(Cheikh Muhyî-d-Dîn Ibn Arabî, Kitâb al-wasâyâ, traduit de l’arabe par Mohamed al-Fateh : Paroles en Or, édition Iqra).
Tu dois
t’acquitter du plus exigible parmi les Droits de Dieu, à savoir ceci : Ne rien
associer à Dieu parmi ce qui relève de l’associationnisme1 subtil, c'est-à-dire
le fait de compter sur les causes instaurées, de se fier à elles avec le coeur
et d’en être rassuré, à savoir que le coeur devienne
tranquille et apaisé devant ces causes. Car cela relève des pires dommages religieux
chez le croyant. D’ailleurs, c’est ce qu’atteste, par mode d’allusion, la
Parole de Dieu – qu’Il soit exalté- : « La plupart d’entre eux n’ajoutent
pas foi en Dieu sans Lui donner des associés » (Coran,
12/106), c’est-à-dire – mais Dieu est Le Plus Savant-, que c’est là
l’associationnisme subtil qui accompagne la foi en l’existence de Dieu. Et la déficience
dans la croyance en l’unicité de Dieu se rapporte aux Actes, non à la divinité,
car c’est cela le polythéisme manifeste qui s’oppose à la foi dans l’unicité de
Dieu, au niveau de la divinité, non pas à la fois en l’existence de Dieu. Il
est rapporté dans le Hadith authentique que l’Envoyé de
Dieu a dit : « Savez-vous
quel est le Droit de Dieu sur les serviteurs ? Le Droit de Dieu
sur les serviteurs c’est qu’ils L’adorent et ne Lui associent rien (shay’an)
». Il a usé du vocable shay’ qui est un terme indéfini et
englobe ainsi le polythéisme manifeste et le polythéisme subtil. Ensuite il a
dit : « Savez-vous quel est leur droit
sur Dieu s’ils font cela ? C’est qu’Il ne les châtie pas ». Aussi, porte ton attention sur l’expression : « C’est qu’Il ne
les châtie pas ». En effet, lorsqu’ils n’associent rien à Dieu, tout ce
qui traverse leur esprit comme idées se rapporte à Dieu dans la mesure où ils ne
se tournent que vers Dieu. Et lorsqu’ils font preuve de polythéisme envers
Dieu, que ce soit du polythéisme qui est le contraire de la foi de l’Islam ou
du polythéisme subtil qui consiste à lorgner les causes habituelles, Dieu les a
déjà punis en les laissant compter sur ces causes contingentes. Ainsi, lorsque
ces causes existent, ils souffrent de l’éventualité de leur disparition et de
leur déficience, et, lorsqu’ils perdent, ils souffrent de leur disparition.
Autrement dit,
ils ne cessent d’être malmenés, que ce soit avec l’existence des causes ou avec
leur disparition. C’est que Celui sur Lequel ils s’appuient, à savoir Dieu, est
capable d’entreprendre les choses par là où ils ne s’imaginent pas, comme dans
cette Parole Divine : « Dieu trouvera une issue à quiconque se garde de
Lui et Il pourvoit à sa subsistance par des moyens qu’il
n’escomptait pas » (Coran, 65/2-3). C’est ce qu’un poète formule en vers
:
A celui qui se garde de Dieu, Il lui trouve,
Comme
Il l’a dit, pour son affaire, une issue,
Et
le pourvoit sans qu’il ne l’escompte,
Et
lui procure, devant la difficulté, une délivrance.
Ainsi, parmi
les signes de la réalisation de la piété, c’est que celui qui craint Dieu avec révérence
reçoit ses subsistances sans qu’il les escompte, car s’il les reçoit par là où
il les escompte, il n’a pas réalisé la crainte révérencielle et n’a pas compté
exclusivement sur Dieu, car la signification de la crainte révérencielle, sous
certains de ses aspects, c’est d’avoir Dieu comme prémunition contre
l’influence des causes et des moyens seconds dans ton coeur en comptant sur
eux. Du reste l’homme est le plus averti sur lui-même et il sait intérieurement
en qui il a confiance et à qui son âme se fie. Il n’a pas à se dire : Dieu m’a
ordonné de travailler pour la famille et m’a imposé d’assurer leurs dépenses,
car il est indispensable d’agir sur les moyens par lesquels Dieu assure
habituellement les subsistances. En effet cela ne contredit pas ce que nous
avons dit. Car nous t’interdisons seulement de compter sur ces moyens avec ton
coeur et de te fier à eux. Nous ne te disons pas : N’agit pas en usant de ces
moyens. Du reste je me suis endormi en notant ces indications et en revenant à
moi je me suis mis à répéter ces deux vers que je ne connaissais pas auparavant
:
Ne
compte que sur Dieu
Car
Tout est dans la main de Dieu.
Ces
moyens seconds ne sont que Ses voiles
Ne
sois donc qu’avec Dieu.
Regarde donc en
toi-même : Si tu trouves que le coeur se fie à ces moyens, tu dois faire des reproches
à ta façon de croire et sache que tu n’es pas comme il faut ; et si tu trouves
que ton coeur est calme devant Dieu et qu’il t’est égal que ces moyens seconds
existent ou n’existent pas, sache alors que tu es cet homme comme il faut, qui
a cru, qui n’a rien associé à Dieu, que tu es rare parmi les rares et que si
Dieu te pourvoit par là où tu ne l’escompte pas, c’est une bonne nouvelle de la
part de Dieu annonçant que tu fais partie de ceux qui se gardent de Dieu et Le
craignent pieusement.
Parmi les
secrets de ce verset, il y a ceci : Même si Dieu te pourvoit par le moyen
habituel qui est à ta disposition et sous ton pouvoir tout en étant pieux et en
craignant Dieu, c’est-à-dire que tu as recours à Dieu comme rempart et
protection parce qu’Il est le Garant, tu es à vrai dire pourvu par là où tu ne
l’escomptait pas, car il ne te vient pas à l’idée que Dieu te pourvoit ; or ce
que tu as et ce que tu obtiens est nécessaire. Autrement dit, Il ne t’a pourvu que
par là où tu ne l’escomptait pas, même si tu consommes et puises ce qui es dans
tes mains.
Sache cela car
il a une signification subtile que ne ressentent que ceux qui sont vigilants et
attentifs à Dieu et ne cessent de surveiller leur intérieur et leurs coeurs,
car la prémunition procède de Dieu et empêche le serviteur d’aboutir aux moyens
seconds pour compter sur eux en raison de son appui sur Dieu – qu’Il soit
exalté et magnifié. C’est cela le sens de la Parole divine : « Trouvera
une issue à quiconque ». Voilà l’issue de la piété et de la crainte révérencielle
dans ce verset. Et ceci constitue une recommandation de Dieu pour Son serviteur
et une indication pour ce dernier sur ce qu’il est réellement.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire