samedi 16 août 2014

René Guénon - La réincarnation






L’Erreur Spirite, René Guénon, éd. Éditions Traditionnelles, 1952, p. 197

CHAPITRE VI
LA RÉINCARNATION

Nous ne pouvons songer à entreprendre ici une étude absolument complète de la question de la réincarnation, car il faudrait un volume entier pour l’examiner sous tous ses aspects ; peut-être y reviendrons-nous quelque jour ; la chose en vaut la peine, non pas en elle-même, car ce n’est qu’une absurdité pure et simple, mais en raison de l’étrange diffusion de cette idée de réincarnation, qui est, à notre époque, une de celles qui contribuent le plus au détraquement mental d’un grand nombre. Ne pouvant cependant nous dispenser présentement de traiter ce sujet, nous en dirons du moins tout ce qu’il y a de plus essentiel à en dire ; et notre argumentation vaudra, non seulement contre le spiritisme kardéciste, mais aussi contre toutes les autres écoles « néo-spiritualistes » qui, à sa suite, ont adopté cette idée, sauf à la modifier dans des détails plus ou moins importants. Par contre, cette réfutation ne s’adresse pas, comme la précédente, au spiritisme envisagé dans toute sa généralité, car la réincarnation n’en est pas un élément absolument essentiel, et on peut être spirite sans l’admettre, tandis qu’on ne peut pas l’être sans admettre la manifestation des morts par des phénomènes sensibles. En fait, on sait que les spirites américains et anglais, c’est-à-dire les représentants de la plus ancienne forme du spiritisme, furent tout d’abord unanimes à s’opposer à la théorie réincarnationniste, que Dunglas Home, en particulier, critiqua violemment1 ; il a fallu, pour que certains d’entre eux se décident plus tard à l’accepter, que cette théorie ait, dans l’intervalle, pénétré les milieux anglo-saxons par des voies étrangères au spiritisme.

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[1] Les Lumières et les Ombres du Spiritualisme, pp. 118-141.


En France même, quelques-uns des premiers spirites, comme Piérart et Anatole Barthe, se séparèrent d’Allan Kardec sur ce point ; mais, aujourd’hui, on peut dire que le spiritisme français tout entier a fait de la réincarnation un véritable « dogme » ; Allan Kardec lui-même, d’ailleurs, n’avait pas hésité à l’appeler de ce nom1. C’est au spiritisme français, rappelons-le encore, que cette théorie fut empruntée par le théosophisme d’abord, puis par l’occultisme papusien et diverses autres écoles, qui en ont fait également un de leurs articles de foi ; ces écoles ont beau reprocher aux spirites de concevoir la réincarnation d’une façon peu « philosophique », les modifications et les complications diverses qu’elles y ont apportées ne sauraient masquer cet emprunt initial.
Nous avons déjà noté quelques-unes des divergences qui existent, à propos de la réincarnation, soit parmi les spirites, soit entre eux et les autres écoles ; là-dessus comme sur tout le reste, les enseignements des « esprits » sont passablement flottants et contradictoires, et les prétendues constatations des « clairvoyants » ne le sont pas moins. Ainsi, nous l’avons vu, pour les uns, un être humain se réincarne constamment dans le même sexe ; pour d’autres, il se réincarne indifféremment dans un sexe ou dans l’autre, sans qu’on puisse fixer aucune loi à cet égard ; pour d’autres encore, il y a une alternance plus ou moins régulière entre les incarnations masculines et féminines. De même, les uns disent que l’homme se réincarne toujours sur la terre ; les autres prétendent qu’il peut aussi bien se réincarner, soit dans une autre planète du système solaire, soit même sur un astre quelconque ; certains admettent qu’il y a généralement plusieurs incarnations terrestres consécutives avant de passer à un autre séjour, et c’est là l’opinion d’Allan Kardec lui-même ; pour les théosophistes, il n’y a que des incarnations terrestres pendant toute la durée d’un cycle extrêmement long, après quoi une race humaine tout entière commence une nouvelle série d’incarnations dans une autre sphère, et ainsi de suite.

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[1] Le Livre des Esprits, pp. 75 et 96.


Un autre point qui n’est pas moins discuté, c’est la durée de l’intervalle qui doit s’écouler entre deux incarnations consécutives : les uns pensent qu’on peut se réincarner immédiatement, ou tout au moins au bout d’un temps très court, tandis que, pour les autres, les vies terrestres doivent être séparées par de longs intervalles ; nous avons vu ailleurs que les théosophistes, après avoir d’abord supposé que ces intervalles étaient de douze ou quinze cents ans au minimum, en sont arrivés à les réduire considérablement, et à faire à cet égard des distinctions suivant les « degrés d’évolution » des individus1. Chez les occultistes français, il s’est produit également une variation qu’il est assez curieux de signaler : dans ses premiers ouvrages, Papus, tout en attaquant les théosophistes avec lesquels il venait de rompre, répète après eux que, « d’après la science ésotérique, une âme ne peut se réincarner qu’au bout de quinze cents ans environ, sauf dans quelques exceptions très nettes (mort dans l’enfance, mort violente, adeptat) »2, et il affirme même, sur la foi de Mme Blavatsky et de Sinnett, que « ces chiffres sont tirés de calculs astronomiques par l’ésotérisme hindou »3, alors que nulle doctrine traditionnelle authentique n’a jamais parlé de la réincarnation, et que celle-ci n’est qu’une invention toute moderne et tout occidentale. Plus tard, Papus rejette entièrement la prétendue loi établie par les théosophistes et déclare qu’on n’en peut donner aucune, disant (nous respectons soigneusement son style) qu’« il serait aussi absurde de fixer un terme fixe de douze cents ans comme de dix ans au temps qui sépare une incarnation d’un retour sur terre, que de fixer pour la vie humaine sur terre une période également fixe »4.

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[1] Le Théosophisme, pp. 88-90.
[2] Traité méthodique de Science occulte, pp. 296-297.
[3] Ibid., p. 341.
[4] La Réincarnation, pp. 42-43.

Tout cela n’est guère fait pour inspirer confiance à ceux qui examinent les choses avec impartialité, et, si la réincarnation n’a pas été « révélée » par les « esprits » pour la bonne raison que ceux-ci n’ont jamais parlé réellement par l’intermédiaire des tables ou des médiums, les quelques remarques que nous venons de faire suffisent déjà pour montrer qu’elle ne peut pas davantage être une vraie connaissance ésotérique, enseignée par des initiés qui, par définition, sauraient à quoi s’en tenir. Il n’y a donc même pas besoin d’aller au fond de la question pour écarter les prétentions des occultistes et des théosophistes ; il reste que la réincarnation soit l’équivalent d’une simple conception philosophique ; effectivement, elle n’est que cela, et elle est même au niveau des pires conceptions philosophiques, puisqu’elle est absurde au sens propre de ce mot. Il y a bien des absurdités aussi chez les philosophes, mais du moins ne les présentent-ils généralement que comme des hypothèses ; les « néo-spiritualistes » s’illusionnent plus complètement (nous admettons ici leur bonne foi, qui est incontestable pour la masse, mais qui ne l’est pas toujours pour les dirigeants), et l’assurance même avec laquelle ils formulent leurs affirmations est une des raisons qui les rendent plus dangereuses que celles des philosophes.

Nous venons de prononcer le mot de « conception philosophique » ; celui de « conception sociale » serait peut-être encore plus juste en la circonstance, si l’on considère ce que fut l’origine réelle de l’idée de réincarnation. En effet, pour les socialistes français de la première moitié du XIXe siècle, qui l’inculquèrent à Allan Kardec, cette idée était essentiellement destinée à fournir une explication de l’inégalité des conditions sociales, qui revêtait à leurs yeux un caractère particulièrement choquant. Les spirites ont conservé ce même motif parmi ceux qu’ils invoquent le plus volontiers pour justifier leur croyance à la réincarnation, et ils ont même voulu étendre l’explication à toutes les inégalités, tant intellectuelles que physiques ; voici ce qu’en dit Allan Kardec : « Ou les âmes à leur naissance sont égales, ou elles sont inégales, cela n’est pas douteux. Si elles sont égales, pourquoi ces aptitudes si diverses ?... Si elles sont inégales, c’est que Dieu les a créées ainsi, mais alors pourquoi cette supériorité innée accordée à quelques-unes ? Cette partialité est-elle conforme à sa justice et à l’égal amour qu’il porte a toutes ses créatures ? Admettons, au contraire, une succession d’existences antérieures progressives, et tout est expliqué. Les hommes apportent en naissant l’intuition de ce qu’ils ont acquis ; ils sont plus ou moins avancés, selon le nombre d’existences qu’ils ont parcourues, selon qu’ils sont plus ou moins éloignés du point de départ, absolument comme dans une réunion d’individus de tous âges chacun aura un développement proportionné au nombre d’années qu’il aura vécu ; les existences successives seront, pour la vie de l’âme, ce que les années sont pour la vie du corps… Dieu, dans sa justice, n’a pu créer des âmes plus ou moins parfaites ; mais, avec la pluralité des existences, l’inégalité que nous voyons n’a plus rien de contraire à l’équité la plus rigoureuse »1. M. Léon Denis dit pareillement : « La pluralité des existences peut seule expliquer la diversité des caractères, la variété des aptitudes, la disproportion des qualités morales, en un mot toutes les inégalités qui frappent nos regards. En dehors de cette loi, on se demanderait en vain pourquoi certains hommes possèdent le talent, de nobles sentiments, des aspirations élevées, alors que tant d’autres n’ont en partage que sottise, passions viles et instincts grossiers. Que penser d’un Dieu qui, en nous assignant une seule vie corporelle, nous aurait fait des parts aussi inégales et, du sauvage au civilisé, aurait réservé aux hommes des biens si peu assortis et un niveau moral si différent ? Sans la loi des réincarnations, c’est l’iniquité qui gouverne le monde… Toutes ces obscurités se dissipent devant la doctrine des existences multiples. Les êtres qui se distinguent par leur puissance intellectuelle ou leurs vertus ont plus vécu, travaillé davantage, acquis une expérience et des aptitudes plus étendues »2.


