Symboles de la Science sacrée, René Guénon, éd.
Gallimard, 1962
XLIII - La « pierre angulaire » p. 257 - p. 270
La « pierre angulaire1 »
Le symbolisme de
la « pierre angulaire », dans la tradition chrétienne, se base sur ce texte : «
La pierre que ceux qui bâtissaient avaient rejetée est devenue la principale
pierre de l’angle », ou plus exactement « la tête de l’angle » (caput anguli)2.
Ce qui est étrange, c’est que ce symbolisme est le plus souvent mal compris,
par suite d’une confusion qui est faite communément entre cette « pierre
angulaire » et la « pierre fondamentale » à laquelle se rapporte cet autre
texte encore plus connu : « Tu es Pierre, et sur cette pierre je bâtirai mon
Église, et les portes de l’enfer ne prévaudront point contre elle3. » Cette
confusion est étrange, disons-nous, car, au point de vue spécifiquement
chrétien, elle revient en fait à confondre saint Pierre avec le Christ
lui-même, puisque c’est celui-ci qui est expressément désigné comme la « pierre
angulaire », comme le montre ce passage de saint Paul, qui, en outre, la
distingue nettement des « fondations » de l’édifice : « Vous êtes un édifice
bâti sur le fondement des apôtres et des prophètes, Jésus-Christ lui-même étant
la principale pierre de l’angle (summo angulari lapide), en qui tout édifice,
construit et lié dans toutes ses parties, s’élève en un temple consacré au
Seigneur, par qui vous êtes entrés dans sa structure (plus littéralement “bâtis
ensemble”, coedificamini) pour être l’habitation de Dieu dans l’Esprit4. »
[1] Publié dans É. T., avril-mai 1940.
[2] Psaume, CXVIII, 22 ; Saint Matthieu, XXI, 42 ;
Saint Marc, XII, 10 ; Saint Luc, XX, 17.
[3] Saint Matthieu, XVI, 18.
[4] Épître aux Éphésiens, II, 20-22.
Si la méprise dont il s’agit était uniquement moderne,
il n’y aurait sans doute pas lieu de s’en étonner outre mesure, mais il semble
bien qu’elle se rencontre déjà en des temps où il n’est guère possible de
l’attribuer purement et simplement à l’ignorance du symbolisme ; on est donc
amené à se demander si en réalité il ne se serait pas agi là plutôt, à
l’origine, d’une « substitution » intentionnelle, s’expliquant par le rôle de
saint Pierre comme « substitut » du Christ (en latin vicarius, correspondant en
ce sens à l’arabe Khalîfah) ; s’il en était ainsi, cette façon de « voiler » le
symbolisme de la « pierre angulaire » semblerait indiquer qu’il était considéré
comme contenant quelque chose de particulièrement mystérieux, et l’on verra par
la suite qu’une telle supposition est loin d’être injustifiée1. Quoi qu’il en
soit, il y a dans cette identification des deux pierres, même au point de vue
de la simple logique, une impossibilité qui apparaît clairement dès qu’on
examine avec un peu d’attention les textes que nous avons cités : la « pierre
fondamentale » est celle qui est posée en premier lieu, au début même de la
construction d’un édifice (et c’est pourquoi elle est appelée aussi « première
pierre »)2 ; comment donc pourrait-elle être rejetée au cours de cette même
construction ? Pour qu’il en soit ainsi, il faut au contraire que la « pierre
angulaire » soit telle qu’alors elle ne puisse pas encore trouver sa place ; et
en effet, comme nous le verrons, elle ne peut la trouver qu’au moment de
l’achèvement de l’édifice tout entier, et c’est ainsi qu’elle devient
réellement la « tête de l’angle ».
Dans un article que nous avons déjà signalé3, Ananda
Coomaraswamy remarque que l’intention du texte de saint Paul est évidemment de
représenter le Christ comme l’unique principe dont dépend tout l’édifice de
l’Église, et il ajoute que « le principe d’une chose n’est ni une de ses
parties parmi les autres ni la totalité de ses parties, mais ce en quoi toutes
les parties sont réduites à une unité sans composition ».
[1] La « substitution » a pu aussi être aidée par la
similitude phonétique existant entre le nom hébreu Kephas, qui signifie «
pierre », et le mot grec Kephalê, « tête » ; mais il n’y a entre ces deux mots
aucun autre rapport, et le fondement d’un édifice ne peut évidemment être
identifié avec sa « tête », c’est-à-dire son sommet, ce qui reviendrait à
renverser l’édifice tout entier on pourrait d’ailleurs se demander aussi si ce
« renversement » n’a pas quelque correspondance symbolique avec la crucifixion
de saint Pierre la tête en bas.
