En
plus des exposés incomparables qu'il a écrits sur la doctrine métaphysique et
sur les principes de l'initiation,
cet esprit vraiment universel qu'était René Guénon nous a laissé des aperçus
extrêmement précieux
sur les sciences et les arts traditionnels, dont les sciences et les arts
modernes ne sont, disait-il, que des « résidus » privés de toute «
signification » un peu supérieure à la matérialité la plus immédiate.
Il
estimait, par exemple, que la géographie couramment étudiée et enseignée de nos
jours n'est que la dégradation d'une géographie sacrée dont il eut pourtant,
avant sa mort, l'occasion de voir les
prodromes
d'une sorte de renaissance (1). De même, la chimie et l'astronomie modernes
sont les vestiges dégénérés
d'une alchimie et d'une astrologie traditionnelles, qui n'ont d'ailleurs rien à
voir avec ce que
les occultistes et autres charlatans de nos jours désignent sous ces noms.
Quant à l'histoire, dont les Modernes
sont si fiers, Guénon pensait que ses « découvertes » sont d'autant plus
sujettes à caution qu'elles
ont trait à des époques plus reculées, la « solidification du monde » ayant
fait disparaître tout ce qui, à de telles
époques, avait pu dépasser le plan le plus matériel.
Pour lui, l'histoire « universelle » devait être
interprétée à la lumière de la doctrine des cycles. Quant à l'histoire, plus
limitée dans l'espace et dans le temps, du monde occidental, qui, durant les
deux derniers millénaires, se confond avec la chrétienté, il convient, pour
l'interpréter correctement, de tenir le plus grand compte du rôle qu'y a joué
le Saint-Empire, héritier de l'Empire romain et par là de celui d'Alexandre,
qui succédait lui-même aux empires orientaux dont il est question dans la
prophétie de Daniel.
L'histoire des deux derniers millénaires est donc dominée
par les vicissitudes des rapports de la Papauté avec le Saint-Empire, dont
Guénon a parlé abondamment dans Autorité
spirituelle et Pouvoir temporel. Mais à côté de ces relations, qui prirent
assez rapidement le caractère d'une lutte parfois violente, il y eut aussi, au
sein même du Christianisme, bien des démêlés entre la partie extérieure,
visible de tous, de cette tradition, et sa partie intérieure cachée aux regards
des profanes, et qui constitue l'ésotérisme chrétien.
Nous ne nous arrêterons guère aux objections faites par
beaucoup de chrétiens qui nient l'existence même de cet ésotérisme. Quand le
Christ remercie son Père d'« avoir caché certaines choses aux sages et aux
puissants, et de les avoir révélées aux petits », ces paroles peuvent très bien
s'entendre comme condamnant l'orgueilleuse sagesse « mondaine » et la puissance
uniquement matérielle, et comme exaltant au contraire la sagesse plus « sûre »
de ceux qui ont vocation à l'« état d'enfance ». Et certains commentateurs ont
rappelé à ce sujet l'histoire biblique de l'enfant Daniel, triomphant par
l'inspiration divine de l'expérience et de la fourberie des deux vieillards. Du
reste, il y a dans les Évangiles bien des épisodes témoignant, pour quiconque
est familier avec la science universelle du symbolisme, que certaines parties
de l'enseignement de Jésus n'ont pas été dispensées à tous. Guénon a parfois
signalé l'embarras que la seule évocation de ces passages causait à certains
exégètes « officiels ». Mais, répétons-le, l'inspirateur divin des Écritures ne
formule ses enseignements secrets que sous le voile du symbole; et Guénon
pouvait critiquer ceux qu'il voyait incapables de déchiffrer le moindre «
arcane », « y compris ceux que leurs propres Écritures proposent en foule aux
exotéristes exclusifs qui ont des yeux pour ne pas voir, des oreilles pour ne
pas entendre ».
Parmi les trois religions monothéistes ou « abrahamiques
» (Judaïsme, Christianisme et Islam), la première et la troisième possèdent un
enseignement ésotérique absolument admis et nullement persécuté : la Kabbale
pour la première, le soufisme pour la troisième. De plus, les initiés à de tels
ésotérismes doivent obligatoirement appartenir à l'exotérisme correspondant :
tout kabbaliste doit pratiquer la religion juive, tout soufi doit observer les
commandements de l'Islam.
Or, il est à remarquer que l'organisation initiatique
en laquelle semble bien s'être résorbée la quasi-totalité de l'enseignement
ésotérique du Christianisme, nous voulons dire la Franc-Maçonnerie, n'est pas
du tout liée à l'exotérisme chrétien. De plus, elle revendique pour son
héritage non seulement cet ésotérisme chrétien dont nous venons de parler, mais
aussi des «vestiges» d'anciennes traditions non chrétiennes, dont la plus
connue est le Pythagorisme. En conséquence, les Maçons réguliers peuvent appartenir
à une tradition quelconque. Il est possible que cette particularité n'ait pas
été étrangère à l'attitude, souvent méfiante et parfois franchement hostile,
qu'ont observée à l'égard de la Maçonnerie les autorités exotériques
chrétiennes. Une « illustration » très explicite d'une telle attitude vient
d'ailleurs de nous être fournie tout récemment.
On pourrait ici nous faire une objection : qu'est-ce
qui vous autorise à voir dans la Maçonnerie l'unique détentrice du « dépôt »
ésotérique chrétien ? Plusieurs arguments militent en ce sens, mais c'est avant
tout le culte professé dans la Maçonnerie pour saint Jean (2), qui fut
constitué au Calvaire « fils de la Vierge », et qui, de ce fait, en devint
aussi le gardien (3). C'est là un fait de la plus haute importance, car, étant
donné les affinités de Marie avec la Présence divine (Shekinah), Jean est
devenu alors le prototype de tous les « gardiens de la Terre Sainte »,
qualification qui, on le sait, fut donnée aux Templiers (4). Et remarquons que
ce culte de prédilection voué à saint Jean semble bien être particulier aux
Francs-Maçons, comme il l'avait été aux Templiers. Ni le compagnonnage, ni les
restes d'organisations hermétiques dont Guénon a évoqué la survivance possible,
ni enfin l'hésychasme auquel certains attribuent un caractère initiatique «
opératif » ne possèdent une telle insistance sur l'importance de la figure de
saint Jean.
