1. Cheikh Ahmed Tijânî et la fondation de sa confrérie
Du XVIIIe à
la fin du XIXe siècle, la ville marocaine de Fès fut une des plus grandes
capitales de la pensée islamique.
En effet,
selon Georges Drague, c'est à Fès et dans des centres religieux prestigieux du
Maroc qu'apparaissent « les confréries des Derkawiyine, des Tidjaniyine, des
Kittaniyine et des Bouazzaouiyine du XVIIIe au XXe siècle». De toutes ces
formations religieuses, une seule, la Tijâniyya, semble tournée vers l'Afrique
noire. Sa fondation fut l'oeuvre de Cheikh Ahmed Tijânî. Il nous paraît
nécessaire de nous attarder sur la biographie de cet homme. Elle est «
intarissable de louanges ; ses adeptes n'ont pas de qualificatifs assez
expressifs pour exalter ses vertus, rappeler ses miracles, énumérer ses
actions. C'est le savant, professeur de l'école florissante du monde musulman,
le thaumaturge éclairé par la Divinité toute puissante et dirigé par le
Prophète, son unique inspirateur et son soutien 1. »
2. La vie et
l'action de Cheikh Ahmed Tijânî (1738-1815)
Le Cheikh
Abû-l-Abbâs Ahmed Ibn Mohammed Ibn al-Mukhtâr Ibn Sâlim al-Tijânî est, pour les
musulmans, l'un des hommes les plus prestigieux et les plus dignes de
vénération. Comme tous les fondateurs de confrérie, sa naissance et son
adolescence sont entourées de légendes. Son principal biographe, Ali Ḥarâzim,
le présente dans Jawâhir al-ma'ânî sous les traits d'un enfant prodige. Il
rapporte qu'il récitait par coeur tout le Coran à l'âge de quinze ans. Un tel
enfant ne pouvait avoir un destin médiocre.
Cheikh
Tijânî est né en 1150 de l'Hégire (1738) à Aïn Madi, petite localité située à
72 km à l'ouest de Laghouat, dans le Sud algérien. Son père, Mohammed Ibn
al-Mukhtâr, avait été l'objet de déférence et d'attentions. Chacun, à Aïn Madi
et dans toute la région, respectait sa vaste culture, ses grandes qualités
morales et la pureté de sa foi. Sa mère, Aïcha, était la fille de Mohammed Ibn
Sanûsî, un des plus grands érudits de l'Algérie du XVIIIe siècle. Les premières
années de la jeunesse de Cheikh Ahmed Tijânî furent marquées par un deuil
cruel. Son père et sa mère furent emportés le même jour par l'épidémie de peste
qui ravagea le Sud algérien en 1166 de l'Hégire (1753). Au cours de ces
douloureux événements, la noblesse de l'attitude du jeune Cheikh Ahmed Tijânî
ne passa pas inaperçue. Selon ses biographes, il se comporta déjà comme un
homme mûr, respectueux de la volonté d'Allah.
Le futur
chef de confrérie vivait auprès de son oncle Mohammed, surnommé Ibn Umar, et de
sa soeur Ruqayya. Son premier maître d'école, Mohammed Ibn Hammû, n'hésitait
pas à le présenter comme un enfant prodige. Chez son second professeur, Mabrûk
Ibn Bû'âfiya, il prit connaissance des deux principaux traités de jurisprudence
mâlikite, la Risâla 2 d'Ibn Abî-Zayd al-Qayrawânî et le Mukhtaṣar 3 de Khalîl
Ben Ishâq. Très tôt, il lut les oeuvres philosophiques d'Ibn Rushd (Averroès,
1126-1198). En 1171 de l'Hégire (1758), Cheikh Ahmed Tijânî quitte pour la
première fois sa ville natale pour la région de Fès qui l'attirait depuis sa
tendre jeunesse à cause de la réputation de ses savants et lettrés.
Peu de temps
après son retour à Aïn Madi, il entreprend un long pèlerinage sur la tombe du
grand saint Abd-al-Qâdir Ibn Mohammed, dans les confins sahariens.
Après cinq années de méditation, de prière et de recueillement, Cheikh Tijânî se rend à Tlemcen, l'ancienne capitale des Abd-al-Wâdides. Dans cette ville, il semble déjà mû par une certaine inspiration. Il souhaitait ardemment s'incliner à Médine sur la tombe de son ancêtre, le prophète Mohammed. Il rêvait de fouler la terre sainte, de contempler La Mecque des hauteurs du mont Hira, de suivre les foules à Mina, d'embrasser la Pierre noire de la Kaaba.
Après cinq années de méditation, de prière et de recueillement, Cheikh Tijânî se rend à Tlemcen, l'ancienne capitale des Abd-al-Wâdides. Dans cette ville, il semble déjà mû par une certaine inspiration. Il souhaitait ardemment s'incliner à Médine sur la tombe de son ancêtre, le prophète Mohammed. Il rêvait de fouler la terre sainte, de contempler La Mecque des hauteurs du mont Hira, de suivre les foules à Mina, d'embrasser la Pierre noire de la Kaaba.
Auparavant,
il avait eu le privilège de rencontrer les marabouts les plus prestigieux du
Maroc. Il avait adhéré successivement à la Qâdiriyya, à la Nâṣiriyya et à la Ṭayyibiyya.
De Tlemcen,
il se rend en Tunisie où on lui propose en vain un poste de professeur à
l'Université Zaïtouna. En 1186 de l'Hégire (1773), le voici au Caire, assis en
face du grand soufi égyptien (d'origine irakienne), Mahmûd al-Kûrdî.
Après avoir
accompli ses obligations religieuses aux lieux saints de l'Islam en 1187 de
l'Hégire (1774), il revient en Egypte où il est accueilli de nouveau par Mahmûd
al-Kûrdî. C'est au cours de cette dernière entrevue que le soufi égyptien
demanda à Cheikh Tijânî « d'initier les gens à la Khalwatiyya » («
Laqqini-n-nâsa wa-ḍ-ḍamânu 'alayya »).
De retour au
pays natal en 1191 de l'Hégire (1778), il poursuit sa route vers Fès où il
devait se recueillir sur la tombe du grand saint Mûlây Idrîs.
Après de
nombreuses pérégrinations qui l'ont conduit de Fès à Tlemcen, Cheikh Tijânî
poursuit ses méditations à Bou Semghoun, localité située au sud de Geryville 4.
C'est alors que « le Prophète lui apparut dans toute sa splendeur, lui fait
connaître sa sainte mission et le proclame son unique intermédiaire auprès de
l'Etre Suprême.
« Abandonne
toutes les Voies 5 que tu as suivies, lui ordonne-t-il, sois mon vicaire sur la
terre, proclame ton indépendance des « Chioukh » 6 qui t'ont initié à leurs
doctrines mystiques. Je serai ton intercesseur auprès de Dieu et ton guide
auprès des fidèles qui s'inspireront de tes conseils et suivront ta voie. 7 »
« De cette
époque (1196 de l'Hégire, 1781-1782 après J.-C.) date réellement la fondation
de la confrérie des Tidjaniya. Son patron retourne à Aïn Madi, désormais siège
principal de l'Ordre où il établit les règles liturgiques de sa corporation 7 »
Mais au cours
de ce dernier quart du XVIIIe siècle, l'Algérie était à un tournant décisif de
son histoire. Comme la Tunisie, elle faisait partie de l'Empire ottoman.
Partout, les beys pressuraient les populations. Ils étaient plus jouisseurs que
musulmans. A leur point de vue, l'esprit d'indépendance de la nouvelle
confrérie était une manifestation primaire du nationalisme arabo-berbère contre
la domination turque. Cheikh Tijânî, qui considérait les Turcs comme des
musulmans tièdes, ne tarda pas à émigrer, comme le fit jadis à Médine Mohammed,
exaspéré par le paganisme des Qurayshites de La Mecque.
3. L'Hégire
tijânienne (1213/1799)
La renommée
de Cheikh Tijânî ne s'arrête pas à la seule ville d'Aïn Madi. Il rassembla, à
la suite de ses déplacements au Sahara et au Maroc septentrional, de nombreux
fidèles. « Sa confrérie devient une puissance redoutable au gouvernement turc
qui fit assiéger la ville d'Aïn Madi par le bey d'Oran qui lui impose une
redevance annuelle fort élevée (1783-1787 J.-C.) 8.
