mercredi 11 septembre 2013

Cheikh Salâma Râdi - Aperçus biographiques- Règles « canoniques » de son ordre. Son lien avec René Guénon - IV - Les règles de la tarîqa Hâmidiyya : le Qânûn



 
 
 
IV - Les règles de la tarîqa Hâmidiyya : le Qânûn
 

 Muhammed hassan Chadli
 

Dans l’ouvrage qu’il publie en 1926 : Qânûn, le Cheikh Salâma montre la parfaite régularité et orthodoxie de la tarîqa Hâmidiyya qui est alors à nouveau reconnue officiellement . Dans cet Ordre soufi, organisation hiérarchisée et fraternitaire, les caractères juridiques et administratifs sont aussi particulièrement notables, nombre d’articles du Qânûn se conformant nécessairement aux « Règlements » de 1905, quand ils ne les reprennent pas . Et « il n’est peut-être pas sans intérêt de remarquer que, en arabe, le mot qânûn, dérivé du grec, est employé pour désigner toute loi adoptée pour des raisons purement contingentes et ne faisant pas partie intégrante de la Sharî ‘a ou de la législation traditionnelle » 90 .

Il est significatif que le premier article mentionne expressément que « le but des membres de la tarîqa est d’accéder à la Connaissance d’Allâh (Ma’rifatu-Llâhi), d’obtenir Son agrément, d’accomplir les devoirs d’humble adoration et de rendre à Dieu Ses droits » 91 . C’est bien la Connaissance initiatique et métaphysique suprême qui est ici privilégiée, celle-ci s’inscrivant d’ailleurs dans le pur respect de la Loi islamique « fondée sur le Coran et la Tradition prophétique (Sunna), exempte de toute hérésie coupable » (1ère section, art. 2) . L’article suivant est le premier de plusieurs principes spécifiques  de la tarîqa : il affirme la nécessité de «  la guerre sainte des âmes » . Nous retrouvons la « grande guerre sainte », dont nous avons précédemment parlé, l’homme devant « tendre avant tout et constamment à réaliser l’unité en lui-même, dans tout ce qui le constitue, selon toutes les modalités de sa manifestation humaine : unité de la pensée, unité de l’action, et aussi, ce qui est peut-être le plus difficile, unité entre la pensée et l’action » 92 . Les articles suivants concernent l’humilité, la rémission à la Volonté divine, la pratique du souvenir (dhikr) d’Allâh, en toute occasion, « qui est la nourriture des cœurs », la récitation du Coran, et la connaissance de la Loi sacrée (art. 4-9) . Puis viennent les dispositions relatives aux aspects fraternitaires des membres de la tarîqa : relations d’amitié sincère, impliquant l’amour du prochain, le fait de se rendre réciproquement visite, d’aider les pauvres, dans la mesure du possible, aussi bien matériellement que spirituellement (art. 11-16) . D’autres prescriptions concernent le respect des convenances (adab), celles-ci devant prévaloir dans toute organisation initiatique authentique, et s’étendre à l’extérieur dans les relations sociales avec tous les hommes : « chacun doit être miséricordieux envers son frère . Aussi ne doit-il pas se disputer avec lui, ni se quereller avec lui, ni l’insulter, ni médire dans son dos, ni l’envier, ni le traiter de menteur, ni lui causer du tort (ou : Salir sa réputation) » (art. 19) . Dans une autre section, il sera précisé qu’on doit aussi éviter « d’appeler son frère menteur, même indirectement (art .204),

Et s’abstenir de parler de quelqu’un qui est absent (art. 213) .

Ces préceptes de morale traditionnelle s’inscrivent également dans la conception de la « grande guerre sainte », puisque, selon le Cheikh Salâma, leur respect « est une aide pour l’homme contre son ego (nafs) et contre son satan (shaytan) 93, et non une aide pour ces derniers contre lui » (art. 19, fin) ; leur réalisation initiatique est, selon un hadîth, « la caractérisation par les Caractères d’Allâh » (takhallaqû bi—Akhlâq Allâh) .

