lundi 19 novembre 2012

Des Noms de Qualités Intelligibles ou principielles (Asmâ’ al-çifât al Ma’nawiyya)



 
 
 

 "Traité sur les noms divins d'Ar-Râzi, préface de Pierre Lory et traduction de Maurice Gloton." 617-625

I. Al-Muhît : L’Enveloppant, l’Englobant, Celui qui Cerne

Allâh a dit : Ne se trouve-t-Il pas envelopper toute chose ? (Coran XLI, 54) . Il fait donc allusion au fait qu’Il enveloppe toute chose de Sa Science et qu’Il garde le nombre de toute chose . Allâh enveloppe les infidèles (Coran II, 19) .

Allâh montre aussi qu’Il est puissant sur toutes les réalités possibles, qu’aucun être invincible ne peut l’emporter sur Lui et que nul fuyard ne raffaiblit .

II. Al-Qarîb : Le Très-Proche

Allâh dit : Nous sommes plus proche de lui que sa veine jugulaire (Coran L, 16)

Cette proximité  (qurb) comporte plusieurs aspects :

-Le premier : Allâh est proche de Ses créatures par la science .

-Le second : Il est proche d’elles par Sa Puissance attributive .

Le principe influent (mu’aththir) qui se trouve en elles est Sa Puissance et entre elle et les créatures il n’existe aucun intermédiaire (wâsita) .

Selon nous, tous les êtres produits (kâ’ inât : les étants) sont principiellement actualisés par la Puissance d’Allâh .

-Le troisième : Allâh est proche, en répondant favorablement à celui qui L’appelle  car Allâh a dit : Et lorsque Mon serviteur te questionne à Mon sujet, en vérité, Je suis proche (qarîb) . J’exauce l’appel de l’invocateur lorsqu’il M’appelle (Coran II, 186) .

III. Al-Mudabbir : Le Recteur, Le Provident

Al-Khattâb a dit : « Al-mudabbir est Celui qui connait les tenants et aboutissants des choses (abdâr al-umûr wa ‘awâqibihâ).

Il se peut qu’on veuille aussi dire par ce nom : Celui qui conduit les affaires avec sagesse et les gère en harmonie avec Sa volonté (mashî’a) .

Se rattachent à ce Nom les cinq Noms suivants :

1)al-qâdir, le Puissant est Celui qui est Maître de déterminer fermement (mutamakkin) l’action (fi’l) et l’abstention (tark) et celui qui les ratifie . Il est permis de dire : « O Celui qui détermine fermement l’acte et l’abstention ! O Celui qui valide l’acte et l’abstention !

Assurément, ce nom ne se rencontre ni dans le Coran, ni dans les nouvelles prophétiques . Certains professent à Son sujet que le tawqîf, la fixation invariable des Noms divins par tradition, ne s’applique pas à lui . D’autres tranchent qu’il n’y a pas de preuve pour autoriser à le considérer comme Nom divin .

2)al-murîd : le Volontaire

On trouve dans le Coran le verbe Arâda, vouloir, conjugué à différentes personnes, par exemple dans les versets suivants :

Allâh veut (yurîd) la facilité pour vous et non la difficulté (Coran II, 185) .

Allâh veut l’allègement pour vous (Coran IV, 28).

Nous voulions (nurîd) combler de bienfaits ceux qui étaient asservis sur terre …(Coran XXVIII, 5)

Allâh décide de ce qu’Il veut (Coran V, 1)

3)al-qaçd : le Dessein

Les Théologiens le mentionnent bien qu’il ne se trouve pas dans le Coran.

4) al-mashî’a : le Vouloir divin

Allâh a dit : Allâh fait ce qu’Il veut bien (yashâ’) (Coran XIV, 27).

Et ils ne voudront (tashâ’ûn) que ce qu’Allâh veut (yashâ’) (Coran LXXXI, 29).

En ce qui nous concerne , nous ne faisons aucune différence entre irâda, volonté normative et mashî’a, vouloir créateur.

5) al-ikhtiyâr, le choix du meilleur, le libre arbitre

Allâh a dit : Et ton Seigneur crée ce qu’Il veut et choisit le meilleur (yakhtaru) (Coran XXVIII, 68).

Sache que al-ikhtiyâr est la demande du meilleur (talab al-khayr ou l’incitation exigeant le bien préférentiel).

Le puissant (qâdir) qui l’est en déterminant l’acte ou l’abstention (d’une manière équilibrée) s’interdit de préférer (yarjah) l’abstention à l’acte et réciproquement sauf s’il a la parfaite compréhension des tenants et aboutissements qui déterminent chez lui de faire prévaloir l’un ou l’autre.

