son successeur, Muḥammad Ibn ʿInān (m. 922/1516), suit entièrement cette éthique, en prenant sur lui les maladies des « gens utiles à la société » alors que les contemporains voient en son autre disciple majeur, ʿAlī al-Ḫawwāṣ (m. 939/1532), un saint régissant et protégeant l’Égypte sur le plan ésotérique. Les cheikhs aḥmadī peuvent appartenir au milieu des artisans-commerçants, tel al-Matbūlī ou al-Ḥawwāṣ, mais également à celui des ʿulamā’ ; c’est le cas de Šaʿrānī et de ses maîtres, les “cheikhs de la Sunna” Ibn ʿInān et Nūr al-Dīn al-Šūnī.
Parallèlement à ces maîtres de haute tenue, il existe dans l’Aḥmadiyya un caractère institutionnel qui explique la dégénérescence partielle qui est la sienne à la fin de l’époque mamelouke. Le grand maître de l’ordre est le successeur (ḫalīfa) officiel d’al-Badawī ; sa fonction est héréditaire, mais le pouvoir mamelouk peut imposer ses vues5. Ce personnage officiel n’est plus qu’un transmetteur de la baraka du saint de Tanta, profitant matériellement du prestige dont il jouit dans la société égyptienne6. Cet ordre s’est implanté de façon partielle en climat syrien, notamment à Alep7.
La Muṭāwiʿa
C’est une branche déviante de l’Aḥmadiyya, fortement attaquée par les maîtres égyptiens. Elle n’est présente que dans certaines provinces du pays (Šarqiyya, Haute-Égypte)8
La Burhāniyya (ou Burhāmiyya)
Elle est issue du cheikh égyptien Ibrāhīm Burhān al-Dīn al-Disūqī (m. 687/1288) ; celui-ci était affilié à plusieurs voies, dont l’Aḥmadiyya, avant de fonder la sienne. Bien qu’il ait été un grand saint ayant marqué son temps9, sa voie ne fournit plus de maîtres à l’époque qui nous concerne. Elle possède par contre des traits similaires à l’Aḥmadiyya : forte égyptianité, grand mawlid annuel10, pratiques déviantes de certains fuqarā’ n’ayant pas de maître vivant mais se réclamant du saint éponyme, direction héréditaire de l’ordre, dont le cheikh ne fait que véhiculer la baraka du fondateur.
2 - Voies d’Occident
La Šāḏiliyya
Nous la mentionnons à dessein à la suite des voies précédentes pour mieux faire apparaître le contraste qu’elle présente avec elles. Bien que solidement implantée en Égypte, elle a une origine maghrébine ; son maître éponyme est le marocain Abū al-Ḥasan al-Šāḏilī, qui a pour source initiatique principale le grand Abū Madyan, le cheikh andalou dont la voie s’est diffusée dans toute l’Afrique du Nord11. La Šāḏiliyya, qui prolonge cette voie, a donc son terrain d’expansion naturel au Maghreb. Al-Šāḏilī s’établit cependant à Alexandrie au milieu du viie/xiiie siècle, s’inscrivant dans la vague d’émigration maghrébo-andalouse vers l’Orient amorcée un siècle environ plus tôt12. Celle-ci ne se tarit pas durant toute l’époque mamelouke, ce qui explique les liens étroits entre les foyers šāḏilī d’Occident et d’Orient, ainsi que le rôle majeur joué par la Šāḏiliyya dans le pays du Nil. La plupart des soufis maghrébins qui s’y installent, de rite malékite généralement, sont déjà ou deviennent šāḏilī : citons, pour nous limiter aux maîtres, Muḥammad et ʿAlī Wafā, cheikh Madyan, Abū al-Mawāhib Ibn Zaġdān, Aḥmad al-Zarrūq, etc. Les sanctuaires cairotes des cheikhs défunts de la voie peuvent abriter les nouveaux arrivants, leur servant de point d’ancrage spirituel dans la grande métropole13. La voie possède d’ailleurs son propre cimetière dans la Qarāfa14.
La Šāḏiliyya a pu s’enraciner en Égypte grâce à des grands maîtres originaires de ce pays comme Ibn ʿAṭā’ Allāh et Muḥammad al-Ḥanafī, qui ont marqué la spiritualité de leur époque. Elle est assurément la voie la plus homogène, celle où l’esprit de corps est le plus sensible. Pour diverses raisons, les disciples confirmés peuvent changer de maître, mais ils restent dans la sphère de la Šāḏiliyya15 ; ses membres se réfèrent volontiers aux œuvres des maîtres šāḏilī du passé. Elle ne se distingue pas par des signes extérieurs, comme le font les ordres à dominante populaire, mais par des options spirituelles particulières. À « l’ampleur de la science et des inspirations » qu’al-Kumušḫānawī attribue à al-Šāḏilī correspondent certains principes de sa voie, parmi lesquels l’imitation de la Sunna, l’agrément du destin (al-riḍā) en toute situation, la remise de la gouverne individuelle à Dieu (al-tafwīḍ) et l’action de grâces (al-šukr)16. Nous ajouterons quant à nous l’importance de la filiation initiatique17, l’accent mis sur la formation en sciences exotériques et sur l’écriture, ainsi qu’une sobriété, se manifestant notamment dans la méfiance des karāmāt, alliée à une élégance extérieure18. Nous aurons cependant l’occasion de nuancer ce tableau lorsque nous rentrerons dans les détails de la typologie. Si les milieux sociaux dans lesquels la Šāḏiliyya pénètre peuvent être divers, il est vrai qu’elle est la voie par excellence de l’élite intellectuelle. Malgré l’esprit de corps évoqué plus haut, la Šāḏiliyya ne constitue pas pour autant un ordre unifié, car deux branches majeures se partagent son influence en Égypte19.
La Wafā’iyya
Elle se démarque de la voie mère par un nom différent, et surtout par la transmission d’une ḫirqa spéciale faite d’un bonnet (tāǧ) et d’une ceinture (šadd), ce que ne connaissent pas les autres šāḏilī. En outre, la succession héréditaire du chef de l’ordre ou šayḫ al-saǧǧāda constitue un trait contraire à l’esprit šāḏilī20. Les deux fondateurs, Muḥammad Wafā (m. 760/1359) et son fils ʿAlī (m. 807/1404)21 ont pourtant marqué le soufisme égyptien, ce dernier davantage encore que son père. Il représente le cheikh šāḏilī par excellence : très élégant et majestueux, sa finesse spirituelle fait de lui un maître de la doctrine du taṣawwuf et un grand commentateur de la waḥdat al-wuǧūd22. Mais très vite, le mode de succession familiale étouffe, à quelques exceptions près23, tout renouveau spirituel. L’œuvre de ʿAlī Wafā – notamment son dīwān – a d’ailleurs plus d’impact au début du xe/xvie que les successeurs du maître à la tête de l’ordre, et la personnalité originale du cheikh Abū al-Mawāhib ne s’affirme qu’en sortant de la sphère de la Wafā’iyya. Notons enfin que cette voie est largement représentée en Syrie-Palestine dès le viiie/xive siècle24.
L’influence des Wafā sur le plan initiatique se mesure aux rameaux postérieurs qui se sont greffés sur eux : la Zarrūqiyya du cheikh marocain Aḥmad al-Zarrūq qui prend en Égypte leur voie d’Aḥmad al-Ḥaḍramī, et la Bakriyya de ʿAbd al-Raḥmān Ǧalāl al-Dīn al-Bakrī, et surtout son fils Muḥammad Abū al-Ḥasan (m. 952/1545)25. Cette dernière branche familiale a une grande importance, car elle va prendre de 1812 à 1946 la direction des ordres soufis égyptiens26.
La Ḥanafiyya
La seconde des branches majeures de la Šāḏiliyya se sépare du lignage wafā’ī après le successeur d’al-Šāḏilī, Abū al-ʿAbbās al-Mursī27. Elle est encore marquée à l’époque étudiée par la personnalité de Muḥammad al-Ḥanafī (m. 847/1443), le grand maître šāḏilī de la première moitié du ixe/xve siècle. Son héritier spirituel est, après al-Sarsī, Muḥammad al-Maġribī (m. 911/1505), le maître de Suyūṭī. Les deux branches Wafā’iyya et Ḥanafiyya se rejoignent en la personne d’Ibrāhīm al-Mawāhibī, disciple d’al-Maġribī puis d’Abū al-Mawāhib. L’existence des deux branches Wafā’iyya et Ḥanafiyya semble provenir d’incompatibilités personnelles (nous verrons que la concurrence joue parfois entre elles) plus que d’options spirituelles différentes ; al-Maġribī nous semble même avoir hérité de ʿAlī Wafā, par l’importance qu’il accorde à la “connaissance” (al-maʿrifa) et à la doctrine de la waḥdat al-wuǧūd.
La Šāḏiliyya se transmet aussi dans le réseau des ʿulamā’ soufis, les intermédiaires privilégiés en étant Zakariyyā al-Anṣārī28 ainsi que Saḫāwī29.
3 - Voies d’Orient
La Rifāʿiyya
Ayant son origine dans le sud de l’Iraq en la personne d’Aḥmad al-Rifāʿī (m. 578/1182), elle est la première voie structurée, ce qui explique son rayonnement rapide dans l’ensemble du Moyen-Orient. Al-Kumušḫānawī caractérise al-Rifāʿī par la générosité spirituelle (al-futuwwa ; al-Rifāʿī a parfois été comparé à Saint François d’Assise) et la faculté de transgresser le cours habituel des choses (ḫarq al-ʿāda)30 ; ce dernier trait explique peut-être les faveurs surnaturelles dont sont gratifiés certains fuqarā’ rifāʿī. L’ “épreuve du feu” (la marche sur des tisons) est attestée dès la première génération après al-Rifāʿī. Celle du fer (le transpercement du corps avec de fines pointes, appelé de nos jours encore ḍarb al-šīš) semble plus tardive ; peut-être a-t-elle été introduite un siècle ou deux après la mort du fondateur, sous l’influence du chamanisme apporté par les Mongols31. L’Iraqien Abū al-Fatḥ al-Wāsiṭī (m. 632/1234) introduisit cette voie en Égypte. À la fin de l’époque mamelouke, l’influence initiatique de la Rifāʿiyya semble réduite, et l’affiliation (nisba) que reçoit Muḥammad Abū al-Ḥasan al-Bakrī de Zakariyyā al-Anṣārī ne vise apparemment qu’à transmettre la baraka d’al-Rifāʿī32.
La Qādiriyya
Les membres de cette voie se réclament de ʿAbd al-Qādir al-Ǧīlānī (m. 561/1166). Certains ont cru voir en lui avant tout un cheikh hanbalite et un sermonnaire réputé33, mais n’a-t-il pas voilé sa sainteté, comme le fera Zakariyyā al-Anṣārī, au moyen des sciences extérieures ? Nous verrons qu’al-Sanūsī range de fait al-Ǧīlānī parmi les malāmatī, tandis qu’al-Kumušḫānawī lui attribue un grand pouvoir spirituel et la faculté de secourir les êtres (quwwat al-taṣarruf wa al-imdād)34. Sa voie est très peu représentée en Égypte, contrairement à la Syrie ; le šayḫ al-Islām Zakariyyā al-Anṣārī, toujours lui, figure dans un lignage mineur de la voie35, mais c’est sous la forme de la ʿUrābiyya que son influence se transmet au pays du Nil : il s’agit d’une branche fondée par le Yéménite ʿUmar al-ʿUrābī au début du xve36. De grands ʿulamā’ et traditionnistes soufis de l’époque y sont affiliés ; al-Anṣārī figure dans plusieurs isnād et initie un autre šayḫ al-Islām et mufti, Muḥammad al-Ramlī37, tandis que ʿAbd al-Raḥīm ʿIzz al-Dīn Ibn al-Furāt la transmet à Saḫāwī38.
La Suhrawardiyya
Si les précédentes voies ont, à des niveaux divers, une identité propre, tel n’est pas le cas de celle fondée par Abū Naǧīb al-Suhrawardī et son neveu Šihāb al-Dīn (m. 632/1234), l’auteur des ʿAwārif al-maʿārif. Ce n’est pourtant pas faute d’exercer un grand rayonnement dans l’ensemble du continent asiatique ; Šihāb al-Dīn occupe d’ailleurs « une place centrale dans le taṣawwuf de son époque où il assume un rôle d’équilibre entre l’extérieur et l’intérieur »39. Mais la voie se ramifie très vite en un grand nombre de branches perdant le plus souvent leur appellation originelle. Le cas de l’Égypte illustre ce phénomène ; la voie y est connue en effet uniquement comme « la voie de Ǧunayd » (ṭarīqat al-Ǧunayd), alors que l’influence de ce dernier dépasse de loin le cadre de la seule Suhrawardiyya40.
Qu’on l’attribue à al-Ǧunayd ou à al-Suhrawardī41, cette voie eut un rôle prédominant dans l’initiation et la formation des murīd-s depuis le ixe/xve siècle jusqu’à Šaʿrānī. Elle fut introduite en Égypte par le Persan d’origine kurde Yūsuf al-Kūrānī, appelé aussi al-ʿAǧamī (m. 768/1367). C’est lui qui, selon Šaʿrānī42 revivifia « la voie de Ǧunayd » dans ce pays, assisté de son compagnon et successeur persan Ḥasan al-Tustarī (m. 797/1395)43. À partir de ces deux cheikhs se dessine une lignée homogène de maîtres, identique dans tous les ouvrages d’asānīd. Leur personnalité nous est connue grâce à l’auteur des Ṭabaqāt kubrā ; c’est en effet cette affiliation qui compte le plus dans l’héritage initiatique de Šaʿrānī, avec celle de son cheikh aḥmadī ʿAlī al-Ḫawwāṣ : c’est la seule pour laquelle il ait eu l’autorisation de former des disciples, et il la mentionne en premier lieu dans ses Anwār qudsiyya44. Aḥmad al-Zāhid (m. 819/1416), successeur d’al-Tustarī, eut pour héritiers Muḥammad al-Ġamrī (m. 849/1446) et cheikh Madyan (m. 861/1458). C’est avec ce Maghrébin d’origine que la voie prit une grande extension en plusieurs directions45. Son neveu, Muḥammad al-Madyanī, lui succède et Šaʿrānī affirme que la Voie est à son époque entre les mains de ses disciples46. Il est en effet le maître de ʿAlī al-Marṣafī (m. 930/1523), guide spirituel éminent de Šaʿrānī ; mais ce dernier est aussi affilié à al-Madyanī par une autre branche, celle d’Ibn Abī al-Ḥamā’il al-Sarawī (m. 932/1525) puis Muḥammad al-Šinnāwī (m. 932/1525), autre maître de Šaʿrānī.
