Louis Cattiaux
Dans notre libellé : Les amis de René Guénon
Objet :
Article paru dans Le Goéland, 1951. Louis Cattiaux a
collaboré à une revue dirigée par le poète Théophile Briant, intitulée Le
Goéland, feuille de poésie et d'art. En automne 1950 parut un article signé
Jean de Boschère sur « Le cas Picasso ». Louis Cattiaux réagit en envoyant à
Briant la lettre ci-dessous.
Correspondance
Après la parution de l'article de Jean de Boschère « Le
cas Picasso » dans Le Goéland d'automne, num. 97, nous avons reçu deux lettres
de peintres, dont nous soumettons l'essentiel à toutes fins utiles à nos
lecteurs. La première émane de Maurice Mazot qui publia ici-même des études
importantes sur Degas, Cézanne et Dufy, la seconde nous a été adressée par
Louis Cattiaux, qui est non seulement artiste-peintre, mais encore auteurs
d'ouvrages ésotériques, dont le plus marquant fut LE MESSAGE RETROUVÉ, paru en
1946.
Cher poète ami,
Toute cette littérature délirante sur l’œuvre de Pablo
Picasso n’est pas faite pour éclaircir la situation, avouez-le, et comment
pourrait-on parler simplement d’une chose qui l’est si peu ? Il m’est venu à
l’esprit une explication encore plus délirante que toutes celles déjà
proposées, mais le vrai n’est-il pas souvent incroyable et délirant ?
Un soir de la fin de la terrible et magnifique époque «
bleue » où Picasso peignait les pauvres dans un crépuscule accusateur, un soir
où l’artiste désespéré d’avoir proposé inutilement un de ses chefs-d’œuvre pour
une bouchée de pain aux éternels connaisseurs ; un soir où révolté par la
bêtise humaine, le peintre brisait à coups de pied son œuvre avant de la jeter
à l’égoût (il s’en souvient encore), qui sait si le mauvais ange ne mit pas
fortuitement entre ses mains un quelconque Enchiridion ou Clavicules,
apparemment dérisoire, où l’évocation du Malin est décrite naïvement avec des
mots inconnus et insensés, où le monde, sa gloire et ses richesses sont non
moins naïvement promis à celui qui donnera son âme en échange à Satan, à celui
qui signera le pacte avec son sang. Ceux qui ont mangé à leur faim peuvent en
rire, et ceux qui sont établis au chaud peuvent se signer, mais que peut faire
celui qui est enragé par la médiocrité et par la lâcheté des pourvus
pontifiants ? Que peut penser celui qui crie dans le désert, et qui sent la
vérité toute nue jaillir de son cœur sous les crachats des émasculés ? Que peut
croire celui en qui personne ne croit ? La résignation ou la révolte ? Et le
sang généreux qui flambe répond à l’outrage par l’outrage, au blasphème par le
blasphème, au meurtre par le meurtre, à la dérision par la vengeance et le défi
ultime.
La foi anime tout, la foi du croyant et la foi du
révolté. Que ceux qui n’ont jamais bu les larmes de l’abandon, de la solitude
et de la révolte lui jettent le premier signe de croix, après lui avoir refusé
le morceau de pain ; les bien-pensants, prudents, pourvus et assurés, champions
du conformisme, défenseurs du bon ton, parasites d’héritages injustes,
médiocres incurables !
Alors quelle revanche, le pacte signé ! Il peut peindre
n’importe quoi, n’importe comment, c’est une gageure énorme qui résiste à tous
les absurdes ; et les imbéciles, battus, cocus et contents sortent leurs
millions pour acquérir la caricature des chefs-d’œuvre qu’ils viennent de
refuser pour 50 francs, pour 20 francs, pour cent sous ! Rien ne les rebutera,
car le maître-malin mène la danse, et ses légions travaillent la canaille
dorée. Véritables cochons de payants stupides et grotesques jusqu’à l’inouï,
cocus pontifiants et hermétiques, tout l’enfer se tord à leur vue, et le ciel
les vomit en hoquetant. Ceux-là sont responsables de la folie destructrice des
vivants révoltés par leur connerie himalayenne. Ceux-là méritent le châtiment
et la réprobation ; et entendez (comble de dérision) comme ils nomment
l’Intelligence pour excuser leur bêtise.
Quant au rebelle qui voit s’approcher l’échéance
redoutable, (l’avez-vous jamais vu rire ?), quant à l’archange noir, vengeur
des artistes bafoués et abandonnés, nous prions simplement dans notre cœur,
afin que la hantise du visage malin et cornu s’efface de son esprit et de ses
œuvres, afin que le bleu du ciel lui soit rendu avec pardon. Le génie de la
buveuse d’absinthe valait mieux à notre sens que le génie du buveur de sang. Et
pourquoi pas cette raison plutôt que toutes les autres ?
J’espère que vous pourrez tirer de cela une petite
version originale pour vos lecteurs, cher Théophile. Vous pourrez même conclure
en demandant « à quand la conversion de Picasso ? » car c’est dans l’ordre des
choses bien possibles, après tout.
Votre
Louis Cattiaux
4 février 1951.
Note de Th. Briant
Nous n’avons qu’une remarque à ajouter à la lettre de
Louis Cattiaux, c’est que dans le Berry et la Sologne, il existe une expression
populaire très ancienne pour désigner quelqu’un qui serait ensorcelé. On dit de
lui qu’il est « empicassé ». La rencontre est des plus étranges et valait
d’être notée.
Pour la référence nous renvoyons nos lecteurs à un
ouvrage paru en 1924 chez Pierre Téqui, 82 rue Bonaparte : « Une possédée
contemporaine (1834-1914) Hélène Poirier de Coullons (Loiret) » avec les notes
journalières du Chanoine Champault. L’expression est employée page 63 « La
pauvre femme pleure en disant que sa fille est « empicassée », avec renvoi en
bas de page pour éclairer le lecteur.
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