mardi 4 mars 2014

René Guénon - Réflexions à propos du « pouvoir occulte »








La France antimaçonnique, juin 1914, article signé Le Sphinx

Publication posthume dans Recueil


Réflexions à propos du « pouvoir occulte »

On a pu lire ici, la semaine dernière, le remarquable article de M. Copin-Albancelli intitulé « Les Yeux qui s’ouvrent » ; on y a vu que notre confrère ne craint pas, à propos du socialisme, d’envisager nettement une action des Supérieurs Inconnus « dont la Franc-Maçonnerie n’est que l’instrument », ou même qu’un instrument entre bien d’autres, et « aux suggestions desquels obéissent les Francs-Maçons », inconsciemment pour la plupart. C’est là pour nous une nouvelle occasion de revenir sur certains points de cette question, si complexe et si controversée, du Pouvoir Occulte, sur laquelle le dernier mot n’a pas été dit et ne le sera peut-être pas de longtemps encore, ce qui n’est pas une raison pour désespérer de voir la lumière se faire peu à peu.

Tout d’abord, il est nécessaire de dire qu’il existe des « pouvoirs occultes » de différents ordres, exerçant leur action dans des domaines bien distincts, par des moyens appropriés à leurs buts respectifs, et dont chacun peut avoir ses Supérieurs Inconnus. Ainsi, un « pouvoir occulte » d’ordre politique ou financier ne saurait être confondu avec un « pouvoir occulte » d’ordre purement initiatique, et il est facile de comprendre que les chefs de ce dernier ne s’intéresseront point aux questions politiques et sociales en tant que telles ; ils pourront même n’avoir qu’une fort médiocre considération pour ceux qui se consacrent à ce genre de travaux. Pour citer un exemple, dans le monde musulman, la secte des Senoussis, actuellement tout au moins, ne poursuit guère qu’un but à peu près exclusivement politique ; elle est, en raison même de cela, généralement méprisée par les autres organisations secrètes, pour lesquelles le panislamisme ne saurait être qu’une affirmation purement doctrinale, et qui ne peuvent admettre qu’on accommode le Djefr aux visées ambitieuses de l’Allemagne ou de quelque autre puissance européenne.


[1] Publié dans la France Antimaçonnique, les 11 et 18 juin 1914, signé le Sphinx. [N.d.É.]


Si l’on veut un autre exemple, en Chine, il est bien évident que les associations révolutionnaires qui soutinrent le F Sun Yat Sen, de concert avec la Maçonnerie et le Protestantisme anglo-saxons1, ne pouvaient avoir de relations d’aucune sorte avec les vraies sociétés initiatiques, dont le caractère, dans tout l’Orient, est essentiellement traditionaliste, et cela, chose étrange, d’autant plus qu’il est plus exempt de tout ritualisme extérieur.

Ici, nous pensons qu’il est bon d’ouvrir une parenthèse pour ce qui concerne ces sociétés initiatiques extrême-orientales : jamais elles ne se mettront en relations, non seulement avec des groupements politiques, mais avec aucune organisation d’origine occidentale. Cela coupe court, en particulier, à certaines prétentions occultistes, qu’on a eu grand tort de prendre au sérieux dans les milieux antimaçonniques ; voici, en effet, ce qu’une plume autorisée a écrit à ce propos : « Pas plus qu’autrefois – moins encore qu’autrefois – il n’y a de fraternité possible entre des collectivités jaunes et des collectivités blanches. Il ne peut y avoir que des affiliations individuelles de blancs à des collectivités jaunes… Mais il n’y a pas de terrain d’entente pratique entre les sociétés collectives des deux races ; et si, par impossible, par suite d’une organisation dont les moyens nous échappent, ce terrain d’entente pratique venait à exister, les collectivités jaunes refuseraient d’y descendre. C’est pourquoi il est impossible d’ajouter foi à une information déjà ancienne – et dont je n’aurais certes pas parlé, si sa répétition dans le volume L’Invasion Jaune, par M. le commandant Driant, n’avait appelé l’attention sur elle – information d’après laquelle une société secrète jaune et un groupe occultiste européen auraient uni fraternellement leurs buts et leurs symboles. « Nous sommes heureux d’apprendre, dit l’Initiation de mars 1897 (et le commandant Driant le répète dans L’Invasion Jaune, p. 486), au Suprême Conseil, la création à San-Francisco de la première Loge martiniste chinoise, sur laquelle nous fondons de grandes espérances, pour l’entente de notre Ordre avec la Société de Hung. » Et le commandant Driant ajoute : « La Société de Hung est la société-mère des Boxers chinois. Ces relations de sectes paraîtront invraisemblables à nombre de lecteurs, qui ne voient pas les progrès des sociétés occultes visant à l’internationalisme. Elles sont rigoureusement vraies. » Ces affirmations sont rigoureusement une fable. Je ne sais pas si des Chinois, ni quel genre de Chinois se sont introduits dans la Loge martiniste de San-Francisco, ni même s’il y a jamais eu une Loge martiniste à San-Francisco.