» La
monarchie alaouite n'ayant jamais été favorable aux représentants de
Constantinople en Algérie, Cheikh Tijânî considérait les souverains marocains
comme des alliés naturels.
Il ne
reconnaissait aucune légitimité au pouvoir turc. Il le rendait responsable du
recul de l'Islam en Algérie. Quant aux Alaouites, ils espéraient étendre leur
domination sur l'Ouest algérien au détriment des beys, leurs ennemis éternels,
qui avaient soutenu et fomenté les insurrections des Ben Mahrez, des Rhaylân et
des Dilaïtes au cours des premières années du règne de Mûlây Ismâ'îl
(1672-1727).
Le danger
turc a toujours été réel au Maroc. Avant les Alaouites, les Saadiens furent
souvent en état d'alerte face au péril turc. « Toute la politique extérieure
des Saadiens, comme le sera celle de leurs successeurs, est commandée par le
désir de protéger leurs frontières contre le danger turc 9. »
La raison
d'Etat a souvent amené les souverains saadiens à négocier avec les Espagnols,
des « infidèles », plutôt que de collaborer avec les Turcs, des musulmans.
« Cette
politique est surtout celle de Mohammed ech-Cheikh. Contre les Turcs, il
négocie avec les Espagnols d'Oran, rapproché d'eux par la même crainte. Son
fils et successeur, Moulaye Abdallah (1557-1574), continue dans la même voie,
cédant même aux Espagnols, pour obtenir leur aide, le port de Badis (Velez) en
1564 10. »
Au moment où
apparaissait Cheikh Tijânî, l'une des constantes de la politique extérieure des
souverains, qu'ils fussent saadiens ou alaouites, était donc l'opposition à la
présence turque aux marches orientales du royaume. Les persécutions beylicales
achevèrent d'exaspérer le fondateur de la confrérie des tijâniyya. Outre son
opposition aux représentants de la « Porte », le régime alaouite exerçait un
attrait irrésistible sur Tijânî. Ce dernier ne pouvait que soutenir les
Alaouites qui « s'étaient élevés au trône en faisant figure de défenseurs de
l'Islam menacé ». Il se réfugia en 1213 de l'Hégire (1799) au Maroc où le
Sultan Mûlây Slimân ben Sîdî Mohammed ben Abdallâh lui réserva un accueil
chaleureux à Fès. « Dans cette ville, il donne une nouvelle impulsion à ses
doctrines, reçoit les faveurs du sultan Moulaye Sliman, fait construire une
zaouïa dans le quartier Houmet el-Blida el-Gharouïa où il meurt le 14 choual
1230 (19 septembre 1815), après avoir dicté à ses ahbab Sidi el-Hadj Ali
el-Harazim et Si Mohammed ben el-Mouchri es-Saïbi, l'histoire de sa vie et ses
recommandations à ses disciples 11. »
4. Les
principaux compagnons de Cheikh Ahmed Tijânî
Parmi les
compagnons de Cheikh Ahmed Tijânî, Cheikh Sîdî Tâhar, Mohammed Ibn Mushri et
Ali Ḥarâzim sont les figures les plus éminentes et les plus dignes de
vénération.
Cheikh Tâhar
de Tlemcen fut le premier disciple du fondateur de la Tijâniyya. Il vécut
longtemps avec son nouveau maître avant de l'accompagner aux lieux saints de
l'Islam. Ahmed Sukayrij, le célèbre auteur de Kashf al-ḥijâb et l'un des
meilleurs historiographes du tijânisme, le considère comme le numéro deux de la
confrérie. Il révèle en effet que Cheikh Ahmed Tijânî lui accordait la
prééminence sur tous ses autres confidents. Son avis sur les questions
religieuses était toujours sollicité et respecté. Nous reviendrons plus en
détail sur la personnalité de Cheikh Tâhar et le rôle qui fut le sien dans la
désignation de Cheikh Hamahoullah comme khalife du tijânisme.
L'imam Ibn
Mushri est originaire de Takart (région de Constantine). C'est à Tlemcen qu'il
fit la connaissance de Cheikh Ahmed Tijânî, qui revenait de La Mecque.
Le futur
chef de confrérie s'aperçut très tôt de l'érudition et des grandes qualités
morales de l'homme de Takart. Ce dernier jouit très tôt de la confiance de
Cheikh Tijânî qui le choisit comme secrétaire particulier et directeur des
prières (imam) après l'avoir initié à la Khalwatiyya. Sa situation privilégiée
au sein du mouvement religieux lui valut des jalousies. Nombre de fidèles ont
essayé, mais en vain, de ternir sa réputation. Ils firent circuler des rumeurs
malveillantes selon lesquelles Ibn Mushri serait tombé en disgrâce auprès de
son maître.
Son
installation au Sahara pour diffuser le tijânisme confirma aux yeux de beaucoup
ces rumeurs. Mohammed Aṣayih, l'auteur de Bughyat al-mustafîd, écrit à ce
propos à la page 231 : « Ce qu'il faut affirmer ici, c'est qu'Ibn Mushri n'est
jamais tombé en disgrâce auprès de Tijânî, car il bénéficia jusqu'à sa mort de
la confiance absolue du Cheikh. » Enfin, l'Imam Ibn Mushri est connu comme
l'auteur d'un ouvrage où il a consigné les recommandations et les principes
doctrinaux de son maître. Cet ouvrage est intitulé al-Kitâbu-l-jâmi'u
limâ-ftaraqa min al-'ulûm (le Livre de tout ce qui réunit les connaissances
éparses) 12.
A notre
connaissance , cet ouvrage de grande valeur n'a pas encore été imprimé. Sa
publication apporterait sans doute un éclairage nouveau sur des points
essentiels de la doctrine tijâniyya et notamment sur le problème de la « perle
de perfection » (Jawharatu-l-Kamâli) que nous étudierons plus loin.
La mort de
l'imam Mohammed Ibn Mushri, survenue en 1224 de l'Hégire (1809), attrista
profondément Cheikh Ahmed Tijânî.
Quant à Ali
ijarâzim, il fut à la fois le conseiller, le confident, l'ami et le
porte-parole du fondateur de la Tijâniyya. C'est lui qui rédigea le célèbre
Jawâhir al-ma'ânî 13 où sont exposées la biographie, la doctrine et les
recommandations de Cheikh Tijânî.
Ce dernier
aurait déclaré, selon Ahmed Sukayrij, que rien ne se décidait au sein de sa
confrérie à l'insu de Ḥarâzim. Il aurait même ajouté :
« Tout ce
que Ali Ḥarâzim vous dit, il le tient de moi. Tout ce qui provient de moi vous
est transmis par Ḥarâzim 14. »
Bien avant
la révélation prophétique de Bou Semghoun, les deux hommes s'étaient rencontrés
à Oujda.
Plus tard,
en 1799, deux mois après l'installation définitive de Cheikh Tijânî à Fès, Ḥarâzim
avait été chargé de rédiger un ouvrage de référence pour les fidèles de la
confrérie. Auparavant, on lui avait demandé de détruire tous les papiers sur
lesquels il avait consigné les recommandations antérieures de Cheikh Tijânî.
C'est
également Ali Ḥarâzim qui eut le mérite d'initier à la Tijâniyya le savant et
poête Sîdî al-Ibrâhîm al-Riyâḥî (1767 -1850) qui fut, après le Cheikh Maḥmûd
al-Manâ'î — mort en 1831-1832 — le propagateur de la Tijâniyya en Tunisie.
Parmi les
disciples et compagnons de Cheikh Ahmed Tijânî, des hommes tels que Ali
Temasînî et Cheikh Mohammed al-Ghâlî étaient respectés et écoutés pour leur
vaste culture. Al-Ghâlî est très connu en Afrique occidentale pour avoir
investi El-Hadj Omar du pouvoir de khalife de la Tijâniyya. Il convient
d'ajouter à cette liste des compagnons du Chérif d'Aïn Madi, le nom de Cheikh
Mohammed al-Hâfiẓ 15, qui a été généralement passé sous silence. Et pourtant,
c'est cet homme qui introduisit et enseigna pour la première fois la doctrine
tijâni en Afrique occidentale.
