vendredi 3 mai 2013

Sira d' Ali ibn Abi Talib - par le Professeur Fazl Ahmad


                  Tombeau d' Ali ibn Abi Talib à Nadjaf, en Irak (Qu'Allâh l'agrée)
par le Professeur Fazl Ahmad
 

 Les premières années de sa vie

"Mes yeux sont douloureux, mes jambes sont faibles, mais je resterai à tes cotés, ô Messager d’Allah !"

C’est ainsi que s’exprima un jeune garçon de dix ans lorsque le Messager d’Allah diffusa le message divin à ses proches. Ce garçon n’était autre que Ali, le cousin du Saint Prophète .

Ali était né quand le Prophète avait trente ans environ. Son père Abu Talib, était l’oncle du Prophète par le sang. Sa mère s’appelait Fatima.

Le Saint Prophète avait perdu son père avant sa naissance puis sa mère, alors qu’il était encore très jeune, ainsi que son grand père Abdul Muttalib. C ‘est pourquoi ce fut son oncle Abu, Talib qui l’éleva et prit soin de lui. Abu Talib avait une famille nombreuse et n’était pas vraiment riche. Quand Ali naquit, le Prophète était devenu un homme, il avait une femme et des enfants. Aussi accueillit-il Ali chez lui et l’éleva comme son fils pour soulager un peu les charges familiales de son oncle qu’il aimait tendrement. Cette décision eut une autre conséquence : Ali grandit dans une atmosphère de vertu et de pitié qu’aucun autre foyer aurait pu lui apporter.

Cette éducation marqua profondément l’esprit d’Ali. Elle lui donna une vision fine des choses et un amour passionné de la vérité. Mais surtout, elle fit de lui un combattant sans peur dans la voie de l’islam. Ces qualités allaient faire de lui l’un des grands atouts de l’islam.

Adhésion à l’Islam

Ali avait neuf ans quand le Saint Prophète apprit la Mission divine qui était la sienne. Un jour le jeune garçon vit son cousin et sa femme prosternés, leur front contre le sol, tout en murmurant des louanges adressées à Allah, le Tout Puissant. Ali fut stupéfait par ce spectacle. Jamais encore il n’avait vu de gens prier de cette façon.

Quand la prière fut achevée, Ali demanda à son cousin ce que signifiait cette étrange gestuelle.

"Nous adorons Allah, l’Unique", dit le Prophète . "Je te conseille de faire de même. Ne t’incline jamais devant Lat, Uzza ou toute autre idole."

"Mais je n’ai jamais entendu rien de tel", dit Ali. "Je vais en parler d’abord à mon père puis je te tiendrai au courant."

"Tu ne dois en parler à personne pour l’instant. Réfléchis-y par tes moyens et prends ta décision", dit le Prophète à son jeune cousin.

Ce conseil eut un effet irrésistible sur le bon sens d’Ali. Il commença à y réfléchir, et plus il y pensait, plus il était convaincu de la véracité des dires de son cousin qui était si bon et vertueux. Le lendemain matin, Ali embrassa l’islam. Il était le premier jeune garçon à rejoindre la religion divine. Quelle marque d’indépendance de jugement pour un garçon de son age, surtout dans une société accoutumée au culte des idoles. Mais c’est là la preuve de son amour inné de la vérité.

Ses relations privilégiées avec le Prophète

Ali grandit sous la surveillance du Prophète qui l’entourait de son amour et de ses soins. Cela lui donna une vision approfondie des réalités fondamentales de la vie et de la foi. Le Prophète a dit un jour : "Je suis la cité de la science et Ali est sa porte."

L’amour de Ali pour le Prophète n’avait pas de limites. La nuit où le Prophète quitta Médine pour la Mecque, sa maison était encerclée par des hommes assoiffés de sang et l’éclat métallique de leurs épées dégainées luisait dans l’obscurité. Ils étaient prêts à tailler en pièces le premier qui sortirait de la maison. Le Prophète demanda à Ali de s’étendre sur son lit tandis que lui-même quittait la maison discrètement. Ali se jeta joyeusement sur sa couche et y dormit tranquillement toute la nuit. La mort rôdait autour de la maison mais Ali ne s’en souciait guère, tout heureux qu’il était à l’idée d’aider le Prophète à sauver sa vie. Au matin, quand les Quraychites comprirent qu’ils avaient été dupés ils furent pris de colère. Certains suggérèrent de faire payer à Ali la part qu’il avait prise dans cette ruse, mais il fit face à leur menace avec tant de sérénité que les Quraychites le laissèrent en paix.

Le saint Prophète avait des dépôts du peuple sous sa garde. Malgré toute l’opposition qu’ils lui manifestaient, les Mecquois ne connaissaient pas d’autre homme auquel ils pouvaient faire confiance. Le Prophète devait restituer ses dépôts avant son départ pour Yathrib. Il les confia à Ali qui les rendit soigneusement à leurs propriétaires. Ali resta à la Mecque encore trois jours, puis une fois les dépôts rendus, il se mit en route pour Médine et rejoignit le Prophète .

Ali avait un lien de parenté très fort avec le Prophète mais celui-ci voulait le rendre encore plus fort. Aussi lui donna-t-il sa fille Fatima en mariage, la plus jeune et la préférée parmi ses filles. Ali avait conscience de l’honneur qui lui avait été fait. Il n’épousa aucune autre femme du vivant de Fatima. Elle lui donna deux fils, Hasan et Hussein que le Prophète chérissait comme ses propres fils.

En l’an 9 de l’hégire, le Prophète envisagea de mener une expédition contre la Syrie, il s’agit de la fameuse expédition de Tabuk. Il décida de confier la gestion de Médine à Ali pendant son absence. Les hypocrites y virent une occasion de nuire à Ali. "Le saint Prophète ne veut pas d’Ali à ses cotés, dirent ils."

La rumeur parvint au Saint prophète qui fit appeler aussitôt Ali et lui dit : "Ô Ali, ne veux-tu pas avoir avec moi la même relation que celle qui unissait Aaron à Moise ?"

Ces propos firent taire les hypocrites.

En l’an 9 de l’hégire eut lieu le premier pèlerinage islamique. A cette époque Allah interdit l’entrée des idolâtres dans la Kaaba et il fallait annoncer cela aux gens rassemblés pour le pèlerinage. Selon la coutume arabe cela ne pouvait être fait que par le Prophète ou l’un de ses proches. Le Prophète choisit Ali pour cette mission et lui confia sa propre chamelle Qaswa. Ali monta sur Qaswa et annonça à la foule les décrets d’Allah.

Pendant la maladie du Prophète , Ali se tint constamment à son chevet. Quand le Prophète mourut, ce fut Ali, assisté par son oncle Abbas qui accomplit les rites funéraires. Ali était l’un des scribes de la révélation. Il écrivit aussi des lettres pour le Prophète .

Ali est l’un des hommes qui reçut la bonne annonce du Paradis. Les trois précédents califes se référaient souvent à son avis. Omar avait coutume de dire : "Ali est le meilleur juge parmi nous". Plus d’une fois Omar confia Médine à Ali, lorsqu’il s’absentait. En fait, Omar considérait Ali comme la personne la plus compétente pour poursuivre son oeuvre. S’il ne l’a pas nommé comme successeur, c’est qu’il était persuadé qu’il serait élu par le peuple.

Dans les premières années du califat d’Othman, Ali continua à jouer un rôle important dans l’élaboration de la politique étatique. Ce n’est que plus tard que le vieux calife se laissa dominer par les hommes de son clan.

Sa participation aux batailles

Ali s’est illustré dans plus d’une bataille du vivant du Prophète . A l’exception de Tabuk, il a pris part à toutes les batailles et expéditions.

Pendant la bataille de Badr, l’épée d’Ali fit des prodiges. Selon la coutume arabe, trois des plus valeureux guerriers qurayshites s’avancèrent pour un combat singulier. Ali tua deux d’entre eux, ce qui sema la terreur dans le coeur de l’ennemi.

A la bataille d’Ohod, Ali se tint vaillamment aux côtés du Prophète . Cette bataille fut perdue à cause des archers musulmans qui avaient laissé le défilé sans défense. La panique et la confusion gagnèrent les rangs des musulmans et beaucoup se mirent à fuir. La rumeur selon laquelle le Prophète était mort se répandit bientôt. Au milieu de ce désordre, Ali était de ceux qui restaient auprès du Prophète . L’ennemi avait creusé un fossé profond puis l’avait recouvert de branchages, le Prophète y tomba. Ce fut Ali avec l’aide de Abu Bakr et de Talha qui le sortit de là. Avec Fatima il s’occupa de laver et soigner les blessures du Prophète . Il reçut lui-même dix-sept blessures lors de la bataille.

En l’an 5 de l’hégire, tous les ennemis de l’islam se rassemblèrent et formèrent une immense armée dirigée contre Médine. Le Prophète défendit la cité en creusant un grand fossé très profond autour de Médine. Mais un jour Abdwoud, un guerrier réputé dans toute l’Arabie, franchit le fossé sur le dos de son cheval. Nul n’osait le défier, mais finalement Ali s’avança. « Rappelle-toi Ali, dit le Prophète , il s’agit de Abdwoud. »

« Je sais, ô messager d’Allah », répondit Ali.

En quelques minutes Ali jeta à terre son redoutable ennemi et lui coupa la tête.

La tribu juive des Banu Quraiza de Médine avait forcé le Prophète à prendre des mesures politiques contre elle. Ali joua un rôle déterminant. Il encercla la place forte juive et prit l’avantage sur ses ennemis et fit la prière dans la cour de la forteresse.

Les juifs avaient plusieurs places fortes à Khaybar. Elles constituaient une menace permanente pour les musulmans. Le saint Prophète leva une armée contre les juifs qui menèrent une lutte acharnée. Mais leurs places fortes tombèrent l’une après l’autre. Cependant Qourmous, le fleuron de leurs forteresses, était encore debout. Le commandant Marhab repoussait toutes les attaques. Un jour, le Prophète dit : "Demain je donnerai l’étendard à un homme aimé d’Allah et de Son prophète et qui aime Allah et son prophète. Allah lui accordera la victoire."

Tout le monde était curieux de savoir qui serait l’élu.

Le lendemain, ce fut Ali qui fut désigné. Il tua Marhab et son frère et prit la forteresse.