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[1] Le Livre des Esprits, pp. 102-103.
[2] Après la mort, pp. 164-166.

Des raisons similaires sont alléguées même par les écoles dont les théories sont moins « primaires » que celles du spiritisme, car la conception réincarnationniste n’a jamais pu perdre entièrement la marque de son origine ; les théosophistes, par exemple, mettent aussi en avant, au moins accessoirement, l’inégalité des conditions sociales. De son côté, Papus fait exactement de même : « Les hommes recommencent un nouveau parcours dans le monde matériel, riches ou pauvres, heureux socialement ou malheureux, suivant les résultats acquis dans les parcours antérieurs, dans les incarnations précédentes »1. Ailleurs, il s’exprime encore plus nettement à ce sujet : « Sans la notion de la réincarnation, la vie sociale est une iniquité. Pourquoi des êtres inintelligents sont-ils gorgés d’argent et comblés d’honneurs, alors que des êtres de valeur se débattent dans la gêne et dans la lutte quotidienne pour des aliments physiques, moraux ou spirituels ?... On peut dire, en général, que la vie sociale actuelle est déterminée par l’état antérieur de l’esprit et qu’elle détermine l’état social futur »2.
Une telle explication est parfaitement illusoire, et voici pourquoi : d’abord, si le point de départ n’est pas le même pour tous, s’il est des hommes qui en sont plus ou moins éloignés et qui n’ont pas parcouru le même nombre d’existences (c’est ce que dit Allan Kardec), il y a là une inégalité dont ils ne sauraient être responsables, et que, par suite, les réincarnationnistes doivent regarder comme une « injustice » dont leur théorie est incapable de rendre compte. Ensuite, même en admettant qu’il n’y ait pas de ces différences entre les hommes, il faut bien qu’il y ait eu, dans leur évolution (nous parlons suivant la manière de voir des spirites), un moment où les inégalités ont commencé, et il faut aussi qu’elles aient une cause ; si l’on dit que cette cause, ce sont les actes que les hommes avaient déjà accomplis antérieurement, il faudra expliquer comment ces hommes ont pu se comporter différemment avant que les inégalités se soient introduites parmi eux.

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[1] Traité méthodique de Science occulte, p. 167.
[2] La Réincarnation, pp. 113 et 118.

Cela est inexplicable, tout simplement parce qu’il y a là une contradiction : si les hommes avaient été parfaitement égaux, ils auraient été semblables sous tous rapports, et, en admettant que cela fût possible, ils n’auraient jamais pu cesser de l’être, à moins que l’on ne conteste la validité du principe de raison suffisante (et, dans ce cas, il n’y aurait plus lieu de chercher ni loi ni explication quelconque) ; s’ils ont pu devenir inégaux, c’est évidemment que la possibilité de l’inégalité était en eux, et cette possibilité préalable suffisait à les constituer inégaux dès l’origine, au moins potentiellement. Ainsi, on n’a fait que reculer la difficulté en croyant la résoudre, et, finalement, elle subsiste tout entière ; mais, à vrai dire, il n’y a pas de difficulté, et le problème lui-même n’est pas moins illusoire que sa solution prétendue. On peut dire de cette question la même chose que de beaucoup de questions philosophiques, qu’elle n’existe que parce qu’elle est mal posée ; et, si on la pose mal, c’est surtout, au fond, parce qu’on fait intervenir des considérations morales et sentimentales là où elles n’ont que faire : cette attitude est aussi inintelligente que le serait celle d’un homme qui se demanderait, par exemple, pourquoi telle espèce animale n’est pas l’égale de telle autre, ce qui est manifestement dépourvu de sens. Qu’il y ait dans la nature des différences qui nous apparaissent comme des inégalités, tandis qu’il y en a d’autres qui ne prennent pas cet aspect, ce n’est là qu’un point de vue purement humain ; et, si on laisse de côté ce point de vue éminemment relatif, il n’y a plus à parler de justice ou d’injustice dans cet ordre de choses. En somme, se demander pourquoi un être n’est pas l’égal d’un autre, c’est se demander pourquoi il est différent de cet autre ; mais, s’il n’en était aucunement différent, il serait cet autre au lieu d’être lui-même. Dès lors qu’il y a une multiplicité d’êtres, il faut nécessairement qu’il y ait des différences entre eux ; deux choses identiques sont inconcevables, parce que, si elles sont vraiment identiques, ce ne sont pas deux choses, mais bien une seule et même chose ; Leibnitz a entièrement raison sur ce point. Chaque être se distingue des autres, dès le principe, en ce qu’il porte en lui-même certaines possibilités qui sont essentiellement inhérentes à sa nature, et qui ne sont les possibilités d’aucun autre être ; la question à laquelle les réincarnationnistes prétendent apporter une réponse revient donc tout simplement à se demander pourquoi un être est lui-même et non pas un autre. Si l’on veut voir là une injustice, peu importe, mais, en tous cas, c’est une nécessité ; et d’ailleurs, au fond, ce serait plutôt le contraire d’une injustice : en effet, la notion de justice, dépouillée de son caractère sentimental et spécifiquement humain, se réduit à celle d’équilibre ou d’harmonie ; or, pour qu’il y ait harmonie totale dans l’Univers, il faut et il suffit que chaque être soit à la place qu’il doit occuper, comme élément de cet Univers, en conformité avec sa propre nature. Cela revient précisément à dire que les différences et les inégalités, que l’on se plaît à dénoncer comme des injustices réelles ou apparentes, concourent effectivement et nécessairement, au contraire, à cette harmonie totale ; et celle-ci ne peut pas ne pas être, car ce serait supposer que les choses ne sont pas ce qu’elles sont, puisqu’il y aurait absurdité à supposer qu’il peut arriver à un être quelque chose qui n’est point une conséquence de sa nature ; ainsi les partisans de la justice peuvent se trouver satisfaits par surcroît, sans être obligés d’aller à l’encontre de la vérité.
Allan Kardec déclare que « le dogme de la réincarnation est fondé sur la justice de Dieu et la révélation »1 ; nous venons de montrer que, de ces deux raisons d’y croire, la première ne saurait être invoquée valablement ; quant à la seconde, comme il veut évidemment parler de la révélation des « esprits », et comme nous avons établi précédemment qu’elle est inexistante, nous n’avons pas à y revenir. Toutefois, ce ne sont là encore que des observations préliminaires, car, de ce qu’on ne voit aucune raison d’admettre une chose, il ne s’ensuit pas forcément que cette chose soit fausse ; on pourrait encore, tout au moins, demeurer à son égard dans une attitude de doute pur et simple.

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[1] Le Livre des Esprits, p. 75.


Nous devons dire, d’ailleurs, que les objections que l’on formule ordinairement contre la théorie réincarnationniste ne sont guère plus fortes que les raisons que l’on invoque d’autre part pour l’appuyer ; cela tient, en grande partie, à ce qu’adversaires et partisans de la réincarnation se placent également, le plus souvent, sur le terrain moral et sentimental, et que les considérations de cet ordre ne sauraient rien prouver. Nous pouvons refaire ici la même observation qu’en ce qui concerne la question de la communication avec les morts : au lieu de se demander si cela est vrai ou faux, ce qui seul importe, on discute pour savoir si cela est ou n’est pas « consolant », et l’on peut discuter ainsi indéfiniment sans en être plus avancé, puisque c’est là un critérium purement « subjectif », comme dirait un philosophe. Heureusement, il y a beaucoup mieux à dire contre la réincarnation, puisqu’on peut en établir l’impossibilité absolue ; mais, avant d’en arriver là, nous devons encore traiter une autre question et préciser certaines distinctions, non seulement parce qu’elles sont fort importantes en elles-mêmes, mais aussi parce que, sans cela, certains pourraient s’étonner de nous voir affirmer que la réincarnation est une idée exclusivement moderne. Trop de confusions et de notions fausses ont cours depuis un siècle pour que bien des gens, même en dehors des milieux « néo-spiritualistes », ne s’en trouvent pas gravement influencés ; cette déformation est même arrivée à un tel point que les orientalistes officiels, par exemple, interprètent couramment dans un sens réincarnationniste des textes où il n’y a rien de tel, et qu’ils sont devenus complètement incapables de les comprendre autrement, ce qui revient à dire qu’ils n’y comprennent absolument rien.

