I. Al-Muhît : L’Enveloppant, l’Englobant, Celui qui
Cerne
Allâh a dit : Ne
se trouve-t-Il pas envelopper toute chose ? (Coran XLI, 54) . Il fait
donc allusion au fait qu’Il enveloppe toute chose de Sa Science et qu’Il garde
le nombre de toute chose . Allâh
enveloppe les infidèles (Coran II, 19) .
Allâh montre aussi qu’Il est puissant sur toutes les
réalités possibles, qu’aucun être invincible ne peut l’emporter sur Lui et que
nul fuyard ne raffaiblit .
II. Al-Qarîb : Le Très-Proche
Allâh dit :
Nous sommes plus proche de lui que sa veine jugulaire (Coran L, 16)
Cette proximité
(qurb) comporte plusieurs aspects :
-Le premier : Allâh est proche de Ses créatures par
la science .
-Le second : Il est proche d’elles par Sa Puissance
attributive .
Le principe influent (mu’aththir) qui se trouve en elles
est Sa Puissance et entre elle et les créatures il n’existe aucun intermédiaire
(wâsita) .
Selon nous, tous les êtres produits (kâ’ inât : les
étants) sont principiellement actualisés par la Puissance d’Allâh .
-Le troisième : Allâh est proche, en répondant
favorablement à celui qui L’appelle car
Allâh a dit : Et lorsque Mon
serviteur te questionne à Mon sujet, en vérité, Je suis proche (qarîb) .
J’exauce l’appel de l’invocateur lorsqu’il M’appelle (Coran II, 186) .
III. Al-Mudabbir : Le Recteur, Le Provident
Al-Khattâb a dit : « Al-mudabbir est Celui qui connait
les tenants et aboutissants des choses (abdâr al-umûr wa ‘awâqibihâ).
Il se peut qu’on veuille aussi dire par ce nom :
Celui qui conduit les affaires avec sagesse et les gère en harmonie avec Sa
volonté (mashî’a) .
Se rattachent à ce Nom les cinq Noms suivants :
1)al-qâdir, le Puissant est Celui qui est Maître de
déterminer fermement (mutamakkin) l’action (fi’l) et l’abstention (tark) et
celui qui les ratifie . Il est permis de dire : « O Celui qui
détermine fermement l’acte et l’abstention ! O Celui qui valide l’acte et
l’abstention !
Assurément, ce nom ne se rencontre ni dans le Coran, ni
dans les nouvelles prophétiques . Certains professent à Son sujet que le
tawqîf, la fixation invariable des Noms divins par tradition, ne s’applique pas
à lui . D’autres tranchent qu’il n’y a pas de preuve pour autoriser à le
considérer comme Nom divin .
2)al-murîd : le Volontaire
On trouve dans le Coran le verbe Arâda, vouloir, conjugué
à différentes personnes, par exemple dans les versets suivants :
Allâh
veut (yurîd) la facilité pour vous et non la difficulté
(Coran II, 185) .
Allâh
veut l’allègement pour vous (Coran IV, 28).
Nous
voulions (nurîd) combler de bienfaits ceux qui étaient asservis sur terre
…(Coran XXVIII, 5)
Allâh
décide de ce qu’Il veut (Coran V, 1)
3)al-qaçd : le Dessein
Les Théologiens le mentionnent bien qu’il ne se trouve
pas dans le Coran.
4) al-mashî’a : le Vouloir divin
Allâh a dit : Allâh
fait ce qu’Il veut bien (yashâ’) (Coran XIV, 27).
Et
ils ne voudront (tashâ’ûn) que ce qu’Allâh veut (yashâ’) (Coran
LXXXI, 29).
En ce qui nous concerne , nous ne faisons aucune
différence entre irâda, volonté normative et mashî’a, vouloir créateur.
5) al-ikhtiyâr, le choix du meilleur, le libre arbitre
Allâh a dit :
Et ton Seigneur crée ce qu’Il veut et choisit le meilleur (yakhtaru) (Coran
XXVIII, 68).
Sache que al-ikhtiyâr est la demande du meilleur (talab
al-khayr ou l’incitation exigeant le bien préférentiel).
Le puissant (qâdir) qui l’est en déterminant l’acte ou
l’abstention (d’une manière équilibrée) s’interdit de préférer (yarjah)
l’abstention à l’acte et réciproquement sauf s’il a la parfaite compréhension
des tenants et aboutissements qui déterminent chez lui de faire prévaloir l’un
ou l’autre.
Le mobile prépondérant (murajjih) du serviteur est triple :
la science, la probabilité ou conjecture (zhann) et la conviction (i’tiqâd).
