lundi 3 mars 2014

René Guénon - « Ce que nous ne sommes pas »

Rudolph Gunold : "La caravane dans le désert"




La France Antimaçonnique, René Guénon, non publié, 1910-1914 p. 2

Déclaration de Palingénius à la Direction.*


[*] [Note de l’Éditeur : lettre signée Palingenius qui parut dans la France Antimaçonnique, le 4 mai 1911.]


Au début de notre seconde année, il nous paraît nécessaire, pour écarter toute équivoque de l’esprit de nos lecteurs, et pour couper court à l’avance à des insinuations possible, de dire très nettement, en quelques mots, ce que nous ne sommes pas, ce que nous ne voulons et ne pouvons être.

Tout d’abord, comme nous l’avons déjà déclaré (voir À nos Lecteurs), nous ne nous plaçons jamais sur le terrain de la science analytique et expérimentale, qui ne se propose pour but que l’étude des phénomènes du monde matériel. Nous ne nous plaçons pas avantage sur le terrain de la philosophie occidentale moderne, dont nous nous réservons d’ailleurs de démontrer quelque jour toute l’inanité.

Ne nous occupant nullement des questions d’ordre moral et social, notre domaine n’a aucun point de contact non plus avec celui des religions exotériques, avec lesquelles, par conséquent, nous ne pouvons nous trouver ni en concurrence ni en opposition.

D’autre part, nous ne sommes ni occultistes ni des mystiques, et nous ne voulons avoir de près ni de loin aucun rapport, de quelque nature que ce soit, avec les multiples groupements qui procèdent de la mentalité spéciale désignée par l’une ou l’autre de ces deux dénominations. Nous entendons donc rester absolument étrangers au mouvement dit spiritualiste, qui ne peut d’ailleurs actuellement être pris au sérieux par aucun homme raisonnable ; parmi les gens qui suivent ce mouvement ou qui le dirigent, nous ne pouvons que plaindre ceux qui sont de bonne foi, et mépriser les autres.

Ensuite, un autre point qu’il nous importe tout autant que le précédent de bien établir, c’est que nous ne sommes et ne voulons être des novateurs à aucun titre ni à aucun degré. Nous n’avons rien du caractère des fondateurs de nouvelles religions, car nous pensons qu’il en existe déjà beaucoup trop dans le monde ; fermement et fidèlement attachés à la Tradition orthodoxe, une et immutable comme la Vérité même dont elle est la plus haute expression, nous sommes les adversaires irréductibles de toute hérésie et de tout modernisme, et nous réprouvons hautement les tentative, quels qu’en soient les auteurs, qui ont pour but de substituer à la pure Doctrine des systèmes quelconques ou des conceptions personnelles. Nous nous réservons le droit de dénoncer au grand jour de tels méfaits intellectuels et spirituels, chaque fois que nous le jugerons utile pour une raison quelconque ; mais nous rappelons de nouveau que nous n’entreprendrons jamais aucune espèce de polémique, car nous détestons profondément la discussion, d’autant plus que nous sommes convaincus de sa parfaite inutilité.

De ce que nous venons de dire, il résulte que nous ne pouvons pas être des éclectiques ; nous n’admettons que les formes traditionnelles régulières, et, si nous les admettons toutes au même titre, c’est parce qu’elles ne sont en réalité que des vêtements divers d’une seule et même Doctrine.

Enfin, entièrement désintéressés de toute action extérieure, nous ne songeons point à nous adresser à la masse, ni à nous faire comprendre d’elle. Nous ne nous soucions nullement de l’opinion du vulgaire, nous méprisons toutes les attaques, de quelque côté qu’elles puissent venir, et nous ne reconnaissons à personne le droit de nous juger. Ceci étant déclaré une fois pour toutes, nous poursuivons notre œuvre sans nous préoccuper des bruits du dehors ; comme le dit un proverbe arabe : « Les chiens aboient, la caravane passe. »



         

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