dimanche 30 octobre 2016

Paroles d'or de Shaykh Abd al-Azîz Al-Dabbagh (Extraits)




Paroles d'or : Kitâb al-lbrîz de Shaykh Abd al-Azîz Al-Dabbagh
traduit par Zakia Zouanat

Nous disons : L'auteur du poème rimé en râ' (Râ'iyya) a parlé du maître initiateur, et le Shaykh Abd al-'Aziz al-Dabbâgh a commenté quelques-uns de ses propos. L'auteur de la Râ'iyya a dit :
Le maître a des signes qui s'ils sont absents chez lui, il n'est alors cheminant que dans les nuits des passions.

 Le Shaykh Abd al-'Aziz al-Dabbâgh dit : « Le maître initiateur a des signes apparents :
-       son cœur est sain de toute envie ou sentiment de jalousie ;
-       il n'a point d'ennemi parmi les gens ;
-       il est généreux, si tu lui demandes, il te donne ;
-       il aime ceux qui lui nuisent ;
-       il ne prête pas d'attention aux fautes des disciples.

S'il ne possède pas de science exotérique ni de science ésotérique, jette-le dans les vagues de la mer. 

Le Shaykh Abd al-'Aziz al-Dabbâgh dit : « Il veut dire par "science exotérique" la théologie et la science de l'unité, c'est-à-dire la proportion exigée de ces deux sciences chez le responsable. Et par "science ésotérique" il désigne la connaissance de Dieu Très Haut. [...] S'il trouve un maître qui ne rassemble pas de manière parfaite les deux sciences exotérique et ésotérique, le disciple est alors proche de la ruine. »

« Celui qui n'est pas compté parmi les maîtres parce qu'il n'a pas reçu l'investiture d'un maître parfait - car celui-ci est mort avant d'avoir terminé l'initiation de son disciple -, mais qui a été confirmé par les gens, est aussi un maître valable et acceptable parce qu'il n'est pas exclu que son initiation ait été complétée par des saints invisibles, ou par monseigneur Ahmad al-Khadir. [...] Ne t'attends à trouver le maître initiateur qu'en celui qui a rassemblé trois conditions : il est doté de vision intérieure ; il est libre des passions ; il n'est pas imbu de sa personne. [...] Celui dont les yeux sont rouilles voit le noir qui se trouve au milieu de la lune sur la face du soleil qui est dépourvu de noirceur, cela parce que les vérités s'inversent chez lui. Celui qui n'a pas de vision intérieure voit les défauts dans le maître parfait et le fuit, et il voit la perfection chez la personne inaccomplie. »

« Ne te présente chez un maître en vue d'entrer dans son compagnonnage que si tu as la conviction qu'il est un maître initiateur, et qu'il est en cela le plus confirmé de son temps. Cela est une obligation pour le disciple, car le maître qui voit que son disciple se tourne vers un autre maître lui coupe "les vivres". [...] Si tu trouves, par le don du Seigneur, le maître qui va t'initier, établis-toi à son service, tâche de connaître la valeur de son compagnonnage, et prends-le comme médiateur vers Dieu, peut-être atteindras-tu la connaissance de Dieu, mais encore tu dois éviter les choses blâmables aux yeux de la loi   exotérique. »

« Si tu élèves ton flux spirituel vers la voie de la pauvreté en Dieu qui est la voie soufie, laisse de côté les passions de ton âme dans ce qu'elle choisit pour elle-même comme dévotions et genres de rapprochements, sans que le maître les lui recommande, éloigne-toi de ses passions en cela de la manière dont tu dois t'écarter du mal. [...] Mets ton âme dans le giron de ton maître afin qu'il t'éduque comme une mère éduque son enfant dans son giron. Il n'y a pas pour ton âme de sortie du giron du maître et de sa tutelle avant d'être sevrée de l'initiation. »

« Ne t'oppose jamais à ton maître, car l'opposition au maître entraîne à coup sûr la dispersion du disciple opposant et son éloignement de son Seigneur et de sa religion. »

Sache (que Dieu t'assiste) que j'ai trouvé ces commentaires de quelques vers de la Râ'iyya écrits de la main même du maître sur une copie du poème. Je ne les ai donc pas entendus de lui, mais ils étaient écrits de sa main bénie sans aucun doute ; c'est pour cela que je les lui ai attribués, sachant que la science du maître est supérieure à tout cela. Comme j'aurais voulu lui lire ce poème afin d'entendre de lui les secrets seigneuriaux et les lumières de la connaissance dans son commentaire, comme à son habitude.

Quand le Shaykh est mort, je m'engageai à visiter fréquemment son tombeau, et je le vis en rêve qui me disait : « Mon être n'est pas emprisonné dans la tombe, mais il se trouve dans le monde entier. »
Dans le même sens, je l'ai entendu dire durant sa vie : « Le monde entier se trouve parfois dans mon intériorité. »

Et je l'ai entendu quelquefois dire : « Les sept cieux et les sept terres ne sont aux yeux du croyant que comme un anneau jeté dans un désert. La présence du maître doit être différente en fonction des 408 stations des maîtres. »
Tel est l'état du disciple dans l'assemblée du maître. Il doit garder le silence et ne rien proférer comme belles paroles en sa présence, sauf s'il trouve que le maître est disposé et que celui-ci lui ordonne de le faire. Le disciple en la présence du maître est comme celui qui est assis au bord d'un océan attendant qu'une subsistance lui parvienne.

Une étrange histoire est arrivée, et je l'ai entendue du Shaykh Abd al-'Aziz al-Dabbâgh. Je l'ai entendu dire : « J'ai rencontré à La Mecque (que Dieu l'ennoblisse) Abû-l-Hasan 'Alî al-Sadghâ' al-Hindî, et je l'ai trouvé dans un état étrange. Quand il voulait faire un pas, il levait le pied, et celui-ci tremblait dans l'air, il le remettait par terre et il tremblait, et il le rendait à l'endroit du pas et il tremblait, quiconque le voyait ne pouvait que dire : "Il est atteint de folie." Je lui dis : "Ô Abâ-l-Hasan, qu'est-ce que cet état dans lequel tu te trouves ?"

« Il dit : "Je n'ai pas dit ce qui m'est arrivé à un autre que vous, et je m'en vais vous le dire. Dieu Très Haut m'a révélé Son acte dans Ses créatures, je vois clairement Son acte courir dans la création, rien ne m'en échappe. Ensuite II m'a révélé les secrets de Son acte dans le destin des autres hommes. Je vois ces actes, et je sais pourquoi ils sont, et je connais les secrets du destin en eux de sorte qu'aucun de ces secrets ne m'échappe. Il m'arriva alors de croire qu'il ne m'a pas voilé Sa vision uniquement parce qu'il me veut du mal. [...] C'est pour cela que j'ai commencé à avoir peur de tout acte de mon choix, attribué à moi, imaginant avec exagération que chacun de mes actes choisis sera la cause de ma ruine. [...] Le premier geste quand je veux étendre mon pied est un acte, j'en tremble de peur, et je le rends à sa place tout en tremblant de peur parce que je le rends, et il en est ainsi dans chaque acte." »

Le Shaykh Abd al-'Aziz al-Dabbâgh dit : « Dieu a voilé la vision de ce saint afin qu'il ne voie pas Son acte en lui, par une miséricorde qu'il a voulu lui accorder ; s'il lui avait révélé cela et qu'il s'était mis à y voir l'acte en lui, son corps se serait consumé. »

Je me trouvais avec le Shaykh un jour à Bâb al-Hadîd quand il me regarda et dit : « Nul ne peut prétendre connaître Dieu s'il ne connaît pas l'Envoyé (SSP) ; et nul ne peut prétendre connaître l'Envoyé (SSP) s'il ne connaît pas son maître ; et nul ne peut prétendre à la connaissance du maître s'il n'a pas fait sa prière du mort sur les gens. Si les gens disparaissent de sa vue et qu'il se met à ne pas faire attention à eux dans ses dires, ses faits, et toutes ses affaires, il recevra une miséricorde inattendue. » Le Shaykh appréciait celui qui ne prête aucune importance au regard des gens sur lui.

II nous disait : « Ne me cachez rien des choses qui vous arrivent, que ce soit celles de la religion ou du bas monde, informez-moi même de vos péchés. Si vous ne m'en informez pas, je vous en informerai. Un compagnonnage dans lequel les états des compagnons sont occultés ne peut être bon. »

Il disait : « Quant à moi, je ne vous cache rien de mes affaires. » Et il nous expliquait son état jusqu'à ce qu'il ait atteint son époque, il nous rapportait tout ce qui lui arrivait comme choses habituelles et d'autres ; il nous disait : « Si je ne vous informe pas et ne vous révèle pas mes états, Dieu me punira et me demandera des comptes, car vous pensez du bien de moi. Patientez jusqu'à ce que je vous dise les choses intérieures qui ne vous ont pas été révélées, après cela, celui parmi vous qui voudra rester avec moi, qu'il reste, à ce moment-là sa nourriture sera licite pour moi, et j'accepterai ses offrandes. Celui qui voudra partir, qu'il parte. Mon silence sur ces choses serait une tricherie envers vous. » En vérité, le Shaykh était pure miséricorde pour ses compagnons, faisant le médiateur pour eux dans leurs fautes, couvrant leurs vicissitudes, prenant en charge tout ce dont ils craignent les conséquences, donnant plus d'importance à leurs affaires qu'aux siennes propres.

