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LAMBSPRINCK, La Pierre philosophale
Etudes
Traditionnelles, Numéro 436 – mars-avril 1973
Lambsprinck, La
Pierre philosophale,
texte latin et traduction française, (Casa éditrice Arché, Milan).
Cet ouvrage fait partie d’une Bibliotheca Hermetica fondée en
1967, et qui diffère de la Bibliotheca Hermetica des éditions
Denoël. Ont notamment paru par les soins de cette maison
milanaise La
Vertu et Propriété de la Quinte Essence de
Joannes de Rupescissa, Le
Règne de Saturne changé en siècle d’or de
Huginus A Barma, les deux traités de Pernéty (Fables et
Dictionnaire) et plusieurs autres œuvres d’alchimie. L’auteur du
livre dont nous parlons aujourd’hui, Lambsprinck, fait partie de «
cette catégorie d’hermétistes dont l’existence, à propos ou
non, a été entourée de l’obscurité la plus complète ». Tout
ce qu’on sait de lui, c’est qu’il s’agit d’un noble
allemand qui appartint à une abbaye bénédictine située près de
Hildesheim. Le traité La Pierre philosophale est le seul qui nous
soit parvenu sous son nom. Rédigé en allemand, il a été traduit
en vers latins par Nicolas Barnaud qui le publia en 1677 à
Francfort, et il semble avoir joui d’une assez grande notoriété.
Nicolas Flamel et Michel Maier l’ont cité, et le second en
recommande vivement la lecture. Bien plus, ce dernier s’est inspiré
très visiblement de certaines planches de l’Atalante fugitive, et
certains ont même remarqué « l’affinité des figures de
Lambsprinck avec celles de Flamel, allant jusqu’à prétendre de ce
fait que l’hermétiste allemand aurait fait ses études à Paris
».
L’essentiel du traité de Lambsprinck est en effet
constitué par 15 planches symboliques. Chacune de ces planches est
accompagnée de très brèves explications et d’un texte en vers
(le texte le plus court en comporte 9. Le plus long 26). Il faut
noter tout d’abord que, si l’on considère les cinq planches qui
sont communes ou du moins « apparentées » (l’auteur de
l’introduction dit « consanguines ») chez Lambsprinck et chez
Michel Maier, on remarque que ces planches ne sont pas disposées
dans le même ordre. Faut-il voir là un de ces « pièges » si
fréquemment tendus par les philosophes hermétiques pour égarer les
curieux qui manquent de patience ? En tout cas, il serait
certainement instructif de comparer les textes, versifiés ou non,
musicaux ou non, que Lambsprinck et Maier ont adjoints aux cinq
planches en question. Et il va sans dire que dans des œuvres dont
l’illustration constitue l’essentiel, il était facile et même
tentant pour les auteurs d’introduire dans l’enchaînement de
leurs figures un désordre au moins apparent, et ceci, comme le dit
Lambsprinck (2ème figure), « pour que nul insensé ne voie ».
D’une manière générale, nous pensons –et nous croyons que tel
était aussi l’avis de Guénon quand il recommandait à ceux qui en
avaient le goût d’examiner avec soin les symboles hermétiques–
qu’il ne faut pas se laisser rebuter par leur complexité. Il est
bien certain que celui qui voudrait lire Lambsprinck ou même Maier
comme on lit René Guénon risquerait fort d’être très vite
découragé. Mais en persistant et en appliquant les règles
fondamentales exposées par Guénon pour l’interprétation du
symbolisme traditionnel on fait des découvertes intéressantes et
qui parfois dépassent le point de vue cosmologique propre à
l’hermétisme. Nous citerons par exemple, dans la traduction
française, le début des vers latins, accompagnant la 7ème figure :
« Dans la forêt on trouve un nid où Hermès a mis ses petits. L’un
cherche toujours à voler, l’autre aime rester au nid, mais aucun
n’abandonne l’autre. Celui du bas tient toujours le second de
façon que tous les deux demeurent dans le nid, tout comme l’homme
avec sa femme, unis étroitement ». Ce texte rappelle le texte bien
connu des Upanishads : « Deux oiseaux, compagnons inséparablement
unis, habitent le même arbre ; l’un mange les fruits de l’arbre,
l’autre regarde sans manger ». Bien entendu, le point de vue
métaphysique du texte hindou est différent du point de vue
cosmologique de l’hermétisme ; mais on sait que le même
symbolisme peut s’appliquer à des niveaux de vie
différents.