Parallèlement à cet arbre initiatique47, dont nous n’avons mentionné que les figures majeures, existe un vaste réseau de ʿulamā’ affiliés. Les plus connus en sont, comme pour la Šāḏiliyya, Saḫāwī, qui prit cette voie de cheikh Madyan48, et Zakariyyā al-Anṣārī qui la reçut de Muḥammad al-Ġamrī et d’al-Marṣafī avant de la transmettre à Šaʿrānī49.
Si J.-Cl. Garcin a pu voir en ces maîtres, qui ont tant compté dans la formation de Šaʿrānī, des tenants de la Šāḏiliyya50, c’est que les deux voies présentent des affinités allant au-delà de leur parenté commune à al-Ǧunayd51. On relève dans l’une et l’autre la même importance donnée à la filiation spirituelle, les mêmes exigences dans la ṣuḥba, un équilibre semblable entre exotérisme et ésotérisme, d’où une influence partagée dans le milieu des ʿulamā’52. Lorsqu’al-Marṣafī affirme que le novice peut revêtir de beaux habits pour manifester les bienfaits dont l’a gratifié Dieu, il s’exprime comme le ferait un šāḏilī53. Après avoir été disciple d’al-Zāhid, cheikh Madyan a d’ailleurs obtenu sa réalisation spirituelle auprès de Muḥammad al-Ḥanafī, « en une quarantaine de jours seulement »54.
La Ḫalwatiyya55
Le berceau de cette voie se situe en Azerbaïdjan. ʿUmar al-Ḫalwatī (m. 800/1397) et surtout Yaḥyā al-Širwānī (m. vers 867/1463) en forgent la méthode ; une de ses caractéristiques est l’importance accordée à la retraite spirituelle – al-ḫalwa – d’où l’ordre tire son nom56. La voie se déplace ensuite vers l’Anatolie, où elle se lie avec le pouvoir ottoman montant ; l’expansion de la Ḫalwatiyya suit dès lors les succès militaires des maîtres d’Istanbul dans le Proche-Orient arabe. L’ordre partage d’ailleurs avec ceux-ci une même vénération pour Ibn ʿArabī.
Un des cheikhs ḫalwatī, ʿUmar al-Rūšānī (m. 892/1487), reste cependant à Tabrīz, d’où il a assez de rayonnement pour attirer trois disciples turcs qui vont répandre la Ḫalwatiyya en Égypte. Deux d’entre eux sont des mamlūk-s circassiens (tcherkesses) du sultan Qāytbāy, dont les destins sont étrangement liés : Muḥammad al-Damirdāš (m. 930/1524) et Šāhīn (m. 954/1547) ; tous deux se consacrent à la vie spirituelle à la suite d’un miracle du maître šāḏilī Aḥmad al-Ḥaḍramī dont est témoin al-Damirdāš57. Affranchis par le sultan, ils deviennent les disciples d’al-Ḥaḍramī jusqu’à sa mort58 ; ensuite, ils se placent sous l’obédience d’al-Rūšānī, qui les renvoie en Égypte pour y répandre la voie. Ibrāhīm al-Kulšānī (m. 940/1534), le troisième disciple d’al-Rūšānī, arrive chez celui-ci plus tard et devient un de ses ḫulafā’ à Tabrīz ; il doit cependant quitter la ville, que Šāh Ismāʿīl vient de conquérir. Il rejoint ses deux compatriotes au Caire, où il reçoit la protection du sultan al-Ġawrī. Son charisme touche par la suite une grande partie de l’armée ottomane d’Égypte, préfigurant ainsi l’influence des Bektachis sur les Janissaires. Al-Damirdāš peut être défini comme un cheikh de zāwiya dispensant un enseignement doctrinal essentiellement akbarien, tandis que Šāhīn constitue le seul cas de soufi que nous voyons se retirer du monde de manière définitive. Lors de son arrivée au Caire, il élit domicile sur la montagne du Muqaṭṭam et y mène une vie d’ermite59. Un tel personnage, on s’en doute, ne manque pas d’attirer les dirigeants ottomans, qui gravissent fréquemment les pentes du Muqaṭṭam pour lui rendre visite60. Malgré des origines communes et une formation initiatique similaire, ces trois cheikhs ont donc eu des destinées sociales et spirituelles très différentes. Si leur souvenir est encore gravé dans la pierre61, seul al-Damirdāš a laissé une descendance spirituelle qui se prolonge jusqu’à nos jours62. Son double rattachement à la Šāḏiliyya et la Ḫalwatiyya témoigne de la rencontre des soufismes occidental et oriental en Égypte, ce que confirme la filiation akbarienne dont il se réclame.
La Uwaysiyya
Bien qu’elle représente une modalité très particulière d’affiliation, on ne peut passer sous silence cette voie initiatique, car elle est très présente en Égypte. Les uwaysī sont les mystiques qui n’ont pas de guide vivant, mais sont initiés par des prophètes ou des saints défunts, par l’intermédiaire de la rūḥāniyya ou « entité spirituelle » de ceux-ci. Tel fut le cas d’Uways al-Qaranī (m. 31/657), de qui ils tiennent leur nom63. Le Prophète aurait en effet éduqué spirituellement Uways, qui vivait au Yémen, sans jamais le rencontrer physiquement. Ḫaḍir, qui n’apparaît qu’à quelques initiés, est aussi un des maîtres des uwaysī. Al-Sanūsī mentionne les soufis célèbres qui ont eu ce type d’initiation64. Šaʿrānī a pris cette voie de ʿAlī al-Nabtītī, qui l’a reçue de Ḫaḍir ; mais il a aussi été initié dans deux lignages uwaysī qui ont transité par l’Égypte, l’un par l’intermédiaire d’al-Anṣārī, l’autre par celui de Suyūṭī, lors de l’unique entretien qu’il a eu chez ce maître peu avant sa mort. Cette dernière ḫirqa passe par Ibn ʿArabī, mais les deux ont une source iraqo-persane, raison pour laquelle nous les mentionnons ici65. L’initiation à la Uwaysiyya s’opère lors de visions oniriques (manāman) ou à l’état de veille (yaqaẓatan). Bien qu’elle soit le fait de savants et d’hommes spirituels sobres, son caractère immatériel explique sans doute qu’elle se prête à la contrefaçon : Šaʿrānī et d’autres maîtres du taṣawwuf dénoncent fréquemment les “faux uwaysī”, fuqarā’ sans guide vivant ou défunt, qui prétendent cependant être reliés à un saint du passé.
Au ixe/xve siècle, des voies mineures apparaissent en Égypte, qui témoignent de l’influence grandissante du monde turco-persan. L’origine ethnique des Mamelouks justifie en soi ce phénomène – pensons aux cheikhs ḫalwatī Ṣ. Il ne faut pas négliger, cependant, les changements stratégiques qui affectent la région ; ainsi l’expansion ottomane a-t-elle ses prémisses dans l’installation des Bektachis au Caire66. Mais c’est surtout en Syrie, plus proche géographiquement du monde turco-persan, que se manifestent les voies orientales.
II - La Syrie67
Aux xiie et xiiie siècles, cette région n’a pas vu sur son sol la fondation de voies initiatiques majeures, comme ce fut le cas dans d’autres aires du monde islamique. Celles qui apparaissent à cette époque sont dans leur grande majorité des rameaux des ordres à grand rayonnement de l’Iraq voisin. Il est vrai qu’elles prennent parfois un caractère proprement syrien, perdant ainsi la trace de leur origine étrangère. Toutefois, pour situer au mieux les courants initiatiques, nous évoquerons les branches syriennes avec les voies mères dont elles sont issues.
1 - Voies locales
Les voies strictement locales sont rares ; elles prennent la forme de lignages familiaux héréditaires, centrés sur leur petite zāwiya, à extension très limitée. Le cheikh Taqī al-Dīn al-Ḥiṣnī (m. 829/1426), ʿālim soufi ayant écrit des ouvrages sur la Voie et d’autres relevant de diverses sciences islamiques, est encore présent un siècle après sa mort dans les mémoires68. Cet acharite convaincu s’est surtout illustré dans l’hostilité qu’il manifestait à l’égard d’Ibn Taymiyya et de son œuvre, ce à quoi fait allusion Ibn Ṭūlūn69. Sa zāwiya, dans le quartier de Šāġūr à Damas, n’était encore à sa mort qu’une ḫalwa70. D’après les sources, son neveu Muḥammad (m. 889/1484) est le seul à avoir la stature d’un maître spirituel : il forme des disciples (yurabbī al-fuqarā’), et enseigne dans la zāwiya de Šāġūr les sciences islamiques71.
Le cas des Aqbāʿī montre bien comment la zāwiya héritée de génération en génération constitue le centre de gravité de ces traditions familiales typiques de Damas72. Chez eux, le fils, en même temps qu’il devient responsable de la zāwiya, reçoit aussi de son père l’autorisation d’enseigner et de transmettre « la méthode spirituelle de ses aïeux » (ṭarīqat aslāfi-hi)73.
La Yūnusiyya
Elle fut fondée par Yūnus Ibn Saʿīd (m. 619/1222), qui n’a jamais quitté la région de Mārdīn, aux confins de la Ǧazīra syrienne74. Établie par les descendants du cheikh à Damas durant la première époque mamelouke, elle s’est diffusée également à Jérusalem75. Si les ʿulamā’ biographes des premiers cheikhs sont plutôt sévères à l’égard des fuqarā’ yūnusī76, leur successeur tardif à la tête de la zāwiya, ʿAbd al-Qādir Ibn al-Rāǧīḥī (m. 910/1504), a droit à des notices élogieuses de la part de ses contemporains. Savant hanbalite et substitut de cadi, il appartient en effet au milieu des ʿulamā’ ; al-Nuʿaymī par exemple, qui reprend les critiques de ses devanciers sur la Yūnusiyya et en fait même « le pire des groupes soufis »77, l’appelle « notre ami » (ṣāḥibu-nā)78. Ce descendant des yūnisī ne s’est pas contenté de la baraka de son lignage, car il a également été initié par des maîtres notoires comme Abū al-Fatḥ al-Mazzī79. Par ailleurs, il a délaissé la zāwiya familiale pour fonder la sienne propre, assortie d’un logement et d’un hammam, dans le quartier de Ṣāliḥiyya80. Ibn al-Raǧīḥī s’inscrit ainsi dans la pure lignée des cheikhs hanbalites qui, depuis les Ibn Qudāma, investirent les pentes du Mont Qāsiyūn. Mais les voies initiatiques à caractère familial n’existent que par la valeur de leurs représentants successifs, et la zāwiya raǧīḥiyya a vite périclité, délaissée par le fils du cheikh hanbalite81.
2 - Voies d’Occident
La Ḫawāṭiriyya (Madyaniyya ou Šāḏiliyya )
Cette voie est issue directement de la grande figure du soufisme maghrébin, Abū Madyan al-Ġawṯ82. Elle est d’ailleurs parfois appelée Madyaniyya83, mais on ne saurait la considérer comme un ordre constitué ; il s’agit plutôt d’une influence qui, au-delà du Maghreb, a gagné notamment le Proche-Orient. Le rôle spirituel d’Abū Madyan est sur ce point comparable à celui d’Ibn ʿArabī, comme nous allons le voir : leur rūḥāniyya s’est diffusée dans maints courants sans qu’eux-mêmes aient fondé une voie particulière84. Elle est rapidement propagée en Syrie au début du xe/xvie siècle par ʿAlī Ibn Maymūn al-Fāsī (m. 917/1511), maître marocain que nous connaissons déjà85. Celui-ci étudie d’abord à Fès, y devient cadi, tout en participant sur la côte atlantique au ǧihād contre les Portugais. La lutte armée ne constitue que les prémisses du ǧihād al-nafs : quittant biens et famille à Fès, il parcourt le Maghreb, y côtoyant beaucoup de spirituels, avant de trouver son maître en la personne d’Abū al-ʿAbbās al-Tibbāsī – ou al-Dibbāsī – (m. 930/1523). Il est ainsi affilié à la Madyaniyya tunisienne. Ayant obtenu en peu de temps le fatḥ ou ouverture spirituelle, il est envoyé par al-Tibbāsī en Orient dans le but de rencontrer des hommes de Dieu dont le cheikh lui fait la description. Sa mission consiste sans doute également à répandre la Madyaniyya, car le maître d’al-Tibbāsī, le Kairouanais Aḥmad b. Maḫlūf al-Šābbī (m. 887/1482), aurait prédit que cette voie prendrait en Syrie une très rapide extension86.
Al-Fāsī n’arrive pas en Orient en terrain complètement vierge, car la réputation de son cheikh l’a précédé. Celui-ci, bien que presque analphabète, élucidait en effet les questions les plus épineuses en sciences légales, sur lesquelles butaient les ʿulamā’ du Maghreb87. Les Syriens font donc le lien entre al-Tibbāsī et son disciple al-Fāsī88. Le cheikh tunisien figure d’ailleurs dans les recueils biographiques du Proche-Orient89, et à l’annonce de son décès, on pria pour lui à la mosquée des Omeyyades90.
Al-Fāsī date sa première venue en Syrie de 904/149891. Il parcourt le pays en quête des hommes de Dieu que lui ont décrits ses cheikhs maghrébins. Il crée déjà autour de lui un réseau de disciples, mais ce n’est qu’au retour de son long séjour à Brousse (Bursa) en Turquie, en 911/1505, qu’il s’établit en Syrie et y acquiert une grande notoriété92. Il suit donc les traces du Šayḫ al-Akbar, dont il a eu la révélation lors de son arrivée en Syrie.
Lui-même ne se réclame réellement que du Prophète, et ce n’est qu’à partir d’un de ses deux ḫalīfa-s, Muḥammad Ibn ʿArrāq (m. 933/1526), que la voie prend le nom de Ḫawāṭiriyya93. Ce terme ne renvoie pas à un maître éponyme, comme c’est généralement le cas, mais désigne une méthode spirituelle propre à ce lignage. Cette méthode consiste en ce que le disciple confie à son cheikh ses pensées (ḫawāṭir) sans les filtrer ; seul le maître en fait l’analyse, pour guider en toute connaissance l’évolution du murīd. Al-Tibbāsī pratiqua cette maïeutique avec al-Fāsī94, mais nous ne savons pas si elle provient de lui ou des cheikhs antérieurs de la Madyaniyya. Toujours est-il qu’en Syrie les maîtres de l’ordre recourent tous à la confession des pensées de leurs disciples (šakwā ou šakāyat al-ḫawāṭir)95.