[2] Cette pierre doit être placée à l’angle nord-est de
l’édifice ; nous noterons à ce propos qu’il y a lieu de distinguer, dans le
symbolisme de saint Pierre, plusieurs aspects ou fonctions auxquels
correspondent des « situations » différentes, car d’autre part, en tant que
janitor, sa place est à l’Occident, où se trouve l’entrée de toute église
normalement orientée ; en outre, saint Pierre et saint Paul sont aussi
représentés comme les deux « colonnes » de l’Église, et alors ils sont
habituellement figurés, l’un avec les clefs et l’autre avec l’épée, dans
l’attitude de deux dwârapâlas.
[3] Eckstein, dans la revue Speculum, numéro de janvier
1939.
La « pierre fondamentale » (foundation-stone) peut bien, en un certain sens, être appelée
une « pierre d’angle » (corner-stone) ainsi qu’on le fait habituellement,
puisqu’elle est placée à un angle ou à un « coin » (corner) de l’édifice1 ;
mais elle n’est pas unique comme telle, l’édifice ayant nécessairement quatre
angles ; et, même si l’on veut parler plus particulièrement de la « première
pierre », elle ne diffère en rien des pierres de base des autres angles, sauf
par sa situation2, et elle ne s’en distingue ni par sa forme ni par sa
fonction, n’étant en somme que l’un de quatre supports égaux entre eux ; on
pourrait dire que l’une quelconque de ces quatre corner-stones « reflète » en
quelque façon le principe dominant de l’édifice, mais elle ne saurait
aucunement être regardée comme étant ce principe même3. D’ailleurs, si c’était
réellement là ce dont il s’agit, on ne pourrait même pas parler logiquement de
« la pierre angulaire », puisque, en fait, il y en aurait quatre ; celle-ci
doit donc être quelque chose d’essentiellement différent de la corner-stone
entendue au sens courant de « pierre fondamentale », et elles ont seulement en
commun le caractère d’appartenir l’une et l’autre à un même symbolisme «
constructif ».
Nous venons de faire allusion à la forme de la « pierre
angulaire », et c’est là en effet un point particulièrement important : c’est
parce que cette pierre a une forme spéciale et unique, qui la différencie de
toutes les autres, que non seulement elle ne peut trouver sa place au cours de
la construction, mais que même les constructeurs ne peuvent pas comprendre
quelle est sa destination ; s’ils le comprenaient, il est évident qu’ils ne la
rejetteraient pas, et qu’ils se contenteraient de la réserver jusqu’à la fin ;
mais ils se demandent « ce qu’ils feront de la pierre », et, ne pouvant trouver
une réponse satisfaisante à cette question, ils décident, la croyant
inutilisable, de « la rejeter parmi les décombres » (to heave it over among the
rubbish)4.
[1] Nous serons obligé, dans cette étude, de nous
référer souvent aux termes « techniques » anglais, parce que, appartenant
primitivement au langage de l’ancienne maçonnerie opérative, ils ont été pour
la plupart conservés spécialement dans les rituels de la Royal Arch Masonry et des
grades accessoires qui y sont rattachés, rituels dont il n’existe aucun
équivalent en français ; et l’on verra que certains de ces termes sont d’une
traduction assez difficile.
[2] Suivant le rituel opératif, cette « première pierre
» est, comme nous l’avons dit, celle de l’angle nord-est ; les pierres des
autres angles sont ensuite placées successivement en suivant le sens de la
marche apparente du soleil, c’est-à-dire dans cet ordre : sud-est, sud-ouest,
nord-ouest.
[3] Cette « réflexion » est évidemment en rapport
direct avec la substitution dont nous avons parlé.
[4] L’expression To heave over est assez singulière, et
apparemment inusitée en ce sens dans l’anglais moderne ; elle semblerait
pouvoir signifier « soulever » ou « élever », mais, d’après le reste de la
phrase citée, il est clair que, en réalité, c’est bien à la « réjection » de la
pierre qu’elle s’applique ici.
La destination de cette pierre ne peut être comprise
que par une autre catégorie de constructeurs, qui à ce stade n’interviennent
pas encore : ce sont ceux qui sont passés « de l’équerre au compas », et, par
cette distinction, il faut naturellement entendre celle des formes géométriques
que ces deux instruments servent respectivement à tracer, c’est-à-dire la forme
carrée et la forme circulaire, qui symbolisent d’une façon générale, comme on
le sait, la terre et le ciel ; ici, la forme carrée correspond à la partie
inférieure de l’édifice, et la forme circulaire à sa partie supérieure, qui,
dans ce cas, doit donc être constituée par un dôme ou une voûte1. En effet, la
« pierre angulaire » est bien en réalité une « clef de voûte » (keystone) ; A.