Chez Allâh, conjecture et conviction ne sont pas possibles et seule reste la
science (‘ilm)-
C’est pourquoi Al-Hasan al-Baçrî a pu dire :
« La volonté (irâda) chez Allâh est seulement l’incitateur déterminant
(al-dâ’î) » qui est proprement la science qu’Il a de la compréhension
intégrale (ishtimâl) des tenants et aboutissants qui déterminent chez Lui de
faire prévaloir l’acte .
Al-ikhtiyâr se réfère alors à l’incitation exigeant le
bien préférentiel (talab al-khayr) selon le commentaire que nous venons de
faire .
Sache-le ! La Parole coranique précitée : Et ton Seigneur crée ce qu’Il veut et choisit le meilleur, indique
que Son vouloir créateur (mashî’a) ne repose pas sur la science qu’Il a de
comprendre le bien préférentiel (khayr) car alors il ne resterait nulle
différence entre mashî’a ou Vouloir créateur et ikhtiyâr ou incitation exigeant
le bien préférentiel . Il faudrait conclure d’une telle assertion que le propos
divin : Il fait ce qu’Il veut et Il
choisit le meilleur reviendrait à signifier que la chose voulue (par Dieu) (shay’) serait en relation avec
elle-même, ce qui est absurde . Il faut donc que le Vouloir créateur (mashî’a)
soit plus universel (a’amm) que le choix du meilleur (ikhtiyâr). Cette volonté
exprime alors l’aptitude (çifa) nécessaire à l’actualisation de la préférence
(tarjîh), celle-ci pouvant être tantôt sans l’incitation exigeant le bien
préférentiel (talab al-khayr), tantôt
avec une telle incitation .
IV- Al-Mahabba : L’Amour
Certains représentants de notre école prétendent qu’il
n’existe aucune différence entre l’amour et la (mahabba) et la volonté (irâda).
Pour justifier leur point de vue ils affirment que les
philologues (ahl al-lugha) soutiennent que chacun des mots exprimant la volonté
peut être employé indifféremment .
Par exemple : pour exprimer que je veux quelque
chose je peux utiliser les verbes suivants : vouloir (arâda ou shâ’a),
désirer (radiya), aimer (ahabba).
Si je précise : j’ai voulu (aradtu) et je n’ai pas
désiré (mâ radîtu) ou l’inverse, il s’agit d’expressions contraires .
D’autres représentants de notre école soutiennent qu’il
existe une différence entre volonté, amour et satisfaction.
La preuve donnée par l’argument rationnel, disent-ils,
est qu’Allâh est Volontaire (murîd) à l’égard de tous les êtres produits
(kâ’inûn).
Le contexte coranique fait ressortir qu’Allâh n’aime pas
certaines choses . Ainsi dit-il :Et
Allâh n’aime pas (lâ yuhibbu) la corruption (fasâd) (Coran II, 205),
verset qui signifie qu’Allâh n’aime pas
qu’elle trouve sa place dans la Religion . Cette parole coranique
relative à l’amour peut s’interpréter de deux manières :
-La première : l’amour exprime ici tant la volonté
de témoigner de la générosité du Bien-Aimé que l’élévation de Son Rang .
-La seconde : l’amour, toujours selon ce verset,
traduit la volonté de louanger le Bien-Aimé.Il faut en tirer la conséquence que
l’amour permet d’atteindre la récompense auprès d’Allâh dans la Vie dernière et
de faire la louange jusqu’à Lui en ce bas-monde .
Les premiers répondent que le propos divin : Allâh n’aime pas la corruption, est une
proposition équivoque ou indéfinie (qadiyya
muhmala) non universelle (kulliyya) qui réclame un complément précisant
la manière dont elle s’applique .
Selon nous, Allâh n’aime pas la corruption chez les êtres
religieux même s’Il ne l’aime pas davantage chez les corrupteurs . Nous pouvons
ajouter qu’Allâh n’aime pas la corruption puisqu’Il n’aime pas qu’on l’ordonne
dans la Religion et dans la Loi1.
V-Al-Ridâ : La Satisfaction, l’Agrément
Certains disent qu’aucune différence n’existe entre la
satisfaction et la volonté (irâda). D’autres soutiennent le contraire en
argumentant ainsi : Allâh veut l’infidélité (kufr) pour les Infidèles sans
pourtant en être satisfait en vertu de l’autorité de ce verset : Allâh n’est pas satisfait de l’infidélité
de Ses serviteurs (Coran XXXIX, 7).