Un jour, il dit : « L'homme qui ne partage pas les mauvaises actions de son compagnon n'est pas un compagnon pour lui. Si le compagnonnage n'existe que pour les bonnes actions, ce n'est pas du vrai compagnonnage. »

II dit également : « Par respect pour le maître, si le disciple a des choses à lui dire concernant sa religion ou son bas monde, il ne doit pas se précipiter et l'envahir, mais patienter jusqu'à ce qu'il voie à travers l'état du maître qu'il est disponible pour lui et prêt à écouter ses paroles. Tout comme les invocations ont un temps, une politesse et des règles, car il s'agit de la conversation avec Dieu Très Haut, parler avec le maître a également des politesses et des règles, car cela relève d'une conduite envers Dieu Très Haut. Avant de parler au maître des questions qui lui tiennent à cœur, le disciple doit demander à Dieu Très Haut le succès dans sa politesse à l'égard du maître. »

Je lui dis un jour : « Je crains Dieu Très Haut pour des délits que j'ai commis. » Il me dit : « Que sont ces choses ? » Je lui dis alors ce qui m'était arrivé.
Il me dit : « Ne crains pas ces choses, mais le plus grand péché dans ton cas est que tu passes une heure sans penser à moi, c'est cela la transgression qui te nuira dans ta religion et ton bas monde. »


Je lui dis une fois : « O monseigneur, je suis loin du bien. » Il dit : « Abandonne cette idée, et regarde ta position chez moi, c'est sur elle que tu peux compter. » Nous étions avec le Shaykh dans un état dont il est rare d'entendre son pareil. Il ne nous arrivait pas une chose importante ou banale sans que nous ne la lui rapportassions, et à peine l'avions-nous fait qu'il la prenait en charge pour nous ouvertement et apaisait ainsi notre pensée. Il plaisantait et riait beaucoup avec nous, il nous encourageait à nous débarrasser de notre timidité, et commençait le premier à nous entretenir des choses qui nous préoccupaient, et nous disait : « Ne me considérez pas comme un maître, mais plutôt comme un de vos frères. Vous ne pouvez pas supporter la politesse que demande la station du maître, je vous pardonne et vous délie de cela. Prenez-moi comme un frère, l'amitié durera entre nous. » Que Dieu le rétribue pour nous de la meilleure façon, par Sa grâce et Son don.



vendredi 28 octobre 2016

Khadidjeh Nâderi Beni - Le motif et la symbolique de l’arbre dans le Coran



L’arbre est une preuve qui, comme tous les autres éléments de la nature, atteste la toute-puissance de Dieu. Dans le Coran, livre sacré des musulmans, le mot « arbre » est désigné majoritairement par le terme arabe shajar, qui y apparaît à 27 reprises. Plus précisément, en langue arabe, shajar est employé pour désigner toute plante composée d’un tronc. Dans cet article, nous allons donner un aperçu des différentes manifestations et fonctions de l’arbre dans le Coran.

L’arbre dans les allégories du Coran

Le Coran contient un bon nombre d’allégories destinées à mieux faire comprendre certaines idées, ou à donner une description divine de sujets qui dépassent la compréhension humaine. Il est intéressant de constater que la symbolique de l’arbre y est souvent présente :

a) sourate Ibrâhim (Abraham), versets 14 et 24 : « N’as-tu pas vu comment Allah propose en parabole une bonne parole pareille à un bel arbre (shajara tayyiba) dont la racine est ferme et la ramure s’élance vers le ciel ? » ; « Et une mauvaise parole est pareille à un mauvais arbre (shajara khabissa), déraciné de la surface de la terre et qui n’a point de stabilité ».
b) sourate Al-Isrâ’ (Le voyage nocturne), verset 60 : « Et lorsque nous te disions que ton Seigneur cerne tous les gens par sa puissance et son savoir. Quant à la vision que nous t’avons montrée, nous ne l’avons faite que pour éprouver les gens, tout comme l’arbre maudit (shajara mal’ouna) mentionné dans le Coran. Nous les menaçons, mais cela ne fait qu’augmenter leur grande transgression. »

L’arbre, un signe (aya) de la puissance divine

En réfléchissant au sujet de la création, et notamment à la complexité du processus de croissance de l’arbre, les gens intelligents (owlo-l-albâb) peuvent saisir un aspect de la toute-puissance du Créateur. Les versets 27 et 60 de la sourate Al-Naml (Les fourmis) énoncent ainsi : « N’est-ce pas Lui qui a créé les cieux et la terre et qui vous a fait descendre du ciel une eau avec laquelle nous avons fait passer des jardins pleins de beauté » ; « Vous n’étiez nullement capables de faire pousser leurs arbres. Y-a-t-il donc une divinité avec Allah ? Non, mais ce sont les gens qui lui donnent des égaux ».

L’arbre et la louange à Dieu

Selon les enseignements coraniques, Dieu a créé les cieux et la terre ; dès leur création, tous les êtres vivants et les objets inanimés glorifient et louent un Dieu unique. L’arbre, comme toutes les autres créatures de l’univers, a une fonction utile et est un être glorifiant et louant la grandeur de son Créateur. Dans le premier verset de la sourate Djom’eh (Vendredi), on lit : « Ce qui est dans les cieux et ce qui est sur la terre glorifient le Souverain, le Pur, le Puissant, le Sage ».

La présence de l’arbre dans la vie des prophètes

Les noms de nombreux prophètes envoyés par Dieu sont cités dans le Coran. L’Histoire des prophètes telle qu’elle y est racontée nous donne un aperçu sur le contenu de leur message et leur mode de vie. L’arbre y est souvent cité, et occupe parfois un rôle de première importance. En voici quelques exemples.


a) Adam : après avoir créé Adam et Eve, Dieu les place dans le jardin d’Éden en leur interdisant de manger le fruit de l’arbre de vie. Ils peuvent donc manger les fruits de tous les arbres, sauf celui de l’arbre défendu. Mais, ils sont tentés par Satan et en mangent tous les deux. Suite à cette désobéissance mais après leur avoir pardonné, Dieu décide de faire descendre Adam et Eve sur terre. Cette histoire est évoquée à plusieurs reprises dans le Coran, notamment à la sourate Al-Baqara (La vache), verset 35 : « Et nous dîmes : Ô Adam, habite le Paradis toi et ton épouse et nourrissez-vous-en de partout à votre guise ; mais n’approchez pas de l’arbre que voici : sinon vous seriez du nombre des injustes. » et la sourate Tâhâ, versets 120 et 121 : « Puis le Diable le tenta en disant : Ô Adam, t’indiquerais-je l’arbre de l’éternité et un royaume impérissable ? » ; « Tous deux (Adam et Eve) en mangèrent. Alors leur apparut leur nudité. Ils se mirent à se couvrir avec des feuilles du Paradis. Adam désobéit ainsi à son Seigneur et il s’égara ».

b) Younos (Jonas) : Messager de Dieu au sein du peuple de Ninive [1], Jonas désespère très vite de son peuple qui refuse d’accepter son appel à la foi. Il délaisse donc sa mission et quitte son peuple sans que Dieu lui en donne l’autorisation. Il embarque dans un bateau et s’éloigne de la région. Dieu lui envoie un châtiment : une tempête violente fait chavirer son bateau. Jonas tombe dans la mer et est avalé par une baleine, sans être blessé. Il reste quelques jours dans l’obscurité de son ventre. C’est là qu’il reconnaît son tort et se repentit en prononçant des prières. Dieu lui pardonne son péché et la baleine le recrache sur la côté d’une île déserte. Dieu y fait pousser un "arbre de courge" et Jonas, faible et malade, se rétablit après en avoir consommé. Cette histoire est détaillée dans le Coran, notamment dans la sourate Al-Sâfât (Les rangés), versets 145 et 146 : « Nous le jetâmes (Jonas) sur la terre nue, indisposé qu’il était » ; « Et nous fîmes pousser au-dessus de lui un arbre de courge ».

c) Moussâ (Moïse) : L’histoire de la vie de Moïse est évoquée dans plusieurs sourates du Coran. Dans une scène s’y rapportant, il se réfugie sur le mont Tour et s’installe à l’ombre d’un arbre. C’est là que Dieu lui révèle sa mission prophétique. Dans la sourate Al-Ghasas (Le récit), verset 30, on lit : « Puis, quand il y arriva, on l’appela du flanc droit de la vallée dans le lieu béni à partir de l’arbre : "Ô Moïse, c’est moi Allah, le Seigneur de l’Univers." ». Dieu choisit donc un arbre pour se manifester à celui qu’Il a choisi comme prophète.

d) Issâ (Jésus) : Alors que la naissance de Jésus approche, sa mère, Maryam (Marie), se retire près du tronc d’un palmier dans un lieu éloigné. Dieu lui dit alors : « Secoue vers toi le tronc du palmier : il fera tomber sur toi des dattes fraîches et mûres. » (sourate Maryam, verset 25).

e) Mohammad : A la VIIe année de l’Hégire et au cours d’un voyage vers La Mecque, les musulmans s’installent sous un arbre dans la région de Hodaybeh. Là, ils prêtent serment d’allégeance au Prophète en s’engageant à lutter contre les infidèles. Conclu sous l’arbre, ce serment est connu sous le nom de Bey’at taht al-shajara, c’est-à-dire "le serment sous l’arbre". Dans la sourate Al-Fath (La victoire éclatante), verset 18, Dieu dit au Prophète : « Allah a très certainement agréé les croyants quand ils ont prêté le serment d’allégeance sous l’arbre. Il a su ce qu’il y avait dans leurs cœurs, et a fait descendre sur eux la quiétude, et il les a récompensés par une victoire proche ».

Nous voyons donc que le motif de l’arbre est très présent dans le Coran, et se voit conférer un rôle particulier dans la vie des prophètes les plus importants reconnus par l’islam.