Coomaraswamy dit que, pour rendre la véritable signification de l’expression «
est devenue la tête de l’angle » (is become the head of the corner), on
pourrait la traduire par is become the keystone of the arch, ce qui est
parfaitement exact ; et ainsi cette pierre, par sa forme aussi bien que par sa
position, est effectivement unique dans l’édifice tout entier, comme elle doit
l’être pour pouvoir symboliser le principe dont tout dépend. On s’étonnera
peut-être que cette représentation du principe ne se place ainsi qu’en dernier
lieu dans la construction ; mais on peut dire que celle-ci, dans tout son
ensemble, est ordonnée par rapport à elle (ce que saint Paul exprime en disant
qu’« en elle tout l’édifice s’élève en un temple consacré au Seigneur »), et
que c’est en elle qu’elle trouve finalement son unité ; il y a là encore une
application de l’analogie, que nous avons déjà expliquée en d’autres occasions,
entre le « premier » et le « dernier », ou le « principe » et la « fin » : la
construction représente la manifestation, dans laquelle le principe n’apparaît
que comme l’achèvement ultime ; et c’est précisément en vertu de cette même
analogie que la « première pierre », ou la « pierre fondamentale », peut être
regardée comme un « reflet » de la « dernière pierre », qui est la véritable «
pierre angulaire ».
L’équivoque
impliquée dans une expression telle que corner-stone repose en définitive sur
les différents sens possibles du mot « angle » ; Coomaraswamy remarque que,
dans diverses langues, les mots qui signifient « angle » sont souvent en
rapport avec d’autres qui signifient « tête » et « extrémité » : en grec,
kephalê, « tête », et en architecture « chapiteau » (capitulum, diminutif de
caput) ne peut s’appliquer qu’à un sommet ; mais akros (sanscrit agra) peut
indiquer une extrémité dans n’importe quelle direction, c’est-à-dire, dans le
cas d’un édifice, le sommet ou l’un des quatre « coins » (ce dernier mot est
étymologiquement apparenté au grec gônia, « angle »), bien que souvent il
s’applique aussi de préférence au sommet.
[1] Cette distinction est, en d’autres termes, celle de
la Square Masonry et de l’Arch Masonry, qui par leurs rapports respectifs avec
la « terre » et le « ciel », ou avec les parties de l’édifice qui les
représentent, sont mises ici en correspondance avec les « petits mystères » et
les « grands mystères ».
Mais ce qui est encore plus important, au point de vue
spécial des textes concernant la « pierre angulaire » dans la tradition
judéo-chrétienne, c’est la considération du mot hébreu signifiant « angle » :
ce mot est pinnah, et l’on trouve les expressions eben pinnah, « pierre d’angle
», et rosh pinnah, « tête d’angle » ; mais ce qui est particulièrement
remarquable, c’est que, au sens figuré, ce même mot pinnah est employé pour
signifier « chef » : une expression désignant les « chefs du peuple » (pinnoth
ha-am) est traduite littéralement dans la Vulgate par angulos populorum1. Un «
chef » est étymologiquement une « tête » (caput), et pinnah se rattache par sa
racine à pnê, qui signifie « face » ; le rapport étroit de ces idées de « tête
» et de « face » est évident, et, en outre, le terme de « face » appartient à
un symbolisme très généralement répandu et qui mériterait d’être examiné à
part2. Une autre idée connexe encore est celle de « pointe » (qui se trouve
dans le sanscrit agra, le grec akros, le latin acer et acies) ; nous avons déjà
parlé du symbolisme des pointes à propos de celui des armes et des cornes3, et
nous avons vu qu’il se rapporte à l’idée d’extrémité, mais plus
particulièrement en ce qui concerne l’extrémité supérieure, c’est-à-dire le
point le plus élevé ou le sommet ; tous ces rapprochements ne font donc que
confirmer ce que nous avons dit de la situation de la « pierre angulaire » au
sommet de l’édifice : même s’il y a d’autres « pierres angulaires » au sens le
plus général de cette expression4, c’est bien celle-là seule qui est réellement
« la pierre angulaire » par excellence.
[1] Samuel, XIV, 38 ; la version grecque des Septante
emploie également le mot gônia.
[2] Cf. A.-M. Hocart, Les Castes, pp. 151-154, à propos
de l’expression « faces de la terre » employée aux îles Fiji pour désigner les
chefs. – Le mot grec Karai, dans les premiers siècles du christianisme, servait
à désigner les cinq « faces » ou « têtes de l’Église », c’est-à-dire les cinq
patriarcats principaux, dont les initiales réunies formaient précisément ce mot
: Constantinople, Alexandrie, Rome, Antioche, Jérusalem.
[3] On peut remarquer que le mot anglais corner est
évidemment un dérivé ici de « corne ».
[4] En ce sens, il n’y a même pas seulement quatre «
pierres angulaires » à la base, mais il y en a aussi à un niveau quelconque de
la construction ; et ces pierres sont toutes de la même forme ordinaire,
rectiligne et rectangulaire (c’est-à-dire taillées on the square, le mot square
ayant d’ailleurs le double sens d’« équerre » et de « carré »), contrairement à
ce qui a lieu dans le cas unique de la keystone.