Le terme de « réincarnation » doit être distingué de deux autres termes au moins, qui ont une signification totalement différente, et qui sont ceux de « métempsychose » et de « transmigration » ; il s’agit là de choses qui étaient fort bien connues des anciens, comme elles le sont encore des Orientaux, mais que les Occidentaux modernes, inventeurs de la réincarnation, ignorent absolument1. Il est bien entendu que, lorsqu’on parle de réincarnation, cela veut dire que l’être qui a déjà été incorporé reprend un nouveau corps, c’est-à-dire qu’il revient à l’état par lequel il est déjà passé ; d’autre part, on admet que cela concerne l’être réel et complet, et non pas simplement des éléments plus ou moins importants qui ont pu entrer dans sa constitution à un titre quelconque. En dehors de ces deux conditions, il ne peut aucunement être question de réincarnation ; or la première la distingue essentiellement de la transmigration, telle qu’elle est envisagée dans les doctrines orientales, et la seconde ne la différencie pas moins profondément de la métempsychose, au sens ou l’entendaient notamment les Orphiques et les Pythagoriciens. Les spirites, tout en affirmant faussement l’antiquité de la théorie réincarnationniste, disent bien qu’elle n’est pas identique à la métempsychose ; mais, suivant eux, elle s’en distingue seulement en ce que les existences successives sont toujours « progressives », et en ce qu’on doit considérer exclusivement les êtres humains : « Il y a, dit Allan Kardec, entre la métempsychose des anciens et la doctrine moderne de la réincarnation, cette grande différence que les esprits rejettent de la manière la plus absolue la transmigration de l’homme dans les animaux, et réciproquement »2. Les anciens, en réalité, n’ont jamais envisagé une telle transmigration, pas plus que celle de l’homme dans d’autres hommes, comme on pourrait définir la réincarnation ; sans doute, il y a des expressions plus ou moins symboliques qui peuvent donner lieu à des malentendus, mais seulement quand on ne sait pas ce qu’elles veulent dire véritablement, et qui est ceci : il y a dans l’homme des éléments psychiques qui se dissocient après la mort, et qui peuvent alors passer dans d’autres êtres vivants, hommes ou animaux, sans que cela ait beaucoup plus d’importance, au fond, que le fait que, après la dissolution du corps de ce même homme, les éléments qui le composaient peuvent servir à former d’autres corps ; dans les deux cas, il s’agit des éléments mortels de l’homme, et non point de la partie impérissable qui est son être réel, et qui n’est nullement affectée par ces mutations posthumes.

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[1] Il y aurait lieu de mentionner aussi les conceptions de certains kabbalistes, que l’on désigne sons les noms de « révolution des âmes » et d’« embryonnat » ; mais nous n’en parlerons pas ici, parce que cela nous entraînerait bien loin ; d’ailleurs, ces conceptions n’ont qu’une portée assez restreinte, car elles font intervenir des conditions qui, si étrange que cela puisse sembler, sont tout à fait spéciales au peuple d’Israël.
[2] Le Livre des Esprits, p. 96 ; cf. ibid., pp. 262-264.

À ce propos, Papus a commis une méprise d’un autre genre, en parlant « des confusions entre la réincarnation ou retour de l’esprit dans un corps matériel, après un stage astral, et la métempsychose ou traversée par le corps matériel de corps d’animaux et de plantes, avant de revenir dans un nouveau corps matériel »1 ; sans parler de quelques bizarreries d’expression qui peuvent être des lapsus (les corps d’animaux et de plantes ne sont pas moins « matériels » que le corps humain, et ils ne sont pas « traversés » par celui-ci, mais par des éléments qui en proviennent), cela ne pourrait en aucune façon s’appeler « métempsychose », car la formation de ce mot implique qu’il s’agit d’éléments psychiques, et non d’éléments corporels.

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[1] La Réincarnation, p. 9. – Papus ajoute : « Il ne faut jamais confondre la réincarnation et la métempsychose, l’homme ne rétrogradant pas et l’esprit ne devenant jamais un esprit d’animal, sauf en plan astral, à l’état génial, mais ceci est encore un mystère. » Pour nous, ce prétendu mystère n’en est pas un : nous pouvons dire qu’il s’agit du « génie de l’espèce », c’est-à-dire de l’entité qui représente l’esprit, non pas d’une individualité, mais d’une espèce animale tout entière ; les occultistes pensent, en effet, que l’animal n’est pas comme l’homme un individu autonome, et que, après la mort, son âme retourne à l’« essence élémentale », propriété indivise de l’espèce. D’après la théorie à laquelle Papus fait allusion en termes énigmatiques, les génies des espèces animales seraient des esprits humains parvenus à un certain degré d’évolution et à qui cette fonction aurait été assignée spécialement ; du reste, il y a des « clairvoyants » qui prétendent avoir vu ces génies sous la forme d’hommes à têtes d’animaux, comme les figures symboliques des anciens Égyptiens. La théorie en question est entièrement erronée : le génie de l’espèce est bien une réalité, même pour l’espèce humaine, mais il n’est pas ce que croient les occultistes, et il n’a rien de commun avec les esprits des hommes individuels ; quant au « plan » où il se situe, cela ne rentre pas dans les cadres conventionnels fixés par l’occultisme.


Papus a raison de penser que la métempsychose ne concerne pas l’être réel de l’homme, mais il se trompe complètement sur sa nature ; et d’autre part, pour la réincarnation, quand il dit qu’« elle a été enseignée comme un mystère ésotérique dans toutes les initiations de l’antiquité »1, il la confond purement et simplement avec la transmigration véritable.

La dissociation qui suit la mort ne porte pas seulement sur les éléments corporels, mais aussi sur certains éléments que l’on peut appeler psychiques ; cela, nous l’avons déjà dit en expliquant que de tels éléments peuvent intervenir parfois dans les phénomènes du spiritisme et contribuer à donner l’illusion d’une action réelle des morts ; d’une façon analogue, ils peuvent aussi, dans certains cas, donner l’illusion d’une réincarnation. Ce qu’il importe de retenir, sous ce dernier rapport, c’est que ces éléments (qui peuvent, pendant la vie, avoir été proprement conscients ou seulement « subconscients ») comprennent notamment toutes les images mentales qui, résultant de l’expérience sensible, ont fait partie de ce qu’on appelle mémoire et imagination : ces facultés, ou plutôt ces ensembles, sont périssables, c’est-à-dire sujets à se dissoudre, parce que, étant d’ordre sensible, ils sont littéralement des dépendances de l’état corporel ; d’ailleurs, en dehors de la condition temporelle, qui est une de celles qui définissent cet état, la mémoire n’aurait évidemment aucune raison de subsister. Cela est bien loin, assurément, des théories de la psychologie classique sur le « moi » et son unité ; ces théories n’ont que le défaut d’être à peu près aussi dénués de fondement, dans leur genre, que les conceptions des « néo-spiritualistes ».

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[1] La Réincarnation, p. 6.

Une autre remarque qui n’est pas moins importante, c’est qu’il peut y avoir transmission d’éléments psychiques d’un être à un autre sans que cela suppose la mort du premier : en effet, il y a une hérédité psychique aussi bien qu’une hérédité physiologique, cela est assez peu contesté, et c’est même un fait d’observation vulgaire ; mais ce dont beaucoup ne se rendent probablement pas compte, c’est que cela suppose au moins que les parents fournissent un germe psychique, au même titre qu’un germe corporel ; et ce germe peut impliquer potentiellement un ensemble fort complexe d’éléments appartenant au domaine de la « subconscience », en outre des tendances ou prédispositions proprement dites qui, en se développant, apparaîtront d’une façon plus manifeste ; ces éléments « subconscients », au contraire, pourront ne devenir apparents que dans des cas plutôt exceptionnels. C’est la double hérédité psychique et corporelle qu’exprime cette formule chinoise : « Tu revivras dans tes milliers de descendants », qu’il serait bien difficile, à coup sûr, d’interpréter dans un sens réincarnationniste, quoique les occultistes et même les orientalistes aient réussi bien d’autres tours de force comparables à celui-là. Les doctrines extrême-orientales envisagent même de préférence le côté psychique de l’hérédité, et elles y voient un véritable prolongement de l’individualité humaine ; c’est pourquoi, sous le nom de « postérité » (qui est d’ailleurs susceptible aussi d’un sens supérieur et purement spirituel), elles l’associent à la « longévité », que les Occidentaux appellent immortalité.
Comme nous le verrons par la suite, certains faits que les réincarnationnistes croient pouvoir invoquer à l’appui de leur hypothèse s’expliquent parfaitement par l’un ou l’autre des deux cas que nous venons d’envisager, c’est-à-dire, d’une part, par la transmission héréditaire de certains éléments psychiques, et, d’autre part, par l’assimilation à une individualité humaine d’autres éléments psychiques provenant de la désintégration d’individualités humaines antérieures, qui n’ont pas pour cela le moindre rapport spirituel avec celle-là. Il y a, en tout ceci, correspondance et analogie entre l’ordre psychique et l’ordre corporel ; et cela se comprend, puisque l’un et l’autre, nous le répétons, se réfèrent exclusivement à ce qu’on peut appeler les éléments mortels de l’être humain. Il faut encore ajouter que, dans l’ordre psychique, il peut arriver, plus ou moins exceptionnellement, qu’un ensemble assez considérable d’éléments se conserve sans se dissocier et soit transféré tel quel à une nouvelle individualité ; les faits de ce genre sont, naturellement, ceux qui présentent le caractère le plus frappant aux yeux des partisans de la réincarnation, et pourtant ces cas ne sont pas moins illusoires que tous les autres1. Tout cela, nous l’avons dit, ne concerne ni n’affecte aucunement l’être réel ; on pourrait, il est vrai, se demander pourquoi, s’il en est ainsi, les anciens semblent avoir attaché une assez grande importance au sort posthume des éléments en question. Nous pourrions répondre en faisant simplement remarquer qu’il y a aussi bien des gens qui se préoccupent du traitement que leur corps pourra subir après la mort, sans penser pour cela que leur esprit doive en ressentir le contrecoup ; mais nous ajouterons qu’effectivement, en règle générale, ces choses ne sont point absolument indifférentes ; si elles l’étaient, d’ailleurs, les rites funéraires n’auraient aucune raison d’être, tandis qu’ils en ont au contraire une très profonde.

