par le Professeur Fazl Ahmad
"Mes
yeux sont douloureux, mes jambes sont faibles, mais je resterai à tes cotés, ô
Messager d’Allah !"
C’est ainsi
que s’exprima un jeune garçon de dix ans lorsque le Messager d’Allah diffusa le
message divin à ses proches. Ce garçon n’était autre que Ali, le cousin du
Saint Prophète .
Ali était né
quand le Prophète avait trente ans environ. Son père Abu Talib, était l’oncle
du Prophète par le sang. Sa mère s’appelait Fatima.
Le Saint
Prophète avait perdu son père avant sa naissance puis sa mère, alors qu’il
était encore très jeune, ainsi que son grand père Abdul Muttalib. C ‘est
pourquoi ce fut son oncle Abu, Talib qui l’éleva et prit soin de lui. Abu Talib
avait une famille nombreuse et n’était pas vraiment riche. Quand Ali naquit, le
Prophète était devenu un homme, il avait une femme et des enfants. Aussi
accueillit-il Ali chez lui et l’éleva comme son fils pour soulager un peu les
charges familiales de son oncle qu’il aimait tendrement. Cette décision eut une
autre conséquence : Ali grandit dans une atmosphère de vertu et de pitié
qu’aucun autre foyer aurait pu lui apporter.
Cette
éducation marqua profondément l’esprit d’Ali. Elle lui donna une vision fine
des choses et un amour passionné de la vérité. Mais surtout, elle fit de lui un
combattant sans peur dans la voie de l’islam. Ces qualités allaient faire de
lui l’un des grands atouts de l’islam.
Adhésion à l’Islam
Ali avait neuf ans quand le Saint Prophète apprit la Mission divine qui était la sienne. Un jour le jeune garçon vit son cousin et sa femme prosternés, leur front contre le sol, tout en murmurant des louanges adressées à Allah, le Tout Puissant. Ali fut stupéfait par ce spectacle. Jamais encore il n’avait vu de gens prier de cette façon.
Adhésion à l’Islam
Ali avait neuf ans quand le Saint Prophète apprit la Mission divine qui était la sienne. Un jour le jeune garçon vit son cousin et sa femme prosternés, leur front contre le sol, tout en murmurant des louanges adressées à Allah, le Tout Puissant. Ali fut stupéfait par ce spectacle. Jamais encore il n’avait vu de gens prier de cette façon.
Quand la
prière fut achevée, Ali demanda à son cousin ce que signifiait cette étrange
gestuelle.
"Nous
adorons Allah, l’Unique", dit le Prophète . "Je te conseille de faire
de même. Ne t’incline jamais devant Lat, Uzza ou toute autre idole."
"Mais
je n’ai jamais entendu rien de tel", dit Ali. "Je vais en parler
d’abord à mon père puis je te tiendrai au courant."
"Tu ne
dois en parler à personne pour l’instant. Réfléchis-y par tes moyens et prends
ta décision", dit le Prophète à son jeune cousin.
Ce conseil
eut un effet irrésistible sur le bon sens d’Ali. Il commença à y réfléchir, et
plus il y pensait, plus il était convaincu de la véracité des dires de son
cousin qui était si bon et vertueux. Le lendemain matin, Ali embrassa l’islam.
Il était le premier jeune garçon à rejoindre la religion divine. Quelle marque
d’indépendance de jugement pour un garçon de son age, surtout dans une société
accoutumée au culte des idoles. Mais c’est là la preuve de son amour inné de la
vérité.
Ses relations
privilégiées avec le Prophète
Ali grandit
sous la surveillance du Prophète qui l’entourait de son amour et de ses soins.
Cela lui donna une vision approfondie des réalités fondamentales de la vie et
de la foi. Le Prophète a dit un jour : "Je suis la cité de la science et
Ali est sa porte."
L’amour de
Ali pour le Prophète n’avait pas de limites. La nuit où le Prophète quitta
Médine pour la Mecque, sa maison était encerclée par des hommes assoiffés de
sang et l’éclat métallique de leurs épées dégainées luisait dans l’obscurité.
Ils étaient prêts à tailler en pièces le premier qui sortirait de la maison. Le
Prophète demanda à Ali de s’étendre sur son lit tandis que lui-même quittait la
maison discrètement. Ali se jeta joyeusement sur sa couche et y dormit
tranquillement toute la nuit. La mort rôdait autour de la maison mais Ali ne
s’en souciait guère, tout heureux qu’il était à l’idée d’aider le Prophète à
sauver sa vie. Au matin, quand les Quraychites comprirent qu’ils avaient été
dupés ils furent pris de colère. Certains suggérèrent de faire payer à Ali la
part qu’il avait prise dans cette ruse, mais il fit face à leur menace avec
tant de sérénité que les Quraychites le laissèrent en paix.
Le saint
Prophète avait des dépôts du peuple sous sa garde. Malgré toute l’opposition
qu’ils lui manifestaient, les Mecquois ne connaissaient pas d’autre homme
auquel ils pouvaient faire confiance. Le Prophète devait restituer ses dépôts
avant son départ pour Yathrib. Il les confia à Ali qui les rendit soigneusement
à leurs propriétaires. Ali resta à la Mecque encore trois jours, puis une fois
les dépôts rendus, il se mit en route pour Médine et rejoignit le Prophète .
Ali avait un
lien de parenté très fort avec le Prophète mais celui-ci voulait le rendre
encore plus fort. Aussi lui donna-t-il sa fille Fatima en mariage, la plus
jeune et la préférée parmi ses filles. Ali avait conscience de l’honneur qui
lui avait été fait. Il n’épousa aucune autre femme du vivant de Fatima. Elle
lui donna deux fils, Hasan et Hussein que le Prophète chérissait comme ses
propres fils.
En l’an 9 de
l’hégire, le Prophète envisagea de mener une expédition contre la Syrie, il
s’agit de la fameuse expédition de Tabuk. Il décida de confier la gestion de
Médine à Ali pendant son absence. Les hypocrites y virent une occasion de nuire
à Ali. "Le saint Prophète ne veut pas d’Ali à ses cotés, dirent ils."
La rumeur
parvint au Saint prophète qui fit appeler aussitôt Ali et lui dit : "Ô
Ali, ne veux-tu pas avoir avec moi la même relation que celle qui unissait
Aaron à Moise ?"
Ces propos
firent taire les hypocrites.
En l’an 9 de
l’hégire eut lieu le premier pèlerinage islamique. A cette époque Allah
interdit l’entrée des idolâtres dans la Kaaba et il fallait annoncer cela aux
gens rassemblés pour le pèlerinage. Selon la coutume arabe cela ne pouvait être
fait que par le Prophète ou l’un de ses proches. Le Prophète choisit Ali pour
cette mission et lui confia sa propre chamelle Qaswa. Ali monta sur Qaswa et
annonça à la foule les décrets d’Allah.
Pendant la
maladie du Prophète , Ali se tint constamment à son chevet. Quand le Prophète
mourut, ce fut Ali, assisté par son oncle Abbas qui accomplit les rites
funéraires. Ali était l’un des scribes de la révélation. Il écrivit aussi des
lettres pour le Prophète .
Ali est l’un
des hommes qui reçut la bonne annonce du Paradis. Les trois précédents califes
se référaient souvent à son avis. Omar avait coutume de dire : "Ali est le
meilleur juge parmi nous". Plus d’une fois Omar confia Médine à Ali,
lorsqu’il s’absentait. En fait, Omar considérait Ali comme la personne la plus
compétente pour poursuivre son oeuvre. S’il ne l’a pas nommé comme successeur,
c’est qu’il était persuadé qu’il serait élu par le peuple.
Dans les
premières années du califat d’Othman, Ali continua à jouer un rôle important
dans l’élaboration de la politique étatique. Ce n’est que plus tard que le
vieux calife se laissa dominer par les hommes de son clan.
Sa
participation aux batailles
Ali s’est
illustré dans plus d’une bataille du vivant du Prophète . A l’exception de
Tabuk, il a pris part à toutes les batailles et expéditions.
Pendant la
bataille de Badr, l’épée d’Ali fit des prodiges. Selon la coutume arabe, trois
des plus valeureux guerriers qurayshites s’avancèrent pour un combat singulier.
Ali tua deux d’entre eux, ce qui sema la terreur dans le coeur de l’ennemi.
A la
bataille d’Ohod, Ali se tint vaillamment aux côtés du Prophète . Cette bataille
fut perdue à cause des archers musulmans qui avaient laissé le défilé sans
défense. La panique et la confusion gagnèrent les rangs des musulmans et
beaucoup se mirent à fuir. La rumeur selon laquelle le Prophète était mort se
répandit bientôt. Au milieu de ce désordre, Ali était de ceux qui restaient
auprès du Prophète . L’ennemi avait creusé un fossé profond puis l’avait
recouvert de branchages, le Prophète y tomba. Ce fut Ali avec l’aide de Abu
Bakr et de Talha qui le sortit de là. Avec Fatima il s’occupa de laver et
soigner les blessures du Prophète . Il reçut lui-même dix-sept blessures lors
de la bataille.
En l’an 5 de
l’hégire, tous les ennemis de l’islam se rassemblèrent et formèrent une immense
armée dirigée contre Médine. Le Prophète défendit la cité en creusant un grand
fossé très profond autour de Médine. Mais un jour Abdwoud, un guerrier réputé
dans toute l’Arabie, franchit le fossé sur le dos de son cheval. Nul n’osait le
défier, mais finalement Ali s’avança. « Rappelle-toi Ali, dit le Prophète , il
s’agit de Abdwoud. »
« Je sais, ô
messager d’Allah », répondit Ali.
En quelques
minutes Ali jeta à terre son redoutable ennemi et lui coupa la tête.
La tribu
juive des Banu Quraiza de Médine avait forcé le Prophète à prendre des mesures
politiques contre elle. Ali joua un rôle déterminant. Il encercla la place
forte juive et prit l’avantage sur ses ennemis et fit la prière dans la cour de
la forteresse.
Les juifs
avaient plusieurs places fortes à Khaybar. Elles constituaient une menace
permanente pour les musulmans. Le saint Prophète leva une armée contre les
juifs qui menèrent une lutte acharnée. Mais leurs places fortes tombèrent l’une
après l’autre. Cependant Qourmous, le fleuron de leurs forteresses, était
encore debout. Le commandant Marhab repoussait toutes les attaques. Un jour, le
Prophète dit : "Demain je donnerai l’étendard à un homme aimé d’Allah et
de Son prophète et qui aime Allah et son prophète. Allah lui accordera la
victoire."
Tout le
monde était curieux de savoir qui serait l’élu.