Nous trouvons d’autres indications intéressantes dans
les significations du mot arabe rukn, « angle » ou « coin » : ce mot, parce
qu’il désigne les extrémités d’une chose, c’est-à-dire ses parties les plus
reculées et par suite les plus cachées (recondita et abscondita, pourrait-on
dire en latin), prend parfois un sens de « secret » ou de « mystère » ; et,
sous ce rapport, son pluriel arkân est à rapprocher du latin arcanum, qui a
également ce même sens, et avec lequel il présente une ressemblance frappante ;
du reste, dans le langage des hermétistes tout au moins, l’emploi du terme «
arcane » a été certainement influencé d’une façon directe par le mot arabe dont
il s’agit1. En outre, rukn a aussi le sens de « base » ou de « fondation », ce
qui nous ramène à la corner-stone entendue comme la « pierre fondamentale » ;
dans la terminologie alchimique, el-arkân, quand cette désignation est employée
sans autre précision, sont les quatre éléments, c’est-à-dire les « bases » substantielles
de notre monde, qui sont assimilés ainsi aux pierres de base des quatre angles
d’un édifice, puisque c’est sur eux qu’est en quelque sorte construit tout le
monde corporel (représenté aussi par la forme carrée)2 ; et, par-là, nous
arrivons encore directement au symbolisme même qui nous occupe présentement. En
effet, il n’y a pas seulement ces quatre arkân ou éléments « basiques », mais
il y a aussi un cinquième rukn, le cinquième élément ou la « quintessence »
(c’est-à-dire l’éther, el-athîr) ; celui-ci n’est pas sur le même « plan » que
les autres, car il n’est pas simplement une base comme eux, mais bien le
principe même de ce monde3 ; il sera donc représenté par le cinquième « angle »
de l’édifice, qui est son sommet ; et à ce « cinquième », qui est en réalité le
« premier », convient proprement la désignation d’angle suprême, d’angle par
excellence ou « angle des angles » (rukn el-arkân), puisque c’est en lui que la
multiplicité des autres angles est réduite à l’unité4.
[1] Il pourrait être intéressant de chercher s’il peut
y avoir une parenté étymologique réelle entre les deux mots arabe et latin,
même dans l’usage ancien de ce dernier (par exemple dans la disciplina arcani
des chrétiens des premiers temps) ou s’il s’agit seulement d’une « convergence
» qui ne s’est produite qu’ultérieurement, chez les hermétistes du moyen âge.
[2] Cette assimilation des éléments aux quatre angles
d’un carré est naturellement aussi en rapport avec la correspondance qui existe
entre ces mêmes éléments et les points cardinaux.
[3] Il serait dans le même plan (en son point central)
si ce plan était pris comme représentant un état d’existence tout entier ; mais
ce n’est pas le cas ici, puisque c’est tout l’ensemble de l’édifice qui est une
image du monde. – Remarquons à ce propos que la projection horizontale de la
Pyramide dont nous parlons un peu plus loin est constituée par le carré de base
avec ses diagonales, les arêtes latérales se projetant suivant celles-ci et le
sommet en leur point de rencontre, c’est-à-dire au centre même du carré.
[4] Au sens de « mystère » que nous avons indiqué plus
haut, rukn el-arkân équivaut à sirr el-asrâr, qui est représenté, comme nous
l’avons expliqué ailleurs, par la pointe supérieure de la lettre alif : l’alif
lui-même figurant l’« axe du monde », ceci, comme on le verra encore mieux par
la suite, correspond très exactement à la position de la keystone.
On peut encore
remarquer que la figure géométrique obtenue en joignant ces cinq angles est
celle d’une pyramide à base quadrangulaire : les arêtes latérales de la
pyramide émanent de son sommet comme autant de rayons, de même que les quatre
éléments ordinaires, qui sont représentés par les extrémités inférieures de ces
arêtes, procèdent du cinquième et sont produits par lui ; et c’est aussi
suivant ces mêmes arêtes, que nous avons assimilées intentionnellement à des
rayons pour cette raison (et aussi en vertu du caractère « solaire » du point
dont elles sont issues, d’après ce que nous avons dit au sujet de l’« œil » du
dôme), que la « pierre angulaire » du sommet se « reflète » en chacune des «
pierres fondamentales » des quatre angles de la base. Enfin, il y a dans ce qui
vient d’être dit l’indication très nette d’une corrélation existant entre le
symbolisme alchimique et le symbolisme architectural, et qui s’explique
d’ailleurs par leur caractère « cosmologique » commun ; c’est là encore un
point important, sur lequel nous aurons à revenir à propos d’autres
rapprochements du même ordre.
La « pierre angulaire », prise dans son véritable sens
de pierre « du sommet », est désignée à la fois, en anglais, comme keystone,
comme capstone (qu’on trouve aussi écrit parfois capeston), et comme copestone
(ou coping-stone) ; le premier de ces trois mots est facilement compréhensible,
car c’est l’équivalent exact du terme français « clef de voûte » (ou d’arc, le
mot pouvant en réalité s’appliquer à la pierre qui forme le sommet d’un arc
aussi bien que d’une voûte) ; mais les deux autres demandent un peu plus
d’explications. Dans capstone, le mot cap est évidemment le latin caput, « tête
», ce qui nous ramène à la désignation de cette pierre comme la « tête de
l’angle » ; c’est proprement la pierre qui « achève » ou « couronne » un
édifice ; et c’est aussi un chapiteau, qui est de même le « couronnement »
d’une colonne1.
[1] Le terme de « couronnement » est ici à rapprocher
de la désignation de la « couronne » de la tête, en raison de l’assimilation
symbolique, que nous avons signalée précédemment, de l’« œil » du dôme avec le
Brahma-randhra ; on sait d’ailleurs que la couronne, comme les cornes, exprime
essentiellement l’idée d’élévation. Il y a lieu de noter aussi, à ce propos,
que le serment du grade de Royal Arch contient une allusion à la « couronne du
crâne » (The crown of the skull), qui suggère un rapport entre l’ouverture de
celle-ci (comme dans les rites de trépanation posthume) et l’enlèvement
(removing) de la keystone ; du reste, d’une façon générale, les soi-disant «
pénalités » exprimées dans les serments des différents grades maçonniques,
ainsi que les signes qui y correspondent, se rapportent en réalité aux divers
centres subtils de l’être humain.
Nous venons de parler d’« achèvement », et les deux
mots cap et « chef » sont, en effet, étymologiquement identiques1 ; la capstone
est donc le « chef » de l’édifice ou de l’« œuvre », et en raison de sa forme
spéciale qui requiert, pour la tailler, des connaissances ou des capacités
particulières, elle est aussi, en même temps, un « chef-d’œuvre » au sens
compagnonnique de cette expression2 ; c’est par elle que l’édifice est
complètement terminé, ou, en d’autres termes, qu’il est finalement amené à sa «
perfection »3.
Quant au terme copestone, le mot cope exprime l’idée de
« couvrir » ; ceci s’explique par le fait, non seulement que la partie
supérieure de l’édifice est proprement sa « couverture », mais aussi, et nous
dirions même surtout, que cette pierre se place de façon à couvrir l’ouverture
du sommet, c’est-à-dire l’« œil » du dôme ou de la voûte, dont nous avons déjà
parlé précédemment4.
[1] Dans la signification du mot « achever », ou de
l’ancienne expression équivalente « mener à chef », l’idée de « tête » est
associée à celle de « fin », ce qui répond bien à la situation de la « pierre
angulaire », à la fois comme « pierre du sommet », et comme « dernière pierre »
de l’édifice. Nous mentionnerons encore un autre terme dérivé de « chef » : le
« chevet » d’une église est sa « tête »,
c’est-à-dire l’extrémité orientale où se trouve l’abside, dont la forme
semi-circulaire correspond, dans le plan horizontal, au dôme ou à la coupole en
élévation verticale, ainsi que nous l’avons expliqué en une autre occasion.
[2] Le mot « œuvre » trouve à la fois son emploi en
architecture et en alchimie, et l’on verra que ce n’est pas sans raison que
nous faisons ce rapprochement : en architecture, l’achèvement de l’œuvre est la
« pierre angulaire » ; en alchimie, c’est la « pierre philosophale ».
[3] Il est à remarquer que, dans certains rites
maçonniques, les grades qui correspondent plus ou moins exactement à la partie
supérieure de la construction dont il s’agit ici (nous disons plus ou moins
exactement car il y a parfois en tout cela une certaine confusion) sont
désignés précisément par le nom de « grades de perfection ». D’autre part, le
mot « exaltation », qui désigne l’accession au grade de Royal Arch, peut
s’entendre comme faisant allusion à la position élevée de la keystone.
[4] On trouve, pour la mise en place de cette pierre,
l’expression to bring forth the copestone, dont le sens est encore assez peu
clair à première vue : to bring forth signifie littéralement « produire » (au
sens étymologique du latin producere) ou « mettre au jour » ; puisque la pierre
a déjà été rejetée antérieurement au cours de la construction, il ne peut être
question, au jour de l’achèvement de l’œuvre, de sa « production » au sens
d’une « confection » ; mais, puisqu’elle a été enfouie « parmi les décombres »,
il s’agit de l’en dégager, donc de la remettre au jour, pour la placer en
évidence au sommet de l’édifice, de façon qu’elle devienne la « tête de l’angle
» ; et ainsi to bring forth s’oppose ici à to heave over.
C’est donc en somme, à cet égard, l’équivalent d’une
roof-plate, ainsi que le remarque M. Coomaraswamy, qui ajoute que cette pierre
peut être regardée comme la terminaison supérieure ou le chapiteau du « pilier
axial » (en sanscrit skambha, en grec stauros)1 ; ce pilier, comme nous l’avons
déjà expliqué, peut n’être pas représenté matériellement dans la structure de
l’édifice, mais il n’en est pas moins sa partie essentielle, celle autour de
laquelle s’ordonne tout l’ensemble. Le caractère de sommet du « pilier axial »,
présent d’une façon seulement « idéale », est indiqué d’une façon
particulièrement frappante dans les cas où la « clef de voûte » descend en
forme de « pendentif » dépassant à l’intérieur de l’édifice, sans être
visiblement supportée par rien à sa partie inférieure2 ; toute la construction
a son principe dans ce pilier, et toutes ses parties diverses viennent
finalement s’unifier dans son « faîte », qui est le sommet de ce même pilier,
et qui est la « clef de voûte » ou la « tête de l’angle »3.