Ce fut Ali qui rédigea le traité de Hudaibiya. Le saint Prophète en dicta les termes et Ali écrivait. Les délégués qurayshites émirent des objections au sujet des termes "Prophète d’Allah" qui étaient écrits sous le nom du saint Prophète . Il voulaient qu’on écrive à la place "Muhammad bin Abdullah". Le saint Prophète consentit à cette modification. Mais Ali refusa d’effacer les mots "Prophète d’Allah". Le saint Prophète du le faire lui-même, de sa propre main.

Quand le Prophète entra dans la Mecque victorieux, c’est Ali qui tenait l’étendard.

Lors de la bataille de Hounain, la confusion qui avait eu lieu à Ohod se répéta pendant un moment, mais Ali se tint sans faillir aux cotés du Prophète .

L’élection d’Ali

Après la mort d’Othman, le califat resta vacant pendant trois jours. Médine se trouvait entre les mains des émeutiers. Ghafqi, le chef des émeutiers égyptiens, dirigeait la prière dans la mosquée du Prophète . La plupart des Compagnons avaient quitté Médine en ces jours sombres d’holocauste. Les rares qui étaient restés n’avaient aucun moyen d’agir. Ils demeuraient dans leurs maisons, ne pouvant s’opposer aux émeutiers.

Ceux-ci proposèrent Ali comme nouveau Calife et lui demandèrent d’accepter. Ali refusa tout d’abord. Cependant il fallait que quelqu’un ramène les choses à la normale. La capitale se trouvait dans une situation sans issue. Ali s’entretint avec les Compagnons demeurés à Médine. Ils lui dirent qu’il lui incombait de servir le peuple, alors Ali accepta de prendre en charge la gestion de l’Etat islamique. Il allait ainsi devenir le quatrième calife de l’islam.

Tout le monde se rendit à la mosquée du Prophète pour prêter allégeance. Malik Ushtar fut le premier à le faire, suivi d’autres gens.

Talha et Zubair, les deux grands Compagnons se trouvaient à Médine à ce moment-là. Ils faisaient partie des six électeurs nommés par Omar et Ali voulait s’assurer de leur soutien. Il les fit mander.

"Si l’un de vous veut être calife", dit-il à leur arrivée, "je suis prêt à lui prêter allégeance."

Tous deux refusèrent ce fardeau.

"Alors à vous de me prêter allégeance", dit Ali.

Zubair resta silencieux tandis que Talha montrait quelques réticences. A ce moment, Malik Ushtar dégaina son épée. "Prêtez allégeance ou je ferai voler vos têtes." dit-il.

Tous deux prêtèrent allégeance.

Puis on appela Saad bin Waqaas. Lui aussi faisait partie des six électeurs.

"N’aie pas de crainte à mon sujet", dit-il à Ali. "Quand d’autres seront venus te prêter allégeance, je ferai de même."

Vint le tour de Abdullah bin Omar. Sa réponse fut identique à celle de Saad.

"Il faut que quelqu’un se porte garant pour toi", dit Ali.

"Je n’ai pas de garants à présenter", fut la réponse.

Malik Ushtar se leva et s’écria : "Confie-le moi et je lui couperai la tête."

"Non", dit Ali. "Je serai son garant."

Certains Ansar parmi les plus notables ne prêtèrent pas non plus allégeance à Ali. Tous les Ommayades partirent pour la Syrie, emportant avec eux la tunique maculée de sang du défunt vizir ainsi que les doigts coupés de son épouse, Naila.

La première allocution publique

Devenu calife, Ali prononça son premier discours. Il était éloquent et plein de force. Ali dit :

"L’espace qui entoure la Kaaba est sacré. Allah a enjoint aux croyants de vivre ensemble comme des frères. Est musulman celui qui ne blesse autrui ni par son épée ni par ses propos. Craignez Allah dans vos relations avec autrui. Au jour du Jugement, vous aurez à répondre de vos actes, même ceux commis envers des animaux. Obéissez à Allah le Tout Puissant. Ne transgressez pas Ses commandements. Faites le bien et tenez-vous loin du mal."

Ali savait bien qu’une période difficile s’annonçait. Les forces du désordre avaient été libérées de tout joug et il faudrait beaucoup d’efforts et de patience, ainsi que de tact pour rétablir l’ordre. Ali espérait mener à bien cette tâche avec la coopération de son peuple.

Ali face à un dilemme

Sitôt le discours fini, un groupe de Compagnons alla à la rencontre d’Ali. Zubair et Talha en faisaient partie. "Tu es le nouveau calife", dirent les membres de cette délégation. "Ton premier devoir est de restaurer la Sharia dans sa plénitude et donc de châtier les meurtriers d’Othman. C’est sur cette base que nous t’avons prêté allégeance."

"Je ne laisserai pas le meurtre d’Othman impuni", dit Ali, "mais vous devez attendre. Nous ne sommes pas dans des conditions normales. Les émeutiers sont encore puissants à Médine. Nous sommes entre leurs mains et ma propre situation est délicate. Aussi je vous prie d’être patients et dès que la situation le permettra, je ferai mon devoir."

Cette réponse ne satisfit pas tout le monde. Certains pensèrent que Ali essayait d’éluder la question. D’autres pensaient qu’il était sincère dans ses propos. D’autres encore disaient qu’il fallait prendre les choses en main soi-même. Si Ali était incapable de punir les meurtriers d’Othman, ils s’en chargeraient.

Les émeutiers eurent connaissance de ce qui se préparait. Ils étaient certains que Ali les punirait si la situation redevenait normale. Leur seul espoir consistait à faire perdurer cet état de confusion. Pour ce faire, il suffisait de monter les groupes les uns contre les autres. Ils s’y mirent aussitôt, semant la mésentente partout. Leur but était de susciter la désunion parmi les chefs de l’opinion publique. Leur sécurité et leur avenir étaient à ce prix.

A peine entré en fonction, Ali commença à sentir le poids du fardeau qu’il devait assumer. Les émeutiers avaient soutenu sa cause et marché sur Médine pour l’élever au califat. Mais il n’approuvait pas leur méthode. Il savait qu’il devait les punir. Pour cela, il avait besoin du soutien des Compagnons et de tous les officiers, mais il n’était pas certain d’obtenir un soutien unanime. Il lui fallait donc attendre et voir comment cela évoluerait. Certains interprétèrent faussement cette politique d’attente. Ils voulaient des mesures rapides. Ils avaient vu Abu Bakr et Omar agir avec promptitude en leur temps. Ils ne comprenaient pas que la situation était désormais bien différente.

Tel était le dilemme auquel était confronté Ali. Son sens aigu de la justice lui conseillait de prendre des mesures rapides et fermes. Mais la fragilité de sa position le lui interdisait. Ali ne voyait pas de réponse satisfaisante à ce dilemme.


 

Ali prend les choses en main

Ali croyait honnêtement que les problèmes qu’avait rencontrés Othman étaient dus à l’influence néfaste de son entourage : C’était l’ambition des Banu Ommaya qui avait généré une telle situation. Ils avaient profité de façon indue de leur ascendant sur le calife, honnête mais vieillissant, pour accéder au pouvoir et commettre des abus, et leurs excès avaient été imputés injustement à Othman. La mort tragique du calife et la situation de désordre qui régnait depuis étaient l’oeuvre de ces hommes. Il fallait donc qu’ils partent, sans quoi les choses ne pourraient revenir à la normale. Ali était décidé à éradiquer le mal à sa racine. Aussi son premier acte en tant que calife fut de démettre tous les gouverneurs provinciaux de leurs fonctions et de confier leurs charges à d’autres.

Ibn Abbas et Mughira bin Shaaba étaient parmi les amis les dévoués d’Ali. Ils le dissuadèrent de prendre des mesures trop hâtives :

“Obtiens d’abord le serment d’allégeance de tous les gouverneurs”, conseillèrent-ils. “Quand tu seras fermement établi, alors tu pourras faire ce que tu veux. Si tu les renvoies maintenant, ils pourraient refuser de te reconnaître comme Calife, en prenant pour prétexte à ce refus le meurtre d’Othman. Ils pourraient aussi prendre les armes contre toi en se servant de ce même prétexte.”

Ali n’écouta pas ce conseil. Il ne estimait qu’on ne pouvait pas se montrer opportuniste si on voulait demeurer le bras de la justice. Mughira bin Shaaba ne fut pas satisfait par son attitude. Il prévint le nouveau calife que ses mesures trop promptes lui vaudraient des problèmes, puis il quitta Médine pour la Mecque.

Les nouveaux gouverneurs sont froidement accueillis

Les gouverneurs d’Ali entrèrent bientôt en fonction. Mais aucun d’entre eux ne reçut d’accueil enthousiaste. L’Egypte semblait être très favorable à l’élection d’Ali. Mais lorsque le nouveau gouverneur y arriva, il trouva une situation bien différente de ce qu’il attendait. Certains l’acceptèrent comme nouveau gouverneur, mais un grand nombre de gens exigeait que l’on punisse rapidement les meurtriers d’Othman. Si ce n’était pas fait, disait-ils, ils n’avaient que faire du nouveau calife et de son gouverneur. Il y avait un autre groupe qui demandait exactement le contraire. Ils pensaient que les meurtriers de l’ancien calife ne devaient pas du tout être punis.

Le nouveau gouverneur de Bassorah fut confronté à la même situation. Une partie du peuple soutenait les émeutiers et une autre s’y opposait.

Le gouverneur de Kufa était encore en chemin lorsque il rencontra une délégation de notables venant de cette ville.

“Tu ferais mieux de rebrousser chemin”, dirent-ils. Les habitants de Kufa ne t’accepteront jamais à la place de Abu Musa Ashari. Ne mets pas ta vie en péril."

La menace eut tant d’effet sur le pauvre gouverneur qu’il s’en retourna docilement à Médine.

Quand le gouverneur de Syrie atteignit Tabuk, il se vit bloquer l’accès par des soldats de Muawya. Il leur montra la lettre qui attestait de ses nouvelles fonctions.

“Si tu as été nommé par Othman, tu es le bienvenu. Mais si tu as été envoyé par quelqu’un d’autre, tu ferais mieux de faire demi-tour.”

Le gouverneur rentra à Médine.

Le nouveau gouverneur du Yémen put entrer en fonction sans difficultés ; cependant son prédécesseur avait laissé le trésor complètement vide .

