samedi 31 mars 2012

Le Coran et la Révélation




Al-Bukhârî [1] rapporte selon `Â’ishah, que Dieu l’agrée : "Le début de l’inspiration divine (wahy) au Messager d’Allâh — que la Paix d’Allâh et ses bénédictions soient sur lui — fut les songes véridiques durant son sommeil. Chaque fois qu’il faisait un rêve, il se réalisait manifestement. Puis, il eut une attirance pour la retraite solitaire.Il se rendait alors au Mont Hirâ’ où il se consacrait à l’adoration des nuits durant et il se préparait pour ces retraites. Ensuite, il retournait chez Khadîjah — que Dieu l’agrée — qui le parait pour une autre retraite jusqu’à ce que la Vérité le surprit à Hirâ’. C’est alors que l’ange lui apparut disant : "Lis" Le Messager de Dieu dit : "Je lui répondis : je ne lis guère. Alors il me saisit et me serra fort au point de m’épuiser puis me relâcha et me dit : Lis. Alors je lui répondis : je ne lis guère. Alors il me serra une deuxième fois au point de m’épuiser puis me relâcha et dit : Lis. Alors je dis : je ne lis guère. Alors il me serra une troisième fois au point de m’épuiser puis me relâcha et dit : ’Lis au nom de ton Seigneur qui a créé’ jusqu’à ’ce qu’il ignore’ [2]". Alors le Messager de Dieu — que la paix de Dieu et ses bénédictions soient sur lui — rentra chez son épouse Khadîja et s’écria : "Enveloppez-moi ! Enveloppez-moi !" On s’empressa de le tenir enveloppé jusqu’au moment où son effroi fut dissipé. Puis il dit à Khadîjah : "je craignis pour moi-même". Khadîjah de lui dire : "À Dieu ne plaise, Dieu ne te voudrait aucun mal. Par Dieu, tu entretiens tes liens de parenté, tu soutiens les faibles, tu donnes aux pauvres, tu accueilles généreusement les hôtes, et tu viens en aide aux victimes des vraies crises".
Puis elle partit avec le Prophète voir son cousin Waraqah Ibn Nawfal [3]. C’était un homme âgé, non-voyant, douée d’une connaissance des Anciens Livres. Khadîjah lui dit : " ô mon cousin, écoute les propos de ton neveu". Alors le Messager de Dieu, paix et bénédiction de Dieu sur lui, lui relata ce qu’il vit. Waraqah lui dit : "Cet Ange, c’est le Confident (Gabriel) qu’Allah a envoyé autrefois à Moïse. Plût à Allah que je soit vivant à l’époque où tes concitoyens te banniront !" — "Ils me chasseront donc ?", s’exclama le Prophète, paix et bénédiction de Dieu sur lui. — "Oui, reprit Waraqah. Jamais un homme n’a apporté ce que tu apportes sans être persécuté ! Si je vis encore ce jour-là, je t’aiderai de toutes mes forces". Peu de temps après, Waraqah décéda et la révélation fut interrompue pendant un certain temps.

 

1- Définition du wahy (inspiration divine et révélation)


En langue arabe, wahy signifie : informer secrètement.
Il est utilisé de façon consacrée dans le vocabulaire religieux pour signifier : le fait que Dieu — Exalté Soit-Il — informe celui qu’Il a élu parmi Ses serviteurs de ce qu’Il veut lui faire connaître en termes de guidance et de savoir, et ce, d’une façon secrète, peu familière aux humains.
Ainsi, l’acception linguistique inclut-elle l’inspiration due à la disposition naturelle (fitrah) chez l’homme. Nous retrouvons cela dans Sa Parole — Exalté Soit-Il — : "Et Nous inspirâmes à la mère de Moïse [ceci] : ’Allaite-le’ " [4]. et, Sa Parole : "Et quand J’ai inspiré aux Apôtres : ‹Croyez en Moi et Mon messager (Jésus)›. Ils dirent : ‹Nous croyons ; et atteste que nous sommes entièrement soumis›" [5].
De même, cette acception englobe-t-elle l’inspiration innée chez les animaux, comme dans Sa Parole Exalté Soit-Il : " Et ton Seigneur a inspiré aux abeilles : ‹Prenez des demeures dans les montagnes, les arbres, et les treillages que [les hommes] font." [6]
Quant à l’inspiration divine — ou révélation — aux Prophètes, elle vise à les informer des Instructions Divines. Il s’agit d’un phénomène similaire pour eux tous, car son origine est la même et sa finalité est unique. [7]. C’est pourquoi, on a défini la révélation comme étant : "L’enseignement de façon secrète provenant de la part de Dieu pour les Prophètes, que la Paix soit sur eux ". Dieu Exalté Soit-Il a dit : " Nous t’avons fait une révélation comme Nous fîmes à Noé et aux prophètes après lui. Et Nous avons fait révélation à Abraham, à Ismaël, à Isaac, à Jacob, aux Tribus, à Jésus, à Job, à Aaron et à Salomon, et Nous avons donné le Zabour à David. * Et il y a des messagers dont Nous t’avons raconté l’histoire précédemment, et des messagers dont Nous ne t’avons point raconté l’histoire — et Allah a parlé à Moïse de vive voix " [8]

 

2- Les formes de la révélation


Dans un seul verset, le Noble Coran a indiqué trois formes que peut prendre la révélation.
La première : le fait de projeter le sens dans le cœur d’un Prophète.
La deuxième : le fait de parler à un Prophète de derrière un voile, comme Dieu a appelé Moïse de derrière l’arbre et ce dernier a entendu Son Appel.
La troisième : l’envoi d’un ange à un Prophète pour lui transmettre ce dont il a été chargé de communiquer. Cette forme est la plus fréquente de toutes. Toute la révélation du Coran est de cette forme que l’on appelle wahy jaliyy (révélation explicite et manifeste).
Dieu Exalté Soit-Il a dit : "Et Il n’a pas été donné à un mortel qu’Allah lui parle autrement que par révélation, ou de derrière un voile, ou qu’Il [lui] envoie un messager (Ange) qui révèle, par Sa permission, ce qu’Il [Allah] veut. Il est Sublime et Sage " [9]. Et Il a dit, Glorifié Soit-Il : " Et l’Esprit fidèle est descendu avec cela * sur ton cœur, pour que tu sois du nombre des avertisseurs" [10].
Par ailleurs, l’ange descend avec la révélation sous des formes diverses. Il lui arrive d’apparaître au Prophète sous sa forme réelle, angélique. Il lui arrive aussi d’apparaître sous une forme humaine ; l’audience le voit et l’entend dans ce cas. Il lui arrive aussi de descendre sur le Prophète et rester invisible, mais les conséquences de sa venue et l’émotion sont visibles sur le Messager. Il s’absente alors à son environnement comme s’il s’était évanoui. Il ne s’agit aucunement d’un évanouissement ; dans cet état, il est absorbé spirituellement par la rencontre avec l’ange, il sort de son condition humaine normale, ce qui influence son corps qui devient très lourd, au point que la sueur peut couler abondamment de son front alors qu’il fait très froid. Il se peut aussi que l’effet de la révélation sur le Prophète soit similaire au son d’une cloche. Il s’agit dans ce dernier cas de sa forme la plus éprouvante. Il arrive aussi que les personnes présentes entendent comme le bruit des abeilles près du visage du Prophète, sans pour autant comprendre ce son. Quant à lui, paix et bénédiction de Dieu sur lui, il entend et comprend ce qui lui est révélé. Il sait qu’il s’agit d’une révélation divine, avec certitude, sans la moindre confusion, sans le moindre doute, sans l’ombre d’une hésitation. Lorsque la révélation s’arrête, il trouve ce qui lui a été révélé présent dans sa mémoire, gravé, comme si cela avait été inscrit dans son cœur.
Dieu — Exalté Soit-Il — dit : " et il ne prononce rien sous l’effet de la passion ; * ce n’est rien d’autre qu’une révélation inspirée". [11]
Al-Bukhârî rapporte dans son Sahîh, selon Â’ishah que Dieu l’agrée qu’Al-Hârith Ibn Hishâm demanda au Messager de Dieu, paix et bénédiction de Dieu sur lui : "ô Messager de Dieu, comment te vient la révélation ? ", " Parfois, dit le Prophète, elle me vient comme le bruit d’une cloche, c’est pour moi la forme la plus éprouvante. Lorsqu’elle cesse, j’ai alors compris ce qui m’a été dit. Il arrive aussi que l’ange apparaisse sous une forme humaine ; il me parle et je comprends ce qu’il dit ". `Â’ishah dit : "Je vis la révélation descendre sur lui un jour où il faisait très froid. Lorsque la révélation cessa, la sueur coulait abondamment de son front ".

 

