vendredi 22 juin 2012

Le soufisme en Égypte et en Syrie - Éric Geoffroy - Chapitre XXI - Les débats doctrinaux













Éric Geoffroy 





I - Un héritage prophétique disputé
II - Évolution et réticences des fuqahā’ à propos du kašf et de l’ilhām
III - L’apport du “dévoilement” à l’iǧtihād
IV - “Rénovation de la religion” (taǧdīd) et soufisme : quelques données
V - le “dévoilement” et la “contemplation directe”(al-kašf wa al-ʿiyān) : une alternative aux polémiques des fuqahā’ et aux ratiocinations des théologiens
VI - À la source de la loi, au-delà des divergences entre fuqahā’
VII - Les réserves des soufis a l’égard de la théologie (al-kalām)





Au cours de notre recherche, nous avons été frappé par la récurrence des termes kašf et mukāšafa, ceci tant dans les sources biographiques que dans les textes doctrinaux et polémiques1. Le dévoilement spirituel n’est certes pas l’apanage récent des soufis ; al-Kalābāḏī (m. 380/990), par exemple, l’englobe dans la “science allusive” (ʿilm al-išāra, opposée à la science explicite de la Šarīʿa) que les ṣūfiyya détiennent en propre2. Loin d’être un procédé empirique, le kašf s’érige donc très tôt en méthode d’investigation des réalités spirituelles, et est par là susceptible d’échapper à la norme extérieure sur laquelle veillent les fuqahā’. Il en va de même pour l’ “inspiration divine” (al-ilhām). Bien que celle-ci corresponde à une modalité autre que celle du dévoilement, les soufis semblent les considérer tous deux comme des phénomènes très proches.


Si la réalité du kašf et de l’ilhām est reconnue de façon unanime par les soufis, il n’en va pas de même pour les docteurs de la Loi. Au cours de l’époque mamelouke, les avocats du taṣawwuf s’emploient cependant à imposer peu à peu leur vision des choses. De cette longue maturation, on recueille les fruits à la période qui nous concerne ; l’idée d’une pensée mystique doublant celle du fiqh – ou plutôt lui étant complémentaire – a alors fait son chemin et semble agréée par la majorité des milieux religieux.



I - Un héritage prophétique disputé


Prenons le problème à sa source. Nous savons que fuqahā’ et soufis se sont reconnus dans les ʿulamā’, “héritiers des prophètes” (al-ʿulamā’ waraṯat al-anbiyā’), selon les termes du hadith. À première vue, cette revendication commune peut paraître bien abstraite et sans incidence repérable dans l’immédiat. C’est pourtant autour d’elle que s’articule le débat essentiel entre l’observance littéraliste et imitative de la Loi révélée, fixée définitivement, et la vivification permanente de cette Révélation par l’inspiration et le dévoilement.


L’enjeu, en effet, est de taille : en parant de la certitude (al-yaqīn) leurs intuitions spirituelles, les soufis ne s’octroient-ils pas une part de la prophétie, alors que celle-ci, comme le rappelle al-Ahdal à propos d’Ibn ʿArabī, a définitivement cessé3 ? Ne s’attribuent-ils pas l’infaillibilité (ʿiṣma) des anbiyā’4 ? Les mystiques ayant un accès direct aux réalités divines ne peuvent-ils prétendre se dispenser de l’enseignement des prophètes, ou même leur être supérieurs, à l’instar de Ḫaḍir révélant à Moïse ce que cachent les apparences5 ? « Je me suis immergé dans une mer au bord de laquelle se sont arrêtés les prophètes »6 : cette parole fameuse d’Abū Yazīd al-Bisṭāmī, dont le sens obvie implique la supériorité du saint sur le prophète au plan de la Connaissance, a fait l’objet de débats passionnés d’époque en époque. Des cheikhs šāḏili en ont expliqué la parfaite conformité à l’enseignement islamique7, et il est remarquable qu’Ibn Ḥaǧar al-Haytamī consacre deux fatwas à son exégèse8. Aux fuqahā’ qui s’obstinent à déceler dans la doctrine d’Ibn ʿArabī la supériorité du saint sur le prophète, les soufis postérieurs répondent clairement que pour le maître andalou, la primauté revient de toute évidence à la prophétie, mais le nabī considéré en tant que saint (walī) est supérieur au nabī entrevu sous le seul angle de la prophétie9. Jusqu’ici, le faqīh qui cherche réellement à comprendre n’a aucune réserve à opposer.


Il en va autrement lorsque les soufis s’affirment les héritiers des prophètes10. L’emploi par Šaʿrānī, à propos des saints, de l’expression waḥy ilhāmī (“révélation inspirée”) ne manque certes pas d’inquiéter tout littéraliste, même si l’auteur des Yawāqīt développe longuement la distinction à opérer entre cette modalité et celle du waḥy prophétique11. La vision (ru’yā) durant le sommeil ou à l’état de veille constitue une voie d’accès privilégiée à l’héritage prophétique ; le Prophète lui-même voyait en elle une part de la nubuwwa12, et l’on sait l’importance qu’elle revêt dans la vie spirituelle des soufis de tous les temps13. Dans une fatwa, Suyūṭī lie implicitement le kašf et la ru’yā au waḥy : parmi ses contemporains, dit-il, beaucoup nient l’authenticité de la vision et de son interprétation (al-ru’yā wa taʿbīru-hā), car ils négligent la Révélation et la Sunna au profit des sciences rationnelles et philosophiques14. La science spirituelle des soufis prend chez l’auteur du Ḥāwī un statut quasiment infaillible. L’inspiration qui les traverse est généralement véridique, et leurs dévoilements et visions, qui leur ouvrent l’accès aux réalités divines (ḥaqā’iq), nécessitent une exégèse (ta’wīl) comme s’il s’agissait de textes scripturaires15. Ibn Ḫaldūn ne reconnaissait-il pas que prophètes et saints ont en commun la faculté de connaître le monde spirituel (al-malakūt) par la mukāšafa ? Pour les premiers, il s’agirait d’une disposition innée (ǧibilla wa ṭabīʿiyya), tandis que les seconds ne l’acquerraient que par l’effort (bi-takalluf wa iktisāb), et à un moindre degré16.


De toute évidence, ce n’est pas aux prophètes que les soufis font de l’ombre, mais bien à ceux qui se considèrent comme les gardiens patentés de la Loi : les fuqahā’. L’autorité grandissante des cheikhs du taṣawwuf au cours de l’époque mamelouke ne va pas, en effet, sans susciter des craintes chez les clercs qui se voient disputer leurs prérogatives. Le dévoilement du mystique ne concurrence pas la Révélation, mais l’interprétation littéraliste et légaliste qu’en font certains : le kašf agit en aval du waḥy prophétique et non en amont. Il double également son mode de transmission habituel. Le maître égyptien Ibn Abī al-Ḥamā’il reçoit ainsi une riwāya du Coran d’un djinn parmi les Tābiʿīn (la génération suivant celle des Compagnons), mais le texte coranique tel qu’on le connaît n’est pas mis en cause17. Par ailleurs, le dévoilement appliqué au hadith ne vise qu’à confirmer ou infirmer son authenticité18, ou à en faire l’exégèse19.



II - Évolution et réticences des fuqahā’ à propos du kašf et de l’ilhām


Dans les sources biographiques de l’époque mamelouke, on trouve aisément trace des critiques émises par les fuqahā’ envers les soufis qui prétendent percer le Mystère divin : le cheikh syrien Abū al-Riǧāl al-Manīnī (m. 694/1294) est inquiété par un groupe de notables religieux sur la question de ses dévoilements20, tandis que le chroniqueur et cadi ʿAlā’ al-Dīn al-Buṣrawī voit dans le kašf du soufi égyptien installé à Alep, Abū Bakr al-Dalyawātī (m. après 914/1509), des allégations sans fondement21. Le débat entre les partisans de la raison et ceux du “supra-rationnel” suscite dans la cité des tensions dont nous recevons parfois l’écho. Ibn Ṭūlūn relate comment Abū Bakr, le fils d’Ibn ʿArrāq, arpenta avec son groupe les rangs des fidèles venus prier la ǧumuʿa à la mosquée des Omeyyades. Affichant un accoutrement très bizzare – dans le but évident de se faire remarquer –, il clama que « le faqīh ne doit pas critiquer les soufis, car leur domaine s’étend au-delà de celui de la raison ». Les notables religieux ne bronchèrent pas, mais beaucoup comme Ibn Ṭūlūn réprouvèrent sans doute intérieurement22 une telle provocation propre à soulever des dissensions entre Musulmans. Les soufis en premier chef n’apprécièrent pas cette mascarade : une fois la prière terminée, ils profitèrent du fait qu’Abū Bakr s’était introduit dans une séance de ḏikr pour lui “tomber dessus” (waqaʿū bi-hi ḍarban). Dieu évita ainsi aux fidèles un combat général, conclut Ibn Ṭūlūn...23


Kašf et ilhām représentent pourtant un phénomène somme toute naturel et familier pour un Musulman de l’époque médiévale, à l’instar des miracles des saints. De fait, les ʿulamā’ sont partagés sur la question, et leurs positions plus nuancées qu’il n’y paraît à première vue : si al-Maqrīzī (m. 845/1442) considère le dévoilement des soufis comme pures chimère et fabulation24, Ibn Taymiyya et al-Ahdal en admettent la possibilité tout en en limitant la portée, du fait de la part d’erreur inhérente à ce procédé jugé empirique25. Le šayḫ al-Islām syrien pense que les cheikhs enclins au dévoilement tantôt disent vrai et tantôt se fourvoient, tout comme les savants maniant spéculation et argumentation en vue de l’iǧtihād26. Ne justifie-t-il pas l’inspiration (al-ilhām) face à al-Ġazālī et à Muwaffaq al-Dīn Ibn Qudāma, qu’il trouve trop “juristes” sur ce point27 ? À l’époque mamelouke, on peut mesurer le chemin parcouru depuis al-Ḥakīm al-Tirmiḏī et al-Ḥallāǧ. Ceux-ci ont en effet été persécutés, selon F. Jadaane, pour leurs prétentions à l’ « inspiration divine »28. Au vie/xie siècle, le commentateur coranique al-Nasafī refuse encore toute légitimité à l’ilhām29. On ajoutera à cela qu’Ibn Taymiyya reconnaît à l’inspiration (ilhām) une autorité en matière juridique – lorsque les sources scripturaires font défaut, bien sûr – pour apprécier l’ouverture du polémiste en ce domaine30. Dès lors, Suyūṭī peut affirmer en toute impunité que l’inspiration des soufis jaillit de la révélation prophétique31.