Les prérogatives de la Loi sont rappelées dans plusieurs articles qui contiennent aussi des critiques des doctrines non-orthodoxes et des pratiques blâmables . Ainsi est-il demandé « aux membres de notre tarîqa de ne parler de la vérité qu’en s’appuyant, dans les pensées, sur le Livre et la Sunna » (art. 24) .

Le panthéisme, le fait de délaisser les commandements divins parce qu’on a atteint tel degré de réalisation, s’adonner à la magie, sont condamnés (art. 25-27) . Après avoir mentionné l’interdiction d’adhérer au panthéisme (ittihâdiyya) 94, il est précisé immédiatement qu'il  s’agit de « l’idendité du monde avec Allâh », quel que soit l’aspect (jiha) sous lequel on l’exprime . Il est défendu, de même, d’affirmer « qu’al-Haqq, le Dieu-Vrai, est identique à la création, ou de dire ce que Hallâj a dit » . Le panthéisme est faux, puisqu’en affirmant cette identité, il nie l’irréprocité de relation entre Allâh et Sa manifestation 95 .

Quant à Hallâj (vers 857-922), qui est ici nommé, il a été condamné pour avoir dit publiquement : « Anâ al-Haqq, Je suis le Dieu-Vrai », ou : « Je « [est] » le Dieu-Vrai » .

De même, certains usages du Soufisme sont-ils défendus lors des réunions rituelles ou des processions, comme l’utilisation d’instruments de musique, le fait de manger des insectes, des braises ou du verre . Il est aussi illicite d’utiliser des instruments (dabbûs ou sîkh) avec lesquels on se flagelle au sang, ou de pratiquer le dûsa (ou doseh) 96 : pour dispenser sa baraka, le Cheikh avance à cheval sur les corps de ses disciples étendus par terre (art. 37-41) 97 .

La fréquentation et l’imitation des « ravis » (majâdhîb ; sing. : majdhûb) sont défendues (art. 31) . René guénon a parlé de ces cas initiatiques sur lesquels s’est exercée « du côté spirituel, une attraction (jadhb,  d’où le nom de majdhûb, qui, faute d’une préparation adéquate et d’une attitude suffisamment active, a provoqué un déséquilibre et comme une scission, pourrait-on dire, entre les différents éléments de son être »98 . Plus loin, il distinguait les véritables majâdhîb de leurs simulateurs vulgaires qui mènent « une existence en quelque sorte parasitaires [et] n’ont pas le moindre intérêt » ; il ajoutait encore que même un saint authentique (walî), pour des raisons diverses, « peut aussi revêtir parfois l’apparence d’un majdhûb » . Un vrai majdhûb est un pneumatique, un pur spirituel « qui est arrivé à l’identification de soi-même avec l’Esprit universel » 99, directement, sans avoir parcouru les étapes de la Voie initiatique, son attraction (jadhb) étant  alors comparable à une véritable intégration 100 .

Il s’agit donc d’une question complexe, et les brèves précisions fournies par Guénon permettent de comprendre la mise en garde du Cheikh Salâma envers ses disciples .

Selon l’article 28, « il ne faut pas que le Cheikh ait la maîtrise des capitaux de son disciple, au point de lui ordonner de vendre ce qu’il possède, puis de récupérer le montant de la vente, comme certains, dénués de tout moralité l’ont fait » . Ce type de pratiques scandaleuses se rencontre habituellement dans les sectes, dont les chefs cupides spolient sans scrupules leurs « disciples », s’appropriant indûment leurs biens et argent . Sous ce rapport, il s’agit de véritables dérives sectaires au sein d’organisations initiatiques . Ce qui est ici dénoncé par le Cheikh Salâma relève aussi de la malversation pure et simple et de l’abus de pouvoir : n’est-il pas facile à certains responsables indignes de turuq de rappeler au disciple que celui-ci est entre les mains de son Cheikh « comme le cadavre entre les mains de (son) laveur » ? 101