Le mobile prépondérant (murajjih) du serviteur est triple : la science, la probabilité ou conjecture (zhann) et la conviction (i’tiqâd). Chez Allâh, conjecture et conviction ne sont pas possibles et seule reste la science (‘ilm)-

C’est pourquoi Al-Hasan al-Baçrî a pu dire : « La volonté (irâda) chez Allâh est seulement l’incitateur déterminant (al-dâ’î) » qui est proprement la science qu’Il a de la compréhension intégrale (ishtimâl) des tenants et aboutissants qui déterminent chez Lui de faire prévaloir l’acte .

Al-ikhtiyâr se réfère alors à l’incitation exigeant le bien préférentiel (talab al-khayr) selon le commentaire que nous venons de faire .

Sache-le ! La Parole coranique précitée : Et ton Seigneur  crée ce qu’Il veut et choisit le meilleur, indique que Son vouloir créateur (mashî’a) ne repose pas sur la science qu’Il a de comprendre le bien préférentiel (khayr) car alors il ne resterait nulle différence entre mashî’a ou Vouloir créateur et ikhtiyâr ou incitation exigeant le bien préférentiel . Il faudrait conclure d’une telle assertion que le propos divin : Il fait ce qu’Il veut et Il choisit le meilleur reviendrait à signifier que la chose voulue (par Dieu) (shay’) serait en relation avec elle-même, ce qui est absurde . Il faut donc que le Vouloir créateur (mashî’a) soit plus universel (a’amm) que le choix du meilleur (ikhtiyâr). Cette volonté exprime alors l’aptitude (çifa) nécessaire à l’actualisation de la préférence (tarjîh), celle-ci pouvant être tantôt sans l’incitation exigeant le bien préférentiel  (talab al-khayr), tantôt avec une telle incitation .

IV- Al-Mahabba : L’Amour

Certains représentants de notre école prétendent qu’il n’existe aucune différence entre l’amour et la (mahabba) et la volonté (irâda).

Pour justifier leur point de vue ils affirment que les philologues (ahl al-lugha) soutiennent que chacun des mots exprimant la volonté peut être employé indifféremment .

Par exemple : pour exprimer que je veux quelque chose je peux utiliser les verbes suivants : vouloir (arâda ou shâ’a), désirer (radiya), aimer (ahabba).

Si je précise : j’ai voulu (aradtu) et je n’ai pas désiré (mâ radîtu) ou l’inverse, il s’agit d’expressions contraires .

D’autres représentants de notre école soutiennent qu’il existe une différence entre volonté, amour et satisfaction.

La preuve donnée par l’argument rationnel, disent-ils, est qu’Allâh est Volontaire (murîd) à l’égard de tous les êtres produits (kâ’inûn).

Le contexte coranique fait ressortir qu’Allâh n’aime pas certaines choses . Ainsi dit-il :Et Allâh n’aime pas (lâ yuhibbu) la corruption (fasâd) (Coran II, 205), verset qui signifie qu’Allâh n’aime pas  qu’elle trouve sa place dans la Religion . Cette parole coranique relative à l’amour peut s’interpréter de deux manières :

-La première : l’amour exprime ici tant la volonté de témoigner de la générosité du Bien-Aimé que l’élévation de Son Rang .

-La seconde : l’amour, toujours selon ce verset, traduit la volonté de louanger le Bien-Aimé.Il faut en tirer la conséquence que l’amour permet d’atteindre la récompense auprès d’Allâh dans la Vie dernière et de faire la louange jusqu’à Lui en ce bas-monde .

Les premiers répondent que le propos divin : Allâh n’aime pas la corruption, est une proposition équivoque ou indéfinie (qadiyya  muhmala) non universelle (kulliyya) qui réclame un complément précisant la manière dont elle s’applique .

Selon nous, Allâh n’aime pas la corruption chez les êtres religieux même s’Il ne l’aime pas davantage chez les corrupteurs . Nous pouvons ajouter qu’Allâh n’aime pas la corruption puisqu’Il n’aime pas qu’on l’ordonne dans la Religion et dans la Loi1.

V-Al-Ridâ : La Satisfaction, l’Agrément

Certains disent qu’aucune différence n’existe entre la satisfaction et la volonté (irâda). D’autres soutiennent le contraire en argumentant ainsi : Allâh veut l’infidélité (kufr) pour les Infidèles sans pourtant en être satisfait en vertu de l’autorité de ce verset : Allâh n’est pas satisfait de l’infidélité de Ses serviteurs (Coran XXXIX, 7).

