بـــسْم ﭐلله ﭐلرّحْمٰن ﭐلرّحــيــم ﭐللَّهُمَّ صَلِّ عَلَى سَيِّدِنَا مُحَمَّدٍ وَ عَلَى آلِهِ و صحبه وَ سَلِّمْ السلام عليكم و رحمة الله و بركاته
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lundi 31 octobre 2016
dimanche 30 octobre 2016
Paroles d'or de Shaykh Abd al-Azîz Al-Dabbagh (Extraits)
Paroles
d'or : Kitâb al-lbrîz de Shaykh Abd al-Azîz Al-Dabbagh
traduit
par Zakia Zouanat
Nous
disons : L'auteur du poème rimé en râ' (Râ'iyya) a
parlé du maître initiateur, et le Shaykh Abd al-'Aziz al-Dabbâgh a
commenté quelques-uns de ses propos. L'auteur de la Râ'iyya a
dit :
Le
maître a des signes qui s'ils sont absents chez lui, il n'est alors
cheminant que dans les nuits des passions.
Le
Shaykh Abd al-'Aziz al-Dabbâgh dit : « Le maître
initiateur a des signes apparents :
- son
cœur est sain de toute envie ou sentiment de jalousie ;
- il
n'a point d'ennemi parmi les gens ;
- il
est généreux, si tu lui demandes, il te donne ;
- il
aime ceux qui lui nuisent ;
- il
ne prête pas d'attention aux fautes des disciples.
S'il ne possède pas de science exotérique ni de science ésotérique, jette-le dans les vagues de la mer.
Le
Shaykh Abd al-'Aziz al-Dabbâgh dit : « Il veut dire par
"science exotérique" la théologie et la science de
l'unité, c'est-à-dire la proportion exigée de ces deux sciences
chez le responsable. Et par "science ésotérique" il
désigne la connaissance de Dieu Très Haut. [...] S'il trouve un
maître qui ne rassemble pas de manière parfaite les deux sciences
exotérique et ésotérique, le disciple est alors proche de la
ruine. »
«
Celui qui n'est pas compté parmi les maîtres parce qu'il n'a pas
reçu l'investiture d'un maître parfait - car celui-ci est mort
avant d'avoir terminé l'initiation de son disciple -, mais qui a été
confirmé par les gens, est aussi un maître valable et acceptable
parce qu'il n'est pas exclu que son initiation ait été complétée
par des saints invisibles, ou par monseigneur Ahmad al-Khadir. [...]
Ne t'attends à trouver le maître initiateur qu'en celui qui a
rassemblé trois conditions : il est doté de vision intérieure ; il
est libre des passions ; il n'est pas imbu de sa personne. [...]
Celui dont les yeux sont rouilles voit le noir qui se trouve au
milieu de la lune sur la face du soleil qui est dépourvu de
noirceur, cela parce que les vérités s'inversent chez lui. Celui
qui n'a pas de vision intérieure voit les défauts dans le maître
parfait et le fuit, et il voit la perfection chez la personne
inaccomplie. »
«
Ne te présente chez un maître en vue d'entrer dans son
compagnonnage que si tu as la conviction qu'il est un maître
initiateur, et qu'il est en cela le plus confirmé de son temps. Cela
est une obligation pour le disciple, car le maître qui voit que son
disciple se tourne vers un autre maître lui coupe "les vivres".
[...] Si tu trouves, par le don du Seigneur, le maître qui va
t'initier, établis-toi à son service, tâche de connaître la
valeur de son compagnonnage, et prends-le comme médiateur vers Dieu,
peut-être atteindras-tu la connaissance de Dieu, mais encore tu dois
éviter les choses blâmables aux yeux de la loi
exotérique. »
«
Si tu élèves ton flux spirituel vers la voie de la pauvreté en
Dieu qui est la voie soufie, laisse de côté les passions de ton âme
dans ce qu'elle choisit pour elle-même comme dévotions et genres de
rapprochements, sans que le maître les lui recommande, éloigne-toi
de ses passions en cela de la manière dont tu dois t'écarter du
mal. [...] Mets ton âme dans le giron de ton maître afin qu'il
t'éduque comme une mère éduque son enfant dans son giron. Il n'y a
pas pour ton âme de sortie du giron du maître et de sa tutelle
avant d'être sevrée de l'initiation. »
«
Ne t'oppose jamais à ton maître, car l'opposition au maître
entraîne à coup sûr la dispersion du disciple opposant et son
éloignement de son Seigneur et de sa religion. »
Sache (que
Dieu t'assiste) que j'ai trouvé ces commentaires de quelques
vers de la Râ'iyya écrits de la main même du
maître sur une copie du poème. Je ne les ai donc pas entendus de
lui, mais ils étaient écrits de sa main bénie sans aucun doute ;
c'est pour cela que je les lui ai attribués, sachant que la science
du maître est supérieure à tout cela. Comme j'aurais voulu lui
lire ce poème afin d'entendre de lui les secrets seigneuriaux et les
lumières de la connaissance dans son commentaire, comme à son
habitude.
Quand
le Shaykh est mort, je m'engageai à visiter fréquemment son
tombeau, et je le vis en rêve qui me disait : « Mon être n'est pas
emprisonné dans la tombe, mais il se trouve dans le monde entier. »
Dans
le même sens, je l'ai entendu dire durant sa vie : « Le monde
entier se trouve parfois dans mon intériorité. »
Et
je l'ai entendu quelquefois dire : « Les sept cieux et les sept
terres ne sont aux yeux du croyant que comme un anneau jeté dans un
désert. La présence du maître doit être différente en fonction
des 408 stations des maîtres. »
Tel
est l'état du disciple dans l'assemblée du maître. Il doit garder
le silence et ne rien proférer comme belles paroles en sa présence,
sauf s'il trouve que le maître est disposé et que celui-ci lui
ordonne de le faire. Le disciple en la présence du maître est comme
celui qui est assis au bord d'un océan attendant qu'une subsistance
lui parvienne.
Une
étrange histoire est arrivée, et je l'ai entendue du Shaykh Abd
al-'Aziz al-Dabbâgh. Je l'ai entendu dire : « J'ai rencontré à La
Mecque (que Dieu l'ennoblisse) Abû-l-Hasan 'Alî
al-Sadghâ' al-Hindî, et je l'ai trouvé dans un état étrange.
Quand il voulait faire un pas, il levait le pied, et celui-ci
tremblait dans l'air, il le remettait par terre et il tremblait, et
il le rendait à l'endroit du pas et il tremblait, quiconque le
voyait ne pouvait que dire : "Il est atteint de folie." Je
lui dis : "Ô Abâ-l-Hasan, qu'est-ce que cet état dans lequel
tu te trouves ?"
«
Il dit : "Je n'ai pas dit ce qui m'est arrivé à un autre que
vous, et je m'en vais vous le dire. Dieu Très Haut m'a révélé Son
acte dans Ses créatures, je vois clairement Son acte courir dans la
création, rien ne m'en échappe. Ensuite II m'a révélé les
secrets de Son acte dans le destin des autres hommes. Je vois ces
actes, et je sais pourquoi ils sont, et je connais les secrets du
destin en eux de sorte qu'aucun de ces secrets ne m'échappe. Il
m'arriva alors de croire qu'il ne m'a pas voilé Sa vision uniquement
parce qu'il me veut du mal. [...] C'est pour cela que j'ai commencé
à avoir peur de tout acte de mon choix, attribué à moi, imaginant
avec exagération que chacun de mes actes choisis sera la cause de ma
ruine. [...] Le premier geste quand je veux étendre mon pied est un
acte, j'en tremble de peur, et je le rends à sa place tout en
tremblant de peur parce que je le rends, et il en est ainsi dans
chaque acte." »
Le
Shaykh Abd al-'Aziz al-Dabbâgh dit : « Dieu a voilé la vision
de ce saint afin qu'il ne voie pas Son acte en lui, par une
miséricorde qu'il a voulu lui accorder ; s'il lui avait révélé
cela et qu'il s'était mis à y voir l'acte en lui, son corps se
serait consumé. »
Je
me trouvais avec le Shaykh un jour à Bâb al-Hadîd quand il me
regarda et dit : « Nul ne peut prétendre connaître Dieu s'il ne
connaît pas l'Envoyé (SSP) ; et nul ne peut
prétendre connaître l'Envoyé (SSP) s'il ne
connaît pas son maître ; et nul ne peut prétendre à la
connaissance du maître s'il n'a pas fait sa prière du mort sur les
gens. Si les gens disparaissent de sa vue et qu'il se met à ne pas
faire attention à eux dans ses dires, ses faits, et toutes ses
affaires, il recevra une miséricorde inattendue. » Le Shaykh
appréciait celui qui ne prête aucune importance au regard des gens
sur lui.
II
nous disait : « Ne me cachez rien des choses qui vous arrivent, que
ce soit celles de la religion ou du bas monde, informez-moi même de
vos péchés. Si vous ne m'en informez pas, je vous en informerai. Un
compagnonnage dans lequel les états des compagnons sont occultés ne
peut être bon. »
Il
disait : « Quant à moi, je ne vous cache rien de mes affaires. »
Et il nous expliquait son état jusqu'à ce qu'il ait atteint son
époque, il nous rapportait tout ce qui lui arrivait comme choses
habituelles et d'autres ; il nous disait : « Si je ne vous informe
pas et ne vous révèle pas mes états, Dieu me punira et me
demandera des comptes, car vous pensez du bien de moi. Patientez
jusqu'à ce que je vous dise les choses intérieures qui ne vous ont
pas été révélées, après cela, celui parmi vous qui voudra
rester avec moi, qu'il reste, à ce moment-là sa nourriture sera
licite pour moi, et j'accepterai ses offrandes. Celui qui voudra
partir, qu'il parte. Mon silence sur ces choses serait une tricherie
envers vous. » En vérité, le Shaykh était pure miséricorde pour
ses compagnons, faisant le médiateur pour eux dans leurs fautes,
couvrant leurs vicissitudes, prenant en charge tout ce dont ils
craignent les conséquences, donnant plus d'importance à leurs
affaires qu'aux siennes propres.
Un
jour, il dit : « L'homme qui ne partage pas les mauvaises actions de
son compagnon n'est pas un compagnon pour lui. Si le compagnonnage
n'existe que pour les bonnes actions, ce n'est pas du vrai
compagnonnage. »
II
dit également : « Par respect pour le maître, si le disciple a des
choses à lui dire concernant sa religion ou son bas monde, il ne
doit pas se précipiter et l'envahir, mais patienter jusqu'à ce
qu'il voie à travers l'état du maître qu'il est disponible pour
lui et prêt à écouter ses paroles. Tout comme les invocations ont
un temps, une politesse et des règles, car il s'agit de la
conversation avec Dieu Très Haut, parler avec le maître a également
des politesses et des règles, car cela relève d'une conduite envers
Dieu Très Haut. Avant de parler au maître des questions qui lui
tiennent à cœur, le disciple doit demander à Dieu Très Haut le
succès dans sa politesse à l'égard du maître. »
Je
lui dis un jour : « Je crains Dieu Très Haut pour des délits que
j'ai commis. » Il me dit : « Que sont ces choses ? » Je lui dis
alors ce qui m'était arrivé.
Il
me dit : « Ne crains pas ces choses, mais le plus grand péché dans
ton cas est que tu passes une heure sans penser à moi, c'est cela la
transgression qui te nuira dans ta religion et ton bas monde. »
Je
lui dis une fois : « O monseigneur, je suis loin du bien. » Il dit
: « Abandonne cette idée, et regarde ta position chez moi, c'est
sur elle que tu peux compter. » Nous étions avec le Shaykh dans un
état dont il est rare d'entendre son pareil. Il ne nous arrivait pas
une chose importante ou banale sans que nous ne la lui
rapportassions, et à peine l'avions-nous fait qu'il la prenait en
charge pour nous ouvertement et apaisait ainsi notre pensée. Il
plaisantait et riait beaucoup avec nous, il nous encourageait à nous
débarrasser de notre timidité, et commençait le premier à nous
entretenir des choses qui nous préoccupaient, et nous disait : « Ne
me considérez pas comme un maître, mais plutôt comme un de vos
frères. Vous ne pouvez pas supporter la politesse que demande la
station du maître, je vous pardonne et vous délie de cela.
Prenez-moi comme un frère, l'amitié durera entre nous. » Que Dieu
le rétribue pour nous de la meilleure façon, par Sa grâce et Son
don.
vendredi 28 octobre 2016
Khadidjeh Nâderi Beni - Le motif et la symbolique de l’arbre dans le Coran
L’arbre
est une preuve qui, comme tous les autres éléments de la nature,
atteste la toute-puissance de Dieu. Dans le Coran, livre sacré des
musulmans, le mot « arbre » est désigné majoritairement par le
terme arabe shajar, qui y apparaît à 27 reprises. Plus précisément,
en langue arabe, shajar est employé pour désigner toute plante
composée d’un tronc. Dans cet article, nous allons donner un
aperçu des différentes manifestations et fonctions de l’arbre
dans le Coran.
L’arbre
dans les allégories du Coran
Le
Coran contient un bon nombre d’allégories destinées à mieux
faire comprendre certaines idées, ou à donner une description
divine de sujets qui dépassent la compréhension humaine. Il est
intéressant de constater que la symbolique de l’arbre y est
souvent présente :
a)
sourate Ibrâhim (Abraham), versets 14 et 24 : « N’as-tu pas vu
comment Allah propose en parabole une bonne parole pareille à un bel
arbre (shajara tayyiba) dont la racine est ferme et la ramure
s’élance vers le ciel ? » ; « Et une mauvaise parole est
pareille à un mauvais arbre (shajara khabissa), déraciné de la
surface de la terre et qui n’a point de stabilité ».
b)
sourate Al-Isrâ’ (Le voyage nocturne), verset 60 : « Et lorsque
nous te disions que ton Seigneur cerne tous les gens par sa puissance
et son savoir. Quant à la vision que nous t’avons montrée, nous
ne l’avons faite que pour éprouver les gens, tout comme l’arbre
maudit (shajara mal’ouna) mentionné dans le Coran. Nous les
menaçons, mais cela ne fait qu’augmenter leur grande
transgression. »
L’arbre,
un signe (aya) de la puissance divine
En
réfléchissant au sujet de la création, et notamment à la
complexité du processus de croissance de l’arbre, les gens
intelligents (owlo-l-albâb) peuvent saisir un aspect de la
toute-puissance du Créateur. Les versets 27 et 60 de la sourate
Al-Naml (Les fourmis) énoncent ainsi : « N’est-ce pas Lui qui a
créé les cieux et la terre et qui vous a fait descendre du ciel une
eau avec laquelle nous avons fait passer des jardins pleins de beauté
» ; « Vous n’étiez nullement capables de faire pousser leurs
arbres. Y-a-t-il donc une divinité avec Allah ? Non, mais ce sont
les gens qui lui donnent des égaux ».
L’arbre
et la louange à Dieu
Selon
les enseignements coraniques, Dieu a créé les cieux et la terre ;
dès leur création, tous les êtres vivants et les objets inanimés
glorifient et louent un Dieu unique. L’arbre, comme toutes les
autres créatures de l’univers, a une fonction utile et est un être
glorifiant et louant la grandeur de son Créateur. Dans le premier
verset de la sourate Djom’eh (Vendredi), on lit : « Ce qui est
dans les cieux et ce qui est sur la terre glorifient le Souverain, le
Pur, le Puissant, le Sage ».
La
présence de l’arbre dans la vie des prophètes
Les
noms de nombreux prophètes envoyés par Dieu sont cités dans le
Coran. L’Histoire des prophètes telle qu’elle y est racontée
nous donne un aperçu sur le contenu de leur message et leur mode de
vie. L’arbre y est souvent cité, et occupe parfois un rôle de
première importance. En voici quelques exemples.
a)
Adam : après avoir créé Adam et Eve, Dieu les place dans le jardin
d’Éden en leur interdisant de manger le fruit de l’arbre de vie.
Ils peuvent donc manger les fruits de tous les arbres, sauf celui de
l’arbre défendu. Mais, ils sont tentés par Satan et en mangent
tous les deux. Suite à cette désobéissance mais après leur avoir
pardonné, Dieu décide de faire descendre Adam et Eve sur terre.
Cette histoire est évoquée à plusieurs reprises dans le Coran,
notamment à la sourate Al-Baqara (La vache), verset 35 : « Et nous
dîmes : Ô Adam, habite le Paradis toi et ton épouse et
nourrissez-vous-en de partout à votre guise ; mais n’approchez pas
de l’arbre que voici : sinon vous seriez du nombre des injustes. »
et la sourate Tâhâ, versets 120 et 121 : « Puis le Diable le tenta
en disant : Ô Adam, t’indiquerais-je l’arbre de l’éternité
et un royaume impérissable ? » ; « Tous deux (Adam et Eve) en
mangèrent. Alors leur apparut leur nudité. Ils se mirent à se
couvrir avec des feuilles du Paradis. Adam désobéit ainsi à son
Seigneur et il s’égara ».
b)
Younos (Jonas) : Messager de Dieu au sein du peuple de Ninive [1],
Jonas désespère très vite de son peuple qui refuse d’accepter
son appel à la foi. Il délaisse donc sa mission et quitte son
peuple sans que Dieu lui en donne l’autorisation. Il embarque dans
un bateau et s’éloigne de la région. Dieu lui envoie un châtiment
: une tempête violente fait chavirer son bateau. Jonas tombe dans la
mer et est avalé par une baleine, sans être blessé. Il reste
quelques jours dans l’obscurité de son ventre. C’est là qu’il
reconnaît son tort et se repentit en prononçant des prières. Dieu
lui pardonne son péché et la baleine le recrache sur la côté
d’une île déserte. Dieu y fait pousser un "arbre de courge"
et Jonas, faible et malade, se rétablit après en avoir consommé.
Cette histoire est détaillée dans le Coran, notamment dans la
sourate Al-Sâfât (Les rangés), versets 145 et 146 : « Nous le
jetâmes (Jonas) sur la terre nue, indisposé qu’il était » ; «
Et nous fîmes pousser au-dessus de lui un arbre de courge ».
c)
Moussâ (Moïse) : L’histoire de la vie de Moïse est évoquée
dans plusieurs sourates du Coran. Dans une scène s’y rapportant,
il se réfugie sur le mont Tour et s’installe à l’ombre d’un
arbre. C’est là que Dieu lui révèle sa mission prophétique.
Dans la sourate Al-Ghasas (Le récit), verset 30, on lit : « Puis,
quand il y arriva, on l’appela du flanc droit de la vallée dans le
lieu béni à partir de l’arbre : "Ô Moïse, c’est moi
Allah, le Seigneur de l’Univers." ». Dieu choisit donc un
arbre pour se manifester à celui qu’Il a choisi comme prophète.
d)
Issâ (Jésus) : Alors que la naissance de Jésus approche, sa mère,
Maryam (Marie), se retire près du tronc d’un palmier dans un lieu
éloigné. Dieu lui dit alors : « Secoue vers toi le tronc du
palmier : il fera tomber sur toi des dattes fraîches et mûres. »
(sourate Maryam, verset 25).
e)
Mohammad : A la VIIe année de l’Hégire et au cours d’un voyage
vers La Mecque, les musulmans s’installent sous un arbre dans la
région de Hodaybeh. Là, ils prêtent serment d’allégeance au
Prophète en s’engageant à lutter contre les infidèles. Conclu
sous l’arbre, ce serment est connu sous le nom de Bey’at taht
al-shajara, c’est-à-dire "le serment sous l’arbre".
Dans la sourate Al-Fath (La victoire éclatante), verset 18, Dieu dit
au Prophète : « Allah a très certainement agréé les croyants
quand ils ont prêté le serment d’allégeance sous l’arbre. Il a
su ce qu’il y avait dans leurs cœurs, et a fait descendre sur eux
la quiétude, et il les a récompensés par une victoire proche ».
Nous
voyons donc que le motif de l’arbre est très présent dans le
Coran, et se voit conférer un rôle particulier dans la vie des
prophètes les plus importants reconnus par l’islam.
Les
arbres du Paradis
L’un
des messages centraux délivrés par le Coran est le caractère
éphémère de la vie terrestre, et l’existence d’une vie
éternelle dans l’Au-delà. Selon le récit coranique, les êtres
humains seront alors divisés en deux groupes : l’un ira au
Paradis, et l’autre en Enfer. Dans le Coran, le Paradis est souvent
désigné par le mot jannat qui signifie « jardin », et abrite de
nombreux arbres toujours verts. Le Coran en donne des descriptions
dans plusieurs sourates dont : a) La sourate Al-Insân (L’homme),
verset 14 : « Ses ombrages les couvriront de près et ses fruits
inclinés bien bas, à portée de leurs mains ». b) sourate
Al-Rahmân (Le Tout-Miséricordieux), verset 46 : « Et pour celui
qui aura craint de comparaître devant son Seigneur, il y aura deux
jardins ».
