IV - Les règles de
la tarîqa Hâmidiyya : le Qânûn
Dans l’ouvrage qu’il publie en
1926 : Qânûn, le Cheikh Salâma
montre la parfaite régularité et orthodoxie de la tarîqa Hâmidiyya qui est
alors à nouveau reconnue officiellement . Dans cet Ordre soufi, organisation
hiérarchisée et fraternitaire, les caractères juridiques et administratifs sont
aussi particulièrement notables, nombre d’articles du Qânûn se conformant
nécessairement aux « Règlements » de 1905, quand ils ne les
reprennent pas . Et « il n’est peut-être pas sans intérêt de remarquer
que, en arabe, le mot qânûn, dérivé du grec, est employé pour désigner toute
loi adoptée pour des raisons purement contingentes et ne faisant pas partie
intégrante de la Sharî ‘a ou de la législation traditionnelle » 90 .
Il est significatif que le premier
article mentionne expressément que « le but des membres de la tarîqa est
d’accéder à la Connaissance d’Allâh (Ma’rifatu-Llâhi), d’obtenir Son agrément,
d’accomplir les devoirs d’humble adoration et de rendre à Dieu Ses
droits » 91 . C’est bien la Connaissance initiatique et métaphysique
suprême qui est ici privilégiée, celle-ci s’inscrivant d’ailleurs dans le pur
respect de la Loi islamique « fondée sur le Coran et la Tradition
prophétique (Sunna), exempte de toute hérésie coupable » (1ère
section, art. 2) . L’article suivant est le premier de plusieurs principes
spécifiques de la tarîqa : il affirme
la nécessité de « la guerre sainte des âmes » . Nous retrouvons la
« grande guerre sainte », dont nous avons précédemment parlé, l’homme
devant « tendre avant tout et constamment à réaliser l’unité en lui-même,
dans tout ce qui le constitue, selon toutes les modalités de sa manifestation
humaine : unité de la pensée, unité de l’action, et aussi, ce qui est
peut-être le plus difficile, unité entre la pensée et l’action » 92 . Les
articles suivants concernent l’humilité, la rémission à la Volonté divine, la
pratique du souvenir (dhikr) d’Allâh, en toute occasion, « qui est la
nourriture des cœurs », la récitation du Coran, et la connaissance de la
Loi sacrée (art. 4-9) . Puis viennent les dispositions relatives aux aspects
fraternitaires des membres de la tarîqa : relations d’amitié sincère,
impliquant l’amour du prochain, le fait de se rendre réciproquement visite,
d’aider les pauvres, dans la mesure du possible, aussi bien matériellement que
spirituellement (art. 11-16) . D’autres prescriptions concernent le respect des
convenances (adab), celles-ci devant prévaloir dans toute organisation
initiatique authentique, et s’étendre à l’extérieur dans les relations sociales
avec tous les hommes : « chacun doit être miséricordieux envers son
frère . Aussi ne doit-il pas se disputer avec lui, ni se quereller avec lui, ni
l’insulter, ni médire dans son dos, ni l’envier, ni le traiter de menteur, ni
lui causer du tort (ou : Salir sa réputation) » (art. 19) . Dans une
autre section, il sera précisé qu’on doit aussi éviter « d’appeler son
frère menteur, même indirectement
(art .204),
Et s’abstenir de parler de quelqu’un
qui est absent (art. 213) .
Ces préceptes de morale traditionnelle
s’inscrivent également dans la conception de la « grande guerre
sainte », puisque, selon le Cheikh Salâma, leur respect « est une
aide pour l’homme contre son ego (nafs)
et contre son satan (shaytan) 93, et
non une aide pour ces derniers contre lui » (art. 19, fin) ; leur
réalisation initiatique est, selon un hadîth, « la caractérisation par les
Caractères d’Allâh » (takhallaqû
bi—Akhlâq Allâh) .
Les prérogatives de la Loi sont
rappelées dans plusieurs articles qui contiennent aussi des critiques des
doctrines non-orthodoxes et des pratiques blâmables . Ainsi est-il demandé
« aux membres de notre tarîqa de ne parler de la vérité qu’en s’appuyant,
dans les pensées, sur le Livre et la Sunna » (art. 24) .