L’interprétation réelle de la « pierre angulaire »
comme « pierre du sommet » paraît bien avoir été assez généralement connue au
moyen âge, ainsi que le montre notamment une illustration du Speculum Humanae
Salvationis que nous reproduisons ici4 (fig. 14) ; cet ouvrage était fort
répandu, car il en existe encore plusieurs centaines de manuscrits ; on voit
dans cette illustration deux maçons tenant une truelle d’une main et, de
l’autre, soutenant la pierre qu’ils s’apprêtent à poser au sommet d’un édifice
(apparemment la tour d’une église dont cette pierre doit compléter le sommet),
ce qui ne laisse aucun doute sur sa signification.
[1] Stauros signifie aussi « croix », et l’on sait que,
dans le symbolisme chrétien, la croix est assimilée à l’« axe du monde » ;
Coomaraswamy rapproche ce mot du sanscrit sthâvara, « ferme » ou « stable », ce
qui convient bien en effet à un pilier, et ce qui, en outre, s’accorde
exactement avec la signification de « stabilité » donnée à la réunion des noms
des deux colonnes du Temple de Salomon.
[2] C’est ce sommet du « pilier axial » qui correspond,
comme nous l’avons dit, à la pointe supérieure de l’alif dans le symbolisme
littéral arabe : rappelons aussi, au sujet des termes keystone et « clef de
voûte », que le symbole même de la clef a également une signification « axiale ».
[3] Coomaraswamy rappelle l’identité symbolique du toit
(et plus particulièrement lorsqu’il est en forme de voûte) avec le parasol ;
nous ajouterons aussi, à ce propos, que le symbole chinois du « Grand Extrême »
(Tai-ki) désigne littéralement un « faîte » ou un « comble » : c’est proprement
le sommet du « toit du monde ».
[4] Manuscrit de Munich, clm. 146, fol. 35 (Lutz et
Perdrizet, II, pl. 64) : la photographie nous a été communiquée par A. K.
Coomaraswamy ; elle a été reproduite dans l’Art Bulletin, XVII, p. 450 et fig.
20, par M. Erwin Panofsky, qui considère cette illustration comme la plus
proche du prototype, et qui, à ce propos, parle du lapis in caput anguli comme
d’une keystone ; on pourrait dire aussi, d’après nos précédentes explications,
que cette figure représente the bringing forth of the copestone.
Il y a lieu de remarquer, à propos de cette figure, que
la pierre dont il s’agit, en tant que « clef de voûte », ou dans toute autre
fonction similaire suivant la structure de l’édifice qu’elle est destinée à «
couronner », ne peut, par sa forme même, être placée que par le haut ( sans
quoi, d’ailleurs, il est évident qu’elle pourrait tomber à l’intérieur de
l’édifice) ; par-là, elle représente en quelque sorte la « pierre descendue du
ciel », expression qui s’applique fort bien au Christ1, et qui rappelle aussi
la pierre du Graal (le lapsit exillis de Wolfram d’Eschenbach, qui peut s’interpréter
comme lapis ex cœlis)2.
De plus, il y a encore là un autre point important à
signaler : M. Erwin Panofsky a remarqué que cette même illustration montre la
pierre sous l’aspect d’un objet en forme de diamant (ce qui la rapproche encore
de la pierre du Graal, puisque celle-ci est également décrite comme taillée à
facettes) ; cette question mérite d’être examinée de plus près, car, bien
qu’une telle représentation soit loin d’être le cas le plus général, elle se
rattache à des côtés du symbolisme complexe de la « pierre angulaire » autres
que ceux que nous avons étudiés jusqu’ici, et qui ne sont pas moins
intéressants pour en faire ressortir les liens avec tout l’ensemble du
symbolisme traditionnel.
[1] Il y aurait, à cet égard, un rapprochement à faire
entre la « pierre descendue du ciel » et le « pain descendu du ciel », car il y
a des rapports symboliques importants entre la pierre et le pain ; mais ceci
est en dehors du sujet de la présente étude ; dans tous les cas, la « descente
du ciel » représente naturellement l’avatarana.
[2] Cf. aussi la pierre symbolique de l’Estoile
Internelle, dont a parlé M. Charbonneau-Lassay, et qui, comme l’émeraude du
Graal, est une pierre à facettes ; cette pierre, dans la coupe où elle est
placée, correspond exactement au « joyau dans le lotus » (tnani padmé) du
bouddhisme mahâyânique.