Allâh dit aussi : Allâh s’est montré satisfait des
Fidèles (Coran XLVIII, 18), propos mentionné pour servir d’enseignement .
Allâh précise dans l’avant dernier verset précité : Si vous avez de la reconnaissance, Il
l’agréera de vous (Coran XXXIX, 7) .
Il dit encore : Ô âme rassérénée, retourne vers ton
Seigneur agréante et agréée (râdiya mardiya) (Coran LXXXIX, 27 et 28) .
Tous ces versets montrent que l’agrément (ridâ) est
réservé aux Fidèles sans qu’il le soit aux Infidèles . C’est donc la preuve que
la satisfaction (ridâ) n’est pas la volonté qui s’applique à tous
indistinctement .
En outre, on dira : « Ô mon Dieu ! sois
satisfait de nous ! » Or, si cette disposition n’avait pas été
réservée aux Fidèles, il n’aurait pas été convenable de faire une telle demande
.
De plus, ceux qui professent ce point doctrinal
interprètent l’agrément comme l’acte d’accorder la récompense ou comme la
mention de la louange et de l’éloge .
Mon père et Maître donnait une troisième interprétation
de l’agrément : Il exprime l’abandon de l’opposition . Il s’appuyait sur
les vers suivants de Ibn Durayd :
« Je suis content à contre cœur !
« De force, est satisfait
« Celui qui s’irrite du revers du
Destin ! »
On trouve cette nouvelle prophétique « Que Celui qui n’est pas satisfait de Mon Arrêt immuable (qadâ’
ou destin) cherche un autre Seigneur que Moi ! ».
Si on admet que la satisfaction exprime l’abandon de
l’opposition, le propos divin : Il
n’agrée pas l’Infidélité de Ses serviteurs, s’interprète ainsi : Allâh
ne renonce point à l’Infidélité (des serviteurs) ou encore : Il ne renonce
pas à ce qu’ils s’opposent à l’acte d’infidélité .
Les premiers répondent à cet argument en disant que cette
façon d’interpréter manque d’autorité pour deux raisons :
-La première : Dans le Coran le mot serviteurs
concerne les gens de la connaissance certaine (ahl al-îqân).
Allâh a dit :
Les serviteurs du Tout-Miséricordieux qui marchent sur terre avec tranquilité
lorsque les ignorants les interpellent répondent : paix (salâm) (Coran
XXV, 63). Une source à laquelle boivent les serviteurs d’Allâh (Coran
LXXVI, 6), c’est-à-dire les Fidèles .
Le verset précité : Il n’agrée pas l’infidélité de Ses serviteurs, signifie
donc : Il n’agrée pas les Fidèles (dans leur infidélité) . Et c’est ce que nous disons nous-mêmes.
-La seconde : Il n’est pas satisfait d’établir
l’infidélité à cause de leur religion .
VI-Al-Sukht : L’Emportement, l’Irritation
Pour la plupart des théologiens, ce terme exprime la
volonté de châtier .
Allâh ne cesse d’être satisfait de certains et d’être
irrité par d’autres .
Satisfaction et irritation se rapportent alors à la
Volonté (irâda) (qualité d’Esssence) .
Pour d’autres,
l’irritation se réfère à une qualité divine d’activité, celle de faire
parvenir le châtiment
La première interprétation – celle de faire de ce terme
une qualité principielle – est plus probable .
VII-Al-Ghadab : La Colère, le Courroux
C’est la volonté de faire parvenir la punition.
Allâh
a dit : Allâh est courroucé à leur encontre
(Coran XLVIII, 6)
La différence entre colère (ghadab) et irritation (sukht)
réside dans le fait que celle-ci implique l’opposition (i’râd) et celle-là la
sanction (ta’dhîb) .
Le terme le plus
proche de ghadab est bught, l’inimitié (mot qui comporte la permutation des
mêmes lettres composant le nom ghadab, lequel exprime la volonté de mépriser
(ihâna) et d’abaisser (isqâta) en rang et en dignité .
VIII-Al-Muwâlâ : l’Amitié, l’Assistance
IX-Al-Mu’âdâ : l’Inimitié, l’Hostilité
Le premier terme comporte la volonté d’honorer (karâma),
le second celle de mépriser (ihâna) .
X-Al-Karâha : l’Aversion, la Répugnance, la Contrariété
Allâh a dit : Mais
Allâh a répugné à les envoyer (au combat) et les en a empêchés (Coran IX,
46) .