Le
lendemain, ce fut Ali qui fut désigné. Il tua Marhab et son frère et prit la
forteresse.
Ce fut Ali
qui rédigea le traité de Hudaibiya. Le saint Prophète en dicta les termes et
Ali écrivait. Les délégués qurayshites émirent des objections au sujet des
termes "Prophète d’Allah" qui étaient écrits sous le nom du saint
Prophète . Il voulaient qu’on écrive à la place "Muhammad bin Abdullah".
Le saint Prophète consentit à cette modification. Mais Ali refusa d’effacer les
mots "Prophète d’Allah". Le saint Prophète du le faire lui-même, de
sa propre main.
Quand le
Prophète entra dans la Mecque victorieux, c’est Ali qui tenait l’étendard.
Lors de la
bataille de Hounain, la confusion qui avait eu lieu à Ohod se répéta pendant un
moment, mais Ali se tint sans faillir aux cotés du Prophète .
L’élection d’Ali
Après la
mort d’Othman, le califat resta vacant pendant trois jours. Médine se trouvait
entre les mains des émeutiers. Ghafqi, le chef des émeutiers égyptiens,
dirigeait la prière dans la mosquée du Prophète . La plupart des Compagnons
avaient quitté Médine en ces jours sombres d’holocauste. Les rares qui étaient
restés n’avaient aucun moyen d’agir. Ils demeuraient dans leurs maisons, ne
pouvant s’opposer aux émeutiers.
Ceux-ci
proposèrent Ali comme nouveau Calife et lui demandèrent d’accepter. Ali refusa
tout d’abord. Cependant il fallait que quelqu’un ramène les choses à la
normale. La capitale se trouvait dans une situation sans issue. Ali s’entretint
avec les Compagnons demeurés à Médine. Ils lui dirent qu’il lui incombait de
servir le peuple, alors Ali accepta de prendre en charge la gestion de l’Etat
islamique. Il allait ainsi devenir le quatrième calife de l’islam.
Tout le
monde se rendit à la mosquée du Prophète pour prêter allégeance. Malik Ushtar
fut le premier à le faire, suivi d’autres gens.
Talha et
Zubair, les deux grands Compagnons se trouvaient à Médine à ce moment-là. Ils
faisaient partie des six électeurs nommés par Omar et Ali voulait s’assurer de
leur soutien. Il les fit mander.
"Si
l’un de vous veut être calife", dit-il à leur arrivée, "je suis prêt
à lui prêter allégeance."
Tous deux
refusèrent ce fardeau.
"Alors
à vous de me prêter allégeance", dit Ali.
Zubair resta
silencieux tandis que Talha montrait quelques réticences. A ce moment, Malik
Ushtar dégaina son épée. "Prêtez allégeance ou je ferai voler vos
têtes." dit-il.
Tous deux
prêtèrent allégeance.
Puis on
appela Saad bin Waqaas. Lui aussi faisait partie des six électeurs.
"N’aie
pas de crainte à mon sujet", dit-il à Ali. "Quand d’autres seront
venus te prêter allégeance, je ferai de même."
Vint le tour
de Abdullah bin Omar. Sa réponse fut identique à celle de Saad.
"Il faut
que quelqu’un se porte garant pour toi", dit Ali.
"Je
n’ai pas de garants à présenter", fut la réponse.
Malik Ushtar
se leva et s’écria : "Confie-le moi et je lui couperai la tête."
"Non",
dit Ali. "Je serai son garant."
Certains
Ansar parmi les plus notables ne prêtèrent pas non plus allégeance à Ali. Tous
les Ommayades partirent pour la Syrie, emportant avec eux la tunique maculée de
sang du défunt vizir ainsi que les doigts coupés de son épouse, Naila.
La première allocution
publique
Devenu
calife, Ali prononça son premier discours. Il était éloquent et plein de force.
Ali dit :
"L’espace
qui entoure la Kaaba est sacré. Allah a enjoint aux croyants de vivre ensemble
comme des frères. Est musulman celui qui ne blesse autrui ni par son épée ni
par ses propos. Craignez Allah dans vos relations avec autrui. Au jour du
Jugement, vous aurez à répondre de vos actes, même ceux commis envers des
animaux. Obéissez à Allah le Tout Puissant. Ne transgressez pas Ses
commandements. Faites le bien et tenez-vous loin du mal."
Ali savait
bien qu’une période difficile s’annonçait. Les forces du désordre avaient été
libérées de tout joug et il faudrait beaucoup d’efforts et de patience, ainsi
que de tact pour rétablir l’ordre. Ali espérait mener à bien cette tâche avec la
coopération de son peuple.
Ali face à un dilemme
Sitôt le
discours fini, un groupe de Compagnons alla à la rencontre d’Ali. Zubair et
Talha en faisaient partie. "Tu es le nouveau calife", dirent les
membres de cette délégation. "Ton premier devoir est de restaurer la
Sharia dans sa plénitude et donc de châtier les meurtriers d’Othman. C’est sur
cette base que nous t’avons prêté allégeance."
"Je ne
laisserai pas le meurtre d’Othman impuni", dit Ali, "mais vous devez
attendre. Nous ne sommes pas dans des conditions normales. Les émeutiers sont
encore puissants à Médine. Nous sommes entre leurs mains et ma propre situation
est délicate. Aussi je vous prie d’être patients et dès que la situation le
permettra, je ferai mon devoir."
Cette
réponse ne satisfit pas tout le monde. Certains pensèrent que Ali essayait
d’éluder la question. D’autres pensaient qu’il était sincère dans ses propos.
D’autres encore disaient qu’il fallait prendre les choses en main soi-même. Si
Ali était incapable de punir les meurtriers d’Othman, ils s’en chargeraient.
Les
émeutiers eurent connaissance de ce qui se préparait. Ils étaient certains que
Ali les punirait si la situation redevenait normale. Leur seul espoir
consistait à faire perdurer cet état de confusion. Pour ce faire, il suffisait
de monter les groupes les uns contre les autres. Ils s’y mirent aussitôt,
semant la mésentente partout. Leur but était de susciter la désunion parmi les
chefs de l’opinion publique. Leur sécurité et leur avenir étaient à ce prix.
A peine
entré en fonction, Ali commença à sentir le poids du fardeau qu’il devait
assumer. Les émeutiers avaient soutenu sa cause et marché sur Médine pour
l’élever au califat. Mais il n’approuvait pas leur méthode. Il savait qu’il
devait les punir. Pour cela, il avait besoin du soutien des Compagnons et de
tous les officiers, mais il n’était pas certain d’obtenir un soutien unanime.
Il lui fallait donc attendre et voir comment cela évoluerait. Certains
interprétèrent faussement cette politique d’attente. Ils voulaient des mesures
rapides. Ils avaient vu Abu Bakr et Omar agir avec promptitude en leur temps.
Ils ne comprenaient pas que la situation était désormais bien différente.
Tel était le
dilemme auquel était confronté Ali. Son sens aigu de la justice lui conseillait
de prendre des mesures rapides et fermes. Mais la fragilité de sa position le
lui interdisait. Ali ne voyait pas de réponse satisfaisante à ce dilemme.
Ali prend les choses en
main
Ali croyait
honnêtement que les problèmes qu’avait rencontrés Othman étaient dus à
l’influence néfaste de son entourage : C’était l’ambition des Banu Ommaya qui
avait généré une telle situation. Ils avaient profité de façon indue de leur
ascendant sur le calife, honnête mais vieillissant, pour accéder au pouvoir et
commettre des abus, et leurs excès avaient été imputés injustement à Othman. La
mort tragique du calife et la situation de désordre qui régnait depuis étaient
l’oeuvre de ces hommes. Il fallait donc qu’ils partent, sans quoi les choses ne
pourraient revenir à la normale. Ali était décidé à éradiquer le mal à sa
racine. Aussi son premier acte en tant que calife fut de démettre tous les
gouverneurs provinciaux de leurs fonctions et de confier leurs charges à
d’autres.
Ibn Abbas et
Mughira bin Shaaba étaient parmi les amis les dévoués d’Ali. Ils le
dissuadèrent de prendre des mesures trop hâtives :
“Obtiens
d’abord le serment d’allégeance de tous les gouverneurs”, conseillèrent-ils.
“Quand tu seras fermement établi, alors tu pourras faire ce que tu veux. Si tu
les renvoies maintenant, ils pourraient refuser de te reconnaître comme Calife,
en prenant pour prétexte à ce refus le meurtre d’Othman. Ils pourraient aussi
prendre les armes contre toi en se servant de ce même prétexte.”
Ali n’écouta
pas ce conseil. Il ne estimait qu’on ne pouvait pas se montrer opportuniste si
on voulait demeurer le bras de la justice. Mughira bin Shaaba ne fut pas
satisfait par son attitude. Il prévint le nouveau calife que ses mesures trop
promptes lui vaudraient des problèmes, puis il quitta Médine pour la Mecque.
Les nouveaux gouverneurs
sont froidement accueillis
Les
gouverneurs d’Ali entrèrent bientôt en fonction. Mais aucun d’entre eux ne
reçut d’accueil enthousiaste. L’Egypte semblait être très favorable à
l’élection d’Ali. Mais lorsque le nouveau gouverneur y arriva, il trouva une
situation bien différente de ce qu’il attendait. Certains l’acceptèrent comme
nouveau gouverneur, mais un grand nombre de gens exigeait que l’on punisse
rapidement les meurtriers d’Othman. Si ce n’était pas fait, disait-ils, ils
n’avaient que faire du nouveau calife et de son gouverneur. Il y avait un autre
groupe qui demandait exactement le contraire. Ils pensaient que les meurtriers
de l’ancien calife ne devaient pas du tout être punis.
Le nouveau
gouverneur de Bassorah fut confronté à la même situation. Une partie du peuple
soutenait les émeutiers et une autre s’y opposait.
Le
gouverneur de Kufa était encore en chemin lorsque il rencontra une délégation
de notables venant de cette ville.
“Tu ferais
mieux de rebrousser chemin”, dirent-ils. Les habitants de Kufa ne t’accepteront
jamais à la place de Abu Musa Ashari. Ne mets pas ta vie en péril."
La menace
eut tant d’effet sur le pauvre gouverneur qu’il s’en retourna docilement à
Médine.
Quand le
gouverneur de Syrie atteignit Tabuk, il se vit bloquer l’accès par des soldats
de Muawya. Il leur montra la lettre qui attestait de ses nouvelles fonctions.
“Si tu as
été nommé par Othman, tu es le bienvenu. Mais si tu as été envoyé par quelqu’un
d’autre, tu ferais mieux de faire demi-tour.”