5. Cheikh
Mohammed al-Ḥâfiẓ, introducteur du tijânisme en Afrique occidentale
Cheikh
Mohammed al-Ḥâfiẓ est né à Bareïné 16 au milieu du XVIIIe siècle, dans une
famille de lettrés de la tribu des Idaou Ali qui prétend descendre, comme son
nom semble l'indiquer, de Ali, le gendre du Prophète Mohammed.
Son père,
al-Mokhtar Ibn Ḥâbib, veillait personnellement à son éducation. Al-Ḥâfiẓ eut le
privilège de suivre l'enseignement dispensé par Horma Ibn Abd-al-Jâlil, l'un
des plus grands poêtes et jurisconsultes du pays de Shinqît 17.
Cheikh
Mohammed al-Ḥâfiẓ complète ensuite sa formation en lisant les nombreux ouvrages
dont disposait son maître, avec une prédilection pour les grands penseurs tels
qu'al-Ghaẓâlî (1050-1111) et as-Suyûtî (mort en 1505). Sa réputation de juriste
s'établit très rapidement chez les Idaou Ali. Son pèlerinage à La Mecque vers
1782 fut le couronnement naturel de ses brillantes études.
En effet, à
cette époque, de nombreux lettrés maures se rendaient à La Mecque, censée être
le lieu de rendez-vous privilégié des hommes les plus pieux et surtout les plus
cultivés de la terre. C'est là qu'al-Ḥâfiẓ espérait rencontrer des érudits qui
lui apprendraient de nouveaux secrets de la mystique musulmane.
Alors qu'il
se recueillait autour de la Kaaba 18, il entendit un homme louer le savoir et
la sainteté de Cheikh Ahmed Tijânî.
Dès lors, ce
nom resta gravé dans son esprit. Après avoir terminé ses obligations
religieuses, il entreprit des recherches en vue de regrouper des renseignements
sur l'homme qui portait ce nom qu'il ne pouvait plus oublier, et qu'il
prononcera désormais au moins cinq fois par jour après ses prières. Il
rencontra en effet un groupe de pèlerins maghrébins. Le premier qui lui adressa
la parole n'était personne d'autre que le confident et lieutenant de Cheikh
Tijânî, le vénérable Ali Ḥarâzim. C'est ce dernier qui lui communiquera
l'adresse de la zâwiya de Fès.
Avant de
rejoindre son pays natal, Cheikh Mohammed al-Ḥâfiẓ se rendit dans la capitale
religieuse du Maroc. C'est là qu'il s'initia à la doctrine tijâni 19 auprès de
Cheikh Ahmed Tijânî lui-même, qui lui demanda de la diffuser au sud du Sahara :
« O Dieu,
répands tes faveurs sur Mohammed, le Prophète illettré ! Gloire à Dieu — Prière
et salut à L'Envoyé d'Allah! Notre maître et intercesseur auprès de Dieu
Seigneur, le Pôle des Pôles, Abû Abbâs Ahmed Ibn Mohammed Tijânî Ḥasanî… a
autorisé son disciple le savant … al-Ḥâfiẓ- Ibn Mokhtar Ibn Ḥâbib de Shinqîtî à
conférer les affiliations à tous les musulmans qui en feraient la demande … 20
»
Auréolé du
titre de moqaddem 21 de la Tijâniyya, Cheikh Mohammed al-Ḥâfiẓ quitte Fès pour
la Mauritanie. Grâce à son érudition et à son charisme, il obtient très tôt
l'adhésion de toute sa tribu au tijânisme 22.
Avant sa
mort 23, intervenue vers 1830, la confrérie s'était déjà implantée en Adrar, au
Tagant et au Trarza, jusque sur les rives du fleuve Sénégal.
L'un de ses
disciples, le moqaddem Maouloud Vall, introduisit la nouvelle Voie au Sénégal.
C'est lui qui initia au tijânisme :
El-Hadj Omar
Tall 24a
Alpha Mayoro
Wélé l'oncle d'El-Hadj Malik Sy (1853-1922)
Abd-al-Karîm
an-Naqîl, le célèbre marabout du Fouta-Djalon
Il maintint
des relations très étroites avec El-Hadj Omar 25.
Comme on le
voit, l'action de Cheikh Mohammed al-Ḥâfiẓ a été déterminante dans
l'introduction et la diffusion du tijânisme au sud du Sahara.
La prise en
main de la nouvelle confrérie par El-Hadj Omar Tall, vingt-cinq ans après la
mort du marabout maure, devait marquer un tournant décisif dans l'histoire du
Soudan occidental au XIXe siècle. Le saint toucouleur consacra sa vie toute
entière à la cause de l'Islam et au triomphe de la doctrine de Cheikh Ahmed
Tijânî. Il diffusa le tijânisme depuis les vallées fertiles de son Fouta-Tooro
natal jusqu'aux falaises de Bandiagara en passant par les massifs montagneux du
Fouta-Djalon et la région du Kaarta où quelques ilôts animistes restaient
encore réfractaires à l'Islam. Son oeuvre et les péripéties de son jihâd
parfois dirigé contre des musulmans ont été suffisamment étudiées pour qu'on
s'y attarde.
Seules
l'ultime phase de son épopée et surtout les conséquences de sa défaite au
Macina nous intéressent ici puisqu'elles furent à l'origine d'une certaine
confusion au sein de la Tijâniyya que les responsables des zâwiya maghrébines
tenteront de redresser par un renouvellement spirituel.
6. El-Hadj
Omar et la diffusion de la Tijâniyya
Pour mieux
comprendre la suite des événements, il nous paraît utile de parler brièvement
de l'homme lui-même. Omar Tall, fils de Saïdou Tall, est né entre 1791 et 1794
à Haloar, près de Podor, non loin de Guédé (Sénégal). Après avoir étudié au
Fouta-Toro et surtout chez les Maures, probablement au Tagant ou au Trarza 26
où il acquit une solide formation, Omar poursuit son éducation religieuse
auprès d'Abd-al-Karîm, le célèbre disciple du Cheikh Mourtada de Timbo 27.
Il effectue
ensuite le pèlerinage aux lieux saints de l'Islam vers la fin du premier quart
du XIXe siècle 28.
La date du
retour d'Omar en Afrique occidentale est aussi incertaine que celle de son départ
pour La Mecque 29.
Quoi qu'il
en soit, le séjour en Orient a été déterminant dans la carrière du marabout
toucouleur. C'est en effet autour de la sainte Kaaba qu'il rencontra Cheikh
Mohammed al-Ghâlî qui devait l'investir des pouvoirs de khalife du tijânisme
pour le Bilâd as-Sûdân (pays des Noirs). Nous avons déjà évoqué le nom et la
personnalité de Cheikh Mohammed al-Ghâlî qui fut, selon Ahmed Sukayrij, « l'un
des piliers de la Tijâniyya ». Dans l'ordre des préséances au sein du groupe
des compagnons et confidents du Cheikh Tijânî, Cheikh Mohammed al-Ghâlî semble
se placer juste après Cheikh Sîdî Tâhar Bû Tayyib de Tlemcen, al-Ḥajj Ali Ḥarâzim,
l'Imam Ibn Mushri et Ali Temasînî.
Selon Ahmed
Sukayrij, l'auteur du Kashf al-ḥijâb, le dictionnaire biographique des membres
éminents de la confrérie tijâni, Cheikh al-Ghâli n'aurait eu du fondateur de la
zâwiya d'Aïn Madi que des attributions assez limitées :
« Cheikh
Tijânî a autorisé al-Ghâlî à nommer quatre moqaddem. Mais chaque moqaddem
pouvait à son tour en nommer quatre autres et c'est tout 30. »
D'après le
même auteur, il semble que l'illustre maître du saint toucouleur n'ait pas
respecté ces prescriptions du fondateur de la Tijâniyya.