Le panthéisme, le fait de délaisser les
commandements divins parce qu’on a atteint tel degré de réalisation, s’adonner
à la magie, sont condamnés (art. 25-27) . Après avoir mentionné l’interdiction
d’adhérer au panthéisme (ittihâdiyya)
94, il est précisé immédiatement qu'il
s’agit de « l’idendité du monde avec Allâh », quel que soit
l’aspect (jiha) sous lequel on
l’exprime . Il est défendu, de même, d’affirmer « qu’al-Haqq, le Dieu-Vrai, est identique à la création, ou de dire ce
que Hallâj a dit » . Le panthéisme est faux, puisqu’en affirmant cette
identité, il nie l’irréprocité de relation entre Allâh et Sa manifestation 95 .
Quant à Hallâj (vers 857-922), qui est
ici nommé, il a été condamné pour avoir dit publiquement : « Anâ al-Haqq, Je suis le
Dieu-Vrai », ou : « Je « [est] » le Dieu-Vrai » .
De même, certains usages du Soufisme
sont-ils défendus lors des réunions rituelles ou des processions, comme
l’utilisation d’instruments de musique, le fait de manger des insectes, des
braises ou du verre . Il est aussi illicite d’utiliser des instruments (dabbûs
ou sîkh) avec lesquels on se flagelle au sang, ou de pratiquer le dûsa (ou doseh) 96 : pour dispenser sa baraka, le Cheikh avance à cheval sur les corps de ses disciples
étendus par terre (art. 37-41) 97 .
La fréquentation et l’imitation des
« ravis » (majâdhîb ;
sing. : majdhûb) sont défendues
(art. 31) . René guénon a parlé de ces cas initiatiques sur lesquels s’est
exercée « du côté spirituel, une attraction
(jadhb, d’où le nom de majdhûb, qui, faute d’une préparation adéquate et d’une attitude
suffisamment active, a provoqué un
déséquilibre et comme une scission, pourrait-on
dire, entre les différents éléments de son être »98 . Plus loin, il distinguait
les véritables majâdhîb de leurs
simulateurs vulgaires qui mènent « une existence en quelque sorte parasitaires [et] n’ont pas le moindre
intérêt » ; il ajoutait encore que même un saint authentique (walî), pour des raisons diverses,
« peut aussi revêtir parfois l’apparence d’un majdhûb » . Un vrai
majdhûb est un pneumatique, un pur spirituel « qui
est arrivé à l’identification de soi-même avec l’Esprit universel » 99,
directement, sans avoir parcouru les étapes de la Voie initiatique, son attraction (jadhb) étant alors comparable à une véritable intégration 100 .
Il s’agit donc d’une question complexe,
et les brèves précisions fournies par Guénon permettent de comprendre la mise
en garde du Cheikh Salâma envers ses disciples .
Selon l’article 28, « il ne faut
pas que le Cheikh ait la maîtrise des capitaux de son disciple, au point de lui
ordonner de vendre ce qu’il possède, puis de récupérer le montant de la vente,
comme certains, dénués de tout moralité l’ont fait » . Ce type de
pratiques scandaleuses se rencontre habituellement dans les sectes, dont les
chefs cupides spolient sans scrupules leurs « disciples »,
s’appropriant indûment leurs biens et argent . Sous ce rapport, il s’agit de
véritables dérives sectaires au sein d’organisations initiatiques . Ce qui est
ici dénoncé par le Cheikh Salâma relève aussi de la malversation pure et simple
et de l’abus de pouvoir : n’est-il pas facile à certains responsables
indignes de turuq de rappeler au disciple que celui-ci est entre les mains de
son Cheikh « comme le cadavre entre les mains de (son) laveur » ?
101
Thierry Zarcone a suggéré qu’ ‘Abd
al-Halîm Mahmûd fut sans doute influent sur la rédaction de la loi de 1976
régissant les confréries égyptiennes 102, ce qui est effectivement plus que
probable . Il ne serait pas difficile de montrer que nombre d’articles du Qânûn,
écrits par le Cheikh Salâma Râdî cinquante ans plus tôt, ont inspiré, ou ont
été repris, dans l’esprit, si ce n’est dans la lettre, dans cette même loi .