Le
gouverneur rentra à Médine.
Le nouveau
gouverneur du Yémen put entrer en fonction sans difficultés ; cependant son
prédécesseur avait laissé le trésor complètement vide .
Ali prend des mesures
Kufa et la
Syrie étaient les deux provinces qui avaient ouvertement bafoué l’autorité du
nouveau calife. Ali envoya des messagers aux gouverneurs respectifs de ces deux
provinces pour qu’ils lui exposent la situation. Abu Musa Ashari, le gouverneur
de Kufa, envoya une réponse satisfaisante dans laquelle il assurait sa loyauté
au calife. Il ajouta qu’il avait obtenu de son peuple l’allégeance à Ali.
Dans la
lettre adressée à Muawya, Ali avait dit : “Prête-moi allégeance ou prépare-toi
au combat.” Muawya envoya un homme très avisé pour transmettre au calife sa
réponse. Ali ouvrit la lettre. Elle ne contenait que ces mots : “Au nom de
Dieu, le Tout-Miséricordieux le Très-Miséricordieux. ” Ali en fut stupéfait.
“Que cherche
à me dire Muawya par cette lettre ?”
L’homme se
leva et dit : “Quand j’ai quitté la Syrie, cinquante mille soldats vétérans
pleuraient la mort d’Othman, leurs barbes étaient humides de larmes. Ils ont
juré de châtier les meurtriers d’Othman. Ils ne rangeront leurs épées tant
qu’ils ne l’auront pas vengé.”
L’un de ceux
qui se tenaient auprès d’Ali se leva et dit : “Ô messager, penses-tu nous
effrayer avec votre armée syrienne ? Par Allah, la tunique d’Othman n’est pas
la tunique du prophète Joseph (as) et le chagrin de Muawya n’est pas celui du
Prophète Jacob (as). Si les Syriens pleurent Othman, en Iraq les gens sont
sévères à son égard.”
Les propos
du messager avaient blessé Ali et il s’écria : “Ô Allah ! Tu sais que je n’ai
rien à voir avec le meurtre d’Othman. Les coupables se sont enfuis.”
La réponse
de Muawya donna un indice à Ali sur les intentions du gouverneur de Syrie. Il
ne partirait pas sans livrer bataille. Aussi Ali se prépara-t-il au combat.
Hassan, le fils aîné d’Ali était contre toute effusion de sang. Il supplia son
père de renoncer au califat plutôt que de provoquer une guerre civile. “Avec le
temps”, ajouta-t-il, “les gens accepteront ton autorité.” Mais Ali n’était pas
d’accord avec son fils.
La
confrontation imminente entre Ali et Muawya suscitait une atmosphère de malaise
à Médine. Ali savait combien le gouverneur de Syrie était un homme puissant et
plein de tact. Le faire plier serait une rude tâche. En peu de temps une armée
fut levée pour combattre ceux qui refusaient l’autorité du nouveau calife.
La bataille du Chameau
Avant de
s’occuper de Muawya, Ali devait faire face à un autre danger. Aïcha, l’une des
veuves du Saint Prophète , s’opposait à lui. Aïcha était partie pour accomplir
le pèlerinage pendant le meurtre d’Othman. Sur le chemin du retour elle apprit
la terrible nouvelle. Elle retourna à la Mecque et prit la parole devant une
assemblée publique. Elle dit aux gens combien les émeutiers avaient été cruels
de tuer de sang froid le vieux calife dans la sainte cité du Prophète . Elle
fit appel à tous pour venger la mort de l’ancien calife.
Des
centaines d’hommes répondirent à l’appel d’Aïcha. Parmi eux se trouvait le
gouverneur de la Mecque. Dans le même temps, Talha et Zubair étaient arrivés à
la Mecque. Ils racontèrent à Aïcha ce qu’ils avaient vu à Médine. Ils
insistèrent auprès d’elle sur la nécessité de prendre des mesures rapides
contre les émeutiers et lui assurèrent leur soutien. Ils lui conseillèrent
aussi d’aller à Bassorah pour gagner plus de gens à sa cause. Abdullah bin Omar
se trouvait aussi à la Mecque à ce moment-là. On essaya de le persuader de
rejoindre Aïcha mais le pieux Abdullah refusa de se laisser entraîner dans
cette guerre civile.
Aïcha se mit
en route pour Bassorah, à la tête d’un cortège important et d’autres personnes
encore se joignaient à elle. Quand elle parvint à Bassorah elle avait 3000 hommes
prêts à défendre son étendard. Le gouverneur de Bassorah envoya des messagers
pour s’enquérir de l’objet de sa visite. Elle répondit qu’elle était venue
parler aux gens de leur devoir envers l’ancien calife. Puis les messagers se
rendirent auprès de Talha et Zubair et leurs posèrent la même question.
“Nous
voulons venger la mort d’Othman”, dirent-ils.
“Mais vous
avez prêté allégeance à Ali”, ajoutèrent les messagers.
“L’allégeance
nous a été arrachée à la pointe de l’épée. De toute façon nous aurions respecté
ce serment d’allégeance si Ali avait vengé la mort d’Othman ou nous avait
autorisés à le faire.”
Le
gouverneur de Bassorah décida de s’opposer à Aïcha jusqu’ à ce qu’Ali lui
envoie de l’aide. Il sortit de la ville avec son armée, prêt à se battre. Les
deux armées se faisaient face. Avant le début de la bataille, Aïcha fit un
discours poignant devant l’armée adverse. Elle évoqua le lâche assassinat
d’Othman, commis de sang froid et expliqua à quel point il était important et
urgent de le venger. Son discours était si convainquant et avait une telle
force que la moitié de cette armée se rangea à ses côtés.
Le combat
commença. Il se poursuivit jusqu’au soir et reprit le lendemain. Vers midi les
deux armées firent la paix et se mirent d’accord pour envoyer un homme à
Médine. Il devait vérifier si le serment de loyauté de Talha et Zubair avait
été prêté librement ou sous la contrainte. Si cela s’était fait de leur libre
choix, alors l’armée d’Aïcha devait faire demi-tour. Autrement, le gouverneur
devait quitter Bassorah. On choisit le juge en chef de Bassorah pour mener à
bien cette mission : son rapport serait accepté par les deux parties. Aussi
Kaab bin Thaur, le juge en chef de Bassorah, se rendit à Médine. Il y arriva un
vendredi et se dirigea immédiatement à la mosquée du Prophète . Il se plaça
devant l’assemblée des croyants et dit : "Ô gens, j’ai été envoyé par le
peuple de Bassorah. J’ai fait tout ce chemin pour savoir si Talha et Zubair
avaient prêté allégeance de leur plein gré ou sous la contrainte."
"Par
Allah !" Usama bin Zaid, "Le serment leur fut extorqué à la pointe de
l’épée."
Le
témoignage de Usama fut confirmé par plusieurs grands Compagnons. Le juge de
Bassorah vérifia ainsi la véracité des dires de Talha et Zubair.
Aisha Occupe Bassorah
Ali apprit
ce qui se passait à Bassorah. Il écrivit au gouverneur de ne pas capituler.
"Même
si Talha et Zubair ont été contraints à prêter allégeance, on a usé de la force
pour créer les différences entre eux”, dit-il dans sa lettre.
Dans le même
temps, le juge en chef de Bassorah était revenu dans sa ville. Il confirma les
propos de Talha et Zubair. Ceux-ci demandèrent au gouverneur d’honorer sa
parole et d’abandonner la cité. Mais entre temps ce dernier avait reçu les
ordres du calife, et donna la priorité à son devoir d’obéissance envers le
calife. Il se battit donc pour défendre la cité, mais il perdit et fut fait
prisonnier.
Bassorah fut
occupée le 4 de Rabi-ul-Akhir, 36 A.H. Talha et Zubair se lancèrent
immédiatement à la recherche de ceux qui avaient pris part aux soulèvement
contre Othman. Des centaines d’hommes furent interrogés. Un grand nombre fut
arrêté et jugé. Beaucoup parmi eux furent déclarés coupables et exécutés.
Bassorah connut pendant quelques temps le règne de la terreur.
Après avoir
occupé Bassorah, Aïsha, Talha et Zubair adressèrent une longue lettre aux
différentes provinces du monde musulman pour expliquer aux gens que la main
d’Allah s’était abattue de façon inexorable sur les meurtriers d’Othman à
Bassorah.
Les Compagnons répondent
à Ali
Les
événements de Bassorah préoccupaient Ali. Pour l’instant, il devait laisser
Muawya de côté et rétablir la situation en Irak en priorité. L’affrontement
avec Aïcha était inévitable. Il appela les gens de Médine à se rassembler sous
sa bannière mais il eut peu de réponses. Pour beaucoup de Compagnons, la simple
idée d’un tel conflit était insoutenable. Comment pourraient-ils combattre la
veuve du Prophète ? Saad bin Waqqas, le conquérant de l’Iran, dit : “Ô
commandant des croyants, je veux une épée qui sépare les musulmans des non
musulmans. Si tu me donnes cette épée, je combattrai à tes côtés. Si tu n‘as
pas cette épée, je te prie de m‘excuser.”
“Je te
demande au nom d‘Allah” dit, Abdullah bin Omar, "de ne pas me contraindre
à faire quelque chose que mon coeur déteste."
"Le
Prophète d’Allah m’a enjoint”, répondit Muhammad bin Muslima, “d’user de mon
épée tant que le combat m’opposait à des mécréants. Il m’a dit de la briser
quand commencerait le combat mené contre des musulmans. J’ai déjà réduit mon
épée en morceau.”
“Je t’en
prie, fais-moi grâce de ce devoir”, dit Usama bin Zaid. "J’ai juré de ne
pas me servir de mon épée contre un homme qui dit : “Il n’y a pas de divinité
hormis Allah.”
Quand Ushtar
apprit la réponse de ces Compagnons, il suggéra à Ali de les emprisonner.
"Non,"
répondit Ali, "Je ne veux pas les forcer à agir contre leur gré."
Des renforts de Kufa
Vers la fin
du mois de Rabi-ul-Awwal, 36 A.H., Ali se mit en route pour l’Irak. Il espérait
arriver à Bassorah avant ses adversaires, mais le trajet était trop long et le
temps trop court pour que ce soit possible. A Dhi Qar, il apprit qu’Aïcha
occupait Bassorah. Il s’arrêta donc là.
Ali avait
envoyé plusieurs messages à Abu Musa Ashari, le gouverneur de Kufa, pour lui
demander de l’aide. Abu Musa redoutait fortement la guerre civile et détestait
l’idée de voir des musulmans s’attaquer à d’autres musulmans. Il voulait se
tenir à l’écart de ce conflit. Les gens de Kufa avaient suivi son conseil. Ils
décidèrent donc de ne pas prendre part à la lutte qui opposait Aïcha et Ali.
