lundi 3 mars 2014

René Guénon - Une civilisation matérielle

Kircher, AthanasiusRomani Collegii Societatus Jesu musaeum celeberrimum : cujus magnum antiquariae rei, statuarum, imaginum, picturarumque partem ex legato Alphonsi Donini1678



La Crise du Monde Moderne, René Guénon, éd. Gallimard folio essais, 1994 chap.7

De tout ce qui précède, il nous semble résulter clairement déjà que les Orientaux ont pleinement raison lorsqu’ils reprochent à la civilisation occidentale moderne de n’être qu’une civilisation toute matérielle : c’est bien dans ce sens qu’elle s’est développée exclusivement, et, à quelque point de vue qu’on la considère, on se trouve toujours en présence des conséquences plus ou moins directes de cette matérialisation. Cependant, il nous faut encore compléter ce que nous avons dit sous ce rapport, et tout d’abord nous expliquer sur les différents sens dans lesquels peut être pris un mot comme celui de « matérialisme », car, si nous l’employons pour caractériser le monde contemporain, certains, qui ne se croient nullement « matérialistes » tout en ayant la prétention d’être très « modernes », ne manqueront pas de protester et de se persuader que c’est là une véritable calomnie ; une mise au point s’impose donc pour écarter par avance toutes les équivoques qui pourraient se produire à ce sujet.

Il est assez significatif que le mot même de « matérialisme » ne date que du XVIIIe siècle ; il fut inventé par le philosophe Berkeley, qui s’en servit pour désigner toute théorie qui admet l’existence réelle de la matière ; il est à peine besoin de dire que ce n’est pas de cela qu’il s’agit ici, où cette existence n’est nullement en cause. Un peu plus tard, le même mot prit un sens plus restreint, celui qu’il a gardé depuis lors : il caractérisa une conception suivant laquelle il n’existe rien d’autre que la matière et ce qui en procède ; et il y a lieu de noter la nouveauté d’une telle conception, le fait qu’elle soit essentiellement un produit de l’esprit moderne, donc qu’elle correspond au moins à une partie des tendances qui sont propres à celui-ci 1.

Mais c’est surtout dans une autre acception, beaucoup plus large et cependant très nette, que nous entendons ici parler de « matérialisme » : ce que ce mot représente alors, c’est tout un état d’esprit, dont la conception que nous venons de définir n’est qu’une manifestation parmi beaucoup d’autres, et qui est, en lui-même, indépendant de toute théorie philosophique. Cet état d’esprit, c’est celui qui consiste à donner plus ou moins consciemment la prépondérance aux choses de l’ordre matériel et aux préoccupations qui s’y rapportent, que ces préoccupations gardent encore une certaine apparence spéculative ou qu’elles soient purement pratiques ; et l’on ne peut contester sérieusement que ce soit bien là la mentalité de l’immense majorité de nos contemporains.

 [1] Il y eut, antérieurement au XVIIIe siècle, des théories « mécanistes », de l’atomisme grec à la physique cartésienne ; mais il ne faut pas confondre « mécanisme » et « matérialisme », en dépit de certaines affinités qui ont pu créer une sorte de solidarité de fait entre l’un et l’autre depuis l’apparition du « matérialisme » proprement dit.

Toute la science « profane » qui s’est développée au cours des derniers siècles n’est que l’étude du monde sensible, elle y est enfermée exclusivement, et ses méthodes ne sont applicables qu’à ce seul domaine ; or ces méthodes sont proclamées « scientifiques » à l’exclusion de toute autre, ce qui revient à nier toute science qui ne se rapporte pas aux choses matérielles. Parmi ceux qui pensent ainsi, et même parmi ceux qui se sont consacrés spécialement aux sciences dont il s’agit, il en est cependant beaucoup qui refuseraient de se déclarer « matérialistes » et d’adhérer à la théorie philosophique qui porte ce nom ; il en est même qui font volontiers une profession de foi religieuse dont la sincérité n’est pas douteuse ; mais leur attitude « scientifique » ne diffère pas sensiblement de celle des matérialistes avérés. On a souvent discuté, au point de vue religieux, la question de savoir si la science moderne devait être dénoncée comme athée ou comme matérialiste, et, le plus souvent, on l’a fort mal posée ; il est bien certain que cette science ne fait pas expressément profession d’athéisme ou de matérialisme, qu’elle se borne à ignorer de parti pris certaines choses sans se prononcer à leur égard par une négation formelle comme le font tels ou tels philosophes ; on ne peut donc, en ce qui la concerne, parler que d’un matérialisme de fait, de ce que nous appellerions volontiers un matérialisme pratique ; mais le mal n’en est peut-être que plus grave, parce qu’il est plus profond et plus étendu. Une attitude philosophique peut être quelque chose de très superficiel, même chez les philosophes « professionnels » ; de plus, il y a des esprits qui reculeraient devant la négation, mais qui s’accommodent d’une complète indifférence ; et celle-ci est-ce qu’il y a de plus redoutable, car, pour nier une chose, il faut encore y penser, si peu que ce soit, tandis qu’ici on en arrive à ne plus y penser en aucune façon. Quand on voit une science exclusivement matérielle se présenter comme la seule science possible, quand les hommes sont habitués à admettre comme une vérité indiscutable qu’il ne peut y avoir de connaissance valable en dehors de celle-là, quand toute l’éducation qui leur est donnée tend à leur inculquer la superstition de cette science, ce qui est proprement le « scientisme », comment ces hommes pourraient-ils ne pas être pratiquement matérialistes, c’est-à-dire ne pas avoir toutes leurs préoccupations tournées du côté de la matière ?

Pour les modernes, rien ne semble exister en dehors de ce qui peut se voir et se toucher, ou du moins, même s’ils admettent théoriquement qu’il peut exister quelque chose d’autre, ils s’empressent de le déclarer, non seulement inconnu, mais « inconnaissable », ce qui les dispense de s’en occuper. S’il en est pourtant qui cherchent à se faire quelque idée d’un « autre monde », comme ils ne font pour cela appel qu’à l’imagination, ils se le représentent sur le modèle du monde terrestre et y transportent toutes les conditions d’existence qui sont propres à celui-ci, y compris l’espace et le temps, voire même une sorte de « corporéité » ; nous avons montré ailleurs, dans les conceptions spirites, des exemples particulièrement frappants de ce genre de représentations grossièrement matérialisées ; mais, si c’est là un cas extrême, où ce caractère est exagéré jusqu’à la caricature, ce serait une erreur de croire que le spiritisme et les sectes qui lui sont plus ou moins apparentées ont le monopole de ces sortes de choses. Du reste, d’une façon plus générale, l’intervention de l’imagination dans les domaines où elle ne peut rien donner, et qui devraient normalement lui être interdits, est un fait qui montre fort nettement l’incapacité des Occidentaux modernes à s’élever au-dessus du sensible ; beaucoup ne savent faire aucune différence entre « concevoir » et « imaginer », et certains philosophes, tels que Kant, vont jusqu’à déclarer « inconcevable » ou « impensable » tout ce qui n’est pas susceptible de représentation. Aussi tout ce qu’on appelle « spiritualisme » ou « idéalisme » n’est-il, le plus souvent, qu’une sorte de matérialisme transposé ; cela n’est pas vrai seulement de ce que nous avons désigné sous le nom de « néo-spiritualisme », mais aussi du spiritualisme philosophique lui-même, qui se considère pourtant comme l’opposé du matérialisme. A vrai dire, spiritualisme et matérialisme, entendus au sens philosophique, ne peuvent se comprendre l’un sans l’autre : ce sont simplement les deux moitiés du dualisme cartésien, dont la séparation radicale a été transformée en une sorte d’antagonisme ; et, depuis lors, toute la philosophie oscille entre ces deux termes sans pouvoir les dépasser. Le spiritualisme, en dépit de son nom, n’a rien de commun avec la spiritualité ; son débat avec le matérialisme ne peut que laisser parfaitement indifférents ceux qui se placent à un point de vue supérieur, et qui voient que ces contraires sont, au fond, bien près d’être de simples équivalents, dont la prétendue opposition, sur beaucoup de points, se réduit à une vulgaire dispute de mots.

Les modernes, en général, ne conçoivent pas d’autre science que celle des choses qui se mesurent, se comptent et se pèsent, c’est-à-dire encore, en somme, des choses matérielles, car c’est à celles-ci seulement que peut s’appliquer le point de vue quantitatif ; et la prétention de réduire la qualité à la quantité est très caractéristique de la science moderne. On en est arrivé, dans ce sens, à croire qu’il n’y a pas de science proprement dite là où il n’est pas possible d’introduire la mesure, et qu’il n’y a de lois scientifiques que celles qui expriment des relations quantitatives ; le « mécanisme » de Descartes a marqué le début de cette tendance, qui n’a fait que s’accentuer depuis lors, en dépit de l’échec de la physique cartésienne, car elle n’est pas liée à une théorie déterminée, mais à une conception générale de la connaissance scientifique. On veut aujourd’hui appliquer la mesure jusque dans le domaine psychologique, qui lui échappe cependant par sa nature même ; on finit par ne plus comprendre que la possibilité de la mesure ne repose que sur une propriété inhérente à la matière, et qui est sa divisibilité indéfinie, à moins qu’on ne pense que cette propriété s’étend à tout ce qui existe, ce qui revient à matérialiser toutes choses. C’est la matière, nous l’avons déjà dit, qui est principe de division et multiplicité pure ; la prédominance attribuée au point de vue de la quantité, et qui, comme nous l’avons montré précédemment, se retrouve jusque dans le domaine social, est donc bien du matérialisme au sens que nous indiquions plus haut, quoiqu’elle ne soit pas nécessairement liée au matérialisme philosophique, qu’elle a d’ailleurs précédé dans le développement des tendances de l’esprit moderne. Nous n’insisterons pas sur ce qu’il y a d’illégitime à vouloir ramener la qualité à la quantité, ni sur ce qu’ont d’insuffisant toutes les tentatives d’explication qui se rattachent plus ou moins au type « mécaniste » ; ce n’est pas là ce que nous nous proposons, et nous noterons seulement, à cet égard, que, même dans l’ordre sensible, une science de ce genre n’a que fort peu de rapport avec la réalité, dont la partie la plus considérable lui échappe nécessairement.