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[1] Certains pensent qu’un transfert analogue peut s’opérer pour des éléments corporels plus ou moins subtilisés, et ils envisagent ainsi une « métensomatose » à côté de la « métempsychose » ; on pourrait être tenté de supposer, à première vue, qu’il y a là une confusion et qu’ils attribuent à tort la corporéité aux éléments psychiques inférieurs ; cependant, il peut s’agir réellement d’éléments d’origine corporelle, mais « psychisés », en quelque sorte, par cette transposition dans l’« état subtil » dont nous avons indiqué précédemment la possibilité ; l’état corporel et l’état psychique, simples modalités différentes d’un même état d’existence qui est celui de l’individualité humaine, ne sauraient être totalement séparés. Nous signalons à l’attention des occultistes ce que dit à ce sujet un auteur dont ils parlent volontiers sans le connaître, Keleph ben Nathan (Dutoit-Membrini), dans La Philosophie Divine, t. I, pp. 62 et 292-293 ; à beaucoup de déclamations mystiques assez creuses, cet auteur mêle parfois ainsi des aperçus fort intéressants. Nous profiterons de cette occasion pour relever une erreur des occultistes, qui présentent Dutoit-Membrini comme un disciple de Louis-Claude de Saint-Martin (c’est M. Joanny Bricaud qui a fait cette découverte), alors qu’il s’est au contraire exprimé sur le compte de celui-ci en termes plutôt défavorables (ibid., t. I, pp. 245 et 345) ; il y aurait tout un livre à faire, et qui serait bien amusant, sur l’érudition des occultistes et leur façon d’écrire l’histoire.

Sans pouvoir insister là-dessus, nous dirons que l’action de ces rites s’exerce précisément sur les éléments psychiques du défunt ; nous avons mentionné ce que pensaient les anciens du rapport qui existe entre leur non-accomplissement et certains phénomènes de « hantise », et cette opinion était parfaitement fondée. Assurément, si on ne considérait que l’être, en tant qu’il est passé à un autre état d’existence, il n’y aurait point à tenir compte de ce que peuvent devenir ces éléments (sauf peut-être pour assurer la tranquillité des vivants) ; mais il en va tout autrement si l’on envisage ce que nous avons appelé les prolongements de l’individualité humaine. Ce sujet pourrait donner lieu à des considérations que leur complexité et leur étrangeté même nous empêchent d’aborder ici ; nous estimons, du reste, qu’il est de ceux qu’il ne serait ni utile ni avantageux de traiter publiquement d’une façon détaillée.

Après avoir dit en quoi consiste vraiment la métempsychose, nous avons maintenant à dire ce qu’est la transmigration proprement dite : cette fois, il s’agit bien de l’être réel, mais il ne s’agit point pour lui d’un retour au même état d’existence, retour qui, s’il pouvait avoir lieu, serait peut-être une « migration » si l’on veut, mais non une « transmigration ». Ce dont il s’agit, c’est, au contraire, le passage de l’être à d’autres états d’existence, qui sont définis, comme nous l’avons dit, par des conditions entièrement différentes de celles auxquelles est soumise l’individualité humaine (avec cette seule restriction que, tant qu’il s’agit d’états individuels, l’être est toujours revêtu d’une forme, mais qui ne saurait donner lieu à aucune représentation spatiale ou autre, plus ou moins modelée sur celle de la forme corporelle) ; qui dit transmigration dit essentiellement changement d’état. C’est là ce qu’enseignent toutes les doctrines traditionnelles de l’Orient, et nous avons de multiples raisons de penser que cet enseignement était aussi celui des « mystères » de l’antiquité ; même dans des doctrines hétérodoxes comme le Bouddhisme, il n’est nullement question d’autre chose, en dépit de l’interprétation réincarnationniste qui a cours aujourd’hui parmi les Européens. C’est précisément la vraie doctrine de la transmigration, entendue suivant le sens que lui donne la métaphysique pure, qui permet de réfuter d’une façon absolue et définitive l’idée de réincarnation ; et il n’y a même que sur ce terrain qu’une telle réfutation soit possible. Nous sommes donc amené ainsi à montrer que la réincarnation est une impossibilité pure et simple ; il faut entendre par là qu’un même être ne peut pas avoir deux existences dans le monde corporel, ce monde étant considéré dans toute son extension : peu importe que ce soit sur la terre ou sur d’autres astres quelconques1 ; peu importe aussi que ce soit en tant qu’être humain ou, suivant les fausses conceptions de la métempsychose, sous toute autre forme, animale, végétale ou même minérale. Nous ajouterons encore : peu importe qu’il s’agisse d’existences successives ou simultanées, car il se trouve que quelques-uns ont fait cette supposition, au moins saugrenue, d’une pluralité de vies se déroulant en même temps, pour un même être, en divers lieux, vraisemblablement sur des planètes différentes ; cela nous reporte encore une fois aux socialistes de 1848, car il semble bien que ce soit Blanqui qui ait imaginé le premier une répétition simultanée et indéfinie, dans l’espace, d’individus supposés identiques2. Certains occultistes prétendent aussi que l’individu humain peut avoir plusieurs « corps physiques », comme ils disent, vivant en même temps dans différentes planètes ; et ils vont jusqu’à affirmer que, s’il arrive à quelqu’un de rêver qu’il a été tué, c’est, dans bien des cas, que, à cet instant même, il l’a été effectivement dans une autre planète ! Cela pourrait sembler incroyable si nous ne l’avions entendu nous-même ; mais on verra, au chapitre suivant, d’autres histoires aussi fortes que celle-là.

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[1] L’idée de la réincarnation dans diverses planètes n’est pas absolument spéciale aux « néo-spiritualistes » ; cette conception, chère à M. Camille Flammarion, est aussi celle de Louis Figuier (Le Lendemain de la Mort ou la Vie future selon la Science) ; il est curieux de voir à quelles extravagantes rêveries peut donner lieu une science aussi « positive » que veut l’être l’astronomie moderne.
[2] L’Éternité par les Astres.

Nous devons dire aussi que la démonstration qui vaut contre toutes les théories réincarnationnistes, quelque forme qu’elles prennent, s’applique également, et au même titre, à certaines conceptions d’allure plus proprement philosophique, comme la conception du « retour éternel » de Nietzsche, et en un mot à tout ce qui suppose dans l’Univers une répétition quelconque.
Nous ne pouvons songer à exposer ici, avec tous les développements qu’elle comporte, la théorie métaphysique des états multiples de l’être ; nous avons l’intention d’y consacrer, lorsque nous le pourrons, une ou plusieurs études spéciales. Mais nous pouvons du moins indiquer le fondement de cette théorie, qui est en même temps le principe de la démonstration dont il s’agit ici, et qui est le suivant : la Possibilité universelle et totale est nécessairement infinie et ne peut être conçue autrement, car, comprenant tout et ne laissant rien en dehors d’elle, elle ne peut être limitée par rien absolument ; une limitation de la Possibilité universelle, devant lui être extérieure, est proprement et littéralement une impossibilité, c’est-à-dire un pur néant. Or, supposer une répétition au sein de la Possibilité universelle, comme on le fait en admettant qu’il y ait deux possibilités particulières identiques, c’est lui supposer une limitation, car l’infinité exclut toute répétition : il n’y a qu’à l’intérieur d’un ensemble fini qu’on puisse revenir deux fois à un même élément, et encore cet élément ne serait-il rigoureusement le même qu’à la condition que cet ensemble forme un système clos, condition qui n’est jamais réalisée effectivement. Dès lors que l’Univers est vraiment un tout, ou plutôt le Tout absolu, il ne peut y avoir nulle part aucun cycle fermé : deux possibilités identiques ne seraient qu’une seule et même possibilité ; pour qu’elles soient véritablement deux, il faut qu’elles diffèrent par une condition au moins, et alors elles ne sont pas identiques. Rien ne peut jamais revenir au même point, et cela même dans un ensemble qui est seulement indéfini (et non plus infini), comme le monde corporel : pendant qu’on trace un cercle, un déplacement s’effectue, et ainsi le cercle ne se ferme que d’une façon tout illusoire. Ce n’est là qu’une simple analogie, mais elle peut servir pour aider à comprendre que, « a fortiori », dans l’existence universelle, le retour à un même état est une impossibilité : dans la Possibilité totale, ces possibilités particulières que sont les états d’existence conditionnés sont nécessairement en multiplicité indéfinie ; nier cela, c’est encore vouloir limiter la Possibilité ; il faut donc l’admettre, sous peine de contradiction, et cela suffit pour que nul être ne puisse repasser deux fois par le même état. Comme on le voit, cette démonstration est extrêmement simple en elle-même, et, si certains éprouvent quelque peine à la comprendre, ce ne peut être que parce que les connaissances métaphysiques les plus élémentaires leur font défaut ; pour ceux-là, un exposé plus développé serait peut-être nécessaire, mais nous les prierons d’attendre, pour le trouver, que nous ayons l’occasion de donner intégralement la théorie des états multiples ; ils peuvent être assurés, en tout cas, que cette démonstration, telle que nous venons de la formuler en ce qu’elle a d’essentiel, ne laisse rien à désirer sous le rapport de la rigueur. Quant à ceux qui s’imagineraient que, en rejetant la réincarnation, nous risquons de limiter d’une autre façon la Possibilité universelle, nous leur répondrons simplement que nous ne rejetons qu’une impossibilité, qui n’est rien, et qui n’augmenterait la somme des possibilités que d’une façon absolument illusoire, n’étant qu’un pur zéro ; on ne limite pas la Possibilité en niant une absurdité quelconque, par exemple en disant qu’il ne peut exister un carré rond, ou que, parmi tous les mondes possibles, il ne peut y en avoir aucun où deux et deux fassent cinq ; le cas est exactement le même. Il y a des gens qui se font, en cet ordre d’idées, d’étranges scrupules : ainsi Descartes, lorsqu’il attribuait à Dieu la « liberté d’indifférence », par crainte de limiter la toute-puissance divine (expression théologique de la Possibilité universelle), et sans s’apercevoir que cette « liberté d’indifférence », ou le choix en l’absence de toute raison, implique des conditions contradictoires ; nous dirons, pour employer son langage, qu’une absurdité n’est pas telle parce que Dieu l’a voulu arbitrairement, mais que c’est au contraire parce qu’elle est une absurdité que Dieu ne peut pas faire qu’elle soit quelque chose, sans pourtant que cela porte la moindre atteinte à sa toute-puissance, absurdité et impossibilité étant synonymes.