Dans le dix-huitième degré du Rite Écossais («
Souverain Prince Rose-Croix »), grade qui a un caractère très marqué
d'hermétisme chrétien, on attache un grande importance aux initiales J.N.R.J.,
qui figurent sur l'écriteau placé en tête de la croix. En plus de la signification
traditionnelle (Jésus Nazarenus Rex
Judæorum), ce grade donne aussi une interprétation alchimique : Igne Natura Renovatur Integra.
Mais il y a aussi, dans les « questions d'ordre », le
dialogue suivant qui mérite certaines explications :
«
D'où venez-vous? - De Jérusalem.
Où
allez-vous? - A Nazareth.
Quel
est votre guide? - Raphaël.
De
quelle tribu êtes-vous? - de Juda. »
Les deux dernières réponses sont assez faciles à
comprendre. Raphaël (« Remède de Dieu ») fait allusion à la « panacée
universelle » ou « élixir de longue vie », source de cette « longévité » qui
était une des marques des anciens Rose-Croix. Juda était la tribu royale des Juifs,
celle de David, de Salomon et du Messie, et l'hermétisme ou Ars regia était par
excellence l'Art Royal. Mais n'est-il pas étrange qu'un initié chrétien déclare
se rendre de Jérusalem à Nazareth, alors que le Christ a passé son enfance et
sa première jeunesse à Nazareth, et seulement les derniers jours de sa vie
terrestre à Jérusalem ? Que peut bien signifier un tel itinéraire, inverse de
celui que suivit l'homme-Dieu ?
C'est à Jérusalem que le Christ a formulé l'essentiel
de son enseignement « public », à propos duquel il a pu assurer qu'il n'avait
rien dit en secret. Mais Nazareth fut le théâtre de ce qu' on appelle sa « vie cachée
», qui dura presque trente ans et dont les seuls bénéficiaires furent Marie et
Joseph (5). Et c'est pourquoi nous pensons que le Maçon qui répond qu'il va de
Jérusalem à Nazareth exprime par là qu'il entend dépasser l'enseignement «
public » de la doctrine chrétienne pour accéder, au moins en « désir », à son
enseignement caché.
Tout ce qui est dit dans les Écritures chrétiennes de
saint Jean a un caractère ésotérique et initiatique, mais ce caractère est
surtout mis en évidence quand on lui applique les règles du symbolisme
universel.
Cela n'est pas surprenant, puisque le but du langage
symbolique est précisément d'aller plus loin que les possibilités étroitement
limitées du langage « ordinaire ». Deux conséquences découlent immédiatement de
ce que nous venons de dire. D'abord, les théologiens et les exégètes qui
négligent l'importance de ce langage symbolique passent à côté de
l'interprétation exacte et « supérieure » des textes qu'ils étudient. Ensuite,
dans les dits textes, le moindre détail, qui pourrait paraître « insignifiant »
si on le considère en lui-même, devient au contraire chargé de signification dès
lors qu'on le considère à la lumière de la science symbolique.
Les textes relatifs à saint Jean qu'on trouve dans le
Nouveau Testament peuvent être divisés en trois classes. Dans la première,
saint Jean figure, sinon seul, du moins seul à être nommé entre les douze Apôtres
; le plus important de ces textes est celui où le Christ en croix fait de Jean
le fils et le gardien de la Vierge. Dans la seconde classe, nous voyons Jean
accompagné de son frère Jacques (lui aussi « fils du tonnerre ») et de Pierre ;
ces textes, au nombre de trois, ont trait à la Transfiguration, à la résurrection
de la fille de Jaïre et à l'agonie de Jésus au jardin des Oliviers. Enfin, la
troisième classe comprend les textes où Jean est mis directement en relation
avec le prince des Apôtres, saint Pierre.
Ces textes, au nombre de cinq (quatre à la fin de l'Évangile
de Jean, un au début des Actes des apôtres), nous nous proposons de les
examiner brièvement (6).
Jean,
XIII, 21-28. - Nous sommes à la dernière Cène. Le
Christ vient de dire à ses Apôtres : « L'un de vous me trahira. » Surprise des
disciples, qui interrogent l'un après l'autre leur Maître sans obtenir de réponse.
Finalement Pierre, voyant Jean qui repose sur la poitrine du Seigneur, lui fait
signe d'interroger Jésus, qui donne alors au disciple préféré l'indication du «
signe manuel » qui permettra de reconnaître le « fils de perdition ».
Jean,
XVIII, 15-25. - Après l'agonie au jardin des Oliviers et
l'arrestation de Jésus, tous les disciples, l'abandonnant, se sont enfuis.
Pierre et Jean, cependant, suivent de loin le cortège qui conduit le prisonnier
à la demeure du grand-prêtre Caïphe. Jean, qui était connu du grand-prêtre,
entre dans la cour du palais et y fait aussi entrer Pierre. C'est dans cette
cour que vont se produire les trois reniements successifs du prince des
Apôtres, lequel, ayant croisé son regard avec celui de Jésus après avoir
entendu le coq chanter, sortira de la cour pour « pleurer amèrement ».
Jean,
XX, 1-9. - Le Vendredi saint est passé, la fête du sabbat
aussi, et, le premier jour de la semaine commençant à luire, Marie de Magdala,
accompagnée de quelques autres femmes, achète des parfums et se rend au
sépulcre pour embaumer le corps du crucifié. En arrivant, elles trouvent la
pierre qui fermait le sépulcre enlevée, l'entrée béante et le tombeau vide.
Dans son affolement, Marie-Madeleine se précipite chez les Apôtres pour les
informer. Pierre et Jean partent en courant au sépulcre. Jean arrive le premier,
mais attend que Pierre soit arrivé et entré dans le sépulcre pour le suivre et
constater à son tour qu'il est inutile de chercher parmi les morts l'Auteur de
la Vie.
