lundi 17 septembre 2012

`Abd ar-Razzâq al-Qâshânî : Les interprétations ésotériques du Coran. Présentation par Turba Philosophorum


Turba Philosophorum




`Abd ar-Razzâq al-Qâshânî : Les interprétations ésotériques du Coran.
Traduction, notes et commentaires de Michel Vâlsan. Éditions
Koutoubia, collection Bibliothèque traditionnelle, 2009.


Réédition marquante dans le domaine de l'ésotérisme islamique que celle de ces extraits du commentaire du Coran par Qâshânî (mort en 1329), traduits et annotés par Michel Vâlsan dans la revue Études Traditionnelles il y a maintenant plus de quarante ans. Ce Tafsîr est un des rares commentaires du Livre révélé qui se présente explicitement comme ésotérique (ta'wîl), c'est assez dire son importance1. Il fut imprimé en arabe à la fin du XIXe siècle sous le nom d'Ibn Arabî, et cette attribution erronée a naturellement contribué à la renommée de l'ouvrage. Quoi qu'il en soit, ce commentaire se rattache indubitablement au taçawwûf, et plus particulièrment à l'école doctrinale du shaykh al-akbar; la traduction proposée constitue donc pour le lecteur occidental une excellente porte d'entrée pour approcher le mystère de la révélation coranique. Par ailleurs, ce type d'ouvrage nécessite pour le lecteur en question d'être lui-même commenté et annoté afin de baliser un terrain avec lequel il n'est généralement pas familier, voire de bien cadrer la terminologie utilisée d'éviter certains malentendus; c'est pourquoi il importe de souligner que les annotations de Michel Vâlsan se révèlent extrêmement précieuses et démontrent s'il en était besoin la maîtrise de leur auteur en ce domaine. C'est  l'occasion de rappeler que la grande majorité des travaux qui ont paru en français sur Ibn Arabî et sa doctrine depuis le dernier quart du siècle passé ont une dette avouée ou non vis-à-vis de celui qui « est considéré comme le véritable fondateur des études akbariennes en Occident » (quatrième de couverture).

Le recueil porte comme sous-titre : « Les Clefs : La Fâtihah et les Lettres Isolées ». Les extraits présentés dans ce volume concernent donc d'une part la première sourate du Coran, « Celle qui ouvre », et donc en particulier la Basmala, et d'autre part les énigmatiques « Lettres isolées » qui figurent en tête de certaines sourates. Dans le cadre forcément très restreint de ce compte-rendu, nous nous bornerons à quelques remarques sur ce dernier thème, moins connu que le premier.

Tous les passages relatifs à ces « sigles coraniques » ont été ici rassemblés par le traducteur, bien que dans l'ouvrage original chacun soit commenté avec la sourate dont il forme le début. Les sourates en tête desquelles on trouve des lettres « isolées » sont au nombre de 29 ; certaines de ces lettres apparaissent seules, d'autres forment des groupes de deux, trois, quatre ou cinq lettres. Le nombre total de ces lettres, avec les répétitions est de 78, qui est le triangle de 12. Il est également à noter que sur les 28 lettres de l'alphabet arabe, 14 exactement entrent dans la composition des monogrammes. Ces simples remarques laissent déjà entrevoir l'importance du symbolisme des nombres – de toute manière indissociable en arabe de celui des lettres – pour l'étude de leur signification, mais cet aspect, signalé par le traducteur, n'est pas développé en tant que tel par Qâshânî lui-même. Il nous paraît toutefois très significatif que dès le commentaire relatif à la deuxième sourate2, celui-ci fasse clairement allusion à des considérations d'ordre cyclique et eschatologique : « ALIF – LÂM – MÎM est le ... livre "promis" comme devant être avec le Mahdî à la fin des temps, et qui ne sera lu, tel qu'il est en réalité que par celui-ci » (p.48).

Le commentaire de Qâshânî repose avant tout sur des considérations basées sur la métonymie; par exemple, le groupe de lettres alif-lâm-mîm dont il vient d'être question est interprété de la manière suivante : le alif se rapporte à Allâh (comme lettre initiale), le lâm à Jibrâ'îl3 (comme lettre finale) et le mîm à Muhammad (à nouveau comme lettre initiale).

Ces trois lettres sont ainsi mises en correspondance avec les trois mondes de l'Essence, des Attributs et des Actes. Ceci donne lieu, tant dans le texte que dans les notes, à des considérations du plus grand intérêt. A d'autres endroits, toutefois, ce procédé métonymique semble être utilisé de manière quelque peu systématique, et le lecteur ne peut se défendre de l'impression que l'essentiel n'est pas dit. Mais comme l'écrit Michel Vâlsan : « Ces monogrammes détiennent le mystère du Coran » ; ceux-ci sont donc des « clefs », au sens le plus fort du terme, et il serait donc naïf de croire qu'un commentaire comme celui de Qâshânî épuise le sujet. Si celui-ci peut constituer jusqu'à un certain point une invitation au « palais fermé du Roi », on doit bien se douter que la combinaison qui ouvre le coffre où sont cachés les trésors du Souverain ne figure pas sur le bristol. Une indication, néanmoins, pour qui chercherait à aller plus loin. Il a été montré que les 78 chapitres de la cinquième section des Futûhât d'Ibn Arabî (section dite des « Condescendances divines ») correspondent un à un aux lettres isolées prises dans l'ordre inverse de leur occurrence dans le Coran (de même que les 114 chapitres de la quatrième section – des « Demeures » – correspondent aux sourates du Livre elles aussi prises à partir de la fin)4. Comme seuls quelques extraits des Futûhât ont été traduits, cette piste restera difficile à explorer, d'autant que la correspondance dont il s'agit n'est jamais explicite, mais repose sur des « allusions subtiles » dont l'appréhension est tout sauf évidente.

Muhammad Vâlsan5 (fils de Michel Vâlsan) est l’auteur d’un avant-propos dans lequel on trouvera également des indications fort intéressantes : certains rapprochements entre le monogramme alif-lâm-mîm et le Verbe, que nous laissons au lecteur le soin de découvrir, nous paraissent particulièrement dignes d’attention.

Les traductions de ce volume ne représentent que la moitié environ de ce que Michel Vâlsan avait publié dans les Études Traditionnelles. Formons pour terminer le souhait que les commentaires relatifs à d'autres sourates, dont la traduction avait été considérée comme opportune pour des raisons qui ne doivent certainement rien au hasard, fassent prochainement l'objet d'une parution dans la même collection, ainsi que le laisse entendre l'avant-propos.

A. A.

1 On pourra consulter aussi : Pierre Lory : Les Commentaires ésotériques du Coran d'après `Abd ar-
Razzâq al-Qâshânî, Les Deux Océans, 1980.
2 Celle-ci débute par : « Alif, Lâm, Mîm. Ceci est le Livre exempt de doute, guidance pour les pieux. »
Plusieurs autres sourates commencent par le même monogramme.

3 L'Ange Gabriel qui, rappelons-le, dictait le Coran au Prophète.
4 Voir à ce sujet C.-A. Gilis : Études complémentaires sur le Califat, Éditions Al-Bustane.
5 Muhammad Vâlsan avait fondé la revue Science Sacrée, qui semble avoir cessé de paraître. Le présent volume a repris le format et la présentation de la revue. Signalons aussi que le texte arabe de Qâshânî figure en marge de la traduction.

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