Ali prend des mesures

Kufa et la Syrie étaient les deux provinces qui avaient ouvertement bafoué l’autorité du nouveau calife. Ali envoya des messagers aux gouverneurs respectifs de ces deux provinces pour qu’ils lui exposent la situation. Abu Musa Ashari, le gouverneur de Kufa, envoya une réponse satisfaisante dans laquelle il assurait sa loyauté au calife. Il ajouta qu’il avait obtenu de son peuple l’allégeance à Ali.

Dans la lettre adressée à Muawya, Ali avait dit : “Prête-moi allégeance ou prépare-toi au combat.” Muawya envoya un homme très avisé pour transmettre au calife sa réponse. Ali ouvrit la lettre. Elle ne contenait que ces mots : “Au nom de Dieu, le Tout-Miséricordieux le Très-Miséricordieux. ” Ali en fut stupéfait.

“Que cherche à me dire Muawya par cette lettre ?”

L’homme se leva et dit : “Quand j’ai quitté la Syrie, cinquante mille soldats vétérans pleuraient la mort d’Othman, leurs barbes étaient humides de larmes. Ils ont juré de châtier les meurtriers d’Othman. Ils ne rangeront leurs épées tant qu’ils ne l’auront pas vengé.”

L’un de ceux qui se tenaient auprès d’Ali se leva et dit : “Ô messager, penses-tu nous effrayer avec votre armée syrienne ? Par Allah, la tunique d’Othman n’est pas la tunique du prophète Joseph (as) et le chagrin de Muawya n’est pas celui du Prophète Jacob (as). Si les Syriens pleurent Othman, en Iraq les gens sont sévères à son égard.”

Les propos du messager avaient blessé Ali et il s’écria : “Ô Allah ! Tu sais que je n’ai rien à voir avec le meurtre d’Othman. Les coupables se sont enfuis.”

La réponse de Muawya donna un indice à Ali sur les intentions du gouverneur de Syrie. Il ne partirait pas sans livrer bataille. Aussi Ali se prépara-t-il au combat. Hassan, le fils aîné d’Ali était contre toute effusion de sang. Il supplia son père de renoncer au califat plutôt que de provoquer une guerre civile. “Avec le temps”, ajouta-t-il, “les gens accepteront ton autorité.” Mais Ali n’était pas d’accord avec son fils.

La confrontation imminente entre Ali et Muawya suscitait une atmosphère de malaise à Médine. Ali savait combien le gouverneur de Syrie était un homme puissant et plein de tact. Le faire plier serait une rude tâche. En peu de temps une armée fut levée pour combattre ceux qui refusaient l’autorité du nouveau calife.

La bataille du Chameau

Avant de s’occuper de Muawya, Ali devait faire face à un autre danger. Aïcha, l’une des veuves du Saint Prophète , s’opposait à lui. Aïcha était partie pour accomplir le pèlerinage pendant le meurtre d’Othman. Sur le chemin du retour elle apprit la terrible nouvelle. Elle retourna à la Mecque et prit la parole devant une assemblée publique. Elle dit aux gens combien les émeutiers avaient été cruels de tuer de sang froid le vieux calife dans la sainte cité du Prophète . Elle fit appel à tous pour venger la mort de l’ancien calife.

Des centaines d’hommes répondirent à l’appel d’Aïcha. Parmi eux se trouvait le gouverneur de la Mecque. Dans le même temps, Talha et Zubair étaient arrivés à la Mecque. Ils racontèrent à Aïcha ce qu’ils avaient vu à Médine. Ils insistèrent auprès d’elle sur la nécessité de prendre des mesures rapides contre les émeutiers et lui assurèrent leur soutien. Ils lui conseillèrent aussi d’aller à Bassorah pour gagner plus de gens à sa cause. Abdullah bin Omar se trouvait aussi à la Mecque à ce moment-là. On essaya de le persuader de rejoindre Aïcha mais le pieux Abdullah refusa de se laisser entraîner dans cette guerre civile.

Aïcha se mit en route pour Bassorah, à la tête d’un cortège important et d’autres personnes encore se joignaient à elle. Quand elle parvint à Bassorah elle avait 3000 hommes prêts à défendre son étendard. Le gouverneur de Bassorah envoya des messagers pour s’enquérir de l’objet de sa visite. Elle répondit qu’elle était venue parler aux gens de leur devoir envers l’ancien calife. Puis les messagers se rendirent auprès de Talha et Zubair et leurs posèrent la même question.

“Nous voulons venger la mort d’Othman”, dirent-ils.

“Mais vous avez prêté allégeance à Ali”, ajoutèrent les messagers.

“L’allégeance nous a été arrachée à la pointe de l’épée. De toute façon nous aurions respecté ce serment d’allégeance si Ali avait vengé la mort d’Othman ou nous avait autorisés à le faire.”

Le gouverneur de Bassorah décida de s’opposer à Aïcha jusqu’ à ce qu’Ali lui envoie de l’aide. Il sortit de la ville avec son armée, prêt à se battre. Les deux armées se faisaient face. Avant le début de la bataille, Aïcha fit un discours poignant devant l’armée adverse. Elle évoqua le lâche assassinat d’Othman, commis de sang froid et expliqua à quel point il était important et urgent de le venger. Son discours était si convainquant et avait une telle force que la moitié de cette armée se rangea à ses côtés.

Le combat commença. Il se poursuivit jusqu’au soir et reprit le lendemain. Vers midi les deux armées firent la paix et se mirent d’accord pour envoyer un homme à Médine. Il devait vérifier si le serment de loyauté de Talha et Zubair avait été prêté librement ou sous la contrainte. Si cela s’était fait de leur libre choix, alors l’armée d’Aïcha devait faire demi-tour. Autrement, le gouverneur devait quitter Bassorah. On choisit le juge en chef de Bassorah pour mener à bien cette mission : son rapport serait accepté par les deux parties. Aussi Kaab bin Thaur, le juge en chef de Bassorah, se rendit à Médine. Il y arriva un vendredi et se dirigea immédiatement à la mosquée du Prophète . Il se plaça devant l’assemblée des croyants et dit : "Ô gens, j’ai été envoyé par le peuple de Bassorah. J’ai fait tout ce chemin pour savoir si Talha et Zubair avaient prêté allégeance de leur plein gré ou sous la contrainte."

"Par Allah !" Usama bin Zaid, "Le serment leur fut extorqué à la pointe de l’épée."

Le témoignage de Usama fut confirmé par plusieurs grands Compagnons. Le juge de Bassorah vérifia ainsi la véracité des dires de Talha et Zubair.

Aisha Occupe Bassorah

Ali apprit ce qui se passait à Bassorah. Il écrivit au gouverneur de ne pas capituler.

"Même si Talha et Zubair ont été contraints à prêter allégeance, on a usé de la force pour créer les différences entre eux”, dit-il dans sa lettre.

Dans le même temps, le juge en chef de Bassorah était revenu dans sa ville. Il confirma les propos de Talha et Zubair. Ceux-ci demandèrent au gouverneur d’honorer sa parole et d’abandonner la cité. Mais entre temps ce dernier avait reçu les ordres du calife, et donna la priorité à son devoir d’obéissance envers le calife. Il se battit donc pour défendre la cité, mais il perdit et fut fait prisonnier.

Bassorah fut occupée le 4 de Rabi-ul-Akhir, 36 A.H. Talha et Zubair se lancèrent immédiatement à la recherche de ceux qui avaient pris part aux soulèvement contre Othman. Des centaines d’hommes furent interrogés. Un grand nombre fut arrêté et jugé. Beaucoup parmi eux furent déclarés coupables et exécutés. Bassorah connut pendant quelques temps le règne de la terreur.

Après avoir occupé Bassorah, Aïsha, Talha et Zubair adressèrent une longue lettre aux différentes provinces du monde musulman pour expliquer aux gens que la main d’Allah s’était abattue de façon inexorable sur les meurtriers d’Othman à Bassorah.

Les Compagnons répondent à Ali

Les événements de Bassorah préoccupaient Ali. Pour l’instant, il devait laisser Muawya de côté et rétablir la situation en Irak en priorité. L’affrontement avec Aïcha était inévitable. Il appela les gens de Médine à se rassembler sous sa bannière mais il eut peu de réponses. Pour beaucoup de Compagnons, la simple idée d’un tel conflit était insoutenable. Comment pourraient-ils combattre la veuve du Prophète ? Saad bin Waqqas, le conquérant de l’Iran, dit : “Ô commandant des croyants, je veux une épée qui sépare les musulmans des non musulmans. Si tu me donnes cette épée, je combattrai à tes côtés. Si tu n‘as pas cette épée, je te prie de m‘excuser.”

“Je te demande au nom d‘Allah” dit, Abdullah bin Omar, "de ne pas me contraindre à faire quelque chose que mon coeur déteste."

"Le Prophète d’Allah m’a enjoint”, répondit Muhammad bin Muslima, “d’user de mon épée tant que le combat m’opposait à des mécréants. Il m’a dit de la briser quand commencerait le combat mené contre des musulmans. J’ai déjà réduit mon épée en morceau.”

“Je t’en prie, fais-moi grâce de ce devoir”, dit Usama bin Zaid. "J’ai juré de ne pas me servir de mon épée contre un homme qui dit : “Il n’y a pas de divinité hormis Allah.”

Quand Ushtar apprit la réponse de ces Compagnons, il suggéra à Ali de les emprisonner.

"Non," répondit Ali, "Je ne veux pas les forcer à agir contre leur gré."

Des renforts de Kufa

Vers la fin du mois de Rabi-ul-Awwal, 36 A.H., Ali se mit en route pour l’Irak. Il espérait arriver à Bassorah avant ses adversaires, mais le trajet était trop long et le temps trop court pour que ce soit possible. A Dhi Qar, il apprit qu’Aïcha occupait Bassorah. Il s’arrêta donc là.

Ali avait envoyé plusieurs messages à Abu Musa Ashari, le gouverneur de Kufa, pour lui demander de l’aide. Abu Musa redoutait fortement la guerre civile et détestait l’idée de voir des musulmans s’attaquer à d’autres musulmans. Il voulait se tenir à l’écart de ce conflit. Les gens de Kufa avaient suivi son conseil. Ils décidèrent donc de ne pas prendre part à la lutte qui opposait Aïcha et Ali.