Jean,
XXI, 15-24. - Le quatrième épisode est célèbre, car il
termine le quatrième Évangile. Pierre, dont les larmes et l'amour ont lavé la
faute, vient d'être confirmé par son Maître dans sa charge de Pasteur des
agneaux et des brebis, qui implique, rappelons-le, le « pouvoir des clefs »
donnant la faculté de lier et de délier. Devant de pareilles faveurs, Pierre,
qui voit alors Jean se diriger vers eux, se demande ce que le Maître a bien pu
réserver à son disciple bien-aimé. Il interroge le Christ, qui lui fait alors
la réponse célèbre : « Si je veux qu'il demeure jusqu'à ce que je vienne, que
t'importe ? »
Actes
des apôtres, III, 1-10. - Nous sommes maintenant dans les
tout premiers jours de l'Église.
Pierre et Jean montent au Temple pour y prier. A la
porte, un boiteux leur demande l'aumône, et Pierre lui dit : « Je n'ai ni or ni
argent, mais ce que j’ai je te le donne. Au nom de Jésus de Nazareth, lève-toi et
marche. » Le miracle s'accomplit aussitôt.
Examinons maintenant, à la clarté du symbolisme, ces
cinq épisodes. Pour interpréter le premier rappelons-nous que Pierre représente
l'exotérisme, Jean l'ésotérisme et Judas la contre-initiation. On voit alors
que l'exotérisme a besoin de l'ésotérisme pour déceler les «prestiges» de la
contre-initiation.
Et on nous dira sans doute que - Guénon l'avait déjà
signalé - l'ésotérisme chrétien et la Maçonnerie en particulier se sont aussi
mal défendus contre les infiltrations de la contre-initiation que les Églises
chrétiennes et le Catholicisme par exemple (7). Mais on peut assurer en tout
cas que personne, en Occident, n'a autant que Guénon donné de précisions sur
les tactiques des forces obscures et, d'une manière générale, sur la «
technique de la subversion ». Et c'est à sa connaissance exceptionnelle de tout
ce qui touche à l'ésotérisme et à l'initiation qu'il devait ses clartés sur
leurs antithèses émanant du « Satellite sombre » : le néo-spiritualisme et la
contre-initiation.
Le second épisode que nous avons rapporté est difficile
à interpréter ; car il pourrait sembler que c'est Jean qui, en introduisant
Pierre dans la cour de Caïphe, lui a donné l'occasion de ses trois reniements.
Mais il serait bien audacieux, celui qui se permettrait
de « juger » une défaillance aussitôt expiée par les larmes. O felix culpa ! chantait l'Église, naguère
encore, dans la nuit de la Résurrection, à propos du péché d'Adam, qualifié
aussi de « péché nécessaire ». Et nous remarquerons que si Pierre n'avait pas
été amené par sa faute à quitter la cour de Caïphe et ainsi à se séparer de
Jean, il aurait accompagné ce dernier au Calvaire et aurait été ainsi le témoin
du don incomparable fait par Jésus au disciple bien-aimé. De ce don, les seuls
témoins auront donc été les femmes qui, bravant les clameurs d'une foule
poussant des cris de mort, furent fidèles jusqu'à la fin et purent ainsi
assister aux derniers moments de l'homme-Dieu et participer avec Joseph
d'Arimathie à sa mise au tombeau (8).
Les troisième et quatrième épisodes sont faciles à
interpréter. Le troisième souligne la primauté de celui à qui furent conférés
les titres de Pasteur des brebis et de Prince des apôtres, et à qui furent
remi- ses
les clefs du royaume des cieux. Le quatrième épisode rappelle cependant que
cette autorité s'arrête là où commence le domaine de Jean.
Dans le cinquième épisode, nous voyons Pierre agir seul
pour guérir le malheureux frappé du « signe de la lettre B », Jean ne figurant dans cette histoire
que par sa seule présence. Nous pensons qu'il y a là une leçon à méditer
soigneusement par les « frères de Jean ». Dans la chimie moderne, fille
indigente de l'alchimie traditionnelle, on appelle « catalyseur » un corps qui,
nécessaire à une réaction, n'est cependant pas affecté par cette réaction qu'il
se contente de permettre ou tout au plus d'activer. L'idéal, pour ceux qui se
réclament de l'ésotérisme et de l'initiation, serait de pratiquer ce que Guénon
appelle une « activité non agissante ». Une telle attitude est plus commune en
Orient qu'en Occident, et l'on sait l'importance du « non-agir » (Wu-Wei) dans
la tradition extrême-orientale. Mais la tentation de l'« activisme » hélas ! a
fait des ravages dans bien des branches de la Maçonnerie.
On pourrait tirer, des cinq rencontres que nous venons
d'examiner rapidement, quelques « enseignements pratiques » à l'usage des
organisations initiatiques occidentales (et surtout des obédiences maçonniques)
et plus spécialement des dignitaires qui ont reçu la lourde tâche de les
diriger. Surveillance attentive de l'action insidieuse, mais parfois
terriblement efficace, qu'exercent les agents de l'« adversaire » qui ont su
s'infiltrer dans les rangs de l'initiation authentique ; patience à toute
épreuve à l'égard des autorités exotériques régulières, en dépit de leurs incompréhensions,
de leurs injustices et parfois même de leurs calomnies ; enfin refus absolu de
céder à la « tentation » d'impliquer la Maçonnerie dans n'importe quelle
activité de l'ordre social ou politique. Ceux qui connaissent bien l'oeuvre de Guénon
savent que de telles recommandations n'ont jamais été d'une nécessité aussi
pressante que de nos jours. Et cela nous amène à quelques réflexions sur ce que
nous appellerions volontiers le rôle dévolu à la Maçonnerie à la fin du cycle
actuel.
Dans les anciens rituels, quand on demandait à un
visiteur : « Où se tient la Loge de saint Jean ? », il devait répondre : « Sur
la plus haute des montagnes ou dans la plus profonde des vallées, qui. est la
vallée de Josaphat. » Cette expression reconnaissait donc à la Maçonnerie, et
cela en raison de ses rapports avec saint Jean, un lien particulier avec le «
jugement dernier ». D'autre part, au XVIIIe siècle en Angleterre, certains
ateliers rattachés à l'obédience la plus traditionnelle d'alors, la « Grande
Loge des Anciens », travaillaient avec la Bible ouverte à la seconde Épître de
saint Pierre, qui est un des rares textes scripturaires parlant ouvertement des
derniers temps. Enfin, nous rappellerons que, selon l'interprétation des plus
anciens Pères de l'Église, l'« obstacle » à la venue de l'Antéchrist dont parle
saint Paul dans la seconde Épître aux Thessaloniciens n'était autre que
l'Empire romain. Cet Empire, reconstitué par Charlemagne, devint bientôt le «
Saint-Empire Romain Germanique », le mot « germanique » signifiant ici
ésotériquement, comme il en sera également dans la Rose-Croix, la « terre des
germes ».
