jeudi 31 mai 2012

Cheikh Abul-'Abbas al-Mûrsi (1219-1287)





                                                 Mosquée du Cheikh à Alexandrie







Biographie d'Abul-'Abbas al-Mûrsi

Biographie d'Abul-'Abbas al-Mûrsi



                                            Mosquée d'Abul-'Abbas al-Mûrsi à Alexandrie, Egypte











Son nom complet est Shihab ad-Din Ahmad ibn 'Omar ibn 'Ali al-Khazraji al-Balansi, dont la noble lignée remonte au grand Compagnon Sa'ad ibn 'Ubada al-'Ansari. Il était connu sous l'épithète « Abul-'Abbas » et par le surnom « al-Mûrsi » d'après le lieu de sa naissance, Murcie. Son grand-père était Qays ibn Sa'ad, le chef de l'Égypte avant notre maître l'iman 'Ali ibn Abi Talib en l'an 36 de l'Hégire.

Notre maître Abul-'Abbas al-Mûrsi naquit dans la ville de Murcie, en Andalousie, en 616 de l'ère islamique (1219). Son père, qui y travaillait, le plaça auprès d'un professeur afin d'étudier le Glorieux Coran et d'apprendre les commandements de la religion. Abul-'Abbas al-Mûrsi mémorisa le Coran dans son intégralité en une année, et continua à étudier les principes de la jurisprudence, de la lecture et de l'écriture.

Son père était un commerçant de Murcie, et Abul-'Abbas al-Mûrsi avait l'habitude de participer, à ses cotés, à ses affaires. L'argent qu'Abul-'Abbas al-Mûrsi y gagnait était destiné aux pauvres, aux indigents et aux voyageurs. Les bénéfices de son commerce lui suffisait pour vivre comme il l'entendait.

Il employait son cœur au souvenir d'Allah et procédait ainsi jour après jour, étape après étape, sur le chemin de la vérité et de la réalisation.

Abul-'Abbas al-Mûrsi était connu comme quelqu'un de véridique et de digne de confiance, quelqu'un de décent et d'une totale intégrité dans son commerce. Si les bénéfices de ses affaires étaient de cent mille, il donnait cent mille par charité. Il était un exemple pour les autres commerçants de son temps en termes d'éthique, ainsi que pour les belles manières requises par la religion. Il était également un exemple pour la jeunesse en respectant scrupuleusement les piliers et les droits d'Allah . Il jeûnait plusieurs jours par mois, observait des veillées de prières pendant une partie de la nuit et tenait sa langue loin de la vacuité et des ragots.

En l'an 640 de l'ère islamique (1242) son père se résolu d'entreprendre le pèlerinage à la Maison d'Allah. Aussi l'accompagna-t-il avec son frère, 'Abullah Jalal ad-Din ainsi que leur mère, Sayyida Fatima, fille du Cheikh 'Abd ar-Rahman al-Maliki. Il voyagèrent par mer depuis l'Algérie, jusqu'à atteindre les rivages de la Tunisie lorsqu'une violente tempête s'abattit sur eux. Tous les passagers périrent noyés à l'exception de quelques uns d'entre eux, par la grâce d'Allah . Abul-'Abbas al-Mûrsi et son frère, qui furent sauvés par Allah, le Très-Haut, poursuivirent alors leur route vers la Tunisie où ils décidèrent de prendre résidence.

Abul-'Abbas al-Mûrsi reçu l'initiation des mains de son professeur, le célèbre guide spirituel Abul-Hassan Shâdhili (raa). Abul-'Abbas al-Mûrsi le rencontra en Tunisie en l'an 640 de l'Hégire et auprès de lui, il fut nourri par tout le savoir de son temps portant sur la jurisprudence, l'exégèse coranique, la science du hadith, la logique et la philosophie. Pour lui, les saisons passèrent sur son cheminement spirituel, jusqu'à ce qu'il eut atteint la maîtrise de ces sciences.

L'imam Abul-'Abbas al-Mûrsi a dit : « Quand je suis arrivé en Tunisie, je venais de Murcie, en Andalousie. J'étais alors un jeune homme à cette époque. J'entendis parler du Cheikh Abul-Hassan Shâdhili lorsqu'un homme m'invita à le visiter. Je lui répondit vouloir, au préalable, demander guidance auprès d'Allah [à ce sujet]. Cette nuit-là, je m'endormis et me vis en rêve gravissant une montagne. Lorsque j'en eus atteint le sommet, je vis un homme dans un manteau vert ; il était assis, un homme se tenant à sa droite, un autre à sa gauche. Il me regarda et dit : « Tu as trouvé le pôle du temps ». Quand je me réveillais, à l'heure de la prière de l'aube, le même homme qui m'invitât à visiter le Cheikh vint à moi une fois encore. Aussi, je partis avec lui et entrais en présence du Cheikh, en remarquant la même assemblée que j'avais vu au sommet de la montagne. J'en fus très étonné. Le Cheikh Abul-Hassan Shâdhili dit: « Tu as trouvé le pôle de ton temps. Quel est ton nom ? ». Je l'informais alors de mon nom ainsi que de ma lignée. Il dit alors : « Il y a dix ans déjà que je t'ai élevé jusqu'à moi ». À compter de ce jour, il ne cessa pas d'accompagner le Cheikh Abul-Hassan Shâdhili et voyagea avec lui jusqu'en Égypte.

Abul-Hassan Shâdhili remarqua qu'Abul-'Abbas al-Mûrsi avait un esprit pur ainsi qu'une belle âme avide de se rapprocher de son Seigneur. Il lui fit de nombreux dons et prit soin personnellement de consolider sa spiritualité, car il allait devenir Pôle après lui. Il dit : « Ô Abul-'Abbas, je jure par Allah que tu ne m'as pas accompagné jusqu'à ce que je sois devenu toi et toi devenu moi. Ô Abul-'Abbas, tu as ce que les hommes d'Allah ont, mais les hommes d'Allah ne possèdent pas ce que tu as ».

Parmi les récits qui nous sont parvenus sur les propos du Cheikh Abul-Hassan Shâdhili, de ceux qui se transmettent dans les cercles spirituels, il en est un qui rapporte que « Depuis qu'Abul-'Abbas al-Mûrsi a atteint Allah, il n'a jamais plus été voilé, quand bien même chercherait-il un voile qu'il ne pourrait le trouver. Abul-'Abbas connaît mieux les sentiers des cieux que ceux de la Terre.

Il est attesté qu'Abul-'Abbas al-Mûrsi accompagna le Cheikh Abul-Hassan Shâdhili et devint le guide de la Tariqa après lui. Avant cela, Abul-'Abbas se maria avec l'une des filles du Cheikh Shâdhili, qui donna naissance à ses enfants, au nombre desquels Muhammad et Ahmad. Une de ses filles épousa le Cheikh Yaqut al-Arashi qui était un des élèves de son père dans la connaissance et la spiritualité.

En l'an 624 de l'Hégire (1244), le Cheikh Shâdhili (raa) vit le Prophète Muhammad (qu'Allah lui adresse ses prières et salutations) dans son sommeil, qui lui ordonnait de se rendre en Égypte. Aussitôt, il quitta la Tunisie accompagné d'Abul-'Abbas al-Mûrsi, de son frère et de son serviteur Abu al-'Azayim. Ils prirent la route pour Alexandrie sous la protection du roi al-Salih Najmuddin Ayyub.