Précisément, les vers de la 7ème figure dont
nous venons de citer un fragment sont pour ainsi dire rappelés dans
les vers de la 8ème figure qui débutent ainsi : « On trouve en
Inde une belle forêt où deux oiseaux sont enlacés ; l’un est
très blanc, l’autre rouge ». De l’« absorption » de l’un de
ces oiseaux par l’autre naît une colombe qui donne le jour au
Phénix, lequel reçoit de Dieu une vertu « pour qu’il vive dans
l’éternité et ne meure jamais ». On peut trouver dans l’ouvrage
de Lambsprinck, « très dense », en dépit de son extrême
brièveté, bien d’autres correspondances sur des symboles tels que
la forêt, le poisson, le loup, le dragon, la licorne « qui est
l’Esprit ». Tout cela peut servir « d’illustration » et
parfois même d’éclaircissement à certains aperçus des Symboles
fondamentaux de la Science sacrée. Il est à remarquer que l’ouvrage
de Lambsprinck précise dès le début que la « matière de l’Œuvre
» n’est autre que l’être humain. Les vers de la première
figure commencent ainsi : « Les philosophes disent généralement
qu’il y a dans notre mer deux poissons tout dépourvus de chair et
d’os ». Ces vers se trouvent expliqués par l’éclaircissement
suivant, placé au-dessous de la figure : « La mer est le Corps, les
deux poissons l’Esprit et l’Âme »
Nous devons signaler en
terminant que l’ouvrage dont nous venons de parler est une édition
sur papier de luxe, tirée à 500 exemplaires.
*
Lambsprinck, Traité
de la Pierre philosophale,
traduit en français sur le texte allemand. Suivi du traité : Le
Pilote de l’Onde vive,
de Mathurin Eyquem du Martineau. (Editions Denoël, Paris).
Nous
ne reviendrons pas sur le premier de ces deux traités, dont la
traduction (sur le texte original) est sans doute plus rigoureuse
littéralement, mais aussi moins compréhensible -du moins nous
a-t-il semblé- que la traduction sur le texte latin de Nicolas
Barnaud.
Le second traité (également désigné comme Le
Secret du flux et du reflux de la mer et du point fixe) est
un texte très peu connu, sans doute à cause de la difficulté qu’on
éprouve à en pénétrer le symbolisme. Il se divise très nettement
en deux parties : dans la première, l’auteur traite précisément
de ce qu’il appelle « le flux et le reflux de la mer » et du «
point fixe ». On ne peut manquer ici de faire un rapprochement avec
la « pénalité » du premier grade de ma maçonnerie bleue, où il
est également question du flux et du reflux de la mer. Le but final
de l’initiation étant précisément d’échapper à
l’enchaînement « fatal » de la « génération » et de la «
corruption », cette parenté de symbolisme entre l’hermétisme et
la Maçonnerie –qui portent l’une et l’autre le nom « d’Art
Royal »–n’a pas de quoi surprendre.
La seconde partie
relate un curieux voyage aux Indes orientales, qui se termine par des
considérations sur la « quadrature du cercle », problème, on le
sait, spécifiquement hermétique. Ce voyage s’effectue en
compagnie d’un personnage qui a plusieurs caractères des
Rose-Croix, et en particulier la « longévité ». A la lecture de
cette navigation, on pense parfois au voyage de Pantagruel allant
consulter l’oracle de la Dive bouteille ; en effet, certaines
expressions de Mathurin Eyquem se retrouvent chez Rabelais. Nous ne
voulons d’ailleurs pas dire qu’il y ait eu influence de l’un de
ces auteurs sur l’autre ; mais de tels rapprochements suggèrent
que tous deux devaient se rattacher à une même « école »
traditionnelle. Du reste, ce n’est pas seulement certaines
expressions qui sont communes à Eyquem et à Rabelais. Certaines
idées aussi. Nous pensons en particulier à la visite faite par
Eyquem au « roi des Pygmées », qui, après avoir régné sur la
terre entière, vivait retiré dans une caverne. L’évanouissement
total de sa « félicité » avait coïncidé, selon lui, avec
l’invention de « l’art diabolique de la poudre et du canon ».
On sait que Rabelais attribuait aussi une origine « infernale » à
l’« artillerie » ; et, ce qui plus remarquable encore, un moderne
historien des civilisations a très bien vu l’importance capitale
et néfaste de l’invention des explosifs au début de ce même
XIVème siècle qui amorça la ruine ou du moins le dépérissement
de tant de « valeurs » traditionnelles (cf. E.T. de juillet 1972,
p. 197, n. 9 ; et aussi p. 198, §2).
Dans ce traité d’Eyquem
comme dans presque tous les textes de l’hermétisme, on trouve
ainsi une foule de formules et d’allusions qu’il est très
intéressant de comparer à tel ou tel point de la doctrine
traditionnelle. Le symbolisme alchimique est extrêmement riche et
varié. C’est ce qui fait à la fois sa difficulté et son attrait.
Denys
Roman
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