Ali finit par envoya son fils aîné, Hassan, à Kufa. Quand il arriva, Abu Musa était en train de s’adresser à un rassemblement de croyants dans la mosquée. Il les exhortait à se tenir à l’écart de la guerre civile. Quand il eut fini, Hassan monta sur la tribune. Il expliqua que son père était devenu le calife de façon légitime, que Talha et Zubair étaient revenus sur leur parole et que c’était le devoir du peuple que d’aider leur calife à combattre l’injustice.

Le discours eut un effet immédiat sur l’auditoire. Un notable de Kufa se leva et dit : “Ô gens de Kufa, notre gouverneur a parlé avec raison. Mais l’intégrité de l’Etat est une nécessité. Sans elle, il ne peut y avoir de garantie de paix ni de justice. Ali a été élu calife. Il vous appelle à combattre l’injustice. Vous devez donc l’aider de votre mieux.”

Cet appel fut suivi d’autres appels similaires, lancés par d’autres notables de Kufa. Le peuple fut convaincu par ces discours. Bientôt 9000 hommes se préparèrent à rejoindre Ali. Ali leur assura qu’il ferait tout son possible pour éviter les effusions de sang. Même si le combat devenait inévitable, il limiterait les pertes autant que possible.

Cette déclaration contribua à rallier les gens de Kufa à sa cause. Cela ajouta grandement à son pouvoir et à son prestige. Cependant, Ali restait prudent face à l’épreuve de force à venir.

Les pourparlers de paix échouent

Arrivés à Bassorah, Ali envoya un messager à Aïcha pour dissiper le malentendu qui l’opposait à elle.

“Que voulez-vous exactement ?” demanda le messager.

“Nous ne voulons rien d’autre que le bien des musulmans. Mais cela ne sera pas possible tant que la mort d’Othman ne sera pas vengée.”

“Cette volonté de vengeance est légitime”, continua le messager. “Mais comment pouvez-vous venir à bout des fauteurs de troubles si vous n’affermissez pas l’autorité du calife en premier lieu ? Vous en avez fait vous-mêmes l’expérience. Vous avez commencé à punir les émeutiers de Bassorah, mais vous n’avez rien pu faire dans le cas de Harqus bin Zubair. Vous vouliez l’exécuter mais 600 hommes sont venus le défendre. Si la nécessité peut vous contraindre à épargner cet homme, comment pouvez-vous blâmer Ali ? Si vous voulez vraiment mettre fin au troubles, rassemblez vous sous la bannière du calife. Ne plongez pas les croyants dans la guerre civile. C’est une question qui concerne tout le monde. J’espère que vous préférerez la paix et l’ordre à la souffrance et au carnage.”

Aïcha, Talha et Zubair furent touchés par cet appel. "Si Ali a vraiment l’intention de venger la mort d’Othman, alors nos différends seront facilement réglés”, dirent-ils.

Le messager rapporta donc une réponse prometteuse au calife. Il était accompagné d’hommes de Bassorah qui voulaient s’assurer que Ali ne les traiterait pas en ennemi vaincu. Ce dernier leur répondit qu’ils n’avaient rien à craindre. L’espoir d’une paix prochaine brillait donc à l’horizon. Mais dans l’armée d’Ali, il y avait Abdullah bin Saba et ses hommes. La signature de la paix allait causer leur perte. Ils étaient très ennuyés par les propos qu’Ali avait tenus après le retour de son messager.

“Ô gens“, dit-il, “la plus grande faveur que Dieu vous est faite est l’unité. L’unité vous rend forts et puissants. Les ennemis de l’islam ne veulent pas de cela. Ils ont tout fait pour ébranler notre unité. Prenez-y garde. Demain nous marcherons vers Bassorah, animés par des intentions pacifiques. Ceux qui ont pris part à l’assassinat d’Othman n’ont rien à faire avec nous.”

Abdullah bin Saba et ses hommes furent décontenancés par cette déclaration. Ils se réunirent en secret.

“Ali va venger la mort d’Othman”, se dirent-ils les uns aux autres. Il parle maintenant comme Talha, Zubair et Aïcha. Nous devons agir.

Le lendemain, Ali et son armée marchèrent vers Bassorah. Talha et Zubair sortirent de la cité avec leur armée. Les deux armées se firent face pendant deux ou trois jours. Les négociations se poursuivaient. Le troisième jour, les chefs des deux camps eurent une discussion face à face. Ali s’avança sur son cheval et de l’autre coté Talha et Zubair s’avancèrent eux aussi. Ils se faisaient face à présent.

“Ne suis-je pas votre frère ?” dit Ali en s’adressant à eux. “Le sang d’un musulman n’est-il pas sacré pour un autre musulman ?”

“Mais tu as pris part au soulèvement contre Othman”, rétorqua Talha.

"Je maudis les meurtriers d’Othman," répondit Ali. "Ô Talha ! Ne m’as tu pas juré que tu me serais loyal ?" “Oui, mais c’était à la pointe de l’épée”, répliqua Talha.

"Te souviens-tu, Ô Zubair," dit Ali, s’adressant maintenant au second des deux hommes, "que le Prophète d’Allah t’a demandé un jour si tu m’aimais. Tu as répondu que oui. Et alors le Prophète prédit qu’un jour viendrait où tu me combattrais sans raison."

“Tout à fait”, répondit Zubair. “A présent je me souviens parfaitement des mots du Prophète d’Allah.” Après cette conversation ; les trois hommes retournèrent dans leurs camps respectifs. La conversation avait rapproché leurs coeurs. Chacun avait médité les sombres perspectives qu’annonçait la guerre civile. Le sentiment général était que la paix n’était pas encore clairement en vue. Ali rentra dans son camp tout à fait satisfait. Il était presque sûr qu’on allait éviter l’effusion de sang. Il donna des ordres stricts : on ne devait pas tirer la moindre flèche. Pendant la nuit il pria Allah d’épargner aux musulmans les horreurs de la guerre civile.

La bataille aura quand même lieu...

La nuit tomba. Les deux armées dormaient paisiblement. Mais Abdullah bin Saba et ses hommes restèrent éveillés toute la nuit. C’était leur dernière chance. Il ne fallait pas la laisser échapper.

Il faisait encore sombre lorsque le son de l’acier résonna dans l’air. Saba et ses hommes avaient décidé d’attaquer par surprise l’armée d’Aïcha ! Bientôt une bataille rangée opposa les deux camps.

Talha et Zubair furent éveillés en sursaut par le tumulte.

« Que se passe-t-il ? » demandèrent-ils.

« Ali a lancé une attaque surprise cette nuit », leur dit-on.

« Hélas ! » s’écrièrent-ils. « On n’a pas réussi à empêcher Ali de verser le sang des musulmans. Nous redoutions cela tout le temps. »

Ali fut également surpris par cette soudaine animation.

« Qu’y a-t-il ? » demanda-t-il.

« Talha et Zubair nous ont attaqués par surprise », dirent les hommes de Saba.

« Hélas ! » dit Ali, « Ces hommes n’ont pu être empêchés de tuer les musulmans. Je redoutais cela en permanence. »

Le combat fut acharné. Les musulmans se mesuraient aux musulmans et des centaines de combattants moururent dans chaque camp. Talha mourut au combat. Zubair quitta le champ de bataille. La majeure partie de l’armée d’Aïcha se replia mais les affrontements se poursuivirent autour de son chameau. Une foule nombreuse de pieux musulmans luttaient désespérément pour l’honneur de la veuve du Prophète . L’un après l’autre, soixante-dix hommes saisirent la bride de son chameau et sacrifièrent leur vie pour elle.

Le coeur d’Ali se serra devant ce spectacle. La vie si précieuse de centaines de musulmans était sacrifiée en pure perte. A la fin, le calife ordonna à l’un de ses hommes de couper les pattes arrière du chameau. Celui-ci s’exécuta. La bête tomba sur ses pattes avant, et la litière tomba à terre. Ceci mit fin au combat.

Aïcha fut sortie de sa litière avec tous les égards qui lui étaient dus. Elle était indemne. Ali vint à elle.

« Comment allez-vous, Mère des Croyants ? »

« Parfaitement bien » répondit-elle. « Puisse Allah te pardonner ta faute. »

« Et puisse-t-Il pardonner la tienne également », répondit Ali.

Il fit ensuite le tour du champ de bataille. Un grand nombre de compagnons célèbres gisait dans la poussière. Environ 10 000 hommes des deux camps avaient perdu la vie dans ce combat. Parmi les tués se trouvaient certains des meilleurs fils de l’islam. Ali fut profondément ému. Il ne permit pas à ses hommes de s’emparer du butin. Tout fut collecté puis le califat demanda aux habitants de Bassorah de récupérer leurs biens.

Après avoir quitté le champ de bataille, Zubair était parti pour la Mecque. Il s’arrêta dans une vallée pour prier et fut assassiné tandis qu’il priait par un homme du nom de Amr bin Jarmoz. Jarmoz rapporta les armes de Zubair à Ali. Il espérait recevoir une récompense pour avoir tué l’adversaire du calife, mais au lieu de cela il reçut une sévère réprimande.

« J’ai vu le propriétaire de cette épée combattre plusieurs fois pour le Prophète d’Allah », dit Ali. « J’annonce à son meurtrier qu’il a sa place en enfer. » Après un séjour de quelques jours à Bassorah, Ali envoya Aïcha à Médine avec son frère, Muhammad Abu Bakr. Alors qu‘elle était sur le point de partir, un groupe de personnes entoura son chameau. Elle leur dit : « Mes enfants, ne nous blâmez ni l’un ni l’autre. Par Allah il n’y a aucune inimitié entre Ali et moi. C’était une simple querelle de famille. Je considère Ali comme un homme de bien. »

A cela Ali répondit : « Elle a parfaitement raison. Nos différends ne sont qu’une simple querelle de famille. Elle occupe un rang élevé dans la foi. Dans ce monde comme dans l’autre elle est la femme honorée du Prophète d’Allah. »

Ali parcourut souvent de longues distances pour lui rendre visite.

A présent il fallait restaurer l’ordre à Bassorah. La ville avait pris les armes contre le calife, mais Ali décréta une amnistie générale. Il prononça un discours poignant dans la mosquée Jami ; exhortant les croyants à se rappeler leur devoir envers Allah. Il reçut le serment d’allégeance des habitants de Bassorah et nomma bdullah bin Abbas comme nouveau gouverneur.