Abul-'Abbas al-Mûrsi (raa) raconte : « J'étais avec le Cheikh Abul-Hassan Shâdhili en route pour Alexandrie, depuis la Tunisie, lorsqu'une terrible contrition me saisit. J'en fus affaibli au point de ne plus pouvoir en supporter le fardeau et d'en informer le Cheikh Abul-Hassan. Quand il sentit ma présence, il dit : « Ô Ahmad ? ». Je répondis « Oui, mon maître ». Il me dit : « Allah créa Adam de Ses propres mains, fit se prosterner les anges devant lui, fit du Paradis sa demeure puis l'envoya sur la Terre. Avant même qu'il ne soit créé, Allah dit « Je placerai un Khalife sur la Terre », Il n'a pas dit « dans le Ciel » non plus que « dans le Paradis ». La descente d'Adam (sur lui la Paix) sur Terre était une descente honorifique, non pas déshonorante. Il avait l'habitude d'adorer Allah en vertu d'une connaissance empirique. Quand il fut envoyé sur Terre, il se mit à adorer Allah par responsabilité. C'est seulement après être passé par ces deux formes successives d'adoration qu'un être peut devenir Khalife. En toi réside une part d'Adam. Tes débuts se sont accomplis dans le royaume des âmes, au Paradis, par empirisme. Alors, tu es descendu dans le monde de l'âme et de l'adoration par la responsabilité. C'est seulement ainsi, après être passé par ces étapes qu'il t'est possible de devenir un Khalife ».

Abul-'Abbas al-Mûrsi (raa) dit : « Dès que le Cheikh eut fini cette explication, Allah dilatât ma poitrine et aussitôt, ce sentiment de contrition et de mal-être intérieurs disparurent ».

Abul-'Abbas al-Mûrsi raconte : « Quand nous arrivâmes à Alexandrie, nous nous rendîmes à 'Amud al-Sawari. Nous étions dans le besoin et avions extrêmement faim. Un homme de foi d'Alexandrie vint à nous avec de la nourriture. Lorsque le Cheikh en fût informé, il nous dit : « Que personne ne mange de cette nourriture ! ». Nous avons alors passé la nuit comme nous étions arrivés, affamés. Le matin arriva et le Cheikh nous dirigea lors de la prière de l'aube. Puis, il nous ordonna d'apporter la nourriture. Nous la lui avons présenté et en avons mangé. Le Cheikh dit alors : « J'ai entendu une voix, dans mon rêve, qui disait que l'objet le plus recevable est celui auquel vous ne vous attendez pas, et que vous n'aviez jamais demandé ni à un homme, ni à une femme ».

« Nous nous sommes établis dans la province de Kowm al-Dakat. Pour les enseignements de la connaissance et les assemblées spirituelles, Abul-Hassan Shâdhili choisit la célèbre mosquée nommée Masjid al-A'tarin, également connue comme la Mosquée de l'Ouest. Ces enseignements et assemblées étaient attendues aussi bien par un grand nombre des gens de l'élite d'Alexandrie, que par les gens ordinaires ».

Ce n'était pas un hasard si Alexandrie était, à cette époque, une ville renommée et un grand lieu d'apprentissage pour de nombreuses et importantes sciences. Ceci était notable de par le fait que d'illustres personnages y étaient bien avant qu'Abul-Hassan Shâdhili et Abul-'Abbas al-Mûrsi y aient pris résidence. Parmi les personnes présentes aux leçons du Cheikh Shâdhili, on trouvait al-Tartawshi, Ibn al-Khattab al-Razi et Hafiz Abu Tahir al-Salafi. Salah al-Din al-Ayubi était toujours désireux de passer le mois de Ramadan à Alexandrie afin de pouvoir écouter les Traditions prophétiques par al-Hafiz Abu Tahir al-Salafi.









                                                                 Intérieur de la mosquée

Abul-'Abbas al-Mûrsi poursuivit ses efforts auprès du Cheikh Abul-Hassan Shâdhili, dans la consolidation de son savoir spirituel, et continua sur la Voie. Il ne le quitta pas un seul instant, jusqu'à ce que le Cheikh Shâdhili mourût. Abul-'Abbas al-Mûrsi passa 43 années de sa vie à Alexandrie, à y répandre la connaissance, à y purifier les âmes, à y renforcer ses élèves et à en faire des exemples en matière de piété et de dévotion. Beaucoup reçurent la Connaissance des mains d'Abul-'Abbas al-Mûrsi, des disciples comme des compagnons, tels que l'imam al-Busiri, Ibn 'Ata 'Illah Al-sakandari, Yaqut al-Arshi, Ibn al-Laban, 'Izz al-Din ibn 'Abd al-Am, Ibn Abu Shama et tant d'autres.

Il mourût (raa) le 23 du mois de Dhul Qa'ida en l'an 686 de l'ère islamique (1287) et fut enterré avec ses fils Muhammad et Ahmad, dans la province de « Ras al-Tin ».

Abul-'Abbas al-Mûrsi devint le guide de la Tariqa Shadhiliya après le décès d'Abul-Hassan Shâdhili en l'an 656 de l'Hégire (1258). À cette époque, il était âgé de 40 ans et s'est efforcé à tenir haut la bannière du savoir et de la spiritualité jusqu'à sa mort. Après avoir passé 40 années à Alexandrie, l'éclat de la Voie Shadhilite s'étendit au-delà de l'horizon.

Les états de l'homme selon Abul-'Abbas al-Mûrsi.

L'imam Abul-'Abbas al-Mûrsi (raa) divise les états de l'homme selon quatre catégories qui sont : l'Obéissance, la Désobéissance, la Louange et l'Acceptation.
En état d'Obéissance, l'on doit être reconnaissant envers Allah
Pour les Bénédictions dont Il nous fait la grâce.
C'est Allah Lui-même
Qui nous y conduit et Qui nous y installe.
En état de Désobéissance, il nous faut rechercher Son Pardon.
En état de Louange, il nous faut montrer notre gratitude en rejoignant Allah avec le cœur.
En état d'Acceptation, nous devons être satisfait du décret d'Allah et nous montrer patient.



La plus grande invocation

L'imam Abul-'Abbas al-Mûrsi (raa) avait coutume de recommander à autrui d'invoquer Allah. Il conseillait à ses compagnons de faire du Nom « Allah » leur invocation car c'est le Nom du Maître des Univers. Par Lui procèdent l'élévation et le profit. L'élévation est Connaissance et le profit est Lumière. La lumière n'est pas un but en elle-même, ce n'est qu'une aide et un dévoilement. Tous les Noms d'Allah peuvent être attribués à la création à l'exception du Nom « Allah » Lui-même. Par exemple, quand on L'appelle au travers de l'expression « Ô Patient » (Halim), on s'adresse à Lui au travers du Nom « Le Patient ». Il est Lui « Le Patient », Son serviteur étant alors « patient ». Si on l'appelle « Ô Noble », on s'adresse à Lui par le Nom « Le Noble ». Il est Lui « Le Noble », son serviteur étant, quant à lui, « noble ». Il en va de même pour tous les autres Noms d'Allah, à l'exception du Nom « Allah » Lui-même, qui ne peut être attribué qu'à Lui Seul. Car, tel quel, il qualifie le divin et ne peut donc pas être attribué à la création.

Extraits du discours de notre noble maître Abul-'Abbas al-Mûrsi.

Les Prophètes (sur eux la Paix) sont des présents pour leur nation ; notre Prophète (qu'Allah lui adresse ses prières et salutations) est un don. La différence entre un présent et un don réside dans le fait qu'un présent est destiné au nécessiteux alors qu'un don est destiné à des amoureux. Le Messager d'Allah (qu'Allah lui adresse ses prières et salutations) a dit : « Je suis un don de miséricorde ».

Il (raa) commenta la parole prophétique de notre maître le Messager d'Allah (qu'Allah lui adresse ses prières et salutations), « Sans aucune forfanterie, je suis le maître des enfants d'Adam », en ces termes : Il ne se vantait pas de sa seigneurie vis-à-vis des humains, mais il se vantait de son état de servitude à Allah, sobhanahu wa tâala.