Si Ibn Taymiyya adopte une position aussi souple, c’est sans doute parce que les soufis ont toujours pris soin de rappeler que les sources scripturaires restaient pour eux, au même titre que pour les fuqahā’, l’unique référence. « Si ton dévoilement contredit le Livre et la Sunna, laisse le premier et agis en conformité avec les seconds ; dis-toi qu’Allāh t’a garanti l’infaillibilité (ʿiṣma) de ces deux sources, et non celle de ton dévoilement ou de ton inspiration » : Ibn Taymiyya approuve cette recommandation d’Abū al-Ḥasan al-Šāḏilī, sans en nommer toutefois l’auteur32. ʿAlī al-Ḫawwāṣ affirme à son tour qu’aucune proposition (qawl) ne fait son chemin en lui sans qu’il n’en perçoive l’origine (aṣl) dans le Coran et la Sunna33. Les maîtres du taṣawwuf énoncent évidemment les mêmes restrictions en ce qui concerne l’inspiration. Al-Ālūsī, l’auteur tardif du commentaire Rūḥ al-maʿānī, rappelle que ceux-ci montrent une grande prudence au sujet de l’ilhām, à laquelle ils n’accordent jamais une valeur juridique absolue. Al-Ālūsī prend notamment pour références al-Ǧīlānī, Ibn ʿArabī et Šaʿrānī ; ce dernier a d’ailleurs composé un ouvrage pour refréner le recours à l’inspiration34. Dans le même sillage, al-Haytamī donne à celle-ci un statut de “preuve juridique” (ḥuǧǧa), tant qu’elle ne va pas à l’encontre d’un point légal avéré (ḥukm šarʿī)35.


L’opinion spécifique d’Ibn Ḫaldūn sur le “dévoilement” nous importe, car elle semble avoir fourni un schéma repris ultérieurement. Sa réponse est à double volet. Il agrée le kašf des premiers mystiques, grâce momentanée résultant d’une foi saine (istiqāma), mais considère comme illégitime l’effort méthodique de l’école de l’unicité de l’Être (waḥdat al-wuǧūd), qui veut “soulever le voile” pour avoir accès aux réalités divines. En opposant un kašf idéalement pur et spontané à la “recherche délibérée du dévoilement” (muǧāhadat al-kašf ou mukāšafa)36, l’auteur du Šifā’ al-sā’il manie la thèse facile – et déjà rencontrée – de la rectitude des anciens soufis face aux errances des Modernes, c’est-à-dire Ibn ʿArabī et ses pairs. Ceux-ci sont encore la cible de ʿAlā’ al-Dīn al-Buḫārī dans sa Fāḍiḥat al-mulḥidīn. Tout en se fondant, en pur théologien, sur “l’évidence de la raison” (badīhat al-ʿaql) et une appréhension concrète des choses (al-ḥiss), le savant reconnaît lui aussi la validité du dévoilement tant qu’il est conforme à la Šarīʿa37 , mais il rejette la valeur absolue que les maîtres de la Waḥda lui feraient jouer dans les domaines juridique et théologique38. Or, al-Ġazālī devance bien dans le temps l’école de la Waḥda ; il affirme pourtant dans le Munqiḏ min al-ḍalāl : « À partir de cette lumière [qu’Allāh insuffle dans le cœur du croyant]39, on doit rechercher, provoquer le dévoilement spirituel. »40 Une telle quête évoque la muǧāhadat al-kašf réprouvée par l’auteur du Šifā’ al-sā’il. « Celui qui pense que les arguments consignés [par les fuqahā’] limitent de quelque façon le dévoilement ne fait que restreindre l’immense miséricorde divine », affirme al-Ġazālī dans la même page, comme s’il répondait d’avance à al-Buḫārī41.


À la fin de l’époque mamelouke, beaucoup de clercs sont encore loin d’accorder au kašf la moindre valeur légale. Abū al-Mawāhib s’étonne par exemple que beaucoup de “pseudo-juristes” (al-mutafaqqiha) rejettent des points doctrinaux sur lesquels tous les grands saints, depuis al-Ǧunayd, sont unanimes, alors qu’ils accréditent immédiatement ce qui leur parvient d’un seul faqīh, même si celui-ci s’appuie sur un argument de peu de valeur (dalīl ḍaʿīf) ou marginal (šuḏūḏ min al-qawl)42. Ibn Ḥaǧar al-Haytamī constate de son côté que la plupart des fuqahā’ considèrent l’inspiration comme de simples pensées (ḫawāṭir) sur lesquelles on ne peut bâtir aucune preuve juridique (ḥuǧǧa)43. En revanche, durant cette période, on ne relève plus aucun écrit d’envergure hostile au kašf : Ibn Ḫaldūn a attiré l’attention un siècle plus tôt sur un phénomène – la “quête du dévoilement” – qu’il n’a pu enrayer.


Force est d’ailleurs de constater que le plaidoyer en faveur du dévoilement intuitif et, d’une façon plus générale, du “supra-rationnel”, prend à cette époque de l’ampleur. Zakariyyā al-Anṣārī, par exemple, fait sienne la parole d’un de ses cheikhs affirmant que « la sphère de la sainteté s’étend au-delà du champ du mental (dā’irat al-walāya min warā’ ṭawr al-ʿaql), car elle est fondée sur le dévoilement spirituel (li-banā’i-hā ʿalā al-kašf) »44. Voici encore ʿAlī al-Ḫawwāṣ qui affirme que les vrais ʿulamā’ ne s’en remettent pas à la réflexion (fikr) et à la spéculation (naẓar), car ils boivent directement à la source de l’enseignement divin (al-taʿrīf al-ilahī)45. Grâce à la pondération dont ils font preuve, des personnalités comme Suyūṭī, Šaʿrānī ou al-Haytamī parviennent à donner au dévoilement et à l’inspiration un statut scientifique car relativisé ; cet acquis se mesure notamment à l’utilisation déjà constatée de la fatwa dans le taṣawwuf. Sous leur impulsion, la divergence fondamentale entre les deux modes d’interprétation de la Loi, l’un littéraliste et l’autre spiritualiste, s’estompe quelque peu. Šaʿrānī peut dès lors s’essayer à souligner « la concordance (al-muṭābaqa) entre la démarche des gens du dévoilement et celle des tenants de la pensée discursive (fikr) » ; ces deux perspectives constituent en effet l’axe (madār) autour duquel se discute tout point dogmatique ou doctrinal (ʿaqā’id)46.


On notera que certains maîtres du taṣawwuf mettent en garde contre une importance trop grande accordée au dévoilement dans la vie spirituelle : pour ʿAlī al-Marṣafī et d’autres cheikhs qu’il ne mentionne pas, le kašf est du niveau des novices (al-murīdūn), non des initiés (al-ʿārifūn)47. ʿAbd al-ʿAzīz al-Dabbāġ se fera plus tard l’écho d’un aphorisme soufi affirmant que « le dévoilement représente le moindre degré de la sainteté » (al-kašf aḍʿaf daraǧāt al-walāya), car on le trouve aussi bien chez les hommes véridiques (ahl al-ḥaqq) que chez les charlatans (ahl al-bāṭil)48. Mais ces cheikhs font allusion ici aux pouvoirs psychiques qui surviennent au début de l’ouverture spirituelle (fatḥ), tel que le don de double vue. Ce type de kašf est appelé “dévoilement formel” (kašf ṣūrī) car il est limité au monde physique (al-maʿhūd fī al-ḥiss), comme le remarque ʿAlī al-Ḫawwāṣ : c’est à cette faculté jugée inférieure qu’ont accès le plus souvent les “ravis en Dieu”. Tout autre est le dévoilement ouvrant sur la Gnose et les vérités métaphysiques (kašf al-ʿulūm wa al-maʿārif)49, qu’al-Dabbāġ identifie au stade supérieur de la “contemplation” (mušāhada)50.



III - L’apport du “dévoilement” à l’iǧtihād


Les soufis ne se bornent pas à prôner la reconnaissance d’un kašf qui resterait en marge du grand processus islamique de l’ “effort d’interprétation” en matière juridique ; ils prennent pied dans cette arène et y apportent leur propre vision. Cela les amène d’abord à privilégier l’iǧtihād face à l’imitation en matière de jurisprudence (al-taqlīd). L’iǧtihād correspond mieux en effet à leur conception d’une Loi vivante se révélant à chaque instant à l’intimité du croyant51. Les positions d’Ibn ʿArabī en la matière sont connues : l’effort d’interprétation a selon lui valeur d’obligation pour chaque croyant ; tout en fustigeant l’imitation aveugle du muqallid, il définit précisément les limites de l’iǧtihād52. Le Šayḫ al-Akbar a prouvé, dans ses méthodes comme dans ses conclusions, son indépendance en matière de fiqh à l’égard des écoles juridiques53. Son rang de muǧtahid est même affirmé par un de ses détracteurs54. Sans aller aussi loin, de grands ʿulamā’ de l’époque mamelouke se prononcent en faveur de la réouverture de l’iǧtihād – que l’on croit communément fermé depuis la fin du iiie/ixe siècle – et œuvrent en ce sens. Or il s’agit, outre Ibn Taymiyya55, de savants rattachés au soufisme, tels Taqī al-Dīn al-Subkī (disciple du šāḏilī Ibn ʿAṭā’ Allāh), Sirāǧ al-Dīn al-Bulqīnī (proche d’un autre maître šāḏilī, Muḥammad al-Ḥanafī), et bien sûr Suyūṭī, dont les prétentions à l’iǧtihād suscitent de vives réactions dans le milieu des ʿulamā’56.