Thierry Zarcone a suggéré qu’ ‘Abd al-Halîm Mahmûd fut sans doute influent sur la rédaction de la loi de 1976 régissant les confréries égyptiennes 102, ce qui est effectivement plus que probable . Il ne serait pas difficile de montrer que nombre d’articles du Qânûn, écrits par le Cheikh Salâma Râdî cinquante ans plus tôt, ont inspiré, ou ont été repris, dans l’esprit, si ce n’est dans la lettre, dans cette même loi . Cet article 28 est caractéristique à cet égard : la loi de 1976 précise désormais qu’un Cheikh n’est pas habilité à solliciter de ses disciples, ou des responsables de la tarîqa, « un partage des bénéfices, des prêts, ou un appointement régulier sous quelque nom qu’ils soient présentés »  . Il lui est seulement « permis d’accepter les dons offerts à la tarîqa de façon volontaire et sincère », le Maître des Maîtres des confréries devant être informé de ces dons (art. 35 et 54) . Il ne saurait donc y avoir désormais d’économie « parallèle » ou « souterraine », ni d’enrichissement « personnel », d’autant plus que chaque membre de tarîqa doit s’acquitter de cotisations mensuelles ou annuelles (art. 50 et 51) .

Venons-en maintenant aux relations entre le Maître authentique et le disciple : « le disciple ne doit pas disputer avec le Cheikh, ni lui réclamer de justification concernant ce qu’il lui ordonne ou lui fait faire, car les Maîtres sont les gens de confiance d’Allâh » . « Quiconque s’oppose à son Cheikh a rompu le pacte initiatique (‘ahd) et ses liens avec le Cheikh, même s’il reste aux côtés de celui-ci ; la porte de l’influx de grâce (madad) lui est close » . « Chaque disciple considère le Cheikh à la mesure de sa propre estimation (ou : selon ses propres capacités) » (art. 44-46) . La question des rapports du disciple avec un autre Cheikh que le sien est évoquée : pour le Cheikh Salâma, si « la visite des tombeaux des saints est permise, celle des Maîtres vivants ne l’est pas ; cependant, celui qui n’a aucun doute envers le Cheikh [Salâma] et sa tarîqa est autorisé à les visiter » (art. 42) . Dans la dernière partie, cette autorisation est confirmée d’une façon générale (art. 323) : elle reste toutefois subordonnée, semble-t-il, à la clause qui vient d’être mentionnée .

La seconde section concerne ceux qui ont été chargés par le Cheikh d’une fonction à l’intérieur de la tarîqa : remplaçant (wakîl), lieutenant (khalîfa), principal (naqîb), député (nâ’ib), chanteur (munshid), ces fonctions étant hiérarchisées entre elles, et chacune d’elle comprenant des degrés . Nous ne parlerons que des chanteurs, puisque le cadre général dans lequel s’exercent les autres fonctions est celui des « Règlements » de 1905 . Les chanteurs doivent connaître parfaitement les poèmes (qasâ’id ; sing, : qasîda) des Maîtres de la tarîqa, veillant à respecter leur métrique, tonalité, etc . (art. 98-100) . Ils doivent aussi connaître par cœur au moins un dixième du Coran, afin d’être à même de pouvoir le psalmodier en fin de réunion, si le Cheikh le demande (art. 112) . Les poèmes chantés pendant le dhikr doivent s’accorder avec les phases techniques de celui-ci et ne pas perturber ceux qui s’y adonnent (art. 117) .

Cette section contient aussi des prescriptions destinées aux membres de la tarîqa, les pauvres (fuqarâ’) en Allâh, notamment à propos des convenances à respecter lors des repas pris en commun (art. 154-167) .

La troisième section a pour objet la réunion rituelle (hadra) .