L'existence toute entière est servitude et nous sommes tous serviteurs en Sa présence.

Je jure par Allah que je ne m'asseyais pas avec les gens car ils pillaient ce que j'avais. Quelqu'un me dit un jour, « si tu ne t'assieds pas avec eux, afin qu'ils puissent prendre de toi, alors nous ne nous accorderons pas à ton sujet ».

Durant 40 ans, le Messager d'Allah (qu'Allah lui adresse ses prières et salutations) n'a jamais été voilé à moi ne serait-ce que le temps d'un clignement d'œil. Si le messager de Dieu (qu'Allah lui adresse ses prières et salutations) m'avait été voilé, je ne me considérerai plus comme faisant partie de la Nation musulmane.

Le Discernement est de deux types : mineur et majeur. Le Discernement mineur concerne la banalisation pour ce groupe, du fait qu'une simple âme saisisse que la Terre puisse être pliée pour eux depuis l'Est jusqu'à l'Ouest. Le Discernement majeur concerne celui des particularités de l'âme.


Traduit de l'Arabe par l'excellente équipe du site Soufisme-fr.com

Chaîne de transmission (Silsilah) des cheikhs de la Shadhiliya








La Chaîne dorée shadhilie

La transmission spirituelle ou tradition est souvent représentée par un arbre dont les racines puisent dans  la révélation et  dont les branchettes , les feuilles  et les fleurs  correspondent  à  des cheminements ou voies spirituelles  (turuq)  fondées par un Maître  éminent  .
Les branches de l’arbre représentent les  chaînes  de transmission spirituelles et ont tantôt une interprétation historique tantôt  symbolique . A la racine de cet arbre, nous y lisons que le Nom d’ Allâh . Au-dessus sur le tronc, se lit le nom de l’Archange Gabriel (Jibril) qui est dans la doctrine islamique, l’instrument de la révélation, et au-dessus, le nom du Prophète Mohamed (saws). A partir de là, le tronc se divise en deux branches qui portent respectivement les noms de deux des quatre premiers califes (Abu Bakr et Alî) qui sont les deux premiers médiateurs et maîtres de la tradition soufie .

Ces deux branches se divisent alors en une multitude de branchettes des soufis précurseurs comme Al-Hassan al-Basrî     Habib al-'Ajami et  Sari as-Saqati . Se succèdent ensuite  les noms des plus grands Maîtres  des premiers siècles islamiques comme Junayd, le grand initiateur  de la métaphysique soufie . Dhu'n-Nun al-Misri l’adorateur de Dieu et Dhu'n-Nun al-Misri,l’absorbé en Dieu. Tous ces maitres ont vécu  en Orient, même si la mystique soufie est apparue comme la dimension intérieure de l’Islam, dans cette civilisation musulmane  prédominante. A partir du 4e siècle de l’Hégire (9e siècle ), l’apogée mystique se fît alors jour à l’ouest, d’abord  en Espagne et aussitôt après au Maghreb, où le nom d’Abu Madyan se positionne à l’origine de ramifications importantes. Ce nom apparaît à la cîme de l’arbre dans le voisinage d’autres personnalités à partir desquelles découleront désormais  les ordres spirituels ultérieurs .

 


Traduit de l'anglais  de la source suivante Shadhiliyyah Darqawiyyah Path Notes and Text Based on forum http://sufi.forumup.co.uk/ 29th June2006  par le site al-Simsimah

 
Voir aussi sur le site du Porteur de Savoir :
Ijâzah de la Tarîqah Mohammediyyah Châdhiliyyah – Cheikh Zaki ed-Dîn Ibrahim 


Maîtres de l’Ijâzah de la Tarîqah Mohammediyyah Châdhiliyyah – M.A.S.


 









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Le calife Abû Bakr; le Véridique ( al-Siddiq ) (+/-573-634)

Abū al-H̩asan ʿAlī ibn Abī T̩ālib  (+/-600-661)

L'imâm Al-Hasan Al-Basrî (642-728)

Abu Bakr ash-Shibli (247/861 - 334/946)

Sidi Abû Madyan al-Ghawth (1126-1197)
Abdu-Salam Ben Mashîsh (1163-1228)
Cheikh Abû-l-Hassan Châdhilî (1196-1258)
Cheikh Abul-'Abbas al-Mûrsi (1219-1287)
Ibn Atai Allah al Iskandari (1259-1309)
Sidi Ahmed Zarrouqq (1442-1493)
Cheikh Muhammad Ben al-Habîb al-Bûzîdî (1824-1909)

Cheikh Al Alawi (1869-1934)
Cheikh al-Madani (1888-1959)




 


A suivre incha'Allâh



                                                     







Silsilah : chaîne de transmission.
Est constituée par l’ensemble de ceux qui, ayant chacun reçu la barakah d'un Cheikh autorisé, la transmettent de manière ininterrompue, jusqu'au récipiendaire (murîd) ; chaque Cheikh constituant ainsi un maillon de la chaîne initiatique.

lundi 28 mai 2012

La sourate des gens (an-nâs) . Par l' Émir Abd El-Kader




                                                    Zaouia du cheikh Abd-el-kader, Kairouan, Tunisie


[Émir Abd El-Kader, Kitâb al-Mawâqif, Mawqif 175, traduit et annoté par A. Penot dans Le Livre des Haltes, éd. Dervy, p.245-250]



Dis : Je demande la protection du Seigneur des gens, du Roi des gens, du Dieu des gens, contre les méfaits du tentateur qui se dérobe ; celui qui insuffle des suggestions dans le poitrine des gens, qu’ils soient d’entre les djinns ou les hommes (1).

Le Seigneur est le Nom donné au degré qui synthétise à la fois les Noms relatifs à Dieu et aux créatures, et ceux relatifs aux créatures exclusivement. Ainsi, le Savant, l’Oyant, le Voyant (2) sont des Noms divins en relation avec Dieu et Ses créatures, puisque l’objet de la Science, de la Vision et de l’Ouïe est aussi bien l’Essence divine que les créatures. Les Noms qui sont en rapport exclusif avec les créatures sont ceux des Actes, tels que : le Créateur, le Formateur (3), et d’autres qui n’ont pas [l’Être de] Dieu – exalté soit-Il – pour « objet ». Par ailleurs, Seigneur et vassal (al-rabb wa al-marbûb) (4) sont deux entités étroitement dépendantes et liées l’une à l’autre dans une relation réciproque, puisqu’on ne peut pas séparer celle-ci de celle-là : il n’y a en effet pas de Seigneur sans sujet, pas plus qu’il n’y a de sujet sans Seigneur (Rabbun bilâ marbûb lâ yakûn wa marbûb bilâ Rabb lâ yûjad).

Le terme an-nâs (5), désigne d’ordinaire aussi bien les djinns que les hommes, ceux d’entre eux qui sont parfaits comme ceux qui ne le sont pas. Mais dans ce premier verset, il désigne uniquement les parfaits d’entre les hommes, si bien que ce terme général est employé ici pour désigner une catégorie particulière, comme dans cet autre verset : Ceux auxquels les gens ont dit, où le mot gens fait allusion à quelques individus bien définis (6). Dans le verset qui nous occupe, les gens (7) sont donc les « Paroles parfaites de Dieu » (kalimât Allâh at-tammat) par lesquelles Dieu réalise la Vérité et dissipe l’erreur, selon ce qui est dit dans le verset : Dieu voulait faire triompher la Vérité par Ses Paroles et exterminer les mécréants afin de faire éclater la Vérité et dissiper l’erreur (8). Le Prophète lui-même – sur lui la grâce et la paix – demandait fréquemment la protection [de Dieu] au moyen de ces « Paroles », ainsi qu’en attestent ces hadîths : « Je demande la protection des Paroles parfaites de Dieu contre tout démon et contre tout démon et contre la vermine [et contre tout mauvais œil]» (9) ; et aussi : « « Je demande la protection des Paroles parfaites de Dieu » Notons enfin le surcroît de considération que Dieu accorde à ces êtres parfaits en se désignant comme leur Seigneur, bien qu’Il soit aussi Celui de tous les êtres.