Revenant aux états multiples de l’être, nous ferons remarquer, car cela est essentiel, que ces états peuvent être conçus comme simultanés aussi bien que comme successifs, et que même, dans l’ensemble, on ne peut admettre la succession qu’à titre de représentation symbolique, puisque le temps n’est qu’une condition propre à un de ces états, et que même la durée, sous un mode quelconque, ne peut être attribuée qu’à certains d’entre eux ; si l’on veut parler de succession, il faut donc avoir soin de préciser que ce ne peut être qu’au sens logique, et non pas au sens chronologique. Par cette succession logique, nous entendons qu’il y a un enchaînement causal entre les divers états ; mais la relation même de causalité, si on la prend suivant sa véritable signification (et non suivant l’acception « empiriste » de quelques logiciens modernes), implique précisément la simultanéité ou la coexistence de ses termes. En outre, il est bon de préciser que même l’état individuel humain, qui est soumis à la condition temporelle, peut présenter néanmoins une multiplicité simultanée d’états secondaires : l’être humain ne peut pas avoir plusieurs corps, mais, en dehors de la modalité corporelle et en même temps qu’elle, il peut posséder d’autres modalités dans lesquelles se développent aussi certaines des possibilités qu’il comporte. Ceci nous conduit à signaler une conception qui se rattache assez étroitement à celle de la réincarnation, et qui compte aussi de nombreux partisans parmi les « néo-spiritualistes » : d’après cette conception, chaque être devrait, au cours de son évolution (car ceux qui soutiennent de telles idées sont toujours, d’une façon ou d’une autre, des évolutionnistes), passer successivement par toutes les formes de vie, terrestres et autres. Une telle théorie n’exprime qu’une impossibilité manifeste, pour la simple raison qu’il existe une indéfinité de formes vivantes par lesquelles un être quelconque ne pourra jamais passer, ces formes étant toutes celles qui sont occupées par les autres êtres. D’ailleurs, quand bien même un être aurait parcouru successivement une indéfinité de possibilités particulières, et dans un domaine autrement étendu que celui des « formes de vie », il n’en serait pas plus avancé par rapport au terme final, qui ne saurait être atteint de cette manière ; nous reviendrons là-dessus en parlant plus spécialement de l’évolutionnisme spirite. Pour le moment, nous ferons seulement remarquer ceci : le monde corporel tout entier, dans le déploiement intégral de toutes les possibilités qu’il contient, ne représente qu’une partie du domaine de manifestation d’un seul état ; ce même état comporte donc, « a fortiori », la potentialité correspondante à toutes les modalités de la vie terrestre, qui n’est qu’une portion très restreinte du monde corporel. Ceci rend parfaitement inutile (même si l’impossibilité n’en était prouvée par ailleurs) la supposition d’une multiplicité d’existences à travers lesquelles l’être s’élèverait progressivement de la modalité la plus inférieure, celle du minéral, jusqu’à la modalité humaine, considérée comme la plus haute, en passant successivement par le végétal et l’animal, avec toute la multitude de degrés que comprend chacun de ces règnes ; il en est, en effet, qui font de telles hypothèses, et qui rejettent seulement la possibilité d’un retour en arrière. En réalité, l’individu, dans son extension intégrale, contient simultanément les possibilités qui correspondent à tous les degrés dont il s’agit (nous ne disons pas, qu’on le remarque bien, qu’il les contient ainsi corporellement) ; cette simultanéité ne se traduit en succession temporelle que dans le développement de son unique modalité corporelle, au cours duquel, comme le montre l’embryologie, il passe effectivement par tous les stades correspondants, depuis la forme unicellulaire des êtres organisés les plus rudimentaires, et même, en remontant plus haut encore, depuis le cristal, jusqu’à la forme humaine terrestre. Disons en passant, dès maintenant, que ce développement embryologique, contrairement à l’opinion commune, n’est nullement une preuve de la théorie « transformiste » ; celle-ci n’est pas moins fausse que toutes les autres formes de l’évolutionnisme, et elle est même la plus grossière de toutes ; mais nous aurons l’occasion d’y revenir plus loin. Ce qu’il faut retenir surtout, c’est que le point de vue de la succession est essentiellement relatif, et d’ailleurs, même dans la mesure restreinte où il est légitimement applicable, il perd presque tout son intérêt par cette simple observation que le germe, avant tout développement, contient déjà en puissance l’être complet (nous en verrons tout à l’heure l’importance) ; en tout cas, ce point de vue doit toujours demeurer subordonné à celui de la simultanéité, comme l’exige le caractère purement métaphysique, donc extra-temporel (mais aussi extra-spatial, la coexistence ne supposant pas nécessairement l’espace), de la théorie des états multiples de l’être1.

Nous ajouterons encore que, quoi qu’en prétendent les spirites et surtout les occultistes, on ne trouve dans la nature aucune analogie en faveur de la réincarnation, tandis que, en revanche, on en trouve de nombreuses dans le sens contraire. Ce point a été assez bien mis en lumière dans les enseignements de la H. B, of L., dont il a été question précédemment, et qui était formellement antiréincarnationniste ; nous croyons qu’il peut être intéressant de citer ici quelques passages de ces enseignements, qui montrent que cette école avait au moins quelque connaissance de la transmigration véritable, ainsi que de certaines lois cycliques : « C’est une vérité absolue qu’exprime l’adepte auteur de Ghostland, lorsqu’il dit que, en tant qu’être impersonnel, l’homme vit dans une indéfinité de mondes avant d’arriver à celui-ci…

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[1] Il faudrait pouvoir critiquer ici les définitions que Leibnitz donne de l’espace (ordre des coexistences) et du temps (ordre des successions) ; ne pouvant l’entreprendre, nous dirons seulement qu’il étend ainsi le sens de ces notions d’une façon tout à fait abusive, comme il le fait aussi, par ailleurs, pour la notion de corps.

Lorsque le grand étage de conscience, sommet de la série des manifestations matérielles, est atteint, jamais l’âme ne rentrera dans la matrice de la matière, ne subira l’incarnation matérielle ; désormais, ses renaissances sont dans le royaume de l’esprit. Ceux qui soutiennent la doctrine étrangement illogique de la multiplicité des naissances humaines n’ont assurément jamais développé en eux-mêmes l’état lucide de conscience spirituelle ; sinon, la théorie de la réincarnation, affirmée et soutenue aujourd’hui par un grand nombre d’hommes et de femmes versés dans la « sagesse mondaine », n’aurait pas le moindre crédit. Une éducation extérieure est relativement sans valeur comme moyen d’obtenir la connaissance véritable… Le gland devient chêne, la noix de coco devient palmier ; mais le chêne a beau donner des myriades d’autres glands, il ne devient plus jamais gland lui-même, ni le palmier ne redevient plus noix. De même pour l’homme : dès que l’âme s’est manifestée sur le plan humain, et a ainsi atteint la conscience de la vie extérieure, elle ne repasse plus jamais par aucun de ses états rudimentaires… Tous les prétendus « réveils de souvenirs » latents, par lesquels certaines personnes assurent se rappeler leurs existences passées, peuvent s’expliquer, et même ne peuvent s’expliquer que par les simples lois de l’affinité et de la forme. Chaque race d’êtres humains, considérée en soi-même, est immortelle ; il en est de même de chaque cycle : jamais le premier cycle ne devient le second, mais les êtres du premier cycle sont (spirituellement) les parents, ou les générateurs1, de ceux du second cycle. Ainsi, chaque cycle comprend une grande famille constituée par la réunion de divers groupements d’âmes humaines, chaque condition étant déterminée par les lois de son activité, celles de sa forme et celles de son affinité : une trinité des lois… C’est ainsi que l’homme peut être comparé au gland et au chêne : l’âme embryonnaire, non individualisée, devient un homme tout comme le gland devient un chêne, et, de même que le chêne donne naissance à une quantité innombrable de glands, de même l’homme fournit à son tour à une indéfinité d’âmes les moyens de prendre naissance dans le monde spirituel.

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[1] Ce sont les pitris de la tradition hindoue.