Dans
quelques autres versets, nous pouvons lire les noms de certains
arbres fruitiers du Paradis. Ainsi, dans la sourate Al-Wâqi’a
(L’événement), versets 28 à 32, les récompenses destinées aux
personnes les plus proches de Dieu sont évoquées : « Elles seront
parmi des jujubiers sans épines » ; « Et parmi les bananiers aux
régimes bien fournis » ; « Dans une ombre étendue » ; « Près
des eaux coulantes continuellement » ; « Et des fruits abondants ».
L’arbre le plus éminent du Paradis s’appelle Toubâ ; il s’agit
d’un très grand arbre qui porte tous les fruits existants. Selon
certaines interprétations coraniques, il constitue un symbole de
l’amitié des croyants vis-à-vis du prophète Mohammad et des
douze Imâms.
Les
arbres de l’Enfer
En
donnant des descriptions sur les caractéristiques de l’Enfer, Dieu
cite un arbre nommé Zaqqoum, qui signifie « chose très amère ».
En voici un exemple tiré de la sourate Sâffât (Les Rangs), versets
62 à 66 : « Est-ce que ceci est meilleur comme séjour ou l’arbre
de Zaqqoum ? » ; « Nous l’avons assigné en épreuve aux injustes
» ; « C’est un arbre qui sort du fond de la Fournaise » ; « Ses
fruits sont comme des têtes de diables » ; « Ils doivent en manger
certainement et ils doivent s’en remplir le ventre ». Nous pouvons
aussi évoquer les versets 43 à 45 de la sourate Al-Dokhân (La
fumée) : « Certes l’arbre de Zaqqoum » ; « Sera la nourriture
du grand pécheur » ; « Comme du métal en fusion ; il bouillonnera
dans les ventres ».
Outre
les arbres de l’Au-delà, on peut trouver les noms de certains
arbres terrestres dans des passages du Coran. Le palmier (al-nakhl)
est cité à vingt reprises dans différentes sourates. Parmi
d’autres arbres et fruits cités dans le Coran, on peut surtout
mentionner la vigne (‘inab), l’olive (zeytoun), la grenade
(rommân) et le lotus (sidr). Ce dernier est évoqué à quatre
reprises, et fait surtout allusion à l’arbre qui apparaît durant
l’ascension du Prophète au ciel. A ce sujet, on peut lire dans la
sourate Al-Nadjm (L’étoile), versets 11 à 16 : « Le cœur n’a
pas menti en ce qu’il a vu » ; « Lui contestez-vous donc ce qu’il
voit ? » ; « Il l’a pourtant vu, lors d’une autre descente » ;
« Près de la Sidrat al-Montahâ » ; « Près d’elle se trouve le
jardin de Ma’vâ » ; « Au moment où le lotus était couvert de
ce qui le couvrait ».
Le
rôle de l’arbre dans la vie terrestre d’après le Coran
Le
Coran comporte des versets où Dieu fait allusion aux différents
usages de l’arbre dans la vie terrestre de l’homme, et dont voici
quelques exemples : a) sourate Yâ-Sin, verset 80 : « C’est Lui
qui, de l’arbre vert, a fait pour vous du feu, et voilà que de
cela vous allumez ». b) sourate Al-Nahl (Les abeilles), verset 68 :
« Et voilà ce que le Seigneur révéla aux abeilles : prenez des
demeures dans les montagnes, les arbres et les treillages que les
hommes font ». c) la même sourate, verset 10 : « C’est Lui qui,
du ciel, a fait descendre de l’eau qui vous sert de boisson et
grâce à laquelle poussent des plantes dont vous nourrissez vos
troupeaux ».
Bibliographie
:
-
Abolghâssemi Fakhri, Gholâm-Hossein, La traduction du Coran en
français, Qom, Ansâriân, 2000.
-
Mo’meni, Mohtasham, « L’arbre dans le Coran » (Derakht dar
Ghor’ân), in Golestân-e Ghorân (Jardin du Coran), 6e année, no
170, 1390/2011.
-
Taghvâ’ï, Ali-Akbar ; Okhovvat, Hânieh, « Etude sur les
différents emplois de l’arbre dans le Coran », in Bayyenât, 6e
année, no 3, 1388/2009.
Notes
[1]
Une ancienne ville de l’Irak actuel.
lundi 24 octobre 2016
Chems-eddine HAFIZ - Notes de lecture du livre " Introduction aux doctrines ésotériques de l'Islam" de Titus Burckhardt
Titus Burckhardt et Frithjof Schuon
Un
livre de Titus Burckhardt, on me rétorquera qu'il s'agit d'un écrit
difficile, inaccessible, voire indigeste. Que nenni, c'est un régal
pour celui qui s'intéresse à ce qui n'est pas visible, (Bâtin) aux
grands ésotéristes du 20ème siècle.
Titus
Burckhardt est de mon point de vue l'un des meilleurs interprètes de
ce que l'on appelle la vérité universelle en matière
d'enseignement ésotérique et sapientiel, de cette philosophia
perennis que l'on retrouve aussi bien dans le Platonisme que le
Vedanta ou le Soufisme.
Membre
de l' "école traditionaliste", il fait partie de ceux qui
ont composé les trois courants principaux de disciples de René
Guénon (1886-1951) : Frithjof Schuon, Michel Valsân, Roger
Maridort, Martin Lings ou encore Roger du Pasquier.
Pour
celles et ceux qui ne connaissent pas Titus Burckhardt, il est né à
Florence en 1908 et mort à Lausanne en 1984. Il est l'auteur
d'ouvrages consacrés à l'ésotérisme, notamment l'ésotérisme
musulman qui aujourd'hui est considéré sans contestation comme
trouvant sa source dans le livre sacré de l'Islam, le Coran, où la
dualité d'Allah, Celui apparent et Celui caché, autorise pleinement
la voie mystique.
Dans
son livre « Introduction aux doctrines ésotériques de l'Islam »,
Dervy-Livres, 1969, réédité dans la collection l'Etre et l'Esprit,
2008, Titus Burckhardt confirme, que le soufisme n'a aucunement pas
subi d'influences extérieures à l'Islam, qu'elles soient hindoues,
chrétiennes ou néo-platoniciennes. Il compare le rôle du Soufisme
dans l'Islam à « celui du cœur dans l'homme », le cœur étant le
« centre vital de l'organisme » et le « siège » d'une essence
qui dépasse toute forme individuelle ».
Le
Soufisme, l'ésotérisme de l'Islam, appelé al-taçawwuf, car ces
adeptes revêtaient de la laine (çûf), ceux que l'on appelle
mutaçawwuf, qui vivent le « secret » (al-sir) entre eux et Allah.
Titus Burckhkardt définit le Soufisme « qui est l'aspect ésotérique
ou « intérieur » de l'islam, se distingue de l'Islam exotérique
au même titre que la contemplation directe des réalités
spirituelles – ou divines – se distingue de l'observance des lois
qui les traduisent dans l'ordre individuel en rapport avec les
conditions d'un certain cycle humain. »
Il
oppose l'ésotérisme islamique, l'intérieur – l'invisible, le
caché – ou bâtin, à l'extérieur – le visible, l'apparent –
ou zâhir, celle-ci qui consiste dans la simple observance des lois
religieuses qui symbolisent les réalités spirituelles.
C'est
également sur la Loi religieuse, la Charia ou « grande route »,
qui doit s'appliquer à l'ensemble des croyants musulmans, et qui est
considérée comme une écorce, dont la Vérité (haqqiqah) est le
noyau. Ce noyau est accessible à un très petit nombre.
Pour
René Guénon, cette loi islamique (exotérisme) s'assimile à la
circonférence qui entoure un point central qui est la Vérité et
pour que de la loi on accède à la Vérité, il y a lieu d'emprunter
un chemin ténu, « voie étroite », qui est comme le rayon de la
circonférence au centre et qui est la tarîqah, voie initiatique : «
La circonférence ne saurait exister sans le centre, dont elle
procède en réalité tout entière, et, si les êtres qui sont liés
à la circonférence ne voient point le centre ni même les rayons,
chacun d'eux ne s'en trouve pas moins inévitablement à l'extrémité
d'un rayon dont l'autre extrémité est le centre même. Seulement,
c'est ici que l'écorce s'interpose et cache tout ce qui se trouve à
l'intérieur, tandis que celui qui l'aura percée, prenant par là
même conscience du rayon correspondant à sa propre position sur la
circonférence, sera affranchi de la rotation indéfinie de celle-ci
et n'aura qu'à suivre ce rayon pour aller vers le centre. (...) Il
faut d'ailleurs préciser que, dès que l'enveloppe a été pénétrée,
on se trouve dans le domaine de l'ésotérisme ».
S'il
existe de nombreuses voies initiatiques ou tourouk, elles tendent
toutes vers le même point central qui est « l'état primordial ».
Dans
le soufisme, on distingue trois éléments : une doctrine, une
initiation et une méthode spirituelle.
La
doctrine est une « préfiguration symbolique de la connaissance
qu'il s'agit d'atteindre ». Elle est enseignée de manière «
personnelle » de maître à disciple, le maître qui est rattaché
au Prophète par un lien, dite chaîne de transmission (silsilah).
Quant
à l'initiation, elle consiste dans « la transmission d'une
influence spirituelle » d'un maître à un disciple qui lui inculque
une méthode spirituelle. Il existe de nombreuses méthodes, de
nombreuses chaînes qui sont autant de voies différentes
correspondant à des vocations spirituelles particulières. Pour
illustrer mon propos, prenons comme exemple Djalâl ud-din Rûmî,
dit Mawlânâ, « notre Maître », fondateur de l'ordre des
Derviches tourneurs qui a développé le concept du concert spirituel
– le samâ' – : « Plusieurs chemins mènent à Dieu, dira-t-il,
j'ai celui de la danse et de la musique » :
«
Le samâ' est la paix pour l'âme des vivants,
Celui
qui sait cela possède la paix de l'âme.
Celui
qui désire qu'on l'éveille,
C'est
celui qui dormait au sein du jardin.
Mais
pour celui dort dans la prison,
Etre
éveille n'est pour lui que dommage.