Celle-ci se déroule en cercles concentriques, ou bien en constituant un seul cercle à l’intérieur duquel les fuqarâ’ forment des rangées disposées de manière spéciale . En cas de besoin, ces derniers peuvent aussi se disposer en rangées, sans réaliser de cercle (art. 179) . La réunion débute, lorsque chacun est assis comme on le fait dans la prière, par des oraisons de la Shâdhiliyya ou de la tarîqa Hâmidiyya (art. 180), ou par la récitation d’une partie du Coran selon ‘Amirî 103 . Puis l’incantation initiatique (dhikr) en commun débute par la formule : Lâ ilâha illâ Allâh, « Nul dieu sauf Allâh » 104 . Après une période dont la durée est décidée par le Cheikh, ou par l’un des khulafâ’, chacun se lève en répétant vigoureusement : Allâh . Le Nom de Majesté sera repris, de moins en moins fort, jusqu’à être murmuré en commun . L’invocation est faite simultanément par tous les cercles ou rangs, et non pas alternativement ; les présents se tiennent par la main, constituant ainsi une « chaîne » . Le dhikr se poursuit par Huwa (Lui), puis par Al-Hayy (Le Vivant), Al-Qayyûm (Celui qui subsiste par Soi), et le Nom Allâh est à nouveau repris en chœur . Pendant les incantations, le Cheikh et certains de ses délégués veillent à ce que les frères conservent la « maîtrise d’eux-mêmes », pressant doucement sur le bras en cas de besoin, ce qui ramène le faqîr à la concentration, et doit l’aider à dominer son état spirituel (hâl) 105 .

Le dhikr terminé, chacun s’assoit, et on lit une partie du Coran, scellée par trois Lâ ilâha illâ Allâh, et par la formule Muhammad Rasûl Allâh (une fois) .

Dans l’enseignement du Cheikh Salâma, la pratique du dhikr se fonde sur les Ordres divins suivants : « Invoquez Allâh par une invocation fréquente, Dhkurû-Llâha dhikran kathîran » (Coran, 33,41), et : « Invoquez Allâh fréquemment afin que vous réussissiez, Dhkurû-Llâha  kathîran la’allakum tuflihûna » (Coran, 8, 45) . Ainsi, se livrer à l’incantation, c’est obéir à Allâh . D’autre part, il faut remarquer que la formule récitée tout d’abord, Lâ ilâha illâ Allâh, est coranique (37, 35 ; 47, 19), comme le sont les Noms divins repris lors du dhikr, debout . Ils sont mentionnés ensemble dans le célèbre « verset de l’Escabeau » (âyatu-l-Kursî, 2, 255), « le Seigneur du Coran, Sayyidu-l-Qur’ân » selon le hadîth 106, verset qui commence ainsi : « Allâhu lâ ilâha illâ Huwa-l-Hayyu-l-Qayyûmu, Allâh, nul dieu sauf Lui, le Vivant, le Subsistant » 107 . Enfin, les Noms retenus par le Cheikh Salâma pour le dhikr doivent favoriser la concentration, puisqu’ils se rapportent au caractère absolu d’Allâh, à Sa Transcendance et à Son Eternité, et sont sans « relation » à l’invocateur 108 . Le fait que, durant une partie du dhikr Allâh et du dhikr Al-Hayy, des qasâ’id sont chantées en l’honneur de Sayyidnâ Hussein, le petit-fils du Prophète enterré au Caire, et du Cheikh Salâma : « Yâ’ Sidnâ Hussein, yâ’Sidî Salâma, Ô notre Seigneur Hussein, ô Seigneur Salâma ! », sollicitant leur assistance et grâce, n’infirme pas ce qui vient d’être dit . En effet, cette demande d’aide est un « chant scandé » psalmodié par le chef des chanteurs et par quelques frères s’accordant « en contrepoint » au dhikr auquel l’ensemble des membres de la tarîqa continue à s’adonner « harmoniquement » 109, dans une combinaison unitive d’un seul et même rite . Tout en dominant apparemment, l’appel à la grâce du saint fondateur de la tarîqa et de Sayyidnâ Hussein, son glorieux ancêtre, ne saurait cependant « ombrager », d’une façon ou d’une autre, la Transcendance d’Allâh « visée » par ceux qui s’adonnent au dhikr .

La réunion se poursuit par des poèmes chantés , par un enseignement propre à la tarîqa, par diverses eulogies, dont plusieurs sont répétées un certain nombre de fois, et elle s’achève par trois : Lâ ilâha illâ Allâh, et Muhammad Rasûl Allâh (une fois) . Chacun se lève, salue son frère en Allâh et l’embrasse (art. 180), ou les frères s’embrassent mutuellement la main droite 110 . Divers conseils ou interdictions relatifs au dhikr en commun sont donnés dans les articles suivants (181-200) .