Certains notables de Banu Omayya se trouvaient à Bassorah quand la ville tomba. Le calife en eut connaissance mais leur fit bénéficier de l’amnistie générale. Ils purent ainsi se rendre en Syrie et rejoindre Muawya.

                         Mosquée abritant le tombeau d' Ali ibn Abi Talib (Qu'Allâh l'agrée)

La bataille de Siffin

Ali tourna son attention vers Muawya. A part la Syrie, tout l’empire reconnaissait à présent Ali comme calife. Mais le quatrième calife ne retourna pas à Médine. Il fit de Kufa sa nouvelle capitale. Ce choix s’explique par deux raisons. Tout d’abord, il y jouissait d’un large soutien. Ensuite, le trésor public iraqien disposait de revenus extrêmement abondants qui pourraient lui être très utiles dans le cas d’une guerre menée contre une région aussi riche que la Syrie. Avant de prendre l’épée, Ali voulait essayer des méthodes de paix. Il envoya un messager à Muawya afin de demander au gouverneur syrien d’accepter le nouveau calife. Ce dernier répondit :

- Tuez d’abord les assassins d’Othman, puis laissez les musulmans choisir leur calife par vote libre.

Muawya a été gouverneur de Syrie et commandant de l’armée syrienne depuis le temps du calife Omar. Habile et soucieux, il s’est rendu populaire auprès du peuple. L’assassinat d’Othman lui a fourni l’opportunité de tourner cette popularité à son avantage. Il avait de grands moyens. Il était au courant du pouvoir d’Ali. Il voulait le retenir à tout prix. Muawya n’allait pas se rendre sans un dur combat.

Ali quitta Kufa à la tête d’une grande armée. A Nakhila, Abdullah bin Abbâs, gouverneur de Bassora se joignit à lui avec son armée. Ali réorganisa ses troupes et marcha vers le nord de la Syrie. Après la traversée de l’Euphrate, il campa à Siffin.

Les préparations de Muawya étaient très avancées. Les chefs des Omeyyades qui avaient quitté Médine se joignirent à lui. Ils s’ajoutèrent aux forces de Muawya. Amr bin Aas, le conquérant de l’Egypte, était bien connu pour son pouvoir. Muawya le gagna de son côté. En plus de cela, Muawya préparait les syriens dans une hystérie. La chemise ensanglantée d’Othman et les doigts tranchés de Naïla étaient souvent montrés dans la Jâmi, mosquée de Damas. Muawya parlait du tragique assassinat du calife. Le résultat fut une tempête de colère. Des milliers de syriens jurèrent de venger la mort d’Othman et de ne plus dormir dans leur lit, ni même d’avoir de boisson fraîche jusqu’à ce qu’ils aient achevé ce but.

Muawya vont à savoir l’avance d’ali. Il conduisit son armée de l’autre côté de Siffin afin de s’opposer à celle d’Ali. Les deux armées se préparaient pour une épreuve de force.

L’offre de paix

Rien ne se passa durant deux jours. Le troisième jour, Ali envoya une délégation de paix à Muawya. L’un d’entre eux, Bachir, dit à Muawya : Ô Muawya ! Cette vie est courte. Vousdevez paraître devant Allah et répondre de vos actions. Je vous implore, au nom d’Allah, de ne pas semer des différents parmi les musulmans. Priez, ne répandez pas le sang des musulmans dans une guerre civile.

Pourquoi n’adressez-vous pas ce sermon à votre ami Ali ? rétorqua Muawya. Le cas de Ali est différent du votre ! répondit Bachir. C’est un homme de grand savoir. Il tient une haute place dans la Foi. Il est l’un des premiers musulmans. Il a un degré de parenté très proche du Prophète Mohammed . Ces choses font de lui l’homme le plus apte pour le califat. Vous devriez lui prêter serment d’allégeance et lui donner un bon nom dans ce monde et dans l’Autre.

Mais, dois-je renoncer à la demande de vengeance de l’assassinat d’Othman ?

Par Allah, je ne le ferai jamais ! déclara Muawya.

Bachir voulut répondre mais son compagnon Shis parla :

 

 Ô Muawya ! Nous savons bien ce que vous voulez. Vous avez tardé à aider Othman et l’avez fait tuer. Maintenant son assassinat est une excuse pour viser le califat. Souvenez-vous ! Ce genre d’action ne vous amènera pas de bien. Si vous échouez, alors votre sort sera clairement le plus malheureux. Mais même si vous êtes vainqueur, vous ne pouvez vous échapper au feu de l’Enfer.

Ces mots rendirent Muawya très furieux.

Ô fier paysan ! s’écria-t-il, vous avez dit un gros mensonge. Hors d’ici ! L’épée doit décider.

Un mois de trêve

La mission de paix semblait ne pas aboutir. La guerre paraissait maintenant inévitable. Cependant, des deux côtés, il semblait y avoir une répugnance pour se battre. Les musulmans contre les musulmans ! Des deux côtés, on se rappelait les paroles inoubliables du Prophète Mohammed . « La vie, l’honneur, et la richesse de votre frère musulman sont plus sacrés que le mois du Hajj et l’aire sacrée de La Mecque. » Ils espérèrent qu’une solution serait trouvée afin d’éviter une guerre civile. C’était le mois de Dhoul Hijjah en l’an 36 après l’hégire. La guerre débuta par de simples combats qui furent suivis quelques jours plus tard par des rencontres de simples bataillons. Le mois de Dhoul Hijjah se passa ainsi. La nouvelle lune de la nouvelle année apparut dans le ciel. La bataille cessa avec son apparition. Ali et Muawya firent une trêve.

La trêve d’un mois fournit une bonne occasion pour le renouvellement des pourparlers de paix. La guerre civile était répugnée des deux côtés. Ali fut le premier à envoyer une mission de paix conduite par Adi Bin Hatam Taï. Il s’adressa ainsi à Muawya :

« Ô Muawya, nous venons à vous avec une offre d’amour et de paix. Si vous l’acceptez, les éternelles disputes des musulmans cesseront. Il n’y aura plus d’effusion de sang. Ali est votre frère. Il est maintenant le plus élevé parmi les hommes. Tous, exceptés vous et vos hommes, l’ont accepté comme calife. Vous aussi, prêtez-lui serment d’allégeance et finissez avec cette affaire. Si vous ne le faites pas, j’ai peur que vous aurez à souffrir comme d’autres ont souffert au cours de la bataille du chameau. »

« Je suis désolé Ali, répondit Muawya. Venez-vous faire la paix ou me menacer ? Par Allah, je suis le fils de Herb et je n’ai pas peur de la guerre. Je sais que vous avez aussi participé à l’assassinat d’Othman. Vous aurez aussi à souffrir de cela. »

Les autres membres de la mission changèrent le cours de la conversation :

« Laissez ces choses, ô Muawya ! Dirent-ils. Dites quelque chose qui puisse terminer la dispute. La paix est le réel besoin. Vous n’ignorez pas le savoir d’Ali et sa piété. Aucun homme pieux et instruit ne se défiera de sa direction. Craignez Allah, ô Muawya, et renoncez à vous opposer à Ali ! Par Allah, nous ne connaissons aucun autre homme plus pieux et plus humain qu’Ali. »

A cela, Muawya répondit :

« Vous m’invitez à me soumettre à l’autorité d’Ali ! Je ne suis pas d’accord car il a fait tuer notre calife. Il n’y a qu’une solution pour avoir la paix : Laisser Ali nous remettre les assassins d’Othman. Ils sont dans son camp et sont ses amis et ses partisans. Nous les tuerons d’abord et ensuite obéirons à Ali. »

« Vous voulez tuer un homme comme Ammar bin Yassir ? » demanda un homme de la mission.

« Qu’y a-t-il de si extraordinaire ? répliqua Muawya. Je le tuerai même s’il avait tué un esclave d’Othman. »

« Par Allah, cela ne peut pas se passer ainsi ! répondit l’homme, aussi longtemps que les têtes ne seront pas tranchées et la terre et le ciel ne deviendront pas trop étroits pou vous. »

« Si les choses doivent en arriver là, vous en aurez un avant-goût. » répondit Muawya.

La mission de paix échoua une fois de plus.

Une autre mission de paix arriva ensuite de Muawya. Elle était conduite par Habib bin Maslama Fahri. S’adressant à Ali, il dit :

« Othman était un calife juste. Il suivait le Livre d’Allah et l’exemple du Saint Prophète . Il obéissait aux commandements d’Allah. Vous ne l’aimiez pas. Vous l’avez tué injustement. Si vous dites que vous n’avez pas participé à son assassinat, remettez-nous ses assassins. Nous vengerons la mort d’Othman en les tuant. Après cela, les musulmans désigneront leur calife par un vote libre. »

Ali se fâcha :

« Eh bien, dit-il, qui êtes-vous pour me retirer de me fonctions ? De tels propos vous vont mal. Gardez votre paix. Vous êtes mal placés pour continuer à parler de ce sujet. »

« Vous me placez dans une situation qui vous embêtera », répondit Habib.

« Quel mal pouvez-vous me faire ? dit Ali. Allez vous-en et faites ce que vous pouvez. »

« Si je dis quelque chose, j’aurai la même réponse, plaça un autre membre de la mission. Avez-vous quelque chose d’autre à nous dire ? »

« Oui, répondit Ali. Allah, dans Sa bonté, nous a envoyé Son Prophète . Il nous a montré le chemin de la vérité. Après lui, vinrent les califes Abu Bakr et Omar. Ils régnèrent avec justice. J’avais une plainte contre eux. Etant un proche parent du Prophète , j’ai pensé que c’était mon droit d’être calife. Mais ces deux-là étaient de bons hommes. Alors je leur ai pardonné. Vient ensuite Othman. Il fit des choses qui offensèrent le peuple. Aussi l’ont-ils tué. Les gens vinrent à moi. Je n’avais rien à voir avec ce qu’ils ont fait. Ils m’ont forcé à accepter le califat. J’ai d’abord refusé. Mais, voyant qu’aucun autre homme ne serait accepté de tous, j’ai décidé de prendre cette responsabilité. Talha et Zoubayr m’ont prêté serment et se sont ensuite retournés contre moi. Maintenant, c’est Muawya qui s’oppose à moi. Il n’est ni l’un des premiers convertis à l’islam, ni quelqu’un qui a rendu un réel service à la foi. Lui, son père et toute sa famille ont toujours été opposés à Allah, à Son Prophète et aux musulmans. Ils ont embrassé l’islam parce qu’ils n’avaient pas le choix. Il est vraiment étrange que vous soyez de son côté et contre les parents du Prophète . Je vous appelle au Livre d’Allah et à l’exemple de Son Prophète . Je vous invite à aider la cause de la vérité et à combattre le mensonge. »

« Mais que pouvez-vous dire des assassins d’Othman ? demanda un membre de la mission. Ne l’a-t-on pas tué injustement ? »

« Je ne peux rien en dire, répondit Ali. Je ne dis pas qu’il fut justement, ni injustement. »

Cette réponse du calife offensa tellement les membres de la mission qu’ils se levèrent pour partir.