Les arbres du Paradis

L’un des messages centraux délivrés par le Coran est le caractère éphémère de la vie terrestre, et l’existence d’une vie éternelle dans l’Au-delà. Selon le récit coranique, les êtres humains seront alors divisés en deux groupes : l’un ira au Paradis, et l’autre en Enfer. Dans le Coran, le Paradis est souvent désigné par le mot jannat qui signifie « jardin », et abrite de nombreux arbres toujours verts. Le Coran en donne des descriptions dans plusieurs sourates dont : a) La sourate Al-Insân (L’homme), verset 14 : « Ses ombrages les couvriront de près et ses fruits inclinés bien bas, à portée de leurs mains ». b) sourate Al-Rahmân (Le Tout-Miséricordieux), verset 46 : « Et pour celui qui aura craint de comparaître devant son Seigneur, il y aura deux jardins ».

Dans quelques autres versets, nous pouvons lire les noms de certains arbres fruitiers du Paradis. Ainsi, dans la sourate Al-Wâqi’a (L’événement), versets 28 à 32, les récompenses destinées aux personnes les plus proches de Dieu sont évoquées : « Elles seront parmi des jujubiers sans épines » ; « Et parmi les bananiers aux régimes bien fournis » ; « Dans une ombre étendue » ; « Près des eaux coulantes continuellement » ; « Et des fruits abondants ». L’arbre le plus éminent du Paradis s’appelle Toubâ ; il s’agit d’un très grand arbre qui porte tous les fruits existants. Selon certaines interprétations coraniques, il constitue un symbole de l’amitié des croyants vis-à-vis du prophète Mohammad et des douze Imâms.

Les arbres de l’Enfer

En donnant des descriptions sur les caractéristiques de l’Enfer, Dieu cite un arbre nommé Zaqqoum, qui signifie « chose très amère ». En voici un exemple tiré de la sourate Sâffât (Les Rangs), versets 62 à 66 : « Est-ce que ceci est meilleur comme séjour ou l’arbre de Zaqqoum ? » ; « Nous l’avons assigné en épreuve aux injustes » ; « C’est un arbre qui sort du fond de la Fournaise » ; « Ses fruits sont comme des têtes de diables » ; « Ils doivent en manger certainement et ils doivent s’en remplir le ventre ». Nous pouvons aussi évoquer les versets 43 à 45 de la sourate Al-Dokhân (La fumée) : « Certes l’arbre de Zaqqoum » ; « Sera la nourriture du grand pécheur » ; « Comme du métal en fusion ; il bouillonnera dans les ventres ».

Outre les arbres de l’Au-delà, on peut trouver les noms de certains arbres terrestres dans des passages du Coran. Le palmier (al-nakhl) est cité à vingt reprises dans différentes sourates. Parmi d’autres arbres et fruits cités dans le Coran, on peut surtout mentionner la vigne (‘inab), l’olive (zeytoun), la grenade (rommân) et le lotus (sidr). Ce dernier est évoqué à quatre reprises, et fait surtout allusion à l’arbre qui apparaît durant l’ascension du Prophète au ciel. A ce sujet, on peut lire dans la sourate Al-Nadjm (L’étoile), versets 11 à 16 : « Le cœur n’a pas menti en ce qu’il a vu » ; « Lui contestez-vous donc ce qu’il voit ? » ; « Il l’a pourtant vu, lors d’une autre descente » ; « Près de la Sidrat al-Montahâ » ; « Près d’elle se trouve le jardin de Ma’vâ » ; « Au moment où le lotus était couvert de ce qui le couvrait ».

Le rôle de l’arbre dans la vie terrestre d’après le Coran

Le Coran comporte des versets où Dieu fait allusion aux différents usages de l’arbre dans la vie terrestre de l’homme, et dont voici quelques exemples : a) sourate Yâ-Sin, verset 80 : « C’est Lui qui, de l’arbre vert, a fait pour vous du feu, et voilà que de cela vous allumez ». b) sourate Al-Nahl (Les abeilles), verset 68 : « Et voilà ce que le Seigneur révéla aux abeilles : prenez des demeures dans les montagnes, les arbres et les treillages que les hommes font ». c) la même sourate, verset 10 : « C’est Lui qui, du ciel, a fait descendre de l’eau qui vous sert de boisson et grâce à laquelle poussent des plantes dont vous nourrissez vos troupeaux ».

Bibliographie :

- Abolghâssemi Fakhri, Gholâm-Hossein, La traduction du Coran en français, Qom, Ansâriân, 2000.


- Mo’meni, Mohtasham, « L’arbre dans le Coran » (Derakht dar Ghor’ân), in Golestân-e Ghorân (Jardin du Coran), 6e année, no 170, 1390/2011.


- Taghvâ’ï, Ali-Akbar ; Okhovvat, Hânieh, « Etude sur les différents emplois de l’arbre dans le Coran », in Bayyenât, 6e année, no 3, 1388/2009.

Notes

[1] Une ancienne ville de l’Irak actuel.

lundi 24 octobre 2016

Chems-eddine HAFIZ - Notes de lecture du livre " Introduction aux doctrines ésotériques de l'Islam" de Titus Burckhardt


Titus Burckhardt et Frithjof Schuon



Un livre de Titus Burckhardt, on me rétorquera qu'il s'agit d'un écrit difficile, inaccessible, voire indigeste. Que nenni, c'est un régal pour celui qui s'intéresse à ce qui n'est pas visible, (Bâtin) aux grands ésotéristes du 20ème siècle.

Titus Burckhardt est de mon point de vue l'un des meilleurs interprètes de ce que l'on appelle la vérité universelle en matière d'enseignement ésotérique et sapientiel, de cette philosophia perennis que l'on retrouve aussi bien dans le Platonisme que le Vedanta ou le Soufisme.

Membre de l' "école traditionaliste", il fait partie de ceux qui ont composé les trois courants principaux de disciples de René Guénon (1886-1951) : Frithjof Schuon, Michel Valsân, Roger Maridort, Martin Lings ou encore Roger du Pasquier.

Pour celles et ceux qui ne connaissent pas Titus Burckhardt, il est né à Florence en 1908 et mort à Lausanne en 1984. Il est l'auteur d'ouvrages consacrés à l'ésotérisme, notamment l'ésotérisme musulman qui aujourd'hui est considéré sans contestation comme trouvant sa source dans le livre sacré de l'Islam, le Coran, où la dualité d'Allah, Celui apparent et Celui caché, autorise pleinement la voie mystique.

Dans son livre « Introduction aux doctrines ésotériques de l'Islam », Dervy-Livres, 1969, réédité dans la collection l'Etre et l'Esprit, 2008, Titus Burckhardt confirme, que le soufisme n'a aucunement pas subi d'influences extérieures à l'Islam, qu'elles soient hindoues, chrétiennes ou néo-platoniciennes. Il compare le rôle du Soufisme dans l'Islam à « celui du cœur dans l'homme », le cœur étant le « centre vital de l'organisme » et le « siège » d'une essence qui dépasse toute forme individuelle ».

Le Soufisme, l'ésotérisme de l'Islam, appelé al-taçawwuf, car ces adeptes revêtaient de la laine (çûf), ceux que l'on appelle mutaçawwuf, qui vivent le « secret » (al-sir) entre eux et Allah. Titus Burckhkardt définit le Soufisme « qui est l'aspect ésotérique ou « intérieur » de l'islam, se distingue de l'Islam exotérique au même titre que la contemplation directe des réalités spirituelles – ou divines – se distingue de l'observance des lois qui les traduisent dans l'ordre individuel en rapport avec les conditions d'un certain cycle humain. »

Il oppose l'ésotérisme islamique, l'intérieur – l'invisible, le caché – ou bâtin, à l'extérieur – le visible, l'apparent – ou zâhir, celle-ci qui consiste dans la simple observance des lois religieuses qui symbolisent les réalités spirituelles.

C'est également sur la Loi religieuse, la Charia ou « grande route », qui doit s'appliquer à l'ensemble des croyants musulmans, et qui est considérée comme une écorce, dont la Vérité (haqqiqah) est le noyau. Ce noyau est accessible à un très petit nombre.

Pour René Guénon, cette loi islamique (exotérisme) s'assimile à la circonférence qui entoure un point central qui est la Vérité et pour que de la loi on accède à la Vérité, il y a lieu d'emprunter un chemin ténu, « voie étroite », qui est comme le rayon de la circonférence au centre et qui est la tarîqah, voie initiatique : « La circonférence ne saurait exister sans le centre, dont elle procède en réalité tout entière, et, si les êtres qui sont liés à la circonférence ne voient point le centre ni même les rayons, chacun d'eux ne s'en trouve pas moins inévitablement à l'extrémité d'un rayon dont l'autre extrémité est le centre même. Seulement, c'est ici que l'écorce s'interpose et cache tout ce qui se trouve à l'intérieur, tandis que celui qui l'aura percée, prenant par là même conscience du rayon correspondant à sa propre position sur la circonférence, sera affranchi de la rotation indéfinie de celle-ci et n'aura qu'à suivre ce rayon pour aller vers le centre. (...) Il faut d'ailleurs préciser que, dès que l'enveloppe a été pénétrée, on se trouve dans le domaine de l'ésotérisme ».

S'il existe de nombreuses voies initiatiques ou tourouk, elles tendent toutes vers le même point central qui est « l'état primordial ».
Dans le soufisme, on distingue trois éléments : une doctrine, une initiation et une méthode spirituelle.

La doctrine est une « préfiguration symbolique de la connaissance qu'il s'agit d'atteindre ». Elle est enseignée de manière « personnelle » de maître à disciple, le maître qui est rattaché au Prophète par un lien, dite chaîne de transmission (silsilah).