Cet article 28 est caractéristique à cet égard : la loi de 1976 précise
désormais qu’un Cheikh n’est pas habilité à solliciter de ses disciples, ou des
responsables de la tarîqa, « un partage des bénéfices, des prêts, ou un
appointement régulier sous quelque nom qu’ils soient présentés » . Il lui est seulement « permis d’accepter
les dons offerts à la tarîqa de façon volontaire et sincère », le Maître des
Maîtres des confréries devant être informé de ces dons (art. 35 et 54) . Il ne
saurait donc y avoir désormais d’économie « parallèle » ou « souterraine », ni
d’enrichissement « personnel », d’autant plus que chaque membre de tarîqa doit
s’acquitter de cotisations mensuelles ou annuelles (art. 50 et 51) .
Venons-en maintenant aux relations
entre le Maître authentique et le disciple : « le disciple ne doit pas disputer
avec le Cheikh, ni lui réclamer de justification concernant ce qu’il lui
ordonne ou lui fait faire, car les Maîtres sont les gens de confiance d’Allâh »
. « Quiconque s’oppose à son Cheikh a rompu le pacte initiatique (‘ahd) et ses
liens avec le Cheikh, même s’il reste aux côtés de celui-ci ; la porte de
l’influx de grâce (madad) lui est close » . « Chaque disciple considère le
Cheikh à la mesure de sa propre estimation (ou : selon ses propres capacités) »
(art. 44-46) . La question des rapports du disciple avec un autre Cheikh que le
sien est évoquée : pour le Cheikh Salâma, si « la visite des tombeaux des
saints est permise, celle des Maîtres vivants ne l’est pas ; cependant, celui
qui n’a aucun doute envers le Cheikh [Salâma] et sa tarîqa est autorisé à les
visiter » (art. 42) . Dans la dernière partie, cette autorisation est confirmée
d’une façon générale (art. 323) : elle reste toutefois subordonnée,
semble-t-il, à la clause qui vient d’être mentionnée .
La seconde section concerne ceux qui
ont été chargés par le Cheikh d’une fonction à l’intérieur de la tarîqa :
remplaçant (wakîl), lieutenant (khalîfa), principal (naqîb), député (nâ’ib),
chanteur (munshid), ces fonctions étant hiérarchisées entre elles, et chacune
d’elle comprenant des degrés . Nous ne parlerons que des chanteurs, puisque le
cadre général dans lequel s’exercent les autres fonctions est celui des «
Règlements » de 1905 . Les chanteurs doivent connaître parfaitement les poèmes
(qasâ’id ; sing, : qasîda) des Maîtres de la tarîqa, veillant à respecter leur
métrique, tonalité, etc . (art. 98-100) . Ils doivent aussi connaître par cœur
au moins un dixième du Coran, afin d’être à même de pouvoir le psalmodier en
fin de réunion, si le Cheikh le demande (art. 112) . Les poèmes chantés pendant
le dhikr doivent s’accorder avec les phases techniques de celui-ci et ne pas
perturber ceux qui s’y adonnent (art. 117) .
Cette section contient aussi des
prescriptions destinées aux membres de la tarîqa, les pauvres (fuqarâ’) en
Allâh, notamment à propos des convenances à respecter lors des repas pris en
commun (art. 154-167) .
La troisième section a pour objet la
réunion rituelle (hadra) .
Celle-ci se déroule en cercles
concentriques, ou bien en constituant un seul cercle à l’intérieur duquel les
fuqarâ’ forment des rangées disposées de manière spéciale . En cas de besoin,
ces derniers peuvent aussi se disposer en rangées, sans réaliser de cercle
(art. 179) . La réunion débute, lorsque chacun est assis comme on le fait dans
la prière, par des oraisons de la Shâdhiliyya ou de la tarîqa Hâmidiyya (art.