Ali finit
par envoya son fils aîné, Hassan, à Kufa. Quand il arriva, Abu Musa était en
train de s’adresser à un rassemblement de croyants dans la mosquée. Il les
exhortait à se tenir à l’écart de la guerre civile. Quand il eut fini, Hassan
monta sur la tribune. Il expliqua que son père était devenu le calife de façon
légitime, que Talha et Zubair étaient revenus sur leur parole et que c’était le
devoir du peuple que d’aider leur calife à combattre l’injustice.
Le discours
eut un effet immédiat sur l’auditoire. Un notable de Kufa se leva et dit : “Ô
gens de Kufa, notre gouverneur a parlé avec raison. Mais l’intégrité de l’Etat
est une nécessité. Sans elle, il ne peut y avoir de garantie de paix ni de
justice. Ali a été élu calife. Il vous appelle à combattre l’injustice. Vous
devez donc l’aider de votre mieux.”
Cet appel
fut suivi d’autres appels similaires, lancés par d’autres notables de Kufa. Le
peuple fut convaincu par ces discours. Bientôt 9000 hommes se préparèrent à
rejoindre Ali. Ali leur assura qu’il ferait tout son possible pour éviter les
effusions de sang. Même si le combat devenait inévitable, il limiterait les
pertes autant que possible.
Cette
déclaration contribua à rallier les gens de Kufa à sa cause. Cela ajouta
grandement à son pouvoir et à son prestige. Cependant, Ali restait prudent face
à l’épreuve de force à venir.
Les pourparlers de paix
échouent
Arrivés à
Bassorah, Ali envoya un messager à Aïcha pour dissiper le malentendu qui
l’opposait à elle.
“Que
voulez-vous exactement ?” demanda le messager.
“Nous ne
voulons rien d’autre que le bien des musulmans. Mais cela ne sera pas possible
tant que la mort d’Othman ne sera pas vengée.”
“Cette
volonté de vengeance est légitime”, continua le messager. “Mais comment
pouvez-vous venir à bout des fauteurs de troubles si vous n’affermissez pas
l’autorité du calife en premier lieu ? Vous en avez fait vous-mêmes
l’expérience. Vous avez commencé à punir les émeutiers de Bassorah, mais vous
n’avez rien pu faire dans le cas de Harqus bin Zubair. Vous vouliez l’exécuter
mais 600 hommes sont venus le défendre. Si la nécessité peut vous contraindre à
épargner cet homme, comment pouvez-vous blâmer Ali ? Si vous voulez vraiment
mettre fin au troubles, rassemblez vous sous la bannière du calife. Ne plongez
pas les croyants dans la guerre civile. C’est une question qui concerne tout le
monde. J’espère que vous préférerez la paix et l’ordre à la souffrance et au
carnage.”
Aïcha, Talha
et Zubair furent touchés par cet appel. "Si Ali a vraiment l’intention de
venger la mort d’Othman, alors nos différends seront facilement réglés”,
dirent-ils.
Le messager
rapporta donc une réponse prometteuse au calife. Il était accompagné d’hommes
de Bassorah qui voulaient s’assurer que Ali ne les traiterait pas en ennemi
vaincu. Ce dernier leur répondit qu’ils n’avaient rien à craindre. L’espoir
d’une paix prochaine brillait donc à l’horizon. Mais dans l’armée d’Ali, il y
avait Abdullah bin Saba et ses hommes. La signature de la paix allait causer
leur perte. Ils étaient très ennuyés par les propos qu’Ali avait tenus après le
retour de son messager.
“Ô gens“,
dit-il, “la plus grande faveur que Dieu vous est faite est l’unité. L’unité
vous rend forts et puissants. Les ennemis de l’islam ne veulent pas de cela.
Ils ont tout fait pour ébranler notre unité. Prenez-y garde. Demain nous
marcherons vers Bassorah, animés par des intentions pacifiques. Ceux qui ont
pris part à l’assassinat d’Othman n’ont rien à faire avec nous.”
Abdullah bin
Saba et ses hommes furent décontenancés par cette déclaration. Ils se réunirent
en secret.
“Ali va
venger la mort d’Othman”, se dirent-ils les uns aux autres. Il parle maintenant
comme Talha, Zubair et Aïcha. Nous devons agir.
Le
lendemain, Ali et son armée marchèrent vers Bassorah. Talha et Zubair sortirent
de la cité avec leur armée. Les deux armées se firent face pendant deux ou
trois jours. Les négociations se poursuivaient. Le troisième jour, les chefs
des deux camps eurent une discussion face à face. Ali s’avança sur son cheval
et de l’autre coté Talha et Zubair s’avancèrent eux aussi. Ils se faisaient
face à présent.
“Ne suis-je
pas votre frère ?” dit Ali en s’adressant à eux. “Le sang d’un musulman
n’est-il pas sacré pour un autre musulman ?”
“Mais tu as
pris part au soulèvement contre Othman”, rétorqua Talha.
"Je
maudis les meurtriers d’Othman," répondit Ali. "Ô Talha ! Ne m’as tu
pas juré que tu me serais loyal ?" “Oui, mais c’était à la pointe de
l’épée”, répliqua Talha.
"Te
souviens-tu, Ô Zubair," dit Ali, s’adressant maintenant au second des deux
hommes, "que le Prophète d’Allah t’a demandé un jour si tu m’aimais. Tu as
répondu que oui. Et alors le Prophète prédit qu’un jour viendrait où tu me
combattrais sans raison."
“Tout à
fait”, répondit Zubair. “A présent je me souviens parfaitement des mots du
Prophète d’Allah.” Après cette conversation ; les trois hommes retournèrent
dans leurs camps respectifs. La conversation avait rapproché leurs coeurs.
Chacun avait médité les sombres perspectives qu’annonçait la guerre civile. Le
sentiment général était que la paix n’était pas encore clairement en vue. Ali
rentra dans son camp tout à fait satisfait. Il était presque sûr qu’on allait
éviter l’effusion de sang. Il donna des ordres stricts : on ne devait pas tirer
la moindre flèche. Pendant la nuit il pria Allah d’épargner aux musulmans les
horreurs de la guerre civile.
La bataille aura quand
même lieu...
La nuit
tomba. Les deux armées dormaient paisiblement. Mais Abdullah bin Saba et ses
hommes restèrent éveillés toute la nuit. C’était leur dernière chance. Il ne
fallait pas la laisser échapper.
Il faisait
encore sombre lorsque le son de l’acier résonna dans l’air. Saba et ses hommes
avaient décidé d’attaquer par surprise l’armée d’Aïcha ! Bientôt une bataille
rangée opposa les deux camps.
Talha et
Zubair furent éveillés en sursaut par le tumulte.
« Que se
passe-t-il ? » demandèrent-ils.
« Ali a
lancé une attaque surprise cette nuit », leur dit-on.
« Hélas ! »
s’écrièrent-ils. « On n’a pas réussi à empêcher Ali de verser le sang des
musulmans. Nous redoutions cela tout le temps. »
Ali fut
également surpris par cette soudaine animation.
« Qu’y
a-t-il ? » demanda-t-il.
« Talha et
Zubair nous ont attaqués par surprise », dirent les hommes de Saba.
« Hélas ! »
dit Ali, « Ces hommes n’ont pu être empêchés de tuer les musulmans. Je
redoutais cela en permanence. »
Le combat
fut acharné. Les musulmans se mesuraient aux musulmans et des centaines de
combattants moururent dans chaque camp. Talha mourut au combat. Zubair quitta
le champ de bataille. La majeure partie de l’armée d’Aïcha se replia mais les
affrontements se poursuivirent autour de son chameau. Une foule nombreuse de
pieux musulmans luttaient désespérément pour l’honneur de la veuve du Prophète
. L’un après l’autre, soixante-dix hommes saisirent la bride de son chameau et
sacrifièrent leur vie pour elle.
Le coeur
d’Ali se serra devant ce spectacle. La vie si précieuse de centaines de
musulmans était sacrifiée en pure perte. A la fin, le calife ordonna à l’un de
ses hommes de couper les pattes arrière du chameau. Celui-ci s’exécuta. La bête
tomba sur ses pattes avant, et la litière tomba à terre. Ceci mit fin au
combat.
Aïcha fut
sortie de sa litière avec tous les égards qui lui étaient dus. Elle était
indemne. Ali vint à elle.
« Comment
allez-vous, Mère des Croyants ? »
«
Parfaitement bien » répondit-elle. « Puisse Allah te pardonner ta faute. »
« Et
puisse-t-Il pardonner la tienne également », répondit Ali.
Il fit
ensuite le tour du champ de bataille. Un grand nombre de compagnons célèbres
gisait dans la poussière. Environ 10 000 hommes des deux camps avaient perdu la
vie dans ce combat. Parmi les tués se trouvaient certains des meilleurs fils de
l’islam. Ali fut profondément ému. Il ne permit pas à ses hommes de s’emparer
du butin. Tout fut collecté puis le califat demanda aux habitants de Bassorah
de récupérer leurs biens.
Après avoir
quitté le champ de bataille, Zubair était parti pour la Mecque. Il s’arrêta
dans une vallée pour prier et fut assassiné tandis qu’il priait par un homme du
nom de Amr bin Jarmoz. Jarmoz rapporta les armes de Zubair à Ali. Il espérait
recevoir une récompense pour avoir tué l’adversaire du calife, mais au lieu de
cela il reçut une sévère réprimande.
« J’ai vu le
propriétaire de cette épée combattre plusieurs fois pour le Prophète d’Allah »,
dit Ali. « J’annonce à son meurtrier qu’il a sa place en enfer. » Après un
séjour de quelques jours à Bassorah, Ali envoya Aïcha à Médine avec son frère,
Muhammad Abu Bakr. Alors qu‘elle était sur le point de partir, un groupe de
personnes entoura son chameau. Elle leur dit : « Mes enfants, ne nous blâmez ni
l’un ni l’autre. Par Allah il n’y a aucune inimitié entre Ali et moi. C’était
une simple querelle de famille. Je considère Ali comme un homme de bien. »
A cela Ali
répondit : « Elle a parfaitement raison. Nos différends ne sont qu’une simple
querelle de famille. Elle occupe un rang élevé dans la foi. Dans ce monde comme
dans l’autre elle est la femme honorée du Prophète d’Allah. »
Ali
parcourut souvent de longues distances pour lui rendre visite.