Quant à l'initiation, elle consiste dans « la transmission d'une influence spirituelle » d'un maître à un disciple qui lui inculque une méthode spirituelle. Il existe de nombreuses méthodes, de nombreuses chaînes qui sont autant de voies différentes correspondant à des vocations spirituelles particulières. Pour illustrer mon propos, prenons comme exemple Djalâl ud-din Rûmî, dit Mawlânâ, « notre Maître », fondateur de l'ordre des Derviches tourneurs qui a développé le concept du concert spirituel – le samâ' – : « Plusieurs chemins mènent à Dieu, dira-t-il, j'ai celui de la danse et de la musique » :

« Le samâ' est la paix pour l'âme des vivants,
Celui qui sait cela possède la paix de l'âme.
Celui qui désire qu'on l'éveille,
C'est celui qui dormait au sein du jardin.
Mais pour celui dort dans la prison,
Etre éveille n'est pour lui que dommage.
Assiste au samâ' là où se célèbre une noce,
Non pas lors d'un deuil, en un lieu de lamentation.
Celui qui ne connaît pas sa propre essence
Celui aux yeux de qui est cachée cette beauté pareille à la lune,
Une telle personne qu'a-t-elle à faire du samâ' et du tambour de basque ?
Le samâ' est fait pour l'union avec le Bien Aimé.
Ceux qui ont le visage tourné vers la Qibla,
Pour eux, c'est le samâ' de ce monde et de l'autre.
Et plus encore ce cercle de danseurs dans le samâ'
Qui tournent et ont au milieu d'eux leur propre Ka'ba ».

Il est établi que dans la tradition islamique, la recherche de la « connaissance » (Ilm) est un mot qui revient plus de 800 fois dans le Coran et les nombreuses traditions prophétiques affirment que « la recherche de la connaissance est une obligation religieuse », ou « cherchez la connaissance jusqu'en Chine ».

C'est donc, cette obligation pesant sur le croyant musulman qui est se consacrer à la recherche de la connaissance qui « vivifiera » la religion musulmane.


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samedi 15 octobre 2016

Cheikh Ahmad At-Tidjânî - Au sujet de l’âme (Nafs), de l’esprit (Rouh), du cœur (Qalb) et du secret (Sirr).




Sidi ‘Ali Harazim (qu’Allah l’agrée) a dit :
« J’ai interrogé Seïdina Ahmed Tidjani (qu’Allah sanctifie son précieux secret) au sujet de l’âme (Nafs), de l’esprit (Rouh), du cœur (Qalb) et du secret (Sirr). S’agissait-il de noms différents pour un seul nommé ou pour plusieurs ?
Si on suppose que ces noms ne désignent qu’un seul nommé, alors pourquoi se fatiguer à diversifier les noms ? Si on suppose que chacun est dissocié de l’autre, cependant celui à qui s’adresse le Discours Divin est bien l’esprit (Rouh), car c’est lui qui goûte au délice et à la douleur du supplice ? »
Il nous a clarifié cela de façon convaincante, que la paix soit sur notre maître et notre professeur, ainsi que la miséricorde d’Allah le Très-Haut et sa bénédiction. Seïdina Ahmed Tidjani (qu’Allah sanctifie son précieux secret) a répondu comme suit :
« Sache que ces différents noms ne sont en réalité que pour un seul nommé qui n’a pas de pluralité, mais les noms ne sont multiples qu’en fonction du degré de l’esprit (Rouh).
Ce qui clarifie cela est qu’Allah (qu’Il soit Glorifié et Exalté) a créé l’esprit humain de la pure pureté de la Lumière Divine et son établissement provient des hautes nuées Seigneuriales déversées (‘Amma Rabbani) et Il a fait habiter l’esprit à l’emplacement de l’Esprit Vivifiant.
Là, il ne cesse de connaître parfaitement Allah le Très-Haut, en étant établi dans Son Amour et Son Unicité, connaissant Ses noms et Ses qualités, sans être préoccupé par autre que Lui. Il ne cesse d’être ainsi dans la pureté la plus totale, très éloigné de ce que peut comprendre la raison.
Puis l’esprit a habité le récipient du corps humain. Le corps s’approprie la vie et la compréhension en fonction de l’établissement de l’esprit en lui. Il existe dans le corps en l’état de « l’esprit nafs » (Rouh Nafs ). Il est une vapeur subtile qui contient la force de la vie, de la sensation, du mouvement et de la compréhension.
Ainsi, le nafs n’existe qu’en tant que définition et non en tant qu’essence puisqu’il se forme à partir de la rencontre de l’esprit avec le corps. Si jamais ils se séparent (l’esprit et le corps) le nafs n’existe plus en tant que nafs qui n’est qu’une vapeur subtile.
Cette chose qu’on nomme nafs est la source des mauvaises moralités et des vices maladifs tant qu’il impose son autorité sur la personne, car l’esprit est détenu entre ses mains. Il ne se manifeste qu’en vue de l’agrément du nafs dans la perte totale et l’éloignement complet de la Présence Divine. Cela se fait par la force lumineuse de l’esprit qui s’est inversée en raison de son établissement dans les ténèbres du corps.
Ainsi, l’esprit est souillé par les impuretés et les saletés du corps et il est accaparé par la fonction du nafs corrompu (Nafs Khabitha). Il devint alors un désobéissant à l’ordre d’Allah. C’est le reflet de l’autorité du corps, celui-ci est de source ténébreuse, il provient de l’eau et de l’argile et il est en état de consistance.
Quant à l’esprit, il est la résultante de la pureté claire de la Lumière Divine dans un état de parfaite pureté et de préciosité. C’est la plus pure des quintessences et la plus élevée. L’esprit a été imprégné des ténèbres dans le monde sensible. Tant qu’il tend vers les désobéissances, les infractions et la poursuite des passions, il se nomme dans cette station : « le nafs qui ordonne le mal » (Nafs El Amara bi sou-i).
Alors, s’il apparaît en lui les Lumières Divines lui permettant de sortir des caractères de la désobéissance et de l’infraction par l’existence du repentir (Tawba), il commence à se blâmer et à se discréditer à cause de ce qu’il a négligé comme Droits Divins.
Le nafs commence alors à s’éloigner du mal et à se blâmer pour revenir vers la porte du Généreux bienfaisant, il est alors appelé dans cette station « l’âme qui se blâme » (Nafs Lawwama) car il se blâme de ce qu’il a négligé comme Droits d’Allah le Très-Haut.
Puis s’il apparaît à l’esprit la Lumière Divine qui la purifie en chassant de lui la densité des péchés qu’on appelle les péchés capitaux (El Kaba-ir), il ne lui reste plus alors que les infractions subtiles et mineures, il s’appelle dans cette station « un cœur » (Qalban). Il a senti l’odeur de la Sainte Présence. Quelquefois il est pris par les Odeurs Sacrées de telle manière qu’il éprouve de la nostalgie pour ce qu’il était lors de sa première existence.
De temps à autre, il est vaincu par la densité des ténèbres de sa nature acquise lors de son établissement dans le corps, à ce moment-là, il a de la nostalgie pour ses désirs et le suivi de ses passions. C’est parce qu’il est basculé entre ces deux états qu’on l’appelle « cœur ». Il connaît les désirs, les attractions et il a tendance à s’y attacher, c’est pour cette raison qu’on l’appelle dans cette station « cœur », en conséquence de ses changements permanents.
Ensuite si les Lumières de la Sainte Présence se déversent sur lui, le purifiant complètement de toutes désobéissances lourdes et légères, petites et grandes et qu’ainsi ses pieds s’enracinent dans l’orientation vers Allah et son obéissance, alors son agitation s’apaise.
On l’appelle à ce degré « le Nafs apaisé » (Nafs Moutma-ina) mais il lui reste une attirance vers autre qu’Allah (qu’Il soit Glorifié et Exalté) même si c’est licite et il reste en lui une trace de déviance par rapport à la rectitude ainsi qu’une sorte de préoccupation dans l’arrangement et le choix de ses propres intérêts.
Ensuite, si les Lumières Divines se déversent sur lui, elles entraînent la destruction de toutes formes de choix et habitudes. Il revient à Allah dépouillé de toute autre chose qu’Allah. À ce moment-là, il s’appelle « Nafs satisfait » (Nafs Radiya) mais il reste en lui la trace des formes qui a été détruite auparavant et ses traces sont semblables à des cicatrices laissées par des plaies après la guérison. Pour cette raison, il est crispé face à la Présence Divine.
Puis s’il reçoit les lumières de la Sainte Présence, ce qui le conduit au parachèvement de sa pureté, il rompt définitivement avec la trace des illusions et le brouillard des sens, sa connaissance disparaît, son existence s’anéantit. Ce flux, qui est la plus grande lumière, fut exprimé dans la terminologie des Connaissants par « l’Ouverture Suprême » (Fath El A’dham).
L’esprit se nomme dans cette station « l’âme donnant satisfaction » (Nafs Mardiya) car elle a perdu toute sensibilité et compréhension, il ne lui reste plus ni connaissance, ni image, ni nom, il ne lui reste plus que la contemplation de la Vérité, dans la Vérité, pour la Vérité venant de la Vérité.
C’est ce qu’on appelle « l’extinction de l’extinction » (Fana-ou-l-Fana). Là, son créateur l’a complètement agrée c’est pour cela qu’on le dénomme « l’âme donnant satisfaction ».
Puis, s’il reçoit les Lumières de la Sainte Présence, qui induit à l’anéantissement des orientations et l’ébranlement des expressions palpables, il est imprégné par cela extérieurement et intérieurement. Lorsqu’il est irrigué par les Lumières de sa Sainte Présence, il retrouve la pureté originelle dans le degré caché à l’exemple de la lumière du soleil lors de son apparition sur la nuit. Il est appelé dans cette station « caché » (Ikhfa)car il s’est éloigné de la perception de la raison et des pensées compréhensives.
Après quoi, il est dans une perpétuelle élévation à travers les stations, sans fin, au cours de son existence ici-bas aussi bien que dans le Barzakh que dans l’éternité du Paradis sans que son élévation ne prenne fin ou n’aboutisse.
À chaque station se révèlent à lui des Attributs d’Allah, Ses Noms, Ses Influx. Ainsi, la station précédente par rapport à celle qui est nouvellement acquise n’est, en proportion, qu’une goutte par rapport à l’océan.
Par conséquent, à chaque fois qu’il acquiert une station, il reçoit des influx (Fouyoudat), des théophanies (Tajaliyat), des connaissances (Ma’arif), des sciences (‘Ouloum), des secrets (Asrar), des ouvertures (Foutouhat).
Dans cette phase, il se situe au-dessus de la station « le caché », celle-ci s’appelle « le secret de l’ardeur » (Sirrou Chaddah).


jeudi 13 octobre 2016

Éric Geoffroy : « On ne peut nier le besoin spirituel en France »


Propos recueillis par Clémentine Garnier


Islamologue et spécialiste du soufisme, Éric Geoffroy préside la fondation Conscience Soufie, qui œuvre à promouvoir la sagesse universelle de cette voie intérieure de l’islam. Pour lui, la spiritualité donne des clés pour comprendre notre monde.

