Abû Hamîd al-Ghazâlî, Extrait de de l’Ihyâ’ ‘ulûm ad-dîn (Vivification des sciences de la religion), traduit par L. Bercher et G.H. Bousquet, Le Livre des bons usages en matière de mariage, Edité par A. Maisonneuve et J. Thornton and Son, 1953 p.44-49].
Voilà donc énumérés tous les inconvénients et tous les
avantages. Mais, décider de façon absolue qu'il est mieux, pour tel ou tel
individu, de se marier, ou de rester célibataire, c'est être incapable de voir
l'ensemble de toutes ces questions. On devra bien plutôt prendre ces avantages
et ces inconvénients comme critère et pierre de touche auxquels le néophyte se
soumettra lui-même. Si donc, dans son cas, il n'y a pas d'inconvénients et que
les avantages se cumulent parce qu'il a une fortune d'origine licite et un beau
caractère, qu'il s'applique si fortement aux choses de la foi que le mariage ne
saurait le détourner de Dieu et s'il est, de plus, un homme jeune ayant besoin
d'apaiser sa passion charnelle, si sa solitude lui fait éprouver aussi le
besoin d'avoir quelqu'un pour diriger son ménage et de se fortifier par le
groupe familial — alors, il n'y a pas de doute : le mariage est, pour lui,
préférable, sans parler de ce que, grâce à lui, il pourra s'efforcer d'avoir
une postérité. Mais s'il n'en doit pas retirer d'avantages et que les
inconvénients s'accumulent, c'est le célibat qu'il devra préférer.
Que si, maintenant, cas le plus général, les uns et les
autres s'affrontent, il convient de peser avec une balance exacte, la part que
chaque avantage aura dans l'augmentation de la foi de l'intéressé et aussi la
part que chaque inconvénient aura dans la diminution de cette foi. S'il a tout
lieu de croire que la balance penche d'un côté plutôt que de l'autre, il se
décidera dans ce sens.
Les avantages les plus évidents sont ceux de la
postérité et de l'apaisement de la passion charnelle ; les inconvénients les
plus manifestes sont le besoin de se procurer de façon illicite des ressources
pour sa famille et (le danger) d'être détourné de Dieu. Eh bien, supposons que
ces deux facteurs s'opposent, nous dirons alors ceci :
a) Si quelqu'un n'est pas tourmenté par la passion
charnelle et si son mariage doit lui être avantageux comme recherche de
l'obtention d'une postérité, mais que les désavantages en seront la nécessité
de faire des gains illicites et le fait d'être détourné du culte de Dieu, alors
le célibat est préférable pour lui. Car il n'y a rien de bon dans tout ce qui
détourne du culte de Dieu, ni dans les acquisitions illicites ; et le détriment
résultant de ce double inconvénient n'est pas compensé par l'avantage d'avoir
une postérité. En effet, se marier dans cette intention, c'est s'efforcer de
donner encore une vie hypothétique à un enfant, tandis que le détriment
spirituel est patent ; garder la vie de son âme, la préserver de la perdition
est chose plus importante que de rechercher une postérité, ce qui n'est qu'un
gain, tandis que l'intégrité religieuse, c'est un capital. Or, la corruption de
la religion entraîne l'anéantissement de la vie de l'Au-Delà et la perte du
capital. C'est pourquoi l'avantage en question ne compense pas (même) un seul
de ces deux inconvénients ;
b) Si maintenant, à la recherche de la postérité, vient
s'ajouter le besoin de briser la passion charnelle parce que l'âme aspire à
l'union sexuelle, nous devons distinguer :
1° Si le mors de la piété n'est pas assez puissant pour
le retenir et qu'il craigne, pour lui-même la fornication, le mariage vaut
mieux pour lui. En effet, il est dans l'alternative suivante soit se jeter dans
la fornication, soit consommer des choses (acquises de façons) interdites ; or,
avoir un gagne-pain illicite est le moindre de ces deux maux ;
2° S'il est sûr de lui-même et sait bien qu'il ne
forniquera pas, mais que, malgré cela, il ne puisse détourner ses yeux de ce
qui lui est interdit, il est préférable qu'il s'abstienne du mariage. En effet,
les regards (sur la femme d'autrui) ont le caractère de chose légalement prohibée
et les acquisitions illicites ont ce même caractère, seulement elles sont
continues et constituent un péché non seulement pour lui, mais pour sa famille,
tandis que les regards n'ont lieu que de temps à autre, n'engagent que lui seul
et ne durent guère. Certes, le coup d'œil (luxurieux) est la fornication des
yeux, mais si l'appareil génital ne se laisse pas entraîner par lui, il est
plus aisément pardonnable que la consommation de ce qui a été illicitement
acquis. Si, au contraire, notre homme a lieu de craindre qu'un regard
(luxurieux) ne l'entraîne au péché de la chair, ce cas se ramène à celui du
danger de commettre le crime (de fornication) ;
3° Cela étant établi, voici le troisième cas : l'on a
assez d'empire sur soi-même pour conserver la chasteté dans le regard, mais non
pas pour repousser les (mauvaises) pensées qui détournent le cœur (de Dieu).