A présent il
fallait restaurer l’ordre à Bassorah. La ville avait pris les armes contre le
calife, mais Ali décréta une amnistie générale. Il prononça un discours
poignant dans la mosquée Jami ; exhortant les croyants à se rappeler leur
devoir envers Allah. Il reçut le serment d’allégeance des habitants de Bassorah
et nomma bdullah bin Abbas comme nouveau gouverneur.
Certains
notables de Banu Omayya se trouvaient à Bassorah quand la ville tomba. Le
calife en eut connaissance mais leur fit bénéficier de l’amnistie générale. Ils
purent ainsi se rendre en Syrie et rejoindre Muawya.
La bataille de Siffin
Ali tourna son
attention vers Muawya. A part la Syrie, tout l’empire reconnaissait à présent
Ali comme calife. Mais le quatrième calife ne retourna pas à Médine. Il fit de
Kufa sa nouvelle capitale. Ce choix s’explique par deux raisons. Tout d’abord,
il y jouissait d’un large soutien. Ensuite, le trésor public iraqien disposait
de revenus extrêmement abondants qui pourraient lui être très utiles dans le
cas d’une guerre menée contre une région aussi riche que la Syrie. Avant de
prendre l’épée, Ali voulait essayer des méthodes de paix. Il envoya un messager
à Muawya afin de demander au gouverneur syrien d’accepter le nouveau calife. Ce
dernier répondit :
- Tuez
d’abord les assassins d’Othman, puis laissez les musulmans choisir leur calife
par vote libre.
Muawya a été
gouverneur de Syrie et commandant de l’armée syrienne depuis le temps du calife
Omar. Habile et soucieux, il s’est rendu populaire auprès du peuple.
L’assassinat d’Othman lui a fourni l’opportunité de tourner cette popularité à
son avantage. Il avait de grands moyens. Il était au courant du pouvoir d’Ali.
Il voulait le retenir à tout prix. Muawya n’allait pas se rendre sans un dur
combat.
Ali quitta
Kufa à la tête d’une grande armée. A Nakhila, Abdullah bin Abbâs, gouverneur de
Bassora se joignit à lui avec son armée. Ali réorganisa ses troupes et marcha
vers le nord de la Syrie. Après la traversée de l’Euphrate, il campa à Siffin.
Les
préparations de Muawya étaient très avancées. Les chefs des Omeyyades qui
avaient quitté Médine se joignirent à lui. Ils s’ajoutèrent aux forces de
Muawya. Amr bin Aas, le conquérant de l’Egypte, était bien connu pour son
pouvoir. Muawya le gagna de son côté. En plus de cela, Muawya préparait les
syriens dans une hystérie. La chemise ensanglantée d’Othman et les doigts
tranchés de Naïla étaient souvent montrés dans la Jâmi, mosquée de Damas.
Muawya parlait du tragique assassinat du calife. Le résultat fut une tempête de
colère. Des milliers de syriens jurèrent de venger la mort d’Othman et de ne
plus dormir dans leur lit, ni même d’avoir de boisson fraîche jusqu’à ce qu’ils
aient achevé ce but.
Muawya vont
à savoir l’avance d’ali. Il conduisit son armée de l’autre côté de Siffin afin
de s’opposer à celle d’Ali. Les deux armées se préparaient pour une épreuve de
force.
L’offre de paix
Rien ne se
passa durant deux jours. Le troisième jour, Ali envoya une délégation de paix à
Muawya. L’un d’entre eux, Bachir, dit à Muawya : Ô Muawya ! Cette vie est
courte. Vousdevez paraître devant Allah et répondre de vos actions. Je vous
implore, au nom d’Allah, de ne pas semer des différents parmi les musulmans.
Priez, ne répandez pas le sang des musulmans dans une guerre civile.
Pourquoi
n’adressez-vous pas ce sermon à votre ami Ali ? rétorqua Muawya. Le cas de Ali
est différent du votre ! répondit Bachir. C’est un homme de grand savoir. Il
tient une haute place dans la Foi. Il est l’un des premiers musulmans. Il a un
degré de parenté très proche du Prophète Mohammed . Ces choses font de lui
l’homme le plus apte pour le califat. Vous devriez lui prêter serment
d’allégeance et lui donner un bon nom dans ce monde et dans l’Autre.
Mais,
dois-je renoncer à la demande de vengeance de l’assassinat d’Othman ?
Par Allah,
je ne le ferai jamais ! déclara Muawya.
Bachir
voulut répondre mais son compagnon Shis parla :
Ô Muawya ! Nous savons bien ce que vous
voulez. Vous avez tardé à aider Othman et l’avez fait tuer. Maintenant son
assassinat est une excuse pour viser le califat. Souvenez-vous ! Ce genre
d’action ne vous amènera pas de bien. Si vous échouez, alors votre sort sera
clairement le plus malheureux. Mais même si vous êtes vainqueur, vous ne pouvez
vous échapper au feu de l’Enfer.
Ces mots
rendirent Muawya très furieux.
Ô fier
paysan ! s’écria-t-il, vous avez dit un gros mensonge. Hors d’ici ! L’épée doit
décider.
Un mois de trêve
La mission
de paix semblait ne pas aboutir. La guerre paraissait maintenant inévitable.
Cependant, des deux côtés, il semblait y avoir une répugnance pour se battre.
Les musulmans contre les musulmans ! Des deux côtés, on se rappelait les
paroles inoubliables du Prophète Mohammed . « La vie, l’honneur, et la richesse
de votre frère musulman sont plus sacrés que le mois du Hajj et l’aire sacrée
de La Mecque. » Ils espérèrent qu’une solution serait trouvée afin d’éviter une
guerre civile. C’était le mois de Dhoul Hijjah en l’an 36 après l’hégire. La
guerre débuta par de simples combats qui furent suivis quelques jours plus tard
par des rencontres de simples bataillons. Le mois de Dhoul Hijjah se passa
ainsi. La nouvelle lune de la nouvelle année apparut dans le ciel. La bataille
cessa avec son apparition. Ali et Muawya firent une trêve.
La trêve
d’un mois fournit une bonne occasion pour le renouvellement des pourparlers de
paix. La guerre civile était répugnée des deux côtés. Ali fut le premier à
envoyer une mission de paix conduite par Adi Bin Hatam Taï. Il s’adressa ainsi
à Muawya :
« Ô Muawya,
nous venons à vous avec une offre d’amour et de paix. Si vous l’acceptez, les
éternelles disputes des musulmans cesseront. Il n’y aura plus d’effusion de
sang. Ali est votre frère. Il est maintenant le plus élevé parmi les hommes.
Tous, exceptés vous et vos hommes, l’ont accepté comme calife. Vous aussi,
prêtez-lui serment d’allégeance et finissez avec cette affaire. Si vous ne le
faites pas, j’ai peur que vous aurez à souffrir comme d’autres ont souffert au
cours de la bataille du chameau. »
« Je suis
désolé Ali, répondit Muawya. Venez-vous faire la paix ou me menacer ? Par
Allah, je suis le fils de Herb et je n’ai pas peur de la guerre. Je sais que
vous avez aussi participé à l’assassinat d’Othman. Vous aurez aussi à souffrir
de cela. »
Les autres
membres de la mission changèrent le cours de la conversation :
« Laissez
ces choses, ô Muawya ! Dirent-ils. Dites quelque chose qui puisse terminer la
dispute. La paix est le réel besoin. Vous n’ignorez pas le savoir d’Ali et sa
piété. Aucun homme pieux et instruit ne se défiera de sa direction. Craignez
Allah, ô Muawya, et renoncez à vous opposer à Ali ! Par Allah, nous ne
connaissons aucun autre homme plus pieux et plus humain qu’Ali. »
A cela,
Muawya répondit :
« Vous
m’invitez à me soumettre à l’autorité d’Ali ! Je ne suis pas d’accord car il a
fait tuer notre calife. Il n’y a qu’une solution pour avoir la paix : Laisser
Ali nous remettre les assassins d’Othman. Ils sont dans son camp et sont ses
amis et ses partisans. Nous les tuerons d’abord et ensuite obéirons à Ali. »
« Vous
voulez tuer un homme comme Ammar bin Yassir ? » demanda un homme de la mission.
« Qu’y
a-t-il de si extraordinaire ? répliqua Muawya. Je le tuerai même s’il avait tué
un esclave d’Othman. »
« Par Allah,
cela ne peut pas se passer ainsi ! répondit l’homme, aussi longtemps que les
têtes ne seront pas tranchées et la terre et le ciel ne deviendront pas trop
étroits pou vous. »
« Si les
choses doivent en arriver là, vous en aurez un avant-goût. » répondit Muawya.
La mission
de paix échoua une fois de plus.
Une autre
mission de paix arriva ensuite de Muawya. Elle était conduite par Habib bin
Maslama Fahri. S’adressant à Ali, il dit :
« Othman
était un calife juste. Il suivait le Livre d’Allah et l’exemple du Saint
Prophète . Il obéissait aux commandements d’Allah. Vous ne l’aimiez pas. Vous
l’avez tué injustement. Si vous dites que vous n’avez pas participé à son
assassinat, remettez-nous ses assassins. Nous vengerons la mort d’Othman en les
tuant. Après cela, les musulmans désigneront leur calife par un vote libre. »
Ali se fâcha
:
« Eh bien,
dit-il, qui êtes-vous pour me retirer de me fonctions ? De tels propos vous
vont mal. Gardez votre paix. Vous êtes mal placés pour continuer à parler de ce
sujet. »
« Vous me
placez dans une situation qui vous embêtera », répondit Habib.
« Quel mal
pouvez-vous me faire ? dit Ali. Allez vous-en et faites ce que vous pouvez. »
« Si je dis
quelque chose, j’aurai la même réponse, plaça un autre membre de la mission.
Avez-vous quelque chose d’autre à nous dire ? »
« Oui,
répondit Ali. Allah, dans Sa bonté, nous a envoyé Son Prophète . Il nous a
montré le chemin de la vérité. Après lui, vinrent les califes Abu Bakr et Omar.
Ils régnèrent avec justice. J’avais une plainte contre eux. Etant un proche
parent du Prophète , j’ai pensé que c’était mon droit d’être calife. Mais ces
deux-là étaient de bons hommes. Alors je leur ai pardonné. Vient ensuite
Othman. Il fit des choses qui offensèrent le peuple. Aussi l’ont-ils tué. Les
gens vinrent à moi. Je n’avais rien à voir avec ce qu’ils ont fait. Ils m’ont
forcé à accepter le califat. J’ai d’abord refusé. Mais, voyant qu’aucun autre
homme ne serait accepté de tous, j’ai décidé de prendre cette responsabilité.