Les écoles soufies se rattachent habituellement à une confrérie mais ce n'est pas le cas de votre fondation Conscience Soufie. Pourquoi ?
Certains qualifient, hâtivement, notre fondation de «néo-confrérie dissimulée». Le système confrérique n’est pas toujours adéquat à notre époque, dans la mesure où il a parfois – je dis bien parfois – tendance à privatiser, voire à enfermer la sagesse du soufisme au lieu de l'ouvrir à l'universel. Le but de la fondation est exactement le contraire.
Pour autant, les membres qui constituent le cercle de la fondation sont le plus souvent rattachés à une confrérie. Je chemine moi-même avec le cheikh Khaled Bentounès, qui défend d’ailleurs l'idée selon laquelle «les confréries doivent sortir au grand jour». Son ONG, l'Association internationale soufie Alawiyya (Aisa), reconnue auprès de l’ONU, œuvre dans ce sens. Si le système confrérique est actuellement en fin de course, la pertinence de l'affiliation à une lignée initiatique remontant au Prophète demeure ; cela apporte une protection dans le cheminement spirituel. Ainsi, la fondation ne se pose pas comme étant une voie initiatique, mais les membres du conseil souhaitent être des accompagnants, des « accoucheurs » dans le sens de la maïeutique. Nous sommes profondément musulmans et prônons l'approfondissement de notre islamité dans le sens de l’universel ; le Coran et les paroles du Prophète bien compris ne font que prôner cela.
Qu'en est-il de l'universalisme de vos « enseignement et transmission », selon l’intitulé de l'un des cinq axes de la fondation ? S'adressent-ils seulement aux personnes de confession musulmane ?
Notre public se divise en trois catégories. Il y a ceux qui sont déjà membres d'une confrérie, mais qui en sont déçus pour diverses raisons – l'absence d'un maître vivant, une confrérie à l’expansion internationale qui empêche le disciple d’accéder au maître, une confrérie trop prosélyte... Un second cercle, plus large, est constitué de musulmans qui ne se retrouvent plus dans le discours normatif et ritualiste de l'islam. Ceux-là ont une soif spirituelle, mais se méfient d’un système confrérique trop fermé ou refusent la personne du cheikh qu’ils perçoivent faussement comme un intermédiaire entre eux et Dieu. Une troisième catégorie concerne les non-musulmans que la laïcité à la française ne satisfait plus. Il y a un besoin spirituel que l'on ne peut plus nier, et il est intéressant de noter que les femmes sont les premières à franchir le pas. Elles ont généralement moins de carapace que les hommes. Un public de tous âges s'intéresse à ce que nous proposons et allons proposer. Les demandes d'adhésion ne viennent pas seulement de France mais aussi de Suisse, de Belgique, du Maghreb et du Sénégal.
La connaissance du soufisme par le grand public émerge lentement. Comment expliquer qu'il ait été marginalisé ?
Un lavage de cerveau a été effectué par le wahhabisme et ses avatars salafistes, qui ont présenté le soufisme comme une secte, alors que tous les grands oulémas ont été soufis de près ou de loin, même le très sévère Ibn Taymiyya (1263-1328) ! Or, lors d'un récent congrès en Tchétchénie, il a été déclaré que le wahhabisme ne fait pas partie du sunnisme ( lire l'article de Al-Manar ). Encore une fois, l'élite qui gère l'islam, les grands responsables musulmans (le cheikh de l’université al-Azhar, au Caire, que je connais, les grands muftis, les ministres des Affaires religieuses…) sont le plus souvent des soufis, ou des sympathisants du soufisme. Les médias ont une part de responsabilité dans cette méconnaissance du soufisme : ils ne lui laissent pas assez de place. Le cheikh Bentounès n'a jamais été interviewé par un grand média français. En 2006, une rencontre internationale a rassemblé des imams et des rabbins à Séville (Espagne). Le journal télévisé français y a consacré une minute, en toute fin, après le sujet sportif. Veut-on réellement la paix ?
Dans votre livre L'Islam sera spirituel ou ne sera plus (Seuil, nouvelle édition 2016), vous défendez « une spiritualité lucide qui pourfende l'hypocrisie religieuse et politique ». Dans quelle mesure ce souci pourrait-il être pris en compte dans les débats politiques ?
L'élévation de la conscience, que doit susciter chez la personne sa pratique spirituelle, s’impose face à l'urgence des défis universels. L'Algérie a compris la portée du soufisme et l'a promu dès le premier mandat de Bouteflika, depuis la présidence de la République jusqu’aux divers ministères et milieux universitaires. Naturellement, il existe des risques que le soufisme soit instrumentalisé. Il n’empêche que le dialogue interreligieux a été mené, en grande partie, par des soufis et des milieux soufis qui ont dû, à leur corps défendant, s’impliquer dans la politique.
Aujourd'hui, la spiritualité vivifie des débats qui sont d'habitude normatifs et fades ; elle leur apporte une teneur et une saveur. Les prises de conscience environnementale, éthique et bioéthique passeront par une ouverture spirituelle, car la spiritualité donne des clés de compréhension du monde. La France ne règlera pas ses problèmes avec des discours aseptisés du genre « vous devez être citoyens »,« vous êtes des musulmans citoyens » ou «défendons la laïcité». Il faut donner du sens, et encourager une « laïcité d'ouverture », telle que la nomme Régis Debray dans son rapport qui date de 2002.
Le gouvernement français tente pourtant d'engager des mesures dans ce sens. Que pensez-vous de la création de la Fondation pour l'islam de France, annoncée par Bernard Cazeneuve en août dernier ?
La sénatrice de Paris Bariza Khiari a vivement critiqué le fait qu’un non-musulman, Jean-Pierre Chevènement, soit nommé à la tête de cette fondation. « N’y a-t-il pas un musulman capable de la diriger », s’interrogeait-elle ? L'écrivain Tahar Ben Jelloun, que je respecte par ailleurs, fera partie du conseil d'administration de cette fondation, mais comment les musulmans pourraient-ils se reconnaître en lui ? L'État français choisit toujours des « têtes », quelques intellectuels parisiens dont la pensée abonde dans son sens. Pendant ce temps-là, en Allemagne, cinq universités théologiques d'État ont vu le jour en quelques années, et elles fonctionnent très bien. En France, nous sommes paralysés ! C'est une bonne chose de créer des postes en islamologie académique – bien sûr – mais que propose-t-on concrètement au musulman lambda? Il faut agir à d'autres niveaux : former les publics professionnels, par exemple. Un des axes de la fondation Conscience soufie est la médiation sociale : tout corps professionnel, y compris les journalistes, doit être sensibilisé à un discours différent sur l'islam. D’ailleurs, le milieu médiatique français bouge dans le bon sens, et beaucoup de journalistes me disent attendre un autre discours sur l’islam que celui que la plupart des politiques nous assènent ! Je donne personnellement des cours en ce sens à des cadres pénitentiaires, et cela va être bientôt fait au nom de la fondation. Celle-ci va également afficher un programme de séminaires d’éveil à la spiritualité, destiné aux jeunes, aux adolescents, notamment des quartiers difficiles, qui en ont bien besoin. Plusieurs partenariats avec des institutions sont en voie d’être finalisés. Un premier séminaire aura lieu à Paris le week-end des 15 et 16 octobre, il visera d’abord à déconstruire les préjugés que les uns et les autres nourrissent très souvent sur le soufisme. Tout cela est sur notre site et notre page Facebook.

Éric Geoffroy, une quête spirituelle plurielle
Né en 1956 à Belfort, Éric Geoffroy a reçu une éducation chrétienne catholique. Adolescent, il a «fait partie d'un groupe de rock», confie-t-il, comme beaucoup de jeunes. À l'âge de 22 ans, au cours d'un séjour en Afrique, il contracte une contamination parasitaire intestinale l’ayant profondément affecté. En langue arabe, explique-t-il, « le terme est le même pour désigner le ventre ou les intestins et l’intériorité, la voie ésotérique ». Il a donc compris qu’il lui fallait passer du voyage extérieur, horizontal, au voyage intérieur, vertical. Guéri, Éric Geoffroy a pratiqué plusieurs voies spirituelles, dont le bouddhisme zen, et a lu l’œuvre du métaphysicien René Guénon, lui-même devenu soufi. C'est dans un centre bouddhiste tibétain (en France) qu'il a «redécouvert Jésus», qui lui manquait dans le bouddhisme, mais qui est « tellement présent en islam », ainsi que Marie. La métaphysique de l'islam, « son principe de non-dualité et d'unicité », l'ont conquis. Il a poursuivi son apprentissage au Caire avant son retour en France où il enseigne l'islamologie et le soufisme, à l'Université de Strasbourg et ailleurs. Il est aujourd'hui l'auteur d'ouvrages dont certains ont été traduits dans différentes langues. Membre de groupes de recherche internationaux, il est régulièrement sollicité à propos de l'islam et du soufisme. Il mène des conférences en Europe, dans le monde arabe, en Afrique, en Asie et aux États-Unis.



samedi 1 octobre 2016

Zaïm Khenchelaoui - «On assiste à une déspiritualisation de l’islam»

http://www.elwatan.com


Mustapha Benfodil

Zaïm Khenchelaoui est anthropologue des religions et fin connaisseur du soufisme. Dans cet entretien, il revient sur les derniers attentats revendiqués par Daech en désignant le wahhabisme comme matrice idéologique commune à toutes ces sectes exterminatrices. Le chercheur établit un lien très étroit entre wahhabisme et terrorisme.