Cet Empire disparut en 1806, quelques années après
qu'eut été fondé aux États-Unis d'Amérique le premier Suprême Conseil du Rite
Écossais. Depuis lors, les Suprêmes Conseils de chaque nation portent le titre
de « Suprêmes Conseils du Saint-Empire », et les armoiries du trente-troisième
degré de l'Écossisme sont les armoiries mêmes du Saint-Empire, avec la devise «
Deus meumque jus », que le Grand
Orient de France, toujours avide de « modernisation », a cru bon de remplacer
par Suum cuique jus. Il se trouve
donc que l'« idée » (au sens platonicien de ce mot) du Saint-Empire est
actuellement « résorbée » dans la
Franc-Maçonnerie, et plus précisément dans le dernier degré du Rite Écossais.
Cela n'est pas sans importance, étant
donné ce que les anciens auteurs chrétiens ont écrit sur le rôle eschatologique de l'Empire romain.
Nous ne savons si, même parmi les lecteurs les plus
attentifs de René Guénon, nombreux ont été ceux qui ont remarqué les lignes qui
terminaient son compte rendu de l'article « La Franc-Maçonnerie » d'Albert
Lantoine, inséré dans une Histoire générale des Religions publiée dans
l'immédiat après-guerre (9). Le Maître, après avoir loué Lantoine « d'avoir
fait justice de la légende trop répandue sur le rôle que la Maçonnerie
française du XVIIIe siècle aurait joué dans la préparation de la Révolution et
au cours de celle-ci » et déploré « l'intrusion de la politique dans certaines
Loges », discutait la conclusion de l'auteur pour qui la Maçonnerie pourrait
être destinée à devenir « la future citadelle des religions ».
Et Guénon, tout en admettant que beaucoup ne verront
dans une telle conception « qu'un beau rêve », ne rejetait pas absolument l'«
espérance » de Lantoine, mais il lui faisait subir en quelque sorte une «
transmutation » traditionnelle. Précisant que le rôle envisagé par Lantoine «
n'est pas tout à fait celui d'une organisation initiatique qui se tiendrait
strictement dans son domaine propre », il ajoutait que « si la Maçonnerie peut
réellement venir au secours des religions dans une période d'obscuration
spirituelle presque complète, c'est d'une façon assez différente » de celle
envisagée par l'auteur de la Lettre au Souverain Pontife, « mais qui du reste,
pour être moins apparente extérieurement, n'en serait cependant que d'autant
plus efficace ».
Ces lignes sont énigmatiques, les plus énigmatiques
peut-être qu'ait jamais écrites René Guénon.
Mais il est évident que la «période d'obscuration
spirituelle presque complète» dont parle Guénon ne peut mettre que le règne de
1'Antéchrist. L'auteur des Aperçus sur
l'initiation, qui dut avoir très tôt la révélation ou, si l'on préfère, la
« conscience » du rôle exceptionnel qui lui était réservé, n'écrivait rien sans
y avoir mûrement réfléchi, et les « beaux rêves » n'étaient pas son fait. Nous
sommes persuadé que le texte que nous venons de rappeler peut fournir
l'explication de l'attention que, dès sa première jeunesse et jusqu'à ses
derniers jours, il a constamment accordée à la Franc-Maçonnerie, attention qui
a causé la surprise de beaucoup et aussi le scandale de quelques-uns. Guénon voyait
dans cette organisation, en qui s'est résorbé tout ce qui a compté
véritablement dans les initiations occidentales, les marques d'une « vitalité »
lui permettant de triompher des attaques incessamment menées contre elle par tout
ce qui procède de la « sphère de l'Antéchrist ». Et cette vitalité nous fait
penser à celle promise à l'apôtre Jean, un des deux saints patrons de la Maçonnerie,
quand il entendit déclarer de lui : « Je veux qu'il demeure jusqu'à ce que je
vienne. » Déclaration bien grave, quand elle est prononcée par celui qui a pu
dire : « Le ciel et la terre passeront,
mais mes paroles ne passeront pas. »
NOTE ADDITIONNELLE SUR LE SAINT-EMPIRE *
Les très fréquentes allusions faites par René Guénon au
Saint-Empire dans plusieurs de ses ouvrages, surtout dans l'Ésotérisme de Dante et aussi dans Autorité spirituelle et Pouvoir temporel, ont surpris beaucoup de
ses lecteurs, qui parfois ont vu là une sorte de « jugement de valeur »
concernant un certain type de gouvernement qui, de plus, avait eu la «
malchance » d'être presque toujours en hostilité avec les régimes français, que
ces régimes fussent d'ailleurs royalistes, républicains ou « bonapartistes ».
Il est vrai que Charles-Quint est une figure peu sympathique aux Français,
surtout si on l'oppose au « roi-chevalier » François Ier, en oubliant
d'ailleurs que ce dernier, qui à Pavie avait « tout perdu, hors l'honneur »,
trouva moyen, quelques mois plus tard, de perdre à son tour cet honneur en
reniant sa signature : acte aussi peu chevaleresque que possible. Mais peu
importe : les armées des « Impériaux » (sous la Révolution on disait les
Kaiserlicks) étaient formées de hordes aussi peu disciplinées que celles de
leurs adversaires français; mais, tout compte fait, les ravages qu'elles
exerçaient n'étaient que jeux d'enfants comparés à ceux que nous promettent,
pour les guerres futures, les progrès de la science moderne, mis au service des
passions nationalistes exacerbées.