Allâh dit aussi : Allâh s’est montré satisfait des Fidèles (Coran XLVIII, 18), propos mentionné pour servir d’enseignement .

Allâh précise dans l’avant dernier verset précité : Si vous avez de la reconnaissance, Il l’agréera de vous (Coran XXXIX, 7) .

Il dit encore : Ô âme rassérénée, retourne vers ton Seigneur agréante et agréée (râdiya mardiya) (Coran LXXXIX, 27 et 28) .

Tous ces versets montrent que l’agrément (ridâ) est réservé aux Fidèles sans qu’il le soit aux Infidèles . C’est donc la preuve que la satisfaction (ridâ) n’est pas la volonté qui s’applique à tous indistinctement .

En outre, on dira : « Ô mon Dieu ! sois satisfait de nous ! » Or, si cette disposition n’avait pas été réservée aux Fidèles, il n’aurait pas été convenable de faire une telle demande .

De plus, ceux qui professent ce point doctrinal interprètent l’agrément comme l’acte d’accorder la récompense ou comme la mention de la louange et de l’éloge . 

Mon père et Maître donnait une troisième interprétation de l’agrément : Il exprime l’abandon de l’opposition . Il s’appuyait sur les vers suivants de Ibn Durayd :

« Je suis content à contre cœur !

« De force, est satisfait

« Celui qui s’irrite du revers du Destin ! »

On trouve cette nouvelle prophétique « Que Celui qui n’est pas satisfait de Mon Arrêt immuable (qadâ’ ou destin) cherche un autre Seigneur que Moi ! ».

Si on admet que la satisfaction exprime l’abandon de l’opposition, le propos divin : Il n’agrée pas l’Infidélité de Ses serviteurs, s’interprète ainsi : Allâh ne renonce point à l’Infidélité (des serviteurs) ou encore : Il ne renonce pas à ce qu’ils s’opposent à l’acte d’infidélité .

Les premiers répondent à cet argument en disant que cette façon d’interpréter manque d’autorité pour deux raisons :

-La première : Dans le Coran le mot serviteurs concerne les gens de la connaissance certaine (ahl al-îqân).

Allâh a dit : Les serviteurs du Tout-Miséricordieux qui marchent sur terre avec tranquilité lorsque les ignorants les interpellent répondent : paix (salâm) (Coran XXV, 63). Une source à laquelle  boivent les serviteurs d’Allâh (Coran LXXVI, 6), c’est-à-dire les Fidèles .

Le verset précité : Il n’agrée pas l’infidélité de Ses serviteurs, signifie donc : Il n’agrée pas les Fidèles (dans leur infidélité) .  Et c’est ce que nous disons nous-mêmes.

-La seconde : Il n’est pas satisfait d’établir l’infidélité à cause de leur religion .

VI-Al-Sukht : L’Emportement, l’Irritation

Pour la plupart des théologiens, ce terme exprime la volonté de châtier .

Allâh ne cesse d’être satisfait de certains et d’être irrité par d’autres .

Satisfaction et irritation se rapportent alors à la Volonté (irâda) (qualité d’Esssence) .

Pour d’autres,  l’irritation se réfère à une qualité divine d’activité, celle de faire parvenir le châtiment

La première interprétation – celle de faire de ce terme une qualité principielle – est plus probable .

VII-Al-Ghadab : La Colère, le Courroux

C’est la volonté de faire parvenir la punition.

Allâh a dit : Allâh est courroucé à leur encontre (Coran XLVIII, 6)

La différence entre colère (ghadab) et irritation (sukht) réside dans le fait que celle-ci implique l’opposition (i’râd) et celle-là la sanction (ta’dhîb) .

Le  terme le plus proche de ghadab est bught, l’inimitié (mot qui comporte la permutation des mêmes lettres composant le nom ghadab, lequel exprime la volonté de mépriser (ihâna) et d’abaisser (isqâta) en rang et en dignité .

VIII-Al-Muwâlâ : l’Amitié, l’Assistance

IX-Al-Mu’âdâ : l’Inimitié, l’Hostilité

Le premier terme comporte la volonté d’honorer (karâma), le second celle de mépriser (ihâna) .

X-Al-Karâha : l’Aversion, la Répugnance, la Contrariété

Allâh a dit : Mais Allâh a répugné à les envoyer (au combat) et les en a empêchés (Coran IX, 46) .