La quatrième section est celle des consultations doctrinales (mudhâkarât) . Celui qui a en charge cette forme d’enseignement soumet à la discussion un verset coranique, une tradition prophétique (hadîth) ou une « sagesse » (hikma) d’un Maître du Soufisme ; il apporte lui-même ses propres connaissances en ces domaines du savoir traditionnel, ce qui lui permet de prodiguer aux frères ses conseils et sa guidance . Chacun est autorisé à prendre la parole, dans le respect des convenances fraternitaires : il ne doit y avoir aucune discorde entre les frères, les interventions ayant lieu dans un climat de courtoisie, sans élévation de la voix . Lorsqu’une discussion porte sur des versets ou traditions, ceux-ci doivent être connus sans la moindre erreur . En cas de faute avérée, celle-ci sera relevée de façon allusive, et corrigée . Lors de ce type de réunion, le seul interlocuteur des frères reste toujours l’ « animateur » de la séance . Certaines questions ne peuvent être abordées qu’en présence du Cheikh (art. 201-214) .

La section suivante concerne les jugements et sanctions qui s’imposent après une faute : le principe de l’équité prévaut, puisqu’il favorise la réforme du comportement et le rapprochement auprès d’Allâh . On privilégie aussi la miséricorde et la bienveillance, ainsi que les rectifications faites verbalement plutôt que les jugements consignés dans un registre (art. 215-219) .

Nous parvenons à la sixième partie relative aux oraisons (awrâd) . Il s’agit d’ailleurs non seulement des oraisons, mais aussi des diverses pratiques rituelles, imposées ou conseillées, propres à la tarîqa Hâmidiyya . Les oraisons, qui doivent être récitées matin et soir, seront traduites un peu plus loin . Comme le dhikr « personnel », ces oraisons ont été données par le  Cheikh, ou par l’un de ses représentants, lors du rattachement initiatique . René Guénon enseigne à ce sujet que « l’initiation proprement dite est essentiellement constituée par la ransmission régulière de certaines formules, […comme] celle du wird dans les turuq islamiques ; il y existe aussi toute une « technique » de l’invocation comme moyen propre du travail intérieur » 111, et il se référait alors en note au dhikr . C’est effectivement pendant l’initiation que le dhikr « personnel » est prononcé, dans cette tarîqa, trois fois par le transmetteur, et répété trois fois par le récipiendaire : Lâ ilâha illâ Allâh, « Nul dieu sauf Allâh » . D’une façon générale, il est permis de la répéter, matin et soir, entre cent et mille fois (art. 224), le Cheikh fixant pour chaque disciple le nombre de répétitions de cette formule quand elle dépasse le millier . De plus, si le Cheikh distingue certaines dispositions chez l’un de ses disciples, « il lui transmettra un dhikr spécial, approprié pour lui » : il récitera ainsi tel Nom divin, tant de fois (art. 246) .

Il est demandé aussi de réciter quotidiennement certaines oraisons ou litanies (ahzâb) dont Al-Jawhara, Le Joyau, La Gemme, de la Hâmidiyya, les autres, remontant au Cheikh Abû-l-Hasan ash-Shâdhilî ou à ses successeurs, étant laissées à l’appréciation de chacun . Il est recommandé de lire le Coran, plus spécialement certaines sourates 112, et réciter la prière shâdhilite sur le Prophète An-Nûr adh-dhâtî, La lumière essentielle (art. 226-244) . Enfin, une autre pratique de la Voie est mentionnée : il s’agit de la retraite cellulaire (khalwa ; art. 249) . Compte tenu de ses « épreuves » et « dangers » - contacts avec certains aspects « ténébreux » ou « lumineux » -, il ne faut surtout pas s’en remettre entre les mains de quiconque n’a pas les qualifications requises . La retraite cellulaire ne peut s’effectuer que sous la guidance d’un Cheikh possédant « à la fois la science médicale des docteurs, les compétences religieuses des prophètes et celles des rois en politique » . Ces trois domaines correspondent respectivement au sacerdoce, à la prophétie et au pouvoir temporel .

