samedi 10 août 2013

Abû Hamîd al-Ghazâlî - Arguments pour ou contre le mariage : Conclusions.



 
 
 
Abû Hamîd al-Ghazâlî, Extrait de de l’Ihyâ’ ‘ulûm ad-dîn (Vivification des sciences de la religion), traduit par L. Bercher et G.H. Bousquet, Le Livre des bons usages en matière de mariage,  Edité par A. Maisonneuve et J. Thornton and Son, 1953 p.44-49].
 

 
Voilà donc énumérés tous les inconvénients et tous les avantages. Mais, décider de façon absolue qu'il est mieux, pour tel ou tel individu, de se marier, ou de rester célibataire, c'est être incapable de voir l'ensemble de toutes ces questions. On devra bien plutôt prendre ces avantages et ces inconvénients comme critère et pierre de touche auxquels le néophyte se soumettra lui-même. Si donc, dans son cas, il n'y a pas d'inconvénients et que les avantages se cumulent parce qu'il a une fortune d'origine licite et un beau caractère, qu'il s'applique si fortement aux choses de la foi que le mariage ne saurait le détourner de Dieu et s'il est, de plus, un homme jeune ayant besoin d'apaiser sa passion charnelle, si sa solitude lui fait éprouver aussi le besoin d'avoir quelqu'un pour diriger son ménage et de se fortifier par le groupe familial — alors, il n'y a pas de doute : le mariage est, pour lui, préférable, sans parler de ce que, grâce à lui, il pourra s'efforcer d'avoir une postérité. Mais s'il n'en doit pas retirer d'avantages et que les inconvénients s'accumulent, c'est le célibat qu'il devra préférer.

Que si, maintenant, cas le plus général, les uns et les autres s'affrontent, il convient de peser avec une balance exacte, la part que chaque avantage aura dans l'augmentation de la foi de l'intéressé et aussi la part que chaque inconvénient aura dans la diminution de cette foi. S'il a tout lieu de croire que la balance penche d'un côté plutôt que de l'autre, il se décidera dans ce sens.

Les avantages les plus évidents sont ceux de la postérité et de l'apaisement de la passion charnelle ; les inconvénients les plus manifestes sont le besoin de se procurer de façon illicite des ressources pour sa famille et (le danger) d'être détourné de Dieu. Eh bien, supposons que ces deux facteurs s'opposent, nous dirons alors ceci :

a) Si quelqu'un n'est pas tourmenté par la passion charnelle et si son mariage doit lui être avantageux comme recherche de l'obtention d'une postérité, mais que les désavantages en seront la nécessité de faire des gains illicites et le fait d'être détourné du culte de Dieu, alors le célibat est préférable pour lui. Car il n'y a rien de bon dans tout ce qui détourne du culte de Dieu, ni dans les acquisitions illicites ; et le détriment résultant de ce double inconvénient n'est pas compensé par l'avantage d'avoir une postérité. En effet, se marier dans cette intention, c'est s'efforcer de donner encore une vie hypothétique à un enfant, tandis que le détriment spirituel est patent ; garder la vie de son âme, la préserver de la perdition est chose plus importante que de rechercher une postérité, ce qui n'est qu'un gain, tandis que l'intégrité religieuse, c'est un capital. Or, la corruption de la religion entraîne l'anéantissement de la vie de l'Au-Delà et la perte du capital. C'est pourquoi l'avantage en question ne compense pas (même) un seul de ces deux inconvénients ;

b) Si maintenant, à la recherche de la postérité, vient s'ajouter le besoin de briser la passion charnelle parce que l'âme aspire à l'union sexuelle, nous devons distinguer :

1° Si le mors de la piété n'est pas assez puissant pour le retenir et qu'il craigne, pour lui-même la fornication, le mariage vaut mieux pour lui. En effet, il est dans l'alternative suivante soit se jeter dans la fornication, soit consommer des choses (acquises de façons) interdites ; or, avoir un gagne-pain illicite est le moindre de ces deux maux ;

2° S'il est sûr de lui-même et sait bien qu'il ne forniquera pas, mais que, malgré cela, il ne puisse détourner ses yeux de ce qui lui est interdit, il est préférable qu'il s'abstienne du mariage. En effet, les regards (sur la femme d'autrui) ont le caractère de chose légalement prohibée et les acquisitions illicites ont ce même caractère, seulement elles sont continues et constituent un péché non seulement pour lui, mais pour sa famille, tandis que les regards n'ont lieu que de temps à autre, n'engagent que lui seul et ne durent guère. Certes, le coup d'œil (luxurieux) est la fornication des yeux, mais si l'appareil génital ne se laisse pas entraîner par lui, il est plus aisément pardonnable que la consommation de ce qui a été illicitement acquis. Si, au contraire, notre homme a lieu de craindre qu'un regard (luxurieux) ne l'entraîne au péché de la chair, ce cas se ramène à celui du danger de commettre le crime (de fornication) ;