A propos de « réalité », nous sommes amenés à mentionner un autre fait, qui risque de passer inaperçu pour beaucoup, mais qui est très digne de remarque comme signe de l’état d’esprit dont nous parlons : c’est que ce nom, dans l’usage courant, est exclusivement réservé à la seule réalité sensible. Comme le langage est l’expression de la mentalité d’un peuple et d’une époque, il faut conclure de là que, pour ceux qui parlent ainsi, tout ce qui ne tombe pas sous les sens est « irréel », c’est-à-dire illusoire ou même tout à fait inexistant ; il se peut qu’ils n’en aient pas clairement conscience, mais cette conviction négative n’en est pas moins au fond d’eux-mêmes, et, s’ils affirment le contraire, on peut être sûr, bien qu’ils ne s’en rendent pas compte, que cette affirmation ne répond chez eux qu’à quelque chose de beaucoup plus extérieur, si même elle n’est purement verbale. Si l’on est tenté de croire que nous exagérons, on n’aura qu’à chercher à voir par exemple à quoi se réduisent les prétendues convictions religieuses de bien des gens : quelques notions apprises par cœur, d’une façon toute scolaire et machinale, qu’ils ne se sont nullement assimilés, auxquelles ils n’ont même jamais réfléchi le moins du monde, mais qu’ils gardent dans leur mémoire et qu’ils répètent à l’occasion parce qu’elles font partie d’un certain formalisme, d’une attitude conventionnelle qui est tout ce qu’ils peuvent comprendre sous le nom de religion. Nous avons déjà parlé plus haut de cette « minimisation » de la religion, dont le « verbalisme » en question représente un des derniers degrés ; c’est elle qui explique que de soi-disant « croyants », en fait de matérialisme pratique, ne le cèdent en rien aux « incroyants » ; nous reviendrons encore là-dessus, mais, auparavant, il nous faut en finir avec les considérations qui concernent le caractère matérialiste de la science moderne, car c’est là une question qui demande à être envisagée sous différents aspects.

 Il nous faut rappeler encore, quoique nous l’ayons déjà indiqué, que les sciences modernes n’ont pas un caractère de connaissance désintéressée, et que, même pour ceux qui croient à leur valeur spéculative, celle-ci n’est guère qu’un masque sous lequel se cachent des préoccupations toutes pratiques, mais qui permet de garder l’illusion d’une fausse intellectualité. Descartes lui-même, en constituant sa physique, songeait surtout à en tirer une mécanique, une médecine et une morale ; et, avec la diffusion de l’empirisme anglo-saxon, ce fut bien autre chose encore ; du reste, ce qui fait le prestige de la science aux yeux du grand public, ce sont à peu près uniquement les résultats pratiques qu’elle permet de réaliser, parce que, là encore, il s’agit de choses qui peuvent se voir et se toucher. Nous disions que le « pragmatisme » représente l’aboutissement de toute la philosophie moderne et son dernier degré d’abaissement ; mais il y a aussi, et depuis plus longtemps, en dehors de la philosophie, un « pragmatisme » diffus et non systématisé, qui est à l’autre ce que le matérialisme pratique est au matérialisme théorique, et qui se confond avec ce que le vulgaire appelle le « bon sens ». Cet utilitarisme presque instinctif est d’ailleurs inséparable de la tendance matérialiste : le « bon sens » consiste à ne pas dépasser l’horizon terrestre, aussi bien qu’à ne pas s’occuper de tout ce qui n’a pas d’intérêt pratique immédiat ; c’est pour lui surtout que le monde sensible seul est « réel », et qu’il n’y a pas de connaissance qui ne vienne des sens ; pour lui aussi, cette connaissance restreinte ne vaut que dans la mesure où elle permet de donner satisfaction à des besoins matériels, et parfois à un certain sentimentalisme, car, il faut le dire nettement au risque de choquer le « moralisme » contemporain, le sentiment est en réalité tout près de la matière. Dans tout cela, il ne reste aucune place à l’intelligence, sinon en tant qu’elle consent à s’asservir à la réalisation de fins pratiques, à n’être plus qu’un simple instrument soumis aux exigences de la partie inférieure et corporelle de l’individu humain, ou, suivant une singulière expression de Bergson, « un outil à faire des outils » ; ce qui fait le « pragmatisme » sous toutes ses formes, c’est l’indifférence totale à l’égard de la vérité.