Selon Guénon, c'est à l'époque de Dante, et donc de la
destruction des Templiers, que l'Occident chrétien a rompu avec sa tradition,
et qu'en conséquence la lutte entre les deux « pouvoirs » s'envenima, au point
que les armées de Charles-Quint, commandées par le connétable de Bourbon,
prirent Rome et la livrèrent durant de longs jours à un affreux pillage. Ce
n'est pas les tentatives humaines, trop humaines, pour établir en Europe une
monarchie universelle qui doivent nous intéresser ici, mais seulement les
éléments incontestablement traditionnels qu'on peut déceler dans l'«idée» même
du Saint-Empire.
* Ce texte a été publié dans les cahiers de l'Herne, Cahier René
Guénon, 1985.
Le fondateur de l'Empire romain, César, avait pris pour
modèle Alexandre le Grand, qui avait conquis tout l'Orient, de la Macédoine à
l'Indus. Le début de cette extraordinaire aventure avait été marqué par l'épisode
du « noeud gordien », et Guénon a précisé que le glaive des Francs-Maçons a
pour but de jouer le même rôle que celui joué jadis par l'épée d'Alexandre
(10). Ce rôle est un rôle de « séparation », la première des «opérations»
hermétiques, qui consiste à « séparer le subtil de l'épais », selon les termes
de la Table d'émeraude. Certains textes alchimiques assurent que cette
séparation une fois accomplie, le reste des opérations hermétiques n'est plus
que « travail de femme et labeur d'enfant ». Et de fait, une fois que le héros
grec eut tranché le noeud gordien, ses diverses conquêtes s'accompliront avec
une rapidité dont on a peu d'exemples dans l'histoire.
Dans l'histoire romaine, on ne voit rien qui rappelle
l'épisode du noeud gordien, mais
cependant les noeuds et surtout les «liens» ont joué un rôle, important mais
énigmatique, dans les institutions de la cité aux sept collines (11). Par
exemple, un des plus hauts dignitaires religieux, le flamine de Jupiter, était pour
ainsi dire « ligoté » par un nombre incroyable de règles, presque toutes ayant
trait aux liens et aux noeuds, et qui rendaient sa fonction, malgré les
avantages et les honneurs qu'elle comportait, assez peu enviable (12). A notre
connaissance, seul René Guénon a pu donner une explication satisfaisante, parce
que traditionnelle, des anomalies auxquelles était soumis le pontife de Jupiter
:
« La vie du flamen Dialis, qui est décrite en détail
(13), est un exemple remarquable d'une existence demeurée entièrement
traditionnelle dans un milieu qui était déjà devenu profane dans une assez
large mesure ; c'est ce contraste qui fait son étrangeté apparente, et
cependant c'est un tel type d'existence, où tout a une valeur symbolique, qui
devrait être considéré comme véritablement normal. »
Il y avait dans les institutions romaines une autre
particularité bien singulière : il s'agit du « faisceau des licteurs », qui
était porté devant les magistrats lorsqu'ils se déplaçaient. Ce faisceau était
constitué par une hache (symbole de la foudre) entourée de douze baguettes
liées ensemble. Arturo Reghini a fait remarquer que le nombre des licteurs qui
précédaient les magistrats variait selon la dignité de ces derniers, mais qu'il
ne pouvait être que de 1, 2, 3, 4 ou 6, c'est-à-dire d'un sous-multiple de 12.
Les deux consuls qui, après la destitution de Tarquin le Superbe, avaient
remplacé la royauté, avaient droit chacun à douze licteurs; et lorsque, après
la mort de César, l'Empire fut institué par Auguste, cette dignité suprême
était honorée par 24 licteurs. Reghini voyait dans cette importance donnée au
nombre 12 une marque des rapports particuliers de Rome avec la tradition
pythagoricienne, laquelle, comme on sait, procédait de la tradition
hyperboréenne (14).
Après l'écroulement causé par les invasions des Barbares,
une longue période de plus de trois siècles s'écoule, où l'Empire d'Occident
n'est plus qu'un souvenir nostalgique pour quelques dévots de la splendeur
romaine passée. Le jour de Noël de l'an 800, Charlemagne est couronné empereur
à Rome, et le Pape reprend pour lui l'antique acclamation traditionnelle : « A Charles-Auguste, couronné de Dieu, grand
et pacifique Empereur des Romains, vie et victoire ! » Cet événement fait
grand bruit, et le calife de Bagdad, Haroun al-Rachid, envoie à la cour
d'Aix-la-Chapelle « les clefs du Saint-Sépulcre », geste dont le symbolisme
hermétique n'a pas besoin d'être développé. Au traité de Verdun, l'Empire passe
à Lothaire, mais ce sera, en 962, un souverain allemand, Othon le Grand, qui
prendra le premier le titre de maître du Saint-Empire Romain Germanique et sera
sacré par le pape Jean XII. Cette dignité, bien qu'élective en principe,
restera pratiquement allemande, puis autrichienne jusqu'à son abolition, mais elle
était officiellement romaine (15).
Quand le Saint-Empire, en 1806, fut détruit par
Napoléon, son dernier titulaire, François II, prit le titre d'empereur
d'Autriche (16). Le Pape cependant continua d'accorder certains privilèges
liturgiques (17) et même « électifs » (18) aux monarques qui n'étaient plus que
les « vestiges » de l'héritage laissé par l'antique Rome impériale (19).
Il est étrange que pendant les années qui précédèrent
l'abolition du Saint-Empire, et même dès le xvme siècle, des groupements maçonniques
aient pris des titres tels que celui de « Conseil des Empereurs d'Orient et d'Occident
» (20). Étienne Morin, muni d'une « patente » dont l'authenticité, vraie ou fictive,
a fait noircir bien des pages (21), partit pour les États-Unis d'Amérique, où
devait se fonder le premier Suprême Conseil du Rite Écossais, organisation qui
donnera naissance dans chaque pays à un organisme appelé officiellement «
Suprême Conseil du Saint-Empire » (22).
Le symbolisme du trente-troisième degré écossais est
particulièrement intéressant. Un non Maçon, Michel Vâlsan, l'a étudié dans un
long article où il en examine tous les aspects (23). Négligeant ce qui se
rapporte au triangle inversé, à la couleur noire et à la correspondance des 33
grades avec les 33 ans de la vie du Christ, nous examinerons plutôt
l'interprétation qu'il donne des armoiries du trente-troisième degré.