Assiste
au samâ' là où se célèbre une noce,
Non
pas lors d'un deuil, en un lieu de lamentation.
Celui
qui ne connaît pas sa propre essence
Celui
aux yeux de qui est cachée cette beauté pareille à la lune,
Une
telle personne qu'a-t-elle à faire du samâ' et du tambour de basque
?
Le
samâ' est fait pour l'union avec le Bien Aimé.
Ceux
qui ont le visage tourné vers la Qibla,
Pour
eux, c'est le samâ' de ce monde et de l'autre.
Et
plus encore ce cercle de danseurs dans le samâ'
Qui
tournent et ont au milieu d'eux leur propre Ka'ba ».
Il
est établi que dans la tradition islamique, la recherche de la «
connaissance » (Ilm) est un mot qui revient plus de 800 fois dans le
Coran et les nombreuses traditions prophétiques affirment que « la
recherche de la connaissance est une obligation religieuse », ou «
cherchez la connaissance jusqu'en Chine ».
C'est
donc, cette obligation pesant sur le croyant musulman qui est se
consacrer à la recherche de la connaissance qui « vivifiera » la
religion musulmane.
https://blogavocat.fr/space/chems-eddine.hafiz/contents
samedi 22 octobre 2016
mercredi 19 octobre 2016
dimanche 16 octobre 2016
Louis Charbonneau-Lassay - L'Iconographie emblématique de Jésus-Christ. La Licorne - Le Rhinocéros
Eglise St. Crucis à Erfurt
Regnabit 7e année, n° 10, mars 1928, pp. 203-213
samedi 15 octobre 2016
Cheikh Ahmad At-Tidjânî - Au sujet de l’âme (Nafs), de l’esprit (Rouh), du cœur (Qalb) et du secret (Sirr).
Sidi
‘Ali Harazim (qu’Allah l’agrée) a dit :
«
J’ai interrogé Seïdina Ahmed Tidjani (qu’Allah sanctifie son
précieux secret) au sujet de l’âme (Nafs), de l’esprit (Rouh),
du cœur (Qalb) et du secret (Sirr). S’agissait-il de noms
différents pour un seul nommé ou pour plusieurs ?
Si
on suppose que ces noms ne désignent qu’un seul nommé, alors
pourquoi se fatiguer à diversifier les noms ? Si on suppose que
chacun est dissocié de l’autre, cependant celui à qui s’adresse
le Discours Divin est bien l’esprit (Rouh), car c’est lui qui
goûte au délice et à la douleur du supplice ? »
Il
nous a clarifié cela de façon convaincante, que la paix soit sur
notre maître et notre professeur, ainsi que la miséricorde d’Allah
le Très-Haut et sa bénédiction. Seïdina Ahmed Tidjani (qu’Allah
sanctifie son précieux secret) a répondu comme suit :
«
Sache que ces différents noms ne sont en réalité que pour un seul
nommé qui n’a pas de pluralité, mais les noms ne sont multiples
qu’en fonction du degré de l’esprit (Rouh).
Ce
qui clarifie cela est qu’Allah (qu’Il soit Glorifié et Exalté)
a créé l’esprit humain de la pure pureté de la Lumière Divine
et son établissement provient des hautes nuées Seigneuriales
déversées (‘Amma Rabbani) et Il a fait habiter l’esprit à
l’emplacement de l’Esprit Vivifiant.
Là,
il ne cesse de connaître parfaitement Allah le Très-Haut, en étant
établi dans Son Amour et Son Unicité, connaissant Ses noms et Ses
qualités, sans être préoccupé par autre que Lui. Il ne cesse
d’être ainsi dans la pureté la plus totale, très éloigné de ce
que peut comprendre la raison.
Puis
l’esprit a habité le récipient du corps humain. Le corps
s’approprie la vie et la compréhension en fonction de
l’établissement de l’esprit en lui. Il existe dans le corps en
l’état de « l’esprit nafs » (Rouh Nafs ). Il est une vapeur
subtile qui contient la force de la vie, de la sensation, du
mouvement et de la compréhension.
Ainsi,
le nafs n’existe qu’en tant que définition et non en tant
qu’essence puisqu’il se forme à partir de la rencontre de
l’esprit avec le corps. Si jamais ils se séparent (l’esprit et
le corps) le nafs n’existe plus en tant que nafs qui n’est qu’une
vapeur subtile.
Cette
chose qu’on nomme nafs est la source des mauvaises moralités et
des vices maladifs tant qu’il impose son autorité sur la personne,
car l’esprit est détenu entre ses mains. Il ne se manifeste qu’en
vue de l’agrément du nafs dans la perte totale et l’éloignement
complet de la Présence Divine. Cela se fait par la force lumineuse
de l’esprit qui s’est inversée en raison de son établissement
dans les ténèbres du corps.
Ainsi,
l’esprit est souillé par les impuretés et les saletés du corps
et il est accaparé par la fonction du nafs corrompu (Nafs Khabitha).
Il devint alors un désobéissant à l’ordre d’Allah. C’est le
reflet de l’autorité du corps, celui-ci est de source ténébreuse,
il provient de l’eau et de l’argile et il est en état de
consistance.
Quant
à l’esprit, il est la résultante de la pureté claire de la
Lumière Divine dans un état de parfaite pureté et de préciosité.
C’est la plus pure des quintessences et la plus élevée. L’esprit
a été imprégné des ténèbres dans le monde sensible. Tant qu’il
tend vers les désobéissances, les infractions et la poursuite des
passions, il se nomme dans cette station : « le nafs qui ordonne le
mal » (Nafs El Amara bi sou-i).
Alors,
s’il apparaît en lui les Lumières Divines lui permettant de
sortir des caractères de la désobéissance et de l’infraction par
l’existence du repentir (Tawba), il commence à se blâmer et à se
discréditer à cause de ce qu’il a négligé comme Droits Divins.
Le
nafs commence alors à s’éloigner du mal et à se blâmer pour
revenir vers la porte du Généreux bienfaisant, il est alors appelé
dans cette station « l’âme qui se blâme » (Nafs Lawwama) car il
se blâme de ce qu’il a négligé comme Droits d’Allah le
Très-Haut.
Puis
s’il apparaît à l’esprit la Lumière Divine qui la purifie en
chassant de lui la densité des péchés qu’on appelle les péchés
capitaux (El Kaba-ir), il ne lui reste plus alors que les infractions
subtiles et mineures, il s’appelle dans cette station « un cœur »
(Qalban). Il a senti l’odeur de la Sainte Présence. Quelquefois il
est pris par les Odeurs Sacrées de telle manière qu’il éprouve
de la nostalgie pour ce qu’il était lors de sa première
existence.
De
temps à autre, il est vaincu par la densité des ténèbres de sa
nature acquise lors de son établissement dans le corps, à ce
moment-là, il a de la nostalgie pour ses désirs et le suivi de ses
passions. C’est parce qu’il est basculé entre ces deux états
qu’on l’appelle « cœur ». Il connaît les désirs, les
attractions et il a tendance à s’y attacher, c’est pour cette
raison qu’on l’appelle dans cette station « cœur », en
conséquence de ses changements permanents.
Ensuite
si les Lumières de la Sainte Présence se déversent sur lui, le
purifiant complètement de toutes désobéissances lourdes et
légères, petites et grandes et qu’ainsi ses pieds s’enracinent
dans l’orientation vers Allah et son obéissance, alors son
agitation s’apaise.
On
l’appelle à ce degré « le Nafs apaisé » (Nafs Moutma-ina) mais
il lui reste une attirance vers autre qu’Allah (qu’Il soit
Glorifié et Exalté) même si c’est licite et il reste en lui une
trace de déviance par rapport à la rectitude ainsi qu’une sorte
de préoccupation dans l’arrangement et le choix de ses propres
intérêts.
Ensuite,
si les Lumières Divines se déversent sur lui, elles entraînent la
destruction de toutes formes de choix et habitudes. Il revient à
Allah dépouillé de toute autre chose qu’Allah. À ce moment-là,
il s’appelle « Nafs satisfait » (Nafs Radiya) mais il reste en
lui la trace des formes qui a été détruite auparavant et ses
traces sont semblables à des cicatrices laissées par des plaies
après la guérison. Pour cette raison, il est crispé face à la
Présence Divine.
Puis
s’il reçoit les lumières de la Sainte Présence, ce qui le
conduit au parachèvement de sa pureté, il rompt définitivement
avec la trace des illusions et le brouillard des sens, sa
connaissance disparaît, son existence s’anéantit. Ce flux, qui
est la plus grande lumière, fut exprimé dans la terminologie des
Connaissants par « l’Ouverture Suprême » (Fath El A’dham).
L’esprit
se nomme dans cette station « l’âme donnant satisfaction » (Nafs
Mardiya) car elle a perdu toute sensibilité et compréhension, il ne
lui reste plus ni connaissance, ni image, ni nom, il ne lui reste
plus que la contemplation de la Vérité, dans la Vérité, pour la
Vérité venant de la Vérité.
C’est
ce qu’on appelle « l’extinction de l’extinction »
(Fana-ou-l-Fana). Là, son créateur l’a complètement agrée c’est
pour cela qu’on le dénomme « l’âme donnant satisfaction ».
Puis,
s’il reçoit les Lumières de la Sainte Présence, qui induit à
l’anéantissement des orientations et l’ébranlement des
expressions palpables, il est imprégné par cela extérieurement et
intérieurement. Lorsqu’il est irrigué par les Lumières de sa
Sainte Présence, il retrouve la pureté originelle dans le degré
caché à l’exemple de la lumière du soleil lors de son apparition
sur la nuit. Il est appelé dans cette station « caché »
(Ikhfa)car il s’est éloigné de la perception de la raison et des
pensées compréhensives.
Après
quoi, il est dans une perpétuelle élévation à travers les
stations, sans fin, au cours de son existence ici-bas aussi bien que
dans le Barzakh que dans l’éternité du Paradis sans que son
élévation ne prenne fin ou n’aboutisse.
À
chaque station se révèlent à lui des Attributs d’Allah, Ses
Noms, Ses Influx. Ainsi, la station précédente par rapport à celle
qui est nouvellement acquise n’est, en proportion, qu’une goutte
par rapport à l’océan.
Par
conséquent, à chaque fois qu’il acquiert une station, il reçoit
des influx (Fouyoudat), des théophanies (Tajaliyat), des
connaissances (Ma’arif), des sciences (‘Ouloum), des secrets
(Asrar), des ouvertures (Foutouhat).