L’écho que reçoit cette école spirituelle au Proche-Orient dans la première moitié du xe/xvie se mesure dans le fait que Šaʿrānī, pourtant peu ouvert sur le monde syrien, a été initié à cette voie par ʿAlī, le fils et successeur d’Ibn ʿArrāq96 ainsi que par un deuxième ʿAlī, le cheikh al-Kāzawānī, autre grand disciple d’al-Fāsī97. L’auteur des Anwār qudsiyya justifie d’ailleurs longuement la méthode des ḫawāṭir en montrant sa conformité à l’exemple prophétique, et cite un ouvrage écrit sur ce sujet par ʿAlī Ibn Maymūn : celui-ci, intitulé Risāla fī bayān mawāzīn al-ḫawāṭir, s’est perdu car les catalogues de manuscrits ne l’ont pas répertorié. Il est étonnant que les sources n’en fassent pas mention, mais ceci prouve du moins que Šaʿrānī connaissait cette école même dans ses moindres œuvres98. La Ḫawāṭiriyya est en effet sortie de son cadre syrien grâce à Ibn ʿArrāq, qui a fréquenté, sur le mode de la fraternité spirituelle (uḫuwwa), la plupart des grands soufis du Proche-Orient. Citons pour l’Égypte Suyūṭī, al-Anṣārī, Šams al-Dīn al-Dimyāṭī, ʿAbd al-Qādir al-Dašṭūṭī, etc. À l’issue de ses nombreux voyages, Ibn ʿArrāq se fixe à la Mecque, lieu d’échange pour tout le monde islamique, où il acquiert une grande notoriété.
L’autre successeur de ʿAlī b. Maymūn al-Fāsī, cheikh ʿAlwān al-Ḥamawī (m. 936/1530), enracine la voie à Hama, sa ville, aussi bien qu’à Alep et Damas99. Bien qu’il n’ait eu pour guide spirituel qu’al-Fāsī, il se réclame de la pure tradition de la Šāḏiliyya et se nomme lui-même al-šāḏilī ; il désigne d’ailleurs ainsi les maîtres maghrébins de sa silsila100. À l’instar des šāḏilī, il écrit de la prose et de la poésie, est savant dans les sciences exotériques comme ésotériques, pratique le sermon (waʿẓ), défend Ibn al-Fāriḍ et Ibn ʿArabī. Sa grande référence est Ibn ʿAṭā’ Allāh al-Iskandarī ; il connaît l’œuvre d’Aḥmad al-Zarrūq – dont il dit qu’Aḥmad al-Šābbī, le maître d’al-Tibbāsī, l’a rencontré101 –, commente comme lui ou comme un autre šāḏilī plus tardif, Ibn ʿAǧība, les vers mystiques d’al-Šuštarī (m. 668/1269), le poète andalou qui fut disciple d’Ibn Sabʿīn mais s’affilia aussi à la Šāḏiliyya en Égypte. Tout en ayant peu bougé de Hama, cheikh ʿAlwān est donc l’héritier de la tradition maghrébo-andalouse des xiie et xiiie siècles, celle à la fois de la waḥda, amenée en Orient par Ibn ʿArabī et Ibn Sabʿīn, et de la voie d’Abū Madyan. Il se situe même, comme d’autres maîtres orientaux, au point de convergence entre ces deux courants102.
Le lien de la Ḫawāṭiriyya avec sa source maghrébine est effectif. ʿAlī al-Kāzawānī a recours un jour à la karāma103, ce que réprouvent, nous l’avons vu, les cheikhs de la Madyaniyya-Šāḏiliyya ; il est alors maudit et chassé par al-Fāsī. Par la suite, les deux successeurs de ce dernier, Ibn ʿArrāq et cheikh ʿAlwān, refusent son repentir, ce qui oblige al-Kāzawānī à solliciter auprès du maître de la voie mère en Tunisie, ʿArafat al-Qayrawānī, la reconnaissance écrite de sa réintégration au sein de l’ordre. Cheikh ʿAlwān accepte alors seulement sa tawba et parfait son éducation104. La présence d’Aḥmad Ibn al-Bīṭār (m. 965/1557) à Damas témoigne également des relations qui subsistent au sein de la voie entre Maghreb et Machreq : ce cheikh est envoyé en Syrie par son maître ʿArafat al-Qayrawānī « pour éduquer le groupe (ǧamāʿa) de Sīdī ʿAlī b. Maymūn »105.
Les nombreuses pages que consacrent les auteurs de recueils biographiques à ʿAlī b. Maymūn et à ses successeurs témoignent du « nouveau souffle de vie »106 que celui-ci a apporté dans le soufisme syrien. Par ses exigences d’authenticité, la Ḫawāṭiriyya s’impose en quelques années, équilibrant à elle seule l’influence des voies orientales implantées anciennement sur le sol syrien.
La Madyaniyya transmise en Égypte par Zakariyyā al-Anṣārī à Abū al-Ḥasan al-Bakrī107 vient du disciple direct d’Abū Madyan, ʿAbd al-Razzāq, envoyé à Alexandrie pour répandre sa voie, et passe par le disciple de ce dernier, le saint du Ṣaʿīd ʿAbd al-Raḥīm al-Qināʿī108. Sa présence durant plusieurs siècles sur le territoire égyptien, parallèlement à l’influence postérieure de la Šāḏiliyya, témoigne du rôle privilégié d’Abū Madyan en Orient.
La Ḥātimiyya ou Akbariyya
L’influence du Šayḫ al-Akbar, mort à Damas en 638/1240, ne s’est pas fixée dans un ordre précis mais s’est transmise sous la forme d’une investiture initiatique (ḫirqa) prenant comme support privilégié quelques grandes voies. Si la Ḫalwatiyya égyptienne du cheikh al-Dāmirdāš a adopté une doctrine ouvertement akbarienne, c’est plus encore dans la Šāḏiliyya d’Égypte comme de Syrie que se manifeste la présence d’Ibn ʿArabī. Nous aurons l’occasion d’évoquer plus loin quelques affinités doctrinales entre les maîtres de cette voie et le maître andalou.
Contentons-nous pour l’instant de remarquer que la ḫirqa akbarienne, « qui chemine parfois comme une rivière souterraine pour surgir soudain pendant quelque temps au grand jour »109, est partie de Syrie à la mort d’Ibn ʿArabī pour y revenir à la fin de l’époque mamelouke en la personne d’Ibn ʿArrāq110, le successeur d’al-Fāsī, ou encore en la personne de l’émir ʿAbd al-Qādir, deux siècles plus tard. La ṭarīqa akbariyya dans laquelle est initié le cheikh syrien Muḥammad Efendi al-Safarǧallānī au xixe siècle ne constitue pas un ordre à proprement parler, mais témoigne encore des modalités propres à la transmission de l’influx spirituel d’Ibn ʿArabī : l’une, proprement ésotérique, est fondée sur le dévoilement (bāṭinī kašfī) de type uwaysī, car accordée par Ḫaḍir ; l’autre est plus tangible ou apparente (ẓāhirī) et concerne la riwāya des œuvres du Šayḫ al-Akbar ; à noter que celle-ci passe de Suyūṭī à Ibn Ṭūlūn puis au maître syrien du xviiie siècle ʿAbd al-Ġanī al-Nābulusī111. L’influence d’Ibn ʿArabī est donc trop importante et diffuse pour se limiter aux seuls transmetteurs de sa ḫirqa ou à des ordres initiatiques précis : des personnalités diverses sont marquées en Syrie comme ailleurs par sa doctrine112. Al-Kumušḫānawī définit de manière prévisible Ibn ʿArabī par la gnose et la complétude (al-ʿirfān wa al-ikmāl)113.
3 - Voies iraqiennes
Les voies iraqiennes sont les plus anciennement implantées sur le sol syrien. Outre la proximité spatiale, la cause en revient à la prééminence du ʿIrāq dans le premier soufisme et la structuration précoce de ses ordres.
La Rifāʿiyya
Son influence a vite gagné la Syrie par l’intermédiaire de cheikhs tels que Abū al-ʿAbbās al-Baṭā’iḥī (m. 578/1182)114, ʿAlī al-Ḥarīrī (m. 645/1248)115 et Saʿd al-Dīn al-Ǧibāwī. ʿAqīl al-Manbiǧī116 (de Manbiǧ, au nord-est de la Syrie) est antérieur, selon toute apparence, à al-Rifāʿī ; il est donc difficile de voir en lui un rifāʿī, comme l’affirme Muḥammad al-Rawwās, cheikh iraqien du xixe siècle, appelé « le second Rifāʿī »117. Étant donné qu’al-Manbiǧī est le guide du maître de cheikh Arslān, al-Rawwās fait de ce dernier un des trois représentants (ḫulafā’) d’al-Rifāʿī en Syrie118. ʿAlī al-Ḥarīrī, il est vrai, se réclame expressément de cheikh Arslān119, mais tous ces éléments ne font pas du saint patron de Damas un cheikh rifāʿī.
La Saʿdiyya ou Ǧibāwiyya
Cette voie aurait été fondée par Yūnus al-Šaybānī, le grand-père de Saʿd al-Dīn ; elle apparaît pourtant davantage comme une branche de la Rifāʿiyya. Le père de Saʿd al-Dīn, Mazīd, aurait vécu en Iraq auprès d’Aḥmad al-Rifāʿī avant de devenir en Syrie un de ses ḫulafā’120. On ignore la date précise de la mort de Saʿd al-Dīn121. On sait par contre que suite à une “conversion” spirituelle, il s’installe à Ǧibā, village à une trentaine de kilomètres de Damas ; le Mont Hermon voisin s’appellerait Ǧabal al-Šayḫ (la Montagne du Cheikh) parce qu’il s’y serait réfugié après avoir été l’objet d’un ravissement (ǧaḏb).
Saʿd al-Dīn et ses successeurs étaient réputés pour guérir de la folie122, et l’on peut encore voir, dans la zāwiya de Ǧibā, l’endroit où officiait le cheikh. Lorsque l’ordre, devenu rapidement héréditaire, s’implante à Damas à l’instigation de Ḥasan al-Ǧibāwī (m. 910/1505), ʿulamā’ et soufis manifestent leur scepticisme à l’égard de cette faculté surnaturelle. Alī b. Maymūn al-Fāsī critique ce cheikh sans doute pour des motifs similaires à ceux d’al-Nuʿaymī, qui qualifie de superstitions populaires la croyance à ce charisme123. Mais par ailleurs, nous voyons Ibn ʿArrāq, le disciple d’al-Fāsī, se rattacher au même cheikh Ḥasan124, et des grands ʿulamā’ rédiger des fatwas pour défendre l’ordre ; certains de ses membres sont d’ailleurs savants en sciences religieuses125. La Saʿdiyya est connue par la suite pour les manifestations spectaculaires auxquelles se livrent ses fuqarā’, notamment la fameuse dawsa, durant laquelle le cheikh juché sur son cheval piétine ses disciples allongés à terre126. De telles pratiques ne sont apparues qu’à une phase avancée de l’époque ottomane, lorsque l’ordre a pénétré en Égypte et en Turquie ; les diatribes qu’il a suscitées chez les réformistes égyptiens du xixe siècle s’en font l’écho127. Soulignons que cette voie familiale et provinciale s’est propagée jusque dans les Balkans.
En dehors de la Saʿdiyya, la Rifāʿiyya ne semble pas avoir de maîtres véritables en Syrie à l’époque qui nous concerne ; les quelques représentants qu’on lui connaît se limitent à la transmission de la baraka128.
La Qādiriyya
Celle-ci s’implante dès les xiie et xiiie siècles, dans le sillage des grandes familles hanbalites Ibn Qudāma et Yunīnī129, mais il faut attendre le viiie/xive siècle et surtout le ixe/xve pour que la Qādiriyya se répande largement en milieu syrien130. ʿAbd al-Qādir al-Ǧīlānī appartenait à l’école juridique d’Aḥmad Ibn Ḥanbal ; de fait, l’expansion de sa voie semble liée à la montée de ce maḏhab en Syrie, comme en témoigne l’affiliation d’Ibn Taymiyya à cet ordre131. Les cheikhs qādirī de Syrie sont généralement des ʿulamā’ – on pourrait en dire autant des qādirī yéménites – sans être nécessairement hanbalites : certains d’entre eux, et non des moindres, suivent le rite chafiite132. La forte présence de cette voie dans la région s’explique aussi par le fait que des descendants charnels d’al-Ǧīlānī s’y sont établis : au moins deux cheikhs du xve se réclament de cette filiation133. Les divers rameaux syriens de la Qādiriyya, qui s’est introduite en plusieurs vagues sur un laps de temps assez long, sont souvent indépendants les uns des autres ; ils constituent un véritable puzzle sur l’ensemble du Bilād al-Šām, fait que l’on peut aussi apprécier dans la multiplicité des lignages initiatiques qādirī134. Voyons quels sont les rameaux les plus importants.
La Mawṣiliyya ou Šaybāniyya
Il s’agit d’une branche fondée par Abū Bakr al-Mawṣilī (m. 797/1394). Ce cheikh de Mossoul se rattache à al-Ǧīlānī par l’intermédiaire du grand saint de la ville au vie/xiie, Qaḍīb al-Bān (m. 573/1177), qui n’a pourtant fait que côtoyer le maître de Bagdad. Par son type spirituel, Abū Bakr paraît d’ailleurs plus proche de ce dernier que de Qaḍīb, personnage aux karāmāt spectaculaires135. Abū Bakr est déjà un savant chafiite avant de s’établir à Damas et à Jérusalem. Sunnite intransigeant136, il est loué par les ʿulamā’ qui viennent à son maǧlis ; Ibn Qāḍī Šuhba l’appelle même « le Ǧunayd de son temps »137. Ses descendants se partagent par la suite entre les deux zāwiya-s qu’a fondées Abū Bakr à Damas et à Jérusalem. Ici encore, l’impulsion donnée par une forte personnalité se cristallise après la mort de celle-ci en une transmission héréditaire de baraka, autour de la zāwiya familiale. Un des membres de cette famille138 initie cependant Ibn ʿArrāq dans la ḫirqa akbariyya ; faut-il y voir le prolongement de celle de Ḫaḍir qu’Ibn ʿArabī a reçue à Mossoul et qui fut transmise par Qaḍīb al-Bān139 ?
La Dā’ūdiyya
Une branche purement damascène de la Qādiriyya connaît au ixe/xve une certaine notoriété grâce aux hanbalites Abū Bakr Ibn Dā’ūd (m. 806/1403) et son fils ʿAbd al-Raḥmān (m. 856/1452). Ce dernier surtout a laissé son empreinte : il fait « une merveille » de la zāwiya de son père, située au pied du Mont Qāsiyūn140, et écrit des ouvrages de taṣawwuf à but pratique, tel le Adab al-murīd. Al-Nuʿaymī loue la mystique modérée qui est la sienne141. Les Ibn Dā’ūd tiennent leur affiliation à la Qādiriyya des ʿUrmawī142, famille qui suivait également la tradition hanbalite de Ṣāliḥiyya143. Après la mort d’Ibn Dā’ūd, la zāwiya passe entre les mains de ses descendants mais, contrôlée par le pouvoir, elle périclite dès la fin du xve siècle.