Elles représentent un aigle bicéphale (dans le langage
héraldique on dirait une aigle « éployée »), portant sur ses deux têtes la
couronne impériale et tenant dans ses serres une épée avec la devise Deus meumque jus. Michel Vâlsan rappelle
que l'aigle, dans les traditions antiques qui furent celles de l'Empire romain,
était l'oiseau de Jupiter, le maître de la foudre ; et que dans le
Christianisme il est le symbole propre à saint Jean, le « fils du tonnerre ».
Et les deux têtes de l'aigle équivalent aux deux figures de Janus, dont Guénon
a souligné les rapports avec les deux Jean. Quant aux trois autres éléments du blason,
qui se superposent dans leur représentation, ils symbolisent les trois «
fonctions » de la puissance impériale : la couronne symbolise la fonction
administrative, l'épée la fonction militaire et la devise (à cause du mot jus) la fonction judiciaire.
Le « noeud vital » dont nous parlions au commencement
de cet article assure en somme « la jonction entre les éléments constitutifs »
du « composé humain » et d'ailleurs de tout être vivant. Il a pour analogue le
« point sensible » qui doit exister dans tout édifice « construit selon les
règles de l'Art ». Et, si nous passons de ces composés individuels à des
organisations qui, sans être à proprement parler universelles, ont cependant
pour ainsi dire « vocation » à l'universalité, on peut dire que chacune d'elles
doit posséder quelque chose de comparable à ce qu'était le « noeud gordien » pour l'Empire de l'Asie.
L'épée d'Alexandre qui trancha le noeud
gordien préludait ainsi à l'écroulement du royaume perse, mais en même
temps elle inaugurait la longue série des conquêtes qui allaient former
l'Empire grec, complété par la suite par César. Cette épée avait donc joué le double
rôle de séparation et de rassemblement, conformément à l'adage hermétique solve
et coagula, qui résume le processus du Grand
OEuvre. On sait qu'une des « marques » de la réussite de cette OEuvre est la production de l'or, qui a
fait tourner tant de têtes ignorantes de cette règle élémentaire qui prescrit
aux initiés le « rejet des pouvoirs », ou du moins le « non-attachement » aux «
fruits de l'action ». L'apparition de l'or au terme du Grand OEuvre a pour correspondance
la restauration de l'âge d'or à la fin d'un manvantara. Et c'est sur ce dernier
point que nous voudrions maintenant nous arrêter.
Vers la fin de son ouvrage Autorité spirituelle et Pouvoir temporel, René Guénon cite et
commente un passage du traité De
Monarchia où Dante assigne à l'empereur la mission de conduire l'humanité à
la « félicité temporelle » formellement assimilée par l'Alighieri au « Paradis
terrestre », c'est-à-dire à l'âge d'or qui doit inaugurer le « cycle à venir ».
Et Guénon de remarquer « qu'au moment même où Dante formulait « la mission dévolue providentiellement
aux chefs du Saint-Empire, » les événements qui se déroulaient en Europe
étaient précisément tels qu'ils devaient en empêcher à tout jamais la
réalisation ».
On peut ajouter qu'à l'époque (début du XIXe siècle) où
l'héritage « idéal » du Saint-Empire fut transmis (dans des conditions fort
obscures) à la Franc-Maçonnerie, celle-ci était depuis longtemps devenue
entièrement « spéculative » et ne conférait plus qu'une initiation « virtuelle
». Mais on ne doit pas ici oublier la parole de saint Paul : « Les dons et la vocation de Dieu sont sans
repentir (24). » Car une virtualité peut toujours, sous l'action de
l'Esprit, passer « de la puissance à l'acte », et les ténèbres, dans leur sens
supérieur, sont grosses des possibilités les plus lumineuses. Le Vendredi
saint, « depuis la sixième heure du jour [où le Christ fut mis en croix]
jusqu'à la neuvième [où Jésus, ayant poussé un grand cri, rendit l'esprit], il
y eut des ténèbres sur toute la terre ». C'est pourtant au sein de cette « nuit
obscure » que saint Jean put entendre les paroles qui faisaient de lui le recteur
immortel de l'ésotérisme chrétien. Tout changement d'état, et a fortiori le
passage d'un cycle à un autre, « ne peut s'accomplir que dans l'obscurité ».
L'épée maçonnique, conformément à l'adage hermétique, a
pu « séparer le subtil de l'épais », c'est-à-dire séparer l'idée « principielle
» du Saint-Empire des diverses tentatives effectuées pour sa « mise en marche »
dont l'histoire a conservé le souvenir. Tentatives qui ne pouvaient que
rarement être heureuses, puisque l'histoire ne « couvre » que les périodes les
plus sombres de l'« âge sombre ». Les anciens Pères de l'Église assuraient que
l'« obstacle » à la venue de l'Antéchrist n'était autre que l'Empire romain.
Or, à la clôture des tenues des Suprêmes Conseils, le
Grand Commandeur souhaite à ses dignitaires « la bénédiction du Saint
Patriarche Hénoch ». Ce personnage est un des deux « témoins » qui, dans l'Apocalypse, sont mis à mort par les serviteurs de
l'Antéchrist. L'autre témoin est Élie, mais Hénoch représente la tradition
antédiluvienne, celle qu'Adam reçut dans le Paradis terrestre. Nous voici donc ramenés
à ce qui concerne le « retour de l'âge d'or ». Avons-nous réussi à faire
pressentir les « liens » qui relient le « noeud gordien » aux rituels actuels
de la « Puissance dogmatique » de la Maçonnerie ?
Car, tout cela est enveloppé de ténèbres, ces ténèbres,
assimilées par l'Écriture à la « gloire divine », qui chassèrent les prêtres du
Temple lors de la dédicace de cet édifice sacré, et qui faisaient dire à
Salomon : « L'Éternel veut habiter dans l'obscurité (25). » Il serait vain de
prétendre percer toutes les énigmes constituant ce que Guénon, reprenant, pour
la transposer de sens, une expression de Ferdinand Ossendowski, a pu appeler « le mystère des mystères ».