Dans
cette phase, il se situe au-dessus de la station « le caché »,
celle-ci s’appelle « le secret de l’ardeur » (Sirrou Chaddah).
jeudi 13 octobre 2016
Éric Geoffroy : « On ne peut nier le besoin spirituel en France »
Propos recueillis par Clémentine Garnier
Islamologue
et spécialiste du soufisme, Éric Geoffroy préside la fondation
Conscience Soufie, qui œuvre à promouvoir la sagesse universelle de
cette voie intérieure de l’islam. Pour lui, la spiritualité donne
des clés pour comprendre notre monde.
Les
écoles soufies se rattachent habituellement à une confrérie mais
ce n'est pas le cas de votre fondation Conscience Soufie. Pourquoi ?
Certains
qualifient, hâtivement, notre fondation de «néo-confrérie
dissimulée». Le système confrérique n’est pas toujours adéquat
à notre époque, dans la mesure où il a parfois – je dis bien
parfois – tendance à privatiser, voire à enfermer la sagesse du
soufisme au lieu de l'ouvrir à l'universel. Le but de la fondation
est exactement le contraire.
Pour
autant, les membres qui constituent le cercle de la fondation sont le
plus souvent rattachés à une confrérie. Je chemine moi-même avec
le cheikh Khaled Bentounès, qui défend d’ailleurs l'idée selon
laquelle «les confréries doivent sortir au grand jour». Son ONG,
l'Association internationale soufie Alawiyya (Aisa), reconnue auprès
de l’ONU, œuvre dans ce sens. Si le système confrérique est
actuellement en fin de course, la pertinence de l'affiliation à une
lignée initiatique remontant au Prophète demeure ; cela apporte une
protection dans le cheminement spirituel. Ainsi, la fondation ne se
pose pas comme étant une voie initiatique, mais les membres du
conseil souhaitent être des accompagnants, des « accoucheurs »
dans le sens de la maïeutique. Nous sommes profondément musulmans
et prônons l'approfondissement de notre islamité dans le sens de
l’universel ; le Coran et les paroles du Prophète bien compris ne
font que prôner cela.
Qu'en
est-il de l'universalisme de vos « enseignement et transmission »,
selon l’intitulé de l'un des cinq axes de la fondation ?
S'adressent-ils seulement aux personnes de confession musulmane ?
Notre
public se divise en trois catégories. Il y a ceux qui sont déjà
membres d'une confrérie, mais qui en sont déçus pour diverses
raisons – l'absence d'un maître vivant, une confrérie à
l’expansion internationale qui empêche le disciple d’accéder au
maître, une confrérie trop prosélyte... Un second cercle, plus
large, est constitué de musulmans qui ne se retrouvent plus dans le
discours normatif et ritualiste de l'islam. Ceux-là ont une soif
spirituelle, mais se méfient d’un système confrérique trop fermé
ou refusent la personne du cheikh qu’ils perçoivent faussement
comme un intermédiaire entre eux et Dieu. Une troisième catégorie
concerne les non-musulmans que la laïcité à la française ne
satisfait plus. Il y a un besoin spirituel que l'on ne peut plus
nier, et il est intéressant de noter que les femmes sont les
premières à franchir le pas. Elles ont généralement moins de
carapace que les hommes. Un public de tous âges s'intéresse à ce
que nous proposons et allons proposer. Les demandes d'adhésion ne
viennent pas seulement de France mais aussi de Suisse, de Belgique,
du Maghreb et du Sénégal.
La
connaissance du soufisme par le grand public émerge lentement.
Comment expliquer qu'il ait été marginalisé ?
Un
lavage de cerveau a été effectué par le wahhabisme et ses avatars
salafistes, qui ont présenté le soufisme comme une secte, alors que
tous les grands oulémas ont été soufis de près ou de loin, même
le très sévère Ibn Taymiyya (1263-1328) ! Or, lors d'un récent
congrès en Tchétchénie, il a été déclaré que le wahhabisme ne
fait pas partie du sunnisme ( lire l'article de Al-Manar ). Encore
une fois, l'élite qui gère l'islam, les grands responsables
musulmans (le cheikh de l’université al-Azhar, au Caire, que je
connais, les grands muftis, les ministres des Affaires religieuses…)
sont le plus souvent des soufis, ou des sympathisants du soufisme.
Les médias ont une part de responsabilité dans cette méconnaissance
du soufisme : ils ne lui laissent pas assez de place. Le cheikh
Bentounès n'a jamais été interviewé par un grand média français.
En 2006, une rencontre internationale a rassemblé des imams et des
rabbins à Séville (Espagne). Le journal télévisé français y a
consacré une minute, en toute fin, après le sujet sportif. Veut-on
réellement la paix ?
Dans
votre livre L'Islam sera spirituel ou ne sera plus (Seuil, nouvelle
édition 2016), vous défendez « une spiritualité lucide qui
pourfende l'hypocrisie religieuse et politique ». Dans quelle mesure
ce souci pourrait-il être pris en compte dans les débats politiques
?
L'élévation
de la conscience, que doit susciter chez la personne sa pratique
spirituelle, s’impose face à l'urgence des défis universels.
L'Algérie a compris la portée du soufisme et l'a promu dès le
premier mandat de Bouteflika, depuis la présidence de la République
jusqu’aux divers ministères et milieux universitaires.
Naturellement, il existe des risques que le soufisme soit
instrumentalisé. Il n’empêche que le dialogue interreligieux a
été mené, en grande partie, par des soufis et des milieux soufis
qui ont dû, à leur corps défendant, s’impliquer dans la
politique.
Aujourd'hui,
la spiritualité vivifie des débats qui sont d'habitude normatifs et
fades ; elle leur apporte une teneur et une saveur. Les prises de
conscience environnementale, éthique et bioéthique passeront par
une ouverture spirituelle, car la spiritualité donne des clés de
compréhension du monde. La France ne règlera pas ses problèmes
avec des discours aseptisés du genre « vous devez être citoyens
»,« vous êtes des musulmans citoyens » ou «défendons la
laïcité». Il faut donner du sens, et encourager une « laïcité
d'ouverture », telle que la nomme Régis Debray dans son rapport qui
date de 2002.
Le
gouvernement français tente pourtant d'engager des mesures dans ce
sens. Que pensez-vous de la création de la Fondation pour l'islam de
France, annoncée par Bernard Cazeneuve en août dernier ?
La
sénatrice de Paris Bariza Khiari a vivement critiqué le fait qu’un
non-musulman, Jean-Pierre Chevènement, soit nommé à la tête de
cette fondation. « N’y a-t-il pas un musulman capable de la
diriger », s’interrogeait-elle ? L'écrivain Tahar Ben Jelloun,
que je respecte par ailleurs, fera partie du conseil d'administration
de cette fondation, mais comment les musulmans pourraient-ils se
reconnaître en lui ? L'État français choisit toujours des « têtes
», quelques intellectuels parisiens dont la pensée abonde dans son
sens. Pendant ce temps-là, en Allemagne, cinq universités
théologiques d'État ont vu le jour en quelques années, et elles
fonctionnent très bien. En France, nous sommes paralysés ! C'est
une bonne chose de créer des postes en islamologie académique –
bien sûr – mais que propose-t-on concrètement au musulman lambda?
Il faut agir à d'autres niveaux : former les publics professionnels,
par exemple. Un des axes de la fondation Conscience soufie est la
médiation sociale : tout corps professionnel, y compris les
journalistes, doit être sensibilisé à un discours différent sur
l'islam. D’ailleurs, le milieu médiatique français bouge dans le
bon sens, et beaucoup de journalistes me disent attendre un autre
discours sur l’islam que celui que la plupart des politiques nous
assènent ! Je donne personnellement des cours en ce sens à des
cadres pénitentiaires, et cela va être bientôt fait au nom de la
fondation. Celle-ci va également afficher un programme de séminaires
d’éveil à la spiritualité, destiné aux jeunes, aux adolescents,
notamment des quartiers difficiles, qui en ont bien besoin. Plusieurs
partenariats avec des institutions sont en voie d’être finalisés.
Un premier séminaire aura lieu à Paris le week-end des 15 et 16
octobre, il visera d’abord à déconstruire les préjugés que les
uns et les autres nourrissent très souvent sur le soufisme. Tout
cela est sur notre site et notre page Facebook.
Éric
Geoffroy, une quête spirituelle plurielle
Né
en 1956 à Belfort, Éric Geoffroy a reçu une éducation chrétienne
catholique. Adolescent, il a «fait partie d'un groupe de rock»,
confie-t-il, comme beaucoup de jeunes. À l'âge de 22 ans, au cours
d'un séjour en Afrique, il contracte une contamination parasitaire
intestinale l’ayant profondément affecté. En langue arabe,
explique-t-il, « le terme est le même pour désigner le ventre ou
les intestins et l’intériorité, la voie ésotérique ». Il a
donc compris qu’il lui fallait passer du voyage extérieur,
horizontal, au voyage intérieur, vertical. Guéri, Éric Geoffroy a
pratiqué plusieurs voies spirituelles, dont le bouddhisme zen, et a
lu l’œuvre du métaphysicien René Guénon, lui-même devenu
soufi. C'est dans un centre bouddhiste tibétain (en France) qu'il a
«redécouvert Jésus», qui lui manquait dans le bouddhisme, mais
qui est « tellement présent en islam », ainsi que Marie. La
métaphysique de l'islam, « son principe de non-dualité et
d'unicité », l'ont conquis. Il a poursuivi son apprentissage au
Caire avant son retour en France où il enseigne l'islamologie et le
soufisme, à l'Université de Strasbourg et ailleurs. Il est
aujourd'hui l'auteur d'ouvrages dont certains ont été traduits dans
différentes langues. Membre de groupes de recherche internationaux,
il est régulièrement sollicité à propos de l'islam et du
soufisme. Il mène des conférences en Europe, dans le monde arabe,
en Afrique, en Asie et aux États-Unis.
lundi 10 octobre 2016
samedi 1 octobre 2016
Zaïm Khenchelaoui - «On assiste à une déspiritualisation de l’islam»
http://www.elwatan.com
Mustapha Benfodil
Zaïm Khenchelaoui est anthropologue des religions et fin connaisseur du soufisme. Dans cet entretien, il revient sur les derniers attentats revendiqués par Daech en désignant le wahhabisme comme matrice idéologique commune à toutes ces sectes exterminatrices. Le chercheur établit un lien très étroit entre wahhabisme et terrorisme.