 [1] Voir, dans la France Antimaçonnique, Sun Yat Sen contre Yuan Shi Kaï (27e année, n° 37, pp. 440-441), et Le Protestantisme et la Révolution (28e année, n° 1, pp. 11-12).


Ce que je sais et affirme, c’est que jamais la Société de Hung – puisque Société de Hung il y a, et qu’on semble viser une société entre toutes, et le nom spécial et temporaire d’une secte de cette société – ne s’est affiliée au Martinisme ; c’est que jamais la Société de Hung, ni quelque autre société secrète chinoise que ce soit, n’a entretenu la moindre relation, même épistolaire, avec le Martinisme, ni avec quelque autre société occulte occidentale que ce soit. Pour se livrer ainsi, les Chinois connaissent trop bien le tempérament des blancs, et combien peu secrètes sont leurs sociétés occultes.1 »

On en pourrait dire à peu près autant pour les organisations initiatiques hindoues et musulmanes, qui, d’une façon générale, sont presque aussi fermées que celles de l’Extrême-Orient, et tout aussi inconnues des Occidentaux. Maintenant, il est bien entendu que tout cela ne préjuge rien contre l’existence, pour l’Occident, d’un « Pouvoir central » compatible avec les conditions d’une pluralité d’organismes distincts et hiérarchisés (nous ne pouvons plus dire ici « superposés » comme dans les sphères inférieures). Si l’on admet cette existence, il faudra certainement assigner, dans la constitution de ce « Pouvoir central », un rôle important à l’élément judaïque ; et, lorsqu’on sait quelle aversion éprouvent à l’égard du Juif les Orientaux en général et les Musulmans en particulier, il est permis de se demander si la présence d’un tel élément ne contribue pas à rendre impossible les rapports directs entre les sociétés secrètes orientales et occidentales. Il y a donc là, au point de vue du « pouvoir occulte », des barrières que l’influence juive ne saurait franchir ; en outre, même en Occident, il n’y a certainement pas que cette seule influence à considérer à l’exclusion de toute autre, encore qu’elle paraisse être des plus puissantes. Quant aux communications indirectes possibles, malgré tout, entre le « Pouvoir occulte central » de l’Occident et certains pouvoirs plus ou moins analogues qui existent en Orient, tout ce que l’on peut en dire, c’est qu’elles ne pourraient résulter que « d’une organisation dont les moyens nous échappent ».

Pour en revenir à notre distinction entre différents ordres de « pouvoirs occultes », nous devons ajouter qu’elle ne supprime pas la possibilité d’une certaine interpénétration de ces différents ordres, car il ne faut jamais établir de catégories trop absolues ; nous disons interpénétration, parce que ce terme nous semble plus précis que celui d’enchevêtrement, et qu’il laisse mieux entrevoir la hiérarchisation nécessaire des organismes multiples.


[1] Matgioi, La Voie Rationnelle, chapitre X, pp. 336-338.