« Après la
mort de Cheikh Ahmed Tijânî et le pèlerinage de Mohammed Ghâlî, nous avons
constaté que ce dernier nommait des moqaddem avec des pouvoirs absolus. Loin de
nous l'idée de croire qu'un érudit et un homme aussi pieux qu'al-Ghâlî puisse
se permettre d'agir de la sorte sans autorisation. Il a certainement été
autorisé par un khalife ou par une âme spirituelle en songe 31. »
Auréolé du
titre de khalife de la Voie tijâniyya au Bilâd as-Sudân, Omar devait répandre
le tijânisme dans l'Ouest africain. Cette entreprise de diffusion de la
Tijâniyya ne fut pas sans péril puisqu'elle était menée en même temps que la
guerre sainte. Pour les musulmans de la confrérie des qâdiriyya, le thème de la
guerre sainte, thème cher aux prédications d'El-Hadj Omar, ne paraissait qu'un
prétexte permettant à ce dernier de bâtir un empire omarien où l'Islam ne
serait propagé que sous la forme de la doctrine tijâniyya.
Dès les
débuts de sa prédication, Omar Tall se fit des adversaires déterminés. Dans son
enseignement, il ne cessait d'insister sur la supériorité de la Tijâniyya sur
toutes les autres confréries musulmanes 32. Or, au Fouta-Djalon, l'almamy et
les musulmans du pays étaient de fervents adeptes du qâdirisme. Au Fouta-Toro
également, la voie d'Abd-al-Qâdir al-Jîlânî jouissait de la préférence de la
quasi-totalité des populations islamisées. Au Macina enfin, les souverains
étaient des disciples des chefs de la Qâdiriyya Bakkâ'iyya, le principal
mouvement religieux de la région de Tombouctou. Sur un autre plan, les tenants
des théocraties musulmanes du Fouta et du Macina, qui étaient avant tout des
hommes d'Etat, comprirent très tôt que le saint toucouleur avait des ambitions
politiques. Ils étaient très méfiants, voire hostiles, à l'égard d'El-Hadj Omar
dès que celui-ci regroupa autour de lui un nombre impressionnant de fidèles.
Entre 1846
et 1847, « l'almamy du Fouta-Toro lui avait interdit d'entrer dans ses Etats et
l'almamy du Fouta-Djalon l'empêcha de s'établir de nouveau à Dyegounko 33 ».
Faut-il en outre préciser que cette rivalité qui opposait la Qâdiriyya et la
Tijâniyya était antérieure à l'entreprise d'El-Hadj Omar ? Il suffit pour s'en
convaincre de rappeler les relations qui existaient entre le célèbre Ahmed
Kanssûss du Maroc et le chef de la Qâdiriyya de Tombouctou, Békâye ould Cheikh
Sidi el-Mokhtar el-Kounti 34.
Le premier
écrivait dans l'un de ses poèmes dédiés au second :
— « Je ne
dénigre pas le tijânisme, mais je suis jaloux de ce passereau à qui on a
apporté un faucon ligoté 35. »
Ahmed
Kanssûss n'eut pas de mal à comprendre la métaphore qui revient en termes plus
clairs à ceci :
— « Je ne
dénigre pas le tijânisme, mais je suis jaloux de Cheikh Tijânî, ce passereau à
qui l'on a apporté un faucon ligoté. »
C'était
également demander au Marocain d'abandonner la voie tijâni. La réponse d' Ahmed
Kanssûss est également présentée sous la forme d'un livre intitulé al-Jawâb
al-muskit (La réponse qui fait taire). Il s'adresse en ces termes catégoriques
à Békâye 36 :
— « Me
demander de quitter la Tijâniyya, c'est la dernière des choses à faire ici-bas
37. »
Nous verrons
plus loin Békâye user de la même tactique à l'égard d'El-Hadj Omar. On est
ainsi amené à croire que Békâye était le promoteur d'une vaste campagne contre
la Tijâniyya. A la vérité, une Sainte Alliance se forma sous la bannière du
qâdirisme et de la famille Békâye pour arrêter l'expansion du tijânisme dont
El-Hadj Omar s'était fait l'apôtre.
Au moment où
ce dernier entrait en lutte contre le chef animiste Mamadi Kandia du Kaarta,
Békâye rédigea des poèmes pour lui rendre hommage : « El-Hadj Omar est un
Cheikh de la vérité et un sultan qui ne cesse d'écraser tout païen 38. » Mais
dès que les intérêts de la confrérie qâdiriyya furent menacés au Macina, Békâye
devint ouvertement hostile au saint toucouleur.
[Note. A
propos du Maasina, cet ouvrage n'exploite pas L'Empire peul du Macina, rédigé
par Ahmadou Hampâté Bâ et Jacques Daget, et qui parut en 1975, c'est-à-dire
huit ans auparavant. De surcroît, il ne mentionne que l'oeuvre conjointe de A.H
Bâ et Marcel Cardaine Tierno Bokar, le sage de Bandiagara (Paris, Présence
africaine. 1957, 128 p.), et ignore la contribution personnelle postérieure de
A.H. Bâ Vie et enseignement de Tierno Bokar, le sage de Bandiagara (1980.
Paris: Editions du Seuil. 254 p). Or, dans ce second livre A.H. Bâ révise et
corrige certains aspects du contenu de la publication de 1957. — Tierno S. Bah]
La rivalité
entre les deux principales confréries de l'Ouest-africain était à son
paroxisme. La rupture entre les deux chefs spirituels intervint en 1862. Les
compagnons du marabout toucouleur en furent informés en ces termes par Omar
lui-même à Hamdallahi :
— «
El-Bakkaï m'a trahi, je ne l'aurais jamais cru capable de commettre un tel
crime, mais il n'a pas atteint son objectif. Jamais de la vie il ne sera le
maître de ce pays s'il plaît à Dieu. Ce sera un tijâni et non un qâdiri qui y
règnera. »
— « Que
signifient ces paroles, ô maître? », lui demanda-t-on.
Et le Cheikh
de préciser :
— « Hier
nuit, j'eus ce rêve :
El-Bakkaï
est venu de dessous moi tirer mon tapis de prière en s'enfuyant avec, mais pris
de peur, il le laissa tomber. Comme il n'arrivait pas à le ramasser, arriva un
tijâni qui le lui subtilisa. Voilà pourquoi je vous ai informés de cet
événement avant qu'il se produise 39. »
En effet,
Békâye ne tarda pas à « dénoncer El-Hadj Omar comme un hérétique et un
ambitieux qui voulait uniquement se créer un empire 40 ». Une véritable
coalition regroupant les Maures Kounta et les Peuls du Macina se forma sous la
direction de Békâye pour repousser les armées omariennes. A ce sujet,
Oloruntimehin nous donne plus de précisions : « Les membres de la famille
régnante des Cissé conduite par Ba Lobbo et Abdul Salam en collaboration avec
l'influent Békâye de la famille régnante de Tombouctou, préparèrent une
campagne militaire contre les forces d'Omar 41. »
Le choc
entre les deux camps devint alors inévitable. Après avoir réduit au silence les
Bambaras d'Ali, fils de Da Monzon, et occupé effectivement Ségou 42, El-Hadj
Omar s'empara en 1278 de l'Hégire (1862) 43 de Hamdallahi, la capitale de
l'empire peul du Macina. Nous ne nous attarderons pas sur les raisons avancées
par Omar Tall ou par ses partisans pour justifier la guerre sainte proclamée
par le Cheikh toucouleur contre les musulmans du Macina. Les fidèles et les
adversaires de l'homme de Haloar continuent de discuter sur la légitimité de
l'entreprise omarienne au regard du droit musulman. ll ne nous appartient pas
de les départager mais, à ce propos, F. Dumont émet un avis que nous approuvons
et qui mérite d'être relevé ici :
« Un siècle
après sa mort (El-Hadj Omar), ses descendants, les descendants de ses
compagnons et ses admirateurs, semblent avoir ressenti le besoin de justifier,
pour la postérité, les terribles aspects du combat pour la foi mené par le
célèbre Cheikh tout au long de sa mission. C'est la lutte entre musulmans, par
quoi s'est achevé ce jihâd et s'est brisé cet empire qui semble susciter un
certain désir de justification, sinon de réhabilitation 44. »
Quoi qu'il
en soit, la lutte fratricide qui se termina par la défaite des Toucouleurs eut
des conséquences tragiques pour les deux parties. L'année 1862 marque une
coupure dans l'histoire politique du Macina avec la liquidation physique
d'Ahmed Ibn Ahmed (Ahmadou III), le souverain régnant du Macina. L'allié de
Békâye fut mis à mort, selon Cheikh Moussa Kamara 45, par le général omarien
Thierno Oumar Baïla à Dilèye, en pays haoussa. C'est alors que le puissant
Békâye entra en scène, après avoir reçu les promesses d'occuper le trône du
Macina 46.