«Le
wahhabisme, c’est du terrorisme spéculatif», dissèque-t-il. Zaïm
Khenchelaoui rappelle que les premières victimes de cette
«internationale wahhabite» sont d’abord les musulmans et souligne
l’urgence de s’attaquer au discours takfiriste inhérent à cette
doctrine et répercuté à travers les mosquées, les chaînes de
télévision et internet.
Nous
vivons une séquence terrifiante avec ce chaos destructeur qui est en
train de ravager le monde sous la bannière de Daech. Vous avez
régulièrement pointé du doigt le wahhabisme comme matrice
doctrinale commune à toutes ces phalanges mortifères, qu’elles
s’appellent Daech, Al Qaîda ou Boko Haram. Pour vous, il est
important de ne pas se tromper de diagnostic et de nommer clairement
la doctrine wahhabite comme préalable catégorique si on veut sortir
de cette spirale de terreur…
Ces
désignations sont, en réalité, des franchises d’une même marque
de fabrication qui s’appelle le wahhabisme dont il est la matrice,
le foyer et le fondement théorique. Toutes ces pratiques déviantes
se réclament indûment de l’islam. Mais en vérité, je vous le
dis, cette guerre est menée contre l’islam. Et le point commun
entre toutes ces organisations criminelles, c’est la doctrine
wahhabite.
Ce
phénomène ne concerne que ladite secte. On n’a pas vu des
sunnites dans le sens orthodoxe du terme se faire exploser, encore
moins des soufis. Bientôt va s’écrire dans les larmes et le sang
le troisième centenaire de cette nouvelle religion dont la date
fondatrice remonte à 1744. Dans son livre Le Pacte de Nadjd (Le
Seuil, 2007), l’islamologue tunisien Hamadi Redissi explique très
bien comment cette secte s’est substituée à l’islam.
Quant
au géopolitologue français Jean-Michel Vernochet, il n’a pas tort
de se poser cette question dans son livre Les égarés : le
wahhabisme est-il un contre Islam ? (Sigest, 2013). Maintenant, nous
sommes face à une Internationale wahhabite qui échappe désormais à
tout contrôle. Avec le temps, cette mouvance est devenue une forme
de religion autocéphale disposant de son livre sacré : le
Tawhid (Kitâb at-Tawhîd de Mohammad Ibn Abd Al Wahhâb, ndlr) qui a
supplanté même le Coran.
C’est
un livre qui met hors la loi tous les musulmans qui n’adhèrent pas
au dogme wahhabite, lequel dogme abomine tous ceux qui croient en
cette forme de vénération, de respect et de considération que
l’ensemble des musulmans manifestent à l’égard de leur
Prophète, et qui, aux yeux des tenants du wahhabisme, constitue une
forme de polythéisme blâmable en raison de leur incapacité
cérébrale à faire une lecture allégorique qui est largement
développée chez les autres obédiences de l’islam, notamment les
soufis. L’approche littéraliste et superficielle des wahhabites a
même fini par produire une sorte d’anthropomorphisme qui va à
l’encontre du principe monothéiste du tawhid dont ils se targuent
outrageusement.
Si
je devais faire la synthèse de ce phénomène, je le formulerais
ainsi : le wahhabisme, c’est du terrorisme spéculatif ; le
terrorisme, c’est du wahhabisme opératif. La doctrine de cette
secte est basée essentiellement sur le takfir et donc sur
l’excommunication de tout le monde, à commencer par les musulmans
qui sont les premières cibles à abattre du point de vue wahhabite.
Or,
l’islam est pluriel depuis son apparition et cette pluralité
constitue un fait historique. Il n’est pas question ici de prêcher
une forme monolithique de l’islam ou une lecture unilatérale du
Coran. Ces différents courants de pensée ont coexisté et
continuent à coexister ; ils ne jettent pas l’anathème les
uns sur les autres. Ils ont de ce fait apporté beaucoup de richesse
intellectuelle, non seulement à l’islam mais aussi aux traditions
judéo-chrétiennes.
Quand
on voit les échanges qui avaient eu lieu à Cordoue, à Baghdad ou à
Damas, entre les différentes communautés religieuses, même en
dehors de l’islam, on se pose légitimement la question : que
reste-il de cette coexistence ? Que se passe-t-il aujourd’hui avec
cette secte - parce qu’il faut quand même l’appeler par son nom.
Je dirais même que c’est la secte la plus dangereuse qu’ait
connue l’histoire de l’humanité, et dont on continue
malheureusement à en minimiser la portée.
C’est
une secte d’autant plus ubiquiste qu’elle est présente partout,
non seulement dans nos mosquées mais jusqu’à nos salles de sport.
On voit d’ailleurs que le discours religieux ambiant dans le monde
arabe est fondamentalement calqué sur cette secte. Donc, lorsqu’un
jeune se fait exploser quelque part, il est lui-même une victime, il
est programmé, manipulé par l’imam qui prêche le vendredi près
de chez nous…
Je
ne comprends d’ailleurs pas comment se fait-il qu’on ait mis la
secte de scientologie ou encore celle du Temple solaire sur la liste
des sectes prohibées en France et pas le wahhabisme. Toutefois, il
convient de préciser que cette secte est interdite dans certains
pays, comme c’est le cas dans la Fédération de Russie où l’on
essaie de protéger l’islam, pas seulement avec des sermons
politico-religieux mais aussi par la force de la loi.
Justement, comment empêcher concrètement le wahhabisme d’agir sur les esprits ?
Justement, comment empêcher concrètement le wahhabisme d’agir sur les esprits ?
Cela
passe par la proscription de leur propagande dont la toxicité n’est
plus à démontrer, et qui envahit de plus en plus nos mosquées et
rallie davantage nos imams, que ce soit par un livre, un article, un
enregistrement sonore ou visuel, un site internet ou quelque autre
support que ce soit, pour peu qu’il prêche l’exclusion de
l’autre. Je ne parle même pas de terrorisme.
Un
jeune, s’il est imbibé de cette culture xénophobe, comment
l’empêcher par la suite de mettre en application ce qui lui a été
théoriquement inculqué dans le prêche du vendredi ? Une fois qu’il
est excité contre telle ou telle communauté religieuse, le mal est
fait. Il faut agir en amont, de façon unanime et à l’échelle
internationale. Il faut trouver des méthodologies…
Quand
je dis proscription, je pense aussi au versant constructif en
remettant en valeur les enseignements traditionnels de l’islam qui
existent et qui ont toujours existé. Il ne s’agit pas d’innover.
C’est un enseignement qui est resté enfoui sous des siècles de
poussière, et qu’il convient de remettre au goût du jour. C’est
le cas par exemple du soufisme qui prône l’acceptation de l’autre
dans sa différence et s’applique le devoir de miséricorde,
«rahma», envers toutes les créatures, une notion cardinale en
islam.
C’est
la clé même du Coran qui est dit et annoncé au nom de Dieu, le
Clément, le Miséricordieux. Donc, tout ce qui se fait au nom de
l’islam devrait, en principe, se faire dans la compassion. Dieu
possède au moins 99 noms sublimes, selon la tradition, mais il se
trouve qu’Il S’est choisi en premier lieu l’attribut de
miséricorde, de rahma, auquel certains «musulmans» ne prêtent
malheureusement plus attention.
Vous préconisez donc de réactiver et de promouvoir cet enseignement inspiré de la tradition soufie ?
Vous préconisez donc de réactiver et de promouvoir cet enseignement inspiré de la tradition soufie ?
Certainement.
Il faut noter tout de même que le soufisme n’est pas une
philosophie importée comme on voudrait le faire croire aujourd’hui.
C’est l’islam originel, celui de nos ancêtres qui nous ont
transmis cet héritage et cette sagesse. Nous avons toujours vécu
dans cette rahma. On dit d’ailleurs dans notre langage quotidien
«qalbû mâ fihsh er-rahma» pour désigner un musulman dépourvu de
miséricorde, une façon de le déshumaniser. Un bon musulman ne doit
pas marcher sur terre avec orgueil, mais avec humilité.
Il
y a lieu de méditer ce verset ô combien caractéristique de cette
attitude, et qui n’est jamais évoqué dans nos mosquées : «Les
serviteurs du Tout Miséricordieux sont ceux qui marchent humblement
sur terre, qui, lorsque les ignorants s’adressent à eux, disent :
Paix.» (sourate 25, verset 63) Il faut méditer aussi cet autre
verset qui dit : «Et Nous ne t’avons envoyé que par compassion
pour l’univers.» Les exégètes précisent que dans ces univers
(au pluriel), il y a les musulmans et les non-musulmans, les humains
et les autres créatures visibles et invisibles, le règne animal,
végétal, etc. Dans cette acception, la nature elle-même est
sanctifiée.
Elle
devient le reflet de Dieu, un rayon de Sa lumière et un signe de Sa
présence, tout comme l’âme humaine, d’où le verset qui
proclame : «Celui qui a tué une âme, c’est comme s’il avait
tué tous les hommes.» Ce verset est précurseur de la doctrine des
droits de l’homme. Selon l’exégèse soufie, le mot «nafs» cité
dans ce verset désigne le souffle de Dieu.
Comme
le souffle de Dieu est consubstantiel, il est présent dans chaque
être humain à part égale. Par conséquent, tuer un seul homme,
c’est comme tuer l’humanité entière. L’âme humaine étant
indivisible, commettre un tel acte équivaut à tuer Dieu Lui-même.
Vous imaginez la gravité de la chose aux yeux du musulman
non-wahhabite ?
Il est frappant de constater que c’est tout de même l’autre discours qui continue à fasciner et à mobiliser des contingents entiers de «militants takfiristes» et pas cette parole-là ; pourquoi ?
Il est frappant de constater que c’est tout de même l’autre discours qui continue à fasciner et à mobiliser des contingents entiers de «militants takfiristes» et pas cette parole-là ; pourquoi ?
Parce
que cette parole, avouons-le, a l’air quelque peu périmée,
vieillotte, aux yeux des jeunes. Parce que les autres ont bien
compris l’importance des nouvelles technologies plus que les
soufis, qui eux sont restés en retrait par rapport aux choses de ce
monde.