Pour savoir jusqu’où s’étend cette hiérarchisation, il faut se demander s’il existe encore, dans l’Occident contemporain, une puissance vraiment initiatique qui ait laissé autre chose que des vestiges à peu près incompris ; et, sans rien vouloir exagérer, on est bien obligé de convenir qu’il n’y a guère, apparemment, que le Kabbalisme qui puisse compter dans ce domaine, et aussi que les Juifs le réservent jalousement pour eux seuls, car le « néo-kabbalisme » occultisant n’est qu’une fantaisie sans grande importance. Tous les autres courants, car il y en a eu1, semblent s’être perdus vers la fin du moyen âge, si l’on excepte quelques cas isolés ; par suite, si leur influence a pu, jusqu’à un certain point, se transmettre en-deçà de cette époque, ce n’est que d’une façon indirecte et qui, dans une large mesure, échappe forcément à notre investigation. D’autre part, si on envisage les tentatives qui ont été faites récemment dans le sens d’une « contre-kabbale » (et qui se basaient principalement sur le Druidisme), on ne peut pas dire qu’elles aient abouti à une réalisation quelconque, et leur échec est encore une preuve de la force incontestable que possède l’élément judaïque au sein du « pouvoir occulte » occidental.

Ceci posé, il est bien certain que le Kabbalisme, comme tout ce qui est d’ordre proprement initiatique et doctrinal, est, en lui-même, parfaitement indifférent à toute action politique ; sur le terrain social, ses principes ne peuvent exercer qu’une influence purement réflexe. Le socialisme, qui, certes, n’a rien d’initiatique, ne peut procéder que d’un « pouvoir occulte » simplement politique, ou politico-financier ; il est vraisemblable que ce pouvoir est juif, au moins partiellement, mais il serait abusif de le qualifier de « kabbaliste ». Il en est qui ne savent pas suffisamment se garder de toute exagération à cet égard, et c’est pourquoi nous avons cru bon de préciser dans quelles conditions il est possible de considérer Jaurès, par exemple, comme « le serviteur des Supérieurs Inconnus », ou plutôt de certains Supérieurs Inconnus.

Maintenant, que Jaurès « soit à peine Franc-Maçon », ce n’est pas là une objection sérieuse contre cette façon d’envisager son rôle, comme le fait très justement remarquer M. Colpin-Albancelli. Nous ignorons même, nous devons l’avouer, si Jaurès a jamais reçu l’initiation maçonnique ; en tout cas, il n’est certainement pas un Maçon actif, mais cela ne fait rien à la chose, et il peut même fort bien ne faire partie d’aucune « société secrète » au sens propre du mot ; il n’en est qu’un meilleur agent pour les Supérieurs Inconnus qui se servent de lui, parce que cette circonstance contribue à écarter les soupçons.


[1] Voir L’Ésotérisme de Dante, dans la France Antimaçonnique, 28e année, n° 10, pp. 109-113 [article repris dans ce Recueil, voir p. 255].


Ce que nous disons de Jaurès, parce que notre confrère l’a pris pour exemple, nous pourrions tout aussi bien le dire d’autres hommes politiques, qui sont à peu près dans le même cas ; mais l’exemple est assez typique pour que nous nous en contentions.

Un autre point qui est à retenir, c’est que les Supérieurs Inconnus, de quelque ordre qu’ils soient, et quel que soit le domaine dans lequel ils veulent agir, ne cherchent jamais à créer des « mouvements », suivant une expression qui est fort à la mode aujourd’hui ; ils créent seulement des « états d’esprit », ce qui est beaucoup plus efficace, mais peut-être un peu moins à la portée de tout le monde. Il est incontestable, encore que certains se déclarent incapables de le comprendre, que la mentalité des individus et des collectivités peut être modifiée par un ensemble systématisé de suggestions appropriées ; au fond, l’éducation elle-même n’est guère autre chose que cela, et il n’y a là-dedans aucun « occultisme ». Du reste, on ne saurait douter que cette faculté de suggestion puisse être exercée, à tous les degrés et dans tous les domaines, par des hommes « en chair et en os », lorsqu’on voit, par exemple, une foule entière illusionnée par un simple fakir, qui n’est cependant qu’un initié de l’ordre le plus inférieur, et dont les pouvoirs sont assez comparables à ceux que pouvait posséder un Gugomos ou un Schrœpfer1. Ce pouvoir de suggestion n’est dû, somme toute, qu’au développement de certaines facultés spéciales ; quand il s’applique seulement au domaine social et s’exerce sur l’« opinion », il est surtout affaire de psychologie : un « état d’esprit » déterminé requiert des conditions favorables pour s’établir, et il faut savoir, ou profiter de ces conditions si elles existent déjà, ou en provoquer soi-même la réalisation. Le socialisme répond à certaines conditions actuelles, et c’est là ce qui fait toutes ses chances de succès ; que les conditions viennent à changer pour une raison ou pour une autre, et le socialisme, qui ne pourra jamais être qu’un simple moyen d’action pour des Supérieurs Inconnus, aura vite fait de se transformer en autre chose dont nous ne pouvons même pas prévoir le caractère.