Une remarque pour terminer. On nous dira sans doute que
les dignitaires actuels des « Suprêmes Conseils du Saint-Empire » n'ont aucune
idée du rôle que, nous basant sur l'autorité de Dante et surtout de René
Guénon, nous supposons leur être réservé. Nous le savons, et d'ailleurs Michel
Vâlsan l'avait déjà signalé et Guénon avant lui. Seulement, nous pensons aussi
qu'il ne faut pas sous-estimer l'ampleur de la « conversion » (au sens
étymologique de « retournement ») provoquée par le « renversement des pôles » qui doit préluder à l'avènement du « cycle
à venir ».
* Ce texte a été publié dans les cahiers de l'Herne,
Cahier René Guénon, 1985.
(1) Nous faisons ici allusion à l'ouvrage de Xavier
Guichard sur Eleusis-Alésia. De nos
jours, des recherches du même genre, mais beaucoup plus approfondies et
fécondes, ont été menées par M. Jean Richer, dont un ouvrage capital. Géographie sacrée du monde grec, vient
d'avoir une nouvelle édition notablement augmentée (Éditions de la Maisnie,
Paris).
(2) Guénon tenait beaucoup à ce que, dans les rituels,
l'expression « Respectable Loge » fût toujours complétée par les mots « de
saint Jean ». On connaît l'importance des deux fêtes solsticiales dans la
Maçonnerie. Et dans certains Rites, notamment de langue espagnole, les travaux
sont ouverts et fermés, et les grades sont conférés « au nom de Dieu et de
saint Jean ». Les Maçons de langue anglaise aiment à se qualifier de John's
Brothers (Frères de Jean).
(3) L'Écriture insiste sur ce point : « Jésus, voyant
au pied de la croix sa mère, et auprès d'elle le disciple qu'il aimait, dit à
sa mère : Femme, voilà ton fils. Il dit ensuite au disciple : Voilà ta mère. Et
à partir de ce moment, le disciple la prit chez lui » (Jean, XIX, 26-27).
(4) Dans les litanies de saint Joseph, ce patriarche
est appelé custos Virginis. La même
appellation peut être appliquée à Jean l'Evangéliste. Marie eut ainsi trois «
gardiens » : Joseph, Jésus, Jean. Il est à remarquer que Joseph est le patron
des charpentiers (constructeurs en bois) et Jean celui des maçons
(constructeurs en pierre). D'autre part, les noms des trois « gardiens »
commencent par un iod, première
lettre du tétragramme; et l'on sait que les trois S qui figurent dans le «
delta » du grade de « Chevalier du Soleil » sont en réalité trois iod déformés. Nous ne savons si l'on
fait quelque allusion à ces « coïncidences » dans un grade assez pratiqué
autrefois : celui d'« Écossais des trois JJJ ».
(5) Il est bien évident que l'enseignement que put
dispenser Jésus avant sa «vie publique» est aussi « divin » que celui que
devaient recevoir par la suite les Apôtres. On sait que le seul événement de la
vie cachée qu ait rapporté l'Évangile est le pèlerinage à Jérusalem que Jésus,
âgé de 12 ans, fit en compagnie de ses parents. Il put y donner la preuve d'une
sagesse divine qui frappa d'étonnement les docteurs de la Loi. Plusieurs
auteurs spirituels ont longuement commenté les mystères de la vie cachée du Sauveur,
et notamment certains moines cisterciens, parmi lesquels on peut citer saint
Amédé, évêque de Lausanne.
(6) En intitulant le présent article « Les cinq
rencontres de Pierre et de Jean », nous voulions dire que c'est en relatant cinq
épisodes importants que l'écriture met pour ainsi dire face à face les deux
Apôtres dont la personnalité l'emporte incontestablement sur celle des dix
autres. Mais il est bien évident que, durant les trois ans de la vie publique
du Christ, les douze Apôtres, qui vivaient en commun, se sont rencontrés chaque
jour.
(7) Nous pensons surtout ici à la psychanalyse (et particulièrement
à celle de Jung), dont Guénon a souligné le caractère dangereux à la fin du
Règne de la quantité. Il est même à remarquer que, dans la Maçonnerie, c'est le
Rite Ecossais qui semble avoir été spécialement visé, ce qui a permis à
certains de donner de son symbolisme des interprétations d'une fantaisie vraiment
débordante.
(8) Ce rôle des femmes lors de la Passion et aussi de
la résurrection du Christ pourrait aider à résoudre en partie la difficulté mentionnée
par Guénon pour l'établissement des rituels destinés à l'initiation féminine.
(9) Cf. Études
sur la Franc-Maçonnerie et le Compagnonnage, t. II, pp. 99-100.
(10) Cf. Études
sur la Franc-Maçonnerie et le Compagnonnage, t. I, pp. 10-11. Selon l'expression
très brève que Guénon donne ici, le noeud
gordien devait être, pour « l'empire de l'Asie », exactement ce qu'est, pour
tout composé (dans le style hermétique on dirait « pour tout mixte »)
l'équivalent du « noeud vital » qui constitue «le point de jonction qui relie
entre eux ses éléments constitutifs». Le noeud
gordien une fois tranché, le royaume de Darius était frappé mortellement;
mais cette mort coïncidait avec une naissance, celle de l'Empire hellénistique.
(11) Sur le symbolisme très important des liens et des
noeuds, cf. Symboles fondamentaux de la
science sacrée, chap. LXVIII.
(12) Citons, parmi ces règles que les Romains faisaient
observer sans les comprendre, quelques-unes parmi les plus significatives.
Le flamine de Jupiter ne pouvait monter à cheval, sans
doute à cause des rênes. Il ne devait porter sur lui aucun noeud, et dans sa
demeure il ne devait y avoir que des hommes libres. Chose plus extraordinaire
encore : quand le flamine se déplaçait dans Rome, s'il lui arrivait de
rencontrer des gardes conduisant un prisonnier enchaîné ce dernier était
aussitôt dépouillé de ses liens et rendu à la liberté. Comment ne pas penser
ici que dans cette même Ville Éternelle viendrait s'établir, pas tellement plus
tard, un Apôtre à qui son maître avait conféré le pouvoir de lier et de délier
(potestas ligandi et solvendi), c'est-à-dire
ce « pouvoir des clefs » dont Guénon a souligné le caractère hermétique ?
(13) Ces lignes sont extraites d'une chronique sur un
ouvrage italien, chronique reproduite dans les Comptes rendus (pp. 59-64).