Les maîtres de la Voie se prononcent pareillement en faveur de l’iǧtihād, de manière plus péremptoire encore que les ʿulamā’. ʿAlī Wafā attaque sur un ton moqueur celui qui observe le taqlīd :

« Resteras-tu encore longtemps enchaîné de façon illusoire par l’imitation d’un “savant éminent”, qui était lui-même enchaîné ? Sors donc des mondes visibles, libre et épanoui !57 »


De même, la seule figure de savant exotérique qui trouve grâce aux yeux de ʿAlī al-Ḫawwāṣ est celle du muǧtahid muṭlaq, qui s’efforce d’interpréter les données scripturaires de façon absolue, hors des limites d’un rite précis. Il fait de ce personnage le « véritable héritier des prophètes », au même titre que les saints58. Il établit ailleurs un parallèle entre le kašf, voie privilégiée vers la Connaissance, et son équivalent (naẓīr), l’iǧtihād des ʿulamā’59. Pour Šaʿrānī, enfin, la présence du muǧtahid à toute époque au sein de la Communauté est aussi nécessaire que celle de l’Esprit (al-rūḥ) qui insuffle la vie au monde (al-ʿālam) : si le premier disparaît, le second meurt d’inanité60.


Que les soufis soient favorables à une interprétation vivante de la Loi peut déjà engendrer, chez les fuqahā’, la crainte de certains débordements ; le péril devient plus imminent lorsque ces mêmes soufis prétendent en outre à l’iǧtihād, en s’appuyant non pas sur l’argumentation rationnelle (istidlāl) mais sur leurs dévoilements. Ainsi Suyūṭī – citant le grand cadi ʿAlā’ al-Dīn al-Qūnawī – décerne-t-il en premier lieu le droit d’interpréter la Loi aux spirituels de la Communauté, en établissant une relation proportionnelle entre iǧtihād, degré initiatique (martaba, maqām), pureté d’intention (iḫlāṣ) et crainte de Dieu (ḫawf)61. Il découle naturellement de cette équation que le gnostique détenant la certitude intérieure (yaqīn) n’a plus à suivre les ʿulamā’ en matière légale ; parvenu à ce maqām, il peut contredire ceux qui lui ont transmis la science exotérique62. La position du grand savant, notons-le, concorde tout à fait avec celles de l’extatique ʿAbd al-Qādir al-Dašṭūṭī et de l’ “illettré” ʿAlī al-Ḫawwāṣ : le véritable “saint muḥammadien”, affirme le premier, ne saurait suivre les muǧtahid-s (ici, les fondateurs des rites juridiques), car il puise sa science à la même source qu’eux63 ; le second place également, à l’instar de Suyūṭī, l’accomplissement de l’iǧtihād dans le yaqīn des soufis, bien au-delà des conjectures (ẓann) des juristes64. L’emploi du terme ẓann est d’importance, si l’on se réfère au sens hypothétique et péjoratif qu’il a dans le Coran65 : les déductions incertaines des juristes ont donc besoin d’être mesurées à l’aune du kašf, critérium suprême dans l’interprétation de la Loi66. Les “hommes de la lettre”, remarque Suyūṭī, n’ont aucun moyen d’apprécier le kašf, car leurs bases d’analyse (maṭlaʿ) diffèrent totalement de celles des soufis ; ils sont donc démunis face à tout ce qui sort du cadre de leur science acquise67. On conçoit que ʿAlā’ al-Dīn al-Buḫārī perçoive l’iǧtihād des maîtres de la Waḥda comme de la pure hérésie (ilḥād)68, et que dans son Kašf al-ġiṭā’, al-Ahdal fasse à maintes reprises du muǧtahid rompant le consensus de la Communauté (iǧmāʿ), un hérétique (kāfir) !


En dernière instance, on s’aperçoit que les soufis s’approprient le terme iǧtihād. En lui donnant une charge sémantique particulière, ils le font glisser du plan juridique à celui de la spiritualité. Selon Šaʿrānī, les grands maîtres du taṣawwuf ont atteint le degré d’iǧtihād muṭlaq dans le domaine de la Voie (fī aḥkām al-Ṭarīq) ; ils n’ont donc plus à suivre (taqlīd) aucun maître, si ce n’est le Prophète69. Il est par contre loisible de « marcher sur leurs traces, de la même manière que les muqallid imitent les [imams des quatre] rites juridiques »70. C’est en effet une relation de muqallid à muǧtahid que Šaʿrānī instaure, dans les Durar al-ġawwāṣ, entre lui et son maître ; il s’y réfère à son autorité dans les aspects exotériques comme ésotériques de l’Islam, et à ce titre, l’ouvrage rassemble bien « les fatwas d’al-Ḫawwāṣ ». La muǧāhadat al-kašf permettait aux soufis – malgré les réticences d’Ibn Ḫaldūn – de soulever le voile des apparences pour accéder à la certitude de la contemplation ; les maîtres de la fin de l’époque mamelouke vont au-delà, en fondant sur cette certitude la légitimité du kašf, voire sa suprématie dans les deux sciences, juridique et initiatique. L’homme de la discipline spirituelle (muǧāhada) a acquis – au sein de la racine ǦHD, si importante dans le vocabulaire islamique – la maîtrise intérieure et extérieure de l’iǧtihād muṭlaq.



IV - “Rénovation de la religion” (taǧdīd) et soufisme : quelques données




« Dieu envoie à cette Communauté [celle de l’Islam], au tournant de chaque siècle, un homme chargé de rénover la religion » : l’authenticité de ce hadith71 est remise en question dans un article dense et richement documenté de Ella Landau-Tasseron, « The “Cyclical Reform” : a Study of the Mujaddid Tradition »72. L’auteur y défend globalement la thèse que cette tradition a été forgée par l’école chafiite naissante, pour légitimer l’enseignement “nouveau” et donc mal accepté de l’imam al-Šāfiʿī73. Notre propos n’est pas de discuter cette thèse, mais de relever les apports de cet article à notre recherche. En premier lieu, on remarque que la qualité de “rénovateur” (muǧaddid) repose sur celle de muǧtahid. Les postulats sont en effet identiques : pour que le taǧdīd puisse être effectif à toute époque, encore faut-il que les “portes de l’iǧtihād” restent ouvertes, sans quoi la “rénovation” est caduque74. Muǧaddid et muǧtahid diffèrent en ce que le premier représente un titre honorifique attribué à une personnalité, tandis que le second définit une qualification plus technique, mais l’un et l’autre termes supposent un grand rayonnement dans un ou plusieurs domaines de la pensée islamique. La parenté entre les deux notions est affirmée par Suyūṭī, qui s’intéressa de près à la question puisqu’il suggéra être le rénovateur du ixe siècle de l’Hégire75.


L’auteur de l’article « The “Cyclical Reform” » constate que les personnalités désignées comme les rénovateurs de leur époque appartiennent tous au rite chafiite, après al-Šāfiʿī bien sûr, lui-même muǧaddid du deuxième siècle. Elle remarque également que cette marque honorifique circule dans les milieux restreints de l’élite chafiite, celle de l’Égypte mamelouke notamment. Ce fait, qui a attiré l’attention de E. Landau-Tasseron et a motivé son enquête à la source, est indéniable. Nous relevons, quant à nous, une autre connexion entre ces personnalités et le soufisme, au moins depuis al-Ġazālī, considéré comme le rénovateur du cinquième siècle. De l’auteur de l’Iḥyā’ à Zakariyyā al-Anṣārī, préféré par certains auteurs musulmans à Suyūṭī76, se profile le lignage déjà repéré de grands ʿulamā’ chafiites engagés dans le taṣawwuf.


Il y a plus : à partir de l’époque mamelouke, les muǧaddidūn sont en majorité d’obédience šāḏilī. Le fondateur de la Šāḏiliyya fut lui-même pressenti77, et Muḥammad Taqī al-Dīn Ibn Daqīq al-ʿĪd (m. 702/1302), rénovateur reconnu du septième siècle, eut pour maître Ibn ʿAṭā’ Allāh auprès duquel il est enterré78. Les deux cheikhs proposés pour le huitième siècle sont Sirāǧ al-Dīn al-Bulqīnī, proche du šāḏilī Muḥammad al-Ḥanafī et plébiscité par certains milieux soufis79, et Nāṣir al-Dīn Ibn al-Maylaq (m. 797 / 1394), maître du même al-Ḥanafī et “candidat” d’autres soufis80. Mais il faut noter que l’avènement d’al-Ḥanafī lui-même à cette fonction est daté par son hagiographe de la première nuit du mois de Muḥarram 800 h. 81. Nous connaissons par ailleurs les liens de Suyūṭī avec cette voie, tandis que ʿAlī b. Maymūn al-Fāsī, qui importe la Madyaniyya-Šāḏiliyya en Syrie, représente pour cheikh ʿAlwān et ses autres disciples le rénovateur du neuvième siècle82. Ajoutons qu’au début de notre xxe siècle, le cheikh šāḏilī Aḥmad al-ʿAlawī (m. 1353/1934) de Mostaganem affirma de façon allusive que telle était sa fonction83. L’assise des maîtres de la Šāḏiliyya entre Šarīʿa et Ḥaqīqa et leur rayonnement parmi les ʿulamā’ – dans le monde arabe tout au moins – expliquent sans doute de telles affinités avec le taǧdīd. La Naqšbandiyya, nous l’avons vu, possède des caractéristiques semblables. Le fait qu’un de ses grands représentants, Aḥmad al-Sirhindī, soit connu comme « le rénovateur du deuxième millénaire de l’Hégire » dans l’Islam oriental ne suggère-t-il pas un rapprochement supplémentaire avec la Šāḏiliyya84 ? Pour revenir à cette voie, rappelons la parole de Muḥammad al-Ḥanafī selon laquelle les Pôles spirituels seront issus de la Šāḏiliyya jusqu’à la fin des temps85.