Il y a correspondance complète entre les deux, et c’est pour cette raison que les anciens Druides rendaient de si grands honneurs à cet arbre, qui était honoré au-delà de tous les autres par les puissants Hiérophantes. » Il y a là une indication de ce qu’est la « postérité » entendue au sens purement spirituel ; ce n’est pas ici le lieu d’en dire davantage sur ce point, non plus que sur les lois cycliques auxquelles il se rattache ; peut-être traiterons-nous quelque jour ces questions, si toutefois nous trouvons le moyen de le faire en termes suffisamment intelligibles, car il y a là des difficultés qui sont surtout inhérentes à l’imperfection des langues occidentales.

Malheureusement, la H. B. of L. admettait la possibilité de la réincarnation dans certains cas exceptionnels, comme celui des enfants mort-nés ou morts en bas âge, et celui des idiots de naissance1 ; nous avons vu ailleurs que Mme Blavatsky avait admis cette manière de voir à l’époque où elle écrivit Isis Dévoilée2. En réalité, dès lors qu’il s’agit d’une impossibilité métaphysique, il ne saurait y avoir la moindre exception : il suffit qu’un être soit passé par un certain état, ne fût-ce que sous forme embryonnaire, ou même sous forme de simple germe, pour qu’il ne puisse en aucun cas revenir à cet état, dont il a ainsi effectué les possibilités suivant la mesure que comportait sa propre nature ; si le développement de ces possibilités semble avoir été arrêté pour lui à un certain point, c’est qu’il n’avait pas à aller plus loin quant à sa modalité corporelle, et c’est le fait de n’envisager que celle-ci exclusivement qui est ici la cause de l’erreur, car on ne tient pas compte de toutes les possibilités qui, pour ce même être, peuvent se développer dans d’autres modalités du même état ; si l’on pouvait en tenir compte, on verrait que la réincarnation, même dans des cas comme ceux-là, est absolument inutile, ce qu’on peut d’ailleurs admettre dès lors qu’on sait qu’elle est impossible, et que tout ce qui est concourt, quelles que soient les apparences, à l’harmonie totale de l’Univers.


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[1] Il y avait encore un troisième cas d’exception, mais d’un tout autre ordre : c’était celui des « incarnations messianiques volontaires », qui se produiraient tous les six cents ans environ, c’est-à-dire à la fin de chacun des cycles que les Chaldéens appelaient Naros, mais sans que le même esprit s’incarne jamais ainsi plus d’une fois, et sans qu’il n’ait consécutivement deux semblables incarnations dans une même race ; la discussion et l’interprétation de cette théorie sortiraient entièrement du cadre de la présente étude.
[2] Le Théosophisme, pp. 97-99.

Cette question est tout à fait analogue à celle des communications spirites : dans l’une et dans l’autre, il s’agit d’impossibilités ; dire qu’il peut y avoir des exceptions serait aussi illogique que de dire, par exemple, qu’il peut y avoir un petit nombre de cas où, dans l’espace euclidien, la somme des trois angles d’un triangle ne soit pas égale à deux droits ; ce qui est absurde l’est absolument, et non pas seulement « en général ». Du reste, si l’on commence à admettre des exceptions, nous ne voyons pas très bien comment on pourrait leur assigner une limite précise : comment pourrait-on déterminer l’âge à partir duquel un enfant, s’il vient à mourir, n’aura plus besoin de se réincarner, ou le degré que doit atteindre la débilité mentale pour exiger une réincarnation ? Évidemment, rien ne saurait être plus arbitraire, et nous pouvons donner raison à Papus lorsqu’il dit que, « si l’on rejette cette théorie, il ne faut pas admettre d’exception, sans quoi on ouvre une brèche à travers laquelle tout peut passer »1.

Cette observation, dans la pensée de son auteur, s’adressait surtout à quelques écrivains qui ont cru que la réincarnation, dans certains cas particuliers, était conciliable avec la doctrine catholique ; le comte de Larmandie, notamment, a prétendu qu’elle pouvait être admise pour les enfants morts sans baptême2. Il est très vrai que certains textes, comme ceux du quatrième concile de Constantinople, qu’on a cru parfois pouvoir invoquer contre la réincarnation, ne s’y appliquent pas en réalité ; mais les occultistes n’ont pas à en triompher, car, s’il en est ainsi, c’est tout simplement parce que, à cette époque, la réincarnation n’avait pas encore été imaginée.

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[1] La Réincarnation, p. 179 ; d’après le Dr Rozier : Initiation, avril 1898.
[2] Magie et Religion.

Il s’agissait d’une opinion d’Origène, d’après laquelle la vie corporelle serait un châtiment pour des âmes qui, « préexistant en tant que puissances célestes, auraient pris satiété de la contemplation divine » ; comme on le voit, il n’est pas question là-dedans d’une autre vie corporelle antérieure, mais d’une existence dans le monde intelligible au sens platonicien, ce qui n’a aucun rapport avec la réincarnation. On a peine à concevoir comment Papus a pu écrire que « l’avis du concile indique que la réincarnation faisait partie de l’enseignement, et que s’il y en avait qui revenaient volontairement se réincarner, non par dégoût du Ciel, mais par amour de leur prochain, l’anathème ne pouvait pas les toucher » (il s’est imaginé que cet anathème était porté contre « celui qui proclamerait être revenu sur terre par dégoût du Ciel ») ; et il s’appuie là-dessus pour affirmer que « l’idée de la réincarnation fait partie des enseignements secrets de l’Église »1. À propos de la doctrine catholique, nous devons mentionner aussi une assertion des spirites qui est véritablement extraordinaire : Allan Kardec affirme que « le dogme de la résurrection de la chair est la consécration de celui de la réincarnation enseignée par les esprits », et qu’« ainsi l’Église, par le dogme de la résurrection de la chair, enseigne elle-même la doctrine de la réincarnation » ; ou plutôt il présente ces propositions sous forme interrogative, et c’est l’« esprit » de saint Louis qui lui répond que « cela est évident », ajoutant qu’« avant peu on reconnaîtra que le spiritisme ressort à chaque pas du texte même des Écritures sacrées »2 ! Ce qui est plus étonnant encore, c’est qu’il se soit trouvé un prêtre catholique, même plus ou moins suspect d’hétérodoxie, pour accepter et soutenir une pareille opinion ; c’est l’abbé J.-A. Petit, du diocèse de Beauvais, ancien familier de la duchesse de Pomar, qui a écrit ces lignes : « La réincarnation a été admise chez la plupart des peuples anciens…


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[1] La Réincarnation, p. 171.
[2] Le Livre des Esprits, pp. 440-442.
Le Christ aussi l’admettait. Si on ne la trouve pas expressément enseignée par les apôtres, c’est que les fidèles devaient réunir en eux les qualités morales qui en affranchissent… Plus tard, quand les grands chefs et leurs disciples eurent disparu, et que l’enseignement chrétien, sous la pression des intérêts humains, se fut figé en un aride symbole, il ne resta, comme vestige du passé, que la résurrection de la chair, ou dans la chair, qui, prise au sens étroit du mot, fit croire à l’erreur gigantesque de la résurrection des corps morts »1. Nous ne voulons faire là-dessus aucun commentaire, car de telles interprétations sont de celles qu’aucun esprit non prévenu ne peut prendre au sérieux ; mais la transformation de la « résurrection de la chair » en « résurrection dans la chair » est une de ces petites habiletés qui risquent de faire mettre en doute la bonne foi de leur auteur.


Avant de quitter ce sujet, nous dirons encore quelques mots des textes évangéliques que les spirites et les occultistes invoquent en faveur de la réincarnation ; Allan Kardec en indique deux2, dont le premier est celui-ci, qui suit le récit de la transfiguration : « Lorsqu’ils descendaient de la montagne, Jésus fit ce commandement et leur dit : Ne parlez à personne de ce que vous venez de voir, jusqu’à ce que le Fils de l’homme soit ressuscité d’entre les morts. Ses disciples l’interrogèrent alors et lui dirent : Pourquoi donc les scribes disent-ils qu’il faut qu’Élie vienne auparavant ? Mais Jésus leur répondit : Il est vrai qu’Élie doit venir et qu’il rétablira toutes choses. Mais je vous déclare qu’Élie est déjà venu, et ils ne l’ont point connu, mais l’ont fait souffrir comme ils ont voulu. C’est ainsi qu’ils feront mourir le Fils de l’homme.


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[1] L’Alliance Spiritualiste, juillet 1911.
[2] Le Livre des Esprits, pp. 105-107. – Cf. Léon Denis, Christianisme et Spiritisme, pp. 376-378. Voir aussi Les messies esséniens et l’Église orthodoxe, pp. 33-35 ; cet ouvrage est une publication de la secte soi-disant « essénienne » à laquelle nous ferons allusion plus loin.

Alors ses disciples comprirent que c’était de Jean-Baptiste qu’il leur avait parlé »1. Et Allan Kardec ajoute : « Puisque Jean-Baptiste était Élie, il y a donc eu réincarnation de l’esprit ou de l’âme d’Élie dans le corps de Jean-Baptiste. » Papus, de son côté, dit également : « Tout d’abord, les Évangiles affirment sans ambages que Jean-Baptiste est Élie réincarné. C’était un mystère. Jean-Baptiste interrogé se tait, mais les autres savent. Il y a aussi cette parabole de l’aveugle de naissance puni pour ses péchés antérieurs, qui donne beaucoup à réfléchir »2. En premier lieu, il n’est point dit dans le texte de quelle façon « Élie est déjà venu » ; et, si l’on songe qu’Élie n’était point mort au sens ordinaire de ce mot, il peut sembler au moins difficile que ce soit par réincarnation ; de plus, pourquoi Élie, à la transfiguration, ne s’était-il pas manifesté sous les traits de Jean-Baptiste3 ? Ensuite, Jean-Baptiste interrogé ne se tait point comme le prétend Papus, il nie au contraire formellement : « Ils lui demandèrent : Quoi donc ? êtes-vous Élie ? Et il leur dit : Je ne le suis point »4. Si l’on dit que cela prouve seulement qu’il n’avait pas le souvenir de sa précédente existence, nous répondrons qu’il y a un autre texte qui est beaucoup plus explicite encore ; c’est celui où l’ange Gabriel, annonçant à Zacharie la naissance de son fils, déclare : « Il marchera devant le Seigneur dans l’esprit et dans la vertu d’Élie, pour réunir le cœur des pères avec leurs enfants et rappeler les désobéissants à la prudence des justes, pour préparer au Seigneur un peuple parfait »5.

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[1] St Mathieu, XVII, 9-15. – Cf. St Marc, IX, 8-12 ; ce texte ne diffère guère de l’autre qu’en ce que le nom de Jean-Baptiste n’y est pas mentionné.
[2] La Réincarnation, p. 170.
[3] L’autre personnage de l’Ancien Testament qui s’est manifesté à la transfiguration est Moïse, dont « personne n’a connu le sépulcre » ; Hénoch et Élie, qui doivent revenir « à la fin des temps », ont été l’un et l’autre « enlevés aux cieux » ; tout cela ne saurait être invoqué comme des exemples de manifestation des morts.
[4] St Jean, I, 21.
[5] St Luc, I, 17.

On ne saurait indiquer plus clairement que Jean-Baptiste ne serait point Élie en personne mais qu’il appartiendrait seulement, si l’on peut s’exprimer ainsi, à sa « famille spirituelle » ; c’est donc de cette façon, et non littéralement, qu’il fallait entendre la « venue d’Élie ». Quant à l’histoire de l’aveugle-né, Allan Kardec n’en parle pas, et Papus ne semble guère la connaître, puisqu’il prend pour une parabole ce qui est le récit d’une guérison miraculeuse ; voici le texte exact : « Lorsque Jésus passait, il vit un homme qui était aveugle dès sa naissance ; et ses disciples lui firent cette demande : Maître, est-ce le péché de cet homme, ou le péché de ceux qui l’ont mis au monde, qui est cause qu’il est né aveugle ? Jésus leur répondit : Ce n’est point qu’il ait péché, ni ceux qui l’ont mis au monde ; mais c’est afin que les œuvres de la puissance de Dieu éclatent en lui »1. Cet homme n’avait donc point été « puni pour ses péchés », mais cela aurait pu être, à la condition qu’on veuille bien ne pas torturer le texte en ajoutant un mot qui ne s’y trouve point : « pour ses péchés antérieurs » ; sans l’ignorance dont Papus fait preuve en l’occasion, on pourrait être tenté de l’accuser de mauvaise foi. Ce qui était possible, c’est que l’infirmité de cet homme lui eût été infligée comme sanction anticipée en vue des péchés qu’il commettrait ultérieurement ; cette interprétation ne peut être écartée que par ceux qui poussent l’anthropomorphisme jusqu’à vouloir soumettre Dieu au temps. Enfin, le second texte cité par Allan Kardec n’est autre que l’entretien de Jésus avec Nicodème ; pour réfuter les prétentions des réincarnationnistes à cet égard, on peut se contenter d’en reproduire le passage essentiel : « Si un homme ne naît de nouveau, il ne peut voir le royaume de Dieu… En vérité, je vous le dis, si un homme ne renaît de l’eau et de l’esprit, il ne peut entrer dans le royaume de Dieu. Ce qui est né de la chair est chair, et ce qui est né de l’esprit est esprit. Ne vous étonnez pas de ce que je vous ai dit, qu’il faut que vous naissiez de nouveau »2.

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[1] St Jean, IX, 1-3.
[2] Ibid., III, 3-7.



Il faut une ignorance aussi prodigieuse que celle des spirites pour croire qu’il peut s’agir de la réincarnation alors qu’il s’agit de la « seconde naissance », entendue dans un sens purement spirituel, et qui est même nettement opposée ici à la naissance corporelle ; cette conception de la « seconde naissance », sur laquelle nous n’avons pas à insister présentement, est d’ailleurs de celles qui sont communes à toutes les doctrines traditionnelles, parmi lesquelles il n’en est pas une, en dépit des assertions des « néo-spiritualistes », qui ait jamais enseigné quelque chose qui ressemble de près ou de loin à la réincarnation.


La réincarnation selon Ananda Coomaraswamy 


Selon Ananda Coomaraswamy la réincarnation vient d'une incompréhension populaire de la doctrine de la transmigration et ne fait pas partie des doctrines hindoues : "Il est tout à fait contraire au Bouddhisme, aussi bien qu'au Vêdânta, de penser à "nous-mêmes" comme à des êtres errant au hasard dans le tourbillon fatal du flot du monde (samsâra). Notre Soi immortel est tout, sauf une "individualité qui survit". Ce n'est pas cet homme, un tel ou un tel qui réintègre sa demeure et disparaît à la vue, mais le Soi prodigue qui se souvient de lui-même."41. « Dans toute la tradition que nous considérons ici, il n’y a aucune doctrine de la survie ou « réincarnation » des personnalités, mais seulement de la Personne, le seul transmigrateur ; le fait d’admettre la nature composite et changeante de la personnalité humaine, et sa corruptibilité qui s’ensuit, conduit au problème global de la mortalité, qui peut être exprimé dans la question : En qui partirai-je, lorsque je partirai (Prashna Upanishad VI, 3) et "par quel soi le monde-de-Brahma est-il accessible ?" (Sutta-Nipâta 508), moi-même ou bien le Soi ? La réponse chrétienne orthodoxe est, bien entendu, que « Personne n’est monté au ciel, si ce n’est celui qui est descendu du ciel, le Fils de l’Homme, qui est dans le ciel » (Jean 3, 13). (…) cette résurrection est, en vérité, « à partir des cendres » (Somme théologique III, supp. 78,2) et en un « corps entier et complet » mais n’est pas différée, et n’est pas une reconstitution de « ce » corps ou de « cette » personnalité mais de notre « autre Soi », le « Soi immortel » de ce soi, en un corps immortel d’« or » (lumière, gloire) ne manquant de rien, mais étant entièrement immatériel. La discrimination des « sauvés » et des « damnés » est de même immédiate ; les sauvés sont ceux qui ont connu le Soi (jam non ego, sed Christus in me, de Saint Paul), les damnés sont ceux qui ne se sont pas connus eux-mêmes et dont, par conséquent, rien ne peut survivre lorsque le véhicule se désagrège et que le Soi s’en va. »42

De ce point de vue ces lignes de la Bhagavad-Gîtâ prennent un tout autre sens que dans le chapitre "Le mécanisme de la réincarnation dans l'hindouisme" :

(7) Celui qui, voué au yoga, est pur, maître de soi, tient ses sens soumis, pour qui son âme se confond avec l'âme de tous les êtres, même s'il agit, il n'est point souillé. (8) L'adepte du yoga est fondé, en vérité, à estimer qu'il n'agit pas. Qu'il voie, qu'il entende, qu'il touche, qu'il sente, qu'il mange, qu'il marche, qu'il dorme, qu'il respire, (9) qu'il parle, qu'il lâche ou qu'il appréhende, qu'il ouvre ou ferme les yeux : tout cela, ce sont pour lui les sens réagissant au contact des objets sensibles. (10) Celui qui, fondant en Brahman tous les actes, agit en plein détachement, le péché ne s'attache pas à lui pas plus que l'eau à la feuille du lotus. (11) Le corps, le manas (organe central de perception qui se superpose aux cinq sens), l'esprit, les sens mêmes ainsi parfaitement dégagés, les yogins, agissant en dehors de tout attachement, travaillent à la purification intérieure. (12) Celui qui pratique le yoga s'affranchit du fruit des actes et atteint la paix immuable ; celui qui ne la pratique pas, attaché au fruit sous la poussée du désir, demeure lié.

— Bahgavad Gita, chapitre 525.


41. Ananda K. Coomaraswamy, Hindouisme et Bouddhisme, p. 124
42. Ananda K. Coomaraswamy « La signification de la mort », note 50

vendredi 8 août 2014

René Guénon - Les sept tours du diable - Correspondances annexées

Lalesh (Kurdistan)

                                       

Compte rendu du livre de W.B SEABROOK. Aventures en Arabie (Gallimard, Paris).

Ce livre, comme ceux du même auteur qui ont été déjà traduits précédemment (L’Ile magique et Les secrets de la jungle), se distingue avantageusement des habituels « récits de voyageurs » ; sans doute est-ce parce que nous avons affaire ici à quelqu’un qui ne porte pas partout avec lui certaines idées préconçues, et qui, surtout, n’est nullement persuadé que les Occidentaux soient supérieurs à tous les autres peuples. Il y a bien parfois quelques naïvetés, de singuliers étonnements devant des choses très simples et très élémentaires ; mais cela même nous paraît être, en somme, une garantie de sincérité.

A la vérité, le titre est quelque peu trompeur car l’auteur n’a pas été en Arabie proprement dite, mais seulement dans les régions situées immédiatement au nord de celle-ci. Disons aussi, pour en finir tout de suite avec les critiques, que les mots arabes sont parfois bizarrement déformés, comme par quelqu’un qui essaierait de transcrire approximativement les sons qu’il entend sans se préoccuper d’une orthographe quelconque, et que quelques phrases citées sont traduites d’une façon plutôt fantaisiste.

Enfin, nous avons pu faire une fois de plus une remarque assez curieuse : c’est que, dans les livres occidentaux destinés au « grand public », la shahâdah n’est pour ainsi dire jamais reproduite exactement ; est-ce purement accidentel, ou ne serait-on pas plutôt tenté de penser que quelque chose s’oppose à ce qu’elle puisse être prononcée par la masse des lecteurs hostiles ou simplement indifférents.

La première partie, qui est la plus longue, concerne la vie chez les Bédouins et est presque uniquement descriptive, ce qui ne veut certes pas dire qu’elle soit sans intérêt ; mais, dans les suivantes, il y a quelque chose de plus. L’une d’elles, où il est question des Derviches, contient notamment des propos d’un cheikh Mawlawi dont le sens est, sans aucun doute, fidèlement reproduit : ainsi, pour dissiper l’incompréhension que l’auteur manifeste à l’égard de certaines turuq, ce cheikh lui explique qu’ « il n’y a pas pour aller à Dieu une voie unique étroite et directe, mais un nombre infini de sentiers » ; il est dommage qu’il n’ait pas eu l’occasion de lui faire comprendre aussi que le soufisme n’a rien de commun avec le panthéisme ni avec l’hétérodoxie…
Par contre, c’est bien de sectes hétérodoxes, et de plus passablement énigmatiques, qu’il s’agit dans les deux autres parties : les Druses et les Yézidis ; et, sur les uns et les autres, il y a là des informations intéressantes, sans d’ailleurs aucune prétention de tout faire connaître et de tout expliquer. En ce qui concerne les Druses, un point qui reste particulièrement obscur, c’est le culte qu’ils passent pour rendre à un « veau d’or » ou à une « tête de veau » ; il y a là quelque chose qui pourrait peut- être donner lieu à bien des rapprochements, dont l’auteur semble avoir seulement entrevu quelques-uns ; du moins a-t-il compris que symbolisme n’est pas idolâtrie…

Quant aux Yézidis, on en aura une idée passablement différente de celle que donnait la conférence dont nous avons parlé dernièrement dans nos comptes rendus des revues (numéro de novembre) : ici, il n’est plus question de « Mazdéisme » à leur propos, et, sous ce rapport du moins, c’est sûrement plus exact ; mais l’ « adoration du diable » pourrait susciter des discussions plus difficiles à trancher, et la vraie nature du Malak Tâwûs demeure encore un mystère. Ce qui est peut-être le plus digne d’intérêt, à l’insu de l’auteur qui, malgré ce qu’il a vu, se refuse à y croire, c’est ce qui concerne les « sept tours du diable », centres de projection des influences sataniques à travers le monde ; qu’une de ces tours soit située chez les Yézidis, cela ne prouve d’ailleurs point que ceux-ci soient eux-mêmes des « satanistes », mais seulement que, comme beaucoup de sectes hétérodoxes, ils peuvent être utilisés pour faciliter l’action de forces qu’ils ignorent.

Il est significatif, à cet égard, que les prêtres réguliers yézidis s’abstiennent d’aller accomplir des rites quelconques dans cette tour, tandis que des sortes de magiciens errants viennent souvent y passer plusieurs jours ; que représentent au juste ces derniers personnages ? En tout cas, il n’est point nécessaire que la tour soit habitée d’une façon permanente, si elle n’est autre chose que le support tangible et « localisé » d’un des centres de la « contre-initiation », auxquels président les awliya es-Shaytân ; et ceux-ci, par la constitution de ces sept centres prétendent s’opposer à l’influence des sept Aqtâb ou « Pôles » terrestres subordonnés au « Pôle » suprême, bien que cette opposition ne puisse d’ailleurs être qu’illusoire, le domaine spirituel étant nécessairement fermé à la « contre-initiation ».


(René Guénon, Revue Etudes Traditionnelles, Compte rendu du livre de W.B SEABROOK. Aventures en Arabie (Gallimard, Paris).1935, p. 42-43).


« Allâh a fixé par écrit : « en vérité, Moi et Mes envoyés nous serons vainqueurs ! » En vérité Allâh est fort, hors d’atteinte ! » (Cor. 58, 21)

ANNEXES

Lettre de René Guénon à Arturo Reghini, Le Caire, 25 avril 1935.

« Pour ce qui est des attaques contre moi, vous avez très bien compris qu’il y a là tout autre chose que les apparences extérieures ; le plus curieux est que cela semble venir de tous les côtés à la fois, même les plus opposés ; mais derrière tout cela, il y a ce qui est véritablement « diabolique », et cela va encore plus loin que tout ce que vous pouvez supposer. Pour vous en faire une idée, vous pourrez relire attentivement les réponses contenues dans mes comptes rendus, et aussi ce qui concerne la « contre-initiation », les « sept tours du diable », etc. Toutes ces choses, au fond, se tiennent de très près ; le reste n’est qu’instruments plus ou moins inconscients, mais quelquefois d’autant plus dangereux par leur inconscience même... – Sûrement, je suis beaucoup plus tranquille ici ; du reste, la dernière année que j’étais à Paris, la vie y était déjà devenue presque impossible, et ce serait sans doute encore bien autre chose maintenant. Impossible de vous dire tout ce que j’ai découvert depuis et combien de prétendus amis se sont démasqués peu à peu… »



Lettre de René Guénon à Vasile Lovinescu, Le Caire, 19 mai 1936.

« À propos de la contre-initiation, je pense que vous avez vu ce que j’ai écrit l’an dernier sur les « sept tours du diable », dans le compte rendu du livre de Seabrook où il est question de celle qui se trouverait chez les Yezidis, c’est à dire dans l’Iraq. Pour les autres, on parle de certaines régions situées vers les confins de la Sibérie et du Turkestan ; il y a aussi la Syrie, avec les Ismaïliens de l’Agha-Khan et quelques autres sectes assez suspectes ; puis le Soudan, où il existe, dans une région montagneuse, un population « lycanthrope” »d’une vingtaine de mille individus (je le sais par des témoins oculaires) ; plus au centre de l’Afrique, du côté du Niger, se trouve la région d’où venaient déjà tous les sorciers et magiciens de l’ancienne Égypte (y compris ceux qui luttèrent contre Moïse) ; il semble qu’avec tout cela on pourrait tracer une sorte de ligne continue, allant d’abord du nord au sud, puis de l’est à l’ouest, et donc le côté concave enserre le monde occidental. Naturellement, cela ne veut pas dire qu’il n’y ait pas d’autres centres plus ou moins importants en dehors de ces lignes ; vous parliez de Lyon, et il y a sûrement aussi quelque chose en Belgique. Quant à l’Amérique, le point le plus suspect semble bien être la Californie, où se rassemblent tant de choses hétéroclites ; il est vrai qu’il s’agit surtout d’organisations pseudo-initiatiques, mais il y a sûrement quelque chose d’autre qui les mène, même à leur insu ; l’utilisation de la pseudo-initiation par des agents de la contre-initiation, dans bien des cas, apparaît comme de moins en moins douteuse, et je me propose d’en parler prochainement dans un article, à l’occasion d’une histoire d’organisations soi-disant rosicruciennes… – À propos de l’Iraq et de la Californie, il y a une question qui m’intrigue assez, car elle relève évidemment d’un domaine qui n’est guère le mien : c’est celle des rapports qui paraissent exister entre ces localisations et celles des sources de pétrole ; malheureusement, il y a aussi de celles-ci dans votre pays, et ne serait-ce pas pour cela (bien qu’il puisse y avoir encore d’autres raisons) qu’il attire un peu trop l’attention de certaines gens ? Notez également, à cet égard, que sir Henry Deterding, le chef de la « Royal Dutch », est un personnage tout à fait comparable à Bazil Zaharoff ; on dit même qu’il serait désigné pour être son successeur… »

Lettre de René Guénon à Marcel Clavelle du 25 mars 1937


« Il parait que l’atmosphère d’Anvers est quelque chose d’effroyable, qui donne même des malaises physiques inexplicables ; mais, là et même pour Lyon, comme peut-être aussi les Baléares et quelques autres lieux d’Europe, et pour la Californie en ce qui concerne l’Amérique (car ce n’est sans doute pas pour rien que tant de choses bizarres s’y rassemblent), je pense qu’il ne s’agit en somme que de centres secondaires, qui ne doivent pas être comptés en nombre de « tours » proprement dites. Celles-ci semblent plutôt disposées suivant une sorte d’arc de cercle entourant l’Europe à une certaine distance : une dans la région du Niger, d’où l’on disait déjà, au temps de l’Égypte ancienne, que venaient les sorciers les plus redoutables ; une au Soudan, dans une région montagneuse habitée par une population « lycanthrope » d’environs 20. 000 individus (je connais ici des témoins oculaires de la chose) ; deux en Asie Mineure, l’une en Syrie et l’autre en Mésopotamie ; puis une du côté du Turkestan où il y a des choses aussi « mêlées » qu’en Syrie, en bon et en mauvais ; il devrait donc y avoir encore deux plus au nord, vers l’Oural ou la partie occidentale de la Sibérie, mais je dois dire que, jusqu’ici, je n’arrive pas à les situer exactement. »