«Le wahhabisme, c’est du terrorisme spéculatif», dissèque-t-il. Zaïm Khenchelaoui rappelle que les premières victimes de cette «internationale wahhabite» sont d’abord les musulmans et souligne l’urgence de s’attaquer au discours takfiriste inhérent à cette doctrine et répercuté à travers les mosquées, les chaînes de télévision et internet.

Nous vivons une séquence terrifiante avec ce chaos destructeur qui est en train de ravager le monde sous la bannière de Daech. Vous avez régulièrement pointé du doigt le wahhabisme comme matrice doctrinale commune à toutes ces phalanges mortifères, qu’elles s’appellent Daech, Al Qaîda ou Boko Haram. Pour vous, il est important de ne pas se tromper de diagnostic et de nommer clairement la doctrine wahhabite comme préalable catégorique si on veut sortir de cette spirale de terreur…

Ces désignations sont, en réalité, des franchises d’une même marque de fabrication qui s’appelle le wahhabisme dont il est la matrice, le foyer et le fondement théorique. Toutes ces pratiques déviantes se réclament indûment de l’islam. Mais en vérité, je vous le dis, cette guerre est menée contre l’islam. Et le point commun entre toutes ces organisations criminelles, c’est la doctrine wahhabite.

Ce phénomène ne concerne que ladite secte. On n’a pas vu des sunnites dans le sens orthodoxe du terme se faire exploser, encore moins des soufis. Bientôt va s’écrire dans les larmes et le sang le troisième centenaire de cette nouvelle religion dont la date fondatrice remonte à 1744. Dans son livre Le Pacte de Nadjd (Le Seuil, 2007), l’islamologue tunisien Hamadi Redissi explique très bien comment cette secte s’est substituée à l’islam.

Quant au géopolitologue français Jean-Michel Vernochet, il n’a pas tort de se poser cette question dans son livre Les égarés : le wahhabisme est-il un contre Islam ? (Sigest, 2013). Maintenant, nous sommes face à une Internationale wahhabite qui échappe désormais à tout contrôle. Avec le temps, cette mouvance est devenue une forme de religion autocéphale disposant de son livre sacré : le Tawhid (Kitâb at-Tawhîd de Mohammad Ibn Abd Al Wahhâb, ndlr) qui a supplanté même le Coran.

C’est un livre qui met hors la loi tous les musulmans qui n’adhèrent pas au dogme wahhabite, lequel dogme abomine tous ceux qui croient en cette forme de vénération, de respect et de considération que l’ensemble des musulmans manifestent à l’égard de leur Prophète, et qui, aux yeux des tenants du wahhabisme, constitue une forme de polythéisme blâmable en raison de leur incapacité cérébrale à faire une lecture allégorique qui est largement développée chez les autres obédiences de l’islam, notamment les soufis. L’approche littéraliste et superficielle des wahhabites a même fini par produire une sorte d’anthropomorphisme qui va à l’encontre du principe monothéiste du tawhid dont ils se targuent outrageusement.
Si je devais faire la synthèse de ce phénomène, je le formulerais ainsi : le wahhabisme, c’est du terrorisme spéculatif ; le terrorisme, c’est du wahhabisme opératif. La doctrine de cette secte est basée essentiellement sur le takfir et donc sur l’excommunication de tout le monde, à commencer par les musulmans qui sont les premières cibles à abattre du point de vue wahhabite.

Or, l’islam est pluriel depuis son apparition et cette pluralité constitue un fait historique. Il n’est pas question ici de prêcher une forme monolithique de l’islam ou une lecture unilatérale du Coran. Ces différents courants de pensée ont coexisté et continuent à coexister ; ils ne jettent pas l’anathème les uns sur les autres. Ils ont de ce fait apporté beaucoup de richesse intellectuelle, non seulement à l’islam mais aussi aux traditions judéo-chrétiennes.

Quand on voit les échanges qui avaient eu lieu à Cordoue, à Baghdad ou à Damas, entre les différentes communautés religieuses, même en dehors de l’islam, on se pose légitimement la question : que reste-il de cette coexistence ? Que se passe-t-il aujourd’hui avec cette secte - parce qu’il faut quand même l’appeler par son nom. Je dirais même que c’est la secte la plus dangereuse qu’ait connue l’histoire de l’humanité, et dont on continue malheureusement à en minimiser la portée.

C’est une secte d’autant plus ubiquiste qu’elle est présente partout, non seulement dans nos mosquées mais jusqu’à nos salles de sport. On voit d’ailleurs que le discours religieux ambiant dans le monde arabe est fondamentalement calqué sur cette secte. Donc, lorsqu’un jeune se fait exploser quelque part, il est lui-même une victime, il est programmé, manipulé par l’imam qui prêche le vendredi près de chez nous…

Je ne comprends d’ailleurs pas comment se fait-il qu’on ait mis la secte de scientologie ou encore celle du Temple solaire sur la liste des sectes prohibées en France et pas le wahhabisme. Toutefois, il convient de préciser que cette secte est interdite dans certains pays, comme c’est le cas dans la Fédération de Russie où l’on essaie de protéger l’islam, pas seulement avec des sermons politico-religieux mais aussi par la force de la loi.

Justement, comment empêcher concrètement le wahhabisme d’agir sur les esprits ?

Cela passe par la proscription de leur propagande dont la toxicité n’est plus à démontrer, et qui envahit de plus en plus nos mosquées et rallie davantage nos imams, que ce soit par un livre, un article, un enregistrement sonore ou visuel, un site internet ou quelque autre support que ce soit, pour peu qu’il prêche l’exclusion de l’autre. Je ne parle même pas de terrorisme.

Un jeune, s’il est imbibé de cette culture xénophobe, comment l’empêcher par la suite de mettre en application ce qui lui a été théoriquement inculqué dans le prêche du vendredi ? Une fois qu’il est excité contre telle ou telle communauté religieuse, le mal est fait. Il faut agir en amont, de façon unanime et à l’échelle internationale. Il faut trouver des méthodologies…

Quand je dis proscription, je pense aussi au versant constructif en remettant en valeur les enseignements traditionnels de l’islam qui existent et qui ont toujours existé. Il ne s’agit pas d’innover. C’est un enseignement qui est resté enfoui sous des siècles de poussière, et qu’il convient de remettre au goût du jour. C’est le cas par exemple du soufisme qui prône l’acceptation de l’autre dans sa différence et s’applique le devoir de miséricorde, «rahma», envers toutes les créatures, une notion cardinale en islam.

C’est la clé même du Coran qui est dit et annoncé au nom de Dieu, le Clément, le Miséricordieux. Donc, tout ce qui se fait au nom de l’islam devrait, en principe, se faire dans la compassion. Dieu possède au moins 99 noms sublimes, selon la tradition, mais il se trouve qu’Il S’est choisi en premier lieu l’attribut de miséricorde, de rahma, auquel certains «musulmans» ne prêtent malheureusement plus attention.

Vous préconisez donc de réactiver et de promouvoir cet enseignement inspiré de la tradition soufie ?

Certainement. Il faut noter tout de même que le soufisme n’est pas une philosophie importée comme on voudrait le faire croire aujourd’hui. C’est l’islam originel, celui de nos ancêtres qui nous ont transmis cet héritage et cette sagesse. Nous avons toujours vécu dans cette rahma. On dit d’ailleurs dans notre langage quotidien «qalbû mâ fihsh er-rahma» pour désigner un musulman dépourvu de miséricorde, une façon de le déshumaniser. Un bon musulman ne doit pas marcher sur terre avec orgueil, mais avec humilité.

Il y a lieu de méditer ce verset ô combien caractéristique de cette attitude, et qui n’est jamais évoqué dans nos mosquées : «Les serviteurs du Tout Miséricordieux sont ceux qui marchent humblement sur terre, qui, lorsque les ignorants s’adressent à eux, disent : Paix.» (sourate 25, verset 63) Il faut méditer aussi cet autre verset qui dit : «Et Nous ne t’avons envoyé que par compassion pour l’univers.» Les exégètes précisent que dans ces univers (au pluriel), il y a les musulmans et les non-musulmans, les humains et les autres créatures visibles et invisibles, le règne animal, végétal, etc. Dans cette acception, la nature elle-même est sanctifiée.

Elle devient le reflet de Dieu, un rayon de Sa lumière et un signe de Sa présence, tout comme l’âme humaine, d’où le verset qui proclame : «Celui qui a tué une âme, c’est comme s’il avait tué tous les hommes.» Ce verset est précurseur de la doctrine des droits de l’homme. Selon l’exégèse soufie, le mot «nafs» cité dans ce verset désigne le souffle de Dieu.

Comme le souffle de Dieu est consubstantiel, il est présent dans chaque être humain à part égale. Par conséquent, tuer un seul homme, c’est comme tuer l’humanité entière. L’âme humaine étant indivisible, commettre un tel acte équivaut à tuer Dieu Lui-même. Vous imaginez la gravité de la chose aux yeux du musulman non-wahhabite ?