« Nous n’avons rien à faire avec un homme qui ne pense pas que Othman ait été tué injustement. », déclarèrent-ils.

A ceci, Ali récita le verset suivant :

« Non, tu ne peux faire entendre aux morts cet appel, tu ne peux faire entendre aux sourds qui tournent le dos. Tu ne peux guider les aveugles, tu ne peux les tirer d’erreur. Tu ne peux faire entendre qu’à ceux qui croient en nos signes, et ils deviennent soumis. » Sourate 30, Ar-Roum (Les romains), versets 52-53

Avec l’échec de la mission prirent fin les pourparlers de paix. Aucun des deux partis n’entreprit un nouvel essai de compromis.

 
                   Façade de la mosquée abritant la tombe d' Ali ibn Abi Talib (Qu'Allâh l'agrée)

 

La bataille

Le soir du dernier jour de Muharram de l’an 37 de l’hégire, Ali donna à son armée l’ordre d’attaquer l’armée syrienne le lendemain.

« Ils ont eu suffisamment de temps pour réfléchir. », expliqua-t-il.

Mardi premier Safar, la bataille commença. Pendant une semaine, aucun des deux partis ne l’emportait vraiment. Au huitième jour, Ali conduisit lui-même une attaque générale. De l’autre côté, Muawya prit le commandement. Une rude bataille eut lieu toute la journée. Aucun camp ne prit l’avantage. L’obscurité de la nuit mit fin à la lutte.

La bataille reprit très tôt le lendemain, plus cruelle que jamais. L’armée d’Ali montrait des signes de faiblesse. Mais Ali lui-même fonçait en avant. Son exemple encouragea ses hommes. Ils tombèrent sur l’ennemi avec une nouvelle furie. Aussitôt, quelques troupes forcèrent le chemin jusqu’à la tente de Muawya. La nuit tomba, mais la bataille continua.

Elle fit rage pendant toute la nuit. Au matin, le cliquetis des armes ne s’arrêtait pas. Des hommes et des animaux étaient épuisés, mais personne ne voulait se retirer sans résultat décisif. L’armée d’Ali avait maintenant un net avantage. Lui et ses généraux entreprirent une attaque puissante. L’armée de Muawya trébucha sous le poids de l’attaque. La victoire lui échappait. Il consulta rapidement Amr bin Aas. Il fit ensuite signe à ses hommes. En quelques minutes, le message circula et aussitôt des corans furent soulevés, pendus au bout des lances des syriens.

« Voici le livre d’Allah, le Tout-Puissant, criaient-ils. Il décidera entre nous. Si nous partons, qui défendra les frontières à l’Ouest ? Si vous partez, qui défendra les frontières de l’Est ? »

« C’est un piège ! Cria Ali. Ne vous y laissez pas prendre. Continuons la lutte. La victoire est déjà en vue. Je connais Muawya, Amr bin Aas, Habib bin Maslama, Ibn Abi Sarah et Ibn Abi Said depuis l’enfance. C’est un coup pour vous tromper. »

Mais une bonne partie des hommes de son armée refusa de l’écouter.

« Comment est-ce possible ? Dirent-ils. Nous sommes appelés vers le Livre d’Allah. Comment osons-nous refuser ? »

Quand Ali insista pour que la bataille continue, ses hommes dirent :

« Ou vous donnez l’ordre d’arrêter le combat, ou nous en finirons avec vous comme nous l’avons fait avec Othman. » Ali était désespéré. Sa propre armée aidait la cause de l’ennemi. Ils le forçaient à prendre une décision qu’il savait mauvaise. Mais il n’avait pas le choix. Aussi, à contre cœur, il donna l’ordre à ses troupes de cesser le combat et de revenir.

Le jugement

Ali se battait maintenant pour un combat perdu. Il envoya des hommes à Muawya pour savoir ce qu’il voulait dire en faisant du coran un juge entre eux. Sa réponse fut :

« Je veux dire que chaque partie devrait nommer un juge. Les deux juges déclareraient sous serment qu’ils seront guidés par le Livre d’Allah. La décision qu’ils prendraient serait obligatoire pour les deux partis antagonistes. »

Muawya nomma Amr bin Aas. Aucun de ses hommes ne discuta le choix. Mais les choses étaient différentes dans le camp d’Ali. Celui-ci proposa Abdullah bin Abbâs.

« C’est un parent à vous, crièrent ses hommes. Le juge doit être impartial.

Pensez-vous que Amr bin Aas soit impartial ? demanda Ali.

Le blâme en revient aux syriens, pas à nous, répondirent-ils.

Très bien, dit Ali. Nommons donc Ashtâr. Il n’est pas un parent à moi.

Quelle proposition ! S’exclamèrent-ils. Ashtâr est la cause profonde de tout ce trouble. »

Les hommes d’Ali proposèrent Abou Moussa Ashari.

« Je ne peux me fier à son jugement. Il est trop naïf. » Mais ses hommes ne voulaient pas quelqu’un d’autre. Ali dut, à contre cœur, donner son consentement.

« Faites comme vous voulez. »

Le 13 Safar de l’année 37 de l’hégire, un accord fut signé par les chefs des deux camps. Il disait que les deux juges devraient donner leur décision dans le mois de Ramadan, qui devrait être annoncée en public en un lieu entre la Syrie et l’Iraq.

Division de l’armée d’Ali

Ali quitta Siffin avec un sentiment de perte. 90 000 hommes furent tués dans cette bataille. Jamais auparavant dans l’histoire de l’islam, les pertes de vie ne furent aussi lourdes. Mais même ce grand sacrifice n’apporta rien. Les choses s’aggravèrent plus que jamais. Ali chargea Ibn Qais d’aller inspecter les troupes et d’expliquer aux différentes tribus les termes de l’accord. La tribu d’Anza avait envoyé 4 000 hommes pour combattre pour Ali. Quand l’accord lui fut lu, deux frères se levèrent et s’exclamèrent :

« Nous n’allons pas accepter la décision d’un autre qu’Allah. Pourquoi prenez-vous des juges humains quand les commandements d’Allah existent ? Si vous le faites, que deviendront ceux qui ont donné leurs vies pour votre cause ? »

D’autres tribus dirent la même chose. Un bon nombre de gens étaient contre le jugement. Ils pensaient qu’Ali avait accepté un arrangement contraire à l’esprit de l’islam. Quelques-uns vinrent à lui et dirent :

« Nous vous demandons de rejeter cet accord. Nous craignons qu’il vous fasse du tort. »

« C’est vous qui m’y avez forcé, dit Ali. Maintenant que j’ai donné ma parole, vous me demandez de revenir. Je ne peux faire cela. »

Les hommes d’Ali se divisèrent alors en deux groupes. Le premier voulait l’accord, l’autre le considérait comme un acte irréligieux. Dans tous les territoires soumis à Ali, on se prononçait pour ou contre l’accord. Des mots, on en venait parfois aux coups et de sérieuses rixes se produisaient.

Pendant qu’Ali revenait de Koufa, sa capitale, une grande partie s’était levée contre lui à la suite de l’accord. 12 000 hommes le quittèrent et formèrent un nouveau groupe qui choisit comme chef, Shith bin Rabi. Abdullah bin Kawai fut nommé pour conduire la prière. Leur politique était que :

Allah seul doit être obéi. C’est notre devoir d’ordonner le bien et d’empêcher le mal. Ali et Muawya sont tous deux dans l’erreur. La faute de Muawya est qu’il n’ait pas accepté Ali, le calife juste. Celle d’Ali est qu’il n’ait pas ouvert les pourparlers de paix avec Muawya qui aurait du être tué. Il a négligé un clair commandement du coran et fait des êtres humains, ses juges. Après que nous aurons gagné le pouvoir, nous fixerons un ordre social en accord avec le Livre d’Allah.

Ali renvoya Abdullah bin Abbâs dissiper la mésentente de ses dissidents. Ils commencèrent une longue discussion avec lui. Pendant ce temps, Ali lui-même se rendit à leur camp. Il leur assura que la décision des juges ne serait pas acceptée que si elle est en strict accord avec le Livre d’Allah. Cette assurance laissa les dissidents sans arguments. Ali réussit, avec une grande difficulté, à ramener ces hommes à Koufa.

La capitale avait un aspect pathétique. Rares étaient les familles qui n’avaient pas perdu un père, un frère ou un fils à Siffin. Des lamentations amères pour ces pertes s’élevèrent de partout. Le fait que le calife revient les mains vides ajouta beaucoup à la tristesse générale. Au-dessus de tout cela, il y avait la malheureuse division dans son camp. Tous ces facteurs furent la cause d’un sentiment d’affection duquel ses hommes ne devaient jamais se remettre.

 
                                                      Zulfiqar


 La décision

Les deux juges réfléchirent au problème pendant six mois. Puis, ils se rencontrèrent à la ville frontière de Doumat al Jandal. Chacun d’eux avait quatre cents hommes avec lui. A la demande de Muawya, des hommes neutres de haut rang les accompagnèrent. Parmi eux, il y avait Abdullah bin Omar, Saad bin Abi Waqqâs, Abdullah bin Zoubayr et d’autres.

« Ô Amr, dit Abou Moussa, nous en avons assez de la guerre civile. Faisons quelque chose pour guérir les blessés.