La Ṣamādiyya
Autre branche héréditaire de la Qādiriyya, la Ṣamādiyya est d’implantation damascène, mais elle est originaire de Ṣamād dans le Ḥawrān144. Ibn Ayyūb affirme que les ṣamādī se sont forgé une généalogie initiatique sans fondement145. Elle se distingue d’ailleurs des autres groupes qādirī par des marques d’appartenance visibles : ses fuqarā’ portent le tāǧ et le šadd146, et l’emploi des tambours (ṭubūl) durant leurs séances de ḏikr suscite des fatwas tant des opposants que des partisans. Le cheikh de la Ṣamādiyya au début de la période ottomane, Muḥammad Šams al-Dīn al-Ṣamādī (m. 948/1541)147, jouit de la protection de Sélim. La générosité du sultan s’exerce d’abord sur la zāwiya de Ṣāliḥiyya bâtie par le cheikh en 926/1520148 ; à partir de 932/1525 toutefois, les ṣamādī font leurs séances dans une nouvelle zāwiya située dans le quartier de Šāġūr149 : étant chafiites, sans doute ne se sentent-ils pas tributaires de la tradition hanbalite des pentes du Qāsiyūn.
La tradition qādirī est fortement représentée à Hama, car des descendants d’al-Ǧīlānī s’y seraient fixés150 ; au xviiie encore, al-Nābulusī se rendant à Istanbul s’y fait affilier151. À la fin de l’époque mamelouke, le cheikh chafiite ʿAbd al-Razzāq (m. 901/1495) incarne comme les ṣamādī le tempérament “ivre” (sukr) du soufisme ; on le voit ainsi exulter durant les séances qu’il fait au son des tambourins (dufūf) et des flûtes (mawāṣīl)152. Il est pourtant le maître du grand cadi hanbalite et šayḫ al-šuyūḫ d’Alep, Yūsuf al-Tāḏifī et de son fils Ibrāhīm, respectivement grand-père et père de l’historien Ibn al-Ḥanbalī153. Rappelons que ce dernier, malgré le rattachement qu’il a contracté dans la Hamadāniyya, reste bien qādirī en soutenant l’authenticité de la sainteté d’al-Ǧīlānī qu’avaient niée les disciples d’Uways al-Qaramānī154.
L’autre grand foyer de la Qādiriyya dans le Bilād al-Šām est la Palestine. Une figure marquante en est Aḥmad Ibn Raslān (m. 841/1438) de Ramla, faqīh chafiite réputé et « figure de proue des soufis attachés à la stricte pratique de la Loi » (ra’s al-ṣūfiyya al-mutašarriʿa fī waqti-hi)155 ; beaucoup de ses disciples sont eux-mêmes des fuqahā’. Son successeur, Muḥammad Abū al-ʿAwn al-Ǧalǧūlī (m. 910/1504), également chafiite, se nomme « le qādirī de son temps »156. Considéré comme un pôle, son rayonnement s’étend jusqu’en Égypte157 et sur les dirigeants mamelouks de Syrie. Qu’il existe un šayḫ šuyūḫ al-qādiriyya à Jérusalem ne permet pas d’en induire qu’il ait un rôle spirituel prééminent158 ; cela prouve du moins la forte présence de la voie d’al-Ǧīlānī dans la région, ainsi que la dispersion de son influence en centres autonomes.
Il faut souligner ici que la version encore répandue à notre époque des Quatre Pôles (al-aqṭāb al-arbaʿa) trahit à son origine un caractère purement égyptien. En effet, si les Irakiens al-Rifāʿī et al-Ǧīlānī ont incontestablement eu un grand rayonnement dans le Bilād al-Šām, il n’en a pas été de même pour les Égyptiens al-Badawī et d’al-Disūqī159.
4 - Voies issues du monde turco-persan : Anatolie,
Caucase, Perse, Asie Centrale
Alep et, dans une moindre mesure, Jérusalem sont les relais des voies initiatiques issues du vaste domaine turco-persan. Ce rôle-clé se comprend par la situation géographique d’Alep, point d’aboutissement des routes d’Asie. Quant à Jérusalem, son statut de troisième ville sainte de l’Islam en fait, comme dans le cas de la Mecque et de Médine, une plaque tournante des divers courants du monde islamique.
Le monde turco-persan est alors ouvert à des influences plus complexes que celui du Proche-Orient au sunnisme relativement monolithique. L’impact du chiisme, lui-même multiple, ne se traduit pas obligatoirement par un dogme avoué, mais souvent par des comportements jugés aberrants en milieu sunnite. Par ailleurs, au gré des conquêtes, l’intérieur du continent asiatique a été traversé par des religions différentes, ce qui laissait la porte ouverte au syncrétisme.
La ʿAdawiyya
Un exemple extrême de ce syncrétisme est donné par les Yézidis, qui regroupent plusieurs tribus kurdes vivant dans les montagnes à l’est de Mossoul160, et dont la religion est le résultat d’apports dogmatiques et spirituels divers161. Le personnage qui est à l’origine de cette secte est curieusement un soufi arabe et sunnite né près de Baalkek, cheikh ʿAdī Ibn Musāfir (m. 557/1162)162. Il aurait eu pour maître ʿAqīl al-Manbiǧī163, et aurait côtoyé notamment al-Ǧīlānī. Il s’établit en pays kurde et acquit une grande renommée jusqu’en Syrie. Ibn Taymiyya fait de lui un saint homme (raǧul ṣāliḥ), tout en excommuniant ceux qui se réclamèrent de lui par la suite164. En effet, ʿAdī mit vainement en garde ses disciples contre toute innovation blâmable (bidʿa). Après sa mort, ceux-ci changèrent radicalement son message165 ; ils en arrivèrent à le diviniser, prirent sa tombe comme qibla, et le pèlerinage annuel à ce sanctuaire devint un des piliers de leur dogme166. Au viie/xiiie siècle déjà, al-Ḏahabī emploie le terme ġulūw pour stigmatiser la vénération excessive que témoignent les disciples à l’égard des cheikhs ʿadawī167.
Toutefois, cette altération du message initial doit être imputée essentiellement aux populations kurdes, car, dans certaines villes du Proche-Orient, la transmission initiatique issue du cheikh ʿAdī a suivi les chemins de l’orthodoxie sunnite. R. Lescot affirme qu’ « au xvie siècle, elle [la ʿAdawiyya] comptait encore quelques adeptes à Damas »168, et, de fait, le savant Ibn Ṭūlūn y investit de la ḫirqa ʿadawiyya un descendant du cheikh169. Les ʿadawī d’Alep sont manifestement beaucoup plus liés au milieu kurde, et Ibn al-Ḥanbalī en donne une image très négative. Il nous décrit en effet « l’émir des Kurdes », ʿIzz al-Dīn (m. 948/1542), s’adonnant à la boisson, intriguant auprès des dirigeants mamelouks et ottomans pour supprimer ses ennemis, allant jusqu’à les faire exécuter. L’auteur du Durr parle de crime politique170, mais suggère parallèlement que la vraie raison de ces conflits est idéologique, car l’émir qu’il fait pendre est sunnite, tandis que ʿIzz al-Dīn est yazīdī ; le mot est lâché171. Ibn al-Ḥanbalī emploie d’ailleurs à la suite d’al-Ḏahabī le terme réservé aux chiites extrémistes, en qualifiant de ġulūw zā’id la dévotion qu’ont les Kurdes d’Alep pour ʿIzz al-Dīn. La ʿAdawiyya damascène et la secte des Yézidis ne partagent évidemment aucune affinité ; dans le premier cas, il s’agit d’une voie sunnite ordinaire ; dans le second, une figure spirituelle est intégrée à un culte des plus syncrétiques, mais cette figure semble interchangeable : les Yézidis auraient pu jeter leur dévolu sur tout autre mystique ayant un rayonnement comparable au cheikh ʿAdī.
De l’Azerbaïdjan voisin du Kurdistan sont issues deux voies ayant des origines initiatiques voisines, mais dont les destins vont être différents.
L’Ardabīliyya ou Ṣafawiyya
Cette voie fondée par Ṣafī al-Dīn al-Ardabīlī (m. 735/1334) est au départ sunnite et héréditaire172. Issue principalement de la Suhrawardiyya, elle évolue à la fin du ixe/xve siècle vers le chiisme, à l’initiative de Ḥaydar, père de Šāh Ismāʿīl. Pour le besoin de leur cause, ceux-ci s’inventent une généalogie alide, mais Z. V. Togan a prouvé que cette famille, qui donnera naissance à la dynastie des Safavides, est d’origine kurde et n’a aucune parenté avec ʿAlī ou le Prophète173. L’adoption de l’imamisme duodécimain par les Safavides correspond donc à une stratégie politique, car elle était de nature à regrouper les différentes minorités chiites d’Asie Centrale. Certaines branches turques et alépines de l’ordre, souvenons-nous, sont restées dans le giron du sunnisme, et ont profondément réprouvé l’orientation prise par Šāh Ismāʿīl.
La Ardabīliyya est d’abord introduite à Jérusalem par Ḫūǧa ʿAlī, petit-fils de Ṣafī al-Dīn. Après avoir fait le Pèlerinage accompagné de nombreux disciples, ʿAlī meurt à al-Quds en 832/1428, laissant comme ḫalīfa Muḥammad Ibn al-Ṣā’iġ (m. 885/1481)174. Alep va être un meilleur terreau pour la voie caucasienne, grâce à deux maîtres venus ensemble dans le Bilād al-Šām. L’un, cheikh Dā’ūd, forme Mūsā al-Arīḥāwī (m. 915/1509), faqīh soufi chafiite175, et l’autre, cheikh Bākīr, a pour successeur Muḥammad al-Kawākibī (m. 897/1491)176, cheikh d’origine iraqienne jouissant d’un grand prestige à Alep. Bākīr a également pour disciple Abū Bakr al-Dalyawātī (m. après 915 h.)177 ; cet Égyptien fixé dans la capitale du Nord syrien s’oppose, avec son ami le grand cadi hanbalite Yūsuf al-Tāḏifī, à l’utilisation d’instruments de musique dans les samāʿ-s. Ajoutons à cela qu’un autre grand cadi hanbalite d’Alep, Muḥammad al-Mahmāzī (m. 926/1519), est dit « ardabīlī », pour en conclure que l’Ardabīliyya est bien intégrée dans le milieu sunnite des ʿulamā’ alépins, et qu’elle n’y est pas suspectée de pro-safavisme comme c’est le cas en Turquie.
La Ḫalwatiyya178
Outre une proximité d’origine géographique, elle partage avec l’Ardabīliyya des maîtres spirituels communs, tels Ṣafī al-Dīn al-Ardabīlī, qui figure dans les lignages ḫalwatī179, et Ḥāǧǧ Bayram (m. 863/1459), le fondateur de la branche Bayrāmiyya180. Parmi les affinités doctrinales que partagent la Ḫalwatiyya et la Ardabīliyya, mentionnons la présence de cinq imams dans certaines de leurs silsila-s181, ou la pratique de la retraite de quarante jours (al-arbaʿīniyya)182. La Ḫalwatiyya prend une grande extension dans la Turquie de Bāyazīd II grâce au maître turc Muḥammad al-Aqṣarā’ī, connu comme Chelebi Khalifa183. Se dépouillant de toute trace d’influence chiite, elle crée des liens avec le pouvoir ottoman. Mais son disciple à Alep, le Turc Uways al-Qaramānī (m. 951/1544), ne parvient pas à étouffer l’aventure messianique dans laquelle l’entraînent ses disciples184. Alep est encore un relais de la Ḫalwatiyya pour les disciples du maître de Tabrīz, ʿUmar al-Rūšānī185. Cette voie véhicule un enseignement très ésotérique touchant parfois aux sciences occultes186, jusqu’à sa réforme par le cheikh damascène Muṣṭafā al-Bakrī (m. 1163/1749).
La Bisṭāmiyya
Cette voie s’est transmise à la manière des uwaysis187 : Abū al-Ḥasan al-Ḫaraqānī l’aurait reçue au xie siècle de la rūḥāniyya d’Abū Yazīd Ṭayfūr al-Bisṭāmī (m. 264/877), le maître du Ḫurāsān, qui l’aurait lui-même reçue selon cette modalité de Ǧaʿfar al-Ṣādiq et des Imams précédents188. Elle a subsisté en milieu persan dans un lignage de Qalenders chiites, qui nous rappellent les liens d’al-Bisṭāmī avec les malāmatī-s189.
La première implantation de la Bisṭāmiyya dans le Bilād al-Šām eut lieu à Jérusalem : ʿAlī al-Ṣafī en est le premier maître notoire, mais la voie est déjà présente puisqu’il est enterré dans le cimetière des bisṭāmī en 761/1359. La zāwiya bisṭāmiyya est l’œuvre de son successeur ʿAbd Allāh al-Asadābādī al-Bisṭāmī (m. 794/1391), qui enseigna les sciences islamiques à Bagdad190. La voie se maintient par la suite à Jérusalem par une succession non héréditaire de cheikhs. Ses membres mentionnés dans le Uns viennent du domaine syrien, ce qui prouve son intégration au milieu ambiant ; il s’agit de soufis fuqahā’ qui enseignent parallèlement à la madrasa Ṣalāḥiyya, et l’un d’entre eux fut disciple de Kamāl al-Dīn Imām al-Kāmiliyya, l’un des maîtres de Suyūṭī, avant d’être cheikh de la zāwiya191.
Le rayonnement de ʿAbd Allāh al-Bisṭāmī s’étend sur toute la région, puisqu’il attire le cheikh hanbalite damascène Abū Bakr Ibn Dā’ūd auquel il donne l’autorisation de transmettre à son tour la ḫirqa192. Il a aussi pour disciple Muḥammad al-Aṭʿānī (m. 807/1405), qui retourne ensuite à Alep fonder la zāwiya aṭʿāniyya, où la transmission sera héréditaire193. Les Ḥayšī, originaires des environs de Hama et ayant pris la Bisṭāmiyya des Aṭʿānī, ont plus d’ampleur : Abū Bakr (m. 930/1523) et son fils Muḥammad (m. 924/1518) voyagent au Proche-Orient pour étudier avec des grands ʿulamā’ comme Ibn Ḥaǧar, ʿAlam al-Dīn al-Bulqīnī, Saḫāwī et l’Alépin Badr al-Dīn al-Suyūfī ; puis ils bâtissent à leur tour une zāwiya à Alep194. La zāwiya nafīsiyya, fondée par le cheikh persan bisṭāmī Muḥammad Ibn Nafīs al-Šarwānī (m. 854/1449), marque encore la présence de cette voie orientale dans la ville195.
La Bisṭāmiyya est également présente au Caire, avec la zāwiya fondée par le persan Taqī al-Dīn al-ʿAǧamī, sur lequel nous n’avons pas d’information, et que dirige Muḥammad al-Bisṭāmī. Ce dernier transmet l’initiation bisṭāmī à des ʿulamā’ syriens196.