3- La Spécificité de la révélation


La révélation est un inconnu céleste que Seul Dieu détient. Il s’agit d’un secret parmi les Secrets de Dieu qu’Il l’inspire à Ses serviteurs. C’est donc un miracle divin par lequel Dieu privilégie Ses Prophètes et Ses Messagers. C’est une vérité qui n’a absolument aucun rapport avec l’hypnotisation, ou l’enregistrement des voix sur une bande magnétique, ou leur transmission via des téléphones ou des portables. Il s’agit également d’une vérité différente et distincte de l’inspiration (ilhâm) ou le songe véridique (ru’yâ sâdiqah), qui se produisent pour des humains qui ne sont pas Prophètes, ou encore toute autre chose qui peut arriver aux humains.
Le Docteur Muhammad Darrâz, que Dieu lui fasse miséricorde, disait :
"Sache que la révélation divine, sous toutes ses formes, est accompagnée d’un savoir, ou d’une prise de conscience, de la part de celui qui reçoit la révélation. Il sait que ce qui lui est communiqué est une vérité de la part de Dieu, et non pas quelque pensée illusoire ou insufflement du diable. Cela se produit sans préliminaire. C’est comme la prise de conscience de certains phénomènes émotionnels tels la faim, la satiété, l’amour ou la haine. Si tu réalises que telle est la caractéristique de la révélation divine, tu sauras qu’elle est spécifique aux Prophètes, paix sur eux, et tu n’auras pas de peine à la distinguer de certaines inspirations divines ou songes véridiques qui surviennent pour des personnes qui ne sont pas des Prophètes. Il a été rapporté que le croyant voit par la Lumière de Dieu et que le songe véridique est une fraction de soixante-quatre fractions de la Prophétie (nubuwwah). Ainsi, ce qui survient pour les pieux en matière d’inspiration (ilhâm) n’appartient aucunement aux savoirs certains, mais ce sont plutôt des choses que l’on pense être vraies de façon spéculative. Il est possible que l’influence d’un ange et celle d’un diable s’y mêlent d’une façon qui porte à confusion. C’est pour cela que l’inspiré (al-mulham) a besoin d’éléments extérieurs supplémentaires pour juger de quel type d’influence il s’agit. De même, le songe véridique, qui peut survenir pour de nombreux humains, même parmi les pervers et les mécréants, n’a pas cette caractéristique spécifique de la révélation divine. Pour le songe dit véridique, on pense qu’il est véridique, par habitude à ce qu’il soit ainsi". [12]
Quiconque récite les versets du Coran voit que la révélation est commandée par Dieu. C’est un bienfait de Dieu pour ses serviteurs ; un bienfait qu’Il accorde à qui Il veut. Dieu — Exalté Soit-Il — a dit : "Tu n’espérais nullement que le Livre te serait révélé. Ceci n’a été que par une miséricorde de ton Seigneur" [13]
Et dans son poème l’auteur de Al-Jawharah écrivit :
wa lam takun nubuwwatun muktasabah wa law raqâ fi’l-khayri a`lâ `aqabah bal dhâka fadlu’llâhi yu’tîhi man yashâ’u jalla’llâhu wâhibu’l-minan
Le statut de Prophète ne s’obtient par le mérite, quand bien même on aurait gravi les plus hauts échelons du bien C’est un bienfait de Dieu qu’Il accorde à qui Il veut. Exalté Soit Dieu, le Pourvoyeur des dons.
Il arrivait que la révélation tarde à venir pour le Prophète, à des moments où il désire fortement la recevoir. Mais, il ne peut l’accélérer.
Les habitants de la Mecque adressèrent au Prophète plusieurs questions sur l’Âme (Ar-Rûh), les Gens de la Caverne (Ahl Al-Kahf) et Dhu’l-Qarnayn. Il leur dit : "Demain, je vous donnerai la réponse" et par oubli, il a omis de dire "in shâ’a Allâh" (Si Dieu le veut). La révélation tarda, pendant quinze jours, si bien que les mécréants mecquois dirent : "le Dieu de Muhammad l’a abandonné et l’a détesté...". Lorsque Jibrîl descendit, le Prophète lui dit : "Ô Jibrîl, tu n’est pas venu jusqu’à ce que tu m’ais beaucoup manqué". "Tu m’as manqué davantage", lui répondit Jibrîl. Alors le Prophète de lui demander : "Qu’est-ce qui t’a empêché de descendre ?". Jibrîl récita : "‹Nous ne descendons que sur ordre de ton Seigneur. À Lui tout ce qui est devant nous, tout ce qui est derrière nous et tout ce qui est entre les deux. Ton Seigneur n’oublie rien" [14].
La révélation a enseigné au Prophète le fait de commencer par la mention de la Volonté de Dieu, afin que cela soit un enseignement pour sa communauté : "Et ne dis jamais, à propos d’une chose : ‹Je la ferai sûrement demain›. * sans ajouter : ‹Si Allah le veut›, et invoque ton Seigneur quand tu oublies et dis : ‹Je souhaite que mon Seigneur me guide et me mène plus près de ce qui est correct›" [15]. Puis, la révélation se chargea de répondre aux questions soulevées [par les mécréants mecquois] : "Et ils t’interrogent au sujet de l’âme, — Dis : ‹l’âme relève de l’Ordre de mon Seigneur›. Et on ne vous a donné que peu de connaissance" [16] De même, la révélation a traité du récit des Gens de la Caverne et celui de Dhu’l-Qarnayn. [17]
Par ailleurs, la révélation s’est suspendue, après que les premiers versets de sourate Al-`Alaq (96) aient été révélés. La révélation s’interrompit pendant trois ans où le Prophète eut un ardent désir pour la rencontre de Jibrîl et il y éprouva une vive douleur, de peur que le retard de la révélation soit un châtiment divin à cause de quelque péché qu’il aurait commis. Alors que le Prophète marchait en haut des montagnes, il entendit une voix dans le ciel. Il leva le regard et c’est là qu’il vit l’Ange qui était venu le trouver à Hirâ’. Il fut pris d’une frayeur et revint à son épouse Khadîjah en disant : "Enveloppez-moi ! Enveloppez-moi !". Dieu Exalté Soit-Il a alors révélé ces versets : "1. Ô, toi le revêtu d’un manteau ! 2. Lève-toi et avertis. 3. Et de ton Seigneur, célèbre la grandeur. 4. Et tes vêtements, purifie-les. 5. Et de tout péché, écarte-toi". Après cela, la Révélation reprit avec ardeur et continua sans interruption. [18]
La descente de la révélation ou son interruption sont deux choses détenues par la Volonté de Dieu, et le Prophète ne peut ni presser l’arrivée de la révélation, ni la retarder.
La révélation descendait sur le Prophète dans la nuit obscure, ou dans le froid très vif, ou dans la forte chaleur du midi, ou pendant le repos au cours d’un séjour, ou encore dans un voyage, ou dans un contexte de paix ou celui de guerre, et même à l’occasion du voyage nocturne (Isrâ’) et l’Ascension (Mi`râj) vers les hauts cieux [19].

 

4- Étendue temporelle de la révélation


La révélation commença pour le Messager de Dieu, paix et bénédiction de Dieu sur lui, le 17 Ramadan, en l’an 13 avant l’Hégire Prophétique, soit en juillet 610 E.C. Il avait alors quarante ans. La révélation se poursuivit pendant 23 ans jusqu’à son retour à Dieu, le 13 Rabî` Al-Awwal, de l’an 11 après l’Hégire, soit le 8 juillet 633 E.C. Il avait alors 63 ans.
Ainsi la période pendant laquelle la révélation est venue au Noble Prophète s’étend sur 23 ans et se subdivise en deux parties :
— Première Partie : la période où la révélation eut lieu à la Mecque. Elle s’étend sur 13 ans où les sourates dites mecquoises ont été révélées. Ces sourates constituent 19/30, ou environ 2/3, de la révélation.
— Seconde Partie : la période où la révélation eut lieu à Médine. Cette période a duré 10 ans où les sourates dites médinoises ont été révélées. Ces dernières comptent pour 11/30 du Coran, ou environ, 1/3 de celui-ci.
Le tout premier verset révélé du Coran est : "Lis, au nom de ton Seigneur qui a créé" [20] et le dernier verset de la révélation est Sa Parole — Exalté Soit-Il — : "Aujourd’hui, J’ai parachevé pour vous votre religion, et accompli sur vous Mon bienfait. Et J’agrée l’Islam comme religion pour vous" [21].

 

5- Soins accordés à la Révélation


Tout au long de sa mission bénie, le Messager de Dieu, paix et bénédiction de Dieu sur lui, reçut la Révélation. Il lui accorda la plus grande importance, la mémorisa, la transmit et la récita de jour comme de nuit. Le Messager de Dieu, paix et bénédiction de Dieu sur lui, en vint à remuer sa langue avec le Coran après Jibrîl (Gabriel), de peur d’en oublier quelque verset. Mais Dieu lui ordonna de ne pas hâter la Révélation et le rassura que c’est Lui — Exalté Soit-Il — qui prend en charge la préservation de son Livre et qu’Il se charge de le sauvegarder dans le cœur de Son Prophète et de lui accorder sa récitation et sa compréhension. En effet, Dieu, Exalté et Glorifié Soit-Il, dit : "Ne remue pas ta langue pour hâter sa récitation * Son rassemblement (dans ton cœur et sa fixation dans ta mémoire) Nous incombent, ainsi que la façon de le réciter. * Quand donc Nous le récitons, suis sa récitation. * A Nous, ensuite incombera son explication" [22].
Les compagnons, qui entourraient le Prophète, se concurrençaient dans la mémorisation du Coran et sa récitation à tout instant. Au cœur de la nuit, leur récitation du Coran produisait comme un bourdonnement d’abeilles. Les deux Sheikhs — Al-Bukhârî et Muslim — ont rapporté que le Messager de Dieu, paix et bénédiction de Dieu sur lui — a dit : "Je reconnais bien les Ash`ariyyûn à leurs voix quand ils récitent le Coran en rentrant chez eux la nuit. Je reconnais également (les endroits de) leurs demeures quand ils récitent le Coran, bien que je n’aie pas vu de jour l’endroit où ils ont campé". [23]
Les musulmans accordèrent la plus grande importance au Coran et l’étudièrent afin de le réciter dans leurs prières obligatoires, que ce soit des prières accomplies le jour ou la nuit, que la récitation soit silencieuse ou à haute voix, mais aussi pour accomplir les prières surérogatoires qu’ils faisaient pour l’Agrément de Dieu. Le Messager de Dieu, paix et bénédiction de Dieu sur lui, les aidait et les inciter à faire cela. En outre, le Messager de Dieu, paix et bénédiction de Dieu sur lui, choisissait parmi ses compagnons les meilleurs connaisseurs du Coran pour qu’ils l’enseignent aux autres.
"Lorsqu’un Emigré arrivait, le Prophète, paix et bénédiction de Dieu sur lui, le confiait à compagnon pour lui apprendre le Coran. Des voix élevées récitant le Coran émanait alors de la Mosquée du Prophète, si bien que le Prophète leur ordonna de baisser leur voix pour éviter qu’ils s’embrouillent". [24]
Ainsi voyons-nous que le Coran fut sauvegardé dans les poitrines, récité abondamment — notamment dans les mosquées et les maisons — sa récitation étant une œuvre d’adoration de Dieu. Il fut appris par cœur par de nombreuses personnes, le récitant de jour comme de nuit, pendant la guerre et en temps de paix, conscients que la récitation du Coran est une œuvre qui les approche de Dieu et qui permet de connaître la religion. La pureté de leur disposition naturelle, leur bonne mémoire et la limpidité de leurs esprits les aidèrent à mémoriser le Coran. Ils surmontèrent l’analphabétisme répandu par la mémorisation et la récitation fréquente.
Ibn Al-Jazarî estime que "le fait de compter dans la transmission du Coran sur la mémorisation des cœurs et non sur les manuscrits constitue la plus noble caractéristique que Dieu a accordée à cette communauté". Il s’appuya sur le hadîth authentique, rapporté par Muslim, selon lequel le Messager de Dieu dit : "Mon Seigneur m’a dit : Dresse-toi parmi les gens de Quraysh et avertis-les. Je dis : O Seigneur, ils me fendront la tête. Il dit : Je vais t’éprouver et je vais éprouver par toi. Je vais te révéler un Livre que l’eau ne peut laver. Tu le réciteras pendant ton sommeil et en état d’éveil. Envoie des soldats et J’en enverrai autant. Combats ceux qui t’on désobéi par ceux qui t’ont obéi. Dépense et on dépensera pour toi". Dieu a ainsi montré que le Coran n’aura pas besoin d’être inscrit dans un manuscrit que l’eau pourra laver et qu’il sera récité à tout moment. Cela constitue l’une caractéristique de ceux qui ont suivi le Prophète Muhammad : "Leurs évangiles sont leurs cœurs, contrairement aux Gens du Livre qui n’ont sauvegardé leur révélation que dans des livres et qui ne peuvent la réciter par cœur ". [25]
Parmi les secrets déposés dans le Coran, c’est qu’il fut transmis de génération en génération, par des centaines, voire de milliers, voire des millions de musulmans, pour être un dépôt de Dieu, sauvegardé pour l’éternité. Très Véridique est la Parole de Dieu : "En vérité c’est Nous qui avons fait descendre le Coran, et c’est Nous qui en sommes gardien" [26].