Quoi qu’il en soit, on constate qu’à partir du viiie/xive siècle au moins, la fonction de muǧaddid est revendiquée ouvertement par les soufis en faveur de maîtres de la Voie, ce qui concorde avec l’autorité qu’acquiert progressivement le taṣawwuf à l’époque mamelouke86. On remarquera enfin que la question du taǧdīd ne suscite aucune polémique de la part des fuqahā’, même quand elle concerne des soufis. Mais il est vrai qu’elle n’a aucune incidence directe sur le plan juridique – contrairement à l’iǧtihād –, ni sur le plan politique, et nous pensons ici au mahdisme.



V - le “dévoilement” et la “contemplation directe”(al-kašf wa al-ʿiyān) : une alternative aux polémiques des fuqahā’ et aux ratiocinations des théologiens


Entre le kašf et le ʿiyān existe une relation de cause à effet souvent soulignée par les maîtres du taṣawwuf. Al-Ġazālī, par exemple, voit dans la science du dévoilement (ʿilm al-mukāšafa) le moyen d’accéder à la “perception sûre et directe” (al-ʿiyān al-laḏī lā yušakku fī-hi) des réalités spirituelles87. La contemplation de visu88 de ces réalités est en effet le fruit du dévoilement, ou plutôt de la discipline visant à obtenir ce dernier, la muǧāhadat al-kašf ḫaldūnienne. Al-Ḫaḍir, l’initiateur des soufis, enseigne précisément à Šaʿrānī que, en se soumettant à cette discipline (riyāḍa) entre les mains d’un maître, il parviendra « au point essentiel de la Loi primordiale (ʿayn al-Šarīʿa al-ūlā), de laquelle sont issues toutes les opinions (aqwāl) des ʿulamā’ »89. L’omniprésence de la divergence (ḫilāf), dans la jurisprudence islamique, troublait en effet profondément Šaʿrānī, effaré par tant de contradictions (tanāquḍ) entre les savants. Nous le voyons ainsi demander à ʿAlī al-Marṣafī pourquoi les diverses écoles90 islamiques se rejettent mutuellement, et son maître de répondre que cela est dû à leurs divers degrés d’éloignement de la source de la Loi91.


Mais seul Ḫaḍir pourra apaiser l’esprit de l’auteur d’al-Mīzān al-kubrā, en se manifestant à lui en 931/1524 sur la terrasse de la mosquée al-Ġamrī au Caire. Le guide des saints lui apprend à établir une “balance” intérieure (mīzān) au sein de la Šarīʿa, fondée sur le goût spirituel (ḏawq), sur le dévoilement et la contemplation directe (al-kašf wa al-ʿiyān) bien sûr92. Pour ce faire, Ḫaḍir emmène Šaʿrānī, ayant fermé les yeux, à la source de la Loi, d’où s’aplanissent alors les divergences entre ʿulamā’. Šaʿrānī s’aperçoit alors que « tout muǧtahid a raison » de son point de vue relatif – ce qu’il niait auparavant –, et que les controverses qui divisent les fuqahā’ s’en tenant à un seul rite (al-muqallidūn) sont dues à l’aveuglement suscité par le taqlīd93. La réalité de l’entretien entre Ḫaḍir et Šaʿrānī peut bien sûr s’apprécier différemment. Ce qui nous retient ici, ce sont la place centrale accordée à nouveau à un iǧtihād né du dévoilement, et l’approche unificatrice du soufi, cherchant à dépasser les oppositions apparentes pour aller à l’essentiel.



VI - À la source de la loi, au-delà des divergences entre fuqahā’


Plus concrètement, le trouble de Šaʿrānī témoigne d’un certain désarroi face aux polémiques qui traversent le monde des ʿulamā’94. Il est indéniable que les sujets d’ordre juridique ou théologique de ces querelles ne constituent le plus souvent qu’un prétexte ; les antagonistes semblent réellement motivés par le désir d’écraser par la plume ou la parole un rival gênant, afin d’être reconnus eux-mêmes comme une autorité95. Outre le plaisir que certains ʿulamā’ semblent trouver à polémiquer, c’est l’esprit de compétition – parfois avoué – qui suscite le débat. Prenons l’exemple du grand savant chafiite (ḫātimat ʿulamā’ al-šāfiʿiyya) d’Alep, Ḥasan Badr al-Dīn Ibn al-Suyūfī (m. 925/1519), qui ne cesse de provoquer en duel scolastique (mubāḥaṯa) le soufi et mufti malékite ʿAbd al-Nabī al-Maġribī (m. 923/1517), lorsque celui-ci s’installe dans la ville en 902/1496. Dans cette lutte d’influence (tanāfus), le chafiite utilise toutes sortes d’armes pour déprécier le malékite, « allant finalement jusqu’à lui reprocher de s’appeler ʿAbd al-Nabī (serviteur du Prophète) »96. Le motif réel de la compétition n’est pas rapporté de façon explicite, mais il semble que, plutôt que d’ostracisme en matière juridique – l’un et l’autre appartiennent à des rites différents –, il s’agisse du rejet, de la part d’Ibn al-Suyūfī, du penchant soufi et pro-akbarien du mufti malékite.


Les controverses qu’anime Suyūṭī au Caire se situent certes à un niveau plus élevé, mais il n’empêche que le personnage constitue à lui seul un redoutable facteur de dissensions. Nous butons sans doute ici sur la pierre de touche qui permet de mieux saisir le profil parfois ambigu du ʿālim soufi : par l’intérêt qu’il porte aux disputes scolastiques, Suyūṭī, comme son rival Saḫāwī, trahit son appartenance foncière au monde des ʿulamā’ et non des soufis. La preuve en est que seul un cheikh de taṣawwuf parvient, en une occasion précise, à apaiser un conflit devant lequel ʿulamā’ et dirigeants étaient impuissants : ʿAbd al-Qādir al-Dašṭūṭī, qui cherche Dieu sur les routes d’Égypte, ne voit sans doute pas l’intérêt de se quereller sur le point de savoir si les femmes verront Dieu dans l’autre monde, ou sur le fait qu’un tel soit reconnu muǧtahid ou non. Jugeant nuisibles les dissensions nées de ces questions oiseuses97, il demande à Abū Bakr Ibn Muzhir, secrétaire particulier du sultan et auteur des Taḥqīqāt wahbiyya, de s’immiscer entre les deux parties afin de parvenir à une conciliation (ṣulḥ)98.


Selon les soufis, de telles polémiques ne sont pas seulement néfastes à l’harmonie sociale de la Communauté ; elles réduisent également les possibilités de réalisation spirituelle de l’individu : le cheikh šāḏilī Abū al-Mawāhib, qui a régulièrement des visions du Prophète durant le sommeil comme à l’état de veille, se désole à un moment d’en être privé. Le Prophète lui fait alors comprendre, par l’intermédiaire de son maître, que les controverses juridiques (al-ǧidāl fī idḥāḍ ḥuǧaǧ baʿḍ al-ʿulamā’) dans lesquelles il a versé ont obscurci sa vision. « Le fiqh fait pourtant partie de ta Loi ? », s’étonne Abū al-Mawāhib. « Bien sûr, fait-il dire au Prophète, mais les savants qui s’y adonnent doivent respecter les règles de bienséance entre eux99 ! »


Le remède aux mesquineries des fuqahā’ consiste à élargir leur champ de vision étroit et tributaire d’un mode de raisonnement trop binaire. Les soufis refusent que la sphère du ʿilm soit limitée aux deux catégories traditionnellement reconnues par les exotéristes : le produit de la réflexion discursive (al-maʿqūl), et le corpus transmis de génération en génération (al-manqūl). ʿAlī Wafā, cité par cheikh ʿAlwān, invective :

« Eh toi, faqīh ! par le maʿqūl, tu es distrait [de la Réalité essentielle], et tu ne peux t’échapper du sens apparent du manqūl. »100



VII - Les réserves des soufis a l’égard de la théologie (al-kalām)


Les savants qui prétendent parler de Dieu avec leur raison font également l’objet d’attaques de la part des maîtres du taṣawwuf : « Parmi les écoles (firaq) islamiques, il n’y a pas pire que les théologiens (al-mutakallimūn) qui discourent sur l’essence divine avec leur esprit limité », affirme ʿAlī al-Ḫawwāṣ101. Cheikh ʿAlwān, suivant en cela d’autres maîtres, ramène le mot ʿaql (raison, faculté de raisonner) à son sens premier : l’entrave, le lien. Les ʿulamā’, prisonniers de leur mental (bi-ʿuqūli-him maʿqūlūn), ne font jamais partie que du “commun des croyants” (ʿawāmm ahl al-īmān)102. Le fils du maître de Hama fournit un témoignage précieux sur la façon dont les soufis sortent la théologie des méandres où elle se perd souvent : un grand savant très versé dans la dialectique se heurta à un problème de kalām qu’il exposa à ʿAlī b. Maymūn al-Fāsī ; celui-ci ne chercha pas à le résoudre par le raisonnement, mais par inspiration divine103  : la réponse lui vint, dit le narrateur, de la “Table bien gardée” (al-Lawḥ al-maḥfūẓ) dans laquelle les saints “illettrés”, tout particulièrement, peuvent lire104. Certains points délicats de théologie, affirme en écho al-Ḫawwāṣ, ne peuvent être résolus qu’au moyen du dévoilement spirituel ; ainsi en va-t-il de l’attribution de l’acte humain à Dieu ou à l’homme (kasb al-afʿāl), sur lequel al-Ġazālī n’a pu trancher105.