180), ou par la récitation d’une partie du Coran selon ‘Amirî 103 . Puis
l’incantation initiatique (dhikr) en commun débute par la formule : Lâ ilâha
illâ Allâh, « Nul dieu sauf Allâh » 104 . Après une période dont la durée est
décidée par le Cheikh, ou par l’un des khulafâ’, chacun se lève en répétant
vigoureusement : Allâh . Le Nom de Majesté sera repris, de moins en moins fort,
jusqu’à être murmuré en commun . L’invocation est faite simultanément par tous
les cercles ou rangs, et non pas alternativement ; les présents se tiennent par
la main, constituant ainsi une « chaîne » . Le dhikr se poursuit par Huwa
(Lui), puis par Al-Hayy (Le Vivant), Al-Qayyûm (Celui qui subsiste par Soi), et
le Nom Allâh est à nouveau repris en chœur . Pendant les incantations, le
Cheikh et certains de ses délégués veillent à ce que les frères conservent la «
maîtrise d’eux-mêmes », pressant doucement sur le bras en cas de besoin, ce qui
ramène le faqîr à la concentration, et doit l’aider à dominer son état
spirituel (hâl) 105 .
Le dhikr terminé, chacun s’assoit, et
on lit une partie du Coran, scellée par trois Lâ ilâha illâ Allâh, et par la
formule Muhammad Rasûl Allâh (une fois) .
Dans l’enseignement du Cheikh Salâma,
la pratique du dhikr se fonde sur les Ordres divins suivants : « Invoquez Allâh
par une invocation fréquente, Dhkurû-Llâha dhikran kathîran » (Coran, 33,41),
et : « Invoquez Allâh fréquemment afin que vous réussissiez, Dhkurû-Llâha kathîran la’allakum tuflihûna » (Coran, 8,
45) . Ainsi, se livrer à l’incantation, c’est obéir à Allâh . D’autre part, il
faut remarquer que la formule récitée tout d’abord, Lâ ilâha illâ Allâh, est
coranique (37, 35 ; 47, 19), comme le sont les Noms divins repris lors du
dhikr, debout . Ils sont mentionnés ensemble dans le célèbre « verset de
l’Escabeau » (âyatu-l-Kursî, 2, 255), « le Seigneur du Coran, Sayyidu-l-Qur’ân
» selon le hadîth 106, verset qui commence ainsi : « Allâhu lâ ilâha illâ
Huwa-l-Hayyu-l-Qayyûmu, Allâh, nul dieu sauf Lui, le Vivant, le Subsistant »
107 . Enfin, les Noms retenus par le Cheikh Salâma pour le dhikr doivent favoriser
la concentration, puisqu’ils se rapportent au caractère absolu d’Allâh, à Sa
Transcendance et à Son Eternité, et sont sans « relation » à l’invocateur 108 .
Le fait que, durant une partie du dhikr Allâh et du dhikr Al-Hayy, des qasâ’id
sont chantées en l’honneur de Sayyidnâ Hussein, le petit-fils du Prophète
enterré au Caire, et du Cheikh Salâma : « Yâ’ Sidnâ Hussein, yâ’Sidî Salâma, Ô
notre Seigneur Hussein, ô Seigneur Salâma ! », sollicitant leur assistance et
grâce, n’infirme pas ce qui vient d’être dit . En effet, cette demande d’aide
est un « chant scandé » psalmodié par le chef des chanteurs et par quelques
frères s’accordant « en contrepoint » au dhikr auquel l’ensemble des membres de
la tarîqa continue à s’adonner « harmoniquement » 109, dans une combinaison
unitive d’un seul et même rite . Tout en dominant apparemment, l’appel à la
grâce du saint fondateur de la tarîqa et de Sayyidnâ Hussein, son glorieux
ancêtre, ne saurait cependant « ombrager », d’une façon ou d’une autre, la
Transcendance d’Allâh « visée » par ceux qui s’adonnent au dhikr .
La réunion se poursuit par des poèmes
chantés , par un enseignement propre à la tarîqa, par diverses eulogies, dont
plusieurs sont répétées un certain nombre de fois, et elle s’achève par trois :
Lâ ilâha illâ Allâh, et Muhammad Rasûl Allâh (une fois) . Chacun se lève, salue
son frère en Allâh et l’embrasse (art. 180), ou les frères s’embrassent
mutuellement la main droite 110 . Divers conseils ou interdictions relatifs au
dhikr en commun sont donnés dans les articles suivants (181-200) .