6 — Les Mérites du Coran

De génération en génération, la communauté musulmane accorda le plus grand soin au Coran. En effet, il constitue l’âme de la Législation et le Livre préservé pour l’éternité. Lui accorder la plus grande importance et le préserver revient à préserver la religion. C’est pour cette raison que le Prophète, paix et bénédiction de Dieu sur lui, recommandait à ses compagnons la lecture fréquente et l’application du Coran.
Voici quelques traditions montrant les mérites du Noble Coran, les mérites de sa récitation et de son application.
At-Tirmidhî a rapporté d’après Al-Hârith Al-A`war selon Alî Ibn Abî Tâlib : "J’ai entendu le Messager de Dieu, paix et bénédiction de Dieu sur lui, dire : "Il y aura des discordes aussi noires que la nuit obscure". Je dis : "comment en être sauvé, ô Messager de Dieu ?". Il dit : "Le Livre de Dieu, Exalté et Glorifié Soit-Il... Il contient les récits de ceux qui vous ont précédés et vous informe de ce qu’il y aura après vous. Il contient le jugement de vos affaires. C’est une Parole Décisive et non point une parole frivole. Quiconque le délaisse par tyrannie, Dieu le brisera et quiconque cherche la guidance en dehors de lui, Dieu l’égarera. C’est la Corde ferme de Dieu. C’est Sa lumière manifeste. C’est la Sage Rappel. C’est le chemin droit. En le suivant, on ne s’égare point avec les passions et les opinions ne divergent pas avec son jugement. Les savants ne s’en rassasient jamais et les pieux ne s’en lassent jamais. Celui qui en a la connaissance devancera les autres. Celui qui l’applique sera récompensé. Celui qui juge par le Coran sera équitable. Celui qui s’y attache fermement sera guidé vers un chemin droit".
Anas Ibn Mâlik dit au sujet du verset : "Il s’est attaché à l’Anse Ferme" [27] : "c’est le Coran".
Le Messager de Dieu, paix et bénédiction de Dieu sur lui, a dit : "Récitez ce Coran. Dieu vous récompense par la récitation d’une lettre dix bonnes œuvres (hasanah). Je ne vous dis pas que "Alif, Lâm, Mîm" est une lettre. Mais "Alif" est une lettre, "Lâm" est une autre et "Mîm" est une autre encore".
Et il dit : "Chaque fois que des gens se réunissent dans une mosquée pour réciter le Livre de Dieu et l’étudier, la Paisibilité descend sur eux, la Miséricorde les enveloppe, les anges les entourrent et Dieu les mentionne dans Son Assemblée". (Muslim).
Le Messager de Dieu, paix et bénédiction de Dieu sur lui, a dit : "Celui qui récite habilement le Coran sera avec les Anges nobles et obéissants ; tandis que celui qui le récite péniblement en bégayant, aura une double récompense". (Al-Bukhârî & Muslim)
D’après Othmân Ibn `Affân, que Dieu l’agrée, le Messager de Dieu, paix et bénédiction de Dieu sur lui a dit : "Les meilleurs parmi vous sont ceux qui apprennent le Coran et l’enseignent". (Al-Bukhârî).
Abdullâh Ibn Mas`ûd a dit : "Certes tout éducateur aime que son éthique soit respectée. Et l’Ethique de Dieu c’est le Coran".
Certains savants dirent au sujet de l’exégèse du verset "Dis : ‹De la grâce d’Allah et de Sa Miséricorde ; Voilà de quoi ils devraient se réjouir. C’est bien mieux que tout ce qu’ils amassent›" : il s’agit de l’Islam et du Coran.
On dit à Abd Allâh Ibn Mas`ûd : "Tu ne fais pas beaucoup de jeûnes surérogatoires". Il répondit : "Cela m’empêche de réciter le Coran et la récitation du Coran m’est plus agréable".
On relate que lorsque les gens du Yémen sont arrivés à Médine du temps d’Abû Bakr Le Très Véridique, ils ont entendu la récitation du Coran et se mirent à pleurer. Abû Bakr leur dit : "Nous étions comme cela, mais les cœurs ont durci".
Ces traditions montrent combien grand est l’amour des croyants pour le Coran. Ils se concurrencent pour l’apprendre, pleurent à son écoute et cherchent la proximité de Dieu en le récitant. C’est pour cela qu’il est une révélation récitée en permanence, une lumière qui guide, une guidance appliquée et une éthique mise en pratique. En effet, la récitation du Coran ne signifie pas le fait de prononcer ses mots uniquement, mais c’est aussi la soumission aux sens qui en émanent, le respect de ses ordres et l’éloignement de ses interdits.
Au sujet du verset "Nous allons te révéler des paroles lourdes (très importantes)", l’un des juristes dit : "C’est la connaissance de son sens, son application et le fait d’honorer ses droits comme il se doit".
Nombreux sont les hadîths montrant la valeur de l’application du Coran et l’éthique que doivent observer ceux qui l’apprennent.
Al-Hâkim a rapporté que le Messager de Dieu paix et bénédiction de Dieu sur lui a dit : "Celui qui récite le Coran recueille la mission prophétique dans son cœur, mais il ne reçoit pas de révélation. Celui qui a appris le Coran ne doit s’emporter par la colère quand les gens le font, ni tomber dans l’ignorance avec les ignorants, car il porte en lui la Parole de Dieu".
Selon Abû Dharr : "J’ai dit au Messager de Dieu, paix et bénédiction de Dieu sur lui : Recommande-moi quelque chose. Il me dit : "Je te recommande la crainte révérentielle envers Dieu, car c’est la base de toute chose. Je dis : Ô Messager de Dieu, recommande-moi autre chose encore. Il me dit : je te recommande la récitation du Coran. C’est pour toi une lumière sur terre et un trésor au ciel". (Ibn Hibbân)
Le Coran fut l’école qui a formé ces hommes qui ont dirigé le monde : ils ont établi une civilisation éternelle et ont teinté le monde par le Coran, les Enseignements du Tout Miséricordieux et la guidance du Prophète Muhammad, paix et bénédiction de Dieu sur lui.

P.-S.

Traduit de l’arabe de `Ulûm Ad-Dîn Al-Islâmî (Les sciences de la religion islamique) de Dr. `Abd Allâh Shehâtah, éditions Al-Hay’ah Al-`Âmmah Al-Misriyyah lil-Kitâb, 3ème édition, 1998. ISBN 977-01-5786-4.

Notes

[1] Ce hadîth est également narré par l’Imâm Muslim dans son Sahîh.
[2] Sourate 96, Al-`Alaq, versets 1 à 5.
[3] Waraqah Ibn Nawfal était le cousin paternel de Khadîjah.
[4] Sourate 28, Al-Qasas, Les récits, verset 7.
[5] Sourate 5, Al-Mâ’idah, verset 111
[6] Sourate 16, An-Nahl, Les abeilles, verset 68.
[7] cf. Tafsîr Al-Qurtubî, 60/20
[8] Sourate 4, An-Nisâ’, Les femmes, versets 163 et 164.
[9] Sourate 42, Ash-Shûrâ, La consultation, verset 51.
[10] Sourate 26, Ash-Shu`arâ, Les poètes, versets 193 et 194.
[11] Sourate 53, An-Najm, L’étoile, versets 3 et 4.
[12] Abd Ar-Rahîm Fûdah in Al-Wahy wa Al-Qur’ân, la Révélation et le Coran, p. 9
[13] Sourate 28, Al-Qasas, Les récits, verset 86.
[14] Sourate 19, Maryam, Marie, verset 64.
[15] Sourate 18, Al-Kahf, La caverne, versets 23 et 24.
[16] Sourate 17, Al-Isrâ’, Le voyage nocturne, verset 85.
[17] cf. Sourate la Caverne (18) pour les deux récits.
[18] Al-Bukhârî & Muslim. Dans Sahîh Muslim : Jâbir ibn `Abd-Allâh Al-’Ansârî, qu’Allah les agrée tous deux, rapporte que l’Envoyé d’Allah, paix et bénédiction de Dieu sur lui, inclut la suivante tradition dans son récit sur la période où la Révélation fut interrompue : "Tandis que je marchais, j’entendis une voix qui venait du ciel. Levant alors les yeux, j’aperçus l’Ange qui était venu me trouver à Hirâ’ ; il était assis sur un siège entre le ciel et la terre". Le Prophète, paix et bénédiction de Dieu sur lui, repartit : "Effrayé à cette vue, je rentrai chez moi en criant : "Enveloppez-moi ! Enveloppez-moi !" Et on m’enveloppa d’une pièce d’étoffe. Et c’est à cette occasion qu’Allah — A Lui la puissance et la gloire — révéla ces versets : O, toi (Muhammad) ! Le revêtu d’un manteau ! Lève-toi et avertis. Et de ton Seigneur, célèbre la grandeur. Et tes vêtements, purifie-les. Et de tout péché, écarte-toi. — par (tout péché), on entend : (les idoles). Après cela, la Révélation reprit avec ardeur et continua sans interruption.
[19] Al-Burhân : 1/198.
[20] Sourate 96, Al-`Alaq, L’adhérence, verset 1.
[21] Sourate 5, Al-Mâ’idah, verset 3
[22] Sourate 75, Al-Qiyâmah, La résurrection, versets 16 à 19.
[23] 1/313, Manâhil Al-`Irfân, de Az-Zurqânî.
[24] 1/234, Manâhil Al-`Irfân.
[25] 1/235, Manâhil Al-`Irfân.
[26] Sourate 15, Al-Hijr, verset 10.
[27] Sourate 31, Luqmân, verset 22.