Le recours exclusif à la spéculation paraît stérile et malsain à ces maîtres de l’intuition. Cheikh ʿAlwān range l’art de la dialectique et de la controverse (ʿilm al-ǧadal wa al-munāẓara) parmi les sciences nuisibles (al-ʿulūm al-mufsida), car elles « ont pour but de se rapprocher des princes et des grands de ce monde ». Dans ce passage, il condamne aussi de façon plus globale le kalām, à l’instar de Suyūṭī par exemple106. Nous avons déjà évoqué les distances prises par le monde sunnite vis-à-vis de la falsafa ; remarquons maintenant qu’à l’époque qui nous concerne la théologie spéculative est souvent dépréciée pour sa connotation rationalisante et donc hellénisante. Comme le souligne Maḥmūd al-Ṭablāwī dans son livre al-Taṣawwuf fī turāṯ Ibn Taymiyya, juristes et soufis s’accordent pour réprouver la théologie107. Cheikh ʿAlwān se réfère sur ce point à Ibn Ḥanbal et al-Muḥāsibī108, mais les exemples de soufis qui affichent cette position sont nombreux : al-Anṣārī, al-Harawī, al-Sulamī, Abū Ṭālib al-Makkī, etc.109 Quand Abū al-Ḥasan al-Šāḏilī affirme que les ahl al-ǧidāl représentent les adversaires les plus acharnés des soufis et de la sainteté, on sait qu’il vise les théologiens, et rétrospectivement les muʿtazilites110.


La mystique a pourtant frayé avec une forme de kalām, celle de la théologie acharite, courant dominant au Proche-Orient. Mais cette théologie n’a qu’une fonction d’ « apologie défensive », comme le note Makdisi111 : son but est de protéger le dogme des ahl al-Sunna wa al-ǧamāʿa contre les diverses hérésies. Il s’agit donc davantage d’une dogmaītique que d’une théologie qui chercherait à « pénétrer dans la connaissance des mystères de [la ?] foi »112. Cette « sorte d’aller et retour entre le kalām et le taṣawwuf »113 ne s’est pas interrompue après al-Ǧunayd, comme semble le suggérer H. S. Nyberg114, mais se poursuit avec al-Qušayrī et al-Ġazālī. Elle se prolonge à l’époque qui nous concerne, car les traités de soufisme y contiennent souvent une profession de foi (ʿaqīda) dans laquelle l’anti-muʿtazilisme constitue un trait commun entre acharites et soufis115. Mais en cette basse période médiévale, la dogmatique acharite semble se résumer à un simple credo dépouillé de développements théologiques.


Parallèlement à l’acharisme, les mystiques ont développé depuis l’école de Bagdad le tawḥīd soufi, qu’al-Ǧunayd appelle “tawḥīd de l’élite spirituelle” (tawḥīd ḫāṣṣ)116. Il s’agit véritablement d’une alternative à la spéculation théologique, car la portée en est illuminative : le dogme de l’Unicité divine, ou tawḥīd exotérique, se transpose par le processus initiatique en réalisation effective de cette Unicité. La méthode abrupte qu’adopte Abū Bakr al-Šiblī pour libérer le terme tawḥīd de toute approche rationnelle restrictive n’a pas d’autre but117. La Risāla de cheikh Arslān de Damas constitue un beau spécimen de tawḥīd ṣūfī : référence majeure chez le cheikh ḫalwatī al-Damirdāš118, elle suscitera de nombreux commentaires, dont ceux de cheikh ʿAlwān, Zakariyyā al-Anṣārī et ʿAbd al-Ġanī al-Nābulusī119. C’est par un semblable procédé illuminatif que le soufi égyptien ʿAlī al-Nabtītī (m. 917/1511) semble résoudre “en termes fort simples” (bi-ʿibāra sahla) les questions épineuses de théologie qu’on lui soumet de l’ensemble du Moyen-Orient. Ce don est d’ailleurs implicitement lié à la faculté qu’aurait le cheikh de s’entretenir avec Ḫaḍir, le personnage dont la science transcende par excellence la raison120.








Éric Geoffroy 





Notes

1 Le kašf a déjà été abordé dans des optiques particulières ; nous l’envisageons maintenant de façon globale, en ce qu’il distingue les soufis d’autrui.

2 al-Taʿarruf, p. 87. La symbolique du “dévoilement” est par ailleurs récurrente dans la littérature islamique ; prenons-en à témoin tous les titres d’ouvrages comportant le mot kašf.

3 Kašf al-ġiṭā’, p. 274. Rappelons-nous l’état dans lequel se trouve Aḥmad al-Ṣafadī lorqu’il perçoit quelque mystère divin : la “descente” de la Révélation sur le Prophète est décrite en termes assez similaires (cf. supra, p. 318). On sait que le premier texte sacré de l’Inde, le Veda, aurait été “révélé” aux rishi ; or ce terme signifie en sanscrit “visionnaire”, “voyant”.

4 C’est l’un des griefs d’Ibn Taymiyya contre Abū al-Ḥasan al-Šāḏilī, qui emploie le mot ʿiṣma dans le Ḥizb al-baḥr et le Ḥizb al-barr ; cf. ʿAlī ʿAmmār, loc. cit., p. 260-263. Pourtant, la communauté des soufis dénie à l’évidence cette qualité aux saints et aux maîtres spirituels ; cf. par exemple A. Al-Zarrūq, Qawāʿid, p. 110 ; cheikh ʿAlwān, Šarḥ silk al-ʿayn, fol. 21 ; Šaʿrānī, Anwār, I, p. 184 ; ʿAbd al-Ra’ūf al-Munāwī, al-Kawākib al-durriyya, fol. 318a, etc. Ibn Taymiyya évoque ce point dans Maǧmūʿat al-rasā’il wa al-masā’il, éd. R. Riḍā, I, p. 43. Relevons que le terme ʿiṣma a plus généralement un sens moral ; il désigne alors l’ “impeccabilité” ; cf. E.I.2, IV, p. 192.

5 Ibn Taymiyya, Maǧmūʿ al-fatāwā, XI, p. 66, 337-338.

6 Ḫuḍtu (ou ḫuḍnā) baḥran waqafa al-anbiyā’ bi-sāḥili-hi.

7 Suyūṭī reprend sur ce point l’interprétation d’Abū al-ʿAbbās al-Mursī (Ta’yīd, p. 86-87) ; voir également celle de ʿAlī Wafā (Ṭ.K., II, p. 39).

8 al-Fatāwā al-ḥadīṯiyya, p. 130-131, 320.

9 Suyūṭī, Ta’yīd, p. 86 ; Šaʿrānī, Yawāqīt, II, p. 71-72 ; cf. également supra, p. 461.

10 « Ahl Allāh hum waraṯat al-rusul », écrit Ibn ʿArabī ; cf. Fut., I, p. 279. Cet héritage fait participer les “gens de Dieu” à la science inspirée des prophètes (le maître andalou cite le verset « yu’tī al-ḥikma man yašā’ » ; cf. Cor., II, p. 269), ce que nient les ʿulamā’ al-rusūm (ibid). Sur le rapport entre prophétie et sainteté dans la Kubrawiyya, cf. H. Landolt, Le Révélateur, introduction p. 74-75.

11 Yaw., chap. 46, II, p. 83-88. Šaʿrānī développe et précise d’ailleurs la même perspective dans le chapitre suivant, dans lequel les awliyā’ sont expressément désignés comme les légataires des envoyés divins (al-wāriṯīn li-al-rusul) : II, p. 88-92. Les saints héritent également des types spirituels des prophètes ; ce point de doctrine akbarienne est traité par M. Chodkiewicz dans Le Sceau des saints, chap. V. La filiation spirituelle constitue la véritable wirāṯa, et non l’hérédité sanguine : « Les gens me vénèrent, assure le cheikh šāḏilī Yāqūt al-ʿAršī à un descendant du Prophète (šarīf) envieux, car j’ai réellement suivi les traces de tes aïeux, tandis que tu as suivi celles des miens », c’est-à-dire celles de l’ignorance, commente Šaʿrānī (Anwār, II, p. 167).

12 Les chiffres varient selon les hadiths compilés par Suyūṭī dans son Ǧāmiʿ ṣaġīr (n° 4389 à 4393) : la ru’yā y représente tantôt la 40e partie de la prophétie, tantôt la 46e, la 50e ou encore la 70e.

13 La ru’yā a plus d’influence, si l’on en croit Ibn ʿAṭā’ Allāh, sur la génèse et la formation de la Šāḏiliyya que les événements du monde physique (cf. ses Laṭā’if al-minan). Voir également T. Fahd, La divination arabe, p. 303-307.

14 Ḥāwī, I, p. 343.

15 Ibid., I, p. 342-343. Cf. également son Tanbīh al-ġabī, p. 41.

16 Šifā’ al-sā’il, p. 210.