La voie d’Abū Yazīd, bien que fortement marquée par son origine persane, fait donc preuve au Proche-Orient d’un profond attachement au sunnisme ; en outre y sont affiliés des hommes versés dans les sciences religieuses. On oublie souvent que les propos extatiques (šaṭḥ) pour lesquels al-Bisṭāmī est connu n’entament en rien chez lui la stricte conformité au modèle prophétique197. La personnalité de celui que l’on désigne comme le père du soufisme ḫurāsānien198 était assez riche pour présenter de multiples facettes.
La Adhamiyya
Cette voie se réclame du saint également ḫurāsānien Ibrāhīm Ibn Adham (m. 161/778) qui pérégrina au Proche-Orient. Il serait enterré sur la côte syrienne, à Ǧabla199, ou en Turquie selon d’autres sources200. Massignon ne reconnaît en cette voie qu’un « isnād artificiel turco-syrien du xve siècle »201, alors qu’al-Zabīdī en donne deux silsila-s202, l’une persane et l’autre arabe. Le fait est qu’elles sont trop courtes pour ne pas relever du type de transmission uwaysī. Šaʿrānī englobe d’ailleurs les fuqarā’ adhamis parmi les derviches prétendant vainement être guidés par la rūḥāniyya d’un maître défunt203 ; le modèle uwaysī, nous l’avons vu, n’est pas à la portée de n’importe quel aspirant et il prête aisément au travestissement. L’avis d’Ibn al-Ḥanbalī est partagé sur certains représentants alépins de l’ordre, d’origine turque ou persane204. À un milieu nettement plus intellectuel appartient Ḥusayn al-Bayrī (m. 922/1516), lettré venant de la Ǧazīra turque ; il traduit en arabe une partie du Maṯnawī de Ǧalāl al-Dīn al-Rūmī et du Manṭiq al-ṭayr d’al-ʿAṭṭār205. Ibn Adham serait passé par Alep, comme en témoigne le sanctuaire dont al-Bayrī est à la fois l’administrateur et le cheikh, ainsi qu’une mosquée-zāwiya qui semble servir de point de chute aux adhamī persans206.
La Qalandariyya
Le nom d’origine (nisba) de cette voie viendrait de la ville de Qalandar en Inde, mais d’autres étymologies sont possibles207. Le mouvement, originaire d’Asie Centrale, a subi diverses influences difficiles à délimiter. La plus directe est sans doute celle de l’école spirituelle du Ḫurāsān au iiie/ixe siècle, la Malāmatiyya, mais nous verrons comment les Qalenders en ont dévoyé l’enseignement208. L’ascétisme hindou et bouddhiste aurait également été un modèle pour ces hommes vivant sur les marges du monde indien209. Le mouvement s’organise avec le persan Ǧamāl al-Dīn al-Sāwī (m. vers 630/1232), et se répand vers le Moyen-Orient où il acquiert une réputation très controversée : en faveur sous le sultan Baybars, les Qalenders apparaissent par vagues dans l’Égypte et la Syrie du viie/xiiie siècle210, où ils se distinguent par une apparence physique insolite211 et une utilisation du haschisch qui leur valent les foudres des fuqahā’. Une fatwa d’Ibn Taymiyya en fait des hérétiques n’appartenant ni à l’Islam ni même à la ḏimma212, et en 761/1360, le sultan mamelouk Ḥasan émet un édit les obligeant « à s’en tenir à l’habit de l’Islam et à laisser celui des Persans (al-aʿāǧim) et des Zoroastriens (al-maǧūs) »213. L’influence d’un chiisme hétérodoxe amené de Perse se manifeste par exemple par l’invocation des entités spirituelles (rūḥāniyyāt) de la famille du Prophète (ahl al-Bayt)214 ; de même, ils diffusent à l’instar des Bektachis les poèmes de Nasīmī qui fut, rappelons-le, écorché vif à Alep pour hérésie en 820/1417 . La Ḥurūfiyya, secte chiite persane dans laquelle le fondateur Faḍl Allāh al-Astarābāḏī est déifié, prolonge ainsi son rayonnement.
Les Qalenders possèdent à Jérusalem une zāwiya qui reste en activité jusqu’au ixe/xve siècle215, ainsi qu’un cimetière. Mais c’est à Alep qu’on en trouve encore quelques traces au début du xe/xvie. Ibn al-Ḥanbalī y mentionne un poète persan, Darwīš ʿAlī al-Killazī (m. 948/1541), dont il juge de façon péjorative l’appartenance à la Qalandariyya216. L’historien d’Alep, qui maudit dans son ouvrage Šāh Ismāʿīl217, note dans un autre passage qu’un décret a été nécessaire pour mettre fin aux pratiques blâmables (al-munkar) auxquelles se livraient les Qalenders lors de la fête de ʿḌšūrā’, allusion évidente au comportement par trop chiite de ces fuqarā’218. Leur côté exhibitionniste ne pouvait de toute façon être accepté par le milieu alépin, là où des voies orientales plus orthodoxes étaient parvenues à s’intégrer remarquablement dans la ville219.
La Kubrawiyya220
De la lointaine Asie Centrale parvient la voie fondée par Naǧm al-Dīn al-Kubrā (m. 618/1221), originaire du Ḫawārizm. Ce maître est connu pour son enseignement initiatique sur les organes ou centres subtils (laṭā’if) de l’homme, liés à des couleurs particulières221. Al-Kumušḫānawī perçoit en lui une propension à l’extase et au ravissement (al-waǧd wa al-ǧaḏabāt)222. L’enseignement d’al-Kubrā a rayonné dans le monde persan, où sont nées diverses branches sunnites comme chiites, mais son influence est également parvenue au Proche-Orient. Ḥusayn al-Ḫawārizmī est un cheikh kubrawī du ixe/xve établi à Samarkande, mais grâce à ses fréquents voyages, il a des disciples de l’Inde jusqu’en Syrie ; nous avons en effet la trace de son passage à Damas dans la zāwiya ḫawārizmiyya, où le Persan Muḥammad al-Ṭawāqī est assassiné223. À Alep, Muḥammad al-Ḫurāsānī al-Naǧmī (m. 925/1519) signe par ses nisba-s sa double origine géographique et initiatique, la dernière venant du laqab du maître de la voie, Naǧm al-Dīn224. En Égypte, le cheikh suhrawardī Muḥammad al-Madyanī reprend explicitement la doctrine ésotérique d’al-Kubrā sur les centres subtils du corps humain dans sa Ḫulāṣa marḍiyya déjà citée225. Le Ḥāwī li-al-fatāwī de Suyūṭī témoigne également de la connaissance que ce savant et son public ont de l’œuvre et de la doctrine d’al-Kubrā226.
La Simnāniyya ou Rukniyya
La Kubrawiyya se transmet aussi par l’influence de Rukn al-Dīn al-Simnānī (m. 736/1336), maître et théoricien du Ḫurāsān ayant joué un rôle essentiel dans la formation du soufisme d’Asie Centrale et d’Inde. Abū al-Fatḥ al-Mazzī, qui a d’ailleurs étudié en Inde où il a sans doute été en contact avec des membres de cette voie, dit y avoir été initié en Palestine par le faqīh soufi qādirī Ibn Raslān227. Relevons à ce propos que la Qādiriyya syrienne semble également entretenir des affinités avec l’ordre d’al-Kubrā ; on voit par exemple Ibn Ṭūlūn écrire la biographie de ce maître à la demande d’un hanbalite s’appelant Barakāt al-Qādirī228.
La Hamadāniyya
Fondée par ʿAlī al-Hamadānī (m. 786/1385), cette branche représente au Proche-Orient le principal support de transmission de la Kubrawiyya. Établie au Cachemire où elle enracine l’Islam en profondeur, elle arrive à Alep à la fin du ixe/xve siècle par le relais de la Perse : ʿUbayd Allāh al-Tustarī, disciple de Šāh al-Asfarā’īnī à Chiraz, a pour successeur Yūnus al-Ḥalabī (m. 923/1517), un vrai Alépin qui a étudié avec Saḫāwī à la Mecque. S’érigeant en protecteur de tous ceux qui sont désorientés par les troubles précédant l’agonie du régime mamelouk, al-Ḥalabī doit s’exiler à Damas. Son ḫalīfa à Alep, Ibrāhīm Burhān al-Dīn (m. 925/1519), continue à occuper la madrasa Rawāḥiyya où de nombreux disciples récitent al-awrād al-fatḥiyya inspirés par le Prophète à al-Hamadānī229. Un autre cheikh hamadānī du Ḫurāsān, ʿAbd al-Laṭīf al-Ǧāmī (m. 963/1555), marque son passage à Alep ; c’est un disciple du persan Muḥammad al-Ḫabūšānī, un des ḫulafā’ d’al-Asfarā’īnī. Après son séjour à Istanbul, où il devient un proche du sultan Sulaymān, il réside dans la ville syrienne ; il y exerce une influence incontestable sur les dirigeants ainsi que sur les hommes de religion, et l’auteur du Durr al-ḥabab prend de lui la Hamadāniyya avec permission de la transmettre230.
La seule mention pour cette époque de la Hamadāniyya en Égypte est moins glorieuse : un de ses membres, Muḥammad Ibn Salāma, est supplicié au Caire pour avoir épousé « une femme manifestement androgyne »231.
M. Molé a décelé dans son article « Les Kubrawiya entre sunnisme et shiisme » une évolution sensible des maîtres de l’ordre en faveur du chiisme232. Peu apparente encore chez Naǧm al-Dīn al-Kubrā et al-Simnānī233, elle s’affirmerait chez al-Hamadānī, à un degré moindre évidemment que dans les branches persanes chiites de l’ordre234. L’appartenance invoquée par Molé d’al-Hamadānī à la famille du Prophète ne constitue pas une raison en soi, car c’est le cas de nombreux maîtres soufis, tel al-Rifāʿī, al-Šāḏilī, al-Fāsī et autres, qui n’en adhèrent au contraire que plus fortement à la Sunna. Les kubrawī de Syrie sont tous des chafiites, à l’instar d’al-Kubrā lui-même et d’al-Hamadānī235 ; leur audience est grande à Alep, et nous avons vu leurs affinités avec des qādirī au sunnisme tranquille. Le seul comportement de type chiite qui soit signalé est celui de Muḥammad al-Turūsī qui, habillé d’un seul pagne et se frappant la poitrine de deux pierres tenues dans ses poings, suit les funérailles de son maître Muḥammad al-Ḫurāsānī236. Les rameaux persans de l’ordre ont certes pu préparer l’avènement des Safavides, mais l’amitié entre le cheikh ʿAbd al-Laṭīf al-Ǧāmī et l’Ottoman Sulaymān, et le fait qu’ils cheminent ensemble alors que le sultan se dirige vers Tabrīz pour essayer de reprendre la ville à Tahmasp, le fils de Šāh Ismāʿīl237, nous incitent à penser que la Hamadāniyya ne devait aucunement être suspectée de sympathies pro-chiites au Proche-Orient. Notons encore une fois ici l’absence d’unité au sein d’une voie, ses branches ayant assez d’autonomie pour être les unes sunnites, les autres chiites.
Les soufis orientaux s’établissant ou séjournant à Alep (nazīl Ḥalab) sont de loin plus nombreux que ceux qui s’arrêtent à Damas. La ville du Nord syrien profite en effet à la fois de l’expansion des Ottomans voisins et de l’instauration officielle du chiisme en Perse : celle-ci chasse beaucoup de soufis vers des cieux plus cléments pour le sunnisme. Les Safavides succèdent à cet égard, dans une moindre mesure bien sûr, aux Mongols qui poussèrent ʿulamā’ et soufis orientaux à chercher refuge au Proche-Orient. Le milieu alépin semble toutefois maîtriser la présence des voies turco-persanes en opérant une véritable sélection dont Ibn al-Ḥanbalī se fait à la fois l’acteur et le narrateur ; sont intégrées celles qui ont une grande teneur initiatique ou scientifique (Kubrawiyya, Bisṭāmiyya, Ardabīliyya) tandis que sont marginalisées celles qui sont jugées trop excentriques ou connotées de chiisme (ʿAdawiyya, Qalandariyya, Adhamiyya). Damas reçoit aussi, mais dans une moindre mesure, cette vague en provenance de l’aire turco-persane238. Il faut d’ailleurs noter que, encore de nos jours, le soufisme alépin est davantage tourné vers la Turquie voisine que vers Damas.
La situation géographiquement centrale du domaine mamelouk, ainsi que l’accueil favorable des deux dynasties à la mystique et la protection qu’elles accordent à ses représentants sont autant de facteurs qui font du domaine syro-égyptien un carrefour des diverses influences initiatiques du monde islamique.
Éric Geoffroy
Notes
1 Sur lui, cf. Aʿlām, I, p. 258. L’ouvrage a été imprimé au Caire en 1870.
2 Encore qu’al-Badawī soit né à Fès, avant qu’il ne regagne avec sa famille le Hedjaz, dont celle-ci est originaire. De là, il voyage en Iraq où il se serait affilié, d’après ʿAlī ʿAmmār (Abū al-Ḥasan al-Šāḏilī, I, p. 77), à la Rifāʿiyya, en en devenant même le représentant à Alexandrie. Mais une voix lui enjoint de s’établir à Tanta, dans le Delta, pour y éduquer les hommes (Ṭ.K., I, p. 184). La voie d’al-Badawī est encore appelée Suṭūḥiyya, car l’extatique resta douze ans en retraite sur les terrasses (suṭūḥ) de Tanta (Ṭ.K., I, p. 184).
3 Ǧāmiʿ al-uṣūl, p. 7.
4 Cf. supra, p. 183.
5 Le sultan al-Ġawrī intervient une fois pour démettre le ḫalīfa en place et investir le fils de ce dernier ; il en profite pour lui attacher un administrateur turc (Ibn Iyās, Badā’iʿ, V, p. 72, 117).
6 Nous en avons eu un exemple avec le cheikh Muḥammad Ibn al-Ṣaʿīdī.
7 Cf. Durr, I, p. 100 ; II, p. 80, 89 ; Kaw., I, p. 294.
8 Cf. M. Winter, loc. cit., p. 121-122.
9 Šaʿrānī lui consacre une longue notice dans ses Ṭabaqāt kubrā (I, p. 165-183).
10 Disūq est d’ailleurs proche de Tanta.
11 Al-Šāḏilī a cependant puisé à la source orientale, lors du voyage qu’il fit en Iraq à la quête du Pôle : il côtoie en 618/1221 le maître rifāʿī Abū al-Fatḥ al-Wāsiṭī, mais celui-ci le renvoie à sa source marocaine, en la personne d’Ibn Mašīš (ʿAlī ʿAmmār, Abū al-Ḥasan al-Šāḏilī, I, p. 77-78). Sur les autres cheikhs d’al-Šāḏilī, cf. ibid., I, p. 56-78.
12 Voir sur ce point J.-Cl. Garcin, Qūṣ, p. 160-166 ; D. Gril, introduction de la Risāla, p. 21-23 ; Cl. Addas, Ibn ʿArabī, p. 228-232.
13 C’est le cas de Qāsim al-Maġribī (m. 927/1520), qui habite un temps dans le mausolée d’Ibn ʿAṭā’ Allāh (Kaw., I, p. 293). À la fin de l’époque mamelouke, le centre vital de la voie n’est plus Alexandrie mais le Caire (cf. J.-Cl. Garcin, « L’insertion sociale de Shaʿrānī », p. 163).
14 Ḍaw’, VII, p. 67 ; Ǧamharat al-awliyā’, II, p. 260.
15 Ainsi Ibn Muġayzil se lie d’abord à Suyūṭī, puis à al-Maġribī ; al-Mawāhibī a pour maître dans un premier temps ce dernier, puis Abū al-Mawāhib etc. Le schéma est identique chez les šāḏilī de Syrie.
16 Ǧāmiʿ uṣūl al-awliyā’, p. 7, 17-18 ; sur le šukr chez les šāḏilī, cf. par exemple Šaʿrānī, al-Aǧwiba al-marḍiyya, fol. 72.
17 Elle peut se mesurer dans la prédiction d’al-Šāḏilī, qui aurait assuré que son cinquième successeur serait Muḥammad al-Ḥanafī (al-Ḥanafī ḫāmis ḫalīfa min baʿdī) ; cf. Ṭ. K., II, p. 90.
18 Sur les caractéristiques de la Šāḏiliyya, on peut consulter également l’art. de J.-Cl. Garcin, « Histoire et hagiographie », p. 311-312.
19 Cf. l’arbre initiatique en annexe.
20 Cf. Tawfīq al-Bakrī, Bayt al-sādāt al-wafā’iyya, Le Caire, s.d., p. 58 notamment.
21 Voici leur lignage initiatique : Abū al-Ḥasan al-Šāḏilī > Abū al-ʿAbbās al-Mursī > Ibn ʿAṭā’ Allāh > Dā’ūd Ibn Bāḫila > M. Wafā.
22 C’est assurément ce que pense Šaʿrānī, qui rapporte dans ses Ṭabaqāt kubrā l’essentiel de son enseignement. La biographie de ʿAlī Wafā est d’ailleurs de loin la plus longue de ce recueil (II, p. 22-65), et témoigne d’une parfaite connaissance de la doctrine du maître. Ceci nous amène à renforcer la relation qu’a pu avoir Šaʿrānī avec la Šāḏiliyya, jugée assez lâche par M. Winter (loc. cit., p. 90-93). L’auteur des Ṭabaqāt a en effet côtoyé (ṣaḥibtu) durant vingt ans le huitième ḫalīfa des Wafā, Abū al-Faḍl al-Kabīr (m. 942/1536), qui lui a transmis la ḫirqa wafā’iyya ; cf. Bayt al-sādāt al-wafā’iyya, p. 38-39.
23 Voir la note précédente.
24 Notamment à Jérusalem, où il existe un groupe constitué ; cf. al-Uns al-ǧalīl, II, p. 389, 544, 550-551 ; cf. également Kaw., I, p. 140, 177 ; Trimingham, loc. cit., p. 278.
25 Cf. Itḥāf, fol. 28 ; Salsabīl, p. 55-56 ; Manhal, p. 73-74 ; A. F. Khushaim, Zarrūq the Ṣūfī, p. 101.
26 Mašyaḫat al-ṭuruq al-ṣūfiyya ; cf. M. T. al-Bakrī, Bayt al-ṣiddīq, p. 379-380 ; Fred. De Jong, « Les confréries mystiques musulmanes au Machreq arabe », dans Les ordres mystiques dans l’Islam - Cheminements et situation actuelle, sous la direction de A. Popovic et G. Veinstein, Paris, 1986, p. 207. Voir aussi J.-Cl. Garcin, « Deux saints populaires », p. 138-143.
27 En voici le lignage : al-Mursī > Yāqūt al-ʿAršī > Šihāb al-Dīn Ibn al-Maylaq > son petit-fils Nāṣir al-Dīn > Muḥammad al-Ḥanafī > Abū al-ʿAbbās al-Sarsī > Muḥammad al-Maġribī.
28 ʿIqd, fol. 52.
29 Celui-ci y aurait initié Aḥmad al-Zarrūq (Itḥāf, fol. 34). Cet autre rattachement du cheikh marocain à la Šāḏiliyya peut paraître surprenant, mais Saḫāwī affirme qu’al-Zarrūq a beaucoup étudié le hadith avec lui au Caire et qu’il s’est conformé à son modèle dans certains domaines (lāzama-nī fī ašyā’) ; ils se sont d’ailleurs revus à la Mecque (Ḍaw’, I, p. 222-223) ; A. F. Khushaim insiste sur leurs relations privilégiées (loc. cit., p. 19).
30 Loc. cit., p. 7.
31 Cf. Trimingham, loc. cit., p. 38-39 ; E. Bannerth, « La Rifāʿiyya en Égypte », dans M.I.D.E.O, X, 1970, p. 20-21.
32 Salsabīl, p. 41.
33 Cf. l’art. de J. Chabbi, « ʿAbd al-Qādir al-Djīlānī ».
34 Loc. cit., p. 7. Parmi les caractéristiques de la voie, il mentionne la détermination dans le domaine spirituel (ʿulūw al-himma), le service d’autrui (ḥusn al-ḫidma) et l’action de grâces (taʿẓīm al-niʿma) ; cf. ibid., p. 18.
35 Salsabīl, p. 38.
36 Cf. ibid., p. 42-45 ; ʿIqd, fol. 65-66 ; The Sufi Orders, p. 273.
37 Salsabīl, p. 42.
38 ʿIqd, fol. 65.
39 D. Gril, Risāla, p. 197, note 1. Angelika Hartmann voit chez lui « l’alliance du soufisme et de la force bien assise, d’un style de vie ascétique et d’un engagement politique concret » ; elle fait allusion bien sûr aux relations privilégiées qui s’instaurèrent entre le cheikh et le calife abbasside al-Nāṣir, et à leur collaboration dans les domaines politique comme spirituel ; cf. An-Nāṣir li-Dīn Allāh (1180-1225), Politik, Religion, Kultur in der späten ʿAbbāsidenzeit, Berlin-New York, 1975, p. 233. Sur Šihāb al-Dīn et sa voie, cf. également Trimingham, loc. cit., p. 34-36.
40 Le maître de Bagdad est en effet la référence majeure de toutes les familles spirituelles du monde sunnite et un passage obligé pour la plupart des chaînes initiatiques. Al-Sanūsī l’appelle Sayyid al-ṭā’ifa, le maître de [toutes] les voies (Manhal, p. 101), et les différents fondateurs de voies se réclament de lui (Manhal, p. 63).
41 Les auteurs postérieurs de lignages initiatiques la désignent nommément comme la Suhrawardiyya : al-Sanūsī dans Salsabīl, p. 47-49, et Manhal, p. 98-103 ; al-Zabīdī dans ʿIqd, fol. 50, et Itḥāf, fol. 32-33.
42 Ṭ.K., II, p. 65.
43 Al-Kūrānī aurait été également affilié à la voie akbarienne (ʿalā ṭarīqat Ibn ʿArabī), d’après Ibn Ḥaǧar (Durar, IV, p. 463), ce qui constitue un exemple parmi d’autres des croisements d’influences initiatiques entre Orient et Occident.
44 Cf. p. 30-31.
45 Tafarraʿat ʿan-hu al-silsila al-mutaʿalliqa bi-ṭarīqat al-Ǧunayd (Ṭ.K., II, p. 101).
46 Madār ṭarīq al-Qawm al-yawm fī Miṣr ʿalā talāmiḏati-hi (Ṭ.K., II, p. 108).
47 Nous l’avons retracé en annexe.
48 Il reçut de lui le talqīn al-ḏikr en plusieurs étapes (Ḍaw’, X, p. 151).
49 Anwār, p. 31 ; Itḥāf, fol. 32 ; Manhal, p. 88.
50 Dans son article « L’insertion sociale de Shaʿrānī ».
51 Selon Tāǧ al-Dīn al-Subkī, c’est la Šāḏiliyya qui a hérité du maître de Bagdad (ʿAlī ʿAmmār, loc. cit., I, p. 28).
52 On ne s’étonnera donc pas que Muḥammad al-Madyanī cite souvent des maîtres šāḏilī comme Ibn ʿAṭā’ Allāh ou Abū al-ʿAbbās al-Mursī dans sa Ḫulāṣa marḍiyya min al-durra al-muḍī’a fī maʿrifat sulūk al-sāda al-ṣūfiyya (ms. Paris). Sans doute s’agit-il de la « belle épître sur le cheminement initiatique » dont parle Šaʿrānī, « largement diffusée chez les adhérents de sa voie [c’est-à-dire Madyanī] en Égypte et ailleurs » (Ṭ. K., II, p. 108).
53 Šaʿrānī, Aǧwiba, fol. 72b.
54 Abū al-ʿAbbās al-Sarsī, le successeur d’al-Ḥanafī fait cette constatation, en guise d’éloge (Ṭ.K., II, p. 10). Šaʿrānī parle de « sevrage spirituel » (fiṭām) à la même page.
55 Cf. Manhal, p. 82-86 ; ʿAbd al-Ġanī al-Nābulusī, al-Ḥaqīqa wa al-maǧāz, p. 264-272 ; E. Bannerth, « La Khalwatiyya en Égypte », dans M.I.D.E.O, VIII, p. 1964-1966, p. 1-74 ; Trimingham, The Sufi Orders, p. 74-79 ; et surtout B. G. Martin, « A Short History of the Khalwati Order of Dervishes », dans Scholars, Saints and Sufis, recueil d’articles édité par N. Keddie, Los Angeles, 1972, p. 275-305.
56 Lorsqu’al-Nābulusī visite au xviiie siècle la zāwiya d’al-Damirdāš, il constate qu’il existe encore beaucoup de cellules destinées à la ḫalwa (cf. al-Ḥaqīqa wa al-maǧāz, p. 277).
57 Al-Munāwī relate cet épisode dans ses Kawākib (cité par al-Nabhānī, Ǧāmiʿ, II, p. 69).
58 Plusieurs indices laissent cependant supposer qu’al-Damirdāš aurait eu pour maître Ibrāhīm al-Mawāhibī, un autre šāḏilī wafā’ī : ce cheikh l’aurait envoyé à Tabrīz auprès d’al-Rūšānī pour parfaire son éducation, transmettant à celui-ci par l’intermédiaire d’al-Damirdāš un sac dans lequel se trouvaient des objets symbolisant l’état spirituel de son disciple (cf. la biographie d’al-Dāmirdāš dans ses Rasā’il, p. 36 ; repris par al-Nabhānī citant al-Munāwī, Ǧāmiʿ, II, p. 417). Quoi qu’il en soit, al-Damirdāš porte d’après ses biographes une triple généalogie initiatique : naqšbandī par son père qui était persan, šāḏilī et ḫalwatī par ses choix spirituels.
59 Šaʿrānī affirme qu’il n’est pas descendu en ville durant une trentaine d’années (Ṭ.K., II, p. 184).
60 Ibid.
61 Cf. Doris Behrens-Abouseif, « An Unlisted Monument of the Fifteenth Century : the Dome of Zāwiyat al-Damirdāš », dans Ann. Isl., XVIII, p. 1982, p. 105-115 ; D. Behrens-Abouseif et L. Fernandes, « Sufi architecture in early ottoman Cairo », dans Ann. Isl., XX, 1984, p. 103-114.
62 Cf. l’art. d’E. Bannerth, « La Khalwatiyya en Égypte », p. 3-7.
63 Uways est un des Tābiʿīn (c’est-à-dire la génération suivant immédiatement celle des Ṣaḥāba ou Compagnons) ; il mourut en combattant pour ʿAlī à Ṣiffīn. R. Deladrière donne les références sur ce personnage dans son Traité de soufisme, Paris, 1981, p. 188, note 19.
64 Salsabīl, p. 30-31. Le cas d’Abū Yazīd al-Bisṭāmī, personnage central dans l’initiation uwaysī, sera évoqué plus loin (cf. Bisṭāmiyya). Voir également la traduction des Nafaḥāt al-uns du soufi persan Ǧāmī par S. de Sacy, Vie des soufis, Paris, 1977, p. 77-79.
65 Cf. ʿIqd, fol. 18-19. Al-Sanūsī accorde à cette voie une grande importance ; cf. Salsabīl, p. 30-35, Manhal, p. 56-59.
66 Ils y ont dès le xve deux zāwiya-s, à Qaṣr al-ʿAyn et au Muqaṭṭam ; cf. E.I.2, I, p. 1196-1197.
67 Rappelons ici que le Bilād al-Šām nous concerne dans sa totalité.
68 Cheikh ʿAlwān le cite dans ses Nasamāt al-asḥār, fol. 20b, et son Šarḥ silk al-ʿayn, fol. 175a, et même un cheikh venant d’Azerbaïjan conseille à son disciple alépin de lire son Qamʿ al-nufūs (ms. Damas) ; cf. Kaw., I, p. 308. Sur al-Ḥiṣnī, cf. Kaḥḥāla, Muʿǧam, III, p. 74 ; Ibn al-ʿImād, Š.Ḏ., VII, p. 188-189 ; Nabhānī, Ǧāmiʿ, I, p. 621.
69 Parlant de son neveu Muḥammad, Ibn Ṭūlūn dit qu’il n’y avait pas en lui l’animosité que montrait son oncle envers certains hanbalites : lam yakun ʿinda-hu mā ʿinda ʿammi-hi min baʿḍ al-ḥanābila ; cf. Tamattuʿ, p. 176.
70 Š.Ḏ., VII, p. 189.
71 Ibn Ṭūlūn, Tamattuʿ, p. 176 ; Buṣrawī, Tārīḫ, p. 99.
72 Cette famille spirituelle est issue d’Aḥmad al-Aqbāʿī, d’après al-Ġazzī (Kaw., I, p. 130). Ce cheikh a vécu au xve siècle – nous n’avons pas d’autre précision – et il est le grand-père maternel de Raḍī al-Dīn al-Ġazzī, qui se retirait durant sa jeunesse dans sa zāwiya (Kaw., II, p. 3) : on comprend mieux alors pourquoi l’auteur des Kawākib, petit-fils de Raḍī al-Dīn, qualifie son aïeul al-Aqbāʿī de « Pôle suprême » (al-quṭb al-ġawṯ).
73 Tamattuʿ, p. 99.
74 Cette ville fait d’ailleurs partie actuellement de la Turquie, au sud-est du pays.
75 H. Sauvaire, reprenant le Uns ǧalīl, mentionne que la zāwiya yūnusiyya fonctionne toujours dans cette ville au début du xe/xvie (cf. « Description de Damas », dans J.A., VII, p. 1896, p. 159).
76 Ibn Taymiyya, après s’être tu sur eux, a fini par les attaquer (Nuʿaymī, Dāris, II, p. 214-215) ; al-Ḏahabī leur reproche leurs propos extatiques (šaṭḥ) et leur ignorance (ibid., p. 214) ; cf. aussi L. Pouzet, Damas, p. 229-230.