L'aspect
dominant du conflit devint dès lors le duel entre deux chefs de confrérie et
thaumaturges. Le résultat devait être interprété comme étant une sorte de
verdict divin consacrant la supériorité doctrinale et la transcendance
spirituelle de l'une des confréries sur l'autre. Faut-il préciser que Békâye et
El-Hadj Omar avaient brandi chacun de son côté le pouvoir mystique qui devait
permettre la mise en déroute de l'armée ennemie ?
Le choc
décisif ne tarda pas à se produire … Il eut lieu dans les environs de
Hamdallahi, victorieusement assiégée par les soldats de Békâye.
La tentative
de sortie des armées omariennes bloquées dans la capitale des empereurs peuls
du Macina fut désastreuse. Elle ne permit qu'une fuite désespérée aux vaillants
guerriers du Fouta écrasés sous le nombre de leurs adversaires acharnés.
Quelques jours après la reprise du siège de la Dina 47 par l'armée macinienne,
des événements importants se produisirent dans l'Ouest-africain : la débâcle de
l'armée omarienne et la disparition d'El-Hadj Omar Tall à Déguimbéré (1864) 48.
Avec cet homme, disparaissaient non seulement un bâtisseur d'empire et un
mujâhid 49, mais surtout le porte-drapeau du tijânisme conquérant en Afrique
occidentale.
L'aventure
poltico-religieuse d'Omar Tall rappelle un peu celle d'Ousman Dan Fodio
(1754-1817), qui déclara la guerre sainte aux Haoussas islamisés qu'il traitait
de « Noirs païens ». Sur un autre plan, on peut constater que les arguments
d'ordre juridique 50 avancés par Omar Tall pour justifier la guerre sainte
menée contre le Macina sont à peu de choses près les mêmes que ceux évoqués par
Mohammed Bello ben Dan Fodio avant de s'attaquer au souverain du Kanem.
Toutefois, l'aventure omarienne rappelle beaucoup plus l'entreprise almoravide
(XIe siècle). A des époques et dans des milieux différents, les mouvements
almoravide et omarien se sont tous présentés comme des purificateurs et des
propagateurs de l'Islam. Les deux mouvements ont été intolérants dans leur
prosélytisme. On peut également avancer les mêmes raisons pour l'échec final
des Almoravides et des Toucouleurs : ils furent, dans des milieux différents
mais toujours au nom de l'Islam, des envahisseurs étrangers contre lesquels des
peuples fiers de leurs traditions se dressèrent pour défendre leur raison de
vivre. Sur le plan purement religieux, le Waterloo omarien de 1864 sonna le
glas de la Tijâniyya en Afrique occidentale.
7. Les
conséquences du désastre de Déguimbéré ou l'ère de la confusion au sein du
tijânisme (1864-1902)
Pour
redynamiser la confrérie, des lieutenants du marabout nommèrent de nombreux
moqaddem. Mais si l'on se réfère à Kashf al-ḥijâb, on se rend compte que
beaucoup trop de moqaddem avaient été désignés. Se fondant sur une déclaration
de Cheikh Mohammed Ghali, Ahmed Sukayrij révèle que le saint toucouleur
lui-même n'aurait reçu que des prérogatives assez limitées en ce qui concerne
la désignation des moqaddem :
« J'autorise
El-Hadj Omar à donner notre wird 51 à tous ceux des musulmans qui viendront le
lui demander, hommes ou femmes, petits ou grands, fidèles et contestataires,
nobles ou esclaves. Je l'autorise à nommer seize moqaddem et chacun de ces
derniers est autorisé à en désigner quatre. Notre confiance est retirée à celui
qui ne respectera pas ce qui vient d'être dit 52. »
Au total,
l'action religieuse d'El-Hadj Omar et de ses représentants devait aboutir à la
désignation de quatre-vingts moqaddem au maximum. Le saint toucouleur aurait
respecté les prescriptions de Mohammed Ghâlî, mais il semble que certains de
ses compagnons aient outrepassé ses instructions en élevant plus de quatre
personnes au rang confraternel.
Ce fut alors
une sorte de dynamisme hétérogène que connut la Tijâniyya. De nombreux
marabouts se seraient présentés comme des moqaddem d'Omar sans pouvoir le
justifier.
Du côté des
Idaou Ali de Mauritanie, c'était l'anarchie ou presque. Les successeurs de
Cheikh Mohammed al- Ḥâfiẓ et de Maouloud Vall outrepassèrent les pouvoirs qui
leur étaient conférés. On assista à l'apparition d'une sorte de génération
spontanée de moqaddem, alors que Cheikh Tijânî avait insisté auprès de
l'introducteur de la doctrine tijâni en Afrique de l'Ouest pour qu'il ne
désignât pas plus de dix moqaddem. Il faut le signaler, l'imam Ibn Mushri avait
mentionné, sur l'ordre du fondateur du tijânisme, la prescription suivante sur
le diplôme de moqaddem de Cheikh Mohammed al-Ḥâfiẓ :
« Notre
maître Ahmed Tijânî a prescrit ensuite de ne pas nommer plus de dix
représentants (moqaddem) 53. »
Comme on le
voit, après la mort de l'introducteur du tijânisme en Afrique de l'Ouest et la
disparition d'El-Hadj Omar, une certaine confusion régnait au sein de la
Tijâniyya au Bilâd as-Sûdân. Les nouvelles de la mort du Cheikh et du déclin du
tijânisme ne tardèrent pas à se répandre en Afrique du Nord 54. Elles
consternèrent les responsables du tijânisme maghrébin.
En Afrique
noire, la Tijâniyya semblait perdue face aux qâdiris, ceux-là mêmes qui avaient
fait voler en éclats le mythe de l'invincibilité de l'armée torodo au Macina.
Les nouvelles de la victoire de la Qâdiriyya et la décapitation de la Tijâniyya
incitèrent donc la zâwiya de Tlemcen à agir pour sauver le tijânisme en Afrique
occidentale. Le soufisme de Tlemcen plongeait ses racines dans les sources les
plus secrètes, les plus profondes et dans les traditions les plus anciennes de
Cheikh Ahmed Tijânî.
La zâwiya
algérienne de Tlemcen était dirigée par Abû Abd-Allâhi Sîdî Tâhar Bû Tayyib 55,
un illustre compagnon du fondateur de la confrérie. Nous avons déjà parlé de ce
vénérable Cheikh. « Il était considéré par de nombreux disciples de Cheikh Ahmed
Tijânî comme le grand Khalifa de la confrérie 56. » Il nous semble important de
souligner que, sur un autre plan, Cheikh Tâhar s'était signalé par son attitude
farouchement anti-française 57.
Si l'on se
réfère à l'une des biographies les plus sûres du vénérable mystique tlemcénien,
on comprend mieux la suite des événements :
« Parmi les
hommes qui entouraient le fondateur, il faut parler du saint complet, l'homme
de Dieu, le confident de Cheikh Tijânî, celui qu'on appelait al-Barakatu-l-uzmâ
(la grande baraka). Abû Abd-Allâhi Sîdî Tâhar Bû Tayyib (que la paix soit sur
lui) était un âyatullâh (un témoin de Dieu). Ses dons et son oeuvre se passent
de commentaire.
Les
compagnons étaient unanimes à reconnaître qu'il reçut du Cheikh Tijânî un
pouvoir illimité au sein de la confrérie… En dépit de ses qualités
exceptionnelles, certaines personnes ont tenté, mais en vain, de ternir sa
réputation. En un mot, Cheikh Tâhar était « l'homme autorisé » (al-Ma'dhûn) 58.