 Dans ces conditions, l’industrie n’est plus seulement une application de la science, application dont celle-ci devrait, en elle-même, être totalement indépendante ; elle en devient comme la raison d’être et la justification, de sorte que, ici encore, les rapports normaux se trouvent renversés. Ce à quoi le monde moderne a appliqué toutes ses forces, même quand il a prétendu faire de la science à sa façon, ce n’est en réalité rien d’autre que le développement de l’industrie et du « machinisme » ; et, en voulant ainsi dominer la matière et la ployer à leur usage, les hommes n’ont réussi qu’à s’en faire les esclaves, comme nous le disions au début : non seulement ils ont borné leurs ambitions intellectuelles, s’il est encore permis de se servir de ce mot en pareil cas, à inventer et à construire des machines, mais ils ont fini par devenir véritablement machines eux-mêmes. En effet, la « spécialisation », si vantée par certains sociologues sous le nom de « division du travail », ne s’est pas imposée seulement aux savants, mais aussi aux techniciens et même aux ouvriers, et, pour ces derniers, tout travail intelligent est par là rendu impossible ; bien différents des artisans d’autrefois, ils ne sont plus que les serviteurs des machines, ils font pour ainsi dire corps avec elles ; ils doivent répéter sans cesse, d’une façon toute mécanique, certains mouvements déterminés, toujours les mêmes, et toujours accomplis de la même façon, afin d’éviter la moindre perte de temps ; ainsi le veulent du moins les méthodes américaines qui sont regardées comme représentant le plus haut degré du « progrès ». En effet, il s’agit uniquement de produire le plus possible ; on se soucie peu de la qualité, c’est la quantité seule qui importe ; nous revenons une fois de plus à la même constatation que nous avons déjà faite en d’autres domaines : la civilisation moderne est vraiment ce qu’on peut appeler une civilisation quantitative, ce qui n’est qu’une autre façon de dire qu’elle est une civilisation matérielle.

Si l’on veut se convaincre encore davantage de cette vérité, on n’a qu’à voir le rôle immense que jouent aujourd’hui, dans l’existence des peuples comme dans celle des individus, les éléments d’ordre économique : industrie, commerce, finances, il semble qu’il n’y ait que cela qui compte, ce qui s’accorde avec le fait déjà signalé que la seule distinction sociale qui ait subsisté est celle qui se fonde sur la richesse matérielle. Il semble que le pouvoir financier domine toute politique, que la concurrence commerciale exerce une influence prépondérante sur les relations entre les peuples ; peut-être n’est-ce là qu’une apparence, et ces choses sont-elles ici moins de véritables causes que de simples moyens d’action ; mais le choix de tels moyens indique bien le caractère de l’époque à laquelle ils conviennent. D’ailleurs, nos contemporains sont persuadés que les circonstances économiques sont à peu près les uniques facteurs des événements historiques, et ils s’imaginent même qu’il en a toujours été ainsi ; on est allé en ce sens jusqu’à inventer une théorie qui veut tout expliquer par là exclusivement, et qui a reçu l’appellation significative de « matérialisme historique ». On peut voir là encore l’effet d’une de ces suggestions auxquelles nous faisions allusion plus haut, suggestions qui agissent d’autant mieux qu’elles correspondent aux tendances de la mentalité générale ; et l’effet de cette suggestion est que les moyens économiques finissent par déterminer réellement presque tout ce qui se produit dans le domaine social. Sans doute, la masse a toujours été menée d’une façon ou d’une autre, et l’on pourrait dire que son rôle historique consiste surtout à se laisser mener, parce qu’elle ne représente qu’un élément passif, une « matière » au sens aristotélicien ; mais aujourd’hui il suffit, pour la mener, de disposer de moyens purement matériels, cette fois au sens ordinaire du mot, ce qui montre bien le degré d’abaissement de notre époque ; et, en même temps, on fait croire à cette masse qu’elle n’est pas menée, qu’elle agit spontanément et qu’elle se gouverne elle-même, et le fait qu’elle le croit permet d’entrevoir jusqu’où peut aller son inintelligence.