Le Roi des gens [Maliki-n-nâs] désigne le degré qui vient directement en dessous du précédent, celui des Actes exclusivement. Car telle est la différence entre le degré de la seigneurie et celui de la Royauté : le premier synthétise [comme nous l’avons vu] les Noms communs à Dieu et aux créatures et ainsi que ceux qui sont relatifs aux seules créatures ; le second se restreint aux Noms relatifs aux seules créatures, tels que le Puissant, le Volontaire, le Donateur, Celui Qui retient, Celui qui nuit, Celui qui dispense Ses largesses, etc. C’est en effet à l’encontre des Possibles et non pas contre Lui-même, que Dieu exerce Sa Puissance, et tu peux procéder au même raisonnement avec l’ensemble des Noms et des Actes. Un Roi ne saurait être tel en dehors du royaume où Il exerce Sa fonction. Le degré de la Royauté (al-Mulkiyya) est donc inférieur à celui de la Seigneurie (al-Rubûbiyya), de même que celui-ci est inférieur [au degré] de la Miséricorde (al-Rahmâniyya). Le degré de la Miséricorde est sous celui de l’Unicité (Wahdâniyya) qui est lui-même en-dessous de l’Unité (Ahadiyya).

Quant aux gens dont il est question dans le second verset, il faut encore y voir un terme général désignant une catégorie particulière, puisque ce sont les djinns dont il est question ici. S’ils sont expressément assujettis au Roi (Maliki al-nâs), c’est parce qu’ils ont la capacité de se transformer et d’évoluer à travers les formes les plus diverses en accomplissant des œuvres extraordinaire, et également d’avoir une action sur les corps grossiers. Or, certains d’entre eux sont des démons et des rebelles qui s’imaginent sans doute pouvoir échapper aux Décisions divines et la Puissance seigneuriale. Aussi Dieu – exalté soit-Il – leur fait-Il savoir qu’en dépit de ces facultés [qui leur sont propres], ils appartiennent à ce royaume qui est le champ d’action du Roi de Vérité et qu’ils sont dans Sa Dextre, [livrés à] Sa contrainte.

Quant au Dieu des gens [évoqué dans le troisième verset], Il est le Nom qui synthétise l’ensemble des Noms divins, qu’il s’agisse de ceux de l’Essence [dhât], des Attributs [sifât] ou des Actes [af’âl], de Beauté [jamâl], de Majesté [jalâl] ou de Perfection [kamâl]. Par rapport à tous les autres, ce Nom occupe donc une place éminente dans la mesure où c’est Lui qui accorde à chacun, Dieu ou créature, ce qui lui revient. C’est lui qui circonscrit et engloble tous les supports de manifestation, divins ou créaturels, et qui réunit tous les contraires. En ce degré, le Primordial apparaît sous une forme créée, et le créé sous une forme primordiale ainsi que l’attestent ces deux traditions prophétiques : « J’ai vu mon Seigneur sous la forme d’un jeune homme imberbe à la chevelure abondante ; Son visage transpirait d’or et Il portait des sandales aux pieds. » Et aussi : « Dieu a créé Adam selon Sa forme », ou suivant une autre chaîne de transmission : « selon la forme du Miséricordieux. »

Ici, le mot gens désigne aussi bien les hommes que les djinns, si bien qu’il faut prendre le mot nâs dans toutes ses acceptions : on passe donc ici du sens particulier au sens général. Considère comment Dieu, en mentionnant un degré particulier de la divinité, le met chaque fois en rapport avec la catégorie de gens qui lui correspond ; et considère ensuite comment, après avoir mentionné le degré qui synthétise les deux précédents, Il le met en rapport avec les gens, considérés cette fois dans toute leur généralité. En vérité, le Coran est trop sublime pour contenir des répétitions ou des paroles superflues !

Contre les méfaits du tentateur (al-waswâs) qui se dérobe : l’article mal placé devant le mot waswâs lui donne un sens générique [c’est-à-dire qu’il fait englober toute espèce de tentation], car celle-ci peut-être le fait du diable, de l’âme passionnelle, du doute, de l’opinion, de la suggestion, de la passion, etc. En effet, le Coran ne nous enseigne-t-il pas : Il en est beaucoup qui égarent [autrui] de leurs passions (10) ; et aussi : Certes, l’âme incite au mal (11) ; et encore : Ils ne font que suivre de [vaines] conjectures (12) et autres versets semblables ? Dieu – exalté soit-Il – nous ordonne donc de demander Sa Protection contre la tentation sous toutes ses formes. Lorsque la lumière de la Vérité apparait, ainsi que la science véridique, ces tentations se dérobent et finissent par disparaitre sans plus laisser de traces. Considère [par exemple] comment les suggestions insidieuses finissent par s’évanouir d’elles-mêmes, après s’être montré particulièrement virulentes au début.

Maintenant, si Dieu nous ordonne de Lui demander protection contre [toute forme de] tentation, il ne faut pas pour autant faire du « tentateur » une sorte de contrepartie de Dieu qui serait en quelque sorte Son contraire : cela reviendrait à Lui donner un associé au sein de Son Royaume. Que non ! En réalité, Dieu nous commande de Lui demander protection contre Lui-même car, à la vérité, Il n’est que Lui Qui puisse causer du tort ou être utile. Aussi demandons-nous à Ses Noms de Beauté de nous préserver de [la Rigueur] de Ses Noms de Majesté, en nous conformant à l’exemple du seigneur parfait, la source (13) de tout enseignement – sur lui la grâce et la paix – : « Je te demande de me préserver de Toi-même. » (14)

Le tentateur n’est autre que la manifestation du Nom divin « Celui qui égare » (al-Mudill) (15) ; et Dieu ne nous a-t-Il pas [dans de nombreux versets] interdit de craindre un autre que Lui ? Puisque toutes ces tentations ne sont que des causes secondes que Dieu l’Omniscient, le Sage a suscitées pour occasionner le mal et l’égarement, et que, par ailleurs, les Lois révélées prennent en considération les causes secondes (tout en enseignant que Dieu est l’unique cause efficiente), nous sommes de ce fait mis en garde contre ces causes, afin de ne point nous laisser séduire, ni de nous abandonner à elles.

Voilà pourquoi certains connaissants commentant le verset : Certes, le diable est pour vous un ennemi ; considérez-le comme tel ! (16) en ont laissé cette interprétation : « Certains n’ont retenu de ce vers que l’hostilité qu’ils devaient témoigner au diable. Ils se sont donc disposés à le combattre en l’observant et en se méfiant de lui, en coupant cours à ses attaques et en déjouant ses ruses. Mais, ce faisant, ils se sont privés d’un grand bien. D’autres ont compris que si le diable était bien leur ennemi, Dieu quant à Lui était pour eux un Ami. Aussi se sont-ils préoccupés uniquement de Lui, s’en remettant à Lui et se montrant vigilants à Son égard. Dès lors, Dieu les a préservés des méfaits de leur ennemi et ils en ont retiré un bien considérable. La première catégorie est celle des ascètes et des dévots ; la seconde, celle des connaissants par Dieu » (17).