Après la
mort d'El-Hadj Omar et la confusion qui en est résultée, il fallait remettre de
l'ordre au sein de la confrérie. Ce rôle revenait aux grands initiés. Cheikh
Tâhar 59, qui avait obtenu du fondateur de la Tijâniyya des pouvoirs illimités,
se révéla comme l'homme de la situation. Il chargea en effet son disciple
préféré, Cheikh Sîdî Mohammed Lakhdar, d'aller au pays des Noirs à la recherche
de celui qui, selon lui, serait le dépositaire du « mot secret » de la
Tijâniyya. Ce mot secret, qui serait l'apanage des Pôles (quṭb) et des grands
purificatewrs de la Voie (ṭarîqa), fut communiqué à Cheikh Lakhdar 60.
Après lui
avoir tracé le portrait de l'homme prédestiné de l'Ouest-africain, Cheikh Tâhar
lui donna aussi des indications ésotériques en vue de lui permettre de
l'identifier.
Cheikh Sîdî
Mohammed ibn Abd-Allâh, dit Lakhdar, n'avait plus qu'à prendre son bâton de
pèlerin pour aller identifier le nouveau khalife de Cheikh Ahmed Tijânî en
Afrique occidentale.
8. La
mission de Cheikh Sidi Mohammed Lakhdar 61 et la désignation de Hamahoullah
comme chef de confrérie
a. Le long
périple de Lakhdar
Avant de
suivre l'homme dans ses pérégrinations, il convient de faire d'abord sa
connaissance. Lakhdar était un vénérable cheikh qui avait décidé de consacrer
toute sa vie à la Tijâniyya. Toutes les traditions orales recueillies en
Mauritanie, au Mali, en Côte d'Ivoire et au Sénégal à propos de Lakhdar
concordent sur un point : l'homme était d'une grande piété et d'une vaste
culture. Selon F. Dumont, Cheikh Sîdî Mohammed Lakhdar était « célèbre et
respecté à Nioro » ; « il est cité par Ahmadou Bamba » 62, le fondateur du
mouridisme, ce qui est déjà une sérieuse référence. Faut-il rappeler qu'Ahmadou
Bamba fut un savant, un poète et un ascète dont Cheikh Sidya fit le panégyrique
? Cheikh Sîdî Mohammed fut initié au tijânisme 63 par Cheikh Sîdî Tâhar de
Tlemcen. Comme on le voit, Lakhdar, l'homme du Touat, n'était pas un inconnu,
moins encore un faux dévôt. Au cours de son long périple, il introduisit dans
les pays au sud du Sahara le tijânisme à « onze grains ». Jusque-là, les
musulmans ouest-africains ne connaissaient que le tijânisme à « douze grains ».
Au Maghreb, les adeptes de la Tijâniyya « douze grains » avaient coexisté sans
heurt avec les partisans des « onze grains ». Pouvait-on espérer que cette
tolérance prévaudrait en Afrique noire aussi ? Partant de Tlemcen, le
missionnaire se dirigea vers l'Adrar mauritanien en passant par le Touat. Il se
rendit à Zraïf chez un marabout du nom de Cheikh Mohammed Fadel ould Mohammed
el-Abeïd. De là, il ne tarda pas à visiter Chinguetti où il se maria et eut par
la suite une fille, Lallé mint Lakhdar. Peu de temps après, il arriva au
Fouta-Toro ; partout, il disait qu'il était à la recherche du « Pôle » du
tijânisme dont il ignorait le nom.
Il passa de
nombreux mois à Kaëdi où sa mysticité lui attira une foule nombreuse. Il initia
de fins lettrés de la ville à sa tarîqa avant d'élever quelques personnages,
tels Fodié Aboubacar ben Lamba Doucouré, Fodié Abdoullahi Diagana, Fodié
Cheikhou Diagana et Fodié Mohammed Youssouf Diagana, au rang de moqaddem. Il
n'oublia pas de leur expliquer le but de sa mission en Afrique occidentale. Du
Gorgol 64, il se rendit chez les Maures du Hodh. Il nomma de nombreux moqaddem
chez les Laghlal, dont Mohammed Abderahmane ould Ahel Mokhtar, Mamadi ould
Bouboye, Salih ould Bouboye et Abdallahi ould Limam. Il alla rencontrer et
écouter tous les grands marabouts de Oualata et de Néma sans parvenir à
identifier l'homme qu'il cherchait. Mais un vieil érudit de cette région lui
aurait conseillé de se diriger vers les villes voisines. Sans plus tarder, le
Cheikh prit la route menant à Nioro. Sa mission était presque terminée car
c'est dans l'ancienne capitale du Kaarta qu'il eut la chance d'identifier le Pôle
du tijânisme en la personne de Cheikh Hamahoullah.
b. La
désignation de Cheikh Hamahoullah
Cheikh Sîdî
Mohammed ibn Abd-Allâh dit Lakhdar entra à Nioro en 1900 65. Dès ses premières
journées, il commença à donner un enseignement supérieur de haute qualité (la
théologie, la mystique et le droit musulman de rite mâlikite). La chefferie
spirituelle de Nioro était détenue par Chérif Mohammed el-Mokhtar qui suivait
la Tijâniyya telle qu'elle fut enseignée par El-Hadj Omar lors de l'intrusion
toucouleur au Kaarta au cours de la deuxième moitié du XIXe siècle.
Le vieux
Mohammed el-Mokhtar fut sévèrement critiqué et condamné par l'étranger qui
prônait le retour aux sources et aux textes les plus anciens de la Tijâniyya.
D'ailleurs, dans l'interprétation de ces documents, l'Algérien s'imposa. Pour
la première fois, et suivant en cela l'homme du Touat, nombre d'ulémas maures
commencèrent à réciter onze fois seulement la Jawharatu-l-Kamâli (la fameuse
formule de prière tijâni) au lieu de douze comme il était de coutume à Nioro.
Seuls quelques Toucouleurs et leurs alliés soninkés, chefs traditionnels de
Nioro, résistaient.
De nombreux
marabouts s'affilièrent à la tariqa de Lakhdar qui nomma parmi eux des moqaddem
dont les plus connus étaient Thierno Saïdou Bâ et Thiemo Oumar Diallo dit
Hache. Enfin, Chérif Mohammed Mokhtar lui-même se rallia aux thèses de
l'Algérien, mais dans l'espoir d'être investi plus tard comme « khalife » du
tijânisme onze grains. Cependant, le Maghrébin avait les yeux tournés vers un
adolescent de dix-neuf ans du nom de Chérif Hamahoullah. Il ne voulait pas que
ce dernier quittât la maison de son hôte Mohammed Malik. La nuit, il le
retenait souvent seul à ses côtés et parfois jusqu'à l'aube. Personne ne savait
ce qu'ils se disaient et comment ces longs entretiens en tête à tête allaient
se terminer.
Ces
rencontres nocturnes entre les deux hommes allaient durer de nombreuses
semaines. Les vieux marabouts de Nioro, y compris Mohammed Mokhtar lui-même,
étaient déjà jaloux de la considération et de l'estime qu'avait Lakhdar pour le
jeune Hamahoullah.
A la suite
de ces longues conversations, le Tlemcénien crut avoir décelé chez le jeune
homme quelques qualités du khalife qu'il cherchait. Mais celles-ci ne
suffisaient pas …
Enfin, un
vendredi matin de 1902, l'heure du destin avait sonné pour les deux hommes. En
effet, Chérif Hamahoullah se rendit comme d'habitude chez son maître Cheikh
Lakhdar. Dès que le vieil homme l'aperçut, il se leva et partit à sa rencontre.
Ce qui surprit l'assistance. Mais le vieux missionnaire avait décidé d'en
finir.
ll invita
Hamahoullah à le suivre dans sa chambre à coucher. Là, il le fit asseoir sur un
tapis de prière blanc orné de poil frisé d'Astrakan. Il s'agenouilla lui-même
et, sur le sable également blanc, il écrivit le « nom secret » qui, selon lui,
confère la puissance spirituelle, cette formule que seuls Cheikh Ahmed Tijânî
et Cheikh Sîdî Tâhar connaissaient.
La
répétition de ce « nom secret » permet au soufi qui le détient d'entrer dans le
cercle restreint des amis de Dieu.