La quatrième section est celle des
consultations doctrinales (mudhâkarât) . Celui qui a en charge cette forme
d’enseignement soumet à la discussion un verset coranique, une tradition
prophétique (hadîth) ou une « sagesse » (hikma) d’un Maître du Soufisme ; il
apporte lui-même ses propres connaissances en ces domaines du savoir
traditionnel, ce qui lui permet de prodiguer aux frères ses conseils et sa guidance
. Chacun est autorisé à prendre la parole, dans le respect des convenances
fraternitaires : il ne doit y avoir aucune discorde entre les frères, les
interventions ayant lieu dans un climat de courtoisie, sans élévation de la
voix . Lorsqu’une discussion porte sur des versets ou traditions, ceux-ci
doivent être connus sans la moindre erreur . En cas de faute avérée, celle-ci
sera relevée de façon allusive, et corrigée . Lors de ce type de réunion, le
seul interlocuteur des frères reste toujours l’ « animateur » de
la séance . Certaines questions ne peuvent être abordées qu’en présence du
Cheikh (art. 201-214) .
La section suivante concerne les
jugements et sanctions qui s’imposent après une faute : le principe de
l’équité prévaut, puisqu’il favorise la réforme du comportement et le rapprochement
auprès d’Allâh . On privilégie aussi la miséricorde et la bienveillance, ainsi
que les rectifications faites verbalement plutôt que les jugements consignés
dans un registre (art. 215-219) .
Nous parvenons à la sixième partie
relative aux oraisons (awrâd) . Il
s’agit d’ailleurs non seulement des oraisons, mais aussi des diverses pratiques
rituelles, imposées ou conseillées, propres à la tarîqa Hâmidiyya . Les oraisons, qui doivent être récitées matin et
soir, seront traduites un peu plus loin . Comme le dhikr « personnel », ces oraisons ont été données par
le Cheikh, ou par l’un de ses
représentants, lors du rattachement initiatique . René Guénon enseigne à ce
sujet que « l’initiation proprement dite est essentiellement constituée
par la ransmission régulière de certaines formules, […comme] celle du wird dans les turuq islamiques ; il
y existe aussi toute une « technique » de l’invocation comme moyen
propre du travail intérieur » 111, et il se référait alors en note au dhikr . C’est effectivement pendant
l’initiation que le dhikr « personnel »
est prononcé, dans cette tarîqa, trois fois par le transmetteur, et répété
trois fois par le récipiendaire : Lâ
ilâha illâ Allâh, « Nul dieu sauf Allâh » . D’une façon générale,
il est permis de la répéter, matin et soir, entre cent et mille fois (art.
224), le Cheikh fixant pour chaque disciple le nombre de répétitions de cette
formule quand elle dépasse le millier . De plus, si le Cheikh distingue
certaines dispositions chez l’un de ses disciples, « il lui transmettra un
dhikr spécial, approprié pour lui » : il récitera ainsi tel Nom
divin, tant de fois (art. 246) .
Il est demandé aussi de réciter
quotidiennement certaines oraisons ou litanies (ahzâb) dont Al-Jawhara, Le
Joyau, La Gemme, de la Hâmidiyya,
les autres, remontant au Cheikh Abû-l-Hasan ash-Shâdhilî ou à ses successeurs,
étant laissées à l’appréciation de chacun . Il est recommandé de lire le Coran,
plus spécialement certaines sourates 112, et réciter la prière shâdhilite sur
le Prophète An-Nûr adh-dhâtî, La lumière
essentielle (art. 226-244) . Enfin, une autre pratique de la Voie est
mentionnée : il s’agit de la retraite cellulaire (khalwa ; art. 249) . Compte tenu de ses « épreuves »
et « dangers » - contacts avec certains aspects « ténébreux »
ou « lumineux » -, il ne faut surtout pas s’en remettre entre les
mains de quiconque n’a pas les qualifications requises . La retraite cellulaire
ne peut s’effectuer que sous la guidance d’un Cheikh possédant « à la fois
la science médicale des docteurs, les compétences religieuses des prophètes et
celles des rois en politique » . Ces trois domaines correspondent respectivement
au sacerdoce, à la prophétie et au pouvoir temporel .