Je suis entièrement d’accord avec vous, répondit Amr. Nous ferions mieux d’être précis sur ce que nous allons être d’accord. Prenons un scribe pour rédiger les clauses de l’accord. »

Le scribe vint et commença à inscrire les points sur lesquels ils étaient d’accord.

« D’abord, ils étaient d’accord sur l’authenticité du Prophète d’Allah et de son message. Ensuite, ils reconnaissaient que Abu Bakr et Omar étaient des califes par le consentement commun des musulmans. Othman fut un vrai musulman. », dit-il.

Abou Moussa : Ce point n’entre plus dans la discussion maintenant !

Amr : Mais si vous ne le considérez pas comme un croyant, fut-il un incroyant ?

Abou Moussa : Bon, laissons le scribe inscrire cela aussi !

Amr : Alors il y a deux choses. Il fut tué soit justement, soit injustement.

Abou Moussa : Il le fut injustement.

Amr : Celui qui est tué injustement, Allah donne aux siens le droit de venger sa mort.

Abou Moussa : Oui, Allah leur donne ce droit.

Amr : Vous savez que Muawya est le plus proche parent d’Othman !

Abou Moussa : Oui, cela est vrai aussi.

Amr : Muawya a le droit de mettre la main sur les assassins d’Othman, qui que ce soit et n’importe où.

Abou Moussa : Cela aussi est vrai, mais ô Amr, cette discussion est un tel fléau pour le peuple. Débarrassons-en le. Trouvons un moyen de rendre les gens heureux !

Amr : Avez-vous une proposition à faire ?

Abou Moussa : Oui, je suis sûr que les Syriens n’aimeront jamais Ali et les Iraqiens n’accepteront jamais Muawya. Laissons donc tomber ces deux noms et faisons de Abdullah bin Omar le calife.

Amr : Voudra-t-il être calife ?

Abou Moussa : Je l’espère, si nous allons à lui et faisons la requête.

Amr : Mais pourquoi pas Saad bin Abi Waqqâs ?

Abou Moussa n’approuva pas ce choix. Amr en suggéra d’autres. Mais Abou Moussa ne donna pas son consentement. Les deux juges ne purent se mettre d’accord sur ce point.

« Alors, quelle doit être la solution ? demanda Amr.

Je pense que nous allons disqualifier Ali et Muawya et permettre au peuple d’élire un calife, répondit Abou Moussa.

Je suis parfaitement d’accord, dit Amr. »

Le jugement allait maintenant être annoncé. Amr demanda à Abou Moussa de parler en premier. Ce dernier se leva et dit :

« Ô peuple ! Nous avons convenu de ne pas accorder à Ali et à Muawya le califat. Vous pouvez choisir un autre homme que vous croyez capable. »

Amr se leva ensuite :

« Ô peuple, commença-t-il, je considère Ali comme une personne incapable d’être calife, mais Muawya à mon avis est apte pour cette fonction. »

Il y eut un grand désordre. Le jugement se trouve être une grande mystification. Les espoirs de paix et d’ordre s’envolèrent à nouveau. Tous les honnêtes gens quittèrent la place avec dégoût.

Les kharijis (dissidents)

Les personnes qui objectèrent à l’accord de Siffin étaient les kharijis. Ali les avait calmés. Mais après le jugement, ils recommencèrent à semer le trouble.

« Nous avons demandé à Ali de rejeter l’accord », dirent-ils. « Il ne nous a pas écoutés. A présent, il déclare que le jugement est contre le Livre d’Allah. Il admet ce que nous avons dit au début. Il doit donc confesser sa faute et s’en repentir. S’il le fait, nous sommes avec lui. Sinon, nous le combattrons. »

Les kharijis fondèrent leur centre à Nehrwân. Ils commencèrent à prêcher leur culte et réunirent suffisamment de force. Ils laissèrent les non musulmans tranquilles. Mais ils furent très durs avec les musulmans qui divergeaient de leur point de vue. Ils considéraient ces derniers comme des rebelles à la foi et les combattaient.

Dans un sens, les kharijis étaient des stricts puritains. Ils faisaient de longues prières et s’habillaient simplement. Ils étaient honnêtes dans leurs affaires. Mais être loyal envers un calife était un crime à leurs yeux. Ils appelaient cela « Le culte de la personnalité ». Ils tuèrent lâchement des hommes et des femmes qui se disaient partisans du calife.

Ali avait encore à s’occuper de Muawiya. Mais le danger kharijis étaient de loin le plus sérieux. Il demandait une attention immédiate. Le calife ne pouvait marcher sur la Syrie sans d’abord éloigner ce danger. Il conduisit une armée à Nehrwân. Il envoya d’abord deux notables compagnons persuader les chefs kharijis de ne pas quitter le chemin du sens commun. Ces derniers refusèrent.

Ali envoya alors un message dire : « Remettez-nous ceux qui ont tué des musulmans. Nous les tuerons et laisserons les autres en paix. »

A cela, ils répondirent : « Nous avons tous répandu le sang de vos partisans et nous continuerons à le faire. » Ali vit qu’il ne pourrait pas éviter un combat. Il déclara encore que ceux qui partiront pour Koufa ou Médine, quitteront leur armée auront alors la vie sauve. Une bonne partie profita de cette concession. Toutefois, il restait 3 000 kharijis. La bataille commença. Les kharijis se battirent désespérément. Ali lui-même tua la plupart de leurs chefs. Leur armée fut entièrement détruite. Ali envoya les blessés à leurs parents.

Cette défaite, cependant, ne mit pas fin à l’opposition des kharijis. Ces derniers s’étendirent dans différentes régions du pays. Ils prêchèrent la violence. Un de leurs chefs, Kharait, prêchait l’anarchie.

« Toute autorité appartient à Allah », cita-t-il du Coran. « Donc, aucun gouvernement ne doit exister. »

Ali envoya des troupes contre Kharait et d’autres kharijis. Kharait fut tué. Mais le trouble khariji était toujours là.

Déclin du pouvoir d’Ali

Après avoir vaincu les kharijis à Nehrwân, Ali voulut marcher sur la Syrie. Mais ses hommes n’étaient pas en état de le faire.

« Nous sommes las de cette bataille constante », se plaignirent-ils. « Permettez-nous de nous reposer un moment. »

Le calife campa à Nakhila, à quelques milles de la capitale. Ses hommes commencèrent à s’échapper vers Koufa. A la fin, Ali fut forcé de gagner Koufa. Plus tard, il demanda au peuple de se préparer pour la campagne syrienne. Mais les chefs de Koufa n’en montrèrent aucun désir. Les appels actifs d’Ali eurent peu d’effet.

Comme le temps passait, Ali comprit clairement qu’il ne pourrait jamais conduire une seconde armée contre Muawya.

La perte de l’Egypte

Qais bin Saad était le premier gouverneur d’Egypte sous Ali. Il était le fils du fameux chef Ansâri Saad bin Abada. Qais était un homme très capable. Il réussit à rallier des personnes à Ali. La ville de Khartba, cependant, ne voulait pas accepter le nouveau calife. Qais laissa ces gens tranquilles à condition qu’ils vivent en paix. Quelques amis d’Ali surveillaient le gouvernement d’Egypte. Ils commençaient à avoir des doutes sur la loyauté de Qais.

« Pourquoi n’oblige-t-il pas Khartba à accepter le nouveau calife ? » dirent-ils.

Aussi Ali écrivit-il à Qais, lui demandant d’agir contre Khartba. Le gouverneur lui écrivit que cela ne serait pas prudent. Des personnes de l’entourage d’Ali virent en cette lettre une preuve de la sympathie de Qais pour Muawya. Celui-ci vit là sa chance. Il savait de quoi Qais était capable. Il craignait que s’il restait en Egypte, la situation deviendrait difficile. Il se fit passer pour un de ses hommes. La chose fut rapportée au calife. Le piège était habillement tendu. Ali s’y est laissé prendre, il renvoya Qais.

Mohammad bin Abou Bakr fut alors nommé gouverneur d’Egypte. C’était un jeune homme inexpérimenté. La première chose qu’il fit, fut de prendre partie contre les gens de Khartba. Cela le tint occupé pendant un long moment. Pendant ce temps, la bataille de Siffin commença. Mais le gouverneur d’Egypte était tellement occupé qu’il ne put lever le petit doigt pour aider Ali. Le coup de Muawya avait bien réussi.

Ali comprit son erreur par la suite. L’Egypte devait être en de meilleures mains pensa-t-il. Aussi, à son retour de Siffin, il remplaça Mohammad bin Abou Bakr par Mâlik bin Ashtâr. Celui-ci était un homme fort. Il représentait encore un réel danger pour Muawya. Comment pouvait-il traiter avec un homme comme Ashtâr ? Sa loyauté ne pouvait être mise en doute. Il utilisa une arme secrète : le poison. Mâlik se rendait en Egypte quand il fut empoisonné à mort.

Sa mort obligea Ali à nommer de nouveau Mohammad bin Abou Bakr. Ali lui assura que ce n’était pas par plaisir mais seulement pour améliorer la situation. Mohammad fut satisfait.

Après le jugement, Muawya prétendait ouvertement au califat. L’Egypte était le premier objet de son ambition. Les choses y étaient aussi mauvaises qu’il le voulait. Il écrivit au peuple de Khartba de se préparer pour une révolte. Sa propre armée conduite par Amr bin Aas venait à leur aide.

Mohammad bin Abou Bakr écrivit à Ali pour lui demander de l’aide immédiate. La seule aide qu’il reçut fut un appel du calife, lui disant de se battre aussi courageusement que possible. Pendant ce temps, Amr et une armée de 6 000 hommes arrivèrent. Il était le conquérant de l’Egypte et voulait être son gouverneur. Dès son arrivée, 10 000 guerriers de Khartba se joignirent à son armée.

Mohammad bin Abou Bakr ne put envoyer que 2 000 hommes pour arrêter Amr. Ils furent facilement battus. Pendant ce temps, Mohammad réunit encore 2 000 hommes que lui-même commanda. Comme il allait partir, la nouvelle de la défaite arriva. Tous ces hommes s’enfuirent et lui-même se sentit désespéré. Il fut pris. Son frère Abderrahman, qui était du côté de Muawya, demanda à ce que la vie de son frère soit épargnée.

« Non », dit Muawya, « il est l’un des assassins d’Othman. Il doit payer cette peine de sa vie. »

Mohammad bin Abou Bakr fut massacré sans pitié.