Qui insuffle ses suggestions dans la poitrine des gens : car c’est bien ainsi que se produit la tentation sous toutes ses formes.

Qu’il soit d’entre les djinns ou les hommes : ce dernier verset confirme que ceux qui font l’objet de la tentation sont aussi bien les hommes que les djinns ; [il nous apprend aussi que] ces derniers sont, au même titre que les hommes, la proie du doute, des suggestions, des illusions et des vaines conjectures. Aussi al-Hârith (18), le premier être à s’être égaré, ne l’a-t-il été que par son âme et par ses propres illusions car, à supposer que son égarement eût été l’œuvre d’un autre démon, par qui donc celui-ci aurait-il été égaré ?



(1) Cor. (114).
(2) Al-‘Âlim, al-Samî’, al-Baçîr.
(3)Al-Khâliq, al-Muçawwir.
(4) Le nom al-Rabb qui est utilisé plus d’un millier de fois dans le Coran, ne l’est jamais sous la forme absolue al-Rabb, le Seigneur, mais presque toujours en annexion avec un substantif ou à un pronom de rappel.
(5) Al-Nâs, « les hommes, les gens », a donné son nom à la sourate 114.
(6) Cor. (3, 173) [lladhîna qâla lahumu an-nâsu]. Il s’agissait d’émissaires chargés par Abû Sufyân, peu après la bataille de Uhud, de faire croire aux musulmans que les Mecquois avaient décidé d’attaquer Médine.
(7) Sur le rapport entre les lettres qui composent le Livre et le monde créé, cf. R. Guénon, Symboles fondamentaux de la science sacrée, Gallimard ed. 1962, chapitre 6, « La science des lettres », pp. 71-72.
(8) Cor. (8, 7-8) [yurîdu-Llâhu an yuhiqqa al-Haqqa bi-kalimâti-Hi wa yaqta’a dâbira-l-kâfirîn, li-yuhiqqa al-Haqqa wa yubtila al-bâtila wa law kariha-l-mujrimûn].
(9) [a’ûdhu bi-kalimâti-Llâhi at-tammat min kulli shaytânin wa hâmmah wa min kulli ‘aynin lâmmah, Et le prophète – sur lui la grâce et la paix – ajoutait concernant cette formule : « C’est ainsi qu’Ibrâhîm protégeait ses enfants Ismâ’îl et Ishâq ». (dans un hadith rapporté par l’imam al-Bukhârî). Si on n’utilise pas cette formule pour soi-même, remplacer le premier mot par u’îdhuka (masculin) ou u’îdhuki (féminin) selon les cas].

(10) Cor. (6, 119) [inna kathîran la-yudillûna bi-ahwâ’ihim].
(11) Cor. (12, 53) [inna an-nafsa la-ammâratun bi-s-sû’].
(12) Cor. (53, 28) [yattabi’ûna illâ adh-dhanna].
(13) Litt. : L’enseignant de tout bien, mu’allim kulli khayr.
(14) [a’ûdhu bi-Ka min-Ka].
(15) Al-Mudill, « Celui qui égare », est un des Noms divins qui n’est pas mentionné dans le Coran, mais que l’on retrouve dans sa forme verbale yudillu, « Il égare », dans de nombreux versets. La doctrine islamique n’envisage pas un seul instant, en effet, qu’il puisse se passer quoique ce soit dans l’univers qui échappe à la Volonté divine ; aussi guidance et égarement, bien et mal viennent-ils pareillement de Dieu, quoi que, par politesse (adab), il convienne de ne Lui attribuer que le bien pour « sauver » les apparences. Dans la perspective du taçawwuf, tout ce qui jouit de l’existence (wujûd) est un bien, quels que soient les aspects sous lesquels il se présente, car il ne fait que dissimuler l’Être réel sous ses facettes les plus diverses ; en outre, le bien ne réside réellement que dans la conformité de chaque être à sa nature propre et de la même façon qu’il ne sied pas à un cheval d’être un mulet, il ne convient pas, en vertu de leur nature respective, que les gens de biens connaissent le traitement des réprouvés et vice versa.
(16) Cor. (35, 6) [inna-sh-shaytâna lakum ‘aduwwun fa-t-takhidhûhu ‘aduwwâ].
(17) Ce commentaire est celui d’Abû al-‘Abbâs al-Mursî, le successeur d’Abû al-Hasan al-Shâdhilî à la tête de la Shâdhiliyya. Il a été repris par ‘Atâ’ Allâh al-Sakandarî dans son ouvrage intitulé al-Tanwîr fî isqât al-Tadbîr dans lequel il étudie dans le détail la notion de confiance en Dieu (tawakkul) et que nous avons traduit aux éditions Alif sous le titre De l’abandon de la volonté propre (Lyon, 1997).
(18) Selon certaines traditions remontant à Ibn al-‘Abbâs, al-Harîth était le nom que portait Iblîs avant sa révolte contre son Seigneur.


[Émir Abd El-Kader, Kitâb al-Mawâqif, Mawqif 175, traduit et annoté par A. Penot dans Le Livre des Haltes, éd. Dervy, p.245-250]

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L’ultime étape des connaissants: La Réalité Muhammadienne.



De l' Émir Abd El-Kader










[Émir Abd El-Kader, Kitâb al-Mawâqif, Mawqif 57, traduit par A. Penot dans Le Livre des Haltes, éd. Dervy, p.275-277]



Au cours d’une de mes visions, je me vis assis sous une coupole blanche en train de m’entretenir, avec des personnages que je ne voyais pas, de cette invocation du Pôle ‘Abd al-Salâm ibn Bashîsh (1) – que Dieu soit satisfait de lui – : « [Mon Dieu], fais du Voile Suprême la vie de mon esprit, et fais de Son Esprit le secret ma réalité intime. »

 

Je leur dis alors : « Par cette invocation, le shaykh a demandé à Dieu que le Voile Suprême, c’est-à-dire la Réalité Muhammadienne et la Première Détermination (laquelle a reçu une multitude de noms selon les aspects sous lesquels on l’envisage) soit la vie de son esprit. Il ne demande donc pas [comme on pourrait le croire] de lui accorder la vie, mais de faire de lui quelqu’un de vivant selon la perfection. Car, si l’esprit implique nécessairement la vie, la vie quant à elle n’est pas toujours le corollaire de l’esprit : tout esprit est vivant, mais toute vie n’est pas nécessairement spirituelle ! Le désir ardent du shaykh, ce qu’il demande à Dieu, est que Celui-ci fasse de lui une manifestation parfaite et une épiphanie achevée de l’Esprit universel, ce Voile Suprême qu’est la Réalité Muhammadienne. Car tout esprit [particularisé] procède de cet Esprit universel, mais de manière inachevée, à l’exception de ceux d’entre les héritiers muhammadiens qui ont atteint le degré de la perfection et en lesquels Il est venu Se graver tel un cachet dans la cire. »

 

   L’un des membres de l’assemblée invisible me demanda alors :

« La cire ainsi imprimée s’identifie-t-elle donc au cachet ?

– Certes pas ! répondis-je. Le cachet est une réalité principielle, tandis que la cire n’est qu’une réalité accessoire (litt : far’, « branche, ramification ») et métaphorique. Ainsi disons-nous de Dieu – exalté soit-Il – qu’Il est vivant comme nous le disons de Zayd ? Nous disons également que Dieu est savant comme nous le disons de Zayd : mais quelle commune mesure y a-t-il entre la science divine et celle de Zayd ? Un attribut commun à deux entités de nature différente ne nous autorise pas à établir de comparaison entre deux entités de nature différente ne nous autorise pas à établir des comparaisons entre ces deux entités, fût-ce sous le rapport de cet attribut. Si un rayon de soleil se reflète à travers une lucarne sur un mur, tu pourras dire que le Soleil se reflète sur le mur ; et pourtant, qu’y-a-t-il de commun entre le soleil et le reflet d’un de ses rayons ?