[1] Voir La Stricte Observance et les Supérieurs Inconnus, dans la France Antimaçonnique, 27e année, n° 47, pp. 560-564, et n° 49, pp. 585-588 [étude reprise dans Études sur la Franc-Maçonnerie et le Compagnonnage, tome 2].


C’est peut-être là qu’est le danger le plus grave, surtout si les Supérieurs Inconnus savent, comme il y a tout lieu de l’admettre, modifier cette mentalité collective qu’on appelle l’« opinion » ; c’est un travail de ce genre qui s’effectua au cours du XVIIIe siècle et qui aboutit à la Révolution, et, quand celle-ci éclata, les Supérieurs Inconnus n’avaient plus besoin d’intervenir, l’action de leurs agents subalternes était pleinement suffisante. Il faut, avant qu’il ne soit trop tard, empêcher que de pareils événements se renouvellent, et c’est pourquoi, dirons-nous avec M. Copin-Albancelli, « il est fort important d’éclairer le peuple sur la question maçonnique et ce qui se cache derrière ».

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La Bastille du 23 mai 1914 a reproduit une note des Cahiers Romains intitulée « Les cours populaires d’antisectarisme », note dans laquelle est formulé, comme le dit notre confrère, « le plan d’études d’ensemble sans lesquelles il n’y aurait pas de victoire définitive contre la Franc-Maçonnerie et ce qui se cache derrière elle ». Ce plan, d’ailleurs très vaste, n’est présenté que comme un simple « canevas » pour un « cours pratique antisectaire » ; c’est dire qu’il n’est pas définitif en toutes ses parties, mais, tel qu’il est, il n’en présente pas moins un intérêt capital.

Tout d’abord, les Cahiers Romains divisent la « science antisectaire » en trois parties, qu’ils définissent de la façon suivante :

 « Première partie. – Notions techniques sur la Secte et sur les sectes. Leur organisation. Leur action. Leur but.

« Deuxième partie. – L’observation méthodique appliquée à l’information et à l’action antisectaires.

« Troisième partie. – Culture et action antisectaires. Essais historiques sur la Secte et sur les sectes. Examen pratique des faits sectaires et antisectaires du jour. »

Cette division a le mérite d’être très claire, et sa valeur pratique est évidente ; c’est là l’essentiel, étant donné le but qu’on se propose. Sans doute, il peut arriver que certaines questions ne rentrent pas entièrement et exclusivement dans l’une ou l’autre de ces trois parties, et qu’ainsi on soit obligé de revenir à plusieurs reprises sur ces mêmes questions pour les envisager à différents point de vue ; mais, quelle que soit la division adoptée, c’est là un inconvénient qu’il est impossible d’éviter, et il ne faudrait pas s’en exagérer la gravité.

La première partie se subdivise en deux :

« 1° La question fondamentale : les sectes forment la Secte. (Pouvoir sectaire central ; Israël et la Secte.)