Muawya devint maître de l’Egypte en l’an 38 de l’hégire. Une importante province venait d’être enlevée à Ali.

Agitation dans le pays

Avec tact et diplomatie, Muawya coupait le terrain sous les pieds d’Ali. Ses hommes poussaient le peuple contre le calife. L’un d’entre eux, Ibn Hadrami, vint à Bassora. Le gouverneur, Ibn Abbâs, était en visite à Koufa. Hadrami vit sa chance. Il incita le peuple à venger la mort d’Othman et put trouver une relève solide. Le député du gouverneur s’enfuit avec peine de la ville. Ali mata la révolte. Hadrami et soixante-dix de ses hommes s’enfermèrent dans une maison. Celle-ci fut mise à feu et tous ses occupants furent brûlés vifs.

Cet acte cruel d’un général du calife augmenta l’agitation. La Perse et Kerman refusaient de payer leur revenu. Ces soulèvements devaient être apaisés par l’épée.

En 39 de l’hégire, Muawya fut capable de mener la bataille dans le camp d’Ali. Il envoya de fortes troupes faire un raid dans le territoire d’Ali. Une de ces troupes arriva près de Bassora. Des appels à l’aide s’élevèrent dans différentes régions. Par des mots ardents, le calife essayait de pousser les shiites dans l’action. Mais ils n’en furent pas touchés. Les raids de Muawya semèrent la terreur dans le cœur du peuple. L’agitation se dispersait. Chaque jour qui passait voyait le calife de plus en plus seul à faire ce qu’il pouvait.

Cette année-là, comme toujours, le calife envoya son député conduire le pèlerinage à La Mecque. Muawya envoya un de ses hommes dans ce même but. Il y eut une lutte entre les deux hommes, chacun d’eux prétendant être l’agent du droit calife. A la fin, un troisième homme, Shaiba, le petit-fils de Talha, conduisit le pèlerinage. Ali perdit ainsi ce symbole du califat. Aux yeux des pèlerins réunis dans la ville sainte, il était descendu au même niveau que Muawya.

La perte du Hijaz et du Yémen

Les difficultés d’Ali rendirent Muawya plus que téméraire. En l’an 40 de l’hégire, il envoya le cruel Bisr avec une armée de 3 000 hommes marcher sur le Hijaz. Le député d’Ali à Médine, Abou Ayoub, ne put empêcher l’invasion et s’enfuit à Koufa. Bisr occupa la ville et obligea mes gens à faire serment de loyauté à Muawya. Il se tint dans la mosquée de Mohammad et cria :

« Où est mon maître Othman aujourd’hui ? Il était encore là hier. Où est-il maintenant ? Ô peuple de Médine, si Muawya ne m’avait pas fait juré, je n’aurais pas laissé un seul adulte en vie dans la ville. »

De Médine, Bisr marcha sur La Mecque. Là aussi, personne ne s’opposa à lui. Il occupa la ville et fit prêter serment d’allégeance à Muawya.

Bisr se dirigea ensuite vers le Yémen. Oubeïdoullah ibn Abbâs, son gouverneur, apprenant l’avance de Bisr, s’enfuit à Koufa. Bisr entra dans la capitale du Yémen et tua des centaines de partisans d’Ali. Il n’épargna même pas les deux petits enfants de Oubeïdoullah ibn Abbâs.

Une autre armée de Muawya, conduite par Soufian bin Aouf, envahit le sud de l’Iraq. Les villes comme Médain et Aubar furent pillées.

Des rapports alarmants courraient dans la région de l’empire. L’ennemi frappait à la porte même du calife. Il devait faire quelque chose. Il envoya donc Jarya à la tête de 2 000 hommes pour en finir avec les envahisseurs. Dès l’entrée de son armée dans le Yémen, Bisr regagna rapidement la Syrie. Jarya continuait d’avancer vers La Mecque. Aussitôt après son entrée dans la ville sainte, on reçut la nouvelle qu’Ali avait été tué. Cela mit fin à la campagne de Jarya.

La mort du calife Ali

Les kharijis étaient contre Ali, comme ils étaient contre Muawya. Ils avaient un grand dégoût pour la guerre civile qui semblait ne plus finir. Après leur déroute à Nehrwân, quelques-uns vinrent à La Mecque et réfléchirent à cet état de choses. Ils reconnurent tous l’obscurité de la situation. Ils devaient faire quelque chose.

« Muawya, Amr bin Aas et Ali sont les principaux personnages de ce drame », déclarèrent-ils. « Débarrassez-vous de ces trois hommes et vous débarrasserez le monde islamique de tous ses ennuis. »

Trois des kharijis sortirent pour accomplir ce devoir. Abderrahman bin Mouljam devait tuer Ali ; Bakr bin Abdullah Muawya et Amr bin Bakr, Amr bin Aas.

L’assassinat fut fixé un 17ème jour de Ramadan. Les trois hommes devaient être tués quand ils iraient à la mosquée pour conduire la prière du matin. Ibn Mouljam venait à Koufa et restait dans une famille khariji. Là, il tomba amoureux d’une jolie fille. Il la demanda en mariage.

« Pour cela, vous devez me donner une dot », lui dit-elle.

« - Et quel en sera le montant ? » répondit Ibn Mouljam.

« - Parmi d’autres choses », répondit-elle, « je veux la tête d’Ali. »

« - Excellent ! » s’exclama Ibn Mouljam, « je ne suis ici que pour cette mission ! »

Ainsi, avec l’aide de la fille et de sa famille, Ibn Mouljam commença ses préparatifs.

Le 17 Ramadan, les trois kharijis accomplirent leurs assassinats. Muawya s’échappa avec une légère blessure. L’assaillant fut pris et tué. Amr bin Aas étant malade ce jour là, quelqu’un d’autre dirigea la prière à sa place et fut égorgé. Son assassin fut pris et tué aussi. Ibn Mouljam, avec deux autres kharijis, se tinrent cachés toute la nuit dans la Djami mosquée de Koufa. Le vendredi matin, de bonne heure, Ali vint à la mosquée comme d’habitude, en fit le tour en disant aux gens de se préparer pour la prière. Un des camarades de Ibn Mouljam se jeta sur lui et le frappa de son épée, Ali s’écroula. Ibn Mouljam courut vers lui et le frappa de son épée à la tête. Du sang jaillit et mouilla sa barbe.

« Saisissez-vous de mon assassin » cria Ali.

Ibn Mouljam fut pris. Mais la blessure d’Ali était très sérieuse. Il vécut jusqu’à la fin de ce jour. L’assassin fut amené devant lui.

« Tuez-le si je meurs », dit-il, « mais si je vis, je m’occuperai de lui comme il le mérite. »

Plus tard, il était évident pour le calife qu’il n’y avait plus d’espoir. Il appela ses fils et leur recommanda d’être bons et de servir l’islam.

« Devrons-nous jurer serment d’allégeance à Hassan après vous ? » demanda quelqu’un.

« - Je ne vous dis pas de le faire, ni ne vous le défends », répondit-il. « Faites comme bon vous semble. »

Appelant ses fils, Hassan et Hussein, à son chevet, le calife mourant dit :

« Voici mes derniers conseils : Craignez Allah et ne courrez jamais après ce monde. Ne sollicitez jamais une chose hors de votre portée. Soyez toujours véridique, clément et serviable. Arrêtez la main de l’oppresseur et aidez l’oppressé. Suivez les commandements du Coran sans prêter attention aux dires des autres. »

Le même soir, Ali mourut. Il avait soixante trois ans. Durant ses derniers moments, il répétait constamment ces versets du Coran :

« Et quiconque aura fait un bien du poids d’un atome, le verra.

Et quiconque aura fait un mal du poids d’un atome, le verra. » Sourate 99, Az-Zalzalah (La secousse), versets 7-8

Les cinq années du califat d’Ali

Hazrat Ali fut calife pendant 4 années et 9 mois. Toute cette période fut marquée par un grand trouble. L’épée d’Ali avait rendu l’islam fort durant la vie du Prophète . Mais pendant son propre califat, cette même épée avait du trancher la tête des musulmans. Rien ne put être aussi désagréable à Ali. Il détestait ce que la nécessité l’avait conduit à faire.

Un grand malheur d’Ali fut le genre d’hommes qui choisirent de le suivre. Il y en avait qui furent actifs contre Othman. Ils se sont débarrassés de lui par la violence. Jamais par la suite, ils ne purent s’en tenir à la loi. Ils avaient obtenu du calife ce qu’ils voulaient. Puis ils ont voulu que le calife satisfasse leurs caprices, ils voulaient qu’il soit leur chef. Ali dut accepter cette proposition. Peut-être cela n’aurait pas fait beaucoup de mal. Mais la plus grande infortune d’Ali fut que ses partisans ne parlaient pas un seul langage. Ils le poussaient dans des directions opposées. Cela conduisit à l’inaction, à l’agitation et finalement au déclin.

Le rival d’Ali, Muawya, était un homme de talent inhabituel. Son ambition était également grande. Il commença sa tâche avec un tact étonnant, de l’habileté et de la diplomatie. Avec ces armes subtiles, il battit aisément Ali.

Ali est indubitablement un des plus grands fils de l’islam. Très peu de compagnons l’égalaient dans ces liens avec le Prophète qui lui attribuait de grandes qualités de cœur et d’esprit. A cela, s’ajoutaient courage et vigueur. Muawya ne l’égalait pas. Ali fut un très grand maître de la langue arabe. Son écriture était aussi énergique que son discours. Sur le champ de bataille, il était la terreur de l’ennemi. Sa compréhension du Coran était profonde. Abou Bakr et Omar se tournaient souvent vers lui pour un conseil dans des cas difficiles.

C’est une ironie du sort qu’un homme de tels mérites ne put réussir en tant que chef. Pris dans un moment tragique de l’Histoire, il se trouva forcé d’accepter les politiques qu’il savait être la défaire de soi-même. Si Ali était venu dans une période moins agitée, il aurait certainement donné le meilleur de lui-même.

La mort d’Ali mit fin au plus glorieux chapitre de l’Histoire de l’islam. Il fut le dernier des pieux califes. Avec lui finit la grande tradition islamique qui lie le pouvoir politique au besoin qu’on s’impose et au service désintéressé. Ali fut le dernier représentant de l’esprit ultra démocratique de l’islam.

 

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