 

La suite de l’invocation : « fais de Son Esprit le secret ma réalité intime », fais de l’Esprit du Voile Suprême [le secret de ma réalité intime]. L’esprit étant ce qui donne à la chose qu’il anime sa réalité, l’Esprit du Voile Suprême est le plus haut degré de connaissance que puissent atteindre les connaissants ; il est le terme de la Voie pour les pèlerins, si ce n’est que [parvenus à ce terme] ils savent qu’au-delà de ce qu’ils en ont perçu, il demeure quelque chose de la divine Réalité, quelque chose d’intimement lié à Son Essence qui est ineffable et dont on ne peut rien appréhender si ce n’est qu’Elle est. Et cette perception même de notre impuissance à Le connaître est une forme de connaissance, dans la mesure où celle-ci consiste à connaître l’ « objet » tel qu’il est en lui-même. »

 

A ce moment, l’un des membres de l’assistance m’apparut et me baisa la main.

 

Ajoutons à ceci que bon nombre d’ascètes et de spirituels, parvenus à la station de l’Esprit universel sans suivre la Voie tracée par les prophètes, se sont persuadés qu’il s’agissait de la Réalité ultime, et qu’il n’y avait pas d’autre objectif à atteindre au-delà. Ainsi ont-ils mécru, et sont-ils revenus par la Voie même qu’ils avaient empruntée. C’est cette erreur qu’ont résumée certains Maîtres de la Voie en ces termes : « Qui rebrousse chemin, ne le fait qu’à partir de la Voie. » S’ils étaient parvenus au terme de celle-ci en effet, ils ne seraient pas retournés. Parvenus à l’Essence – qui est le Non-manifesté absolu – [ils ne seraient pas revenus], puisqu’au-delà de Dieu il n’y a pas d’objectif à atteindre. En revanche, la station de la première Détermination – la Réalité Muhammadienne, le Voile Suprême – laisse au-delà d’elle un objectif qui n’est autre qu’Allâh, considéré comme le Nom propre et originel de l’Essence dans Son occultation la plus totale.

 

[Mais comme Tel], ce degré est absolument indescriptible.

(1) Souvent orthographié ‘Abd al-Salâm ibn Mashîsh. Descendant du Prophète,mort assassiné en 625 H/1228, ce saint, qui passe pour avoir été le Pôle de son époque, est célébré pour son eulogie en l’honneur de l’Envoyé de Dieu, al-Salât al-Kâmila al-Wâsifa Tasliya ibn Mashîsh, très populaire en Afrique du Nord et répandue dans tout l’Orient. Ce sont quelques lignes de cette Mashîshiyya que l’Emir commente ici.

 






 
[Émir Abd El-Kader, Kitâb al-Mawâqif, Mawqif 57, traduit par A. Penot dans Le Livre des Haltes, éd. Dervy, p.275-277]




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Comptes rendus du livre : Le Dogme et la Loi de l’Islam : Histoire du développement dogmatique et juridique de la religion musulmane de I. Goldziher









Par René Guénon

Publiés dans la Revue de Philosophie 1921
 I. Goldziher, professeur à l’Université de Budapest – Le Dogme et la Loi de l’Islam : Histoire du développement dogmatique et juridique de la religion musulmane
Traduction de F. Arin (Un vol. in-8° de 315 pages. P. Geuthner, Paris, 1920). 
Cet ouvrage offre les qualités et les défauts qui sont communs à presque tous les travaux germaniques du même genre : il est fort consciencieusement fait au point de vue historique et documentaire, mais il ne faudrait pas y chercher une compréhension bien profonde des idées et des doctrines. 


Du reste, d’une façon tout à fait générale, ce qu’on est convenu d’appeler aujourd’hui "science des religions" repose essentiellement sur deux postulats que nous ne pouvons, pour notre part, regarder que comme de simples préjugés. Le premier, que l’on pourrait nommer le postulat "rationaliste", consiste à traiter toute religion comme un fait purement humain, comme un "phénomène" d’ordre psychologique ou sociologique ; l’importance accordée respectivement aux éléments individuels et aux facteurs sociaux varie d’ailleurs grandement suivant les écoles.


Le second, qui s’affirme ici dès le sous-titre du livre, est le postulat "évolutionniste" : le « développement » dont il s’agit, en effet, n’est pas simplement le développement logique de tout ce que la doctrine impliquait en germe dès l’origine, mais une suite de changements radicaux provoqués par des influences extérieures, et pouvant aller jusqu’à des contradictions. On pose en principe que les dogmes ont "évolué", et c’est là une affirmation qui doit être admise sans discussion : c’est une sorte de dogme négatif destiné à renverser tous les dogmes positifs pour leur substituer la seule croyance au "progrès", cette grande illusion du monde moderne.


Le livre de M. Goldziher comprend six chapitres, sur chacun desquels nous allons présenter quelques observations.

I. Mohammed et l’Islam. – On connaît la thèse, chère à certains psychologues, et surtout aux médecins qui se mêlent de psychologie, de la "pathologie" des mystiques, des prophètes et des fondateurs de religions ; nous nous souvenons d’une application particulièrement répugnante qui en fut faite au Judaïsme et au Christianisme1. Il y a ici quelque chose de la même tendance, bien que l’auteur y insiste moins que d’autres ne l’ont fait ; en tout cas, c’est l’esprit "rationaliste" qui domine dans ce chapitre.


On y rencontre même fréquemment des phrases comme celle-ci : « Mohammed s’est fait révéler telle ou telle chose » ; cela est extrêmement déplaisant. L’"évolutionnisme" apparaît dans la distinction, on pourrait même dire l’opposition, que l’on veut établir entre la période de la Mekke et celle de Médine : de l’une à l’autre, il y aurait eu un changement, dû aux circonstances extérieures, dans le caractère prophétique de Mohammed ; nous ne croyons pas que ceux qui examinent les textes qorâniques sans idée préconçue puissent y trouver rien de semblable. D’autre part, la doctrine enseignée par Mohammed n’est pas du tout un « éclectisme » ; la vérité est qu’il s’est toujours présenté comme un continuateur de la tradition judéo-chrétienne, en se défendant expressément de vouloir instituer une religion nouvelle et même d’innover quoi que ce soit en fait de dogmes et de lois (et c’est pourquoi le mot « mahométan » est absolument rejeté par ses disciples).


Ajoutons encore que le sens du mot Islam, qui est « soumission à la Volonté divine », n’est pas interprété d’une façon parfaitement correcte, non plus que la conception de l’"universalité" religieuse chez Mohammed ; ces deux questions se tiennent d’ailleurs d’assez près.