Cependant, avant d’en venir là, il nous reste une
question accessoire à élucider : nous venons de dire que la « pierre du sommet
» peut n’être pas une « clef de voûte » dans tous les cas, et, en effet, elle
ne l’est que dans une construction dont la partie supérieure est en forme de
dôme ; dans tout autre cas, par exemple celui d’un bâtiment surmonté d’un toit
pointu ou en forme de tente, il n’y en a pas moins une « dernière pierre » qui,
placée au sommet, joue à cet égard le même rôle que la « clef de voûte », et,
par conséquent, correspond aussi à celle-ci au point de vue symbolique, mais
sans pourtant qu’il soit possible de la désigner par ce nom ; et il faut en
dire autant du cas spécial du « pyramidion », auquel nous avons déjà fait
allusion en une autre occasion. Il doit être bien entendu que, dans le
symbolisme des constructeurs du moyen âge, qui s’appuie sur la tradition
judéo-chrétienne et est spécialement rattaché, comme à son « prototype », à la
construction du Temple de Salomon1, il est constant, en ce qui concerne la «
pierre angulaire », que c’est proprement d’une « clef de voûte » qu’il s’agit ;
et, si la forme exacte du Temple de Salomon a pu donner lieu à des discussions
au point de vue historique, il est bien certain, en tout cas, que cette forme
n’était pas celle d’une pyramide ; ce sont là des faits dont il faut
nécessairement tenir compte dans l’interprétation des textes bibliques qui se rapportent
à la « pierre angulaire »2. Le « pyramidion », c’est-à-dire la pierre qui forme
la pointe supérieure de la pyramide, n’est en aucune façon une « clef de voûte
» ; il n’en est pas moins le « couronnement » de l’édifice, et l’on peut
remarquer qu’il en reproduit en réduction la forme entière, comme si tout
l’ensemble de la structure était ainsi synthétisé dans cette pierre unique ;
l’expression « tête de l’angle », au sens littéral, lui convient bien, et aussi
le sens figuré du nom hébreu de l’« angle » pour désigner le « chef », d’autant
plus que la pyramide, partant de la multiplicité de la base pour aboutir
graduellement à l’unité du sommet, est souvent prise comme le symbole d’une
hiérarchie.
[1] Les « légendes » du compagnonnage dans toutes ses
branches en font foi, non moins que les « survivances » propres de l’ancienne
maçonnerie opérative que nous avons envisagées ici.
[2] Il ne saurait donc aucunement s’agir là, comme
certains l’ont prétendu, d’une allusion à un incident survenu dans la
construction de la « Grande Pyramide » et à la suite duquel celle-ci serait
restée inachevée, ce qui est d’ailleurs une hypothèse fort douteuse en
elle-même et une question historique probablement insoluble ; en outre, cet «
inachèvement » même irait directement à rencontre du symbolisme suivant lequel
la pierre qui avait été rejetée prend finalement sa place éminente comme « tête
de l’angle ».
D’autre part, d’après ce que nous avons expliqué
précédemment au sujet du sommet et des quatre angles de la base, en connexion
avec la signification du mot arabe rukn, on pourrait dire que la forme de la
pyramide est en quelque sorte contenue implicitement dans toute structure
architecturale ; le symbolisme « solaire » de cette forme, que nous avons
indiqué alors, se retrouve d’ailleurs plus particulièrement exprimé dans le «
pyramidion », comme le montrent nettement diverses descriptions archéologiques
citées par M. Coomaraswamy : le point central ou le sommet correspond au soleil
lui-même, et les quatre faces (dont chacune est comprise entre deux « rayons »
extrêmes délimitant le domaine qu’elle représente) à autant d’aspects
secondaires de ce même soleil, en rapport avec les quatre points cardinaux vers
lesquels ces faces sont tournées respectivement. Malgré tout cela, il n’en est
pas moins vrai que le « pyramidion » n’est qu’un cas particulier de la « pierre
angulaire » et ne la représente que dans une forme traditionnelle spéciale,
celle des anciens Égyptiens ; pour répondre au symbolisme judéo-chrétien de
cette même pierre, qui appartient à une autre forme traditionnelle, assurément
fort différente de celle-là, il lui manque un caractère essentiel, qui est
celui d’être une « clef de voûte ».
Pyramidion de Râmosé
Cela dit, nous pouvons revenir à la figuration de la «
pierre angulaire » sous la forme d’un diamant : A. Coomaraswamy, dans l’article
auquel nous nous sommes référé, part d’une remarque qui a été faite au sujet du
mot allemand Eckstein, qui précisément a à la fois le sens de « pierre
angulaire » et celui de « diamant »1 ; et il rappelle à ce propos les
significations symboliques du vajra, que nous avons déjà envisagées à diverses
reprises : d’une façon générale, la pierre ou le métal qui était considéré
comme le plus dur et le plus brillant a été pris, dans différentes traditions,
comme « un symbole d’indestructibilité, d’invulnérabilité, de stabilité, de
lumière et d’immortalité » ; et, en particulier, ces qualités sont très souvent
attribuées au diamant.