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jeudi 29 mars 2012

Sainteté et martyre en Islam

                         Maqam de  Abu-l-Hassan al-Châdhili en Egypte



Pierre Lory

La sainteté constitue un phénomène majeur en Islam. L’image courante d’une religion musulmane valorisant surtout le respect de la Loi et de la morale est tronquée et entraîne beaucoup d’idées fausses. Les saints sont nombreux, omniprésents en terre d’Islam – chaque village, chaque quartier de ville, chaque corporation de métier possède un saint protecteur – et cette présence de la sainteté ruisselle pour ainsi dire dans la vie courante de très nombreux Musulmans. En effet, comme nous le montrerons ici, elle n’est pas l’affaire de quelques ascètes isolés ou de ‘spécialistes de religion’ : elle peut investir aussi des gens socialement et culturellement ordinaires, et elle se diffuse souvent par des canaux officieux et imprévisibles. L’islam, on s’en souvient, ne connaît aucun monachisme ; la retraite, le célibat sont fortement déconseillés. Le milieu des confréries mystiques (soufies) d’où son issus une bonne partie des figures musulmanes de sainteté, est composé d’hommes mariés et vivant le plus souvent au cœur de la cité.


En l’absence de toute Eglise ou autorité religieuse en Islam, nulle instance ne peut désigner telle ou telle figure comme sainte. C’est toujours le consensus populaire qui fait surgir la réputation d’un « ami de Dieu ». Soulignons-le d’emblée : la sainteté en Islam est d’abord et avant tout une affaire de pouvoir charismatique spirituel reconnu par une communauté. Le saint, appelé walî - je préfère garder le nom arabe, tellement ses connotations sont différentes de celles du mot français - est une personne désignée comme telle par ses contemporains parce qu’on considère qu’il diffuse une énergie divine bienfaisante et efficace, la baraka. Un homme (ou une femme) pourra être très pratiquant, très religieux, un ascète fervent : il ne deviendra pas nécessairement pour autant un walî. De nombreux grands savants, théologiens, plus encore de grands mystiques sont profondément respectés par la communauté musulmane sans être pour autant considérés comme des walî-s. Pour prendre un exemple majeur, Ghazâlî (m. 1111) est sans conteste un des plus grands théologiens de l’Islam sunnite, son Saint Augustin ou son Saint Thomas d’Aquin ; on le surnomme « la Preuve de l’Islam », le « Rénovateur de son siècle » ; et il lutta efficacement pour la reconnaissance de la dimension mystique de l’Islam. Mais jamais il ne reçoit le titre de walî, aucune dévotion particulière ne lui est destinée. Inversement, la vox populi désigne parfois comme walî-s des personnes fort humbles, imprévues, parfois incultes, mais dont la personnalité a frappé leur contemporains, et qui accomplirent des signes divers, notamment des miracles.
Situons à présent les principaux jalons de cette conception de sainteté.


Quelques remarques de terminologie tout d’abord. Le terme que nous traduisons par ‘sainteté’ désigne un fait culturel et symbolique très spécifique. Le nom de walî relève d’une origine arabe tribale préislamique intéressante à rappeler. Il dérive d’un verbe désignant un rapport réciproque de rattachement. Un clan ou un homme isolé, en danger dans le désert ou vaincu militairement, demande à un chef d’une autre tribu sa protection, walâya. Celle-ci entraîne des droits et des devoirs réciproques de solidarité. Curieusement, le terme de walî désigne à la fois celui qui est protégé et celui qui accorde la protection (cf en français « hôte »). On peut le traduire selon les contextes par ami, allié, protégé / protecteur. Il suggère une charge, une responsabilité réciproque, dans le cadre d’un engagement individuel. Il peut désigner, en droit musulman, un tuteur, un représentant légal. Le terme est utilisé à de nombreuses reprises dans le Coran. Celui-ci enjoint vigoureusement aux hommes de prendre Dieu comme seul et unique protecteur, walî (Coran XLII 6), de ne considérer en aucun cas les divinités des païens comme des walî-s, car elles n’ont aucun pouvoir et mènent à la perdition. (XXXIX 3). Ce lien de protection demandé à Dieu s’étend à toute sa communauté, les Musulmans se trouvant unis entre eux par des liens d’alliance et d’amitié réciproques fondés par leur allégeance commune à Dieu : « Vous n’avez d’autre allié (walî) que Dieu, son Envoyé (= Muhammad) et ceux qui croient, accomplissent la prière, donnent l’aumône et s’inclinent. Quiconque prend pour allié Dieu, son messager et les croyants réussira, car c’est le parti de Dieu (hizb Allâh) qui sera victorieux » (V 54-55 ; cf X 62-64). Le point est donc qu’un rattachement exclusif à Dieu est requis. Le Coran condamne, symétriquement, les walî-s de Satan (IV 76, ou XIX 44-45). On notera enfin que Walî (le Protecteur) est un Nom divin, qui fait partie de la liste des 99 Noms que la tradition a gardée comme qualifiant au mieux l’Etre divin. Toutefois, l’acception précise du terme walî comme ‘saint’ est nettement postérieure à l’époque de la révélation du Coran. Elle est consécutive à une évolution religieuse et spirituelle de plusieurs siècles. Le Prophète Muhammad était de son vivant le parfait allié / protégé / ami de Dieu, et le parfait protecteur / allié / ami des croyants. A sa mort se produit comme une fragmentation de son rôle de walî. Sa dimension politique fut reprise par les califes qui lui succédèrent, et les âpres conflits de succession engendrèrent des scissions irréconciliables au sein de la communauté musulmane entre Chiites, Sunnites, Kharédjites. Le terme de walî prit un sens politique et administratif, celui de gouverneur de province, ou encore celui d’héritier (au trône). Mais qui hérita du rôle spirituel, de la walâya du Prophète à l’égard de Dieu ? Il est très important de constater que le même terme de walî désignera les saints de l’Islam. De même que les gouverneurs administrent localement le pouvoir politique et militaire, de même le saint assume-t-il, localement, la succession spirituelle du prophète Muhammad. Concrètement, les walî-s deviendront saints ‘patrons’ de leur pays, de leurs disciples, de tous ceux qui cherchent leur allégeance.

Quelques repères historiques de cette évolution. Durant les premières générations de l’Islam, à la période des conquêtes puis de l’empire omeyyade (660-750), on ne peut guère situer précisément de phénomène de sainteté. Mais certaines personnalités se démarquent. Hasan de Bassora (m. 728) fut un important savant, juriste, traditionniste et prédicateur, et son charisme personnel, son intégrité le firent considérer comme une autorité spirituelle toute particulière. Lorsqu’une caste d’hommes de religion, juristes et théologiens professionnels rattachés à l’establishment politique, se constitua, apparut en réaction des personnalités d’abord isolées, puis se regroupant, s’adonnant avec ferveur à la seule dévotion. Ils gagnèrent un prestige croissant. On les crédita de plus en plus de l’accomplissement de miracles. Un courant proprement mystique se constitua vers le 9e siècle, notamment en Irak ; il se revendiqua comme étant l’expression des amis (walî-s) de Dieu. Le terme « mystique » possède en terre d’Islam une dimension assez nettement définie. Le Musulman ordinaire pratique le culte, la Loi, la morale afin d’agréer un Dieu tout-puissant et transcendant, en ayant foi qu’il rencontrera Dieu dans l’au-delà, au Paradis. Le musulman mystique adhère au même credo, à la même pratique, mais recherche une expérience vécue du divin dès ici-bas ; son Dieu est une présence aimante, active, se manifestant dans le cœur des humains. Le courant mystique prit de l’ampleur aux 9e et 10e siècles, jusqu’à porter ombrage à l’autorité des religieux et au pouvoir politique. Car affirmer, comme le faisaient les mystiques, que Dieu se révèle dans l’intime des cœurs, que la source de toute vérité est directement accessible aux hommes, n’est-ce pas ‘court-circuiter’ le rôle du Coran, du Prophète et de son enseignement, le rendre superflu ? N’est-ce pas de proche en proche menacer tout l’édifice dogmatique et juridique de l’Islam, fondé sur l’autorité exclusive du Prophète et de ses interprètes officiels, les oulémas ? La crise éclata à l’occasion de la prédication de Hallâj, mystique profond et puissante personnalité qui parcourut le monde islamique central en prêchant l’union à Dieu dans les mosquées, les souks, en s’adressant aux hommes de tous les milieux sociaux et des différentes confessions. Figure charismatique populaire, à qui l’on attribuait des miracles, Hallâj inquiéta les milieux politiques chiites autant que sunnites. Il fut arrêté et, après un débat et un procès qui durèrent huit ans, fut supplicié et mis à mort de façon spectaculaire à Baghdad en 922. Après cette crise majeure, un modus vivendi s’établit. Les pouvoirs publics tolérèrent les mouvements de mystique et de sainteté populaire, à condition que ceux-ci ne troublent pas l’ordre public, et réservent leurs enseignements et rites à des cercles discrets. Les mystiques soufis se regroupèrent en écoles initiatiques spirituelles. Vers le 12e siècle, un phénomène majeur vit le jour : la formation de confréries mystiques centrées autour de l’enseignement de grands maîtres, et rassemblant des milliers de fidèles. A partir de cette époque et jusqu’à nos jours, ces confréries représentent le ‘foyer de sainteté’ principal dans le monde musulman. Le disciple recherchant cette sainteté conclut un pacte d’allégeance avec un maître spirituel, qui le conduit sur la voie de l’union à Dieu par l’intermédiaire de rites, de conseils etc. Tout naturellement, les maîtres de confrérie seront considérés comme les grands saints de leur époque.
Ceci dit, il ne s’agit pas de simplifier le tableau. Tout soufi n’est pas automatiquement un saint, bien entendu. Inversement, tout saint n’est pas nécessairement membre d’une confrérie : il existe des inspirés qui reçoivent des grâces divines et connaissent l’union à Dieu sans passer par une affiliation confrérique. Après tout, Dieu rapproche de Lui ses élus comme Il l’entend. Et c’est le consensus populaire qui tranche quant à savoir quels personnes sont vénérées comme walî-s En fait, la sainteté en Islam est d’une troublante diversité. Certains maîtres de confrérie ont été des proches des princes, ont exercé une influence sociale considérable. D’autres grands saints ont été de pauvres artisans, voire des mendiants ou des fous. Afin de mieux cerner ces dimensions de la sainteté en Islam, nous allons considérer d’abord ce que les auteurs religieux, les doctrinaires de la mystique en ont dit. Puis nous évoquerons les aspects plus vécus, plus concrets de l’action des walî-s.


La sainteté dans la théologie

Une littérature immense concerne le domaine de la mystique. De nombreux auteurs engagés dans cette voie ont tenté de décrire l’expérience spirituelle et de conceptualiser la sainteté, la walâya. Parmi les auteurs les plus importants, citons Tirmidhî (Iran oriental, m. entre 907 et 912), qui fut le premier à théoriser la nature et la fonction de la sainteté ; et l’andalou Ibn ‘Arabî (m. 1240), dont l’œuvre magistrale devint la référence principale pour tout le mouvement soufi ultérieur, et ce jusqu à nos jours..
Qu’est-ce qu’un saint ? Pour dire vite, selon les soufis : c’est quelqu’un qui a renoncé à tout pour Dieu, y compris à lui-même, y compris à son propre ego, y compris à la capacité de dire « je ». Contrairement à la mystique chrétienne, où la médiation du Christ situe un tiers entre l’absolue et infinie Transcendance divine, et la personnalité évanescente des humains, le soufisme est une spiritualité d’annihilation. Les soufis se définissent comme les « pauvres », mais cette pauvreté ne vise pas essentiellement celle des biens matériels. Il s’agit de s’effacer, de mourir à soi-même, de laisser sa propre volonté au profit du seul vouloir divin. Pour atteindre cette union complète à Dieu, Tirmidhî évoque deux voies, correspondant aux deux grandes catégories de saints. Certains s’efforcent de renoncer par des exercices spirituels, des pratiques diverses ; d’autres sont « ravis par Dieu en Lui » et, sans effort, apprennent à connaître les secrets du monde divin – et cette deuxième voie est supérieure à la première. Dans les deux cas, c’est Dieu qui décide de l’issue de ce pèlerinage vers Lui, c’est Lui qui rend une personne walî, ou non. Il est souverainement libre. Donc, un saint peut à la limite ne pas être un mystique, si Dieu en décide ainsi. Le grand savant et penseur Ibn Khaldoun pose l’intéressante question de la sainteté d’un fou. De nombreux cas de fous vénérés comme de walî-s existent en effet. Or il s’agit de personnes qui, ayant perdu la raison, ne sont souvent plus en mesure d’accomplir les prières rituelles et de garder la pureté rituelle. Pour Ibn Khaldoun, un homme peut être privé de son intellect pratique – qui lui permet de vivre en société – tout en état lucidement en union permanente à Dieu. Le point est important pour la définition d’un « humanisme musulman » : l’être humain possède toujours un rapport possible à Dieu, plus essentiel que son comportement avec ses congénères.


Pour les doctrinaires soufis, les walî-s sont les véritables successeurs des prophètes. Ils reçoivent à chaque génération ce même influx que Dieu envoya aux prophètes. Bien plus, ils sont chargés de maintenir ce dépôt prophétique contre les déviations et profanations des mondains. Selon les enseignements soufis, les saints gouvernent le monde de façon invisible. Sans eux, le monde transgresseur, pécheur, s’effondrerait, il ne pourrait aucunement continuer d’exister devant le courroux divin. Mais les saints musulmans sont les Justes qui maintiennent la cité en vie, ceux là précisément qui manquèrent à Sodome et Gomorrhe au moment de l’intercession d’Abraham. Il existe une hiérarchie invisible de saints. Le sommet en est le Pôle (Qutb), homme parfait, complètement réalisé en Dieu, dont la volonté est un pur prolongement de la volonté divine, et à qui Dieu a confié la tâche de gérer le monde. Son pouvoir est immense, et peut se manifester par des miracles sans nombre. Le Pôle est assisté par trois ‘Lieutenants’ (nuqabâ’), quatre ‘Piliers’ (awtâd), sept Justes (abrâr), quarante ‘Substituts’ (abdâl), trois cent ‘Excellents’ (akhyâr), quatre mille saints cachés… (la structure de cette hiérarchie varie selon les auteurs : Ibn ‘Arabî p.ex. compte sept abdâl). Morts à eux-mêmes, les grands saints sont les instruments de la volonté divine, ils gouvernent spirituellement la terre selon des ordres surnaturels. Souvent, un grand saint se considère en charge d’une province, d’un district déterminé.

Les soufis, nous le disions, réclament pour eux-mêmes l’héritage prophétique dans l’ordre spirituel. En ce sens, ils se trouvent en concurrence avec les juristes et les théologiens. Leur argument est que les savants, les lettrés, prolongent le savoir prophétique en tant qu’il est livresque, intellectuel, transmis depuis des générations à des gens qui sont morts depuis longtemps. Les soufis ne nient pas l’utilité d’une telle science, mais ils donnent la primauté au savoir transmis à eux directement, ici et maintenant, par « Le Vivant, l’Immortel ». Les saints actualisent à chaque génération le message du Prophète, en eux-mêmes et pour les autres croyants : non seulement le message doctrinal ou juridique, mais aussi la présence sacrée qui est son origine.

L’hagiographie nous présente les saints comme des êtres prédestinés : leur naissance, leur enfance sont parcourues par beaucoup de miracles, à l’instar de l’enfance des prophètes (Jésus, Muhammad). Ce qui nous mène vers la religiosité vécue, et à décrire la sainteté telle qu’elle est socialement perçue.


La sainteté dans la vie sociale

En climat chrétien, le saint manifeste une profonde conformité au Christ, dans sa vie comme dans son corps souffrant. En Islam, la conformité à Muhammad est une prescription valable pour tout Musulman. Elle ne fait pas le saint. La source de tout présence divine en Islam, c’est le Livre, c’est le Coran. Le Coran tient en Islam la même place que le Christ pour les Chrétiens : il est la manifestation sur terre du Verbe divin. La « divinisation » de l’homme, l’acquisition de ce pouvoir du saint, passe par l’assimilation, la manducation pour ainsi dire, de la divine parole. Le rituel soufi principal est la récitation, des milliers de fois, de Noms divins, de formules coraniques ou de prières litaniques. C’est ainsi que le soufi devient, selon l’expression de l’Egyptien Dhû al-Nûn « un homme dont le Coran a compénétré sa chair et son sang ».
Le saint, qui a récité ces paroles divines des années durant, sans s’interrompre, ne peut manquer d’être compénétré par la présence divine. Cette présence l’habite, elle réside en lui sans qu’il en ait même conscience. Et elle produit de nombreux effets de l’ordre du merveilleux, du miraculeux. Cette présence, cette énergie surnaturelle et agissante s’appelle la baraka. Elle se répand sur tous ceux qui fréquentent le saint en l’aimant. C’est ici l’essence du soufisme confrérique populaire, que l’on appelle parfois le maraboutisme.


Le rôle des miracles est à souligner, il est essentiel dans la conception musulmane de la sainteté. Un grand saint, pour prouver son degré spirituel, accomplit une série convenue de prodiges (neuf, souvent) : physiognomonie, bilocation, changement de forme, guérisons diverses (stérilité), multiplication de nourriture, maîtrise sur tous les animaux…La croyance populaire est attachée avant tout à l’action de la baraka. C’est à ce titre qu’elle tolère voire magnifie des types de sainteté anomiques : derviches errants provocateurs (Calenders), mendiants atypiques (Heddaoua au Maghreb p.ex.), personnalités étranges de fous, ou se faisant passer pour tels.
La religiosité populaire est fondée sur un rapport intime avec les grand saints, vivants - ou morts, car leur présence bénéfique se manifeste aussi auprès de leurs tombeaux. On demande aux saints beaucoup de bienfaits. Parfois, cela passe par ce que nous appellerions la magie, par la confection de talismans, la lecture de formules mystérieuses. La mort du saint ne signifie nullement une baisse de la dévotion, c’est bien souvent le contraire qui a lieu. Le cultes des saints se déploie souvent à l’occasion des fêtes anniversaires des walî-s, les mawsim-s : ce sont des phénomènes sociaux qui peuvent prendre localement une importance considérable. Les docteurs de la Loi, les fondamentalistes critiquent beaucoup ces rituels qu’ils considèrent comme païens, étrangers à l’esprit du monothéisme islamique. Dans certains pays, la condamnation est radicale : l’Arabie Séoudite, où règne le wahhabisme, a interdit toute activité des confréries mystiques sur son sol. Mais pour les dévots, l’amour des saints est indissociable de l’amour de Dieu et du Prophète. Le saint se manifeste de façon courante, dans les rêves, dans les visions.


Mentionnons pour finir, par référence à l’actualité, le cas des ‘martyrs’, c'est-à-dire des combattants morts sur le champ d’honneur. Le Coran exalte leur courage, et déclare qu’ils sont vivants auprès de Dieu. Mais ils ne sont pas pour autant des walî-s. Les soufis ne sont pas forcément des non violents, et il est arrivé qu’ils participent à l’effort militaire (contre les Byzantins, les Espagnols ; ou actuellement en Palestine). Il peut donc arriver qu’un saint meure en martyr : mais sa dimension de walî dépend de la baraka qu’il transmet, non du sacrifice de sa vie. Pareillement, dans le cas de Hallâj, sa sainteté n’est pas augmentée par le supplice qu’il a subi. La souffrance en soi n’est pas une voie de sanctification.


Conclusion

Pour les grands doctrinaires mystiques, la sainteté est la clé de toute la création. Dieu a créé le monde pour se donner un vis-à-vis sur qui Il puisse porter sa conscience et son amour : « J’étais un trésor caché, J’ai aimé être connu, alors J’ai crée le monde » (hadîth). Bref, le monde n’existe que dans le but qu’y soit suscitée de la sainteté : « Sans toi, je n’aurais pas créé le monde », dit Dieu à Muhammad dans un hadîth (d’authenticité douteuse). Toute l’aventure humaine n’a d’autre sens que de « produire de la sainteté ».
Or actuellement, au 21e siècle, quel peut encore être le rôle et le poids effectif de la sainteté ? Les mouvements soufis semblent souvent affaiblis. La triple attaque qu’ils ont subie de la part des modernistes laïcs, de la gauche marxiste (cf l’Union soviétique, l’Albanie) et surtout du fondamentalisme (wahhabite notamment) ont fait reculer l’influence des confréries. Mais le soufisme reste néanmoins une force considérable. Et, en plus du nombre d’homme qu’il peut éventuellement mobiliser, il possède un énorme capital symbolique. Un cas récent illustrera ce rôle. « La vallée des loups », feuilleton turc à succès de Serdar Akar diffusé récemment (2006) en film dans les salles, décrit une aventure d’un héros turc venant faire justice en Irak du Nord contre les exactions des Américains. Ces derniers sont présentés comme des brutes cyniques, dont le christianisme (ou le judaïsme) n’est qu’une justification à leur appétit de domination. Le rôle central de Musulman est donné à un maître soufi. C’est lui – et non le héros, le « Rambo turc », Pulat Alemdar, qui parle de la vérité de l’Islam. En ce sens, la sainteté peut à nouveau jouer son rôle, à savoir, celui de référence ultime de ce qui est juste ou injuste dans la pratique de l’Islam – puisque le saint semble décidément rester l’héritier des prophètes.