II. Développement de la loi. – Il faut louer l’auteur d’affirmer l’existence, trop souvent méconnue par les Européens, d’un certain « esprit de tolérance » dans l’Islam, et cela dès ses origines, et aussi de reconnaître que les différents « rites » musulmans ne constituent nullement des « sectes ». Par contre, bien que le côté juridique d’une doctrine soit assurément celui qui se prête le plus à un développement nécessité par l’adaptation aux circonstances (mais à la condition que ce développement, tant qu’il reste dans l’orthodoxie, n’entraîne aucun changement véritable, qu’il ne fasse que rendre explicites certaines conséquences implicitement contenues dans la doctrine), nous ne pouvons admettre la prépondérance attribuée aux considérations sociales et politiques, qui sont supposées avoir réagi sur le point de vue proprement religieux lui-même. Il y a là une sorte de renversement des rapports, qui s’explique par ce fait que les Occidentaux modernes se sont habitués, pour la plupart, à regarder la religion comme un simple élément de la vie sociale parmi beaucoup d’autres ; pour les Musulmans, au contraire, c’est l’ordre social tout entier qui dépend de la religion, qui s’y intègre en quelque sorte, et l’analogue se rencontre d’ailleurs dans toutes les civilisations qui, comme les civilisations orientales en général, ont une base essentiellement traditionnelle (que la tradition dont il s’agit soit religieuse ou qu’elle soit d’une autre nature). Sur des points plus spéciaux, il y a un parti pris manifeste de traiter d’« inventions postérieures » les hadîth, c’est-à-dire les paroles du Prophète conservées par la tradition ; cela a pu se produire dans des cas particuliers, reconnus du reste par la théologie musulmane, mais il ne faudrait pas généraliser. Enfin, il est vraiment trop commode de qualifier dédaigneusement de « superstition populaire » tout ce qui peut être gênant pour le "rationalisme".

III. Développement dogmatique. – Ce chapitre débute par un essai d’opposition entre ce qu’on pourrait appeler le "prophétisme" et le "théologisme" : les théologiens, en voulant interpréter les révélations des prophètes, y introduiraient, suivant les
besoins, des choses auxquelles ceux-ci n’avaient jamais songé, et c’est ainsi que l’orthodoxie arriverait à se constituer peu à peu. Nous répondrons à cela que l’orthodoxie n’est pas quelque chose qui se fait, qu’elle est au contraire, par définition même, le maintien constant de la doctrine dans sa ligne traditionnelle primitive. L’exposé des discussions concernant le déterminisme et le libre arbitre trahit une certaine erreur d’optique, si l’on peut dire, due à la mentalité moderne : loin de voir là une question fondamentale, les grands docteurs de l’Islam ont toujours regardé ces discussions comme parfaitement vaines. D’un autre côté, nous nous demandons jusqu’à quel point il est bien juste de regarder les Mutazilites comme des « rationalistes » ; en tout cas, c’est souvent une erreur de traduire aql par "raison". Autre chose encore, et qui est plus grave : l’anthropomorphisme n’a jamais été inhérent à l’orthodoxie musulmane. L’Islam, en tant que doctrine (nous ne parlons pas des aberrations individuelles toujours possibles) n’admet l’anthropomorphisme que comme une façon de parler (il s’efforce même de réduire au minimum ce genre de symbolisme), et à titre de concession à la faiblesse de l’entendement humain, qui a le plus souvent besoin du support de certaines représentations analogiques. Nous prenons ce mot de "représentations" dans son sens ordinaire, et non dans l’acception très spéciale que lui donne fréquemment M. Goldziher, et qui fait songer aux théories fantaisistes de ce qui, en France, s’intitule l’"école sociologique".


IV. Ascétisme et Sûfisme. – Nous aurions beaucoup à dire sur ce chapitre, qui est loin d’être aussi net qu’on pourrait le souhaiter, et qui renferme même bien des confusions et des lacunes. Pour l’auteur, l’ascétisme aurait été tout d’abord étranger à l’Islam, dans lequel il aurait été introduit ultérieurement par des influences diverses, et ce sont ces tendances ascétiques surajoutées qui auraient donné naissance au Sûfisme ; ces affirmations sont assez contestables, et, surtout, le Sûfisme est en réalité tout autre chose que de l’ascétisme. Du reste, ce terme de Sûfisme est employé ici d’une façon quelque peu abusive dans sa généralité, et il faudrait faire des distinctions : il s’agit de l’ésotérisme musulman, et il y a bon nombre d’écoles ésotériques qui n’acceptent pas volontiers cette dénomination, actuellement tout au moins, parce qu’elle en est arrivée à désigner couramment des tendances qui ne sont nullement les leurs. En fait, il y a fort peu de rapports entre le Sûfisme persan et la grande majorité des écoles arabes ; celles-ci sont beaucoup moins mystiques, beaucoup plus purement métaphysiques, et aussi plus strictement attachées à l’orthodoxie (quelle que soit d’ailleurs l’importance qu’elles accordent aux pratiques extérieures). À ce propos, nous devons dire que c’est une erreur complète de vouloir opposer le Sûfisme en lui-même à l’orthodoxie : la distinction est ici entre l’ésotérisme et l’exotérisme, qui se rapportent à des domaines différents et ne s’opposent point l’un à l’autre ; il peut y avoir, dans l’un et dans l’autre, orthodoxie et hétérodoxie. Il ne s’est donc pas produit, au cours de l’histoire, un « accommodement » entre deux « systèmes » opposés ; les deux domaines sont assez nettement délimités pour que, normalement, il ne puisse y avoir ni conflit ni contradiction, et les ésotéristes n’ont jamais pu, comme tels, être taxés d’hérésie. Quant aux origines de l’ésotérisme musulman, l’influence du néo-platonisme n’est nullement prouvée par une identité de pensée à certains égards ; il ne faudrait pas oublier que le néoplatonisme n’est qu’une expression grecque d’idées orientales, de
sorte que les Orientaux n’ont pas eu besoin de passer par l’intermédiaire des Grecs pour retrouver ce qui, en somme, leur appartenait en propre ; il est vrai que cette façon de voir a le tort d’aller à l’encontre de certains préjugés. Pour l’influence hindoue (et peut-être aussi bouddhiste) que l’auteur croit découvrir, la question est un peu plus complexe : nous savons, pour l’avoir constaté directement, qu’il y a effectivement, entre l’ésotérisme musulman et les doctrines de l’Inde, une identité de fond sous une assez grande différence de forme ; mais on pourrait faire aussi la même remarque pour la métaphysique extrême-orientale, et cela n’autorise point à conclure à des emprunts. Des hommes appartenant à des civilisations différentes peuvent bien, à ce qu’il nous semble, être parvenus directement à la connaissance des mêmes vérités (c’est ce que les Arabes eux-mêmes expriment par ces mots : et-tawhîdu wâhidun, c’est-à- dire : « la doctrine de l’Unité est unique », elle est partout et toujours la même); mais nous reconnaissons que cet argument ne peut valoir que pour ceux qui admettent une vérité extérieure à l’homme et indépendante de sa conception, et pour qui les idées sont autre chose que de simples phénomènes psychologiques, Pour nous, les analogies de méthodes elles-mêmes ne prouvent pas davantage : les ressemblances du dhikr musulman et du hatha-yoga hindou sont très réelles et vont même encore plus loin que ne le pense l’auteur, qui semble n’avoir de ces choses qu’une connaissance plutôt vague et lointaine ; mais, s’il en est ainsi, c’est qu’il existe une certaine "science du rythme" qui a été développée et appliquée dans toutes les civilisations orientales, et qui, par contre, est totalement ignorée des Occidentaux. Nous devons dire aussi que M. Goldziher ne paraît guère connaître les doctrines de l’Inde que par les ouvrages de M. Oltramare, qui sont à peu près les seuls qu’il cite à ce sujet (il y a même pris l’expression tout à fait impropre de « théosophie hindoue ») ; cela est vraiment insuffisant, d’autant plus que l’interprétation qui est présentée dans ces ouvrages est jugée fort sévèrement par les Hindous. Il faut ajouter qu’il y a aussi une note dans laquelle est mentionné un livre de Râma Prasâd, écrivain théosophiste, dont l’autorité est tout à fait nulle ; cette note est d’ailleurs rédigée d’une façon assez extraordinaire, mais nous ne savons si cela doit être imputé à l’auteur ou au traducteur. Il y aurait lieu de relever en outre bien des erreurs qui, pour porter sur des détails, ont aussi leur importance : ainsi, et-tasawwuf n’est pas du tout « l’idée sûfie », mais bien l’initiation, ce qui est tout différent (voir par exemple le traité de Mohyiddin ibn Arabi intitulé Tartîbut-tasawwuf, c’est-à-dire « Les catégories de l’initiation »). Les quelques lignes qui sont consacrées aux Malâmatiyah en donnent une idée complètement erronée ; cette question, qui est fort peu connue, a pourtant une portée considérable, et nous regrettons de ne pouvoir nous y arrêter. Beaucoup des conceptions les plus essentielles de l’ésotérisme musulman sont entièrement passées sous silence : telle est, pour nous borner à un seul exemple, celle de l’"Homme universel" (El-Insânul-kâmil), qui constitue le fondement de la théorie ésotérique de la "manifestation du Prophète". Ce qui manque aussi, ce sont des indications au moins sommaires sur les principales écoles et sur l’organisation de ces Ordres initiatiques qui ont une si grande influence dans tout l’Islam. Enfin, nous avons rencontré quelque part l’expression fautive d’"occultisme musulman" : l’ésotérisme métaphysique dont il s’agit et les sciences qui s’y rattachent en tant qu’applications n’ont absolument rien de commun avec les spéculations plus ou
moins bizarres qu’on désigne sous le nom d’"occultisme" dans le monde occidental contemporain. V. Les sectes. – L’auteur s’élève avec raison contre la croyance trop répandue à l’existence d’une multitude de sectes dans l’Islam ; en somme, ce nom de sectes doit être réservé proprement aux branches hétérodoxes et schismatiques, dont la plus ancienne est celle des Khâridjites. La partie du chapitre qui est consacrée au Chiisme est assez claire, et quelques-unes des idées fausses qui ont cours à ce sujet sont bien réfutées ; mais il faut dire aussi que, en réalité, la différence entre Sunnites et Chiites est beaucoup moins nettement tranchée, à part les cas extrêmes, qu’on ne pourrait le croire à la lecture de cet exposé (ce n’est que tout à fait à la fin de l’ouvrage qu’il se trouve une légère allusion aux « nombreux degrés de transition qui existent entre ces deux formes de l’Islam »). D’autre part, si la conception de l’Imâm chez les Chiites est suffisamment expliquée (et encore faut-il faire une réserve quant au sens plus profond dont elle est susceptible, car l’auteur ne paraît pas avoir une idée très nette de ce qu’est le symbolisme), il n’en est peut-être pas de même de celle du Mahdî dans l’Islam orthodoxe ; parmi les théories qui ont été formulées à cet égard, il en est qui sont d’un caractère fort élevé, et qui sont bien autre chose que des « ornements mythologiques » ; celle de Mohyiddin ibn Arabi, notamment, mériterait bien d’être au moins mentionnée.


