samedi 20 octobre 2012

Ibn Arabi - N’associe rien à Dieu





(Cheikh Muhyî-d-Dîn Ibn Arabî, Kitâb al-wasâyâ, traduit de l’arabe par Mohamed al-Fateh : Paroles en Or, édition Iqra).


Tu dois t’acquitter du plus exigible parmi les Droits de Dieu, à savoir ceci : Ne rien associer à Dieu parmi ce qui relève de l’associationnisme1 subtil, c'est-à-dire le fait de compter sur les causes instaurées, de se fier à elles avec le coeur et d’en être rassuré, à savoir que le coeur devienne tranquille et apaisé devant ces causes. Car cela relève des pires dommages religieux chez le croyant. D’ailleurs, c’est ce qu’atteste, par mode d’allusion, la Parole de Dieu – qu’Il soit exalté- : « La plupart d’entre eux n’ajoutent pas foi en Dieu sans Lui donner des associés » (Coran, 12/106), c’est-à-dire – mais Dieu est Le Plus Savant-, que c’est là l’associationnisme subtil qui accompagne la foi en l’existence de Dieu. Et la déficience dans la croyance en l’unicité de Dieu se rapporte aux Actes, non à la divinité, car c’est cela le polythéisme manifeste qui s’oppose à la foi dans l’unicité de Dieu, au niveau de la divinité, non pas à la fois en l’existence de Dieu. Il est rapporté dans le Hadith authentique que l’Envoyé de Dieu  a dit : « Savez-vous quel est le Droit de Dieu sur les serviteurs ? Le Droit de Dieu sur les serviteurs c’est qu’ils L’adorent et ne Lui associent rien (shay’an) ». Il a usé du vocable shay’ qui est un terme indéfini et englobe ainsi le polythéisme manifeste et le polythéisme subtil. Ensuite il a dit : « Savez-vous quel est leur droit sur Dieu s’ils font cela ? C’est qu’Il ne les châtie pas ». Aussi, porte ton attention sur l’expression : « C’est qu’Il ne les châtie pas ». En effet, lorsqu’ils n’associent rien à Dieu, tout ce qui traverse leur esprit comme idées se rapporte à Dieu dans la mesure où ils ne se tournent que vers Dieu. Et lorsqu’ils font preuve de polythéisme envers Dieu, que ce soit du polythéisme qui est le contraire de la foi de l’Islam ou du polythéisme subtil qui consiste à lorgner les causes habituelles, Dieu les a déjà punis en les laissant compter sur ces causes contingentes. Ainsi, lorsque ces causes existent, ils souffrent de l’éventualité de leur disparition et de leur déficience, et, lorsqu’ils perdent, ils souffrent de leur disparition.

Autrement dit, ils ne cessent d’être malmenés, que ce soit avec l’existence des causes ou avec leur disparition. C’est que Celui sur Lequel ils s’appuient, à savoir Dieu, est capable d’entreprendre les choses par là où ils ne s’imaginent pas, comme dans cette Parole Divine : « Dieu trouvera une issue à quiconque se garde de Lui et Il pourvoit à sa subsistance par des moyens qu’il n’escomptait pas » (Coran, 65/2-3). C’est ce qu’un poète formule en vers :

A celui qui se garde de Dieu, Il lui trouve,

Comme Il l’a dit, pour son affaire, une issue,

Et le pourvoit sans qu’il ne l’escompte,

Et lui procure, devant la difficulté, une délivrance.

Ainsi, parmi les signes de la réalisation de la piété, c’est que celui qui craint Dieu avec révérence reçoit ses subsistances sans qu’il les escompte, car s’il les reçoit par là où il les escompte, il n’a pas réalisé la crainte révérencielle et n’a pas compté exclusivement sur Dieu, car la signification de la crainte révérencielle, sous certains de ses aspects, c’est d’avoir Dieu comme prémunition contre l’influence des causes et des moyens seconds dans ton coeur en comptant sur eux. Du reste l’homme est le plus averti sur lui-même et il sait intérieurement en qui il a confiance et à qui son âme se fie. Il n’a pas à se dire : Dieu m’a ordonné de travailler pour la famille et m’a imposé d’assurer leurs dépenses, car il est indispensable d’agir sur les moyens par lesquels Dieu assure habituellement les subsistances. En effet cela ne contredit pas ce que nous avons dit. Car nous t’interdisons seulement de compter sur ces moyens avec ton coeur et de te fier à eux. Nous ne te disons pas : N’agit pas en usant de ces moyens. Du reste je me suis endormi en notant ces indications et en revenant à moi je me suis mis à répéter ces deux vers que je ne connaissais pas auparavant :

Ne compte que sur Dieu

Car Tout est dans la main de Dieu.

Ces moyens seconds ne sont que Ses voiles

Ne sois donc qu’avec Dieu.

Regarde donc en toi-même : Si tu trouves que le coeur se fie à ces moyens, tu dois faire des reproches à ta façon de croire et sache que tu n’es pas comme il faut ; et si tu trouves que ton coeur est calme devant Dieu et qu’il t’est égal que ces moyens seconds existent ou n’existent pas, sache alors que tu es cet homme comme il faut, qui a cru, qui n’a rien associé à Dieu, que tu es rare parmi les rares et que si Dieu te pourvoit par là où tu ne l’escompte pas, c’est une bonne nouvelle de la part de Dieu annonçant que tu fais partie de ceux qui se gardent de Dieu et Le craignent pieusement.

Parmi les secrets de ce verset, il y a ceci : Même si Dieu te pourvoit par le moyen habituel qui est à ta disposition et sous ton pouvoir tout en étant pieux et en craignant Dieu, c’est-à-dire que tu as recours à Dieu comme rempart et protection parce qu’Il est le Garant, tu es à vrai dire pourvu par là où tu ne l’escomptait pas, car il ne te vient pas à l’idée que Dieu te pourvoit ; or ce que tu as et ce que tu obtiens est nécessaire. Autrement dit, Il ne t’a pourvu que par là où tu ne l’escomptait pas, même si tu consommes et puises ce qui es dans tes mains.

Sache cela car il a une signification subtile que ne ressentent que ceux qui sont vigilants et attentifs à Dieu et ne cessent de surveiller leur intérieur et leurs coeurs, car la prémunition procède de Dieu et empêche le serviteur d’aboutir aux moyens seconds pour compter sur eux en raison de son appui sur Dieu – qu’Il soit exalté et magnifié. C’est cela le sens de la Parole divine : « Trouvera une issue à quiconque ». Voilà l’issue de la piété et de la crainte révérencielle dans ce verset. Et ceci constitue une recommandation de Dieu pour Son serviteur et une indication pour ce dernier sur ce qu’il est réellement.

 1Polythéisme.

 

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