Bibliographie

Michel CHODKIEWICZ, Le Sceau des saints – Prophétie et sainteté dans la doctrine d’Ibn ‘Arabî, nrf, Gallimard, 1986.
Le Coran, trad. de Denise Masson, folio, Gallimard, 1967 (2 vol.).
KALÂBÂDHÎ, Traité de soufisme – Le Maître et les Etapes, trad. et prés. de Roger Deladrière, Sindbad, 1981.
Louis MASSIGNON, La Passion de Hallâj, martyr mystique de l’Islam, nrf, Gallimard, 1975 (4 vol.).
Bernd RADTKE & John O’KANE, The Concept of Sainthood in Early Islamic Mysticism, Curzon Press, 1996.
SARRÂJ, Schlaglichter über das Sufitum, trad. et comm. par Richard Gramlich, Franz Steiner Verlag, 1990.



dimanche 25 mars 2012

Vingt convenances spirituelles (âdâb) concernant le dhikr – (Lawâqîh de l’Imâm Charani

Le Porteur de Savoir  




Dans cet extrait des Lawâqih, l’Imam Châranî réduit les mille convenances spirituelles du dhikr à vingt règles prototypiques. Cette synthèse des âdâb à observer avant, pendant et après l’incantation nous rappelle que la mise en œuvre des influences spirituelles dans le cadre de rites initiatiques répond à des lois techniques et « positives » bien connues des Maîtres, et que celui qui les respecte pas se voit privé de tout ou partie de leurs bénéfices.


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Convenances spirituelles de la Voie -Commentaires des règles initiatiques des Lawâqîh de l’Imâm Charani









Les Maîtres sont unanimes à dire qu’il ne faut pas que le Maître spirituel rattache le murîd à une Voie de progression effective (sulûk) alors que le murîd en question serait encore sujet aux liens mondains, ce qui l’amènerait finalement à la traîtrise (de l’abandon).


Comme on le sait, le sulûk désigne la progression spirituelle effective, c’est-à-dire le processus qui s’accompagne de l’accès définitif à des réalités supérieures ; il est à différencier de la pratique, dite de tabarruk parce que seule la transmission de la barakah y est envisagée, qui ne s’accompagne pas d’une telle progression.



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Poème sur "l'établissement sur le Trône"




A un théologien qui lui demandait ce qu'il pensait de cette phrase du Qoran (XX, 5) : «Le Maître de miséricorde s'est établi sur son trône », al Hujjut al Islam Abu Hamid al Ghazali répondit par ces vers :



A celui qui comprend intérieurement

Le sens de nos paroles, tu répondras ceci :

Il est bon sur un tel sujet de ménager

Ses mots, car toute explication serait sans fin.

Et puis va ton chemin sans excès de souci

Car, par Dieu, je sais des gens fiers de leur savoir

Qui ont dû rentrer leur cou entre leurs épaules

Pour avoir achopé sur de moindres obstacles !

Commençons par toi : peux-tu seulement

Connaître ta propre personne ? Tu ignores qui tu es

Et par quels détours de route tu parviendras

A ce que tu persistes à appeler ton but.

Tu ne sais pas au juste de quels éléments

Ton corps est composé, éléments qui nous sont

En tous points si obscurs que la raison s'égare

A vouloir explorer leurs principes cachés.

Et puis d'où vient ton âme et quelle est son essence ?

En vois-tu seulement les contours, la substance ?

Et tes sens captent-ils en leur acuité

Les divers mouvements qui l'agitent en son fond?

Ce souffle qui dans ta poitrine va et vient,

Le peux-tu à ton gré arrêter sans danger?

Et sais-tu l'heure enfin où il te quittera,

L’issue étant venue, pour ne plus revenir?

Dis-moi, ô ignorant, ce que devient aussi

La puissance éveillée de la claire raison

Et de l'intelligence aux heures où le sommeil

A aveuglé en toi l'oeil de la vigilance?

Tu te nourris de pain mais serais bien en peine

De t'expliquer comment cet aliment commun

Qui s'insinue en toi se transforme en liquide

Et comment ta vessie l'évacue en urine !

Connais-tu beaucoup mieux ce que plie et replie

Ton ventre en ses méandres, mystérieux chemin

Dont ta simple conscience n'a visiblement cure

D’éclairer les cavernes, de percer le secret ?

Comment peux-tu dès lors essayer de connaître

« Celui qui s'est un jour établi sur le Trône »

Et chercher à savoir comment s'est établie

Son assise et comment Il en pourrait descendre ?

Car Il est sans « comment ». De même que pour Lui

N’existe le mot « où ». Il gouverne en seigneur

Le règne du « comment » qui sous Lui et par Lui,

Sans cesse en mouvement, dans l'instant se transforme.

Etant « dessus », Il est au-dessus du dessus,

Ce qui fait que pour Lui il n'est point de dessus.

De même habite-t-Il toutes les directions

Ensemble, n'étant point soumis aux lois du « lieu ».

Qu'Il se manifeste à nous en sa pure essence,

Qu’Il soit à la fois « élevé » et « exalté »,

Ce Seigneur qui est nôtre : voilà qui est certain

– et qui pourtant échappe au pouvoir de tes mots

L’Ijâza ou la licence

                                Sidna Shaykh Abil Abbas Tijani's license to Sidi Mohammed ibn Omar Debbarh where he salutes Sidi Hamdun b. al-Hajj


Ce qu’est l’Ijâza


C’est une délégation de la part du murchid (guide) à certains de ses disciples pour transmettre toutes ou certaines des litanies (wird), que se soit par l’intermédiaire d’une Ijâza écrite, verbale ou du coeur; cette délégation peut être perpétuelle ou ponctuelle. Le mûrchid est connu chez les gens de Dieu par ses qualités, il est l’héritier du secret et il est plus élevé par son grade et sa station que celui qui est autorisé et licencié, car, il est lui-même (le murchid) considéré comme la source de l’héritage, autorisant (les autorisés et licenciés) à éduquer. Et cette station ne fait jamais défaut en aucun temps, aussi il n’est pas permis que deux personnes se la partagent. Quant à l’autorisation ou la licence, elle n’est considérée par les hommes réalisés que pour sa bénédiction.
La délégation du mûrchid ne peut être éprouvée par un effort personnel de sa part mais par un signe clair de Dieu, de son prophète et des Maîtres de sa chaîne spirituelle que ces derniers constituent un lien direct avec le prophète. L’autorisation en réalité vient d’eux et le mûrchid n’est que le transmetteur.
La transmission de toutes ou certaines litanies (wird) se fait par l’Ijâza qui peut être absolue et générale aux litanies générales ou spéciales, peut être aussi limitée aux communs des croyants sans les Elus de Dieu et peut être également limitée seulement à quelques litanies générales.
L’Ijâza peut être en forme écrite ou verbale ou du coeur, elle se déplace à l’autorisé et licencié par la voie (tariq) à laquelle il appartient. A savoir que la vérité de l’Ijâza est un sens caché que l’autorisé trouve dans son coeur alors que la permission écrite et orale n’ont aucune influence sur lui sinon qu’elles constituent une preuve pour celui que son coeur lui fait défaut, quant à l’homme du coeur sait qu’il est autorisé et cela le suffit.
L’Ijâza peut être ponctuelle ou perpétuelle. Si elle a été ponctuelle, il est donc permis de s’en servir que pendant le temps autorisé contrairement à celle qui est perpétuelle dont il est permis de s’en servir à vie .Les diverses formes d’Ijâza
Il y’a plusieurs formes d’Ijâza, chaqu’une d’elle revêt une forme et les licenciés l’étaient par voie de conséquence, La Ijâza se divise donc en trois formes d’après son contenu:
La 1ère forme est par rapport à la voie dont elle dépend, ainsi elle peut être une ijaza écrite, verbale et du coeur.
La 2ème forme est par rapport au temps, ainsi elle peut être ponctuelle ou perpétuelle.
La 3ème forme est par rapport à la globalité, ainsi elle peut être une ijaza générale, spéciale et une Ijâza autorisant à guider.1-la 1ère forme par rapport à la voie elle se divise en :a)- L’ ijaza écrite
C’est une déclaration écrite pour transmettre les litanies, parmi ses conditions; la forme, qui doit être claire ainsi que les litanies que le licencié y est autorisé à transmettre et doit comporter également le sceau du Cheikh . L’Ijâza écrite est superficielle, elle est seulement une preuve de son propre existence et un outil à faire manifester sa véritable réalité qui est l’autorisation et la délégation faites du coeur (précédées par un signe clair de Dieu et de son prophète) que chacun (l’autorisant et l’autorisé) en a eu connaissance.

b)-L’Ijaza verbale
C’est une déclaration verbale à certains des disciples à transmettre les litanies et cela sans avoir recours à l’écrite La déclaration verbale est au même niveau que l’écrite, aussi faut-il qu’il y ait à cette déclaration un état (spirituel) manifeste de l’autorisé prouvant la véracité de son autorisation et nous ne cesserons de répéter que la véritable autorisation est celle du coeur alors que la déclaration verbale n’est qu’un outil manifeste et une preuve parmi tant d’autres, le Cheikh Ahmed al-Alawi en a délivré des dizaines de cette forme d’Ijâza.

c)- L’Ijaza du coeur
Comme nous l’avons dit précédement; l’origine des Ijâza (écrites et verbales) est celle du coeur, elle est la base de toutes les Ijâza et la preuve de la véracité des Ijâza écrites et verbales qui sont par voie de conséquence des repères et des preuves manifestes car elles sont un outil manifeste mais elles restent tout de même superficielles. Quant à son importance, tous les gens de Dieu ont en fait leur principale priorité et l’ont mentionnée même dans leurs Ijâza écrite et verbale et ont imposé que toutes les Ijâza ne sont valides que par l’autorisation du coeur qui est l’origine d’où elles émanent, car sans elle aucune ne verrait le jour.
Le Cheikh Ahmed al-‘Alawi dans sa Ijâza au futur Cheikh Mohammed al-Madani dit: « Nous te décernons la licence verbale pour confirmer la licence du coeur que nous t’avons délivrée auparavant ». Le Cheikh al-Alawi a même demandé l’autorisation par le coeur au Cheikh Abu -Madiyan al-Ghawt (1098 / 1177) d’expliquer ses sagesses dans son livre al-Mawad al- Ghaytiyya alors que sidi abu-Madiyan est décédé 8 siècle avant, cela nous démontre que l’autorisation du coeur est la clef de voute du renfort et du soutien.
Si l’autorisation du coeur n’était pas l’origine même, elle n’aurait pas été mentionnée dans l’écrite et verbale, bref, elle est la véritable autorisation pour la transmission des litanies générales et spéciales et pour les deux Ijâza citées ci-dessus, notons aussi qu’elle reste la seule voie sans équivoque par laquelle se transmet l’autorisation pour guider.
Mais une question pourrait se poser : L’autorisation du coeur pourrait être alors l’objet d’imposteurs et de faux prétendants, ce qui
mène à la confusion et aux violations des droits.
La réponse est en trois possibilités :