Pendant que nous en sommes à parler des facteurs économiques, nous en profiterons pour signaler une illusion trop répandue à ce sujet, et qui consiste à s’imaginer que les relations établies sur le terrain des échanges commerciaux peuvent servir à un rapprochement et à une entente entre les peuples, alors que, en réalité, elles ont exactement l’effet contraire. La matière, nous l’avons déjà dit bien des fois, est essentiellement multiplicité et division, donc source de luttes et de conflits ; aussi, qu’il s’agisse des peuples ou des individus, le domaine économique n’est-il et ne peut-il être que celui des rivalités d’intérêts. En particulier, l’Occident n’a pas à compter sur l’industrie, non plus que sur la science moderne dont elle est inséparable, pour trouver un terrain d’entente avec l’Orient ; si les Orientaux en arrivent à accepter cette industrie comme une nécessité fâcheuse et d’ailleurs transitoire, car, pour eux, elle ne saurait être rien de plus, ce ne sera jamais que comme une arme leur permettant de résister à l’envahissement occidental et de sauvegarder leur propre existence. Il importe que l’on sache bien qu’il ne peut en être autrement : les Orientaux qui se résignent à envisager une concurrence économique vis-à-vis de l’Occident, malgré la répugnance qu’ils éprouvent pour ce genre d’activité, ne peuvent le faire qu’avec une seule intention, celle de se débarrasser d’une domination étrangère qui ne s’appuie que sur la force brutale, sur la puissance matérielle que l’industrie met précisément à sa disposition ; la violence appelle la violence, mais on devra reconnaître que ce ne sont certes pas les Orientaux qui auront recherché la lutte sur ce terrain.

Du reste, en dehors de la question des rapports de l’Orient et de l’Occident, il est facile de constater qu’une des plus notables conséquences du développement industriel est le perfectionnement incessant des engins de guerre et l’augmentation de leur pouvoir destructif dans de formidables proportions. Cela seul devrait suffire à anéantir les rêveries « pacifistes » de certains admirateurs du « progrès » moderne ; mais les rêveurs et les « idéalistes » sont incorrigibles, et leur naïveté semble n’avoir pas de bornes. L’« humanitarisme » qui est si fort à la mode ne mérite assurément pas d’être pris au sérieux ; mais il est étrange qu’on parle tant de la fin des guerres à une époque où elles font plus de ravages qu’elles n’en ont jamais fait, non seulement à cause de la multiplication des moyens de destruction, mais aussi parce que, au lieu de se dérouler entre des armées peu nombreuses et composées uniquement de soldats de métier, elles jettent les uns contre les autres tous les individus indistinctement, y compris les moins qualifiés pour remplir une semblable fonction. C’est là encore un exemple frappant de la confusion moderne, et il est véritablement prodigieux, pour qui veut y réfléchir, qu’on en soit arrivé à considérer comme toute naturelle une « levée en masse » ou une « mobilisation générale », que l’idée d’une « nation armée » ait pu s’imposer à tous les esprits, à de bien rares exceptions près. On peut aussi voir là un effet de la croyance à la seule force du nombre : il est conforme au caractère quantitatif de la civilisation moderne de mettre en mouvement des masses énormes de combattants ; et, en même temps, l’« égalitarisme » y trouve son compte, aussi bien que dans des institutions comme celles de l’« instruction obligatoire » et du « suffrage universel ». Ajoutons encore que ces guerres généralisées n’ont été rendues possibles que par un autre phénomène spécifiquement moderne, qui est la constitution des « nationalités », conséquence de la destruction du régime féodal, d’une part, et, d’autre part, de la rupture simultanée de l’unité supérieure de la « Chrétienté » du moyen âge ; et, sans nous attarder à des considérations qui nous entraîneraient trop loin, notons aussi, comme circonstance aggravante, la méconnaissance d’une autorité spirituelle pouvant seule exercer normalement un arbitrage efficace, parce qu’elle est, par sa nature même, au-dessus de tous les conflits d’ordre politique. La négation de l’autorité spirituelle, c’est encore du matérialisme pratique ; et ceux mêmes qui prétendent reconnaître une telle autorité en principe lui dénient en fait toute influence réelle et tout pouvoir d’intervenir dans le domaine social, exactement de la même façon qu’ils établissent une cloison étanche entre la religion et les préoccupations ordinaires de leur existence ; qu’il s’agisse de la vie publique ou de la vie privée, c’est bien le même état d’esprit qui s’affirme dans les deux cas.

En admettant que le développement matériel ait quelques avantages, d’ailleurs à un point de vue très relatif, on peut, lorsqu’on envisage des conséquences comme celles que nous venons de signaler, se demander si ces avantages ne sont pas dépassés de beaucoup par les inconvénients. Nous ne parlons même pas de tout ce qui a été sacrifié à ce développement exclusif, et qui valait incomparablement plus ; nous ne parlons pas des connaissances supérieures oubliées, de l’intellectualité détruite, de la spiritualité disparue ; nous prenons simplement la civilisation moderne en elle-même, et nous disons que, si l’on mettait en parallèle les avantages et les inconvénients de ce qu’elle a produit, le résultat risquerait fort d’être négatif. Les inventions qui vont en se multipliant actuellement avec une rapidité toujours croissante sont d’autant plus dangereuses qu’elles mettent en jeu des forces dont la véritable nature est entièrement inconnue de ceux mêmes qui les utilisent ; et cette ignorance est la meilleure preuve de la nullité de la science moderne sous le rapport de la valeur explicative, donc en tant que connaissance, même bornée au seul domaine physique ; en même temps, le fait que les applications pratiques ne sont nullement empêchées par là montre que cette science est bien orientée uniquement dans un sens intéressé, que c’est l’industrie qui est le seul but réel de toutes ses recherches. Comme le danger des inventions, même de celles qui ne sont pas expressément destinées à jouer un rôle funeste à l’humanité, et qui n’en causent pas moins tant de catastrophes, sans parler des troubles insoupçonnés qu’elles provoquent dans l’ambiance terrestre, comme ce danger, disons-nous, ne fera sans doute qu’augmenter encore dans des proportions difficiles à déterminer, il est permis de penser, sans trop d’invraisemblance, ainsi que nous l’indiquions déjà précédemment, que c’est peut-être par là que le monde moderne en arrivera à se détruire lui-même, s’il est incapable de s’arrêter dans cette voie pendant qu’il en est encore temps.

Mais il ne suffit pas de faire, en ce qui concerne les inventions modernes, les réserves qui s’imposent en raison de leur côté dangereux, et il faut aller plus loin : les prétendus « bienfaits » de ce qu’on est convenu d’appeler le « progrès », et qu’on pourrait en effet consentir à désigner ainsi si l’on prenait soin de bien spécifier qu’il ne s’agit que d’un progrès tout matériel, ces « bienfaits » tant vantés ne sont-ils pas en grande partie illusoires ? Les hommes de notre époque prétendent par là accroître leur « bien-être » ; nous pensons, pour notre part, que le but qu’ils se proposent ainsi, même s’il était atteint réellement, ne vaut pas qu’on y consacre tant d’efforts ; mais, de plus, il nous semble très contestable qu’il soit atteint. Tout d’abord, il faudrait tenir compte du fait que tous les hommes n’ont pas les mêmes goûts ni les mêmes besoins, qu’il en est encore malgré tout qui voudraient échapper à l’agitation moderne, à la folie de la vitesse, et qui ne le peuvent plus ; osera-t-on soutenir que, pour ceux-là, ce soit un « bienfait » que de leur imposer ce qui est le plus contraire à leur nature ? On dira que ces hommes sont peu nombreux aujourd’hui, et on se croira autorisé par là à les tenir pour quantité négligeable ; là comme dans le domaine politique, la majorité s’arroge le droit d’écraser les minorités, qui, à ses yeux, ont évidemment tort d’exister, puisque cette existence même va à l’encontre de la manie « égalitaire » de l’uniformité. Mais, si l’on considère l’ensemble de l’humanité au lieu de se borner au monde occidental, la question change d’aspect : la majorité de tout à l’heure ne va-t-elle pas devenir une minorité ? Aussi n’est-ce plus le même argument qu’on fait valoir dans ce cas, et, par une étrange contradiction, c’est au nom de leur « supériorité » que ces « égalitaires » veulent imposer leur civilisation au reste du monde, et qu’ils vont porter le trouble chez des gens qui ne leur demandaient rien ; et, comme cette « supériorité » n’existe qu’au point de vue matériel, il est tout naturel qu’elle s’impose par les moyens les plus brutaux. Qu’on ne s’y méprenne pas d’ailleurs : si le grand public admet de bonne foi ces prétextes de « civilisation », il en est certains pour qui ce n’est qu’une simple hypocrisie « moraliste », un masque de l’esprit de conquête et des intérêts économiques ; mais quelle singulière époque que celle où tant d’hommes se laissent persuader qu’on fait le bonheur d’un peuple en l’asservissant, en lui enlevant ce qu’il a de plus précieux, c’est-à-dire sa propre civilisation, en l’obligeant à adopter des mœurs et des institutions qui sont faites pour une autre race, et en l’astreignant aux travaux les plus pénibles pour lui faire acquérir des choses qui lui sont de la plus parfaite inutilité ! Car c’est ainsi : l’Occident moderne ne peut tolérer que des hommes préfèrent travailler moins et se contenter de peu pour vivre ; comme la quantité seule copte, et comme ce qui ne tombe pas sous les sens est d’ailleurs tenu pour inexistant, il est admis que celui qui ne s’agite pas et qui ne produit pas matériellement ne peut être qu’un « paresseux » ; sans même parler à cet égard des appréciations portées couramment sur les peuples orientaux, il n’y a qu’à voir comment sont jugés les ordres contemplatifs, et cela jusque dans des milieux soi-disant religieux. Dans un tel monde, il n’y a plus aucune place pour l’intelligence ni pour tout ce qui est purement intérieur, car ce sont là des choses qui ne se voient ni ne se touchent, qui ne se comptent ni ne se pèsent ; il n’y a de place que pour l’action extérieure sous toutes ses formes, y compris les plus dépourvues de toute signification. Aussi ne faut-il pas s’étonner que la manie anglo-saxonne du « sport » gagne chaque jour du terrain : l’idéal de ce monde, c’est l’« animal humain » qui a développé au maximum sa force musculaire ; ses héros, ce sont les athlètes, fussent-ils des brutes ; ce sont ceux-là qui suscitent l’enthousiasme populaire, c’est pour leurs exploits que les foules se passionnent ; un monde où l’on voit de telles choses est vraiment tombé bien bas et semble bien près de sa fin.