Talha et Zoubayr m’ont prêté serment et se sont ensuite retournés contre moi.
Maintenant, c’est Muawya qui s’oppose à moi. Il n’est ni l’un des premiers
convertis à l’islam, ni quelqu’un qui a rendu un réel service à la foi. Lui,
son père et toute sa famille ont toujours été opposés à Allah, à Son Prophète
et aux musulmans. Ils ont embrassé l’islam parce qu’ils n’avaient pas le choix.
Il est vraiment étrange que vous soyez de son côté et contre les parents du
Prophète . Je vous appelle au Livre d’Allah et à l’exemple de Son Prophète . Je
vous invite à aider la cause de la vérité et à combattre le mensonge. »
« Mais que
pouvez-vous dire des assassins d’Othman ? demanda un membre de la mission. Ne l’a-t-on
pas tué injustement ? »
« Je ne peux
rien en dire, répondit Ali. Je ne dis pas qu’il fut justement, ni injustement.
»
Cette
réponse du calife offensa tellement les membres de la mission qu’ils se
levèrent pour partir.
« Nous
n’avons rien à faire avec un homme qui ne pense pas que Othman ait été tué
injustement. », déclarèrent-ils.
A ceci, Ali
récita le verset suivant :
« Non, tu ne
peux faire entendre aux morts cet appel, tu ne peux faire entendre aux sourds
qui tournent le dos. Tu ne peux guider les aveugles, tu ne peux les tirer
d’erreur. Tu ne peux faire entendre qu’à ceux qui croient en nos signes, et ils
deviennent soumis. » Sourate 30, Ar-Roum (Les romains), versets 52-53
Avec l’échec
de la mission prirent fin les pourparlers de paix. Aucun des deux partis
n’entreprit un nouvel essai de compromis.
La bataille
Le soir du
dernier jour de Muharram de l’an 37 de l’hégire, Ali donna à son armée l’ordre
d’attaquer l’armée syrienne le lendemain.
« Ils ont eu
suffisamment de temps pour réfléchir. », expliqua-t-il.
Mardi
premier Safar, la bataille commença. Pendant une semaine, aucun des deux partis
ne l’emportait vraiment. Au huitième jour, Ali conduisit lui-même une attaque
générale. De l’autre côté, Muawya prit le commandement. Une rude bataille eut
lieu toute la journée. Aucun camp ne prit l’avantage. L’obscurité de la nuit
mit fin à la lutte.
La bataille
reprit très tôt le lendemain, plus cruelle que jamais. L’armée d’Ali montrait
des signes de faiblesse. Mais Ali lui-même fonçait en avant. Son exemple
encouragea ses hommes. Ils tombèrent sur l’ennemi avec une nouvelle furie.
Aussitôt, quelques troupes forcèrent le chemin jusqu’à la tente de Muawya. La
nuit tomba, mais la bataille continua.
Elle fit
rage pendant toute la nuit. Au matin, le cliquetis des armes ne s’arrêtait pas.
Des hommes et des animaux étaient épuisés, mais personne ne voulait se retirer
sans résultat décisif. L’armée d’Ali avait maintenant un net avantage. Lui et
ses généraux entreprirent une attaque puissante. L’armée de Muawya trébucha
sous le poids de l’attaque. La victoire lui échappait. Il consulta rapidement
Amr bin Aas. Il fit ensuite signe à ses hommes. En quelques minutes, le message
circula et aussitôt des corans furent soulevés, pendus au bout des lances des
syriens.
« Voici le
livre d’Allah, le Tout-Puissant, criaient-ils. Il décidera entre nous. Si nous
partons, qui défendra les frontières à l’Ouest ? Si vous partez, qui défendra
les frontières de l’Est ? »
« C’est un
piège ! Cria Ali. Ne vous y laissez pas prendre. Continuons la lutte. La
victoire est déjà en vue. Je connais Muawya, Amr bin Aas, Habib bin Maslama,
Ibn Abi Sarah et Ibn Abi Said depuis l’enfance. C’est un coup pour vous
tromper. »
Mais une
bonne partie des hommes de son armée refusa de l’écouter.
« Comment
est-ce possible ? Dirent-ils. Nous sommes appelés vers le Livre d’Allah.
Comment osons-nous refuser ? »
Quand Ali
insista pour que la bataille continue, ses hommes dirent :
« Ou vous
donnez l’ordre d’arrêter le combat, ou nous en finirons avec vous comme nous
l’avons fait avec Othman. » Ali était désespéré. Sa propre armée aidait la
cause de l’ennemi. Ils le forçaient à prendre une décision qu’il savait
mauvaise. Mais il n’avait pas le choix. Aussi, à contre cœur, il donna l’ordre
à ses troupes de cesser le combat et de revenir.
Le jugement
Ali se
battait maintenant pour un combat perdu. Il envoya des hommes à Muawya pour
savoir ce qu’il voulait dire en faisant du coran un juge entre eux. Sa réponse
fut :
« Je veux
dire que chaque partie devrait nommer un juge. Les deux juges déclareraient
sous serment qu’ils seront guidés par le Livre d’Allah. La décision qu’ils
prendraient serait obligatoire pour les deux partis antagonistes. »
Muawya nomma
Amr bin Aas. Aucun de ses hommes ne discuta le choix. Mais les choses étaient
différentes dans le camp d’Ali. Celui-ci proposa Abdullah bin Abbâs.
« C’est un
parent à vous, crièrent ses hommes. Le juge doit être impartial.
Pensez-vous
que Amr bin Aas soit impartial ? demanda Ali.
Le blâme en
revient aux syriens, pas à nous, répondirent-ils.
Très bien,
dit Ali. Nommons donc Ashtâr. Il n’est pas un parent à moi.
Quelle
proposition ! S’exclamèrent-ils. Ashtâr est la cause profonde de tout ce
trouble. »
Les hommes
d’Ali proposèrent Abou Moussa Ashari.
« Je ne peux
me fier à son jugement. Il est trop naïf. » Mais ses hommes ne voulaient pas
quelqu’un d’autre. Ali dut, à contre cœur, donner son consentement.
« Faites
comme vous voulez. »
Le 13 Safar
de l’année 37 de l’hégire, un accord fut signé par les chefs des deux camps. Il
disait que les deux juges devraient donner leur décision dans le mois de
Ramadan, qui devrait être annoncée en public en un lieu entre la Syrie et
l’Iraq.
Division de l’armée
d’Ali
Ali quitta
Siffin avec un sentiment de perte. 90 000 hommes furent tués dans cette
bataille. Jamais auparavant dans l’histoire de l’islam, les pertes de vie ne
furent aussi lourdes. Mais même ce grand sacrifice n’apporta rien. Les choses
s’aggravèrent plus que jamais. Ali chargea Ibn Qais d’aller inspecter les
troupes et d’expliquer aux différentes tribus les termes de l’accord. La tribu
d’Anza avait envoyé 4 000 hommes pour combattre pour Ali. Quand l’accord lui
fut lu, deux frères se levèrent et s’exclamèrent :
« Nous
n’allons pas accepter la décision d’un autre qu’Allah. Pourquoi prenez-vous des
juges humains quand les commandements d’Allah existent ? Si vous le faites, que
deviendront ceux qui ont donné leurs vies pour votre cause ? »
D’autres
tribus dirent la même chose. Un bon nombre de gens étaient contre le jugement.
Ils pensaient qu’Ali avait accepté un arrangement contraire à l’esprit de
l’islam. Quelques-uns vinrent à lui et dirent :
« Nous vous
demandons de rejeter cet accord. Nous craignons qu’il vous fasse du tort. »
« C’est vous
qui m’y avez forcé, dit Ali. Maintenant que j’ai donné ma parole, vous me
demandez de revenir. Je ne peux faire cela. »
Les hommes
d’Ali se divisèrent alors en deux groupes. Le premier voulait l’accord, l’autre
le considérait comme un acte irréligieux. Dans tous les territoires soumis à
Ali, on se prononçait pour ou contre l’accord. Des mots, on en venait parfois
aux coups et de sérieuses rixes se produisaient.
Pendant
qu’Ali revenait de Koufa, sa capitale, une grande partie s’était levée contre
lui à la suite de l’accord. 12 000 hommes le quittèrent et formèrent un nouveau
groupe qui choisit comme chef, Shith bin Rabi. Abdullah bin Kawai fut nommé pour
conduire la prière. Leur politique était que :
Allah seul
doit être obéi. C’est notre devoir d’ordonner le bien et d’empêcher le mal. Ali
et Muawya sont tous deux dans l’erreur. La faute de Muawya est qu’il n’ait pas
accepté Ali, le calife juste. Celle d’Ali est qu’il n’ait pas ouvert les
pourparlers de paix avec Muawya qui aurait du être tué. Il a négligé un clair
commandement du coran et fait des êtres humains, ses juges. Après que nous
aurons gagné le pouvoir, nous fixerons un ordre social en accord avec le Livre
d’Allah.
Ali renvoya
Abdullah bin Abbâs dissiper la mésentente de ses dissidents. Ils commencèrent
une longue discussion avec lui. Pendant ce temps, Ali lui-même se rendit à leur
camp. Il leur assura que la décision des juges ne serait pas acceptée que si
elle est en strict accord avec le Livre d’Allah. Cette assurance laissa les
dissidents sans arguments. Ali réussit, avec une grande difficulté, à ramener
ces hommes à Koufa.
La capitale
avait un aspect pathétique. Rares étaient les familles qui n’avaient pas perdu
un père, un frère ou un fils à Siffin. Des lamentations amères pour ces pertes
s’élevèrent de partout. Le fait que le calife revient les mains vides ajouta
beaucoup à la tristesse générale. Au-dessus de tout cela, il y avait la malheureuse
division dans son camp. Tous ces facteurs furent la cause d’un sentiment
d’affection duquel ses hommes ne devaient jamais se remettre.
La décision
Les deux
juges réfléchirent au problème pendant six mois. Puis, ils se rencontrèrent à
la ville frontière de Doumat al Jandal. Chacun d’eux avait quatre cents hommes
avec lui. A la demande de Muawya, des hommes neutres de haut rang les
accompagnèrent. Parmi eux, il y avait Abdullah bin Omar, Saad bin Abi Waqqâs,
Abdullah bin Zoubayr et d’autres.
« Ô Amr, dit
Abou Moussa, nous en avons assez de la guerre civile. Faisons quelque chose
pour guérir les blessés.
Je suis
entièrement d’accord avec vous, répondit Amr. Nous ferions mieux d’être précis
sur ce que nous allons être d’accord. Prenons un scribe pour rédiger les
clauses de l’accord. »
Le scribe
vint et commença à inscrire les points sur lesquels ils étaient d’accord.