Leur mention ici est une véritable indication subtile (ishâra) suggérant l’excellence des connaissances du Cheikh Salâma, et la condition éminente de sa fonction .

Les deux sections suivantes  se rapportent aux processions et aux emblèmes de la tarîqa . C’est le khalîfa nommé le plus récemment qui défile en tête, suivi de ceux soumis à son autorité, puis des autres khulafâ’ et de ceux dont les fonctions sont moins importantes (art. 252) . « Défiler à cheval lors d’une procession de notre tarîqa est absolument interdit » (art. 255) . Chaque membre de la tarîqa porte un vêtement blanc, une bande verte en travers de la poitrine sur laquelle est écrit en blanc ou jaune, la Shahâda en caractères verts ; en dessous, en lettres plus petites : Madad yâ’ Abû-l-Hasan, Assistance gracieuse, ô Abû-l-Hasan [ash-Shâdhilî], inscription suivie du nom de la tarîqa (art. 261-262) .

La section suivante concerne les jugements internes de la tarîqa : c’est une explicitation détaillée de certains articles des « Règlements internes des Ordres soufis » de 1905 dont nous avons parlé . La dernière section a pour titre : les règles générales de la tarîqa . Là encore, tout s’accorde avec les « Règlements » .

Nous avons vu, par exemple qu’au décès d’un Cheikh, c’est son fils aîné qui lui succède 113 . On ne trouve toutefois aucune indication pour les autres fonctions . Dans le Qânûn, il est stipulé qu’elles ne sont pas héréditaires (art. 300-303) . L’avant-dernier article se rapporte au pacte initiatique (‘ahd) ; nous y reviendrons tout à l’heure . Le dernier précise qu’en cas de doute au sujet de la compréhension d’un article du Qânûn, ou si l’on a besoin d’explications sur sa signification, il faut s’adresser au siège du Cheikh (sajjâda), ce qui pourra donner lieu à un supplément au Qânûn .

Ainsi, alors que l’article initial mentionne expressément que « le but des membres de la tarîqa est d’accéder à la Connaissance d’Allâh (Ma’rifatu-Llâhi) » ce recueil de lois s’achève par la description précise des moyens initiatiques retenus pour y parvenir, à commencer par le premier d’entre eux, le rattachement initiatique .
 
 
 