Cependant, plaçons-nous pour un instant au point de vue de ceux qui mettent leur idéal dans le « bien-être » matériel, et qui, à ce titre, se réjouissent de toutes les améliorations apportées à l’existence par le « progrès » moderne ; sont-ils bien sûrs de n’être pas dupes ? Est-il vrai que les hommes soient plus heureux aujourd’hui qu’autrefois, parce qu’ils disposent de moyens de communication plus rapides ou d’autres choses de ce genre, parce qu’ils ont une vie plus agitée et plus compliquée ? Il nous semble que c’est tout le contraire : le déséquilibre ne peut être la condition d’un véritable bonheur ; d’ailleurs, plus un homme a de besoins, plus il risque de manquer de quelque chose, et par conséquent d’être malheureux ; la civilisation moderne vise à multiplier les besoins artificiels, et, comme nous le disions déjà plus haut, elle créera toujours plus de besoins qu’elle n’en pourra satisfaire, car, une fois qu’on s’est engagé dans cette voie, il est bien difficile de s’y arrêter, et il n’y a même aucune raison de s’arrêter à un point déterminé. Les hommes ne pouvaient éprouver aucune souffrance d’être privés de choses qui n’existaient pas et auxquelles ils n’avaient jamais songé ; maintenant, au contraire, ils souffrent forcément si ces choses leur font défaut, puisqu’ils se sont habitués à les regarder comme nécessaires, et que, en fait, elles leur sont vraiment devenues nécessaires. Aussi s’efforcent-ils, par tous les moyens, d’acquérir ce qui peut leur procurer toutes les satisfactions matérielles, les seules qu’ils soient capables d’apprécier : il ne s’agit que de « gagner de l’argent », parce que c’est là ce qui permet d’obtenir ces choses, et plus on en a, plus on veut en avoir encore, parce qu’on se découvre sans cesse des besoins nouveaux ; et cette passion devient l’unique but de toute la vie. De là la concurrence féroce que certains « évolutionnistes » ont élevée à la dignité de loi scientifique sous le nom de « lutte pour la vie », et dont la conséquence logique est que les plus forts, au sens le plus étroitement matériel de ce mot, ont seuls droit à l’existence. De là aussi l’envie et même la haine dont ceux qui possèdent la richesse sont l’objet de la part de ceux qui en sont dépourvus ; comment des hommes à qui on a prêché les théories « égalitaires » pourraient-ils ne pas se révolter en constatant autour d’eux l’inégalité sous la forme qui doit leur être la plus sensible, parce qu’elle est de l’ordre le plus grossier ? Si la civilisation moderne devait s’écrouler quelque jour sous la poussée des appétits désordonnés qu’elle a fait naître dans la masse, il faudrait être bien aveugle pour n’y pas voir le juste châtiment de son vice fondamental, ou, pour parler sans aucune phraséologie morale, le « choc en retour » de sa propre action dans le domaine même où elle s’est exercée. Il est dit dans l’Évangile : « Celui qui frappe avec l’épée périra par l’épée » ; celui qui déchaîne les forces brutales de la matière périra écrasé par ces mêmes forces, dont il n’est plus maître lorsqu’il les a imprudemment mises en mouvement, et qu’il ne peut se vanter de retenir indéfiniment dans leur marche fatale ; forces de la nature ou forces des masses humaines, ou les unes et les autres tout ensemble, peu importe, ce sont toujours les lois de la matière qui entrent en jeu et qui brisent inexorablement celui qui a cru pouvoir les dominer sans s’élever lui-même au-dessus de la matière. Et l’Évangile dit encore : « Toute maison divisée contre elle-même s’écroulera » ; cette parole aussi s’applique exactement au monde moderne, avec sa civilisation matérielle, qui ne peut, par sa nature même, que susciter partout la lutte et la division. La conclusion est trop facile à tirer, et il n’est pas besoin de faire appel à d’autres considérations pour pouvoir, sans crainte de se tromper, prédire à ce monde une fin tragique, à moins qu’un changement radical, allant jusqu’à un véritable retournement, ne survienne à brève échéance.

