samedi 17 août 2013

A propos du « Cas Picasso » - Louis Cattiaux


                                                                        Louis Cattiaux
 
 
Dans notre libellé :  Les amis de René Guénon
 
Objet :

Article paru dans Le Goéland, 1951. Louis Cattiaux a collaboré à une revue dirigée par le poète Théophile Briant, intitulée Le Goéland, feuille de poésie et d'art. En automne 1950 parut un article signé Jean de Boschère sur « Le cas Picasso ». Louis Cattiaux réagit en envoyant à Briant la lettre ci-dessous.

Correspondance

Après la parution de l'article de Jean de Boschère « Le cas Picasso » dans Le Goéland d'automne, num. 97, nous avons reçu deux lettres de peintres, dont nous soumettons l'essentiel à toutes fins utiles à nos lecteurs. La première émane de Maurice Mazot qui publia ici-même des études importantes sur Degas, Cézanne et Dufy, la seconde nous a été adressée par Louis Cattiaux, qui est non seulement artiste-peintre, mais encore auteurs d'ouvrages ésotériques, dont le plus marquant fut LE MESSAGE RETROUVÉ, paru en 1946.

 

 Cher poète ami,

Toute cette littérature délirante sur l’œuvre de Pablo Picasso n’est pas faite pour éclaircir la situation, avouez-le, et comment pourrait-on parler simplement d’une chose qui l’est si peu ? Il m’est venu à l’esprit une explication encore plus délirante que toutes celles déjà proposées, mais le vrai n’est-il pas souvent incroyable et délirant ?

Un soir de la fin de la terrible et magnifique époque « bleue » où Picasso peignait les pauvres dans un crépuscule accusateur, un soir où l’artiste désespéré d’avoir proposé inutilement un de ses chefs-d’œuvre pour une bouchée de pain aux éternels connaisseurs ; un soir où révolté par la bêtise humaine, le peintre brisait à coups de pied son œuvre avant de la jeter à l’égoût (il s’en souvient encore), qui sait si le mauvais ange ne mit pas fortuitement entre ses mains un quelconque Enchiridion ou Clavicules, apparemment dérisoire, où l’évocation du Malin est décrite naïvement avec des mots inconnus et insensés, où le monde, sa gloire et ses richesses sont non moins naïvement promis à celui qui donnera son âme en échange à Satan, à celui qui signera le pacte avec son sang. Ceux qui ont mangé à leur faim peuvent en rire, et ceux qui sont établis au chaud peuvent se signer, mais que peut faire celui qui est enragé par la médiocrité et par la lâcheté des pourvus pontifiants ? Que peut penser celui qui crie dans le désert, et qui sent la vérité toute nue jaillir de son cœur sous les crachats des émasculés ? Que peut croire celui en qui personne ne croit ? La résignation ou la révolte ? Et le sang généreux qui flambe répond à l’outrage par l’outrage, au blasphème par le blasphème, au meurtre par le meurtre, à la dérision par la vengeance et le défi ultime.

La foi anime tout, la foi du croyant et la foi du révolté. Que ceux qui n’ont jamais bu les larmes de l’abandon, de la solitude et de la révolte lui jettent le premier signe de croix, après lui avoir refusé le morceau de pain ; les bien-pensants, prudents, pourvus et assurés, champions du conformisme, défenseurs du bon ton, parasites d’héritages injustes, médiocres incurables !

Alors quelle revanche, le pacte signé ! Il peut peindre n’importe quoi, n’importe comment, c’est une gageure énorme qui résiste à tous les absurdes ; et les imbéciles, battus, cocus et contents sortent leurs millions pour acquérir la caricature des chefs-d’œuvre qu’ils viennent de refuser pour 50 francs, pour 20 francs, pour cent sous ! Rien ne les rebutera, car le maître-malin mène la danse, et ses légions travaillent la canaille dorée. Véritables cochons de payants stupides et grotesques jusqu’à l’inouï, cocus pontifiants et hermétiques, tout l’enfer se tord à leur vue, et le ciel les vomit en hoquetant. Ceux-là sont responsables de la folie destructrice des vivants révoltés par leur connerie himalayenne. Ceux-là méritent le châtiment et la réprobation ; et entendez (comble de dérision) comme ils nomment l’Intelligence pour excuser leur bêtise.

Quant au rebelle qui voit s’approcher l’échéance redoutable, (l’avez-vous jamais vu rire ?), quant à l’archange noir, vengeur des artistes bafoués et abandonnés, nous prions simplement dans notre cœur, afin que la hantise du visage malin et cornu s’efface de son esprit et de ses œuvres, afin que le bleu du ciel lui soit rendu avec pardon. Le génie de la buveuse d’absinthe valait mieux à notre sens que le génie du buveur de sang. Et pourquoi pas cette raison plutôt que toutes les autres ?

J’espère que vous pourrez tirer de cela une petite version originale pour vos lecteurs, cher Théophile. Vous pourrez même conclure en demandant « à quand la conversion de Picasso ? » car c’est dans l’ordre des choses bien possibles, après tout.

Votre

Louis Cattiaux

4 février 1951.

 

Note de Th. Briant

Nous n’avons qu’une remarque à ajouter à la lettre de Louis Cattiaux, c’est que dans le Berry et la Sologne, il existe une expression populaire très ancienne pour désigner quelqu’un qui serait ensorcelé. On dit de lui qu’il est « empicassé ». La rencontre est des plus étranges et valait d’être notée.

Pour la référence nous renvoyons nos lecteurs à un ouvrage paru en 1924 chez Pierre Téqui, 82 rue Bonaparte : « Une possédée contemporaine (1834-1914) Hélène Poirier de Coullons (Loiret) » avec les notes journalières du Chanoine Champault. L’expression est employée page 63 « La pauvre femme pleure en disant que sa fille est « empicassée », avec renvoi en bas de page pour éclairer le lecteur.
 

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