[1] Stoudt, Consider the lilies, how they grow, à
propos de la signification d’un motif ornemental en forme de diamant, expliquée
par des écrits où il est parlé du Christ comme étant l’Eckstein. – Le double
sens de ce mot s’explique vraisemblablement, au point de vue étymologique, par
le fait qu’il peut s’entendre également comme « pierre d’angle » et comme «
pierre à angles », c’est-à-dire à facettes ; mais, bien entendu, cette
explication n’enlève rien à la valeur du rapprochement symbolique indiqué par
la réunion de ces deux significations dans un même mot.
L’idée d’«
indestructibilité » ou /note: d’«
indivisibilité » (l’une et l’autre sont étroitement liées et sont exprimées en
sanscrit par le même mot akshara) convient évidemment à la pierre qui
représente le principe unique de l’édifice (l’unité véritable étant
essentiellement indivisible) ; celle de « stabilité », qui, dans l’ordre
architectural, s’applique proprement à un pilier, convient également à cette
même pierre considérée comme constituant le chapiteau du « pilier axial », qui
lui-même symbolise l’« axe du monde » ; et celui-ci, que Platon, notamment,
décrit comme un « axe de diamant », est aussi, d’autre part, un « pilier de
lumière » (comme symbole d’Agni et comme « rayon solaire ») ; à plus forte raison
cette dernière qualité s’applique-t-elle (« éminemment », pourrait-on dire) à
son « couronnement », qui représente la source même dont il émane en tant que
rayon lumineux1. Dans le symbolisme hindou et bouddhique, tout ce qui a une
signification « centrale » ou « axiale » est généralement assimilé au diamant
(par exemple dans des expressions telles que vajrâsana, « trône de diamant ») ;
et il est facile de se rendre compte que toutes ces associations font partie
d’une tradition qu’on peut dire vraiment universelle.
Ce n’est pas
tout encore : le diamant est considéré comme la « pierre précieuse » par
excellence ; or cette « pierre précieuse » est aussi, comme telle, un symbole
du Christ, qui se trouve ici identifié à son autre symbole, la « pierre
angulaire » ; ou, si l’on préfère, ces deux symboles sont ainsi réunis en un
seul. On pourrait dire alors que cette pierre, en tant qu’elle représente un «
achèvement » ou un « accomplissement »2, est, dans le langage de la tradition
hindoue, un chintâmani, ce qui équivaut à l’expression alchimique occidentale
de « pierre philosophale »3 ; et il est très significatif, à cet égard, que les
hermétistes chrétiens parlent souvent du Christ comme étant la véritable «
pierre philosophale », non moins que comme étant la « pierre angulaire »4.
[1] Le diamant non taillé a naturellement huit angles,
et le poteau sacrificiel (yûpa) doit être fait « à huit angles » (ashtashri)
pour figurer le vajra (qui ici est entendu également dans son autre sens de «
foudre ») ; le mot pâli attansa, littéralement « à huit angles », signifie à la
fois « diamant » et « pilier ».
[2] Au point de vue « constructif », c’est la «
perfection » de la réalisation du plan de l’architecte ; au point de vue
alchimique, c’est la « perfection » ou la fin ultime du « Grand Œuvre » ; et il
y a une correspondance exacte entre l’une et l’autre.
[3] Le diamant parmi les pierres et l’or parmi les
métaux sont l’un et l’autre ce qu’il y a de plus précieux, et ils ont également
un caractère « lumineux » et « solaire » ; mais le diamant, tout comme la «
pierre philosophale » à laquelle il est assimilé ici, est regardé comme plus
précieux encore que l’or.
[4] Le symbolisme de la « pierre angulaire » se trouve
expressément mentionné, par exemple, en divers passages des ouvrages
hermétiques de Robert Fludd, cités par A.E. Waite, The Secret Tradition in
Freemasonry, pp. 27-28 ; il faut d’ailleurs dire que ces textes paraissent
contenir la confusion avec la « pierre fondamentale » dont nous avons parlé au
début ; et ce que l’auteur qui les rapporte dit lui-même de la « pierre
angulaire », dans plusieurs endroits du même livre, n’est guère fait non plus
pour éclaircir la question et ne peut que contribuer plutôt à entretenir encore
cette même confusion.
Nous sommes ramené par-là à ce que nous disions
précédemment, à propos des deux sens dans lesquels peut s’entendre l’expression
arabe rukn el-arkân, de la correspondance qui existe entre les deux symbolismes
architectural et alchimique ; et, pour terminer par une remarque d’une portée
tout à fait générale cette étude déjà longue, mais sans doute encore
incomplète, car le sujet est de ceux qui sont presque inépuisables, nous
pouvons ajouter que cette correspondance même n’est au fond qu’un cas particulier
de celle qui existe pareillement, quoique d’une façon qui n’est peut-être pas
toujours aussi manifeste, entre toutes les sciences et tous les arts
traditionnels, parce qu’ils ne sont tous, en réalité, qu’autant d’expressions
et d’applications diverses des mêmes vérités d’ordre principiel et universel.