17 Al-Sanūsī, Salsabīl, p. 50.

18 Cf. supra, p. 100.

19 « Certains gnostiques perçoivent d’emblée tous les enseignements (ḥikam) que contient une seule parole prophétique », dit ʿAlī al-Ḫawwāṣ à Šaʿrānī (Durar al-ġawwāṣ, p. 30). La vigilance s’impose cependant : Zakariyyā al-Anṣārī met en garde contre l’ignorance de certains cheikhs de zāwiya-s qui attribuent au Prophète des paroles prononcées en fait par d’anciens maîtres de la Voie (Šaʿrānī, Anwār, II, p. 195). Les invectives d’al-Ahdal contre les soufis pour leur laxisme en matière de hadith – reproche souvent adressé à al-Ġazālī – nous paraissent tendancieuses, vu le nombre des traditionnistes proches du taṣawwuf (Kašf, p. 279). Il eût été préférable que le censeur précisât quels cheikhs il visait.

20 Imtaḥana-hu ǧamāʿa min aʿyān al-nās fī amr al-mukāšafāt ; cf. Ibn Faḍl Allāh al-ʿUmarī, Masālik al-abṣār, VIII, p. 176.

21 La-hu [...] daʿāwā min al-kašf wa ġayri-hi ; cf. Tārīḫ, p. 171.

22 « Son attitude ne me plut pas du tout et je le blâmai en moi-même. » Le jugement du savant sur le personnage est d’ailleurs globalement péjoratif ; il mentionne, par exemple, d’entrée de jeu, que cet Abū Bakr est surnommé « celui qui s’attaque à la pudeur [des autres] » (sarrāq al-ḥišma).

23 Kafā Allāh al-mu’minīn al-qitāl ; cf. Mufākaha, II, p. 107.

24 Ǧumlat kašfi-him wahm wa ḫayāl wa ẓunūn kāḏiba wa muḥāl ; cf. Anawati, loc. cit., p. 28. L’historien égyptien, ne l’oublions pas, fut également cadi. Il est visiblement influencé par Ibn Taymiyya sur les questions de mystique (cf. son Taǧrīd al-tawḥīd al-mufīd, Le Caire, 1373 h., p. 20, 31 notamment), mais il force la pensée du cheikh syrien, ce qui est souvent le cas des ʿulamā’ se réclamant de ce dernier.

25 Cf. Maǧmūʿ al-fatāwā, XI, p. 65, 338-339 ; à noter qu’ailleurs (ibid., X, p. 548), Ibn Taymiyya fait de la mukāšafa « une sorte de science déchirant [le voile des habitudes] » (ǧins min al-ʿilm al-ḫāriq), en référence au ḫarq al-ʿādāt. Cf. également Kašf al-ġiṭā’ (sic) d’al-Ahdal, p. 276. Similaire est la position de Muḥammad al-Šawkānī (m. 1250/1834) ; cf. son Qaṭr al-walī ʿalā ḥadīṯ al-walī, p. 249, 254.

26 Maǧmūʿ al-fatāwā, XI, p. 65. Or, si tout muǧtahid – comme l’affirme le hadith – est rétribué dans les deux cas pour son effort, il doit en être de même, par analogie, pour les cheikhs gratifiés du kašf. Ibn Taymiyya affirme encore dans son Naqḍ al-manṭiq que les inspirations et contemplations qui surviennent aux mystiques sont parfois authentiques : la lumière de la prophétie (nūr al-nubuwwa) constitue le seul critère de distinction dans ce domaine (cité par ʿAbd al-Raḥmān Dimašqiyya, dans Abū Ḥāmid al-Ġazālī wa al-taṣawwuf, p. 172).

27 Cf. l’art. de G. Makdisi, Ibn Taimīya : « A Ṣūfī of the Qādiriya Order », p. 128. Fehmi Jadaane note que l’inspiration n’a obtenu gain de cause qu’à une période assez tardive ; cf. son art. « Révélation et inspiration en Islam », dans S.I., XXVI, 1967, p. 27.

28 Ibid., p. 46.

29 Ibid., p. 36.

30 Cf. G. Makdisi, « Ibn Taimīya : a ṣūfī... », p. 128. ʿAbd al-Raḥmān Dimašqiyya, dans Abū Ḥāmid al-Ġazālī wa al-taṣawwuf (p. 167), affirme cependant qu’Ibn Taymiyya critique l’auteur de l’Iḥyā’ pour le statut scientifique qu’il accorde au kašf, ce qu’il imputerait à une influence de la philosophie. Les paroles les plus contradictoires sont décidément attribuées au cheikh syrien ; mais il est vrai que ses positions fluctuent parfois, car on s’en aperçoit en parcourant son œuvre pléthorique.

31 Cf. supra, p. 479.

32 Cf. son Naqḍ al-manṭiq, cité par ʿAbd al-Raḥmān Dimašqiyya, loc. cit., p. 172. Ceci ne l’empêche d’ailleurs pas d’accuser le maître éponyme de la Šāḏiliyya d’attribuer aux saints la ʿiṣma. Al-Ahdal retourne également la parole d’al-Šāḏilī contre les soufis de la waḥdat al-wuǧūd et l’usage outrancier qu’ils feraient du kašf (cf. loc. cit., p. 276). Il faut cependant noter qu’Ibn ʿArabī lui-même prodigue des conseils similaires à celui d’al-Šāḏilī.

33 Yawāqīt., II, p. 95.

34 Le titre en est : Ḥadd al-ḥusām fī ʿunuq man aṭlaqa īǧāb al-ʿamal bi-al-ilhām. Le maître indien Aḥmad al-Sirhindī (m. 1034/1624) insiste également sur le fait que l’ilhām ne peut en aucun cas « rendre licite un interdit ni prohiber ce qui est permis ». Cf. Maḥmūd Šihāb al-Dīn al-Ālūsī, Rūḥ al-maʿānī fī tafsīr al-Qur’ān al-ʿaẓīm wa al-sabʿ al-maṯānī, Beyrouth, 1398 h., XVI, p. 17-18. F. Jadaane rapporte les mêmes réserves de la bouche du mystique hanbalite ʿAbd Allāh al-Anṣārī al-Harawī (loc. cit., p. 39).

35 Fat. ḥadīṯiyya, p. 321. Cheikh ʿAlwān défend l’ilhām de façon plus poétique, en citant un vers d’Ibn al-Fāriḍ : « Il existe, au-delà de la raison, une science imperceptible aux esprits les plus perspicaces » ; cf. Šarḥ silk al-ʿayn, fol. 25b. Sur l’impuissance de la raison face au dévoilement et à la “gustation” spirituelle (ḏawq) chez Ibn al-Fāriḍ, cf. M. M. Ḥilmī, Ibn al-Fāriḍ wa al-ḥubb al-ilāhī, p. 134.

36 Cf. le chap. 2 de cet ouvrage, à opposer au chap. 4, et aussi la Muqaddima (trad. V. Monteil), p. 121, 519-520, 523. L’ambiguïté de cette distinction est remarquée par R. Pérez (La Voie et la Loi, p. 34).

37 Il ouvre même sa risāla par ce sujet, ce qui montre l’importance qu’il revêt (fol. 106a, 107a).

38 Cf. fol. 106b (différence entre le kašf rabbānī et le kašf šayṭānī), 110b-111a (leur kašf est dû à la “ruse d’Iblīs”, le talbīs Iblīs d’Ibn al-Ǧawzī), fol 118a (la prétention au dévoilement a pour but de masquer leur incapacité d’apporter des arguments concrets). Al-Biqāʿī cite sur ce point de longs extraits du texte d’al-Buḫārī dans son Tanbīh al-ġabī (p. 190-195).

39 Selon un hadith.

40 Min ḏālika al-nūr yanbaġī an yuṭlaba al-kašf ; cf. Al-Munqiḏ, p. 14.

41 Ibid.

42 Cf. Qawānīn ḥikam al-išrāq, p. 103 ; Ṭ.K., II, p. 79. Le dévoilement joue évidemment un grand rôle dans la philosophie illuminative de l’Išrāq ; cf. sur ce point E. I. Jurji (Illumination, p. 4-15).

43 Al-Haytamī reconnaît avec les juristes que les soufis ne possèdent pas l’infaillibilité (ʿiṣma), mais il rappelle que le saint (walī) jouit néammoins de la protection divine (ḥifẓ) face aux péchés (al-Fatāwā al-ḥadīṯiyya, p. 322).

44 Kaw., I, p. 203 ; voir également ses Futūḥāt ilahiyya (supra, p. 151).

45 Ṭ.K., II, p. 152. Al-Ḫawwāṣ met cependant l’accent sur le fait que le débutant doit se hisser par le fikr (ou tafakkur) jusqu’à la perfection ; parvenu à ce niveau-là, il percevra par dévoilement ce qu’il appréhendait par le mental (ibid., II, p. 154).

46 Yawāqīt, I, p. 2.

47 Šaʿrānī, Anwār, II, p. 91, 202.

48 al-Ibrīz, II, p. 276-277.

49 Durar al-ġawwāṣ, p. 31.

50 al-Ibrīz, II, p. 277. Cf. également D. Gril, introduction de la Risāla, p. 59.

51 « Vous prenez votre science de “savants de la lettre” (ʿulamā’ al-rusūm) mortels qui se succèdent les uns aux autres, tandis que nous recevons la nôtre du Vivant qui ne meurt pas » : ainsi s’adressait Abū Yazīd al-Bisṭāmī aux fuqahā’ de son temps. Ce défi est souvent cité dans les ouvrages de taṣawwuf ; cf. par exemple Fut., I, p. 280 ; Ṭ.K., I, p. 5.