Leur mention ici est une véritable indication
subtile (ishâra) suggérant
l’excellence des connaissances du Cheikh Salâma, et la condition éminente de sa
fonction .
Les deux sections suivantes se rapportent aux processions et aux emblèmes
de la tarîqa . C’est le khalîfa nommé
le plus récemment qui défile en tête, suivi de ceux soumis à son autorité, puis
des autres khulafâ’ et de ceux dont
les fonctions sont moins importantes (art. 252) . « Défiler à cheval lors
d’une procession de notre tarîqa est absolument interdit » (art. 255) .
Chaque membre de la tarîqa porte un vêtement blanc, une bande verte en travers
de la poitrine sur laquelle est écrit en blanc ou jaune, la Shahâda en caractères verts ; en
dessous, en lettres plus petites : Madad
yâ’ Abû-l-Hasan, Assistance gracieuse, ô Abû-l-Hasan [ash-Shâdhilî],
inscription suivie du nom de la tarîqa (art. 261-262) .
La section suivante concerne les
jugements internes de la tarîqa : c’est une explicitation détaillée de certains
articles des « Règlements internes des Ordres soufis » de 1905 dont nous avons
parlé . La dernière section a pour titre : les règles générales de la tarîqa .
Là encore, tout s’accorde avec les « Règlements » .
Nous avons vu, par exemple qu’au décès
d’un Cheikh, c’est son fils aîné qui lui succède 113 . On ne trouve toutefois
aucune indication pour les autres fonctions . Dans le Qânûn, il est stipulé
qu’elles ne sont pas héréditaires (art. 300-303) . L’avant-dernier article se
rapporte au pacte initiatique (‘ahd) ; nous y reviendrons tout à l’heure . Le
dernier précise qu’en cas de doute au sujet de la compréhension d’un article du
Qânûn, ou si l’on a besoin d’explications sur sa signification, il faut
s’adresser au siège du Cheikh (sajjâda), ce qui pourra donner lieu à un supplément
au Qânûn .
Ainsi, alors que l’article initial
mentionne expressément que « le but des membres de la tarîqa est d’accéder à la
Connaissance d’Allâh (Ma’rifatu-Llâhi) » ce recueil de lois s’achève par la description
précise des moyens initiatiques retenus pour y parvenir, à commencer par le
premier d’entre eux, le rattachement initiatique .
90. René Guénon, Aperçus sur l’ésotérisme chrétien, chap. 2 . En grec, le terme
kanôn désigne une baguette ou canne droite, une corde ocrée utilisée par les
maçons ou charpentiers, une règle ou norme, un critère ou étalon (d’où l’idée
de « modèle proportionné ») .
91. Rappelons qu’un article des
« Règlements » de 1905 stipule qu’ « il ne saurait y avoir d’autre but dans le Tasawwuf
que celui de la connaissance de la Loi et sa réalisation » (5e
section, 1er art.) .
92. René Guénon, Le symbolisme de la Croix, chap. 8 .
93 . Coomaraswamy rappelait « qu’une mise en étroit
parallèle de l’âme avec Satan a été souvent faite », Rûmi enseignant leur
« idendité » : « l’âme et Satan sont tous deux un seul être »
(« Qui est Satan et
où est l’ Enfer ? »,
dans La signification de la mort, pp.
83 et 87, Archè, Milan, 2001) . Les pensées psychiques (khawâtir nafsiyya) sont causes d’illusion, l’âme (nafs) étant le domaine propre de
l’action de Shaytân .
94. A cette époque, deux branches de la
Shâdhiliyya avaient été condamnées pour ce motif .
95. Ce n’est d’ailleurs qu’en déformant
la doctrine purement métaphysique de l’Idendité suprême, de la Wahdatu-L-Wujûd, que certains
théologiens musulmans ont pu porter contre cette doctrine leurs accusations de
« panthéisme » . L’enseignement d’Ibn ‘Arabî, malgré ce type
d’attaque, « continue à dominer le courant central de la mystique
musulmane en Egypte et ailleurs », selon F. De Jong (art. cit., p. 210) .