77 Šarr ṭawā’if al-fuqarā’ ; cf. Dāris, II, p. 215.
78 Ibid., p. 216.
79 Ibn Ṭūlūn, Qalā’id, I, p. 301, repris par Ġazzī, Kaw., I, p. 241.
80 Kamāl al-Dīn al-Ġazzī, al-Naʿt al-akmal, p. 73.
81 Qalā’id, I, p. 302.
82 Les auteurs modernes font habituellement mourir ce maître en 594/1197, mais Cl. Addas, en confrontant sa biographie avec celle d’Ibn ʿArabī, situe son décès avant 589-590 de l’Hégire ; cf. son art. « Abu Madyan and Ibn ʿArabi », dans Muhyiddin Ibn ʿArabi, a Commemorative Volume, p. 176.
83 Cf. al-Sanūsī, Manhal, p. 76.
84 Cf. Cl. Addas, loc. cit., p. 179.
85 Ce dernier partage beaucoup de traits communs avec Abū al-Ḥasan al-Šāḏilī : les deux sont des šarīf-s ḥasanides du Maroc et des fils spirituels d’Abū Madyan ; formés par un maître maghrébin, ils répandent leur voie en Orient avec un grand succès. Sur al-Fāsī, cf. Š.Ḏ., VIII, p. 81-84 ; Kaw., I, p. 271-278 ; Ǧāmiʿ, II, p. 363-366 ; Durr, I, p. 951-960 ; Šaqā’iq, p. 212 ; Muʿǧam, VII, p. 251 ; E.I.2, I, p. 399 ; The Sufi Orders, p. 89 ; G.A.L, II, p. 152.
86 Cheikh ʿAlwān, Šarḥ silk al-ʿayn, fol. 103a. Cf. l’arbre initiatique de la Madyaniyya syrienne en annexe.
87 Kaw., I, p. 128.
88 « La nouvelle se répandit qu’il était le cheikh de ʿAlī b. Maymūn », dit al-Ġazzī (ibid. I, p. 129).
89 Cf. Kaw., I, p. 128-129 ; Durr, I, p. 954. Voir également Ǧāmiʿ, II, p. 540-542.
90 Kaw., I, p. 129.
91 Tanzīh al-ṣiddīq, fol. 1.
92 Il laisse d’ailleurs à Brousse un ḫalīfa (ce terme a ici le sens de représentant et non de successeur), ʿAbd al-Raḥmān Ibn al-Ṣūfī (cf. Šaqā’iq, p. 213). Les trois pages (212, 213, 325) que consacre l’auteur des Šaqā’iq à l’école d’al-Fāsī témoignent de sa présence dans le Bilād al-Rūm. Cheikh ʿAlwān affirme que le cheikh avait pour disciples là-bas des notables (aʿyān) ; cf. Muǧlī al-ḥuzn, fol. 120.
93 Sur Ibn ʿArrāq, cf. Š.Ḏ., VIII, p. 196-199 ; Kaw., I, p. 59-68 ; Ḏaḫā’ir al-qaṣr, fol. 67-69 ; Šaqā’iq, p. 212-213 ; Muʿǧam, II, p. 21 ; Ǧāmiʿ, I, p. 301 ; The Sufi Orders, p. 90. Sur sa voie, cf. Salsabīl, p. 93-94 ; Itḥāf, fol. 24 ; ʿIqd, fol. 42.
94 Cheikh ʿAlwān, Muǧlī al-ḥuzn, fol. 56b ; Durr, I, p. 954.
95 Par exemple cheikh ʿAlwān (Durr, I, p. 503, 581, 748), ʿAlī al-Kāzawānī (Kaw., II, p. 201) et ʿUmar al-ʿUqaybī (Mufākaha, II, p. 91). La purification du mental constitue dans le soufisme comme dans toute voie spirituelle un préliminaire nécessaire pour avancer sur la Voie ; tous les manuels de taṣawwuf abordent donc la question, en s’efforçant de déterminer l’origine des pensées (elles peuvent provenir de Dieu, d’un ange, de l’ego, de Satan, etc.) ; cf. al-Taʿarruf, p. 152 ; al-Lumaʿ, p. 14, 342 ; Risāla qušayriyya, p. 83 ; cf. également al-Zarrūq, Qaw., p. 100 ; Suyūṭī, Ta’yīd, p. 81, 84. La spécificité de la Ḫawāṭiriyya consiste dans le fait d’avoir développé cette méthode (notons également l’importance accordée par la voie Kubrawiyya à la « fonction psychagogique » de l’analyse des ḫawāṭir ; cf. l’étude préliminaire par Hermann Landolt du texte de Nūr al-Dīn al-Isfarāyinī, Le Révélateur des mystères, Lagrasse, 1986, p. 39-40).
96 ʿIqd, fol. 42.
97 Itḥāf, fol. 24. Le maître égyptien affirme en effet avoir côtoyé al-Kāzawānī et avoir tiré profit de son enseignement spirituel (intafaʿtu bi-kalāmi-hi wa išārāti-hi wa mawāʿiẓi-hi wa daqā’iqi-hi fī ʿilm al-tawḥīd) lors des pèlerinages à la Mecque de 947 h. et de 953 h. (Ṭ.K., II, p. 180). C’est sans doute à cette occasion qu’al-Kāzawānī l’a initié. Celui-ci l’a en tout cas suffisamment marqué pour qu’il soit le seul soufi syrien contemporain à être mentionné dans les Ṭabaqāt kubrā (II, p. 180-182). Šaʿrānī l’appelle al-Kāzirūnī ; on trouve aussi al-Kīzawānī, mais lui-même se nomme al-Kāzawānī (Durr, I, p. 907).
98 Anwār, II, p. 40-42. Šaʿrānī est donc loin d’attaquer cette méthode, comme l’affirme M. Winter dans son article « Sheikh ʿAlī Ibn Maymūn and Syrian Sufism in the Sixteen Century », p. 294.
99 Sur lui, cf. Kaw., II, p. 206-213 ; Š.Ḏ., VIII, p. 217-218 ; Ǧāmiʿ, II, p. 367-370 ; Durr, I, p. 961-978 ; Muʿǧam, VII, p. 150 ; G.A.L., II, p. 437.
100 Aḥmad b. Maḫlūf al-Šābbī par exemple (Muǧlī al-ḥuzn, fol. 87a). Al-Sanūsī justifie le lien étroit existant entre Madyaniyya et Šāḏiliyya par le fait qu’Ibn Mašīš, maître d’al-Šāḏilī, a pu être le disciple direct d’Abū Madyan ; il est sûr tout du moins que ʿAbd al-Raḥmān al-Zayyāt (appelé souvent al-Madyanī), le maître d’Ibn Mašīš, l’a été (Manhal, p. 76). Pour L. Massignon, le réel fondateur de la Šāḏiliyya est d’ailleurs Abū Madyan ; cf. l’art. « Ṭarīqa », E.I.1, IV, p. 705.
101 Muǧlī al-ḥuzn, fol. 91a.
102 Si Ibn ʿArabī n’a pas eu de lien matériel avec Abū Madyan, il a eu pour guide spirituel un disciple du saint de Bougie, Yūsuf b. Yaḫlaf al-Kūmī ; cf. Cl. Addas, « Abu Madyan and Ibn ʿArabi », p. 175, et également l’arbre initiatique de la Madyaniyya en annexe.
103 En voyage dans la campagne de Hama avec al-Fāsī et ses autres murīd-s, il fait disparaître de leur vue des lions qui les menaçaient. Le maître en colère l’accuse alors d’avoir souillé leur Voie (afsadta ṭarīqa-nā) ; cf. Šaqā’iq, p. 325 ; Kaw., II, p. 202.
104 Kaw., II, p. 202-203. Al-Kāzawānī s’est effectivement amendé sur ce point, puisqu’il reprend dans une de ses Rasā’il l’aphorisme soufi affirmant que « les miracles sont au saint ce que les menstrues sont à la femme » ; cf. supra, p. 35, note 77.
105 Kaw., II, p. 120.
106 Selon l’expression de Trimingham, The Sufi Orders, p. 90. On trouvera l’arbre initiatique de la Ḫawāṭiriyya en annexe.
107 Salsabīl, p. 39-40.
108 Sur ces deux cheikhs du vie/xiie siècle, cf. J.-Cl. Garcin, Qūṣ, p. 160-165 notamment ; D. Gril, introduction de la Risāla, p. 207-208.
109 Selon M. Chodkiewicz, Le Sceau des saints, p. 178.
110 Cf. Salsabīl, p. 46 ; ʿIqd, fol. 63 ; Itḥāf, fol. 17. Voir aussi Cl. Addas, Ibn ʿArabī, p. 341, 374-377.
111 Cf. al-Safarǧallānī, ʿUqūd al-asānīd, p. 38-39.
112 Le cheikh qādirī ʿAbd al-Qādir al-Ṣafadī (m. 915/1509) est connu de son vivant en Syrie pour la vénération qu’il porte à Ibn ʿArabī.
113 Loc. cit., p. 7.
114 Cf. L. Pouzet, loc. cit., p. 227.
115 Cf. L. Massignon, E.I.1, art. « Ṭarīqa » ; Passion, p. 798 ; H. Laoust, Essai, p. 23 ; Trimingham, The Sufi Orders, p. 39-40.
116 Sur lui, cf. Ṭ.K., I, p. 136 ; Ǧāmiʿ, II, p. 306.
117 Cf. son Ṭayy al-siǧill (Damas, 1972, p. 334), qui présente une vision par trop rifāʿī de la carte initiatique du Moyen-Orient.
118 Ṭayy al-siǧill, p. 384 ; cf. également Ibn Ṭūlūn, Ġāyat al-bayān, p. 54.
119 Ġāyat al-bayān, p. 29 ; L. Pouzet, loc. cit., p. 220-221.
120 Ṭayy al-siǧill, p. 381-384 ; Trimingham, loc. cit., p. 73.
121 Les saʿdī actuels affirment qu’il est mort en 575/1179 et qu’il aurait vécu 115 ans ; Ziriklī avance la date de 621/1224 (Aʿlām, III, p. 84-85), Margoliouth celle de 700/1300 (E.I.1, art. « Saʿdiyya »), et Trimingham celle de 736/1335 (loc. cit., p. 73).
122 Cf. par exemple Kaw., I, p. 174-175.
123 Kaw., I, p. 191 pour al-Fāsī ; Dāris, II, p. 221 pour al-Nuʿaymī, dont le ton est méprisant : « Les femmes et le petit peuple dans sa majorité croyaient qu’il [le cheikh Ḥasan] guérissait de la folie. »
124 ʿIqd, fol. 48.
125 Cf. Kaw., II, p. 103-104 ; Durr, I, p. 625, 1029.
126 Cf. G. Delanoue, Moralistes et politiques musulmans, I, p. 228-229, 252-253 ; Trimingham, loc. cit., p. 73 ; J.-Cl. Garcin, « Deux saints populaires », p. 132 ; Fred De Jong, « Les confréries mystiques musulmanes au Machreq arabe », dans Les ordres mystiques dans l’Islam, recueil publié sous la direction de A. Popovic et G. Veinstein, Paris, 1985, p. 213.
127 G. Delanoue, loc. cit., I, p. 229. Sur le rôle social de la Saʿdiyya à Damas à l’époque moderne, cf. Munīr Kayyāl, Ramaḍān wa taqālīdu-hu al-dimašqiyya, Damas, s.d., p. 106-109.
128 À Alep notamment (Durr, I, p. 646, 893).
129 Cf. L. Pouzet, Damas, p. 226-227. Cet auteur émet des doutes sur le rattachement effectif des Ibn Qudāma au maître de Bagdad, alors qu’al-Mazzī, l’auteur de l’ouvrage d’asānīd intitulé al-Ḥuǧǧa al-rāǧiḥa, mentionne expressément plusieurs membres de cette famille dans les chaînes initiatiques remontant à al-Ǧīlānī (fol. 24, 33) ; l’article de G. Makdisi, « L’Isnad initiatique soufi de Muwaffaq ad-Din Ibn Qudama », confirme cette affiliation. Sur les Banū Qudāma et Muwaffaq al-Dīn, cf. l’introduction par H. Laoust de son ouvrage Le précis de droit d’Ibn Qudāma, Beyrouth, 1950.
130 Trimingham fait le même constat sur l’évolution générale de la Qādiriyya (loc. cit., p. 40).
131 Cf. supra, p. 96.
132 Par exemple Raḍī al-Dīn al-Ġazzī, Kamāl al-Dīn et ʿImād al-Dīn Ibn Abī al-Šarīf, ʿAbd al-Qādir Ibn Ǧamāʿa, etc.
133 Ibn Raslān en Palestine, et ʿAbd al-Razzāq à Hama (cf. infra) ; sur la présence d’autres descendants du saint à Hama, cf. al-Tāḏifī, Qalā’id al-ǧawāhir, p. 51. Un des fils d’al-Ǧīlānī habita Damas (cf. L. Pouzet, Damas, p. 226).
134 Comme en témoignent les presque vingt folios que consacre al-Mazzī à ces lignages dans sa Ḥuǧǧa rāǧiḥa (fol. 23-41).
135 Sur Q. al-Bān, cf. D. Gril, introduction à la Risāla, p. 232. Suyūṭī s’étend sur ses pouvoirs spirituels dans le cadre de sa fatwa sur la faculté qu’ont certains saints de changer d’apparence : al-Munǧalī fī taṭawwur al-walī, dans Ḥāwī, II, p. 290-291, 293-294. L’affiliation d’Abū Bakr à Qaḍīb al-Bān est affirmée par l’historien de la famille Mawṣilī à Damas, Ṣalāḥ al-Dīn, qui a entrepris d’éditer les ouvrages de ses aïeux, notamment ceux d’Abū Bakr sur le soufisme, tel Sirr al-sirr et Ādāb al-murīd (le premier édité à Damas en 1983, le second en 1984).
136 Cf. supra, p. 105, note 102.
137 Tārīḫ, p. 559.
138 Selon le Salsabīl (fol. 46), il s’agit de Muḥammad Mawṣilī, mais deux personnages répondent à ce nom : l’un est mort en 920 h. (cf. Tamattuʿ, p. 197), l’autre en 936 (ibid., p. 198).
139 Cf. D. Gril, loc. cit., p. 232.
140 Selon H. Sauvaire, Description, J.A., mai-juin 1895, p. 392. Sur cette zāwiya, cf. également Dāris, II, p. 202-203 ; Qalā’id, I, p. 298-299 ainsi que Maḥmūd al-ʿAdawī, Kitāb al-ziyārāt bi-Dimašq, édité par Ṣalāḥ al-Dīn al-Munaǧǧid, Damas, 1956, p. 35-37.