VI. Formations postérieures. – Il y a, au commencement de ce dernier chapitre, une interprétation de la notion de Sunna comme « coutume héréditaire », qui montre une parfaite incompréhension de ce qu’une tradition est véritablement, dans son essence et dans sa raison d’être. Ces considérations conduisent à l’étude de la secte moderne des Wahhâbites, qui prétend s’opposer à toute innovation contraire à la Sunna, et qui se donne ainsi pour une restauration de l’Islam primitif ; mais c’est probablement un tort de croire ces prétentions justifiées, car elles ne nous semblent pas l’être plus que celles des Protestants dans le Christianisme ; il y a même plus d’une analogie curieuse entre les deux cas (par exemple le rejet du culte des saints, que les uns et les autres dénoncent également comme une « idolâtrie »). Il ne faudrait pas non plus attribuer une importance excessive à certains mouvements contemporains, comme le Bâbisme, et surtout le Béhâïsme qui en est dérivé, M. Goldziher dit par progrès, nous dirions plutôt par dégénérescence. L’auteur a vraiment grand tort de prendre au sérieux une certaine adaptation "américanisée" du Béhâïsme, qui n’a absolument plus rien de musulman ni même d’oriental, et qui, en fait, n’a pas plus de rapports avec l’Islam que le faux Vêdânta de Vivekânanda (que nous avons eu l’occasion de mentionner au cours de notre étude sur le théosophisme2) n’en a avec les véritables doctrines hindoues : ce n’est qu’une espèce de "moralisme  quasi-protestant. Les autres sectes dont il est question ensuite appartiennent à l’Inde ; la plus importante, celle des Sikhs, n’est pas proprement musulmane, mais apparaît comme une tentative de fusion entre le Brâhmanisme et l’Islam ; telle est du moins la position qu’elle prit à ses débuts. Dans cette dernière partie, nous avons encore noté les expressions défectueuses d’« Islam hindou », et de « Musulmans hindous » : tout ce qui est indien n’est pas hindou par là même, puisque ce dernier terme ne désigne exclusivement que ce qui se rapporte à la tradition brâhmanique ; il y a là quelque chose de plus qu’une simple confusion de mots. Naturellement, nous avons surtout signalé les imperfections de l’ouvrage de M. Goldziher, qui n’en est pas moins susceptible de rendre des services réels, mais, nous le répétons, à la condition qu’on veuille y chercher rien de plus ni d’autre que des renseignements d’ordre historique, et qu’on se méfie de l’influence exercée sur tout l’exposé par les « idées directrices » que nous avons dénoncées tout d’abord. Certaines des remarques qui précèdent montrent d’ailleurs que, même au point de vue de l’exactitude de fait, le seul qui semble compter pour les "historiens des religions", l’érudition pure et simple ne suffit pas toujours ; sans doute, il peut arriver qu’on donne une expression fidèle d’idées qu’on n’a pas comprises vraiment et dont on n’a qu’une connaissance tout extérieure et verbale, mais c’est là une chance sur laquelle il serait préférable de ne pas compter outre mesure.

1922
1 L’auteur auquel nous faisons allusion et son livre relatif au Christianisme furent, pendent la guerre, la cause d’incidents extrêmement fâcheux pour l’influence française en Orient (voir Mermeix, Le commandement unique : Sarrail et les armées d’Orient, pp. 31-33).
2 [René Guénon publia dans la Revue de Philosophie une version abrégée, en 15 chapitres, du Théosophisme, de janvier à août 1921. Le passage correspondant est repris dans le chap. 17 de cet ouvrage : le Swâmî Vivekânanda « dénatura complètement la doctrine hindoue du Vêdânta" sous prétexte de l’adapter à la mentalité occidentale […]. La pseudo-religion inventée par Vivekânanda […] n’a du "Vêdânta" que le nom, car il ne saurait y avoir le moindre rapport entre une doctrine purement métaphysique et un "moralisme" sentimental et "consolant" qui ne se différencie des prêches protestants que par l’emploi d’une terminologie un peu spéciale ».]


René Guénon

dimanche 27 mai 2012

Al Ghazâlî- Réfutation excellente de la divinité de Jésus-Chist d'après les évangiles


 
 
Publications du Waqf Ikhâs No: 5

 

AL GHAZALI

 

TEXTE ETABLI, TRADUIT ET COMMENTE

PAR

 

Robert Chidiac, s.j.

Quatrième édition

 

Hakîkat Kitâbevi

 

 

TABLE DES MATIERES

 

Première partie

 

1—PREAMBULE

2—DISCUSSION DES TEXTES EVANGELIQUES

3—LES THEORIES ECHAFAUDEES PAR LES

CHRETIENS ET LEUR REFUTATION.

4—LES DIFFERENTES APPELLATIONS DONNEES A HADRAT ’ÎSA.

5—DISCUSSION DE TROIS ARGUMENTS DES CHRETIENS

6—L’EMPLOI DE LA“PAROLE” DANS LE CORAN

7—CONCLUSION
 
 
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