samedi 15 décembre 2012

Lettres d'un maître soufi-Le sheikh Al-'Arabi Ad-Darqâwî - Traduit par Titus Burckhardt - Lettre 7 - "Le pauvre envers Dieu"( al-faqiru ila Llah )








Traduit par Titus Burckhardt

 Lettre 7


Sachez (que Dieu vous soit miséricordieux) que le faqir 1, lorsqu'il échange le souvenir de toutes choses pour le souvenir (dhikr) 2 de Dieu, rend sa servitude pure, et qui sert Dieu purement et sans mélange, est saint; que la malédiction de Dieu soit sur celui qui ment. Ne vous souvenez donc que de Dieu, ne soyez qu'à Dieu; car si tu es à Dieu, Dieu sera à toi, et bienheureux celui qui est à Dieu, de sorte que Dieu est à lui! Qu'il suffise, pour prouver l'excellence du souvenir (dhikr) de Dieu, de mentionner Sa parole: "Souvenez-vous de Moi, Je me souviendrai  de vous" (Coran, Il. 147) et celle que le Prophète (que Dieu le bénisse et lui donne la paix) relata de la part de son Seigneur ~: "Je suis le compagnon de celui qui M'invoque."3

Mon maître (que Dieu soit satisfait de lui) me disait: "J'aime ce que j 'entends dire contre toi"; pareillement, al-'Arabî ad-Darqâwî aime ce qu'il entend dire contre vous, de ce que tue votre égoïsme et vivifie vos coeurs, non pas du contraire, certes, car ne s'occupe de ce qui vivifie l'ego (nafs) 4 et tue le coeur que le négligeant, l'ignorant, celui dont l'intelligence est ternie et la conscience obscurcie. Car l'homme n'a qu'un seul coeur: dès qu'il se tourne d'un côté, il se détourne de l'autre, puisque "Dieu n'a pas mis deux coeurs dans les entrailles de l'homme" (Coran, XXXIII, 3), selon la parole de Dieu, exalté soit-Il. Dans le même sens, le vénérable maître Ibn 'Atâï-Llâh (que Dieu soit satisfait de lui) a dit: "Se tourner vers Dieu, c'est se détourner de la créature, et se tourner vers la créature, c'est se détourner de Dieu."

L'un de nos frères me dit: "Je ne suis rien"; je lui répondis: "Ne dis pas: je ne suis rien, et ne dis pas non plus: je suis quelque chose. Ne dis pas: il me faut telle chose, ni: il ne me faut aucune chose, mais dis: Allâh! et tu verras merveille."

Un autre me dit: "Comment guérir l'âme (an-nafs)?" Je lui répondis: "Oublie-la et n'y pense guère; car ne se souvient pas de Dieu qui n'oublie pas son âme (ou: qui ne s'oublie pas lui-même)." Vous ne pouvez donc pas concevoir que c'est l'existence du monde qui nous fait oublier notre Seigneur; ce qui nous Le fait oublier, c'est l'existence de nous-mêmes, de notre égo. Rien d'autre nous Le voile que le fait de nous occuper, non de l'existence comme telle mais de
nos désirs. Si nous pouvions oublier notre propre existence, nous trouverions Celui qui est l'origine de toute existence, et nous verrions en même temps que nous n'existons pas du tout. Comment pouvez-vous concevoir que l'homme puisse perdre la conscience du monde sans perdre celle de son ego? Cela ne se produira jamais.

1 Le pauvre, sous-entend al-faqiru ila Llah : "le pauvre envers Dieu", selon l'expression coranique : "O hommes, vous êtes les pauvres envers Dieu, et Dieu, Lui, est le Riche, le Glorieux" {Coran, XXXV, 14).
2Le terme dhikr comporte les sens de mention, souvenir et invocation.



3 Il s'agit d'une parole divine (hadith qudsî) adressée au Prophète non au titre du Coran et par conséquent non incluse dans celui-ci; les révélations de cette catégorie concernant plus particulièrement la voie contemplative.
4 An-nafs c'est l'âme; par opposition avec le coeur (al-qalb), elle signifie l'âme égocentrique et passionnelle ; en connexion avec un pronom possessif, le même mot se traduit par : moi-même, lui-même etc. An-nafs comme âme passionnelle et siège de l'égo (en sanscrit ahankdra) s'oppose au coeur, en tant que celui-ci est l'organe de ar-ruh, l'Esprit. On peut comparer le coeur à l'ouverture la plus étroite d'un sablier ou à l'isthme (barzakh) entre les deux océans, l'un salé et l'autre doux (Coran, LV, 19 et XXIII, 102) qui représentent les domaines respectifs de l'expérience temporelle et de la contemplation pure. On dit aussi que le coeur est l'objet d'une querelle entre son père, l'Esprit, et sa mère, l'âme passionnelle ; si la mère l'emporte, le coeur se durcira, et si le père reste victorieux, le coeur deviendra lumineux comme lui.

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