52 Cf. Les Illuminations de la Mecque, p. 208, 210-211, 214, 525.

53 Notons à ce propos que l’expression maḏhab akbarī n’est pas employée par Ibn ʿArabī, mais par des auteurs comme M. Chodkiewicz et M. Ġurāb (ibid., p. 190 ; al-Fiqh ʿinda al-Šayḫ al-Akbar, Damas, 1981) ; elle doit être envisagée comme une figure de style, car le maître andalou n’a fondé aucune école juridique.

54 D’après Ibn Ḥaǧar al-Haytamī, Fat. ḥadīṯiyya, p. 335. Il s’agit sans doute d’al-Ḏahabī, qui rapporte qu’Ibn ʿArabī fut désigné par les ʿulamā’ de l’Occident musulman comme un muǧtahid (ibid., p. 52).

55 H. Laoust aborde sa position sur l’iǧtihād dans son Essai, p. 226-230, ainsi que dans l’article « Le hanbalisme sous les Mamlouks bahrides », p. 36, 98.

56 Cette question nourrit la majeure partie de la longue notice des Ṭabaqāt ṣuġrā consacrée par Šaʿrānī au savant égyptien (p. 22-28). Relevons que pour Suyūṭī, l’iǧtihād ne s’applique pas uniquement à la Šarīʿa (fiqh), mais également à la langue arabe et au hadith (p. 24-25 notamment).

57 Kam, yā faqīh tabqā kaḏā marbūṭ bi-al-wahm maʿa taqlīd faḥl ḏā al-marbūṭ ? Wa-uḫruǧ ʿan al-akwān wa-ibqa ḫalīʿ mabsūṭ. Cité par cheikh ʿAlwān (Šarḥ silk al-ʿayn, fol. 25b). La langue employée, on l’aura remarqué, emprunte beaucoup au dialectal.

58 Yaw., II, p. 100. N’oublions pas que les quatre imams-fondateurs de maḏhab-s sont considérés dans le sunnisme comme des awliyā’ : la science exotérique qu’ils ont transmise ne représente que la face visible d’une autre science (cf. par exemple al-Haytamī, loc. cit., p. 324).

59 Durar al-ġawwāṣ, p. 31-32. Une dialectique similaire se fait jour dans la personne du Prophète, entre les termes waḥy et iǧtihād ; cf. Eric Chaumont, « La problématique classique de l’ijtihād et la question de l’ijtihād du Prophète : ijtihād, waḥy et ʿiṣma », dans S.I., LXXV, p. 1992, p. 112.

60 al-Aǧwiba al-marḍiyya, fol. 58a.

61 Ta’yīd, p. 54.

62 Iḏā iftataḥū hāḏā al-maqām ḫālafū man ḥamalū ʿan-hu al-ʿilm : Suyūṭī cite ici le Qūt al-qulūb d’Abū Ṭālib al-Makkī (ibid., p. 26). L’usage abondant que fait l’auteur du Ta’yīd de la citation lui permet d’avancer des propositions audacieuses sous le couvert d’autorités diverses du sunnisme.

63 Šaʿrānī, al-Mīzān al-ḫaḍiriyya, édité par ʿAbd al-Raḥmān Maḥmūd, Le Caire, 1989, p. 36.

64 Yawāqīt, II, p. 100. Peut-être al-Ḫawwāṣ fait-il ici référence à Ibn ʿArabī, qui oppose en matière de fatwa la certitude qu’apporte la “vision intérieure” (baṣīra) des soufis au ẓann des juristes ; cf. Fut., I, p. 280.

65 Cette “opinion” est d’ailleurs le seul résultat que l’on reconnaisse traditionnellement à l’iǧtihād ; cf. l’art. « Idjtihād » dans E.I.2.

66 « Celui qui parvient au degré du dévoilement (maqām al-kašf), dit le maître de Šaʿrānī, se rend compte que les imams de l’iǧtihād ne sortirent en rien du Livre et de la Sunna » (Yaw., II, p. 94). La concordance entre les deux méthodes d’investigation est donc affirmée, mais la primauté revient au dévoilement, de par son lien direct avec les réalités divines. Pour Ibn ʿArabī également, la réflexion menée dans l’iǧtihād doit être « corroborée par le dévoilement intuitif » (cf. Les Illuminations de la Mecque, p. 335).

67 Tanbīh al-ġabī, p. 41.

68 Fāḍiḥat al-mulḥidīn, fol. 111a.

69 al-Aǧwiba al-marḍiyya, fol. 58a. L’iǧtihād muṭlaq dont se réclame le « Pôle » Muḥammad Abū al-Ḥasan al-Bakrī semble ainsi étroitement associé à l’ “illumination” (fatḥ) qui survint rapidement chez lui (Kaw., II, p. 195).

70 Ṭ.K., I, p. 12. Le sens spirituel que revêt chez Ibn ʿArabī le mot iǧtihād est évoqué p. 513, note 9 des Illuminations de la Mecque.

71 Il ouvre le Kitāb al-Malāḥim, dans les Sunan d’Abū Dā’ūd.

72 Paru dans S.I., LXX, p. 1989, p. 79-117.

73 Cf. notamment p. 99, 103, et toute la fin de l’article.

74 Cf. « The “Cyclical Reform” », p. 83, ainsi que l’art. « Mudjtahid » dans E.I.2, VII, p. 298.

75 Cf. al-Kašf ʿan muǧāwazat hāḏihi al-umma al-alf, dans le Ḥāwī (II, p. 248), et al-Taḥadduṯ, p. 215-227 ; E. M. Sartain, loc. cit., p. 69-72 ; E.I.2, art. « Mudjaddid », VII, p. 292, et art. « Mudjtahid », VII, p. 298-299 ; « The “Cyclical Reform” », p. 87. Saḫāwī, notamment, conteste à son pair cette ambition ; l’histoire témoigne cependant en faveur de Suyūṭī, si l’on s’en tient à l’intérêt que suscitent encore de nos jours l’homme et son œuvre. Celui-ci établit une liste des muǧaddidūn jusqu’au VIIIe siècle de l’Hégire – liste inspirée en partie de Tāǧ al-Dīn al-Subkī (Tabaqāt šāfiʿiyya, I, p. 199-203) – dans un poème intitulé Tuḥfat al-muhtadīn bi-asmā’ al-muǧaddidīn (cité par Aḥmad al-Maqarrī – l’auteur du Nafḥ al-ṭīb – dans ses Azhār al-riyāḍ fī aḫbār ʿIyāḍ, III, p. 56-58). Cf. également « The “Cyclical Reform” », p. 87, note 32.

76 Notamment ʿAbd al-Qādir al-ʿAydarūsī (al-Nūr al-sāfir, p. 124) et Muḥammad al-Muḥibbī (Ḫulāṣat al-āṯār fī aʿyān al-qarn al-ḥādī ʿašar, Beyrouth, 1966, III, p. 346) ; cf. aussi « The “Cyclical Reform” », p. 90, 93-94. Le grand cadi n’a pourtant jamais prétendu à un tel rang.

77 Cf. « The “Cyclical Reform” », p. 93.

78 Cf. Al-Kūhīn al-Fāsī, al-Ṭabaqāt al-šāḏiliyya, Le Caire, 1347 h., p. 96. Le taṣawwuf du grand cadi – qu’al-Biqāʿī lui-même appelle ṣūfī (Taḥḏīr al-ʿibād, p. 215) – est évoqué par Muḥammad al-ʿUzayzī dans son livre Ibn Daqīq al-ʿĪd, Amman, 1990, p. 108 et sq.

79 Sur al-Bulqīnī, cf. supra, p. 157, et « The “Cyclical Reform” », p. 93. E. Landau-Tasseron aborde les rapports du taǧdīd avec le soufisme dans ce seul passage.

80 Selon Suyūṭī (al-Maqarrī, loc. cit., III, p. 58). Dans le Taḥadduṯh (p. 225), il dénie cette fonction à Ibn al-Maylaq, car celui-ci est mort trois ans avant l’avènement du ixe siècle (or il est admis que le rénovateur d’un siècle doit mourir au début du siècle suivant). Sur Ibn al-Maylaq, cf. notamment Ibn Ḥaǧar, Durar, III, p. 494-495 ; Ibn Qāḍī Šuhba, Tārīḫ, p. 568 ; Suyūṭī, Ḥusn al-muḥāḍara, p. 254.

81 Al-Battānūnī, al-Sirr al-ṣafī, I, p. 22.

82 Ibn al-Ḥanbalī, Durr al-ḥabab, I, p. 958 ; Muḥammad Šams al-Dīn al-Ḥamawī, Tuḥfat al-ḥabīb, fol. 87b. Ce dernier, fils de cheikh ʿAlwān, reconnaît de façon naturelle le muǧaddid en la personne de son père (ibid.).

83 M. Lings, Un saint soufi du xxe siècle, Paris, 1990, p. 94. L’allégation du cheikh, notons-le, a uniquement un sens spirituel.

84 Cf. supra, p. 244.

85 Cf. Ibn ʿAyyād, Mafāḫir, p. 150.

86 Dans le Naǧm al-sāʿī d’Aḥmad al-ʿAydarūs (Le Caire, 1976, p. 103), le Prophète annonce à Aḥmad al-Rifāʿī qu’il est le muǧaddid du VIe siècle ; mais ce texte date du xve siècle, et il faut sans doute voir là une revendication postérieure des disciples du maître.

87 Iḥyā’ ʿulūm al-Dīn, Beyrouth, 1983, I, p. 20. Rappelons que pour Suyūṭī, le kašf débouche sur la “certitude” (al-yaqīn).