- 1ère réponse:
L’opposition au nouveau maître est une tradition providentielle depuis la nuit des temps et est une preuve de la sincerité du nouveau maître, cependant elle ne pourrait venir d’un homme ayant le coeur illuminé et l’oeil intérieur ouvert car les gens des coeurs distinguent celui qui dit la vérité de celui qui ment et du faut prétendant de celui qui est réalisé et si le faut prétendant (charlatan) apparaît, les preuves seront là comme témoins et le trahiront par ses esquives et ses divers manoeuvres à s’en échapper, à ce moment là, la plupart des gens le fuient même les plus proches. Le Prophète (PSSL) a répondu à une question de savoir qui est le meilleur des compagnons, il répondit: » il est celui qui vous fait rappeler Dieu en le voyant et que sa logique (pensée) vous pousse à faire d’avantage de bonnes oeuvres et que ses actes vous font penser à l’au-delà! « .
Ibn ‘Ata Allah al-Iskandari a laissé un descriptif détaillé des signes du véritable maître sans avoir à évoquer la Ijâza (comprends donc) : » Ton maître n’est pas celui que tu as écouté et entendu de lui mais ton maître est celui que tu as obtenu de lui, ton maître n’est pas non plus celui que tu as compris ses expressions mais c’est celui qui a fait introduire en toi ses allusions, ton maître n’est pas non plus celui qui t’a invité à la porte mais il est celui qui a relevé entre toi et Lui le voile, il n’est pas non plus celui qui a un discours clair et des paroles belles mais il est celui qui te motive par son état spirituel. Ton maître est celui qui t’a fait sortir de la prison des passions et t’a fait entrer chez le Seigneur, il est aussi celui qui a purifié le miroir de ton coeur jusqu’à ce que les lumières de ton Dieu s’y reflètent, il est celui qui t’a fait soulever pour Dieu et tu t’es levé vers Lui et t’a pris en chemin jusqu’à ce que tu sois arrivé à Lui et il est encore à tes cotés jusqu’à ce qu’il te met entre ses Mains et t’introduis dans la Lumière de la Présence et te dit : te voilà avec ton Dieu.
Ne sois pas indigent par la rareté des guides mais sois indigent par la sincérité de ta quête, force-toi à être sincère tu trouveras le guide «

- 2ème réponse:
Lorsqu’on lit les biographies des hommes de Dieu, on remarque que la transmission de leurs autorisations pour guider se fait par le coeur et on ne trouve aucune trace d’une licence écrite, suite à cela, les épreuves font surface par l’opposition des négationnistes au début, elle viennentt en particulier de leurs condisciples et l’histoire des grands maîtres en est témoin de ces paroles.

- 3ème réponse:
L’Ijâza écrite n’est pas un laisser-passer pour être le maître dans une voie mais bien le contraire, se résoudre à compter sur la Ijâza écrite, mène à faire des déclarations d’être le maître et cela dans toutes les voies du Tassawûf. La Shari’A reste la balance juste du compagnonnage non pas la Ijâza (Craignez Dieu et soyer avec les sincères) (il est celui qui vous fait rappeler Dieu en le voyant et sa logique (pensée) vous pousse à faire d’avantage de bonnes oeuvres et que ses actes vous font penser à l’au-delà!) alors faites la différence.

2-la 2ème forme par rapport au temps
elle se divise en :


a)-L’ ijaza ponctuelle
Elle se limite à un temps précis, de telle date à telle date ou pendant un séjour temporaire d’un autorisé en un lieu quelconque pour transmettre les litanies aux nouveaux disciples et elle se limite à ça.

b)-L’Ijaza absolue perpétuelle
Elle peut être écrite ou verbale pour la transmission des litanies sans limite de temps ou de lieu.

c)- L’Ijaza par rapport à la globalité elle se divise en:

1- Ijâza limitée à un certain nombre de litanies générales
2- ijaza absolue pour toutes les litanies (générales et spéciales)
3- Ijâza autorisant à guider
Cette dernière est une spécificité et un choix Divin que les humains n’ont pas à s’ingérer, disons qu’elle est un secret et un dépôt que Dieu dépose chez qui Il veut parmi ses serviteurs. Le porteur de ce dépôt est connu chez les gens de Dieu par le Pôle, le Secours. Quand le porteur de ce dépôt meurt, Dieu déplace le dépôt chez un autre, le Cheikh al-Alawi disait : » Et après le décès du maître, apparaîtra un autre comme lui, ceci est la tradition de Dieu qui ne changera pas. ». Il est possible que son porteur sait qui le remplacera, il fera peut être allusion à lui par des sens cachés ou il ne le fera pas du tout, le Cheikh al-Bûzaydi qui n’avait jamais désigné expressément personne pour lui succéder à la tête de la confrérie, a répondu à l’un de ses disciples assez infatué de lui-même, qui s’imaginait être qualifié pour guider les frères, après le Maître, (car la question avait été plus d’une fois évoquée par le présomptueux) qu’il était pareil à quelqu’un qui habitait une maison, avec la permission du propriétaire, que c’était à lui donc qu’il se devait d’en remettre les clefs, une fois qu’il se verrait appeler à quitter la demeure et que lui seul été habilité à les remettre à qui il voulait… ».
Quant au nouveau maître il recevra la nouvelle de son investiture par le Prophète lui-même (pssl) comme dans l’exemple du Cheikh Ahmed al-‘Alawi qui avait vu avant la mort de son Maître, quelques jours auparavant, le Prophète (pssl) lui annoncer qu’il serait le successeur du Roi de l’Orient « Sultan al-Machriq » et qu’il sera son principal soutiens. Donc la transmission du dépôt n’est pas une Ijâza proprement dite même si on l’a nommée ainsi, elle reste un secret et un dépôt qui se transmet après le décès du maître vivant, aussi il n’est pas permis que deux personnes se la partagent en même temps. Et en ce sens, Allah a dit: « Nous avons proposé aux cieux, à la terre et aux montagnes le dépôt. Ils ont refusé de le porter et en ont eu (peur), alors que l’homme s’en est chargé. » Et a dit: « Lorsque Ton Seigneur confia aux Anges: Je vais établir sur la terre un vicaire (Khalifat) » Et a dit: « Ô! David, Nous avons fait de toi un vicaire sur la terre. » Et a dit: « Et Nous avons dénombré toute chose dans un Imam explicite. »


Notes
Il est presque certain que le Cheikh Ahmed al-Alawi n’en délivra que quelques Ijâzas écrites autorisant à guider des disciples (Ijâza des connaissants), les madanis affirment que, la seule Ijâza que le Cheikh eut délivrée, était celle que détenait leur maître, d’autres soutiennent qu’il n’en délivra que deux. Nous n’avons en tous cas jamais entendu parler de plus de trois Ijâzas
décernées par le Grand maître.

La première fût décernée au Cheikh Mohammed al-Madani, la deuxième au Cheikh Mohammed al-Hâshîmi (verbale?) et la troisième au Cheikh Adda Bentounès, notons que l’Ijâza de coeur prime sur les autres.
Le Cheikh Mohammed al-Madani, quant à lui, n’en délivra qu’une seule; au Cheikh Ismail al- Hadifi, on peut lire dans les mémoires de celui-ci : » En ce qui concerne l’autorisation (manuscrite) d’autoriser à pratiquer le Nom Suprême (al Ism al-A’zam) le Cheikh Mohammed al-Madani a prié Dieu pour moi en disant : qu’Allah fasse de toi une direction pour les remémorants (Qibla lizzâkirîn), grâce à Dieu, et m’a autorisé à lire et à autoriser à d’autres (Dalâ il al-Khayrât), sans compter diverses Ijâzas, à donner le pacte de la voie.
Le Cheikh Mohammed al Hâshîmi, quant à lui, nous ignorons le nombre exact des ses Ijazas, mais nous avons la preuve qu’il a décerné une Ijaza au Cheikh Abd Al-Qâdir `Isâ. Cette Ijaza revêt le même habit que la Ijaza décernée au Cheikh Mohammed al-Madani dont l’ijâza du coeur qui y est citée.
Par contre le Cheikh Adda Bentounès en délivra plusieurs, dans l’état actuel de nos connaissances, il est impossible d’en savoir le nombre.
Pour terminer voici deux exemples d’ijâzas, la première est l’ijâza des connaissants autorisés à guider et la deuxième une déclaration écrite à transmettre les litanies générales.


Ijâza des connaissants:
» Voici la licence des connaissants, ô faqir parvenu à l’extinction, affilié au parti du Seigneur, sidi………….., pour toi, Allah a dissipé les illusions et levé les voiles. Le profit que tu as tiré à nos contacts, a été à la mesure de l’amour que tu as nourri pour nous, aussi devras-tu faire profiter tes frères parmi les serviteurs de Dieu, car il n’est pas licite qu’un homme laisse la science juste qu’il lui a été donné de recevoir. Voici le grade de la guidance qui te réclame avec le sérieux le plus intégral, guide donc qui fait appel à toi, conduis vers l’union qui a rompu d’avec toi.
Dans la voie Chadhûli nous te décernons la licence verbale pour confirmer la licence de coeur que nous t’avons délivrée auparavant, tu te dois d’aimer continuellement ton Seigneur, car Allah réserve à son serviteur la place que ce dernier lui réserve en son âme. Je formule le souhait qu’Allah t’accorde la pérennité de son amour, et sache que l’assistance du Seigneur est fonction de la disposition du serviteur. De notre conduite rien ne t’a été occulté, suis donc ce qu’elle recèle de meilleur, non pas nos imperfections dans la guidance. Notre Maître, mon Seigneur Mohammed al-Bûzaydi, avait passé de nombreuses nuits, rapprochant les serviteurs du Seigneur…suis la tradition de nos précédents maîtres à qui nous avons emprunté la voie, tu seras bien solidement attaché à eux, aussi longtemps que tu te seras conformé à leurs traditions. Veille qu’Allah te bénisse sur leur amitié, sur leur pacte, Allah veillera sur toi, il est le meilleur des vigiles, le plus clément des cléments.
Pour clore, je supplie Allah le Grandissime par la gloire de son Prophète généreux qu’Allah prie sur lui et le salut fortement, de nous préserver dans ce qu’il nous a donné, de nous seconder dans l’observance de ses ordres. Je te supplie, ô Seigneur ! par le plus grand de tes messagers, le meilleur de toutes tes créatures, d’aplanir pour lui la voie droite, nous l’avons conduit devant ta porte, il te fera aiménde tes créatures et tes créatures de toi.
Ô seigneur ! Élargis devant lui la voie de ta connaissance, introduis-le dans ton enceinte inexpugnable, préserve tous ceux qui se rattacheront à lui, par le privilège de l’entrée en ta présence, et sois, ô notre Seigneur ! Son ouïe, sa vue, sa main sa jambe, ô Seigneur ! Éteins,son existence en la tienne, de sorte qu’il ne lui reste plus que ce qui est par toi et pour toi, Amin ! Par le caractère sacré du Maître des messagers ! Notre ultime prière est de louer Allah, le Seigneur des mondes « .