Cette chronique contenait quelques réserves, parfois importantes, mais aussi
des éloges dont Guénon était assez peu coutumier pour les productions de
l'érudition officielle. Il écrit par exemple : « L'auteur reconnaît la limitation
(peut-être faudrait-il plutôt dire l'atrophie complète) de certaines facultés
chez les Modernes, qui, pour cette raison même, prennent pour une simple
question de "foi" (au sens vulgaire de croyance) ce qui était pour
les Anciens une véritable "expérience" (et, ajouterons-nous, une
expérience tout autre que psychologique). » Il nous semble voir le sourire que
dut avoir Guénon en découvrant chez un érudit moderne un jugement aussi «
flatteur » pour ses confrères en « intellectualité ».
(14) Cf. Comptes
rendus de René Guénon, p. 16. - Il va sans dire que l'utilisation du
faisceau des licteurs par le «fascisme » mussolinien, comme celle du svastika
par le « nazisme » hitlérien, constituent, pour des symboles traditionnels, une
« profanation », au sens étymologique de ce mot.
(15) La « titulature » des chefs du Saint-Empire était
la suivante : « N., par la grâce de Dieu Empereur des Romains, César toujours
Auguste, Majesté sacrée. »
(16) Sa titulature devint alors : « N., par la grâce de
Dieu Empereur d'Autriche, roi apostolique de Hongrie, roi de Bohême, de
Dalmatie », etc.
(17) Dans les « missels » d'avant 1914, on trouvait,
parmi les « grandes oraisons » du Vendredi saint, une prière spéciale « pour
l'Empereur »; et une rubrique précisait que cette oraison ne devait être
utilisée que dans les pays soumis à la couronne d'Autriche-Hongrie.
(18) Ce privilège provoqua, au conclave de 1903, l'élection
de Pie X. Et le premier acte du nouveau pontife fut d'abolir cette disposition
à laquelle il devait son élévation à la chaire de Pierre.
(19) Guénon a rappelé que l'Autriche et la papauté
eurent particulièrement à souffrir du prétendu « principe des nationalités ».
Mais il y eut d'autres « utilisations » des « résidus psychiques » laissés dans
le pays qui fut si longtemps le siège de la puissance matérielle du
Saint-Empire. Avant la catastrophe de 1914, dans une Vienne étourdie par les
valses de Strauss, se développaient, avec l'appui, parait-il, des finances
impériales, les deux pseudo-doctrines, ennemies en apparence et pourtant solidaires
dans les « profondeurs de l'abîme », dont les effets sinistres et pervers n'ont
malheureusement pas fini d'exercer leurs ravages : la psychanalyse et le
national-socialisme. - Sur l'utilisation des « résidus psychiques » à des fins
maléfiques, cf. Le Règne de la quantité
et les Signes des temps, chap. XXVII, et surtout la fin du § 5. - Bien
entendu, les « restes » « posthumes » d'une « réalité » aussi importante que le
Saint-Empire ne pouvaient être épargnés; et nous ajouterons que, dans la Maçonnerie,
c'est précisément ce qui se rapporte à l'héritage de l'idée même de l'Empire
qui fut l'objet privilégié des « infiltrations » dont parle Guénon dans le
passage auquel nous venons de nous référer.
(20) Le « Conseil des Empereurs d'Orient et d'Occident,
Grande et Souveraine Loge de Saint-Jean de Jérusalem » fut fondé vers 1760 et
on le considère comme étant à l'origine du « Rite de Perfection » en vingt-cinq
grades, d'où procède le Rite Écossais en trente-trois degrés.
(21) Il est absolument vain de rechercher des documents
sur certains faits mystérieux concernant l'histoire de la Franc-Maçonnerie,
comme il est vain d'en rechercher touchant la réalité de son ascendance
templière. Tous ces faits sont entourés d'une obscurité naturelle et aussi
voulue. Il semble même que le comportement de certains personnages énigmatiques
(et nous pensons ici notamment à Cagliostro) ait eu surtout pour but de
détourner l'attention de ce qui se passait de vraiment important dans l'Ordre
maçonnique.
(22) Dans les rituels « écossais » datant de l'époque
napoléonienne ou de la Restauration, on trouve, pour l'ouverture et la clôture
des travaux comme aussi pour la collation des grades, des formules telles que
la suivante : « A la gloire du Grand Architecte de l'Univers, au nom et sous
les auspices des Souverains Grands Inspecteurs Généraux, trente-troisième et
dernier degré du Rite Ecossais Ancien et Accepté, constituant le Suprême
Conseil du Saint-Empire, je déclare, etc. » Chaque Conseil Suprême est aussi
qualifié de « Puissance dogmatique de la Franc-Maçonnerie ». Cela n'empêche pas
certains hauts Maçons (surtout dans les pays latins) de déclarer, chaque fois
qu'ils en ont l'occasion, que la Maçonnerie se distingue des religions parce
qu'elle enseigne non des dogmes, mais des symboles. Le malheur, pour la solidité
de cette argumentation, c'est que les dogmes sont aussi des symboles. Dans le
Christianisme par exemple, les dogmes auxquels tout fidèle est tenu d'adhérer
sont consignés dans trois formulaires appelés Symbole des apôtres, Symbole de
Nicée et Symbole de saint Athanase.
(23) « Les derniers hauts grades de l'Écossisme et la
réalisation descendante », in Etudes Traditionnelles de juin, juillet et septembre
1953.
(24) Dans l'article de Michel Vâlsan que nous avons
cité dans la note précédente, cet auteur écrit : « Peu importe, pour la conservation
d'une fonction, que le conservateur soit un initié réel ou virtuel. » On sait
d'ailleurs que le caractère virtuel d'une initiation n'altère aucunement la «
régularité » et donc la validité des grades qu'elle confère.
(25) Cf. II
Paralipomènes (II Chroniques), V, 7 - VI, 1 : « Quand l'arche d'alliance
eut été installée dans le Temple, dans le Saint des saints, sous les ailes des
Chérubins [...], la nuée descendit dans le sanctuaire. Les prêtres ne purent y
rester pour le service divin, car la gloire de Dieu remplissait le Temple.
Alors Salomon s'écria : L'Éternel veut habiter dans l'obscurité. ».
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