« D’abord,
ils étaient d’accord sur l’authenticité du Prophète d’Allah et de son message.
Ensuite, ils reconnaissaient que Abu Bakr et Omar étaient des califes par le
consentement commun des musulmans. Othman fut un vrai musulman. », dit-il.
Abou Moussa
: Ce point n’entre plus dans la discussion maintenant !
Amr : Mais
si vous ne le considérez pas comme un croyant, fut-il un incroyant ?
Abou Moussa
: Bon, laissons le scribe inscrire cela aussi !
Amr : Alors
il y a deux choses. Il fut tué soit justement, soit injustement.
Abou Moussa
: Il le fut injustement.
Amr : Celui
qui est tué injustement, Allah donne aux siens le droit de venger sa mort.
Abou Moussa
: Oui, Allah leur donne ce droit.
Amr : Vous
savez que Muawya est le plus proche parent d’Othman !
Abou Moussa
: Oui, cela est vrai aussi.
Amr : Muawya
a le droit de mettre la main sur les assassins d’Othman, qui que ce soit et
n’importe où.
Abou Moussa
: Cela aussi est vrai, mais ô Amr, cette discussion est un tel fléau pour le
peuple. Débarrassons-en le. Trouvons un moyen de rendre les gens heureux !
Amr :
Avez-vous une proposition à faire ?
Abou Moussa
: Oui, je suis sûr que les Syriens n’aimeront jamais Ali et les Iraqiens
n’accepteront jamais Muawya. Laissons donc tomber ces deux noms et faisons de
Abdullah bin Omar le calife.
Amr :
Voudra-t-il être calife ?
Abou Moussa
: Je l’espère, si nous allons à lui et faisons la requête.
Amr : Mais
pourquoi pas Saad bin Abi Waqqâs ?
Abou Moussa
n’approuva pas ce choix. Amr en suggéra d’autres. Mais Abou Moussa ne donna pas
son consentement. Les deux juges ne purent se mettre d’accord sur ce point.
« Alors,
quelle doit être la solution ? demanda Amr.
Je pense que
nous allons disqualifier Ali et Muawya et permettre au peuple d’élire un
calife, répondit Abou Moussa.
Je suis
parfaitement d’accord, dit Amr. »
Le jugement
allait maintenant être annoncé. Amr demanda à Abou Moussa de parler en premier.
Ce dernier se leva et dit :
« Ô peuple !
Nous avons convenu de ne pas accorder à Ali et à Muawya le califat. Vous pouvez
choisir un autre homme que vous croyez capable. »
Amr se leva
ensuite :
« Ô peuple,
commença-t-il, je considère Ali comme une personne incapable d’être calife,
mais Muawya à mon avis est apte pour cette fonction. »
Il y eut un
grand désordre. Le jugement se trouve être une grande mystification. Les espoirs
de paix et d’ordre s’envolèrent à nouveau. Tous les honnêtes gens quittèrent la
place avec dégoût.
Les kharijis
(dissidents)
Les
personnes qui objectèrent à l’accord de Siffin étaient les kharijis. Ali les
avait calmés. Mais après le jugement, ils recommencèrent à semer le trouble.
« Nous avons
demandé à Ali de rejeter l’accord », dirent-ils. « Il ne nous a pas écoutés. A
présent, il déclare que le jugement est contre le Livre d’Allah. Il admet ce
que nous avons dit au début. Il doit donc confesser sa faute et s’en repentir.
S’il le fait, nous sommes avec lui. Sinon, nous le combattrons. »
Les kharijis
fondèrent leur centre à Nehrwân. Ils commencèrent à prêcher leur culte et
réunirent suffisamment de force. Ils laissèrent les non musulmans tranquilles.
Mais ils furent très durs avec les musulmans qui divergeaient de leur point de
vue. Ils considéraient ces derniers comme des rebelles à la foi et les
combattaient.
Dans un
sens, les kharijis étaient des stricts puritains. Ils faisaient de longues
prières et s’habillaient simplement. Ils étaient honnêtes dans leurs affaires.
Mais être loyal envers un calife était un crime à leurs yeux. Ils appelaient
cela « Le culte de la personnalité ». Ils tuèrent lâchement des hommes et des femmes
qui se disaient partisans du calife.
Ali avait
encore à s’occuper de Muawiya. Mais le danger kharijis étaient de loin le plus
sérieux. Il demandait une attention immédiate. Le calife ne pouvait marcher sur
la Syrie sans d’abord éloigner ce danger. Il conduisit une armée à Nehrwân. Il
envoya d’abord deux notables compagnons persuader les chefs kharijis de ne pas
quitter le chemin du sens commun. Ces derniers refusèrent.
Ali envoya
alors un message dire : « Remettez-nous ceux qui ont tué des musulmans. Nous
les tuerons et laisserons les autres en paix. »
A cela, ils
répondirent : « Nous avons tous répandu le sang de vos partisans et nous
continuerons à le faire. » Ali vit qu’il ne pourrait pas éviter un combat. Il
déclara encore que ceux qui partiront pour Koufa ou Médine, quitteront leur
armée auront alors la vie sauve. Une bonne partie profita de cette concession.
Toutefois, il restait 3 000 kharijis. La bataille commença. Les kharijis se
battirent désespérément. Ali lui-même tua la plupart de leurs chefs. Leur armée
fut entièrement détruite. Ali envoya les blessés à leurs parents.
Cette
défaite, cependant, ne mit pas fin à l’opposition des kharijis. Ces derniers
s’étendirent dans différentes régions du pays. Ils prêchèrent la violence. Un
de leurs chefs, Kharait, prêchait l’anarchie.
« Toute
autorité appartient à Allah », cita-t-il du Coran. « Donc, aucun gouvernement
ne doit exister. »
Ali envoya
des troupes contre Kharait et d’autres kharijis. Kharait fut tué. Mais le
trouble khariji était toujours là.
Déclin du pouvoir d’Ali
Après avoir
vaincu les kharijis à Nehrwân, Ali voulut marcher sur la Syrie. Mais ses hommes
n’étaient pas en état de le faire.
« Nous
sommes las de cette bataille constante », se plaignirent-ils. « Permettez-nous
de nous reposer un moment. »
Le calife
campa à Nakhila, à quelques milles de la capitale. Ses hommes commencèrent à
s’échapper vers Koufa. A la fin, Ali fut forcé de gagner Koufa. Plus tard, il
demanda au peuple de se préparer pour la campagne syrienne. Mais les chefs de
Koufa n’en montrèrent aucun désir. Les appels actifs d’Ali eurent peu d’effet.
Comme le
temps passait, Ali comprit clairement qu’il ne pourrait jamais conduire une
seconde armée contre Muawya.
La perte de l’Egypte
Qais bin
Saad était le premier gouverneur d’Egypte sous Ali. Il était le fils du fameux
chef Ansâri Saad bin Abada. Qais était un homme très capable. Il réussit à
rallier des personnes à Ali. La ville de Khartba, cependant, ne voulait pas
accepter le nouveau calife. Qais laissa ces gens tranquilles à condition qu’ils
vivent en paix. Quelques amis d’Ali surveillaient le gouvernement d’Egypte. Ils
commençaient à avoir des doutes sur la loyauté de Qais.
« Pourquoi
n’oblige-t-il pas Khartba à accepter le nouveau calife ? » dirent-ils.
Aussi Ali
écrivit-il à Qais, lui demandant d’agir contre Khartba. Le gouverneur lui
écrivit que cela ne serait pas prudent. Des personnes de l’entourage d’Ali
virent en cette lettre une preuve de la sympathie de Qais pour Muawya. Celui-ci
vit là sa chance. Il savait de quoi Qais était capable. Il craignait que s’il
restait en Egypte, la situation deviendrait difficile. Il se fit passer pour un
de ses hommes. La chose fut rapportée au calife. Le piège était habillement
tendu. Ali s’y est laissé prendre, il renvoya Qais.
Mohammad bin
Abou Bakr fut alors nommé gouverneur d’Egypte. C’était un jeune homme
inexpérimenté. La première chose qu’il fit, fut de prendre partie contre les
gens de Khartba. Cela le tint occupé pendant un long moment. Pendant ce temps,
la bataille de Siffin commença. Mais le gouverneur d’Egypte était tellement
occupé qu’il ne put lever le petit doigt pour aider Ali. Le coup de Muawya
avait bien réussi.
Ali comprit
son erreur par la suite. L’Egypte devait être en de meilleures mains
pensa-t-il. Aussi, à son retour de Siffin, il remplaça Mohammad bin Abou Bakr
par Mâlik bin Ashtâr. Celui-ci était un homme fort. Il représentait encore un
réel danger pour Muawya. Comment pouvait-il traiter avec un homme comme Ashtâr
? Sa loyauté ne pouvait être mise en doute. Il utilisa une arme secrète : le
poison. Mâlik se rendait en Egypte quand il fut empoisonné à mort.
Sa mort
obligea Ali à nommer de nouveau Mohammad bin Abou Bakr. Ali lui assura que ce
n’était pas par plaisir mais seulement pour améliorer la situation. Mohammad
fut satisfait.
Après le
jugement, Muawya prétendait ouvertement au califat. L’Egypte était le premier
objet de son ambition. Les choses y étaient aussi mauvaises qu’il le voulait.
Il écrivit au peuple de Khartba de se préparer pour une révolte. Sa propre
armée conduite par Amr bin Aas venait à leur aide.
Mohammad bin
Abou Bakr écrivit à Ali pour lui demander de l’aide immédiate. La seule aide
qu’il reçut fut un appel du calife, lui disant de se battre aussi
courageusement que possible. Pendant ce temps, Amr et une armée de 6 000 hommes
arrivèrent. Il était le conquérant de l’Egypte et voulait être son gouverneur.
Dès son arrivée, 10 000 guerriers de Khartba se joignirent à son armée.
Mohammad bin
Abou Bakr ne put envoyer que 2 000 hommes pour arrêter Amr. Ils furent
facilement battus. Pendant ce temps, Mohammad réunit encore 2 000 hommes que
lui-même commanda. Comme il allait partir, la nouvelle de la défaite arriva.
Tous ces hommes s’enfuirent et lui-même se sentit désespéré. Il fut pris. Son
frère Abderrahman, qui était du côté de Muawya, demanda à ce que la vie de son
frère soit épargnée.
« Non », dit
Muawya, « il est l’un des assassins d’Othman. Il doit payer cette peine de sa
vie. »
Mohammad bin
Abou Bakr fut massacré sans pitié.