Ijâza à transmettre les litanies générales:
Au Nom d’Allah, le Clément, le Miséricordieux.
Nous te louons Seigneur, Ô Toi qui nous a inspiré d’être les compagnons des pieux et mis dans la voie droite. N’as-tu pas dit et ta parole est véridique : » qui est égaré, n’aura, certes ni soutien, ni guidée ».
Ô Seigneur parachêve ton bienfait pour nous et aide-nous, secours-nous afin que nous puissions te servir.
Ô Seigneur , bénis notre Maître Mohammed, l’Imam des guidée, le prophète fidèle, le messager annonciateur de la clémence pour les mondes, que ta bénédiction se réponde aussi sur les siens purs, ses pieux compagnons bien guidés et sur ceux parmi nos frères croyants qui ont suivi leurs traces. Ainsi, grâce à l’assistance d’Allah, à sa pure faveur, nous avons autorisé notre frère en Dieu, à l’âme pure, à la moralité agréee, l’ami de Dieu, sidi ……….., à dispenser les litanies générales de la confrérie Alawiyya au service de Dieu, et ce afin de diffuser la guidance, de propager les enseignements de la confrérie fondée sur l’observance du livre d’Allah et de la tradition de son messager, que la prière et le salut d’Allah soient sur lui, nous lui prodiguons, par la même occasion, ainsi qu’à nous-même, ce conseil qui nous ait enseigné par Allah à travers la noble tradition, n’a-t-il pas dit, qu’Allah le bénisse et le gratifie de son salut… » Quiconque se désintéresse des affaires des musulmans, ne peut être considéré comme un membre de leur communauté « .

Quant à nous, nous ne pouvons dispenser un conseil plus éloquent, ni faire un sermon plus utile que le verbe du trés -Haut que voici » Par le temps, l’homme est certes en perdition, excepté ceux qui ont cru en Nous, qui ont entrepris des actions ennoblissantes et se sont conseillé de suivre la Vérité et de s’armer de patience « Qoran CIII. Nous le mettons de même en garde, tout à fait en garde, de ne pas transformer le rattachement à Allah, ni en source de profits materiels, ni en echelle pour solliciter honneur et puissance.
Nous nous devons de propager les enseignements de la confrérie sincèrement et désintéressés des biens d’ici-bas, uniquement pour la face de d’Allah, car quiconque soumet sa face à Allah en n’adorant que Lui, se cromponne certes à l’anse solide, à Allah reviens la fin de toute chose « .
Et Dieu est le Meilleur des Savants.

Derwish al-Alawi
Bibliographie:
Salah Khelifa, Alawisme et Madanisme, des origines immédiates aux années 50. Thèse pour
l’obtention du Doctorat d’état en études Arabes & Islamiques. Université Jean Moulin Lyon III.
Traduction de la page ijâza du lien suivant :
http://www.shazellia.com/tareka/ijaza/Ijaza.htm

"Tourne ta face vers la Mosquée sacrée"


(Cor. 2: 144, 149, 150).


Cela signifie: "tourne la face [divine] qui t'est particulière" - celle dont Dieu a dit: "Seule subsiste la Face de ton Seigneur" (Cor. 55: 27).




Cette face, c'est le secret (sirr) par lequel ton esprit subsiste, de même qu'à son tour ton corps ne subsiste que par ton esprit. Elle est la raison d'être de l'homme, et c'est elle que l'ordre [formulé dans le verset] concerne.


Dieu, en effet, ne considère pas vos formes extérieures mais seulement vos coeurs - qui sont les "faces divines" propres à chacun de vous. Ce sont elles qui, en vous, "contiennent" Dieu alors que son ciel et sa terre ne peuvent Le contenir.
Dieu ne nous a pas prescrit de nous orienter vers la qibla si ce n'est par ces faces.
Nous n'entendons et nous ne voyons que par elles. Celui qui ne s'oriente [vers la qibla]que par son corps, sans orienter aussi cette face, ne s'oriente pas véritablement.
Celui qui ne regarde que par ses yeux de chair, sans regarder aussi par cette face, ne regarde pas véritablement.


Ainsi que Dieu l'a dit: "Tu les verras [= les infidèles] qui te regardent, et ils ne voient point" (Cor. 7 :198). Cela vient de ce qu'ils ne regardent que par leurs regards de chair et non point par leurs "faces" particulières et par leurs "secrets".
Pareillement, celui qui écoute par son ouïe seule, indépendamment de cette face, n'entend pas.



C'est pourquoi Dieu a dit: "Ils ont des oreilles et ils n'entendent point" (Cor. 7: 179).



Celui qui ne se tourne [vers Dieu] que par cet organe conique qu'est son coeur de chair, celui-là ne saisit ni ne comprend: "Ils ont un coeur et ils ne comprennent point" (Cor. 7: 179)



Celui qui regarde par son oeil fini ne voit que les choses finies- corps, couleurs ou surfaces. Celui qui regarde par l'oeil de son esprit caché voit les choses cachées- êtres spirituels, formes du monde de l'imagination absolue, djinns- qui toutes ne sont encore que des êtres créés et donc des voiles. Mais celui qui regarde par sa face, c'est-à-dire son secret (sirr), voit les faces que Dieu a en toutes choses; car, en vérité, seul Allah voit Allah, seul Allah connaît Allah.



Ces trois "yeux" n'en sont en réalité qu'un seul et ne se distinguent que par la différence des objets de leur perception. Que cela est déconcertant et surprenant! Celui qui regarde ne peut lui-même faire la distinction entre le regard de ses yeux de chair, celui de son esprit et celui de son "secret"- c'est-à-dire de sa "face" particulière- que par la nature de ce qu'il perçoit!



C'est à cette "face" que se rapporte la parole de Dieu: "Ô fils d'Adam, J'ai été malade et tu ne M'as pas visité. J'ai eu faim et tu ne M'as pas nourri. J'ai eu soif et tu ne M'as pas abreuvé..."



C'est à elle encore qu'il est fait allusion dans le hadith "Je suis son ouïe... son regard..." où Dieu énumère successivement toutes les facultés du serviteur. C'est également à cause d'elle que Dieu a dit "Et ton Seigneur a décrété que vous n'adoreriez que Lui" (Cor. 17:23) car c'est en réalité cette face divine seule qui est adorée en toute créature- feu, soleil, étoile, animal ou ange.
La considération de cette face est nécessaire en tout acte, religieux ou non.





Lorsque [le gnostique] s'oriente vers la qibla pour accomplir la prière rituelle, il voit que celui qui s'oriente est Dieu, et que celui vers qui il s'oriente est Dieu aussi.
Lorsqu'il fait l'aumône, il voit que celui qui donne est Dieu, et que celui qui reçoit est Dieu aussi, ainsi qu'il est dit dans le verset: "Ne savent-ils pas que c'est Allah lui-même qui accepte le repentir de Ses serviteurs et qui prend les aumônes ?" (Cor. 9: 104).

Et il est rapporté aussi dans le Sahih que l'aumône tombe d'abord dans la Main du Tout-Miséricordieux [avant de tomber dans la main de celui à qui elle est destinée].

Lorsqu'il récite le Coran, il voit que celui qui parle est Dieu, et que celui à qui il est parlé est Dieu aussi. Lorsqu'il écoute le Coran, il voit que la Parole est Dieu, et que l'auditeur est Dieu. Lorsqu'il regarde une chose quelconque, il voit que celui qui regarde est Dieu et que ce qui est regardé est Dieu.

Car il voit Dieu par Dieu- mais prends garde de croire qu'il s'agit là d'incarnation, d'union, d'infusion ou d'engendrement': je désavoue tout cela. Comme l'a dit le Shaykh al-akbar:

"Nous avons laissé derrière nous les mers agitées
Comment les hommes sauraient-ils vers quoi nous nous dirigeons ?"

Quant à la "Mosquée sacrée" [mentionnée dans le verset introductif], bien que ce terme s'applique littéralement à la Mosquée que les sens peuvent percevoir, il faut comprendre qu'il désigne le degré qui totalise tous les Noms divins, c'est-à-dire le degré de la divinité (uluhiyya), qui est le "lieu de la prosternation'''.

De la prosternation des coeurs, non de celle des corps. On dit un jour à l'un des Maîtres:

"Le coeur se prosterne-t-il ?" Il répondit: "[oui] Et de cette prosternation, il ne se relève jamais!". Le mot "sacré" (haram) signifie qu'il est interdit de pénétrer en ce lieu à un coeur qui ne s'est pas dégagé de la sphère de l'âme et de la sphère des êtres créés.
[La suite du verset :] "où que vous soyez, tournez vos faces" [vers la Mosquée sacrée] signifie: "où que vous soyez, dans l'accomplissement des oeuvres d'adoration ou dans les actes ordinaires de la vie, contemplez-Le dans ce que vous mangez, dans ce que vous buvez, dans ceux ou celles que vous épousez; tout en sachant qu'Il est à la fois le Contemplant et le Contemplé:


"Il a juré par le Contemplant et le Contemplé"
Et ce faisant, Il n'a juré que par Lui-même, non par un autre que Lui."


Mawqif 149.




Extraits de Écrits spirituels (Kitab al Mawaqif) de l'Émir Abd el-Kader, présentés et traduits de l'arabe par Michel Chodkiewicz (Paris, Seuil, 1988).