La doctrine de gens de notre Ecole est que l’aversion,
chez Allâh, se rapporte à Sa Volonté (irâda) de ne pas laisser une chose
demeurer dans la non-manifestation ou privation essentielle (‘adam açlî) . Elle
connote aussi la réalisation de l’improbation (içâl al-dhamm) dans cette vie et
du châtiment (‘iqâb) dans l’autre vie sur l’individu .
Les Mu’tazilites, quant à eux, professent ceci :
-De même que la Volonté est une des Qualités d’Allâh, de
même l’aversion en est une autre.
Pour nous, il est logique que l’aversion soit une qualité
qui nécessite de préférer la non-manifestation (‘adam) à la manifestation
(wujûd) car en apparaissant, elle impose l’improbation (dhamm) dans cette vie
et le châtiment dans l’autre . Or la
volonté comporte tous ces sens ; il est donc nul besoin de poser une autre
qualité !
Les Mu’tazilites objectent aussi que la volonté est
dépendante des seules opérations adventices (hudûth) . Or, disent-ils, la
permanence de la non-manifestation n’implique
pas d’acte adventice .
Il n’est donc pas possible de faire dépendre la volonté
de la contingence .
Nous répondrons que l’être intelligent peut dire ceci à
un autre : « je veux (urîdu) que tu ne fasses pas ceci ou cela »
. Or, un tel propos invalide leur opinion .
Nous allons présenter maintenant des mots proches de la
notion de Volonté mais qu’il n’est toutefois pas permis d’employer pour
qualifier Allâh-Exalté soit-Il - :
-Le premier : al-tamannâ : le désir, le
souhait, le vœu
On admet unanimement qu’il n’est pas possible d’appliquer
ce terme à Allâh . En effet, ce mot présuppose l’incapacité (‘ajz) .
Le souhait, selon nous, est l’expression d’une certaine
volonté bien qu’on sache qu’il ne puisse se réaliser ou encore qu’il reste
possible ou douteux qu’il s’actualise .
Les Mu’tazilites objectent que le souhait se produit seulement
en parole, tel le propos suivant : « Puissè-je faire cela ».
Cette objection est inconsistante (da ‘îf) pour plusieurs raisons :
-La première : ce propos : « Puissè-je faire cela » nécessite
que nous ayons la possibilité de déterminer quel sens il convient de lui donner
. Plus même ! Il s’agit, en la circonstance, d’apprécier un discours
incertain et dont personne ne saurait dire s’il est question d’un souhait . Qu’il
s’agisse d’un souhait, nous saurons qu’il doit l’exprimer . Or, nul sens de ce
genre n’est suggéré par ces mots sauf celui de la simple velléité (irâda) que
nous venons de mentionner (avant cette objection) .
-La seconde : Le pauvre s’avise de dire : « je
voudrais être roi en ce bas-monde » .Or, tout un chacun pourrait exprimer
qu’Untel désire (tamannâ) la royauté . Nous savons donc bien que le souhait est
ce que nous venons de dire .
-La troisième : Le muet peut avoir des souhaits même
s’il ne les exprime pas .
-La quatrième : Du dormeur ou de l’homme gravement
malade qui prononce : « puissè-je faire cela » ou encore de l’ignorant
du sens de ce propos lorsqu’il le formule, personne ne peut contrôler qu’il
désire effectivement telle chose ..
Voici donc bien établie l’inanité de l’opinion des Mu’tazilites
à ce sujet . Pourtant l’utilité de notre réfutation est la suivante .
Si Allâh voulait l’infidélité de l’infidèle, bien qu’Il
sache que celui-ci ne puisse devenir croyant, ce comportement constituerait un
souhait au regard de l’acte de foi .Le souhait étant impossible chez Allâh, il
s’avère qu’Il ne veut pas la foi de celui qui est infidèle .
-La deuxième : al-sahwa : l’appétit, l’appétence,
l’envie
La différence entre appétit et volonté est illustrée par
l’exemple suivant : le malade veut boire la médication salutaire sans en
avoir l’appétit . D’autre part, il peut
avoir envie de manger une figue sans un acte de volonté délibérée .
-Le troisième : al-‘azm : la résolution, le
propos décidé
C’est la détermination (tawtîn) de l’âme après l’hésitation
(taraddud) qui engendre l’ignorance de savoir qu’il convient d’agir ou non ou
bien de renoncer à faire . Un telle disposition étant impossible quand il s’agit
d’Allâh, il n’est pas permis de la Lui attribuer .
1 . Pour toutes ces notions liées à l’amour, voir notre
traduction du Traîté d’Ibn ‘Arabî, Traité de l’Amour, Paris 1986 .
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