Ici encore, il vaudra mieux s'abstenir du mariage parce que le péché du cœur
est plus aisément pardonnable : c'est seulement en vue des actes de dévotion
que le cœur doit être exempt (de passion charnelle), mais cette dévotion ne
saurait (quand même pas) être tenue pour parachevée quand il y a un gagne-pain
illicite qui sert à entretenir l'intéressé et les siens. C'est ainsi qu'il
convient de contrebalancer ces inconvénients par ces avantages et de décider en
tenant compte du résultat. Qui a saisi cela ne sera pas embarrassé touchant
tout ce qui à été rapporté des Ancêtres qui, tantôt poussaient au mariage, et
tantôt en détournaient, car tout cela est valable selon les circonstances. Si,
maintenant, on me dit « Au cas où le mariage est sans inconvénient pour
quelqu'un, que doit-il préférer : se vouer entièrement au service de Dieu ou se
marier ? ». Je réponds « Il faut unir ceci à cela ; car le mariage n'est pas un
empêchement à se vouer entièrement au culte divin, du fait qu'il engage le
contractant dans des liens juridiques (autres que la dévotion), mais du fait
qu'il oblige à chercher un gagne-pain. Mais si l'on peut en avoir un de nature
licite (chose admise par hypothèse), le mariage mérite encore la préférence. On
peut, en effet, la nuit et tout le reste de la journée (en dehors du travail)
se livrer complètement au culte de Dieu. D'ailleurs, il serait impossible de
s'y adonner continuellement sans aucun délassement ».
« Pourtant, supposons un individu totalement absorbé
par son gagne-pain, au point qu'il ne lui reste plus de temps libre en dehors de
celui requis pour faire les cinq prières, dormir, manger et accomplir ses
besoins naturels : a) S'il est de ceux qui ne marchent dans là voie qui mène à
l'Au-Delà qu'en faisant la prière surérogatoire, le pèlerinage et d'autres
exercices qui n'astreignent que le corps, le mariage est, pour lui, chose
préférable, car, se procurer un gagne-pain licite, veiller sur les siens,
s'efforcer d'obtenir une postérité, supporter le (mauvais) caractère des
femmes, tout cela constitue autant d'exercices pieux, dont le mérite ne le cède
en rien aux pratiques surérogatoires de la dévotion. b) Si, au contraire, sa
dévotion consiste à s'adonner à la science (religieuse), à méditer et à avoir
une vie intérieure intense et que le souci du gagne-pain doive le troubler dans
tout cela, l'abstention du mariage pour lui est préférable ».
Si on me demande, maintenant : « Pourquoi donc Jésus (à
lui le salut !) s'abstint-il du mariage malgré les mérites de celui-ci et, si
se vouer entièrement au service de Dieu est ce qu'il y a de plus méritoire,
pourquoi donc notre Envoyé (à lui bénédiction et salut l) multiplia-t-il le
nombre de ses épouses ? ». Je réponds « C'est l'union de ceci et de cela qui
est la chose la plus méritoire chez celui qui en est capable, dont les forces
le lui permettent et dont les desseins sont assez élevés, en sorte qu'aucune
préoccupation ne le détourne de Dieu. Or notre Envoyé (à lui le salut !) avait
cette puissance et sut, au mariage, unir les mérites d'une vie entièrement
consacrée à Dieu. De la sorte, malgré ses neuf femmes, il put se vouer
totalement à Dieu. Pour lui, la satisfaction des besoins sexuels ne fut pas un
empêchement. De même, ceux qui sont absorbés par les affaires de ce bas-monde
ne sont pas gênés, dans leurs affaires, par l'accomplissement de leurs besoins
naturels : extérieurement, ils font ce qu'il faut pour cela, mais leurs cœurs
sont tout occupés par leurs soucis et n'oublient pas leurs affaires
importantes. Or, l'Envoyé de Dieu se trouvait placé à un si haut degré que les
choses de ce monde n'empêchaient point son cœur d'être sans cesse en présence
de Dieu la Révélation descendait sur lui alors qu'il se trouvait dans le lit de
sa femme (‘A'ïcha). A quelle époque un rang si haut fut-il conféré à un autre
que lui ? Rien d'étonnant à ce que ce qui trouble les ruisseaux ne puisse
troubler la mer immense. Il ne convient donc pas de mesurer les autres à
l'échelle du Prophète ».
« En ce qui concerne maintenant Jésus (à lui le salut
!), il eut bien une résolution ferme, mais non de la force et il se garda (de
se marier). Peut-être son état était-il tel qu'il eût été gravement compromis
par les soucis causés par une famille, ou qu'il n'aurait pu se procurer
licitement un gagne-pain, ou encore, qu'il ne lui eût point été permis de
concilier l'état conjugal avec le dévouement total à Dieu. Il préféra donc se
consacrer exclusivement à Dieu ». Ils (les Prophètes) savent mieux que personne
les raisons profondes de leurs états et les règles applicables, à leurs époques
respectives, touchant la façon convenable de gagner sa vie, ainsi que le
caractère des femmes, les dangers qui menacent l'époux dans le mariage et les
avantages qu'il en peut espérer. Si diversifiées que soient les situations, en
sorte que tantôt le mariage et tantôt le célibat est à préférer, il est de
notre devoir de tenir pour certain que les actes des prophètes correspondent,
dans chaque situation, à ce qu'il y a de meilleur. Et Dieu est plus savant.
Abû Hamîd al-Ghazâlî, Extrait de de l’Ihyâ’ ‘ulûm
ad-dîn (Vivification des sciences de la religion), traduit par L. Bercher et
G.H. Bousquet, Le Livre des bons usages en matière de mariage, Edité par A. Maisonneuve et J. Thornton and
Son, 1953 p.44-49].
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