Il est frappant de constater que c’est tout de même l’autre discours qui continue à fasciner et à mobiliser des contingents entiers de «militants takfiristes» et pas cette parole-là ; pourquoi ?

Parce que cette parole, avouons-le, a l’air quelque peu périmée, vieillotte, aux yeux des jeunes. Parce que les autres ont bien compris l’importance des nouvelles technologies plus que les soufis, qui eux sont restés en retrait par rapport aux choses de ce monde.

La mouvance soufie n’est pas agressive en ce sens qu’elle ne prône pas le prosélytisme et le matraquage acharné, comme c’est le cas pour le wahhabisme. L’islam est un voyage spirituel qui doit conduire l’itinérant à la présence divine. C’est aussi un voyage vers soi-même. Il s’agit donc d’un cheminement purement initiatique. Le soufisme voudrait que le disciple fasse lui-même le pas vers son Seigneur, sans contrainte, et donc personne ne vient vous chercher pour vous contraindre ou même vous convier à faire ce pas.

Or, à l’autre bord, on note un zèle redoutable doublé d’un pouvoir financier démesuré. Il faut savoir qu’il y a quand même beaucoup d’argent qui est investi dans cette «religion virtuelle» qui fait la guerre à l’ensemble de l’humanité, à commencer par les musulmans. D’ailleurs, je conteste la formule «terrorisme islamiste». Il s’agit d’abord et toujours de «terrorisme wahhabite», et ce terrorisme est présent d’abord sous la forme d’un discours théorique.

Il est un fait à première vue paradoxal, à savoir que cette organisation terroriste a frappé même à Médine. Comment expliquez-vous cela sachant que le wahhabisme est la doctrine officielle de l’Arabie Saoudite ?

Pour les profanes, cela peut paraître effectivement paradoxal mais pour les spécialistes, c’est tout à fait dans la logique des choses. Le fondateur de cette religion (Ibn  Abd Al Wahhâb) a toujours été contre la vénération du Prophète et contre le culte des saints de façon générale.

C’est une forme de dévotion condamnable à ses yeux. Il a toujours été question pour cette secte de démolir le fameux Dôme vert qui surplombe le mausolée du Prophète ou, à tout le moins, le déplacer ailleurs et le réenterrer dans l’anonymat, comme ce fut le cas pour le cimetière de Djennet el baqî, réduit en poussière après l’effondrement du califat en 1924 suite à de nombreuses campagnes militaires menées par Constantinople contre les adeptes d’Ibn Abd Al Wahhâb au prix de plus d’un demi-million de morts.

Lors de nos échanges électroniques préalablement à cet entretien, vous dénonciez une forme de complicité mondiale avec cette secte. Comment s’exprime cette complicité des puissances mondiales avec l’Internationale wahhabite ?

Nous observons à cet égard une certaine complicité ou du moins un silence coupable, voire une instrumentalisation irresponsable et une manipulation tout à fait malsaine. Quand on persiste à parler de «terrorisme islamiste» alors que les premières victimes du terrorisme sont des musulmans, il y a matière à s’interroger.

A un moment donné, il faut appeler un chat un chat et dire que l’humanité entière est en guerre menée non pas par l’islam mais contre l’islam.
Il faut prendre compte de cela si on veut prétendre à chercher des solutions ou des possibilités de sortie de cette crise mondiale sans précédent qui devrait pouvoir, au lieu de nous diviser, nous rendre solidaires. Il y a eu certes des attentas condamnables à Paris, à Bruxelles, à Munich, qui nous ont plongés tous dans la peine et la détresse. Mais que dire des attentas qui ont frappé Istanbul, Ankara, Kaboul, Islamabad, Bagdad et Tunis ? Sans parler de ce que ce qui se passe avec Boko Haram en Afrique.

Peut-on rationnellement qualifier de terrorisme islamiste les mosquées explosées dans le Caucase, les manuscrits de Tombouctou incendiés, le tombeau du Prophète profané à Médine, les sanctuaires soufis démolis en Syrie et les mausolées chiites dynamités en Irak ? Avec tout ça, peut-on honnêtement parler de terrorisme islamiste ?      
   
Dans cette gamme-là qu’on a parfois du mal à cerner en parlant du spectre islamiste, le wahhabisme représente un mouvement complètement à part, selon vous, qui se distingue y compris de ce qu’on appelle le salafisme, avec toutes ses variantes ?

A mon sens, le wahhabisme, c’est la version moderne du salafisme lequel date d’Ibn Taymiyya ; donc, c’est un courant plus ancien mais qui était resté marginal, honni par le peuple et étroitement surveillé par les souverains éclairés de l’islam médiéval. Aujourd’hui, on a en face de nous un néo-salafisme conquérant, parrainé et soutenu financièrement et militairement par des Etats, ce qui n’était pas le cas dans le passé.

Un salafisme qui, on le voit, est très offensif et avec lequel on n’a rien à négocier. Les salafistes d’avant se contentaient d’une forme passive de ségrégationnisme envers les non-salafistes. Aujourd’hui, on assiste à une forme active de ce dogme fatal qui consiste à ôter la vie d’abord aux musulmans qui ne sont pas wahhabites, puis aux non-musulmans tout court. Par conséquent, personnellement je ne fais pas de différence entre salafisme et wahhabisme.

Quelle appréciation faites-vous de la réponse antiterroriste apportée par les pays occidentaux, je pense particulièrement à la campagne militaire engagée contre Daech en Irak et en Syrie ?

Il s’agit tout au plus d’un antalgique qui peut durer un certain temps, puis la crise finit toujours par refaire surface. On gagne peut-être un combat dans un endroit, mais le mal reprendra à un autre endroit. La doctrine wahhabite est plus que jamais à l’œuvre. Elle est à l’œuvre dans les mosquées, dans les écoles, dans les médias, dans les chaînes de télévision, sur internet. Bref, il y a un travail d’endoctrinement qui se fait à grande échelle et au grand jour.

Cela se fait à visage découvert et personne n’ose arrêter cette machine infernale. La formation au wahhabisme est omniprésente partout dans le monde. Il y a beaucoup d’argent qui est investi dans ce terreau. Prenez le cas des Balkans.

C’est une région qui était très ancrée dans la tradition soufie. Observons ce qui se passe au Kosovo, où l’on commence à assister à un sérieux conflit de génération entre les jeunes wahhabisés et les anciens qui étaient plutôt de sensibilité soufie. Le même phénomène s’observe chez les musulmans d’Asie centrale qui n’étaient pas, jusqu’à il n’y a pas si longtemps, infectés par ce virus.

Cela touche plus les jeunes qui sont en relation avec les nouvelles technologies. Le wahhabisme est une religion de type pavlovien. Et ça marche ! C’est parce qu’il y a un recul des valeurs culturelles et spirituelles. Il y a tout cet aspect des choses qui a fait que les jeunes se replient sur une manière de faire très mécanique.

C’est une forme d’automatisme qui plaît aux jeunes et aux adolescents. On assiste présentement à un phénomène nouveau qui consiste à voir des jeunes s’autoproclamer bombes humaines sans même avoir à suivre un cursus «djihadiste», quoique je n’aime pas le mot «djihadiste» qui est utilisé à tort et à travers dans une certaine terminologie occidentale.
Car si djihad il y a, il ne doit s’appliquer qu’aux Palestiniens qui mènent une résistance légitime pour leur liberté face à une force d’occupation qui pratique le terrorisme d’Etat, un conflit qui, non seulement alimente l’instabilité dans le monde mais justifie la rhétorique des marchands de la mort. Il y a ainsi une récupération de ces termes à laquelle je n’adhère pas du tout. C’est simpliste et réducteur. Ça veut dire quoi «radicalisation» ? Moi je dirais «wahhabisation», point barre.

Un autre mot d’ordre revient régulièrement, c’est «réformer l’islam». Qu’en pensez-vous ?

A bien y regarder, c’est le wahhabisme qui représente l’islam réformé ou plutôt «déformé», et c’est le retour à la tradition musulmane ancestrale qui nous serait salutaire. Cette tradition qui n’a pas été corrompue, n’a pas été contaminée par ce système de pensée basé sur l’exclusion de l’autre qui est venu avec cette réforme déviante de l’islam qui a égaré des générations de musulmans.

Ce qu’il faut, c’est un retour au fond de la tradition spirituelle. Aujourd’hui, on assiste à une «déspiritualisation» de l’islam voire une déshumanisation de celui-ci. D’ailleurs, l’islam n’est plus une religion dans le sens propre du terme.

Dans nos mosquées, ce n’est plus l’islam qui est pratiqué mais plutôt la religion wahhabite qui est pompeusement célébrée. Il y a un recul de la spiritualité, il y a une fétichisation, une pavlovisation des rites et des pratiques. La religion devient une idéologie qui donne lieu à un phénomène nouveau qui est le terrorisme transfrontalier, et qui ne ménage pas les musulmans, je le dis et je le répète, lesquels sont les premières victimes de cette Internationale salafiste. Il faut opérer un retour aux valeurs originelles de l’islam qui est une religion de paix, de miséricorde et de douceur. Il suffit de méditer notre formule de salutation (salâm) qui consiste à offrir la paix à son interlocuteur pour s’en convaincre.

Vous être membre fondateur de l’Union mondiale du soufisme, créée à l’issue du Congrès mondial sur le soufisme qui s’est tenu récemment à Mostaganem. Vous nous disiez en marge d’un colloque sur Ibn Arabi que le soufisme était le meilleur vaccin pour s’immuniser contre le terrorisme. Comment la pensée soufie peut-elle contribuer à stopper cette déferlante de violence ?