 « 2° Sectes principales : a) Franc-Maçonnerie ; b) Carbonarisme ; c) Martinisme ; d) Illuminisme ; e) Théosophie ; f) Occultisme varié ; g) Sectes locales ou de race. »

 Nous devons nous féliciter hautement de voir poser ici, en premier lieu, la vraie « question fondamentale », celle du « Pouvoir Occulte », en dépit de ceux qui prétendent la résoudre par une négation pure et simple. Pour préciser d’avantage ce qui n’est qu’indiqué dans ce programme, il y aurait lieu de s’occuper ici de la pluralité des « pouvoirs occultes », de leurs attributions respectives, de leur hiérarchisation et des conditions de leur coexistence, toutes choses dont nous avons quelque peu parlé précédemment. Quant aux rapports indéniables qui existent entre « Israël et la Secte », il faudrait voir s’ils n’entraînent pas, corrélativement d’ailleurs à d’autres circonstances ethniques, une limitation de l’influence de certains « pouvoirs occultes », comme nous l’avons dit également, et si ce fait ne doit pas conduire à donner à cette expression générale : « la Secte », une signification plus restreinte qu’on pouvait le supposer « a priori », mais aussi plus précise par là même. Ajoutons que cette restriction ne modifiera en rien, pratiquement, les conclusions auxquelles on sera conduit pour ce qui concerne l’Occident moderne ; seulement, ces conclusions ne seraient plus entièrement applicables, même pour l’Occident, si l’on remontait au-delà de la Renaissance, et elles le seraient encore moins s’il s’agissait de l’Orient, même contemporain.

Ceci dit, pour ce qui est de l’étude des « sectes principales », nous nous permettrons de formuler quelques observations qui ont leur importance ; il est évident, en effet, que cette étude pourrait se subdiviser indéfiniment si l’on ne prenait soin de grouper toutes les sectes autour d’un certain nombre d’entre elles, dont le choix, tout en renfermant forcément une part d’arbitraire, doit être avant tout celui des types les plus « représentatifs ». On peut fort bien, à ce point de vue, commencer par l’étude de la Franc-Maçonnerie, surtout parce que, de toutes ces sectes, elle est la plus généralement connue et la plus facilement observable ; sur ce point, il n’y a aucune contestation possible. Il nous semble seulement que l’historique de la Maçonnerie moderne, pour être parfaitement compris, devrait logiquement être précédé d’un exposé, aussi succinct et aussi clair que possible, de ses origines, en remontant, d’une part, aux divers courants hermétiques et rosicruciens, et, d’autre part, à l’ancienne Maçonnerie opérative1, et en expliquant ensuite la fusion de ces divers éléments. En outre, il est nécessaire de faire ressortir que la Maçonnerie moderne, issue de la Grande Loge d’Angleterre (1717), est essentiellement la « Maçonnerie symbolique », à laquelle, par la suite, sont venus se superposer les multiples systèmes de hauts grades ; parmi ceux-ci, chacun des plus importants pourrait être l’objet d’une étude spéciale, et c’est alors qu’il y aurait lieu de rechercher à quel ordre d’influences occultes se rattache sa formation. Cette recherche serait facilitée par une classification en systèmes hermétiques, kabbalistiques, philosophiques, etc. ; l’ordre rigoureusement chronologique ne peut être suivi que dans une première vue d’ensemble. Il serait bon de montrer tout particulièrement le rôle joué par le Kabbalisme dans la constitution d’un grand nombre de ces systèmes, sans négliger pour cela de tenir compte des autres influences, dont certaines ont même pu, dans leur principe et leur inspiration tout au moins, ne pas appartenir au monde occidental. C’est dire que les cadres d’une telle étude doivent être aussi larges que possible, si l’on ne veut pas s’exposer à laisser en dehors certaines catégories de faits, et précisément celles qui, d’ordinaire, paraissent les plus difficilement explicables.

Maintenant, parmi les organisations superposées à la Maçonnerie ordinaire, il n’y a pas que les systèmes de hauts grades ; il y a aussi des sectes qui ne font aucunement partie intégrante de la Maçonnerie, bien que se recrutant exclusivement parmi ses membres. Tels sont, par exemple, certains « Ordres de Chevalerie », qui existent encore de nos jours, notamment dans les pays anglo-saxons ; mais, là aussi, il y aurait lieu de distinguer entre les organisations dont il s’agit, suivant qu’elles présentent un caractère initiatique, ou politique, ou simplement « fraternel ». Les sectes à tendances politiques ou sociales méritent une étude particulière ; à ce point de vue, on peut prendre comme type, au XVIIIe siècle, l’Illuminisme, et, au XIXe, le Carbonarisme.