96. Rendu célèbre par une gravure
placée au début du livre de E. W. Lane : An account of the manners and customs of the modern egyptians,
London, 1890 . L’auteur avait assisté à cette cérémonie lors de son séjour en
Egypte (1833-1835), et il la décrit au chap. 24 .
97. Dès 1881, le khédive avait prohibé
de telles pratiques, mais il faut croire que leur interdiction n’avait pas été
respectée, puisque le Cheikh Salâma les mentionne encore en 1926 .
98 Initiation
et réalisation spirituelle, chap. 27 .
99. Palingénius, « Le
Démiurge », La Gnose, janvier 1910, repris dans Mélanges, p. 20 . Comme exemple connu d’authentique majdhûb, on pourrait citer l’Emir ‘Abd
el-Kader (cf. dans les Ecrits spirituels,
trad. Michel Chodkiewicz, pp. 24-25, Le Seuil, Paris, 1982) .
100. Sur le caractère synthétique de
l’intégration comme symbole de la réalisation métaphysique, cf. Les principes du calcul infinitésimal,
chap. 22 .
101. Sentence
attribuée à Tustarî (décédé en 896) . Ce n’est qu’au Shaykh Murshid, Guide
spirituel, au Shaykh Tarbiyya, Educateur spirituel, au vrai Murabbî,
Instructeur spirituel, que le disciple doit s’en remettre totalement .
102. Art. cit. dans
L’Ermite de Duqqi, p. 284 .
103. Sîra
al-Hâmidiyya, p. 84 .
104. Ce dhikr est
appelé Tahlîl, terme qui signifie « prononcer la formule Lâ ilâha illâ Allah »
; on l’effectue en « élevant la voix » (ihlâl ; cf. Charles-André Gilis, Le
Coran et la fonction d’Hermès, p. 25, Editions de l’ OEuvre, Paris, 1984) .
Lorsque le nombre des présents est inférieur à sept pour faire le dhikr en
commun, on se limite à cette première partie, en restant assis .
105. René Guénon a
rappelé qu’il est « prescrit de maintenir toujours une attitude active à
l’égard des états spirituels transitoires qui peuvent être atteints dans les
premiers stades de la « réalisation », afin d’éviter par là tout danger d’ «
autosuggestion », et il notait alors : « C’est ce qu’un Sheikh exprimait un
jour par ces mots : « Il faut que l’homme domine le hâl (état spirituel non
encore stabilisé), et non pas que le hâl domine l’homme » (Lâzim al-insân
yarkab al-hâl, wa laysa al-hâl yarkab al-insân) » (Aperçus sur l’initiation,
chap. 35) .
106. Il est aussi
appelé : le Seigneur des versets du Coran, Sayyid âyi-l-Qur’ân » .
107. Cette phrase est
aussi le second verset de la troisième sourate . Dans l’hindouisme, Swayambhû a
la même signification que le Nom Al-Qayyûm, « Celui qui subsiste par Soi-même »
(cf. René Guénon, Le Roi du Monde, chap. 4, et L’Homme et son devenir, chap.
16) .
108. Cf. ‘Amirî, op.
cit., p. 102 .
109. Le contrepoint
n’est qu’un motif secondaire . En musique, c’est la combinaison des notes qui
se succèdent suivant un dessin horizontal, alors que l’harmonie combine des
notes disposées verticalement .
110. Le Cheikh Salâma
participait lui-même à cette dernière forme de salutation, transmettant ainsi
sa baraka ; en revanche, son successeur, son fils Ibrâhîm, s’en abstenait .
Michael Gilsenan explique cette différence par le fait que le fils possédait à
un moindre degré la baraka transmise par son père, et qu’il lui fallait asseoir
son autorité en marquant quelque distance vis-à-vis de ses disciples (op. cit.,
pp. 77-78) .
111. Aperçus sur l’ésotérisme chrétien, chap.
2.
112. Yâ Sîn (36e), Le Règne (67e), L’Evénement (56e) .
113. « Règlements » de 1905, 2e section, art. 6 .
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