Muawya
devint maître de l’Egypte en l’an 38 de l’hégire. Une importante province
venait d’être enlevée à Ali.
Agitation dans le pays
Avec tact et
diplomatie, Muawya coupait le terrain sous les pieds d’Ali. Ses hommes
poussaient le peuple contre le calife. L’un d’entre eux, Ibn Hadrami, vint à
Bassora. Le gouverneur, Ibn Abbâs, était en visite à Koufa. Hadrami vit sa
chance. Il incita le peuple à venger la mort d’Othman et put trouver une relève
solide. Le député du gouverneur s’enfuit avec peine de la ville. Ali mata la
révolte. Hadrami et soixante-dix de ses hommes s’enfermèrent dans une maison.
Celle-ci fut mise à feu et tous ses occupants furent brûlés vifs.
Cet acte
cruel d’un général du calife augmenta l’agitation. La Perse et Kerman
refusaient de payer leur revenu. Ces soulèvements devaient être apaisés par
l’épée.
En 39 de
l’hégire, Muawya fut capable de mener la bataille dans le camp d’Ali. Il envoya
de fortes troupes faire un raid dans le territoire d’Ali. Une de ces troupes
arriva près de Bassora. Des appels à l’aide s’élevèrent dans différentes
régions. Par des mots ardents, le calife essayait de pousser les shiites dans
l’action. Mais ils n’en furent pas touchés. Les raids de Muawya semèrent la terreur
dans le cœur du peuple. L’agitation se dispersait. Chaque jour qui passait
voyait le calife de plus en plus seul à faire ce qu’il pouvait.
Cette
année-là, comme toujours, le calife envoya son député conduire le pèlerinage à
La Mecque. Muawya envoya un de ses hommes dans ce même but. Il y eut une lutte
entre les deux hommes, chacun d’eux prétendant être l’agent du droit calife. A
la fin, un troisième homme, Shaiba, le petit-fils de Talha, conduisit le
pèlerinage. Ali perdit ainsi ce symbole du califat. Aux yeux des pèlerins
réunis dans la ville sainte, il était descendu au même niveau que Muawya.
La perte du Hijaz et du
Yémen
Les
difficultés d’Ali rendirent Muawya plus que téméraire. En l’an 40 de l’hégire,
il envoya le cruel Bisr avec une armée de 3 000 hommes marcher sur le Hijaz. Le
député d’Ali à Médine, Abou Ayoub, ne put empêcher l’invasion et s’enfuit à
Koufa. Bisr occupa la ville et obligea mes gens à faire serment de loyauté à
Muawya. Il se tint dans la mosquée de Mohammad et cria :
« Où est mon
maître Othman aujourd’hui ? Il était encore là hier. Où est-il maintenant ? Ô
peuple de Médine, si Muawya ne m’avait pas fait juré, je n’aurais pas laissé un
seul adulte en vie dans la ville. »
De Médine,
Bisr marcha sur La Mecque. Là aussi, personne ne s’opposa à lui. Il occupa la
ville et fit prêter serment d’allégeance à Muawya.
Bisr se
dirigea ensuite vers le Yémen. Oubeïdoullah ibn Abbâs, son gouverneur,
apprenant l’avance de Bisr, s’enfuit à Koufa. Bisr entra dans la capitale du
Yémen et tua des centaines de partisans d’Ali. Il n’épargna même pas les deux
petits enfants de Oubeïdoullah ibn Abbâs.
Une autre
armée de Muawya, conduite par Soufian bin Aouf, envahit le sud de l’Iraq. Les
villes comme Médain et Aubar furent pillées.
Des rapports
alarmants courraient dans la région de l’empire. L’ennemi frappait à la porte
même du calife. Il devait faire quelque chose. Il envoya donc Jarya à la tête
de 2 000 hommes pour en finir avec les envahisseurs. Dès l’entrée de son armée
dans le Yémen, Bisr regagna rapidement la Syrie. Jarya continuait d’avancer
vers La Mecque. Aussitôt après son entrée dans la ville sainte, on reçut la
nouvelle qu’Ali avait été tué. Cela mit fin à la campagne de Jarya.
La mort du calife Ali
Les kharijis
étaient contre Ali, comme ils étaient contre Muawya. Ils avaient un grand
dégoût pour la guerre civile qui semblait ne plus finir. Après leur déroute à
Nehrwân, quelques-uns vinrent à La Mecque et réfléchirent à cet état de choses.
Ils reconnurent tous l’obscurité de la situation. Ils devaient faire quelque
chose.
« Muawya,
Amr bin Aas et Ali sont les principaux personnages de ce drame »,
déclarèrent-ils. « Débarrassez-vous de ces trois hommes et vous débarrasserez
le monde islamique de tous ses ennuis. »
Trois des
kharijis sortirent pour accomplir ce devoir. Abderrahman bin Mouljam devait
tuer Ali ; Bakr bin Abdullah Muawya et Amr bin Bakr, Amr bin Aas.
L’assassinat
fut fixé un 17ème jour de Ramadan. Les trois hommes devaient être tués quand ils
iraient à la mosquée pour conduire la prière du matin. Ibn Mouljam venait à
Koufa et restait dans une famille khariji. Là, il tomba amoureux d’une jolie
fille. Il la demanda en mariage.
« Pour cela,
vous devez me donner une dot », lui dit-elle.
« - Et quel
en sera le montant ? » répondit Ibn Mouljam.
« - Parmi
d’autres choses », répondit-elle, « je veux la tête d’Ali. »
« -
Excellent ! » s’exclama Ibn Mouljam, « je ne suis ici que pour cette mission !
»
Ainsi, avec
l’aide de la fille et de sa famille, Ibn Mouljam commença ses préparatifs.
Le 17
Ramadan, les trois kharijis accomplirent leurs assassinats. Muawya s’échappa
avec une légère blessure. L’assaillant fut pris et tué. Amr bin Aas étant
malade ce jour là, quelqu’un d’autre dirigea la prière à sa place et fut
égorgé. Son assassin fut pris et tué aussi. Ibn Mouljam, avec deux autres
kharijis, se tinrent cachés toute la nuit dans la Djami mosquée de Koufa. Le
vendredi matin, de bonne heure, Ali vint à la mosquée comme d’habitude, en fit
le tour en disant aux gens de se préparer pour la prière. Un des camarades de
Ibn Mouljam se jeta sur lui et le frappa de son épée, Ali s’écroula. Ibn
Mouljam courut vers lui et le frappa de son épée à la tête. Du sang jaillit et
mouilla sa barbe.
«
Saisissez-vous de mon assassin » cria Ali.
Ibn Mouljam
fut pris. Mais la blessure d’Ali était très sérieuse. Il vécut jusqu’à la fin
de ce jour. L’assassin fut amené devant lui.
« Tuez-le si
je meurs », dit-il, « mais si je vis, je m’occuperai de lui comme il le mérite.
»
Plus tard,
il était évident pour le calife qu’il n’y avait plus d’espoir. Il appela ses
fils et leur recommanda d’être bons et de servir l’islam.
«
Devrons-nous jurer serment d’allégeance à Hassan après vous ? » demanda
quelqu’un.
« - Je ne
vous dis pas de le faire, ni ne vous le défends », répondit-il. « Faites comme
bon vous semble. »
Appelant ses
fils, Hassan et Hussein, à son chevet, le calife mourant dit :
« Voici mes
derniers conseils : Craignez Allah et ne courrez jamais après ce monde. Ne
sollicitez jamais une chose hors de votre portée. Soyez toujours véridique,
clément et serviable. Arrêtez la main de l’oppresseur et aidez l’oppressé.
Suivez les commandements du Coran sans prêter attention aux dires des autres. »
Le même
soir, Ali mourut. Il avait soixante trois ans. Durant ses derniers moments, il
répétait constamment ces versets du Coran :
« Et
quiconque aura fait un bien du poids d’un atome, le verra.
Et quiconque
aura fait un mal du poids d’un atome, le verra. » Sourate 99, Az-Zalzalah (La secousse),
versets 7-8
Les cinq années du
califat d’Ali
Hazrat Ali
fut calife pendant 4 années et 9 mois. Toute cette période fut marquée par un
grand trouble. L’épée d’Ali avait rendu l’islam fort durant la vie du Prophète
. Mais pendant son propre califat, cette même épée avait du trancher la tête
des musulmans. Rien ne put être aussi désagréable à Ali. Il détestait ce que la
nécessité l’avait conduit à faire.
Un grand
malheur d’Ali fut le genre d’hommes qui choisirent de le suivre. Il y en avait
qui furent actifs contre Othman. Ils se sont débarrassés de lui par la
violence. Jamais par la suite, ils ne purent s’en tenir à la loi. Ils avaient
obtenu du calife ce qu’ils voulaient. Puis ils ont voulu que le calife
satisfasse leurs caprices, ils voulaient qu’il soit leur chef. Ali dut accepter
cette proposition. Peut-être cela n’aurait pas fait beaucoup de mal. Mais la
plus grande infortune d’Ali fut que ses partisans ne parlaient pas un seul
langage. Ils le poussaient dans des directions opposées. Cela conduisit à
l’inaction, à l’agitation et finalement au déclin.
Le rival
d’Ali, Muawya, était un homme de talent inhabituel. Son ambition était
également grande. Il commença sa tâche avec un tact étonnant, de l’habileté et
de la diplomatie. Avec ces armes subtiles, il battit aisément Ali.
Ali est
indubitablement un des plus grands fils de l’islam. Très peu de compagnons
l’égalaient dans ces liens avec le Prophète qui lui attribuait de grandes
qualités de cœur et d’esprit. A cela, s’ajoutaient courage et vigueur. Muawya
ne l’égalait pas. Ali fut un très grand maître de la langue arabe. Son écriture
était aussi énergique que son discours. Sur le champ de bataille, il était la
terreur de l’ennemi. Sa compréhension du Coran était profonde. Abou Bakr et
Omar se tournaient souvent vers lui pour un conseil dans des cas difficiles.
C’est une
ironie du sort qu’un homme de tels mérites ne put réussir en tant que chef.
Pris dans un moment tragique de l’Histoire, il se trouva forcé d’accepter les politiques
qu’il savait être la défaire de soi-même. Si Ali était venu dans une période
moins agitée, il aurait certainement donné le meilleur de lui-même.
La mort
d’Ali mit fin au plus glorieux chapitre de l’Histoire de l’islam. Il fut le
dernier des pieux califes. Avec lui finit la grande tradition islamique qui lie
le pouvoir politique au besoin qu’on s’impose et au service désintéressé. Ali
fut le dernier représentant de l’esprit ultra démocratique de l’islam.
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