Jusqu’ici, nous n’avons donc eu à envisager que la Maçonnerie et ce qui s’y rattache directement ; mais cette étude ne comprend que les sections a, b et d du programme des Cahiers Romains.


[1] Sur cette Maçonnerie opérative et ses rituels, il n’y a que très peu de documents qui aient été publiés ; nous avons donné, dans la France Antimaçonnique (27e année, n° 42, pp. 493-495), la traduction complète de l’ouverture de la Loge au premier degré.


Quant à la section c, c’est-à-dire au Martinisme, il faudrait s’entendre sur le sens de ce mot, et nous nous sommes déjà expliqué à ce sujet ; nous rappellerons donc seulement que les « Élus Coëns » ont leur place marquée parmi les systèmes maçonniques de hauts grades, et, quant à Saint-Martin, nous le retrouverons tout à l’heure. Il ne reste donc plus que le Martinisme contemporain, qui doit logiquement figurer au chapitre de l’Occultisme (section f), entre le « néo-kabbalisme » et le « néo-gnosticisme ». Par contre, nous réserverions volontiers une section à part au Spiritisme avec ses nombreuses variétés, et aussi avec toutes les sectes plus ou moins religieuses auxquelles il a donné naissance, comme l’Antoinisme, le Fraternisme, le Sincérisme, etc.

Pour la Théosophie (section e), on devrait distinguer soigneusement les deux acceptations de ce terme, dont la première s’applique, d’une façon générale, à un ésotérisme plutôt mystique, comptant parmi ses principaux représentants des hommes de conceptions d’ailleurs très diverses, tels que Jacob Bœhme, Swedenborg, Saint-Martin, Eckartshausen, etc. L’autre acception, toute spéciale et beaucoup plus récente, est celle qui désigne ce que nous appellerions plus volontiers le « Théosophisme », c’est-à-dire les doctrines propres à la « Société Théosophique » ; à l’étude de cette dernière se joint naturellement celles des schismes qui en sont issus, comme l’« Anthroposophie » de Rudolf Steiner.

Il ne reste plus que la section g, qui contient des éléments assez divers, et pour laquelle nous proposerons une subdivision, en mettant à part, en premier lieu, les sectes qui doivent leur existence à l’influence du Protestantisme : dans ce groupe se trouveront l’Orangisme et l’Apaïsme, cités par les Cahiers Romains, ainsi qu’un bon nombre des sociétés secrètes américaines que nous étudions, depuis longtemps déjà, dans la France Antimaçonnique, et enfin certains « mouvements » religieux comme le Salutisme, l’Adventisme, la « Christian Science », etc. Dans un second groupe figureraient les associations qui présentent un caractère plus proprement national ou « de race », comme les Fenians, les Hiberniens, etc. ; on pourrait y joindre le Druidisme, bien que son caractère artificiel lui assigne une place un peu à part. Un troisième chapitre serait réservé aux sectes à tendances essentiellement révolutionnaires : il faudrait y montrer les influences respectives du socialisme et de l’anarchisme dans l’Internationalisme, dans le Nihilisme, et dans quelques organisations secrètes ouvrières d’Europe et d’Amérique. Cela fait, il resterait encore une certaine quantité de sectes diverses, ne rentrant dans aucune de ces catégories, et échappant peut-être même à toute classification.

Dans tout ceci, nous avons complètement laissé de côté la dernière partie de la section g, c’est-à-dire les « sectes secrètes orientales », parce que celles-là ne peuvent pas se ramener au même cadre que les autres, et parce qu’il serait vraiment difficile de les étudier d’une façon satisfaisante dans un « cours populaire », qui doit forcément rester quelque peu élémentaire, au moins quand il s’agit de questions particulièrement ardues, à peu près incompréhensibles sans une préparation spéciale. Le plus qu’on puisse faire, dans ces conditions, c’est de consacrer à ces organisations orientales quelques indications très sommaires, et cela dans une section tout à fait à part, en y établissant d’ailleurs trois grandes divisions très distinctes, suivant que l’on considère le monde musulman, ou le monde hindou, ou le monde extrême-oriental1. Il est certain que toutes ces organisations, sans pouvoir rentrer dans la définition précise de « la Secte » au sens où nous l’avons indiquée, présentent cependant avec certains éléments de celle-ci une sorte de parallélisme et des analogies assez remarquables, procédant surtout des grands principes généraux communs à toute initiation ; mais leur étude, à ce point de vue, trouvera mieux sa place dans la deuxième partie de la « science antisectaire ».