Ce n’est pas un hasard si l’Union mondiale du soufisme a vu le jour en Algérie. Notre pays dispose d’un patrimoine soufi particulièrement important et très anciennement enraciné. L’Union espère, pour ainsi dire, apporter une réponse positive aux divisions qui tourmentent le monde musulman en proposant un discours fédérateur et unificateur, lequel discours s’inscrit naturellement dans un esprit soufi qui est par essence transdoctrinaire puisqu’il est présent dans pratiquement toutes les obédiences de l’islam. Lors de ce congrès, il y avait les représentants d’une quarantaine de pays musulmans, y compris chiites, sans discrimination aucune.

C’est une initiative œcuménique louable qui a une portée très symbolique et très bénéfique à long terme. C’est une manière de dire qu’en Algérie nous voulons construire et non démolir, rassembler et non diviser. Les soufis sont présents partout dans le monde, mais c’est la première fois dans l’histoire que l’occasion leur est offerte pour se fédérer et se constituer en réseau mondial.

Cela étant dit, les soufis ne se réunissent contre personne, mais agissent en faveur de tout le monde. Le but n’est pas de combattre qui que ce soit ni d’exclure personne. Le soufisme est un espace qui accueille l’autre, y compris les égarés. Il ne fonctionne pas dans une logique d’exclusion ou d’élimination. Cette structure internationale initiée et présidée par le Dr Chaâlal, par ailleurs président de l’Union nationale des zaouïas d’Algérie (UNZA), représente une lueur d’espoir.

L’Union mondiale du soufisme se veut une invitation aux gens bien-intentionnés pour qu’ils se rassemblent autour d’un principe fondamental qui est celui de la quête de Dieu. Car, il est vrai qu’on a souvent tendance à oublier Dieu dans toute cette affaire. Le wahhabisme ne parle pas de Dieu, il n’y est question que d’anathème et de condamnation. Comment fractionner la communauté humaine quand le Coran s’adresse à l’humanité toute entière ?

Cette dimension universelle, on l’avait presque perdue. Heureusement, le soufisme est là pour nous le rappeler en se posant au chevet de l’islam pour répondre aux défis de l’heure avec sagesse et délicatesse. Il y a tout un travail qui se fait pour sensibiliser les jeunes aux valeurs humanistes qui sont remises en cause partout dans le monde avec, à la clé, la banalisation de la mort. Notons que ceux qui font ébranler la planète sont des jeunes adolescents ayant grandi avec des jeux vidéo d’une extrême violence tels que «Meurtre à la tronçonneuse». Il est important de bien analyser les causes de ce mal profond.

Il convient d’y apporter des réponses sociologiques, psychologiques, éducatives, spirituelles, et essayer de renouer les liens entre les générations. Il y a une nette rupture générationnelle observée partout de par le monde. C’est sur les causes qu’il convient de se pencher et non pas sur les conséquences. Je n’exclue pas bien entendu la réponse sécuritaire qui est, certes, nécessaire mais pas suffisante si elle n’est pas accompagnée d’une réflexion profonde et sincère sur la logique et le fonctionnement de ce phénomène.

Les éditions Alem El Afkar viennent de rééditer Chajarat el Kawn (L’Arbre du monde) d’Ibn Arabi, un travail éditorial que vous avez accompagné d’une introduction. Pourriez-vous nous dire quelques mots sur Ibn Arabi et l’Algérie ? Comment rendre son œuvre plus accessible chez nous ?

Il y a eu, souvenez-vous, ce colloque organisé à Alger à l’occasion du 850e anniversaire de la naissance d’Ibn Arabi, événement célébré par les éditions Librairie de philosophie et de soufisme. C’était le jaillissement de cet élan envers un personnage qui est à certains égards algérien et bien de chez nous puisqu’il était de mère tlemcénienne et son épouse était issue d’une famille bougiote établie à Séville. Ibn Arabi considérait par ailleurs Sidi Boumediène comme son maître spirituel.

D’ailleurs, la raison de sa première venue en Algérie était de pouvoir le rencontrer, mais Sidi Boumediène était déjà mort. Il a séjourné à Béjaïa, et là il eut des révélations et des éclosions spirituelles qui, par la suite, ont donné lieu à cette prodigieuse somme ésotérique qui est Al Futûhat Al Mâkiyya composée de treize volumes et rédigée sur 40 ans. Six siècles plus tard, l’Emir Abdelkader, dernière grande figure de cette Ecole akbarienne, quand il arrive à Damas, demande à séjourner dans la demeure d’Ibn Arabi et à être enterré près de sa tombe.

L’Emir prend l’initiative d’envoyer une mission scientifique pour faire établir le manuscrit des Futûhat qui était conservé à Konya. Et c’est grâce à lui que la première édition post-mortem des Futûhat a vu le jour en Egypte en 1911, financée par ses soins.

Par ailleurs, il faut considérer Kitab El Mawakif (Le Livre des Haltes) de l’Emir Abdelkader comme un condensé précieux des Futûhat. A la lumière de ces faits, l’Algérie est tout à fait dans son droit de se réclamer du patrimoine spirituel d’Ibn Arabi qui est un patrimoine étonnant pour les non-musulmans de par son ouverture d’esprit, sa tolérance et sa modernité, quoique je n’aime pas trop le mot «tolérance».

Dans l’islam, il est plutôt question de reconnaissance de l’autre alors que le mot «tolérance» suggère qu’on puisse accepter ce que l’on devrait normalement refuser. Pour le soufisme, l’autre c’est notre propre miroir. On y trouve aussi cette théorie de l’homme accompli qui englobe toutes les différences et les contradictions. De ce fait, l’autre devient nous et on n’a pas à le tolérer puisqu’on ne peut pas se «tolérer» soi-même. L’autre étant considéré comme une parcelle de Dieu, toutes ces individualités procèdent au final d’une même nature, ce manteau de Dieu dont parlent les maîtres de la sagesse (El kawn khil‘ât Allah).

Pour revenir à ce travail éditorial qu’on a commencé initialement avec les éditions Librairie de philosophie et de soufisme, là on touche d’autres éditions comme celle de Alem El Afkar qui s’est inscrite dans cette heureuse dynamique et qui veut reprendre et rééditer à son tour les œuvres d’Ibn Arabi, d’El Ghazâli et d’autres grandes figures du soufisme parues au début du siècle dernier avant de tomber dans l’oubli, afin de permettre au lecteur algérien d’avoir la possibilité de lire autre chose qu’Ibn Taymiyya (un personnage inconnu de nos parents et de nos grands-parents) et de susciter ainsi une certaine pluralité du discours. Il y a un vide déplorable qui a été rempli par une littérature qui n’est même pas de chez nous, je le dis sans chauvinisme aucun.

Mais on devrait quand même pouvoir se lire avant de lire les autres ne serait-ce qu’à titre comparatif et commencer par diffuser la parole d’Ibn Arabi, de l’Emir Abdelkader, ou encore celle de Sidi Boumediène. Par bonheur, les poèmes de Sidi Boumediène, qui sont toujours chantés dans la musique andalouse, vont paraître prochainement dans une luxueuse édition de la Librairie de philosophie et de soufisme.

Citons aussi la poésie de Sidi Lakhdar Benkhelouf, chantre du Prophète et saint-patron de Mostaganem. Il y a donc quelque chose qui a échappé à cette nébuleuse wahhabite et il faut bien reconnaître que c’est la culture populaire qui a pris en charge notre culture spirituelle, celle-ci étant censurée dans les mosquées qui avaient opté pour un discours inféodé à la propagande wahhabite. Contrairement à ce soi-disant islam savant, il y a heureusement notre islam populaire qui est resté fidèle à l’esprit du Coran.
Je termine, si vous le permettez, par un mot sur la symbolique de Chajarat el Kawn. Elle est importante dans la mesure où cet arbre cosmique incarne cet élan de rahma dont nous parlions un peu plus haut. Il n’y en a pas deux, il y a un seul arbre avec son versant opposé vers le bas. C’est l’arbre primordial. Sous cet arbre mohamadien, il y a de la place pour tout le monde. Ibn Arabi, l’Emir Abdelkader ont porté ces valeurs universelles avant l’heure. Ils étaient dans une démarche humaniste, œcuménique, conformément à l’enseignement spirituel du Prophète. Ils étaient ouverts sur le monde et portaient un message fédérateur, pas sectaire. On gagnerait beaucoup à les connaître.

En témoignent les fameux vers d’Ibn Arabi dans Torjoumane El Ashwâq : «Mon cœur devient capable de toute image / Il est prairie pour les gazelles / Couvent pour les moines / Temple pour les idoles / Mecque pour les pèlerins / Tablettes de la Torah et livre du Coran / Je suis la religion de l’amour / Partout où se dirigent ses montures / L’amour est ma religion et ma foi.» 

Bio express

Docteur d’Etat en anthropologie des religions, Zaïm Khenchelaoui est diplômé de l’Ecole des hautes études en sciences sociales (EHESS, Paris). Il est directeur de recherche au Centre national de recherches préhistoriques, anthropologiques et historiques d’Alger (CNRPAH), membre du comité de rédaction du Journal of the History of Sufism (Paris), de la revue Occidentalisme (Beyrouth), ainsi que de la revue Problèmes de la philosophie orientale de l’Académie nationale des sciences d’Azerbaïdjan. Il a travaillé au Centre de recherches sur l’histoire, l’art et la culture islamiques à Istanbul (Organisation de la coopération islamique), participe en tant qu’expert international auprès d’organisations mondiales dans le dialogue des cultures et des civilisations.


Il est l’auteur de plusieurs articles portant sur le soufisme et les religions comparées, publiés dans des revues spécialisées de renommée mondiale, ainsi que plusieurs travaux scientifiques édités aussi bien en Algérie qu’à l’étranger. Zaïm Khenchelaoui est également membre fondateur de l’Union mondiale du soufisme.