Nous savons bien que certains nous reprocheront d’avoir, en parlant du matérialisme de la civilisation moderne comme nous venons de le faire, négligé certains éléments qui semblent constituer tout au moins une atténuation à ce matérialisme ; et en effet, s’il n’y en avait pas, il est fort probable que cette civilisation aurait déjà péri lamentablement. Nous ne contestons donc nullement l’existence de tels éléments, mais encore ne faut-il pas s’illusionner à ce sujet : d’une part, nous n’avons pas à y faire entrer tout ce qui, dans le domaine philosophique, se présente sous des étiquettes comme celles de « spiritualisme » et d’« idéalisme », non plus que tout ce qui, dans les tendances contemporaines, n’est que « moralisme » et « sentimentalisme » ; nous nous sommes déjà suffisamment expliqué là-dessus, et nous rappellerons simplement que ce sont là, pour nous, des points de vue tout aussi « profanes » que celui du matérialisme théorique ou pratique, et qui s’en éloignent beaucoup moins en réalité qu’en apparence ; d’autre part, s’il y a encore des restes de spiritualité véritable, c’est malgré l’esprit moderne et contre lui qu’ils ont subsistés jusqu’ici. Ces restes de spiritualité, c’est seulement, pour tout ce qui est proprement occidental, dans l’ordre religieux qu’il est possible de les trouver ; mais nous avons déjà dit combien la religion est aujourd’hui amoindrie, combien ses fidèles eux-mêmes s’en font une conception étroite et médiocre, et à quel point on en a éliminé l’intellectualité, qui ne fait qu’un avec la vraie spiritualité ; dans ces conditions, si certaines possibilités demeurent encore, ce n’est guère qu’à l’état latent, et, dans le présent, leur rôle effectif se réduit à bien peu de chose. Il n’en faut pas moins admirer la vitalité d’une tradition religieuse qui, même ainsi résorbée dans une sorte de virtualité, persiste en dépit de tous les efforts qui ont été tentés depuis plusieurs siècles pour l’étouffer et l’anéantir ; et, si l’on savait réfléchir, on verrait qu’il y a dans cette résistance quelque chose qui implique une puissance « non-humaine » ; mais, encore une fois, cette tradition n’appartient pas au monde moderne, elle n’est pas un de ses éléments constitutifs, elle est le contraire même de ses tendances et de ses aspirations. Cela, il faut le dire franchement, et ne pas chercher de vaines conciliations : entre l’esprit religieux, au vrai sens de ce mot, et l’esprit moderne, il ne peut y avoir qu’antagonisme ; toute compromission ne peut qu’affaiblir le premier et profiter au second, dont l’hostilité ne sera pas pour cela désarmée, car il ne peut vouloir que la destruction complète de tout ce qui, dans l’humanité, reflète une réalité supérieure à l’humanité.

On dit que l’Occident moderne est chrétien, mais c’est là une erreur : l’esprit moderne est antichrétien, parce qu’il est essentiellement antireligieux ; et il est antireligieux parce que, plus généralement encore, il est antitraditionnel ; c’est là ce qui constitue son caractère propre, ce qui le fait être ce qu’il est.

Certes, quelque chose du Christianisme est passé jusque dans la civilisation antichrétienne de notre époque, dont les représentants les plus « avancés », comme ils disent dans leur langage spécial, ne peuvent faire qu’ils n’aient subi et qu’ils ne subissent encore, involontairement et peut-être inconsciemment, une certaine influence chrétienne, au moins indirecte ; il en est ainsi parce qu’une rupture avec le passé, si radicale qu’elle soit, ne peut jamais être absolument complète et telle qu’elle supprime toute continuité. Nous irons même plus loin, et nous dirons que tout ce qu’il peut y avoir de valable dans le monde moderne lui est venu du Christianisme, ou tout au moins à travers le Christianisme, qui a apporté avec lui tout l’héritage des traditions antérieures, qui l’a conservé vivant autant que l’a permis l’état de l’Occident, et qui en porte toujours en lui-même les possibilités latentes ; mais qui donc, aujourd’hui, même parmi ceux qui s’affirment chrétiens, a encore la conscience effective de ces possibilités ? Où sont, même dans le Catholicisme, les hommes qui connaissent le sens profond de la doctrine qu’ils professent extérieurement, qui ne se contentent pas de « croire » d’une façon plus ou moins superficielle, et plus par le sentiment que par l’intelligence, mais qui « savent » réellement la vérité de la tradition religieuse qu’ils considèrent comme leur ? Nous voudrions avoir la preuve qu’il en existe au moins quelques-uns, car ce serait là, pour l’Occident, le plus grand et peut-être le seul espoir de salut ; mais nous devons avouer que, jusqu’ici, nous n’en avons point encore rencontré ; faut-il supposer que, comme certains sages de l’Orient, ils se tiennent cachés en quelque retraite presque inaccessible, ou faut-il renoncer définitivement à ce dernier espoir ? L’Occident a été chrétien au moyen âge, mais il ne l’est plus ; si l’on dit qu’il peut encore le redevenir, nul ne souhaite plus que nous qu’il en soit ainsi, et que cela arrive à un jour plus proche que ne le ferait penser tout ce que nous voyons autour de nous ; mais qu’on ne s’y trompe pas : ce jour-là, le monde moderne aura vécu.

Démonstration, par Athanasius Kircher (1601-1680) , que la tour de Babel ne pouvait pas atteindre la Lune...

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