La
mouvance soufie n’est pas agressive en ce sens qu’elle ne prône
pas le prosélytisme et le matraquage acharné, comme c’est le cas
pour le wahhabisme. L’islam est un voyage spirituel qui doit
conduire l’itinérant à la présence divine. C’est aussi un
voyage vers soi-même. Il s’agit donc d’un cheminement purement
initiatique. Le soufisme voudrait que le disciple fasse lui-même le
pas vers son Seigneur, sans contrainte, et donc personne ne vient
vous chercher pour vous contraindre ou même vous convier à faire ce
pas.
Or,
à l’autre bord, on note un zèle redoutable doublé d’un pouvoir
financier démesuré. Il faut savoir qu’il y a quand même beaucoup
d’argent qui est investi dans cette «religion virtuelle» qui fait
la guerre à l’ensemble de l’humanité, à commencer par les
musulmans. D’ailleurs, je conteste la formule «terrorisme
islamiste». Il s’agit d’abord et toujours de «terrorisme
wahhabite», et ce terrorisme est présent d’abord sous la forme
d’un discours théorique.
Il est un fait à première vue paradoxal, à savoir que cette organisation terroriste a frappé même à Médine. Comment expliquez-vous cela sachant que le wahhabisme est la doctrine officielle de l’Arabie Saoudite ?
Il est un fait à première vue paradoxal, à savoir que cette organisation terroriste a frappé même à Médine. Comment expliquez-vous cela sachant que le wahhabisme est la doctrine officielle de l’Arabie Saoudite ?
Pour
les profanes, cela peut paraître effectivement paradoxal mais pour
les spécialistes, c’est tout à fait dans la logique des choses.
Le fondateur de cette religion (Ibn Abd Al Wahhâb) a toujours
été contre la vénération du Prophète et contre le culte des
saints de façon générale.
C’est
une forme de dévotion condamnable à ses yeux. Il a toujours été
question pour cette secte de démolir le fameux Dôme vert qui
surplombe le mausolée du Prophète ou, à tout le moins, le déplacer
ailleurs et le réenterrer dans l’anonymat, comme ce fut le cas
pour le cimetière de Djennet el baqî, réduit en poussière après
l’effondrement du califat en 1924 suite à de nombreuses campagnes
militaires menées par Constantinople contre les adeptes d’Ibn Abd
Al Wahhâb au prix de plus d’un demi-million de morts.
Lors de nos échanges électroniques préalablement à cet entretien, vous dénonciez une forme de complicité mondiale avec cette secte. Comment s’exprime cette complicité des puissances mondiales avec l’Internationale wahhabite ?
Lors de nos échanges électroniques préalablement à cet entretien, vous dénonciez une forme de complicité mondiale avec cette secte. Comment s’exprime cette complicité des puissances mondiales avec l’Internationale wahhabite ?
Nous
observons à cet égard une certaine complicité ou du moins un
silence coupable, voire une instrumentalisation irresponsable et une
manipulation tout à fait malsaine. Quand on persiste à parler de
«terrorisme islamiste» alors que les premières victimes du
terrorisme sont des musulmans, il y a matière à s’interroger.
A
un moment donné, il faut appeler un chat un chat et dire que
l’humanité entière est en guerre menée non pas par l’islam
mais contre l’islam.
Il
faut prendre compte de cela si on veut prétendre à chercher des
solutions ou des possibilités de sortie de cette crise mondiale sans
précédent qui devrait pouvoir, au lieu de nous diviser, nous rendre
solidaires. Il y a eu certes des attentas condamnables à Paris, à
Bruxelles, à Munich, qui nous ont plongés tous dans la peine et la
détresse. Mais que dire des attentas qui ont frappé Istanbul,
Ankara, Kaboul, Islamabad, Bagdad et Tunis ? Sans parler de ce que ce
qui se passe avec Boko Haram en Afrique.
Peut-on
rationnellement qualifier de terrorisme islamiste les mosquées
explosées dans le Caucase, les manuscrits de Tombouctou incendiés,
le tombeau du Prophète profané à Médine, les sanctuaires soufis
démolis en Syrie et les mausolées chiites dynamités en Irak ? Avec
tout ça, peut-on honnêtement parler de terrorisme islamiste ?
Dans
cette gamme-là qu’on a parfois du mal à cerner en parlant du
spectre islamiste, le wahhabisme représente un mouvement
complètement à part, selon vous, qui se distingue y compris de ce
qu’on appelle le salafisme, avec toutes ses variantes ?
A
mon sens, le wahhabisme, c’est la version moderne du salafisme
lequel date d’Ibn Taymiyya ; donc, c’est un courant plus ancien
mais qui était resté marginal, honni par le peuple et étroitement
surveillé par les souverains éclairés de l’islam médiéval.
Aujourd’hui, on a en face de nous un néo-salafisme conquérant,
parrainé et soutenu financièrement et militairement par des Etats,
ce qui n’était pas le cas dans le passé.
Un
salafisme qui, on le voit, est très offensif et avec lequel on n’a
rien à négocier. Les salafistes d’avant se contentaient d’une
forme passive de ségrégationnisme envers les non-salafistes.
Aujourd’hui, on assiste à une forme active de ce dogme fatal qui
consiste à ôter la vie d’abord aux musulmans qui ne sont pas
wahhabites, puis aux non-musulmans tout court. Par conséquent,
personnellement je ne fais pas de différence entre salafisme et
wahhabisme.
Quelle appréciation faites-vous de la réponse antiterroriste apportée par les pays occidentaux, je pense particulièrement à la campagne militaire engagée contre Daech en Irak et en Syrie ?
Quelle appréciation faites-vous de la réponse antiterroriste apportée par les pays occidentaux, je pense particulièrement à la campagne militaire engagée contre Daech en Irak et en Syrie ?
Il
s’agit tout au plus d’un antalgique qui peut durer un certain
temps, puis la crise finit toujours par refaire surface. On gagne
peut-être un combat dans un endroit, mais le mal reprendra à un
autre endroit. La doctrine wahhabite est plus que jamais à l’œuvre.
Elle est à l’œuvre dans les mosquées, dans les écoles, dans les
médias, dans les chaînes de télévision, sur internet. Bref, il y
a un travail d’endoctrinement qui se fait à grande échelle et au
grand jour.
Cela
se fait à visage découvert et personne n’ose arrêter cette
machine infernale. La formation au wahhabisme est omniprésente
partout dans le monde. Il y a beaucoup d’argent qui est investi
dans ce terreau. Prenez le cas des Balkans.
C’est
une région qui était très ancrée dans la tradition soufie.
Observons ce qui se passe au Kosovo, où l’on commence à assister
à un sérieux conflit de génération entre les jeunes wahhabisés
et les anciens qui étaient plutôt de sensibilité soufie. Le même
phénomène s’observe chez les musulmans d’Asie centrale qui
n’étaient pas, jusqu’à il n’y a pas si longtemps, infectés
par ce virus.
Cela
touche plus les jeunes qui sont en relation avec les nouvelles
technologies. Le wahhabisme est une religion de type pavlovien. Et ça
marche ! C’est parce qu’il y a un recul des valeurs culturelles
et spirituelles. Il y a tout cet aspect des choses qui a fait que les
jeunes se replient sur une manière de faire très mécanique.
C’est
une forme d’automatisme qui plaît aux jeunes et aux adolescents.
On assiste présentement à un phénomène nouveau qui consiste à
voir des jeunes s’autoproclamer bombes humaines sans même avoir à
suivre un cursus «djihadiste», quoique je n’aime pas le mot
«djihadiste» qui est utilisé à tort et à travers dans une
certaine terminologie occidentale.
Car
si djihad il y a, il ne doit s’appliquer qu’aux Palestiniens qui
mènent une résistance légitime pour leur liberté face à une
force d’occupation qui pratique le terrorisme d’Etat, un conflit
qui, non seulement alimente l’instabilité dans le monde mais
justifie la rhétorique des marchands de la mort. Il y a ainsi une
récupération de ces termes à laquelle je n’adhère pas du tout.
C’est simpliste et réducteur. Ça veut dire quoi «radicalisation»
? Moi je dirais «wahhabisation», point barre.
Un autre mot d’ordre revient régulièrement, c’est «réformer l’islam». Qu’en pensez-vous ?
Un autre mot d’ordre revient régulièrement, c’est «réformer l’islam». Qu’en pensez-vous ?
A
bien y regarder, c’est le wahhabisme qui représente l’islam
réformé ou plutôt «déformé», et c’est le retour à la
tradition musulmane ancestrale qui nous serait salutaire. Cette
tradition qui n’a pas été corrompue, n’a pas été contaminée
par ce système de pensée basé sur l’exclusion de l’autre qui
est venu avec cette réforme déviante de l’islam qui a égaré des
générations de musulmans.
Ce
qu’il faut, c’est un retour au fond de la tradition spirituelle.
Aujourd’hui, on assiste à une «déspiritualisation» de l’islam
voire une déshumanisation de celui-ci. D’ailleurs, l’islam n’est
plus une religion dans le sens propre du terme.
Dans
nos mosquées, ce n’est plus l’islam qui est pratiqué mais
plutôt la religion wahhabite qui est pompeusement célébrée. Il y
a un recul de la spiritualité, il y a une fétichisation, une
pavlovisation des rites et des pratiques. La religion devient une
idéologie qui donne lieu à un phénomène nouveau qui est le
terrorisme transfrontalier, et qui ne ménage pas les musulmans, je
le dis et je le répète, lesquels sont les premières victimes de
cette Internationale salafiste. Il faut opérer un retour aux valeurs
originelles de l’islam qui est une religion de paix, de miséricorde
et de douceur. Il suffit de méditer notre formule de salutation
(salâm) qui consiste à offrir la paix à son interlocuteur pour
s’en convaincre.
Vous être membre fondateur de l’Union mondiale du soufisme, créée à l’issue du Congrès mondial sur le soufisme qui s’est tenu récemment à Mostaganem. Vous nous disiez en marge d’un colloque sur Ibn Arabi que le soufisme était le meilleur vaccin pour s’immuniser contre le terrorisme. Comment la pensée soufie peut-elle contribuer à stopper cette déferlante de violence ?
Vous être membre fondateur de l’Union mondiale du soufisme, créée à l’issue du Congrès mondial sur le soufisme qui s’est tenu récemment à Mostaganem. Vous nous disiez en marge d’un colloque sur Ibn Arabi que le soufisme était le meilleur vaccin pour s’immuniser contre le terrorisme. Comment la pensée soufie peut-elle contribuer à stopper cette déferlante de violence ?