 Cette deuxième partie est subdivisée en deux comme la première ; ici, nous citerons intégralement les Cahiers Romains :

« 1° L’« observation » est faite d’intuition, d’attention, d’expérience. Elle suppose un esprit intelligent et attentif, une bonne mémoire, une culture compétente sur la matière à observer. On naît bon observateur, mais une formation rationnelle rend excellent l’observateur né, et assez apte celui qui n’est pas né observateur.

 « 2° Applications générales et particulières de ces constatations à notre matière. Attention spéciale aux “mystères” de la Secte et des sectes, en commençant par leur symbolisme (phonique, mimique, graphique : jargon, gestes, figures). »

 Ce qu’il importe de faire ressortir, c’est d’abord que l’« observation », telle qu’elle est ici comprise et définie, est loin de se borner à la recherche des « documents », dans laquelle prétendent se confiner certains antimaçons à courte vue ; c’est ensuite que les « mystères » méritent une « attention spéciale », et, par « mystères », on doit entendre évidemment tout ce qui a une portée proprement initiatique, et dont l’expression normale est le symbolisme sous toutes ses formes.



 [1] Il ne s’agit ici, bien entendu, que des organisations véritablement orientales, et non de celles qui, en Orient, sont d’importation européenne ou américaine.


Cette étude peut, suivant les circonstances, être limitée à des notions plus ou moins étendues, ou au contraire être poussée très loin ; et c’est ici le lieu de faire intervenir ce que nous pourrions appeler le « symbolisme comparé », c’est-à-dire l’examen des analogies que nous signalions un peu plus haut. Dans cet ordre d’idées, il est deux états d’esprit dont il importe de se méfier tout particulièrement : c’est, d’une part, le dédain que professent, par ignorance, la plupart des Maçons actuels à l’égard de leurs propres symboles, vestiges d’une initiation qui est pour eux lettre morte, et, d’autre part, l’assurance pleine de mauvaise foi avec laquelle les occultistes, non moins ignorants, donnent de toutes choses les explications les plus fantaisistes, et parfois les plus absurdes ; d’où la nécessité d’une extrême prudence lorsqu’on veut consulter les travaux courants sur le symbolisme et les questions connexes. Là plus encore qu’en toute autre matière, il faut se faire des convictions qui soient le fruit d’un travail personnel, ce qui est sans doute beaucoup plus difficile, mais aussi beaucoup plus sûr, que d’accepter des opinions toutes faites ; la compréhension et l’assimilation de ces choses ne s’acquièrent pas en un jour, et elles demandent avant tout « de l’intuition, de l’attention, et de l’expérience ».

Quant à la troisième partie de la « science antisectaire », elle est, elle aussi, susceptible de recevoir autant de développements qu’on le voudra ; mais nous nous bornerons à en reproduire les subdivisions générales. Si nous mettons à part, pour les raisons que nous avons dites, les études qui concernent l’antiquité et le moyen âge (et que l’on pourrait résumer brièvement en une sorte d’introduction à cette troisième partie), ces subdivisions, au nombre de trois, seront les suivantes :

 « 1° Essais historiques sur la Secte et sur les sectes, depuis la Renaissance jusqu’à notre temps, avant et après la Révolution, jusqu’en 1870.

« 2° Essais pratiques sur les faits sectaires et antisectaires contemporains (depuis 1870).

« 3° Bibliographie antisectaire. »

 Si un tel programme était rempli dans toutes ses parties, nous sommes persuadé qu’on arriverait à en dégager un ensemble de notions fort exactes sur le « Pouvoir Occulte » et les conditions de son fonctionnement, et cela sans qu’il soit nécessaire de s’enfermer dans une systématisation trop étroite. En attendant une semblable réalisation, nous souhaitons que les quelques réflexions qui précèdent contribuent, pour leur modeste part, à apporter dans ces questions si complexes un peu d’ordre et de clarté.









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