141 Dāris, mêmes références que ci-dessus.
142 Adab al-murīd, fol. 41-42.
143 Sur la zāwiya ʿurmawiyya, cf. H. Sauvaire, loc. cit., p. 387.
144 Cf. l’art. déjà cité de Fritz Meier, « Die Ṣumādiyya ».
145 Rawḍ, fol. 11b, 260b.
146 Sur le tāǧ, cf. infra, p. 254.
147 Sur lui, Š.Ḏ., VIII, p. 275-276 ; Kaw., II, p. 31-32 ; Ǧāmiʿ, I, p. 302 ; Dāris, II, p. 219-221 ; Tārīḫ de Buṣrawī, p. 186.
148 Cf. Qalā’id, p. 307 ; J.-P. Pascual, Damas à la fin du xvie siècle, Damas, 1988, tableau de la p. 18. Nous avons précédemment évoqué les relations entre le cheikh et le sultan.
149 Kaw., II, p. 32 ; Buṣrawī, Tārīḫ, p. 186.
150 La ville possédait d’ailleurs un quartier Kīlānī jusqu’à sa destruction par l’armée syrienne, lors des “événements de Hama” de 1982.
151 Cf. B. Aladdin, ʿAbdalġanī an-Nābulusī, I, p. 157-159.
152 Selon Ibn al-Ḥanbalī (Durr, I, p. 779-780).
153 Ibid., I, p. 50 ; II, p. 575.
154 Ibid., I, p. 323.
155 Selon al-Nabhānī (Ǧāmiʿ, I, p. 533). Sur lui, cf. Uns, II, p. 514-516. Son ouvrage de fiqh intitulé Matn al-zubad a été édité à Beyrouth en 1988.
156 « Anā qādirī al-waqt », déclare-t-il dans un poème (Kaw., I, p. 76).
157 Il a notamment pour disciple ʿAbd al-Raḥmān al-Awǧāqī (Kaw., I, p. 235).
158 La renommée de celui qu’al-ʿUlaymī mentionne, Mūsā Šaraf al-Dīn al-Qādirī (m. 898/1493), n’a apparemment pas dépassé les limites d’al-Quds (Uns, II, p. 580).
159 Cette tétralogie des Pôles s’est diffusée en Égypte vers la fin de l’époque mamelouke ; cf. sur ce point Catherine Mayeur-Jaouen, op. cit., p. 491, 496.
160 La ville elle-même est bien intégrée culturellement à l’Iraq, comme nous l’avons vu dans le cas de la Qādiriyya, mais le Kurdistan qui s’étend au nord-est appartient davantage au domaine géographique et humain turco-persan.
161 Pour plus de détails, cf. E.I.1, art. « Yazīdi », IV, p. 1227-1234 ; Roger Lescot, Enquête sur les Yezidis, Beyrouth, 1938 ; John S. Guest, The Yezidis, Londres et New York, 1987.
162 Sur lui, Ziriklī, al-Aʿlām, V, p. 11 ; E.I.2, I, p. 201 ; R. Lescot, loc. cit., p. 22-32 ; voir également Thierry Bianquis, Damas et la Syrie sous la domination fatimide, Damas, 1986, I, p. 378, qui donne d’autres références.
163 Al-Rawwās, Ṭayy al-siǧill, p. 335 ; Ibn Taymiyya, Maǧmūʿ al-fatāwā, XI, p. 103.
164 Ibid.,
165 Cf. R. Lescot, loc. cit., p. 26, 30.
166 Cf. les deux articles de l’E.I.2 cités plus haut.
167 Cf. L. Pouzet, Damas, p. 230. Selon H. Laoust, Ḫaḍir al-Mihrānī, le cheikh de Baybars, aurait été membre de la ʿAdawiyya ; cf. Schismes, p. 285.
168 Loc. cit., p. 31.
169 Cf. ʿAbd al-ʿAẓīm Ḫaṭṭāb, introd. au Iʿlām al-warā’ d’Ibn Ṭūlūn, Le Caire, 1973, p. 109.
170 Durr, I, p. 891.
171 Ibid., p. 892.
172 Sur la Ṣafawiyya, cf. Trimingham, The Sufi Orders, p. 99-100 ; L. Massignon, art. « Ṭarīqa » dans E.I.1.
173 Cf. son article « Sur l’origine des Safavides », dans Mélanges Louis Massignon, Damas, 1957, III, p. 345-357. Ṣafī al-Dīn se disait déjà descendant du septième imam Mūsā al-Kāẓim.
174 Sur Ḫūǧa ʿAlī, cf. Uns, II, p. 510 ; sur Ibn al-Ṣā’iġ, ibid., II, p. 573.
175 Kaw., I, p. 308.
176 Durr, II, p. 228.
177 Durr, I, p. 381 ; Kaw., I, p. 119. Bākīr est mort à Jérusalem (s.d.), où il rejoint le groupe de Ḫūǧa ʿAlī.
178 Cette voie a déjà été présentée dans la partie consacrée à l’Égypte.
179 B. G. Martin, « A Short History of the Khalwaty Order of Dervishes » p. 284.
180 Trimingham, loc. cit., p. 69.
181 Cf. l’art. de B. G. Martin, p. 284.
182 Celle-ci est moins connue chez les ardabīlī ; voir par exemple Kaw., I, p. 308 ainsi que l’art. de Martin, p. 278.
183 Cf. Martin, loc. cit., p. 280-282. Chelebi serait mort vers 1500.
184 Cf. infra, p. 274.
185 Durr, I, p. 222 ; Kaw., I, p. 255. Rappelons qu’al-Rūšānī est le maître d’al-Damirdāš, Šāhīn et al-Gulšānī (ou al-Kulšānī).
186 Notamment chez Chelebi Khalifa (cf. B. G. Martin, loc. cit., p. 281).
187 Cf. supra, p. 215.
188 Cf. Salsabīl, p. 30 ; ʿIqd, fol. 31. Sur la parenté initiatique entre al-Bisṭāmī et al-Ḫaraqānī, cf. Trimingham, loc. cit., p. 52, note 2.
189 Cette branche chiite a pris le nom de Ṭayfūriyya, du prénom du saint ; cf. Asānīd ḥaḍrat Šāh Muḥammad al-Falwārawī, ms. communiqué par R. al-Māliḥ à Damas, fol. 19-20. Il n’y a cependant aucun crypto-chiisme à déceler chez al-Bisṭāmī. D’autres soufis ont pris la Voie des Imams, qui étaient vénérés en milieu sunnite pour leur noble ascendance et leur spiritualité. Une des principales chaînes initiatiques du monde sunnite passe par Maʿrūf al-Karḫī (m. 200/815), le fondateur de l’école de taṣawwuf de Bagdad qui s’illustrera surtout par Ǧunayd. On ne peut douter du sunnisme bien tempéré de Maʿrūf, des vertus spirituelles duquel le pointilleux Ibn al-Ǧawzī fait l’éloge (cf. supra, p. 30). Or al-Karḫī eut pour maître le huitième Imam ʿAlī al-riḍā (m. 203/818), le petit-fils de Ǧaʿfar al-Ṣādiq, ce qui explique que les Imams figurent dans plusieurs silsila-s sunnites. Des voies chiites persanes comme la Ḏahabiyya et la Niʿmatullāhiyya se rattachent également à ceux-ci par le maître bagdadien (cf. H. Corbin, Histoire de la philosophie, III, Paris, 1974, p. 1131, 1133).
190 Al-ʿUlaymī et al-Zabīdī le désignent en effet comme le ṣāḥib al-zāwiya (Uns, II, p. 504 ; Itḥāf, fol. 10). Sur son passé iraqien, cf. Durr, I, p. 543. Sur al-Ṣafī, cf. Uns, II, p. 499.
191 Cf. Uns, II, p. 534, 537.
192 Cf. Ibn Dā’ūd, Adab al-murīd, fol. 42 ; al-Mazzī, Ḥuǧǧa, fol. 77. On comprend mieux pourquoi ce cheikh hanbalite fait souvent référence, contre toute attente, à al-Bisṭāmī. Les Ibn Dā’ūd père et fils sont cependant connus à Damas comme des cheikhs qādirī.
193 Sur al-Aṭʿānī, cf. Durr, I, p. 542-543 ; Trimingham, loc. cit., p. 71, note 1. Sur la zāwiya, cf. Durr, I, p. 497, note 3.
194 Durr, I, p. 541, II, p. 155 ; Kaw., I, p. 27, 113.
195 Durr, II, p. 280-281.
196 À Ibn al-Šawyiḫ (Kaw., I, p. 73), qui la transmet au mufti damascène Muḥammad al-Kafarsūsī (Tamattuʿ, p. 190).
197 Al-Ǧunayd a d’ailleurs cherché à expliciter ces paroles et à les justifier, tandis qu’il n’a pas réagi à la condamnation d’al-Ḥallāǧ. Sur le šaṭḥ, cf. infra, p. 466.
198 Si la grande majorité des chaînes initiatiques passe par al-Ǧunayd, celles d’Asie Centrale lui échappent et passent par al-Bisṭāmī.
199 Cf. la notice qu’y consacre R. Deladrière dans sa traduction du Traité de soufisme d’al-Kalābāḏī, p. 202. Son mausolée se visite encore de nos jours.
200 Cf. al-Ziriklī, Aʿlām, I, p. 31.
201 E.I.1, art. « Ṭarīqa », p. 702.
202 Itḥāf, fol. 5.
203 Cf. Ṭāhā Surūr, al-Taṣawwuf al-islāmī, p. 151. Šaʿrānī met également dans ce lot les bisṭāmī : sans doute existe-t-il en Égypte des groupes marginaux de ces ordres, qui n’ont rien en commun avec les cheikhs que mentionnent nos biographes.
204 Durr, I, p. 823-824 ; II, p. 499.
205 Ibid., I, p. 549-552 ; Kaw., I, p. 184-185.
206 Kaw., II, p. 253.
207 Cf. l’art. « Ḳalandar » dans l’E.I.2.
208 Cf. l’art. « Ḳalandariyya », et infra, p. 346.
209 Cf. l’art. « Ḳalandariyya ». Zuhayr Šāwīš rapporte, dans son commentaire du Radd wāfir d’Ibn Nāṣir al-Dīn al-Dimašqī (p. 98) que selon certains auteurs tardifs, les Qalenders se réclameraient d’un Compagnon, porteur de l’étendard du Prophète, qu’ils appellent ʿAbd al-ʿAzīz ʿAlambardār et à partir duquel ils auraient forgé un personnage mythique ayant vécu six cents ans, mort et ressuscité plusieurs fois : nous n’avons pas trouvé mention de cette tradition dans d’autres sources.
210 L. Pouzet, loc. cit., p. 228-229.
211 Ils ont le crâne, la barbe, les moustaches et les sourcils rasés (le mot qalandar signifie d’ailleurs en persan “rasé” ; cf. Durr, II, p. 253, note 8), portent des vêtements de crin, des anneaux de fer aux mains et aux oreilles ; ils se percent pareillement la chair d’un gros anneau sous le sexe, afin de préserver leur vœu de chasteté.
212 Šāwīš en fait le résumé p. 99, note 3 de son commentaire du Radd wāfir.
213 Al-ʿUlaybī, Ḫiṭaṭ, p. 427.
214 Cf. Salsabīl, p. 30.
215 Uns ǧalīl, II, p. 504, 507 ; H. Sauvaire, « Description », p. 198-199. Celle de Damas semble fermée à l’époque d’al-Nuʿaymī, qui ne fait que reprendre Ibn Kaṯīr (Dāris, II, p. 212).
216 « Dans sa jeunesse, écrit-il, il s’était fourvoyé dans l’erreur et suivait la voie des Qalenders » (Durr, I, p. 942).
217 Ibid., II, p. 230.
218 Ibid., II, p. 13. Le même auteur mentionne ailleurs un groupe (ṭā’ifa) de Qalenders à Alep (ibid., I, p. 253).
219 La seule mention que nous ayions des Qalenders à Damas provient d’al-Ḥiṣkafī, l’auteur de la Mutʿat al-aḏhān, mais il ne fait aucun commentaire sur le personnage, visiblement persan : il s’agit d’un certain ʿAlī al-Qalandarī al-Darwīš (m. 886/1481 dans la capitale syrienne) ; cf. Mutʿa, notice n° 551.
220 Cf. Salsabīl, p. 68-74 ; Trimingham, loc. cit., p. 55-58.
221 Pour un bon résumé de cette doctrine, cf. H. Corbin, Histoire de la Philosophie, III, p. 1113-1115.
222 Ǧāmiʿ al-uṣūl, p. 7.
223 Cf. supra, p. 115. Sur le cheikh Ḫawārizmī, cf. l’art. de D. De Weese, « The Eclipse of the Kubravīyah in Central Asia », dans Iranian Studies, 21, 1988, p. 45-83 ; sur la zāwiya de Damas, cf. Ibn Ṭūlūn, Qalā’id, p. 339.
224 Durr, II, p. 181.
225 Fol. 69 et sq. De telles affinités entre Kubrawiyya et Suhrawardiyya peuvent s’expliquer par le fait qu’al-Kubrā et d’autres cheikhs de sa voie ont été affiliés à celle de l’auteur des ʿAwārif al-maʿārif ; cf. sur ce point l’étude préliminaire par Hermann Landolt du texte de Nūr al-Dīn al-Isfarāyinī, Le Révélateur des mystères, p. 25.
226 Ḥāwī, II, p. 123, 549.
227 al-Ḥuǧǧa, fol. 83.
228 Ḏaḫā’ir al-qaṣr, fol. 28-29.
229 Sur al-Tustarī, cf. Durr, I, p. 877-880 ; sur al-Ḥalabī, Durr, II, p. 616-620, et Kaw., I, p. 320 ; sur Ibrāhīm, Kaw., I, p. 107.
230 Durr, I, p. 848. Notons encore chez Ibn al-Ḥanbalī le jumelage qādirī-kubrawī.
231 Kaw., I, p. 51.
232 R.E.I., 1961, p. 61-142.
233 Pour H. Corbin, la doctrine de ce maître est « une imāmologie qui ne veut pas dire son nom » (En Islam iranien, Paris, 1972, III, p. 293) : les soufis sont décidément tous des chiites qui s’ignorent ou feignent de l’ignorer. Pourtant, le propre maître d’al-Simnānī, Nūr al-Dīn al-Isfarāyinī (m. 717/1317), était proche de l’école chafiite et professait un sunnisme de bon aloi ; cf. l’introduction du Révélateur des mystères par Hermann Landolt, p. 35-36.
234 Cf. infra, p. 246.
235 Tāǧ al-Dīn al-Subkī réserve à al-Kubrā une notice élogieuse dans ses « Classes de chafiites » ; cf. Ṭabaqāt al-šāfiʿiyya al-kubrā, VIII, p. 25-26.
236 Durr, II, p. 141.
237 Ibid., I, p. 853. Cf. aussi Les grandes dates de l’Islam, p. 127.
238 Kaw., I, p. 77, 89-90, 152.
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