Ce
n’est pas un hasard si l’Union mondiale du soufisme a vu le jour
en Algérie. Notre pays dispose d’un patrimoine soufi
particulièrement important et très anciennement enraciné. L’Union
espère, pour ainsi dire, apporter une réponse positive aux
divisions qui tourmentent le monde musulman en proposant un discours
fédérateur et unificateur, lequel discours s’inscrit
naturellement dans un esprit soufi qui est par essence
transdoctrinaire puisqu’il est présent dans pratiquement toutes
les obédiences de l’islam. Lors de ce congrès, il y avait les
représentants d’une quarantaine de pays musulmans, y compris
chiites, sans discrimination aucune.
C’est
une initiative œcuménique louable qui a une portée très
symbolique et très bénéfique à long terme. C’est une manière
de dire qu’en Algérie nous voulons construire et non démolir,
rassembler et non diviser. Les soufis sont présents partout dans le
monde, mais c’est la première fois dans l’histoire que
l’occasion leur est offerte pour se fédérer et se constituer en
réseau mondial.
Cela
étant dit, les soufis ne se réunissent contre personne, mais
agissent en faveur de tout le monde. Le but n’est pas de combattre
qui que ce soit ni d’exclure personne. Le soufisme est un espace
qui accueille l’autre, y compris les égarés. Il ne fonctionne pas
dans une logique d’exclusion ou d’élimination. Cette structure
internationale initiée et présidée par le Dr Chaâlal, par
ailleurs président de l’Union nationale des zaouïas d’Algérie
(UNZA), représente une lueur d’espoir.
L’Union
mondiale du soufisme se veut une invitation aux gens
bien-intentionnés pour qu’ils se rassemblent autour d’un
principe fondamental qui est celui de la quête de Dieu. Car, il est
vrai qu’on a souvent tendance à oublier Dieu dans toute cette
affaire. Le wahhabisme ne parle pas de Dieu, il n’y est question
que d’anathème et de condamnation. Comment fractionner la
communauté humaine quand le Coran s’adresse à l’humanité toute
entière ?
Cette
dimension universelle, on l’avait presque perdue. Heureusement, le
soufisme est là pour nous le rappeler en se posant au chevet de
l’islam pour répondre aux défis de l’heure avec sagesse et
délicatesse. Il y a tout un travail qui se fait pour sensibiliser
les jeunes aux valeurs humanistes qui sont remises en cause partout
dans le monde avec, à la clé, la banalisation de la mort. Notons
que ceux qui font ébranler la planète sont des jeunes adolescents
ayant grandi avec des jeux vidéo d’une extrême violence tels que
«Meurtre à la tronçonneuse». Il est important de bien analyser
les causes de ce mal profond.
Il
convient d’y apporter des réponses sociologiques, psychologiques,
éducatives, spirituelles, et essayer de renouer les liens entre les
générations. Il y a une nette rupture générationnelle observée
partout de par le monde. C’est sur les causes qu’il convient de
se pencher et non pas sur les conséquences. Je n’exclue pas bien
entendu la réponse sécuritaire qui est, certes, nécessaire mais
pas suffisante si elle n’est pas accompagnée d’une réflexion
profonde et sincère sur la logique et le fonctionnement de ce
phénomène.
Les éditions Alem El Afkar viennent de rééditer Chajarat el Kawn (L’Arbre du monde) d’Ibn Arabi, un travail éditorial que vous avez accompagné d’une introduction. Pourriez-vous nous dire quelques mots sur Ibn Arabi et l’Algérie ? Comment rendre son œuvre plus accessible chez nous ?
Les éditions Alem El Afkar viennent de rééditer Chajarat el Kawn (L’Arbre du monde) d’Ibn Arabi, un travail éditorial que vous avez accompagné d’une introduction. Pourriez-vous nous dire quelques mots sur Ibn Arabi et l’Algérie ? Comment rendre son œuvre plus accessible chez nous ?
Il
y a eu, souvenez-vous, ce colloque organisé à Alger à l’occasion
du 850e anniversaire de la naissance d’Ibn Arabi, événement
célébré par les éditions Librairie de philosophie et de soufisme.
C’était le jaillissement de cet élan envers un personnage qui est
à certains égards algérien et bien de chez nous puisqu’il était
de mère tlemcénienne et son épouse était issue d’une famille
bougiote établie à Séville. Ibn Arabi considérait par ailleurs
Sidi Boumediène comme son maître spirituel.
D’ailleurs,
la raison de sa première venue en Algérie était de pouvoir le
rencontrer, mais Sidi Boumediène était déjà mort. Il a séjourné
à Béjaïa, et là il eut des révélations et des éclosions
spirituelles qui, par la suite, ont donné lieu à cette prodigieuse
somme ésotérique qui est Al Futûhat Al Mâkiyya composée de
treize volumes et rédigée sur 40 ans. Six siècles plus tard,
l’Emir Abdelkader, dernière grande figure de cette Ecole
akbarienne, quand il arrive à Damas, demande à séjourner dans la
demeure d’Ibn Arabi et à être enterré près de sa tombe.
L’Emir
prend l’initiative d’envoyer une mission scientifique pour faire
établir le manuscrit des Futûhat qui était conservé à Konya. Et
c’est grâce à lui que la première édition post-mortem des
Futûhat a vu le jour en Egypte en 1911, financée par ses soins.
Par
ailleurs, il faut considérer Kitab El Mawakif (Le Livre des Haltes)
de l’Emir Abdelkader comme un condensé précieux des Futûhat. A
la lumière de ces faits, l’Algérie est tout à fait dans son
droit de se réclamer du patrimoine spirituel d’Ibn Arabi qui est
un patrimoine étonnant pour les non-musulmans de par son ouverture
d’esprit, sa tolérance et sa modernité, quoique je n’aime pas
trop le mot «tolérance».
Dans
l’islam, il est plutôt question de reconnaissance de l’autre
alors que le mot «tolérance» suggère qu’on puisse accepter ce
que l’on devrait normalement refuser. Pour le soufisme, l’autre
c’est notre propre miroir. On y trouve aussi cette théorie de
l’homme accompli qui englobe toutes les différences et les
contradictions. De ce fait, l’autre devient nous et on n’a pas à
le tolérer puisqu’on ne peut pas se «tolérer» soi-même.
L’autre étant considéré comme une parcelle de Dieu, toutes ces
individualités procèdent au final d’une même nature, ce manteau
de Dieu dont parlent les maîtres de la sagesse (El kawn khil‘ât
Allah).
Pour
revenir à ce travail éditorial qu’on a commencé initialement
avec les éditions Librairie de philosophie et de soufisme, là on
touche d’autres éditions comme celle de Alem El Afkar qui s’est
inscrite dans cette heureuse dynamique et qui veut reprendre et
rééditer à son tour les œuvres d’Ibn Arabi, d’El Ghazâli et
d’autres grandes figures du soufisme parues au début du siècle
dernier avant de tomber dans l’oubli, afin de permettre au lecteur
algérien d’avoir la possibilité de lire autre chose qu’Ibn
Taymiyya (un personnage inconnu de nos parents et de nos
grands-parents) et de susciter ainsi une certaine pluralité du
discours. Il y a un vide déplorable qui a été rempli par une
littérature qui n’est même pas de chez nous, je le dis sans
chauvinisme aucun.
Mais
on devrait quand même pouvoir se lire avant de lire les autres ne
serait-ce qu’à titre comparatif et commencer par diffuser la
parole d’Ibn Arabi, de l’Emir Abdelkader, ou encore celle de Sidi
Boumediène. Par bonheur, les poèmes de Sidi Boumediène, qui sont
toujours chantés dans la musique andalouse, vont paraître
prochainement dans une luxueuse édition de la Librairie de
philosophie et de soufisme.
Citons
aussi la poésie de Sidi Lakhdar Benkhelouf, chantre du Prophète et
saint-patron de Mostaganem. Il y a donc quelque chose qui a échappé
à cette nébuleuse wahhabite et il faut bien reconnaître que c’est
la culture populaire qui a pris en charge notre culture spirituelle,
celle-ci étant censurée dans les mosquées qui avaient opté pour
un discours inféodé à la propagande wahhabite. Contrairement à ce
soi-disant islam savant, il y a heureusement notre islam populaire
qui est resté fidèle à l’esprit du Coran.
Je
termine, si vous le permettez, par un mot sur la symbolique de
Chajarat el Kawn. Elle est importante dans la mesure où cet arbre
cosmique incarne cet élan de rahma dont nous parlions un peu plus
haut. Il n’y en a pas deux, il y a un seul arbre avec son versant
opposé vers le bas. C’est l’arbre primordial. Sous cet arbre
mohamadien, il y a de la place pour tout le monde. Ibn Arabi, l’Emir
Abdelkader ont porté ces valeurs universelles avant l’heure. Ils
étaient dans une démarche humaniste, œcuménique, conformément à
l’enseignement spirituel du Prophète. Ils étaient ouverts sur le
monde et portaient un message fédérateur, pas sectaire. On
gagnerait beaucoup à les connaître.
En
témoignent les fameux vers d’Ibn Arabi dans Torjoumane El Ashwâq
: «Mon cœur devient capable de toute image / Il est prairie pour
les gazelles / Couvent pour les moines / Temple pour les idoles /
Mecque pour les pèlerins / Tablettes de la Torah et livre du Coran /
Je suis la religion de l’amour / Partout où se dirigent ses
montures / L’amour est ma religion et ma foi.»
Bio
express
Docteur
d’Etat en anthropologie des religions, Zaïm Khenchelaoui est
diplômé de l’Ecole des hautes études en sciences sociales
(EHESS, Paris). Il est directeur de recherche au Centre national de
recherches préhistoriques, anthropologiques et historiques d’Alger
(CNRPAH), membre du comité de rédaction du Journal of the History
of Sufism (Paris), de la revue Occidentalisme (Beyrouth), ainsi que
de la revue Problèmes de la philosophie orientale de l’Académie
nationale des sciences d’Azerbaïdjan. Il a travaillé au Centre de
recherches sur l’histoire, l’art et la culture islamiques à
Istanbul (Organisation de la coopération islamique), participe en
tant qu’expert international auprès d’organisations mondiales
dans le dialogue des cultures et des civilisations.
Il
est l’auteur de plusieurs articles portant sur le soufisme et les
religions comparées, publiés dans des revues spécialisées de
renommée mondiale, ainsi que plusieurs travaux scientifiques édités
aussi bien en Algérie qu’à l’étranger. Zaïm Khenchelaoui est
également membre fondateur de l’Union mondiale du soufisme.