88 Le terme ʿiyān, dérivé du mot ʿayn (œil, essence), implique une relation “visuelle”, “essentielle” entre deux choses.

89 al-Mīzān al-ḫaḍiriyya, p. 10.

90 Littéralement : “sphères” (dawā’ir).

91 Fa-qāla : li-tafāwuti-him bi al-qurb min ʿayn al-Šarīʿa ; cf. Aǧwiba, fol. 129a.

92 al-Mīzān al-ḫaḍiriyya, p. 8, 10. Les deux derniers termes sont très souvent accolés dans cet ouvrage. Šaʿrānī emploie également, pour désigner la contemplation, le mot šuhūd, vocable technique plus générique (p. 11, ou, dans la bouche de ʿAbd al-Qādir al-Dašṭūṭī, p. 138) ; cf. également Aǧwiba, fol. 125a, 127b. Dans ses Laṭā’if al-minan, Ibn ʿAṭā’ Allāh énonce la supériorité du šuhūd et du ʿiyān sur l’argumentation rationnelle (al-dalīl wa al-burhān) ; cf. p. 24.

93 Littéralement, le taqlīd est un voile (ḥiǧāb) opaque, que le kašf n’a pas soulevé et qui barre l’accès à l’essence de la Šarīʿa. Le muqallid est aussi présenté comme prisonnier (maḥbūs) de son rite juridique (al-Mīzān al-ḫaḍiriyya, p. 11).

94 Notons que celles-ci s’estompent partiellement avec le pouvoir ottoman – au moins durant le xe/xvie siècle – par le contrôle plus grand que ce dernier exerce sur la classe des ʿulamā’ et son dirigisme en matière religieuse (suprématie du rite hanafite, positions officiellement pro-soufies et pro-akbariennes...).

95 Concernant la jalousie de Saḫāwī à l’égard de Suyūṭī, il faut noter l’impartialité de Muḥammad al-Šawkānī (m. 1250/1834) : celui-ci, pourtant anti-akbarien comme l’auteur du Ḍaw’, relève cette rancœur et s’en indigne (al-Badr al-ṭāliʿ, I, p. 328-335).

96 Kaw., I, p. 179, 256. L’opinion qui prévaut dans le sunnisme est que l’on ne peut adjoindre au mot ʿabd qu’un nom divin. En milieu chiite, par contre, on trouve davantage le prénom ʿAbd al-Nabī, mais ʿabd n’a plus alors le sens d’adorateur, mais celui de serviteur. Ibn al-Ḥanbalī récuse les attaques d’Ibn al-Suyūfī sur ce point : d’une part al-Maġribī n’a pas choisi son prénom, d’autre part une telle appellation n’est pas illicite (Durr, I, p. 866).

97 « Al-šarr al-laḏī bayna al-ʿulamā’ laysa bi-ḥasan », lui fait dire Suyūṭī (al-Taḥadduṯ bi-niʿmat Allāh, p. 194).

98 Suyūṭī rapporte les circonstances du conflit dans le Taḥadduṯ (p. 190 et sq.) ; cf. également E. M. Sartain, loc. cit., p. 58-59. Al-Dašṭūṭī ne s’adresse certainement pas à Ibn Muzhir par hasard : nous avons vu le rôle central que joue celui-ci dans les débats sur la mystique, ainsi que les affinités étroites qu’il entretient avec elle.

99 Balā, wa lākin yaḥtāǧu ilā adab bayna al-a’imma (cf. Ṭ.K., II, p. 74-75). Le Prophète renvoie implicitement le cheikh dans le champ du taṣawwuf, lieu de la politesse spirituelle. On ne peut que mettre cette réponse en regard de l’affirmation d’Ibn ʿArabī, selon laquelle « à toute époque, les gens les plus hostiles à ceux qui ont reçu la science innée sont les savants pratiquant la controverse (ahl al-ǧidāl) sans adab » ; cf. les Futūḥāt, cité par Šaʿrānī, Yaw., I, p. 16.

100 Cheikh ʿAlwān, Šarḥ silk al-ʿayn, fol. 25b. Ce dernier affirme à son tour que l’information transmise sur un objet ne peut en aucun cas avoir la valeur de sa contemplation directe : laysa al-ḫabar ka-al-ʿiyān (ibid., fol. 26b).

101 Ṭ.K., II, p. 158.

102 Qu’il oppose évidemment à l’ “élite” (al-ḫawwāṣ), c’est-à-dire les soufis (Šarḥ silk al-ʿayn, fol. 25a-b).

103 « Si Dieu nous dévoile le sens profond de cette question, nous t’en aviserons », dit le cheikh à son interlocuteur.

104 Cf. Tuḥfat al-ḥabīb, fol. 76a-b.

105 Ṭ.K., II, p. 157. On notera que pour le maître indien Aḥmad al-Sirhindī (m. 1023/1614), ni la raison ni le “dévoilement” ne sont fiables ; le kašf peut en effet contredire la Loi, non par “inspiration satanique” (ilhām al-šayṭān) mais comme suite à la “puissance imaginative” (al-quwwa al-mutaḫayyila) de l’homme. Le cheikh naqšbandī dépasse l’opposition entre ʿaql et kašf en s’attachant au seul enseignement prophétique. Cf. Abū al-Ḥasan ʿAlī al-Nadawī, al-Imām al-Sirhindī, ḥayātu-hu wa aʿmālu-hu, Koweit, 1983, p. 172, 196-197, 204.

106 Cf. l’ouvrage de ce dernier al-Amr bi-al-ittibāʿ wa al-nahy ʿan al-munkar (p. 29-30).

107 Le Caire, 1984 ; cf. le chap. 2 (p. 74 et sq.) : al-ittifāq bayna al-salafiyya wa mašāyiḫ al-ṣūfiyya fī ḏamm ʿilm al-kalām wa al-mutakallimīn. Comme le souligne G. Makdisi, la théologie traditionaliste – notamment hanbalite – n’a jamais eu pour nom al-kalām, mais uṣūl al-Dīn (les fondements de la religion) ; cf. L’Islam hanbalisant, p. 70.

108 Šarḥ silk al-ʿayn, fol. 156a.

109 Al-Ṭablāwī, loc. cit., p. 75-76, où il cite Suyūṭī. Les réticences d’al-Ġazālī vis-à-vis du kalām sont examinées par R. Deladrière dans Le Tabernacle des lumières, Paris, 1981, p. 17-18.

110 Ṭ.K., I, p. 7.

111 L’Islam hanbalisant, p. 68.

112 Ibid.

113 Selon l’expression de D. Gril, dans son compte-rendu du livre de R. Gramlich, Die Wunder der Freunde Gottes. Theologien und Erscheinungsformen des islamischen Heiligenwunders, dans Bulletin critique des Ann. Isl., n°6, 1989, p. 61.

114 Dans son article paru dans Classicisme et déclin culturel, p. 131.

115 Les uns et les autres honnissent, chez les partisans de l’iʿtizāl, le rejet des karāmāt des saints (cf. par exemple la Risāla fī karāmāt al-awliyā’ de Zakariyyā al-Anṣārī, ms. Damas). Ces professions de foi sont légion : la ʿAqīdat al-ṣūfiyya de cheikh ʿAlwān (ms. Damas), comme celle qui ouvre les Nasamāt al-asḥār du même auteur, sont basées sans surprise sur l’Iršād d’al-Ǧuwaynī et l’Iḥyā’ d’al-Ġazālī (Nasamāt, fol. 1-5). Le fils et successeur du maître de Hama, Muḥammad Šams al-Dīn, reprend les mêmes références dans sa Tuḥfat al-ḥabīb, mais la matière est plus ample (Tuḥfat al-ḥabīb, fol. 27b-71a). À Jérusalem, le mufti soufi Muḥammad b. Abī al-Luṭf al-Ḥiṣkafī compose dans le même sens un commentaire de la ʿaqīda du maître maghrébin Abū Madyan (ms. Damas). Suyūṭī, on s’en doute, ne demeure pas sur la réserve ; il expose en détail le dogme – acharite – « que les soufis adoptent de façon unanime » (cf. Ta’yīd, p. 51-54), et approuve l’historien Ṣalāḥ al-Dīn al-Ṣafadī qui ne voit rien dans la ʿaqīda d’Ibn ʿArabī qui contredise l’acharisme (cf. Tanbīh al-ġabī, p. 71).

116 Ṭ.K., I, p. 11.

117 « Celui qui parle de l’Unité est un athée, affirme-t-il. Celui qui l’expose par signe est un dualiste. Celui qui l’exprime par image est un idolâtre. Celui qui parle est un insouciant et celui qui se tait est un ignorant... » ; cité notamment dans les Lumaʿ d’al-Sarrāǧ (p. 30).

118 Son ouvrage de tawḥīd s’intitule al-Qawl al-farīd fī maʿrifat al-tawḥīd ; cf. Rasā’il al-šayḫ Damirdāš, p. 2-27.

119 Cf. ʿIzzat Ḥaṣriyya, Šurūḥ risālat šayḫ Arslān. Cheikh ʿAlwān incite cependant à la vigilance en ce qui concerne le tawḥīd ṣūfī. Certains auteurs composent en effet sous ce nom des traités pernicieux qui ne touchent que “l’écorce de la Réalité divine” (qišr al-Ḥaqīqa) et ne sont que “divagations sur le tawḥīd” (laqlaqat al-tawḥīd) ; ces traités, qui ne sont fondés ni sur la Loi ni sur la Voie, conduisent directement leurs auteurs à l’hérésie (al-zandaqa), l’incarnationnisme (al-ḥulūl) et au laxisme religieux (al-ibāḥa) ; cf. Šarḥ silk al-ʿayn, fol. 156a.

120 Ṭ.K., II, p. 124 ; Kaw., I, p. 281.

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