 
90. René Guénon, Aperçus sur l’ésotérisme chrétien, chap. 2 . En grec, le terme kanôn désigne une baguette ou canne droite, une corde ocrée utilisée par les maçons ou charpentiers, une règle ou norme, un critère ou étalon (d’où l’idée de « modèle proportionné ») .
91. Rappelons qu’un article des « Règlements » de 1905 stipule qu’ « il ne  saurait y avoir d’autre but dans le Tasawwuf que celui de la connaissance de la Loi et sa réalisation » (5e section, 1er art.) .
92. René Guénon, Le symbolisme de la Croix, chap. 8 .
93 . Coomaraswamy  rappelait « qu’une mise en étroit parallèle de l’âme avec Satan a été souvent faite », Rûmi enseignant leur « idendité » : « l’âme et Satan sont tous deux un seul être » (« Qui est  Satan  et où est l’ Enfer ? », dans La signification de la mort, pp. 83 et 87, Archè, Milan, 2001) . Les pensées psychiques (khawâtir nafsiyya) sont causes d’illusion, l’âme (nafs) étant le domaine propre de l’action de Shaytân .
94. A cette époque, deux branches de la Shâdhiliyya avaient été condamnées pour ce motif .
95. Ce n’est d’ailleurs qu’en déformant la doctrine purement métaphysique de l’Idendité suprême, de la Wahdatu-L-Wujûd, que certains théologiens musulmans ont pu porter contre cette doctrine leurs accusations de « panthéisme » . L’enseignement d’Ibn ‘Arabî, malgré ce type d’attaque, « continue à dominer le courant central de la mystique musulmane en Egypte et ailleurs », selon F. De Jong (art. cit., p. 210) .
96. Rendu célèbre par une gravure placée au début du livre de E. W. Lane : An account of the manners and customs of the modern egyptians, London, 1890 . L’auteur avait assisté à cette cérémonie lors de son séjour en Egypte (1833-1835), et il la décrit au chap. 24 .
97. Dès 1881, le khédive avait prohibé de telles pratiques, mais il faut croire que leur interdiction n’avait pas été respectée, puisque le Cheikh Salâma les mentionne encore en 1926 .
98 Initiation et réalisation spirituelle, chap. 27 .
99. Palingénius, « Le Démiurge », La Gnose, janvier 1910, repris dans Mélanges, p. 20 . Comme exemple connu d’authentique majdhûb, on pourrait citer l’Emir ‘Abd el-Kader (cf. dans les Ecrits spirituels, trad. Michel Chodkiewicz, pp. 24-25, Le Seuil, Paris, 1982) .
100. Sur le caractère synthétique de l’intégration comme symbole de la réalisation métaphysique, cf. Les principes du calcul infinitésimal, chap. 22 .
101. Sentence attribuée à Tustarî (décédé en 896) . Ce n’est qu’au Shaykh Murshid, Guide spirituel, au Shaykh Tarbiyya, Educateur spirituel, au vrai Murabbî, Instructeur spirituel, que le disciple doit s’en remettre totalement .
102. Art. cit. dans L’Ermite de Duqqi, p. 284 .
103. Sîra al-Hâmidiyya, p. 84 .
104. Ce dhikr est appelé Tahlîl, terme qui signifie « prononcer la formule Lâ ilâha illâ Allah » ; on l’effectue en « élevant la voix » (ihlâl ; cf. Charles-André Gilis, Le Coran et la fonction d’Hermès, p. 25, Editions de l’ OEuvre, Paris, 1984) . Lorsque le nombre des présents est inférieur à sept pour faire le dhikr en commun, on se limite à cette première partie, en restant assis .
105. René Guénon a rappelé qu’il est « prescrit de maintenir toujours une attitude active à l’égard des états spirituels transitoires qui peuvent être atteints dans les premiers stades de la « réalisation », afin d’éviter par là tout danger d’ « autosuggestion », et il notait alors : « C’est ce qu’un Sheikh exprimait un jour par ces mots : « Il faut que l’homme domine le hâl (état spirituel non encore stabilisé), et non pas que le hâl domine l’homme » (Lâzim al-insân yarkab al-hâl, wa laysa al-hâl yarkab al-insân) » (Aperçus sur l’initiation, chap. 35)  .
106. Il est aussi appelé : le Seigneur des versets du Coran, Sayyid âyi-l-Qur’ân » .
107. Cette phrase est aussi le second verset de la troisième sourate . Dans l’hindouisme, Swayambhû a la même signification que le Nom Al-Qayyûm, « Celui qui subsiste par Soi-même » (cf. René Guénon, Le Roi du Monde, chap. 4, et L’Homme et son devenir, chap. 16) .
108. Cf. ‘Amirî, op. cit., p. 102 .
109. Le contrepoint n’est qu’un motif secondaire . En musique, c’est la combinaison des notes qui se succèdent suivant un dessin horizontal, alors que l’harmonie combine des notes disposées verticalement .
110. Le Cheikh Salâma participait lui-même à cette dernière forme de salutation, transmettant ainsi sa baraka ; en revanche, son successeur, son fils Ibrâhîm, s’en abstenait . Michael Gilsenan explique cette différence par le fait que le fils possédait à un moindre degré la baraka transmise par son père, et qu’il lui fallait asseoir son autorité en marquant quelque distance vis-à-vis de ses disciples (op. cit., pp. 77-78) .
111. Aperçus sur l’ésotérisme chrétien, chap. 2.
112. Yâ Sîn (36e), Le Règne (67e), L’Evénement (56e) .
113. « Règlements » de 1905, 2e section, art. 6 .
 
 

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