3° Cela étant établi, voici le troisième cas : l'on a assez d'empire sur soi-même pour conserver la chasteté dans le regard, mais non pas pour repousser les (mauvaises) pensées qui détournent le cœur (de Dieu). Ici encore, il vaudra mieux s'abstenir du mariage parce que le péché du cœur est plus aisément pardonnable : c'est seulement en vue des actes de dévotion que le cœur doit être exempt (de passion charnelle), mais cette dévotion ne saurait (quand même pas) être tenue pour parachevée quand il y a un gagne-pain illicite qui sert à entretenir l'intéressé et les siens. C'est ainsi qu'il convient de contrebalancer ces inconvénients par ces avantages et de décider en tenant compte du résultat. Qui a saisi cela ne sera pas embarrassé touchant tout ce qui à été rapporté des Ancêtres qui, tantôt poussaient au mariage, et tantôt en détournaient, car tout cela est valable selon les circonstances. Si, maintenant, on me dit « Au cas où le mariage est sans inconvénient pour quelqu'un, que doit-il préférer : se vouer entièrement au service de Dieu ou se marier ? ». Je réponds « Il faut unir ceci à cela ; car le mariage n'est pas un empêchement à se vouer entièrement au culte divin, du fait qu'il engage le contractant dans des liens juridiques (autres que la dévotion), mais du fait qu'il oblige à chercher un gagne-pain. Mais si l'on peut en avoir un de nature licite (chose admise par hypothèse), le mariage mérite encore la préférence. On peut, en effet, la nuit et tout le reste de la journée (en dehors du travail) se livrer complètement au culte de Dieu. D'ailleurs, il serait impossible de s'y adonner continuellement sans aucun délassement ».

« Pourtant, supposons un individu totalement absorbé par son gagne-pain, au point qu'il ne lui reste plus de temps libre en dehors de celui requis pour faire les cinq prières, dormir, manger et accomplir ses besoins naturels : a) S'il est de ceux qui ne marchent dans là voie qui mène à l'Au-Delà qu'en faisant la prière surérogatoire, le pèlerinage et d'autres exercices qui n'astreignent que le corps, le mariage est, pour lui, chose préférable, car, se procurer un gagne-pain licite, veiller sur les siens, s'efforcer d'obtenir une postérité, supporter le (mauvais) caractère des femmes, tout cela constitue autant d'exercices pieux, dont le mérite ne le cède en rien aux pratiques surérogatoires de la dévotion. b) Si, au contraire, sa dévotion consiste à s'adonner à la science (religieuse), à méditer et à avoir une vie intérieure intense et que le souci du gagne-pain doive le troubler dans tout cela, l'abstention du mariage pour lui est préférable ».

Si on me demande, maintenant : « Pourquoi donc Jésus (à lui le salut !) s'abstint-il du mariage malgré les mérites de celui-ci et, si se vouer entièrement au service de Dieu est ce qu'il y a de plus méritoire, pourquoi donc notre Envoyé (à lui bénédiction et salut l) multiplia-t-il le nombre de ses épouses ? ». Je réponds « C'est l'union de ceci et de cela qui est la chose la plus méritoire chez celui qui en est capable, dont les forces le lui permettent et dont les desseins sont assez élevés, en sorte qu'aucune préoccupation ne le détourne de Dieu. Or notre Envoyé (à lui le salut !) avait cette puissance et sut, au mariage, unir les mérites d'une vie entièrement consacrée à Dieu. De la sorte, malgré ses neuf femmes, il put se vouer totalement à Dieu. Pour lui, la satisfaction des besoins sexuels ne fut pas un empêchement. De même, ceux qui sont absorbés par les affaires de ce bas-monde ne sont pas gênés, dans leurs affaires, par l'accomplissement de leurs besoins naturels : extérieurement, ils font ce qu'il faut pour cela, mais leurs cœurs sont tout occupés par leurs soucis et n'oublient pas leurs affaires importantes. Or, l'Envoyé de Dieu se trouvait placé à un si haut degré que les choses de ce monde n'empêchaient point son cœur d'être sans cesse en présence de Dieu la Révélation descendait sur lui alors qu'il se trouvait dans le lit de sa femme (‘A'ïcha). A quelle époque un rang si haut fut-il conféré à un autre que lui ? Rien d'étonnant à ce que ce qui trouble les ruisseaux ne puisse troubler la mer immense. Il ne convient donc pas de mesurer les autres à l'échelle du Prophète ».

« En ce qui concerne maintenant Jésus (à lui le salut !), il eut bien une résolution ferme, mais non de la force et il se garda (de se marier). Peut-être son état était-il tel qu'il eût été gravement compromis par les soucis causés par une famille, ou qu'il n'aurait pu se procurer licitement un gagne-pain, ou encore, qu'il ne lui eût point été permis de concilier l'état conjugal avec le dévouement total à Dieu. Il préféra donc se consacrer exclusivement à Dieu ». Ils (les Prophètes) savent mieux que personne les raisons profondes de leurs états et les règles applicables, à leurs époques respectives, touchant la façon convenable de gagner sa vie, ainsi que le caractère des femmes, les dangers qui menacent l'époux dans le mariage et les avantages qu'il en peut espérer. Si diversifiées que soient les situations, en sorte que tantôt le mariage et tantôt le célibat est à préférer, il est de notre devoir de tenir pour certain que les actes des prophètes correspondent, dans chaque situation, à ce qu'il y a de meilleur. Et Dieu est plus savant.

Abû Hamîd al-Ghazâlî, Extrait de de l’Ihyâ’ ‘ulûm ad-dîn (Vivification des sciences de la religion), traduit par L. Bercher et G.H. Bousquet, Le Livre des bons usages en matière de mariage,  Edité par A. Maisonneuve et J. Thornton and Son, 1953 p.44-49].
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