Cheikh
Lakhdar aurait donc écrit ce « nom secret », un mot de onze lettres, avant de
demander à son élève s'il avait déjà pris connaissance de cette formule sacrée,
ne serait-ce qu'au cours de songes ou de simples rêves. N'oublions pas que le
rêve occupe une place importante dans le soufisme. L'auteur de Kashf al-ḥijâb
ne justifie-t-il pas par un songe la décision de Cheikh Mohammed al-Ghâlî 66 de
désigner des khalifes? En effet, les songes ne sont pas seulement divinatoires,
mais ils permettent également aux soufis d'établir un dialogue avec les morts,
avec les saints qui les ont précédés et de recevoir leurs instructions, des
formules ésotériques et des noms secrets de Dieu.
Dans sa
réponse, Cheikh Hamahoullah précisa qu'il connaissait bien ce « nom » mais que
c'était plutôt un autre « mot secret » qui lui apparaissait au cours de ses
rêves et songes. Il enchaîna en démontrant que le « nom » tracé par Lakhdar ne
différait du sien que dans la forme et non dans l'esprit, le sens mystique
étant le même. Ensuite, il dégagea le sens ésotérique de la récitation onze
fois de la fameuse formule Jawharatu-l-Kamâli 67. Au passage, il fit remarquer
que les expressions Jawharatu-l-Kamâli et Jawâhir al-ma'ânî contenaient chacune
onze lettres (en arabe). Il expliqua que ce n'était pas là un fait du hasard,
avant de révéler le rapport secret entre les onze lettres contenues dans
Jawharatu-l-Kamâli et la nécessité de réciter la formule onze fois.
Au cours de
cette entrevue de plus de cinq heures, Lakhdar avait eu toutes les preuves que
Cheikh Hamahoullah était bien le Pôle inconnu que Cheikh Tâhar lui avait
demandé de révéler aux fidèles de la Tijâniyya.
Le vieil
Algérien confia alors à Cheikh Hamahoullah des formules sacrées, des noms
secrets de Dieu dont la récitation élève les saints au niveau le plus haut de
la béatitude et leur confère une puissance extraordinaire sur la nature, les
hommes et tout ce qui vit dans l'univers. Cependant, il lui recommanda de ne
jamais faire usage de cette puissance car, dit-il, la seule grandeur d'un homme
de Dieu réside dans sa soumission absolue à la volonté d'Allah. Puis, Lakhdar
demanda à son jeune interlocuteur de consacrer désormais tous ses efforts à la
défense de l'Islam. Ensuite, il serra contre sa poitrine l'homme prédestiné que
tout le Sahel soudano-mauritanien allait bientôt vénérer et considérer comme le
saint du siècle. Estimant que sa mission était terminée, Cheikh Sîdî Mohammed
Lakhdar réunit les musulmans de Nioro 68 pour les informer de la nomination de
Cheikh Hamahoullah comme khalife du tijânisme.
Cette
nomination ne devait pas plaire à tout le monde, surtout à certains marabouts
qui espéraient secrètement recevoir l'investiture de Cheikh Sîdî Mohammed. Ce
dernier n'eut pas le temps de rejoindre son Algérie natale, car le destin le
fixa définitivement à Nioro où il devait décéder en 1909.
Cheikh
Hamahoullah était désormais seul à la tête des fidèles du défunt. Allait-il
avoir autant de succès qu' Abd-al-Mu'min, le successeur d'Ibn Tûmart, le «
Mahdi impeccable » à la tête des al-Muwaḥḥidûn (les Almohades) ?
En tout cas,
les réactions des fidèles d'Ibn Tûmart furent bien différentes de celles de
Mohammed el-Mokhtar et de Fadel Mowla, si l'on en croit Charles André Julien
qui écrit à ce sujet :
«
L'entourage d'Ibn Toumert respecta scrupuleusement ses ordres. Même Abou-Hafç
Omar, chef d'une des plus puissantes fractions des Maçmouda, dont le ralliement
de la première heure avait largement contribué au succès, ne se dressa pas
contre le successeur désigné 69. »
Mais Chérif Mohammed
el-Mokhtar, qui prétendait à la succession de Lakhdar, n'était pas Abu Hafç
Omar. Nous reviendrons plus loin sur l'opposition qu'il dirigea contre Cheikh
Hamahoullah.
Mais
auparavant, découvrons ensemble le nouveau Cheikh, ses origines, sa
personnalité, son enseignement et les raisons de son succès.
Notes
1. O. Depont
et X. Coppolani, 1897.
2. Risâla :
épîtres du Xe siècle (traduit par Léon Bercher).
3. Voir la
traduction française de G.H. Bousquet 3 volumes. Alger 1956, 1958 et 1961.
4. Geryville
(El Bayed Sidi Cheikh): localité située à l'ouest de Laghouat et au nord-est
d'Aïn Sefra, non loin du Djebel Amour (en Algérie).
5. Voies :
Qâdiriyya, Nassiriyya, Khalwatiyya, etc.
6. Pluriel
de « cheikh » (chef religieux). Cependant, les formes correctes en arabe
classique sont shaykh' (sing.) et shuyûkh, mashâyikh (plur.).
7. O. Depont
et X. Coppolani, 1897, p. 416.
8. O. Depont
et X. Coppolani, 1897, p. 418.
9. J. Brignon
et al., 1967, p. 208.
10. Ibid.
11. O.
Depont et X. Coppolani, 1897, p. 418.
12. Nous
avons retrouvé le manuscrit du Kitâb al-jâmi dans un dépôt d'archives privé au
Maroc, à Fès, en 1974.
13. Jawâhir
al-ma'ânî a été l'une de nos principales sources pour la rédaction de ce
chapitre.
14. A.
Sukayrij, 3e édition, 1962, p. 70.
15. On le
trouve aussi transcrit sous la forme « el-Hafid ».
16. Bareïné
est un petit village situé à 120 km au nord de Rosso en Mauritanie, non loin du
fleuve Sénégal.
17. Shinqiṭ
(ou Shingiṭ) : ancien nom de la Mauritanie. Pour une définition plus complète
de Shinqiṭ, voir notre article “L'Islam en Mauritanie”, dans Introduction à la
Mauritanie, Paris, C.N.R.S. , 1979, p. 155.
18. Voir à
ce sujet, pour plus de détails, A. Sukayrij, 1962, p. 355.
19. Voir à
ce sujet A. Sukayrij, 1962, p. 356 ou encore la circulaire du 8 septembre 1915
au sujet des confréries islamiques de l'Afrique française (S 13- 45 -2- 30,
A.N.C.I.).
20. Extraits
d'une copie du diplôme de moqaddem de Cheikh Mohammed al-Ḥâfiẓ reproduite par
Paul Marty dans son ouvrage Etudes sur l'Islam maure.
21. Moqaddem
ou muqaddam : représentant ou préposé d'un fondateur de confrérie ou du
successeur de ce dernier. Il s'agit généralement d'un érudit ou tout au moins
d'un bon lettré capable d'enseigner la doctrine de la confrérie et d'initier
les fidèles au wird.
22. Voir
Introduction à la Mauritanie, op. cit., pp. 215-216.
23. La tombe
de Cheikh Mohammed al-Ḥâfiẓ se trouve à proximité du puits de Venni, petite
bourgade située à 70 km au nord-est de Boutilimit (Mauritanie).
24a. Selon
la version rapportée par Trimingham dans Islam in West Africa, Oxford, 1976, p.
97.
24b. On
pourrait à ce sujet consulter avec intérêt la circulaire du 8 septembre 1915 du
gouvernement général de l'A.O.F., relative « aux confréries islamiques de
l'Afrique française », op. cit.
25. A ce
propos, F. Dumont , 1974, p. 7, rapporte que « Maouloud Fall avait passé une
journée en compagnie d'Omar en 1846 près de Podor, où le Cheikh (toucouleur) venait
d'avoir un entretien avec le lieutenant-colonel Caille directeur des affaires
politiques au Sénégal ».
26. Dans
l'Anti-Sultan, Dumont écrit qu'El-Hadj Omar s'était « rendu à Walata chez les
Maures du Tagant ». Il convient de faire remarquer que Oualata n'est pas au
Tagant (au centre de la Mauritanie) mais au Hodh oriental, dans l'est du pays.
Selon le lieutenant Rocaboy, El-Hadj Omar séjourna deux années durant à Oualata
pour apprendre le droit musulman. Rocaboy, 1947, notes du C.H.E.A.M., vol. 43,
n° 1153.
27. Selon la
version rapportée par Cheikh Moussa Kamara, “La Vie d'El-Hadj Omar”, ouvrage
traduit et annoté par Amar Samb dans Bulletin de l'IFAN, série B, Tome XXXII,
n° 1-2-3, 1970 (p. 380).
28. Y.
Saint-Martin et J.C. Froelich proposent la date de 1827, A. Le Chatelier 1838,
tandis que Delavignette avance 1820.
29. Selon
Rocaboy (Mémoire du C.H.E.A.M., 1947), El-Hadj Omar se rend à La Mecque en
1825, repart pour l'Afrique en passant par Le Caire en 1831 et arrive en pays
haoussa en 1833. Mais si El-Hadj Omar était bien parti pour les lieux saints de
l'Islam en 1825 comme le prétend Rocaboy, il serait donc revenu l'année
suivante en Afrique, puisque Hugh Clapperton, dans son livre en deux tomes,
Second voyage à l'intérieur de l'Afrique, Paris, 1829, p. 202, affirme l'avoir
rencontré en 1826 à Sokoto.
30. A.
Sukayrij, 1962, p. 262.
31. Id., p.
263.
32. Voir à
ce sujet B.O. Oloruntimehin, “Resistance movements in the Tukulor empire”, in
Cahiers d'Etudes Africaines, n° 29, vol. VIII, fasc. 1, 1968, p. 125.
33. Ibid.
34. Cheikh
Sidi el-Mokhtar el-Kounti est le fondateur d'un des rameaux de la Qâdiriyya
Bakkâ'iyya.
35. A.
Sukayrij, 1962, p. 332.
36. «
Békâye, de son nom complet Cheikh Sidi Ahmed el-Békâye, fils de Cheikh Ali Sidi
Mohammed, est le petit-fils de Cheikh Sidi el-Mokhtar el-Kébir. Depuis 1847, il
était le grand maître de la confrérie des qâdiriyya sahariens et chef politique
des Maures Kounta de Tombouctou. Il fut tué en février 1865. » Bull. IFAN, t.
XXXII, janvier 1970, n° 1, p. 98.
37. A.
Sukayrij, 1962, p. 333.
38. Id., p.
334.
39. Cheikh
Moussa Kamara, 1970, pp. 50-97.
40. B.O.
Oloruntimehin, 1968, p. 125. Voir également à ce sujet J. Abun Nasr, 1965, qui
écrit (p. 125) : « To him (Békâye), Hajj Omar is a-Dajjal (The Muslim
equivalent of the Antechrist) ».
41. B.O.
Oloruntimehin, 1968, p. 127. On consultera également avec intérêt J. Salenc, «La
Vie d'El-Hadj Omar. Traduction d'un manuscrit arabe de la zaouïa tidjaniya de
Fès », B.C.E.H.S. de l'A.O.F., 1918, p. 417.
42. Selon J.
Abun Nasr (p. 122), « les armées maciniennes et ségoviennes sont battues à Tio
en janvier 1861 ».
43. Selon la
version rapportée par Cheikh Moussa Kamara, 1970, pp. 50-97.
44. F.
Dumont, 1974, p. 141.
45. Ch. M.
Kamara, 1970, p. 97.
46. A.
Sukayrij, 1962, pp. 325-337.
47.
Hamdallahi : siège de la théocratie musulmane du Macina connue sous le nom de
Dina. Hamdallahi a été fondée par Sékou Ahmadou (1775-1844) sur les conseils du
célèbre Guélladio Hambodédio, i.e. Gelaajo Hamboɗeejo.
48. Selon la
source la plus répandue au Fouta-Toro et au Mali, Omar aurait « disparu » à
Déguimbéré (Mali), mais la plupart des historiens parlent de Ngoro. D'après J.
Abun Nasr, 1965, p. 128, Omar est mort au village de Ghoro en février 1864. Le
Chatelier prétend qu'il est mort en avril 1865 (voir L'Islam dans l'A.O.F.,
Paris, 1899, p. 188). Selon J. Brevié dans Islam contre Naturisme, p. 168, le
saint toucouleur serait mort à N'Goro comme le rapporte Aliou Tyam, le
biographe d'El-Hadj Omar.
49.
Combattant de la foi, qui fait le jihâd ou guerre sainte.
50. Il
s'agit d'arguments tirés du droit musulman.
51. Wird :
ensemble des litanies ou prières prescrites par une confrérie religieuse. Il
s'agit généralement de noms de Dieu, de versets du Coran et d'hommage au
Prophete à réciter dans un ordre précis, un nombre de fois déterminé dans
chaque cas. C'est généralement au cours de ces prières que le musulman utilise
son chapelet.
52. A.
Sukayrij, 1962, p. 263.
53. P.
Marty, 1916, pp. 248-249. Pour plus de détails, voir A. Sukayrij, 1962, p. 356.
54. Voir
dans A. Sukayrij, 1962, pp. 335-336, le message d'Ahmed Ibn Mohammed Ibn
al-Abbâs al-Alawî annonçant à tous les tijânis marocains la fin d'El-Hadj Omar
et les agissements de Békâye.
55. A propos
de Cheikh Tâhar, cf. Rocaboy, doc. C.H.E.A.M., n° 1153, p. 3, et R. Lafeuille,
doc. C.H.E.A.M., n° 1189; p. 1.
56. O.
Depont et X. Coppolani, 1897, p. 431.
57. Ibid.
58. A.
Sukayru, 1962, pp. 414-415.
59. Voir au
sujet du tijânisme de Cheikh Tâhar le « Rapport de la Commission
interministérielle des Affaires musulmanes », réunion du 21-12-1928, 142.
séance, S.E. 2/31, A.N.M.
60. « Le
bruit de la ruine des chefs tidjaniya parvint en Afrique du Nord ; la
maison-mère des tidjaniya s'en inquiéta à juste titre, elle envoya un
missionnaire et cela aux environs de 1901, c'est-à-dire trois ans avant la
destitution d'Aguibou. Ce missionnaire, c'est Cheikh Sidi Mohammed (Lakhdar)
qui initiera Cheikh Ahmédou Hamalla ». (Extrait du rapport en date du 14-9-1943
du résident de Kayes, intitulé « Le hamallisme : sur l'origine des onze et
douze ». S.E. 67/68, A.N.M.). Voir également au sujet de Cheikh Lakhdar, le
rapport du lieutenant Aubinière, série E. 2/ 13, A.N.M.
61. Selon
Paul Marty, Etudes sur l'Islam et les tribus du Soudan, Tome IV, p. 138, Cheikh
Sîdî Mohammed serait venu d'Aïn Madi. En réalité, il est originaire du Touat,
mais il résidait à Tlemcen auprès de Cheikh Tâhar.
62. F.
Dumont, 1974, p. 236.
63. A la
zâwiya de Fès comme dans tout le Maroc, le tijânisme se caractérise par la
récitation de la Jawharatu-l-Kamâli douze fois.
64. Région
administrative ayant pour chef-lieu Kaëdi, ville située sur la rive
mauritanienne du fleuve Sénégal.
65. A ce
sujet, les traditions orales concordent fort bien avec ce que rapporte Roger
Lafeuille (doc. C.H.E.A.M., n° 1189) : « … Cheikh Sidi Mohammed ben Ahmadou ben
Abdalla (est) venu du Touat à Nioro vers 1900. » Voir aussi sur Lakhdar le
rapport du commandant de cercle de Kayes en date du 14-9-1943, op. cit.
66. A.
Sukayrij, 1962, p. 263.
67. Nous
reviendrons plus loin sur le problème de la Jawharatu-l-Kamâli.
68. « Au
cours d'une réunion tenue un vendredi, Lakhdar a présenté Cheikh Hamallah à
tous les musulmans de Nioro en ces termes : « Soyez témoins que Cheikh Hamallah
est l'homme que je cherchais depuis de nombreuses années pour l'investir comme
khalife du tijânisme … » Extrait d'une lettre qui nous a été adressée en 1972
par feu Samba Bathily, ancien notable de Nioro, témoin de la scène qu'il
rapporte.
69. Ch. A.
Julien, 1956, p. 101.
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