La doctrine de gens de notre Ecole est que l’aversion, chez Allâh, se rapporte à Sa Volonté (irâda) de ne pas laisser une chose demeurer dans la non-manifestation ou privation essentielle (‘adam açlî) . Elle connote aussi la réalisation de l’improbation (içâl al-dhamm) dans cette vie et du châtiment (‘iqâb) dans l’autre vie sur l’individu .

Les Mu’tazilites, quant à eux, professent ceci :

-De même que la Volonté est une des Qualités d’Allâh, de même l’aversion en est une autre.

Pour nous, il est logique que l’aversion soit une qualité qui nécessite de préférer la non-manifestation (‘adam) à la manifestation (wujûd) car en apparaissant, elle impose l’improbation (dhamm) dans cette vie et le châtiment dans l’autre .  Or la volonté comporte tous ces sens ; il est donc nul besoin de poser une autre qualité !

Les Mu’tazilites objectent aussi que la volonté est dépendante des seules opérations adventices (hudûth) . Or, disent-ils, la permanence  de la non-manifestation n’implique pas d’acte adventice .

Il n’est donc pas possible de faire dépendre la volonté de la contingence .

Nous répondrons que l’être intelligent peut dire ceci à un autre : « je veux (urîdu) que tu ne fasses pas ceci ou cela » . Or, un tel propos invalide leur opinion .

Nous allons présenter maintenant des mots proches de la notion de Volonté mais qu’il n’est toutefois pas permis d’employer pour qualifier Allâh-Exalté soit-Il - :

-Le premier : al-tamannâ : le désir, le souhait, le vœu

On admet unanimement qu’il n’est pas possible d’appliquer ce terme à Allâh . En effet, ce mot présuppose l’incapacité (‘ajz) .

Le souhait, selon nous, est l’expression d’une certaine volonté bien qu’on sache qu’il ne puisse se réaliser ou encore qu’il reste possible ou douteux qu’il s’actualise .

Les Mu’tazilites objectent que le souhait se produit seulement en parole, tel le propos suivant : « Puissè-je faire cela ». Cette objection est inconsistante (da ‘îf) pour plusieurs raisons :

-La première : ce propos :  « Puissè-je faire cela » nécessite que nous ayons la possibilité de déterminer quel sens il convient de lui donner . Plus même ! Il s’agit, en la circonstance, d’apprécier un discours incertain et dont personne ne saurait dire s’il est question d’un souhait . Qu’il s’agisse d’un souhait, nous saurons qu’il doit l’exprimer . Or, nul sens de ce genre n’est suggéré par ces mots sauf celui de la simple velléité (irâda) que nous venons de mentionner (avant cette objection) .

-La seconde : Le pauvre s’avise de dire : « je voudrais être roi en ce bas-monde » .Or, tout un chacun pourrait exprimer qu’Untel désire (tamannâ) la royauté . Nous savons donc bien que le souhait est ce que nous venons de dire .

-La troisième : Le muet peut avoir des souhaits même s’il ne les exprime pas .

-La quatrième : Du dormeur ou de l’homme gravement malade qui prononce : « puissè-je faire cela » ou encore de l’ignorant du sens de ce propos lorsqu’il le formule, personne ne peut contrôler qu’il désire effectivement telle chose ..

Voici donc bien établie l’inanité de l’opinion des Mu’tazilites à ce sujet . Pourtant l’utilité de notre réfutation est la suivante .

Si Allâh voulait l’infidélité de l’infidèle, bien qu’Il sache que celui-ci ne puisse devenir croyant, ce comportement constituerait un souhait au regard de l’acte de foi .Le souhait étant impossible chez Allâh, il s’avère qu’Il ne veut pas la foi de celui qui est infidèle .

-La deuxième : al-sahwa : l’appétit, l’appétence, l’envie

La différence entre appétit et volonté est illustrée par l’exemple suivant : le malade veut boire la médication salutaire sans en avoir l’appétit  . D’autre part, il peut avoir envie de manger une figue sans un acte de volonté délibérée .

-Le troisième : al-‘azm : la résolution, le propos décidé

C’est la détermination (tawtîn) de l’âme après l’hésitation (taraddud) qui engendre l’ignorance de savoir qu’il convient d’agir ou non ou bien de renoncer à faire . Un telle disposition étant impossible quand il s’agit d’Allâh, il n’est pas permis de la Lui attribuer .

 

1 . Pour toutes ces notions liées à l’amour, voir notre traduction du Traîté d’Ibn ‘Arabî, Traité de l’Amour, Paris 1986 .

 

 

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